Notice sur les Fourberies de Scapin de Molière (Louis MOLAND)

Travail de critique et d’érudition. Aperçus d’histoire littéraire, biographie, examens de chaque pièce, commentaires, bibliographie, etc. Œuvres complètes de Molière, Granier Frères, Libraires-Éditeurs, Paris, 1864.

 

 

Au printemps de l’année 1671, pendant que le roi, suivi de sa cour, visitait les places de Flandre, Molière, rendu enfin à son théâtre, voulut inaugurer par une pièce nouvelle la salle du Palais-Royal, nouvellement restaurée, et dans laquelle Psyché n’avait pas encore paru, et il composa les Fourberies de Scapin.

Les Fourberies de Scapin sont une composition singulière, à la fois antique, italienne et française ; pleine d’harmonie et de clarté, quoique formée d’éléments complexes ; presque toute empruntée, et pourtant d’une liberté de mouvement, d’une vivacité d’action, d’un entrain tout original.

Elle est tirée de la quatrième pièce de Térence, Phormion, jouée à Rome 159 ans avant J.-C. Une courte analyse de cette comédie latine permettra d’apprécier ce que Molière lui prit et ce qu’il ne jugea pas à propos de lui prendre. Voici le sujet de Phormion. Un Athénien, Chrémès, mari d’une riche citoyenne, Nausistrata, dont il a un fils nommé Phédria, ne s’est point contenté de cette union légitime. Dans un voyage qu’il a fait à Lemnos, Chrémès est devenu amoureux d’une jeune femme qu’il a épousée secrètement, en prenant le faux nom de Stilpon, et qui lui a donné une fille appelée Phanium. Personne ne connaît cette union clandestine, excepté Démiphon, frère de Chrémès. Aussi, dans l’intention de mieux cacher le mystère de sa naissance. Chrémès et Démiphon sont convenus entre eux de marier Phanium à Antiphon, fils de ce dernier. Sur ces entrefaites, Démiphon s’embarque pour la Cilicie, afin de mettre ordre à certaines affaires, et Chrémès pour Lemnos, dans le dessein d’en ramener Phanium avec sa mère. Chrémès ne retrouve plus celles qu’il vient chercher. La mère de Phanium, contrainte par l’indigence, et voyant sa fille arrivée à ses quinze ans, s’est embarquée avec Phanium et la nourrice Sophrona, dans l’espoir de rencontrer à Athènes le prétendu Stilpon. Elle y fait des recherches inutiles. Le chagrin l’abat, la maladie s’empare d’elle, et elle meurt laissant sa fille aux soins de Sophrona.

Antiphon, que le hasard a conduit chez Phanium, a vu la jeune fille au désespoir ; il s’est épris de cette beauté éplorée. Il veut épouser Phanium et il supplie Géta, un esclave de confiance à qui Chrémès et Démiphon ont, en partant, laissé le gouvernement de leurs fils, de lui en faciliter les moyens. Géta met son pupille en rapport avec Phormion le parasite. Phormion est un chevalier d’industrie, retors et délié en affaires, connaissant tous les détours de la chicane et sachant crier d’autant plus fort qu’il a moins raison. L’intrigant, par une comédie jouée devant la justice, ajuste le mariage d’Antiphon avec Phanium. Les deux vieillards arrivent, et comme ils sont loin de se douter que l’union accomplie pendant leur voyage est précisément celle qu’ils projetaient, ils avisent aux moyens de la rompre.

De son côté Phédria, le fils de Chrémès, amoureux d’une joueuse de cithare, a besoin de trente mines d’argent (somme équivalant à 900 francs environ de notre monnaie) pour payer à Dorion, marchand d’esclaves, le prix de celle qu’il veut acquérir. Géta s’ingénie pour arracher cet argent aux vieillards ; il les assure que Phormion consentira, moyennant cette somme, à faire rompre le mariage contracté par son entremise, et lui-même épousera Phanium. Les vieillards, dans la crainte des procès, remettent la somme à Phormion, qui la remet à Phédria, des mains duquel elle passe dans celles du marchand d’esclaves.

