Notice sur l’École des Maris de Molière (Louis MOLAND)

Travail de critique et d’érudition. Aperçus d’histoire littéraire, biographie, examens de chaque pièce, commentaires, bibliographie, etc. Œuvres complètes de Molière, Granier Frères, Libraires-Éditeurs, Paris, 1863.

 

 

L’École des Maris marque dans l’histoire du génie de Molière une date principale ; cette comédie inaugure une nouvelle époque dans la suite des œuvres du poète comique ; elle donne le signal du grand changement « qui substitue, dit M. Nisard, à des situations produites par une intrigue artificielle, des caractères produisant des situations ; » elle remporte, pour ainsi dire, sur le théâtre la victoire définitive de la vérité et de la vie.

Il faut remarquer tout d’abord ce titre : l’École des Maris. C’était la première fois qu’on inscrivait en tête d’une comédie ce mot École, qui a été si souvent employé depuis lors. Il indique tout d’abord dans l’auteur une ambition d’un autre ordre que celle qu’il avait eue jusque-là. Il exprime l’intention de donner aux hommes une leçon en même temps qu’un divertissement, et d’exercer une influence sur les mœurs contemporaines.

Le centre d’attaque, la place forte, la base des opérations, si l’on nous passe le mot, du poète comique, ce sera, dans la comédie moderne, bien plus encore que dans la comédie antique, le foyer domestique, la famille, qui est l’élément constitutif de notre société. C’est là que se porte résolument Molière dans l’École des Maris, c’est au cœur de la famille qu’il s’introduit. Il observe les injustices, les abus, les misères et les souffrances qui y règnent, et il les attaque avec ses armes propres : avec le rire et le ridicule. Il est frappé d’abord de la tyrannie des maris et des pères, et c’est à ces excès qu’il adresse les premiers coups. Bientôt nous le verrons combattre l’ignorance imposée à la femme et l’oppression de l’esprit, puis l’inégalité de condition dans les époux, l’avarice hideuse qui brise les liens les plus sacrés, la sotte vanité de ceux qui veulent s’élever au-dessus de leur condition, le souci exagéré de sa propre conservation, qui rend le chef de famille le jouet de tous ceux qui l’entourent ; enfin nous le verrons chercher à écarter du foyer domestique les fléaux qui le menacent : les tartuffes qui exploitent la religion, les pédants, les parasites et les écornifleurs. C’est là incontestablement l’idée commune qui pourrait servir à rattacher entre elles les œuvres de Molière, la suite que ses créations présentent à nos yeux. Deux de ses comédies ont plutôt un caractère social, Don Juan, par la manière surtout dont ce type est conçu, car il est bien aussi un fléau de la famille, et le Misanthrope.

Le poète comique n’intervient pas dans ces questions tout à fait dans le même sens que le prédicateur religieux ou que le philosophe moraliste ; et il peut, il doit même parfois leur être contraire. Vis-à-vis de l’un il se place, par état, au point de vue du monde et du siècle, comme on dit dans le langage mystique. Vis-à-vis de l’autre, il prend contre la sévérité et la rigueur le parti de l’indulgence, de la liberté et de la joie. Il est, par sympathie, avec la jeunesse. Toutes ces causes sont bonnes aussi à soutenir et à plaider à leur tour. Et qui est plus naturellement appelé à le faire que le poète comique ? Si le moraliste porte et doit porter principalement ses efforts du côté du pouvoir paternel, de l’autorité du mari, du devoir austère, de la vie étroite et fermée, le poète comique montre qu’il ne faut pas tendre outre mesure ces ressorts nécessaires, sous peine de les voir éclater ; il conseille de ne pas mettre le devoir en opposition trop directe avec le penchant ; il conçoit l’existence plus libre et plus facile : les fêtes ne l’épouvantent point ; il est favorable au plaisir. Qu’il incline trop de ce côté, c’est inévitable ; qu’en signalant les malheurs de la contrainte, il n’aperçoive pas aussi bien les dangers du relâchement, on ne peut guère s’en étonner. Il est évident que le théâtre ne saurait être la seule instruction des hommes ; le poète comique aurait souvent tort, s’il était l’unique instituteur des peuples. Il faut toujours supposer des leçons plus sérieuses, des enseignements d’un autre caractère, et des principes d’éducation qui, en quelque sorte, lui font contrepoids.

