Notice sur les deux farces attribuées à Molière : le Médecin volant et la Jalousie du Barbouillé (Louis MOLAND)

Travail de critique et d’érudition. Aperçus d’histoire littéraire, biographie, examens de chaque pièce, commentaires, bibliographie, etc. Œuvres complètes de Molière, Granier Frères, Libraires-Éditeurs, Paris, 1863.

 

 

Nous avons dit, dans l’Étude sur la vie et les ouvrages de Molière, que le poète comédien avait composé, outre ses pièces régulières, des farces dont les titres se trouvent en assez grand nombre sur le registre de La Grange. Deux de ces farces nous ont été conservées, et nous les publions. Il est bon, toutefois, de faire précéder cette publication de quelques observations propres à fixer la valeur de ces documents. La comédie improvisée, « all’ improviso », avait été mise à la mode par les Italiens ; elle était fort populaire en France, et surtout dans les provinces du Midi, fréquemment visitées par les comédiens d’au-delà des monts. Elle offrait à l’acteur le moyen de déployer toute son originalité en supprimant l’auteur qui, dans les formes moins enfantines et moins libres de l’art, s’interpose entre lui et le public. Les troupes françaises s’efforçaient de suivre sur ce terrain les Scaramouche, les Arlequin, les Mezzetin, qui y triomphaient : après la grande pièce jouée, et pour finir le spectacle, elles s’y exerçaient sur des canevas imités de la commedia dell’ arte. Molière, pendant qu’il parcourait les provinces, s’était fait une réputation dans ces jeux comiques. Après son retour à Paris, il continua à donner ces divertissements tant à la ville qu’à la cour. Il paraît avoir toujours joué à l’improvisade. On lit, par exemple, sur le registre de La Grange, à la date de 1665 : « Le vendredi 12 juin, la troupe est allée à Versailles, par ordre du roi, où l’on a joué le Favori (tragi-comédie de Mme de Villedieu) dans le jardin, sur un théâtre tout garni d’orangers. M. de Molière fit un prologue en marquis ridicule qui voulait être sur le théâtre malgré les gardes, et eut une conversation risible avec une actrice, qui fit la marquise ridicule, placée au milieu de l’assemblée. »

Il est fort probable cependant que, à part Molière et quelques autres comédiens d’élite, nos Français n’improvisaient pas aussi couramment que les Italiens, doués de plus de vivacité d’esprit et aidés par une langue plus souple. On ne se contentait pas sans doute chez nous d’un simple canevas ou programme. On écrivait à peu près les rôles, ne fut-ce que pour bien préciser les situations, pour conserver les détails une fois trouvés et pour n’avoir pas à recommencer le travail à chaque reprise. Il n’en restait pas moins sans doute une assez grande liberté à l’acteur ; on pouvait raccourcir, allonger le dialogue pour les besoins du jour ; l’on y ajoutait, l’on y retranchait sans doute selon la qualité ou les dispositions de l’auditoire ; on prodiguait aux uns le gros sel, les plaisanteries grivoises, les libres équivoques, dont on était plus sobre pour les autres. Le but qu’on voulait atteindre en rédigeant ces facéties n’était nullement de les fixer d’une manière invariable, mais d’avoir un aide mémoire bien complet. On ne doit pas s’étonner si les deux crayons de cette sorte qu’il est permis d’attribuer à Molière ne font guère présager l’auteur de Don Juan et de l’Avare. Molière, certainement, ne les aurait jamais de lui-même mis au jour. Aussi nous les présentons à titre de documents intéressants et ne leur donnons point rang parmi les productions avouées ni complètement avérées du grand comique.

Les deux farces qui sont parvenues jusqu’à nous, et qui ont été imprimées pour la première fois en 1819 par Désoer, sont : le Médecin volant et la Jalousie du Barbouillé.

Le Médecin volant est l’imitation exacte d’un canevas italien : il Médico volante, ou Arlecchino medico volante. Le mot volante ou volant exprime les tours d’agilité que doit faire l’acteur chargé de ce rôle, valet et médecin tour à tour, sautant d’une fenêtre à l’autre, et de la rue dans la maison. L’attribution de cette ébauche à Molière a beaucoup de probabilité. On lit dans la préface des Véritables Précieuses, de Somaize : « Il (Molière) a imité, par une singerie dont il est seul capable, le Médecin volant, et plusieurs autres pièces des Italiens. » Boursault versifia plus tard ce même canevas, et fit représenter sa pièce à l’hôtel de Bourgogne en 1661.

La Jalousie du Barbouillé appartient plutôt à la tradition de la farce française ; elle offre, comme nous l’avons dit, les premiers linéaments du troisième acte de Georges Dandin. Nous croyons que cette farce est la même que celle qui se trouve fréquemment inscrite sur le registre de La Grange sous le titre de la Jalousie de Gros-René, notamment à la date du 25 décembre 1660.

Le Médecin volant est inscrit pour la première fois sur ce registre à la date du 18 avril 1659. Il y est indiqué à plusieurs reprises comme ayant été représenté devant le roi, et il paraît avoir partagé avec le Docteur amoureux la faveur du monarque.

Dans l’une et l’autre de ces petites pièces, on remarquera des scènes d’un comique grossier, mais on en trouvera aussi où il y a beaucoup de vivacité, de la vigueur même et une raillerie incisive.

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