Les choses en sont à ce point, quand le hasard fait rencontrer Chrémès par la nourrice Sophrona. Elle reconnaît en lui le Stilpon de Lemnos, le mari de sa défunte maîtresse, le père de l’orpheline que vient d’épouser Antiphon. L’explication qu’ils ont ensemble fait comprendre à Chrémès que le fils de Démiphon a précisément la femme qui lui était destinée, et que le sort a conduit l’affaire au gré de leurs plus chers désirs. Les vieillards se proposent de traiter l’intrigant Phormion comme il le mérite ; mais Géta, qui a surpris leur secret, raconte l’aventure à son complice. Phormion attire par ses cris la fière et revêche Nausistrata, à qui il révèle le mariage clandestin qu’avait contracté son mari. Nausistrata, indignée, exige de Chrémès qu’il pardonne l’escroquerie des trente mines, qu’il laisse à son fils Phédria sa joueuse de cithare, et qu’il reçoive même à sa table l’impudent Phormion.

Dans la comédie de Molière, le personnage de Nausistrata ne se retrouve plus ; mais Géronte, c’est Chrémès ; Argante, c’est Démiphon ; Octave, amoureux d’Hyacinte, c’est Antiphon ; Léandre, c’est Phédria ; Scapin, c’est Phormion ; et Sylvestre a quelques parties du rôle de Géta ; toutefois, il est plus exact de dire que Scapin résume en lui les deux personnages, l’agent d’intrigues et l’esclave de la comédie latine.

Térence a donc fourni le fonds de la pièce. Les détails, les motifs de chaque scène, qui souvent forme à elle seule dans Molière toute une petite comédie, sont d’origine italienne ou française.

Ce qui semble revenir plus spécialement à la farce italienne, c’est l’idée de la confession de Scapin, acte II, scène V ; elle existait, suivant Cailhava, dans un canevas italien intitulé Pantalon père de famille. Un fils de Pantalon vole un étui d’or sur la toilette de sa belle-mère. On accuse Arlequin ; on le menace de le faire pendre s’il n’avoue son larcin ; il se met à genoux et déclare une infinité de vols dont on ne l’avait pas soupçonné. Il ne manque à ce canevas que d’avoir une date certaine.

La farce française a contribué pour le fameux sac qui choquait si fort Boileau (acte III, scène II). Ce jeu comique fut très probablement suggéré à Molière par les parades de Tabarin. On sait que ce bouffon, célèbre au commencement du XVIIe siècle, attirait la foule autour des tréteaux d’un charlatan nommé Mondor qui vendait du baume sur le Pont-Neuf. « Comme tous les opérateurs importants, dit M. Fournel,[1] Mondor avait une troupe comique, un orchestre, et donnait des représentations. Une estampe du temps, placée en tête des Œuvres de Tabarin, représente son théâtre avec ses accompagnements élémentaires et indispensables : une estrade, décorée, dans le fond, d’un lambeau de tapisserie ; sur le devant, Tabarin et Mondor ; derrière eux, un joueur de violon, un joueur de rebec, et un valet qui ouvre un coffre pour passer les fioles et les boîtes à Mondor. » Parmi les farces tabariniques qui s’exécutaient sur ce théâtre en plein vent, et dont les canevas ont été recueillis, il en est deux, les deux premières, où un sac joue le principal rôle. Il suffira de citer l’argument de la seconde : « Lucas va en marchandise, donne sa fille en garde à Tabarin, laquelle l’envoie vers le capitaine Rodomont. Ce capitaine donne une chaîne à Tabarin pour sa maîtresse ; Tabarin le fait entrer dans un sac, il veut garder la fidélité à son maître. Lucas arrive de voyage ; le capitaine enfermé dans le sac, pour sortir, trouve une invention, qui est de persuader à Lucas qu’on l’a mis en ce sac à cause qu’il ne voulait se marier à une vieille qui avait cinquante mille écus. Lucas, comme les vieillards sont ordinairement avaricieux, demande la place du capitaine Rodomont, et s’enferme dans le sac. Tabarin et Isabelle viennent pour frotter le capitaine, et, après l’avoir bien battu, trouvent que c’est Lucas, et demeurent bien étonnés. » Voyez le Recueil tabarinique, fréquemment réédité de nos jours.