Pour juger la morale du poète comique, il importe toujours de considérer le temps où il a vécu, de voir précisément la puissance qu’avaient alors ces enseignements dont le sien est un peu la contrepartie. Plus le monde où il parle est fortement organisé dans le sens de l’autorité, plus sa protestation a droit d’être énergique et audacieuse. S’il vit au contraire dans une société où les pouvoirs les plus légitimes sont mis en question, où le respect est effacé, où la révolte ne sait plus même où se prendre, faute d’avoir rien épargné, son rôle diminue infailliblement, et il ne jouit plus des mêmes privilèges ni des mêmes licences. Or, entre l’époque où Molière écrivait et l’époque actuelle, il existe déjà une grande différence sous ce rapport. Si nous ne tenons pas compte du changement qui s’est opéré dans les mœurs, nous trouverons que Molière favorise parfois trop décidément le libre esprit dans la famille, qu’il pousse trop vigoureusement à l’émancipation, et qu’il gâte plutôt qu’il n’instruit la jeunesse. Mais, au XVIIe siècle, il était permis d’appuyer plus résolument en ce sens. Les droits de la famille étaient entiers ; on pouvait sans crainte signaler les abus que la force y engendrait. La société civile n’était en butte à aucune attaque. On comprend que le rire du poète comique fût plus franc, plus ouvert, et qu’il ignorât les timidités et les pruderies que le temps présent lui impose.

Ces réflexions ne seront pas inutiles à ceux qui voudront apprécier la portée et l’intention générale de l’École des Maris. L’École des Maris s’attaque au vice le plus élémentaire dont souffrit alors la famille, à la contrainte matérielle, à la tyrannie égoïste et brutale. Sganarelle n’est ni raffiné ni dissimulé : il ne compte que sur les verrous et sur les grilles. Bizarre et entêté dans ses idées, il tient sous clef sa pupille, non par jalousie, mais par système. Les défauts qui accompagnent d’ordinaire la bizarrerie et l’entêtement : la vanité et la confiance en soi d’abord, puis le besoin d’avoir doublement raison, non-seulement par son propre succès, mais encore par la perte d’autrui, la satisfaction d’une mauvaise nature trop pressée de triompher aux dépens de ses contradicteurs ; ces défauts suffisent à rendre inutiles et ses précautions et sa prudence. Son absurde méthode a eu d’abord pour effet d’aiguiser l’esprit d’Isabelle et de lui inspirer, pour s’affranchir du joug dont elle est menacée, les ruses les plus hardies. Aussi Sganarelle est-il le jouet de cette fillette déterminée qui le connaît à fond, et qui exploite ses travers avec un sang-froid imperturbable. Le gardien ombrageux, le tuteur dragon est bafoué, dupé, berné par l’enfant qu’il a élevée et qu’il a, à son insu, armée contre lui de toute l’impitoyable sagacité de l’esclave. La déroute du despotisme marital est complète, tandis que la tolérante indulgence du sage Ariste est récompensée par l’affection de Léonor. C’est surtout cette seconde partie du tableau qui caractérise et définit le but et l’intention de Molière ; elle lui conserve la supériorité sur toutes les pièces où l’on voit un tuteur aux prises avec sa pupille qu’il aime et un jeune homme qu’elle lui préfère, et où la ligue des deux amants ne manque pas de triompher des vains efforts du vieillard jaloux : les Folies amoureuses, le Barbier de Séville, Guerre ouverte, l’Intrigue épistolaire, etc.