Il est encore quelques rapprochements que nous pourrons faire au courant du commentaire. Ce qu’il est important de relever ici, c’est une imitation bien plus caractérisée que toutes celles que Molière s’est permises. La fameuse scène XI du deuxième acte est, en grande partie, empruntée au Pédant joué de Cyrano de Bergerac : les deux scènes ont le même but et sont tracées sur le même plan ; toutes deux offrent la répétition remarquable de la phrase passée depuis lors en proverbe : « Que diable allait-il faire dans cette galère ? » Nous allons reproduire la scène du Pédant joué, afin qu’il soit facile de constater le rapport et aussi la différence qui existent entre l’ébauche vigoureuse, mais grossière de Cyrano, et la peinture achevée de Molière. Voici la scène IV du deuxième acte du Pédant joué, où Corbineli, valet du jeune Granger, parvient à extorquer cent pistoles à Granger père, le pédant :

 

« CORBINELI, GRANGER, PAQUIER.

 

« Corbineli. Hélas ! tout est perdu, votre fils est mort !

« Granger. Mon fils est mort ! Es-tu hors de sens ?

« Corbineli. Non, je parle sérieusement : votre fils, à la vérité, n’est pas mort ; mais il est entre les mains des Turcs.

« Granger. Entre les mains des Turcs ? Soutiens-moi, je suis mort.

« Corbineli. À peine étions-nous entrés en bateau pour passer de la porte de Nesle au quai de l’École...

« Granger. Et qu’allais-tu faire à l’école, baudet ?

« Corbineli. Mon maître s’étant souvenu du commandement que vous lui avez fait, d’acheter quelque bagatelle qui fût rare à Venise et de peu de valeur à Paris, pour en régaler son oncle, s’était imaginé qu’une douzaine de cotrets n’étant pas chers, et ne s’en trouvant point, par toute l’Europe, de mignons comme en cette ville, il devait en porter là. C’est pourquoi nous passions vers l’École pour en acheter ; mais à peine avons-nous éloigné la côte, que nous avons été pris par une galère turque.

« Granger. Hé ! de par le cornet retors de Triton, dieu marin ! qui jamais ouït parler que la mer fût à Saint-Cloud ? qu’il y eût là des galères, des pirates, ni des écueils ?

« Corbineli. C’est en cela que la chose est plus merveilleuse ; et, quoiqu’on ne les ait point vus en France que là, que sait-on s’ils ne sont point venus de Constantinople jusqu’ici entre deux eaux ?

« Paquier. En effet, monsieur, les Topinambours, qui demeurent quatre ou cinq cents lieues au delà du monde, vinrent bien autrefois à Paris ; et l’autre jour encore les Polonais enlevèrent bien la princesse Marie en plein jour, à l’hôtel de Nevers, sans que personne osât branler ![2]

« Corbineli. Mais ils ne se sont pas contentés de ceci, ils ont voulu poignarder votre fils...

« Paquier. Quoi ! sans confession ?

« Corbineli. S’il ne se rachetait par de l’argent.

« Granger. Ah ! les misérables ! c’était pour incuter la peur dans cette jeune poitrine.

« Paquier. En effet, les Turcs n’ont garde de toucher l’argent des chrétiens, à cause qu’il a une croix.

« Corbineli. Mon maître ne m’a pas pu dire autre chose, sinon : « Va-t’en trouver mon père, et lui dis... » Ses larmes aussitôt suffoquant sa parole m’ont bien mieux expliqué qu’il n’eût su faire les tendresses qu’il a pour vous.

« Granger. Que diable aller faire aussi dans la galère d’un Turc ? d’un Turc ! Perte.

« Corbineli. Ces écumeurs impitoyables ne me voulaient pas accorder la liberté de vous venir trouver, si je ne me fusse jeté aux genoux du plus apparent d’entre eux. « Eh ! monsieur le Turc, lui ai-je dit, permettez-moi d’aller avertir son père, qui vous enverra tout à l’heure sa rançon. »

« Granger. Tu ne devais point parler de rançon. Ils se seront moqués de toi.

« Corbineli. Au contraire, à ce mot il a un peu rasséréné sa face. « Va, m’a-t-il dit ; mais si tu n’es ici de retour dans un moment, j’irai prendre ton maître dans son collège, et vous étranglerai tous trois aux antennes de notre navire. » J’avais si peur d’entendre encore quelque chose de plus fâcheux, ou que le diable ne vînt m’emporter étant en la compagnie de ces excommuniés, que je me suis promptement jeté dans un esquif, pour vous avertir des funestes particularités de cette rencontre.

« Granger. Que diable aller faire dans la galère d’un Turc ?

« Paquier. Qui n’a peut-être pas été à confesse depuis dix ans.

« Granger. Mais penses-tu qu’il soit bien résolu d’aller à Venise ?

« Corbineli. Il ne respire autre chose.

« Granger. Le mal n’est donc pas sans remède. Paquier, donne-moi le réceptacle des instruments de l’immortalité, scriptorium scilicet.[3]

« Corbineli. Qu’en désirez-vous faire ?

« Granger. Écrire une lettre à ces Turcs.

« Corbineli. Touchant quoi ?

« Granger. Qu’ils me renvoient mon fils, parce que j’en ai affaire ; qu’au reste ils doivent excuser la jeunesse, qui est sujette à beaucoup de fautes ; et que s’il lui arrive une autre fois de se laisser prendre, je leur promets, foi de docteur, de ne leur en plus obtondre la faculté auditive.

« Corbineli. Ils se moqueront, par ma foi, de vous.

« Granger. Va-t’en donc leur dire de ma part que je suis tout prêt de leur répondre par-devant notaire, que le premier des leurs qui me tombera entre les mains, je le leur renverrai pour rien... Ah ! que diable, que diable aller faire en cette galère !... Ou dis-leur qu’autrement je vais m’en plaindre à la justice. Sitôt qu’ils l’auront remis en liberté, ne vous amusez ni l’un ni l’autre, car j’ai affaire de vous.

« Corbineli. Tout cela s’appelle dormir les yeux ouverts.

« Granger. Mon Dieu ! faut-il être ruiné à l’âge où je suis ? Va-t’en avec Paquier, prends le reste du teston que je lui donnai pour la dépense, il n’y a que huit jours... Aller sans dessein dans une galère !... Prends tout le reliquat de cette pièce... Ah ! malheureuse géniture, tu me coûtes plus d’or que tu n’es pesant... Paye la rançon, et ce qui restera, emploie-le en œuvres pies... Dans la galère d’un Turc !... Bien, va-t’en !... Mais, misérable, dis-moi, que diable allais-tu faire dans cette galère ?... Va prendre dans mes armoires ce pourpoint découpé, que quitta feu mon père, l’année du grand hiver.

« Corbineli. À quoi bon ces fariboles ? Vous n’y êtes pas. Il faut tout au moins cent pistoles pour sa rançon.

« Granger. Cent pistoles ! Ah ! mon fils, ne tient-il qu’à ma vie pour conserver la tienne ! Mais cent pistoles ! Corbineli, va-t’en lui dire qu’il se laisse pendre sans dire mot ; cependant qu’il ne s’afflige point, car je les en ferai bien repentir.