Ce rôle d’Ariste, tout nouveau dans la comédie, a un accent particulier qu’il tient incontestablement de la situation personnelle de Molière. Au moment où il l’écrivait, Molière, âgé déjà de quarante ans, se préparait à épouser la jeune Armande Béjart. Il y a sans aucun doute un peu de ses confidences et de ses espérances dans ce personnage. N’exagérons pas, toutefois, cette conformité : pour qu’elle ressortît avec évidence, il aurait fallu que Molière jouât dans la pièce le rôle d’Ariste et Armande Béjart celui de Léonor. Mais Molière était Sganarelle, et il est fort douteux qu’Armande ait représenté, au moins à l’origine, la pupille d’Ariste ; rien ne prouve, nous le répétons, que la future Mlle Molière soit montée sur le théâtre avant son mariage.

Les matériaux qui ont été utilisés par Molière dans la composition de l’École des Maris sont nombreux et faciles à distinguer. La comédie des Adelphes, de Térence, a fourni d’abord le contraste des deux frères, des deux tuteurs dont l’un est sévère et bourru, et l’autre bienveillant et indulgent. Voici comment s’exprime Micion au début de la comédie de Térence : « Ce frère (Déméa), ses goûts, sont tout l’opposé des miens, et cela depuis notre enfance. Moi, j’ai préféré la vie douce de la ville, le calme qu’on y goûte ; et, ce qu’on croit le vrai bonheur, je ne me suis pas marié (quod fortunatum isti patant, uxorem nunquum habui). Lui, tout au contraire, habite la campagne, où il se tue à vivre de privations. Il s’est marié ; il a eu deux enfants. J’ai adopté l’aîné, je l’ai pris chez moi tout petit ; je l’ai choyé, aimé comme mon fils, et il est toute ma joie. C’est le seul être au monde que je chérisse, et je n’épargne rien pour qu’il m’en rende autant. Je donne sans compter ; je ferme les yeux ; je ne crois pas nécessaire d’user de mon autorité en toute circonstance. En un mot, ce que font les jeunes gens en cachette de leur père, les fredaines du jeune âge, j’ai accoutumé mon fils à ne point me les cacher. Car s’habituer à mentir, et oser tromper son père, c’est oser plus tard tromper les autres. L’honneur et les bons sentiments sont, selon moi, des freins meilleurs que la crainte. Mon frère et moi, nous ne sommes pas là-dessus du même avis : ce système lui déplaît. Il vient souvent à moi, criant : « Que faites-vous, Micion ? Pourquoi gâter notre enfant ? Comment ! il a des maîtresses ! il boit ! Vous lui donnez de l’argent pour toutes ces dépenses ! Vous lui permettez dans ses vêtements une recherche excessive ! En vérité, vous êtes trop bon. » N’est-ce pas lui, au contraire, qui est dur à l’excès, contre toute raison et toute justice ? Il a grandement tort, à mon avis, de croire qu’un empire imposé par la peur est plus respecté, plus solide que celui qui se concilie par l’affection. Pour moi, voici mon raisonnement et l’idée que je me suis faite : quand on ne fait son devoir que sous la menace du châtiment, on s’observe tout le temps qu’on a peur d’être découvert ; mais si l’on croit échapper, on revient à son naturel. Au contraire, celui qu’on s’attache par des bienfaits agit de bon cœur ; que vous soyez présent ou absent, il est toujours le même. C’est donc remplir son devoir paternel que d’accoutumer un fils à bien faire de son propre mouvement, plutôt que par la crainte d’autrui. Celui qui ne comprend pas cela doit convenir qu’il n’entend rien à gouverner les enfants. »

Voilà bien l’idée principale qui se retrouve dans l’École des Maris. Mais Molière, en substituant deux jeunes filles aux deux jeunes gens des Adelphes, et l’intérêt vif et piquant des deux tuteurs amoureux à celui d’un père et d’un oncle, a rendu sa composition plus comique. Il a de plus donné une conclusion à sa comédie : tandis que Térence s’est contenté de faire sentir le vice des deux systèmes opposés, mais également dangereux, et qu’il punit à la fois l’indulgence et la rigueur, Molière renferme son dénouement et sa moralité dans le fruit que chacun des frères recueille de sa façon d’agir.

L’intrigue de l’École des Maris ne ressemble pas du tout à celle des Adelphes. Les ruses qu’invente Isabelle pour sortir de captivité ont été suggérées à Molière par la troisième Nouvelle du Décaméron de Boccace, le Confesseur complaisant sans le savoir, déjà employée par Lope de Vega dans la Discreta enamorada (l’Amoureuse avisée).

Reproduisons cette nouvelle en l’abrégeant : La belle Florinde, mariée à un rustre, qu’elle méprise, aperçoit à l’église un jeune cavalier qui cause avec un bon religieux, et elle conçoit le projet de faire servir le saint homme au succès de l’amour que le jeune et beau cavalier a fait naître dans son cœur. Elle va trouver le moine et le prend pour son confesseur. Un jour elle lui dit d’un air chagrin : « Je viens, mon père, vous demander conseil dans une conjoncture très délicate. Vous savez qui je suis, et je vous ai dit avec quelle tendresse je chéris mon époux ; je serais bien ingrate, s’il n’en était pas ainsi : ce digne époux ne respire que pour moi et prévient tous mes désirs. Voyez donc avec quel déplaisir je me suis aperçue qu’un jeune homme a entrepris de me persécuter. Je ne puis paraître à ma fenêtre, à ma porte, dans la rue, à la promenade, sans que je le rencontre ; partout ses regards passionnés me font rougir de dépit. J’ai vu souvent ce jeune homme avec vous, et je sais que vous le connaissez particulièrement. J’ose donc vous supplier de lui apprendre combien il s’abuse dans l’opinion qu’il a conçue de moi, et de l’engager à cesser des démarches inutiles qui pourraient bien faire jaser les méchants. Daignez-vous charger de cette commission. Je suis persuadée qu’il niera tout. Mais dites-lui nettement que c’est de moi que vous le tenez, et que je suis infiniment offensée de sa conduite. »

Le confesseur loua Florinde et lui promit de s’acquitter de la commission qu’elle lui donnait. Il va en effet trouver le jeune homme et lui reproche ses assiduités scandaleuses et ses projets criminels. Celui-ci se récrie d’abord et assure qu’on le prend pour un autre. Le religieux, pour lui faire honte de sa dissimulation, lui déclare qu’il est informé de tout cela et envoyé par la digne femme même qu’il outrageait. Cette circonstance fait réfléchir le jeune homme, qui n’était pas sans expérience des aventures galantes : il avoue l’attrait irrésistible auquel il a cédé et il promet de ne donner plus à Florinde aucun sujet de plainte.

À peine le moine a-t-il les talons tournés, que le jeune homme court sous le balcon de Florinde ; celle-ci, qui l’attend, lui fait un gracieux salut. Ils se comprennent tous deux et ils ressentent bientôt un égal amour. Florinde, à quelques jours de là, va retrouver son confesseur. Elle l’aborde en versant un torrent de larmes : « mon père ! quel démon a suscité contre moi ce mauvais chrétien pour être le tourment de ma vie ! – Eh quoi ! affecte-t-il encore de vous rechercher et de vous suivre ? – Il a osé davantage : il a osé m’envoyer des présents ; je vous les apporte pour que vous les lui rendiez et pour que vous réprimiez sa témérité insolente. » Et elle remet au moine une bourse et une écharpe magnifiques.