« Corbineli. Mademoiselle Genevote n’était pas trop sotte, qui refusait tantôt de vous épouser, sur ce que l’on l’assurait que vous étiez d’humeur, quand elle serait esclave en Turquie, de l’y laisser.

« Granger. Je les ferai mentir... S’en aller dans la galère d’un Turc ! Et quoi faire, de par tous les diables, dans cette galère ? Ô galère, galère ! tu mets bien ma bourse aux galères !

Il sort.

« Paquier. Voilà ce que c’est que d’aller aux galères. Qui diable le pressait ? Peut-être que, s’il eût eu la patience d’attendre encore huit jours, le roi l’y eût envoyé en si bonne compagnie, que les Turcs ne l’eussent pas pris.

« Granger revient, et donne une bourse à Corbineli. Tiens. Va-t’en, emporte tout mon bien ! »

 

Il existe aussi un rapport visible entre la scène II du troisième acte du Pédant joué et la scène III du troisième acte des Fourberies de Scapin ; mais l’analogie est moins étroite que pour ce qui vient d’être cité.

Le Pédant joué avait été imprimé en 1654 ; la composition de cette pièce remontait certainement à une date plus éloignée. On a même dit que Cyrano en avait tracé la première esquisse dès le collège ; et, dans le héros de sa comédie, on reconnaît généralement Jean Grangier, professeur de rhétorique et principal du collège de Beauvais, où le fantasque et indisciplinable Périgourdin fit ses humanités. Ainsi qu’on l’a vu, Jean-Baptiste Poquelin et Cyrano se rencontrèrent aux leçons de philosophie que Gassendi faisait au jeune Chapelle ; et ces relations de jeunesse ont fait supposer que Poquelin, déjà tout affolé de comédie, avait pu prendre quelque part aux burlesques peintures du Pédant joué : opinion qui n’a pour elle, du reste, qu’une certaine probabilité assez séduisante.

Une tradition plus généralement reçue prétend que Molière, quand on lui reprochait de s’être approprié les deux scènes de son ancien condisciple, se contentait de répondre : « Ces scènes étaient assez bonnes ; je m’en suis emparé. On reprend son bien où on le trouve. »

Les Fourberies de Scapin furent représentées sur le théâtre du Palais-Royal le 24 mai, et eurent seize représentations consécutives. Voici ce que Robinet, dans sa lettre en vers du 30 mai, dit de cette pièce :

 

À Paris, pour finir enfin,

On ne parle que d’un Scapin

Qui surpasse défunt l’Espiègle

Sur qui tout bon enfant se règle,

Par ses ruses et petits tours

Qui ne sont pas de tous les jours :

Qui vend une montre à son maître,

Qu’à sa maîtresse il doit remettre ;

Et lui jure que les filous

L’ont prise en le rouant de coups ;

Qui des loups-garous lui suppose,

Dans un dessein qu’il se propose,

De lui faire, tout à son gré,

Rompre le cou sur son degré,

Pour l’empêcher de courre en ville

Et l’arrêter à domicile ;

Qui boit certain bon vin qu’il a

Puis accuse de ce fait-là

La pauvre et malheureuse ancelle

Que pour lui le maître querelle ;

Qui sait deux pères attraper

Et par des contes bleus duper,

Si qu’il en escroque la bourse ;

Qui de leurs fils est la ressource ;

Qui fait enfin et cætera.

Et cet étrange Scapin-là

Est Molière en propre personne,

Qui, dans une pièce qu’il donne

Depuis dimanche seulement,

Fait ce rôle admirablement

Tout ainsi que La Thorillière

Un furieux porte-rapière,

Et la grande actrice Beauval

Un autre rôle jovial

Qui vous ferait pâmer de rire,

À moins que vous ne fussiez affligé

De la forte migraine et du chagrin que j’ai.