Le religieux envoie chercher l’amant et lui fait des remontrances avec une nouvelle force. « Qu’ai-je donc fait ? lui dit celui-ci. – Et ces présents que vous avez eu l’effronterie d’adresser à cette vertueuse personne ? – Je n’ai rien à répondre à ce témoignage, » répond le jeune homme, pénétré d’étonnement et de reconnaissance en lisant ces mots brodés sur l’écharpe : Aimez-moi comme je vous aime. Il consent tout de suite, comme on le pense bien, à emporter l’écharpe et la bourse, en promettant de laisser Florinde en repos.

Cependant le mari part en voyage. Florinde, qui attendait ce moment avec impatience, court se jeter aux pieds de son confesseur. « Pourquoi m’avez-vous détournée de me livrer à mon juste ressentiment ? lui dit-elle. Je ne serais pas exposée à de nouvelles entreprises. Mon mari est parti hier pour Gênes. Je ne sais par quel moyen votre criminel ami en a été informé. Au milieu de la nuit, j’entends ouvrir ma fenêtre. Saisie de frayeur, je vois l’audacieux qui, ayant franchi les murs de notre jardin, s’était aidé d’un arbre qui ombrage mon balcon pour parvenir jusqu’à ma chambre. J’allais appeler du secours. Le malheureux, se précipitant à mes genoux, m’a suppliée, pour l’amour de Dieu et par considération pour vous, de ne pas faire un éclat où il risquerait la vie. Je l’ai laissé se retirer, mais il faut que j’avise à me mettre à l’abri des violences d’un homme si déterminé. – Je n’eusse jamais soupçonné ce jeune homme de tant d’impudence, répondit le moine ; je vais faire un dernier effort pour guérir sa folie. Mais, s’il me manque encore de parole, je vous laisse maîtresse de prévenir qui il vous plaira et de vous garantir par tous les moyens possibles. – En effet, reprit la dame, ce ne serait plus à vous désormais que j’adresserais mes plaintes. »

Le religieux va trouver le jeune homme pour lui dépeindre sous les couleurs les plus noires l’horreur de son attentat ; il lui fait les plus grandes menaces de l’abandonner à sa destinée ; l’amant courbe la tête et paraît accablé. Il est à croire qu’il rentra enfin en lui-même, car le bon père n’entendit plus parler de lui par Florinde.

Lope de Vega, en s’emparant de cette Nouvelle pour en faire la Discreta enamorada, substitua au bon religieux un vieillard recherchant une jeune personne dont il veut faire sa femme et qui est aimée par son fils. La jeune femme prie le vieillard de faire cesser les importunités de ce dernier. Ou voit toute la suite du changement opéré par le poète espagnol. C’est une modification heureuse, sous ce rapport, du moins, qu’à un personnage après tout indifférent et désintéressé, Lope de Vega substitue un personnage agissant contre lui-même et travaillant à sa propre ruine. Par là nous nous rapprochons de Molière.

Molière a achevé de corriger et de perfectionner cette fable en faisant choix d’un tuteur amoureux de sa pupille qu’il opprime, et en lui donnant pour rival, non plus un fils, mais un jeune homme qui ne lui doit ni respect ni égards. Isabelle, quoiqu’elle descende directement de Florinde, a aussi sur elle une grande supériorité morale. Elle implore et accepte un secours nécessaire d’une affection loyale qu’elle a su inspirer : ses tromperies sont rendues plus innocentes par la pudeur qu’elle sait y garder. Les traits qu’elle joue à Sganarelle sont un peu vifs sans doute, mais du moins le mariage est au bout et la décence est sauvée.

Peu de mois avant la représentation de l’École des Maris, au commencement de l’année 1661, ce sujet de la Discreta enamorada avait fait son apparition sur la scène française dans une absurde imitation de Dorimon : la Femme industrieuse, jouée rue des Quatre-Vents, sur le théâtre de Mademoiselle. Molière ne put avoir à cette œuvre ridicule aucune obligation. Voici, par exemple, en quel style le Docteur, qui remplit le rôle du confesseur de Boccace, s’acquitte du message d’Isabelle à Léandre :

 

Enfin, elle m’a dit que toutes ses vertus,

Prenant son intérêt, ne t’épargneront plus :

La vertu-chou viendra pour te casser la tête,

La vertu-bleu le nez, de môme qu’à la fête,

La vertu-guienne encor ne t’épargnera pas,

Et les autres vertus te casseront les bras.

 

Tel est le comique de Dorimon. Il n’en faut pas citer davantage.

L’École des Maris charma la cour et la ville. Voici tout ce que la critique la plus hostile en put dire : « L’École des Maris (c’est l’auteur des Nouvelles nouvelles qui parle) est encore un de ces tableaux des choses que l’on voit le plus fréquemment arriver dans le monde, ce qui a fait qu’elle n’a pas été moins suivie que les précédentes comédies du même auteur. Les vers en sont moins bons que ceux du Cocu imaginaire, mais le sujet en est tout à fait bien conduit, et si cette pièce avait eu cinq actes, elle pourrait tenir rang dans la postérité après le Menteur et les Visionnaires. » Le Menteur, passe encore, mais les Visionnaires !

L’École des Maris fut publiée par Molière, qui jugea à propos, cette fois, de se charger lui-même de ce soin. Voici le titre de l’édition princeps : « L’Escole des Maris, comédie de J.-B.-P. Molière, représentée sur le théâtre du Palais-Royal. À Paris, chez Guillaume de Luyne, libraire juré, au Palais, à la salle des Merciers, à la Justice. 1661. Avec privilège du roi. » Le privilège est daté de Fontainebleau, le neuvième jour de juillet 1661. On y lit les lignes suivantes, curieuses à titre de renseignement, et qui font allusion à ce qui s’était passé pour le Cocu imaginaire : « Notre amé Jean-Baptiste Pocquelin de Moliers, comédien de la troupe de notre très cher et très amé frère unique le duc d’Orléans, nous a fait exposer qu’il aurait depuis peu composé pour notre divertissement une pièce de théâtre en trois actes intitulée l’École des Maris, qu’il désirerait faire imprimer ; mais parce qu’il serait arrivé qu’en ayant ci-devant composé quelques autres, aucunes d’icelles auraient été prises et transcrites par des particuliers qui les auraient fait imprimer, vendre et débiter en vertu des lettres de privilège qu’ils auraient surprises en notre grande chancellerie à son préjudice et dommage ; pour raison de quoi il y aurait eu instance en notre conseil, jugée à rencontre d’un nommé Ribou, libraire-imprimeur, en faveur de l’exposant ; lequel, craignant que celle-ci ne lui soit pareillement prise, et que, par ce moyen, il ne soit privé du fruit qu’il en pourrait retirer, nous aurait requis lui accorder nos lettres, avec les défenses sur ce nécessaires. À ces causes, etc. »

Le privilège est suivi de cette mention : « Ledit sieur de Moliers (combien ce glorieux nom avait peine à obtenir assez de

notoriété pour q’e l’on ne l’écorchât plus !) a cédé et transporté son privilège à Ch. de Sercy, marchand libraire à Paris... Et ledit Sercy a associé à son privilège Guillaume de Luyne, Jean Guignard, Claude Barbin et Gabriel Quinet, aussi marchands libraires. » Nous trouvons en effet des exemplaires de l’édition princeps au nom de ces différents libraires.

L’achevé d’imprimer est du 20 août 1661. Dans certains exemplaires, on voit une gravure représentant le fameux jeu de scène du second acte, lorsque Isabelle fait semblant d’embrasser Sganarelle et donne sa main à baiser à Valère.

C’est ce premier texte que nous transcrivons exactement. Nous donnons les variantes de l’édition de 1673 et de l’édition de 1682.

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