 

La pièce fut publiée sans retard : « Les Fourberies de Scapin, comédie par J.-B. P. Molière. Et se vend pour l’autheur, à Paris, chez Pierre Le Monnier, au Palais, vis-à-vis la porte de l’église de la Sainte-Chapelle, à l’image S. Louis et au Feu divin. 1671. – Avec privilège du Roy... Achevé d’imprimer pour la première fois le 18e jour d’août 1671. »

Pour terminer, ajoutons ici les réflexions de Voltaire sur le passage de l’Art poétique où Boileau fait particulièrement allusion à cette pièce :

« Si Molière, dit Voltaire, avait donné la farce des Fourberies de Scapin pour une vraie comédie, Despréaux aurait eu raison de dire dans son Art poétique :

 

Étudiez la cour, et connaissez la ville :

L’une et l’autre est toujours en modèles fertile.

C’est par là que Molière, illustrant ses écrits,

Peut-être de son art eût remporté le prix,

Si, moins ami du peuple, en ses doctes peintures

Il n’eût point fait souvent grimacer ses figures,

Quitté pour le bouffon l’agréable et le fin,

Et sans honte à Térence allié Tabarin.

Dans ce sac ridicule où Scapin s’enveloppe,[4]

Je ne reconnais plus l’auteur du Misanthrope.

 

« On pourrait répondre à ce grand critique que Molière n’a point allié Térence à Tabarin dans ses vraies comédies, où il surpasse Térence ; que s’il a déféré au goût du peuple, c’est dans ses farces, dont le seul titre annonce du bas comique ; et que ce bas comique était nécessaire pour soutenir sa troupe.[5]

« Molière ne pensait pas que les Fourberies de Scapin et le Mariage forcé valussent l’Avare, le Tartuffe, le Misanthrope, les Femmes savantes, ou fussent même du même genre. De plus, comment Despréaux peut-il dire que Molière peut-être de son art eût remporté le prix ? Qui aura donc ce prix, si Molière ne l’a pas ? »

 


[1] Les Spectacles populaires. Paris, E. Dentu, éditeur, 1863. Page 250.

[2] Allusion au mariage de la princesse Louise-Marie de Gonzague avec Sigismond-Ladislas, roi de Pologne. Ce mariage eut lieu en 1645 ; cela ferait croire que la comédie de Cyrano fut composée vers cette époque.

[3] « C’est-à-dire : l’écritoire. »

[4] Le fait que Molière remplissait le rôle de Scapin, fait que le témoignage de Robinet suffit à établir, donne tort décidément à la variante du vers de Boileau :

Dans ce sac ridicule où Scapin s’enveloppe

Je ne reconnais plus l’auteur du Misanthrope.

variante que nous avons accueillie tome Ier. L’enveloppe ne s’expliquerait bien que si Molière eût joué le personnage du vieux Géronte et fût entré lui-même dans le sac. Il faut donc s’en tenir à la leçon :

Dans ce sac ridicule où Scapin s’enveloppe, etc.

et accepter l’explication de Brossette : « Ce n’est pas Scapin qui s’enveloppe dans un sac, c’est le vieux Géronte, à qui Scapin persuade de s’y envelopper. Mais cela est dit figurément dans ce vers, parce que Scapin est le héros de la pièce. » Voyez l’édition des Œuvres de Boileau, de M. Paul Chéron (Paris, Garnier frères, 1860), page 104.

[5] Pour défendre Molière du reproche que lui adresse Boileau, dit M. Bazin, on a souvent allégué la nécessité où il était de plaire aux plus humbles spectateurs par des farces ; et l’on a oublié que, sauf les Fourberies de Scapin et le Médecin malgré lui, toutes ses pièces bouffonnes ont été faites pour la cour, tandis que toutes ses comédies sérieuses ont été offertes d’abord au public : ce qui déplace entièrement le blâme et l’excuse. »

PDF