Notice sur le Malade imaginaire de Molière (Louis MOLAND)

Travail de critique et d’érudition. Aperçus d’histoire littéraire, biographie, examens de chaque pièce, commentaires, bibliographie, etc. Œuvres complètes de Molière, Granier Frères, Libraires-Éditeurs, Paris, 1864.

 

 

Nous avons essayé de caractériser la disposition d’esprit où Molière se trouvait quand il composa son dernier ouvrage. Il sentait son mal empirer, ses forces défaillir, sa vie s’épuiser rapidement ; il se retourna dans un accès d’ironique colère contre la médecine, inhabile à le guérir, et dont il supportait impatiemment les conseils. « Dans cette condition, dit M. Bazin, il ne vit rien de plus plaisant à peindre que la folie d’un homme en bonne santé qui se croirait malade et soumettrait son corps bien portant à toutes les prescriptions de la médecine, c’est-à-dire la contrepartie exacte de son propre fait. C’était d’ailleurs à peu près le rôle que lui avait trop faussement attribué l’auteur d’Élomire hypocondre, et il allait montrer, aux dépens des médecins, ce que pouvait devenir dans ses mains la moquerie impuissante de leur vengeur. »

Ce que Molière raille dans le personnage d’Argan que mourant il remplissait lui-même, c’est la crainte immodérée de la mort, comme s’il eût voulu fortifier son âme contre cette crainte pressante. Il peint les travers ridicules, l’endurcissement de cœur, l’égoïsme tyrannique, l’asservissement pitoyable où tombe l’homme que possède l’amour excessif de la vie et que tourmente le soin pusillanime de sa santé. Ôtez-lui cette frayeur de la mort, Argan ne sera qu’un bon bourgeois assez borné ; il devient un despote domestique. Il se laisse duper par Béline, qui le dorlote en le détestant ; il sacrifie le bonheur de ses enfants à la préoccupation qui le travaille sans cesse. Il est exploité par des étrangers cupides qui s’enrichissent de ses terreurs ; il s’humilie lâchement devant les ordonnances de M. Purgon et les clystères de M. Fleurant. Il y a surtout un moment où cette dominante inquiétude se trahit dans un mouvement presque tragique : c’est celui où, voulant faire le mort pour sonder les dispositions de sa femme, il se ravise tout à coup, et s’écrie : « N’y a-t-il point quelque danger à contrefaire le mort ? » Il aboutit, enfin, à la plus risible extravagance, et il ne reste plus guère, comme pour le vaniteux M. Jourdain, qu’à le mettre aux Petites-Maisons.

Le personnage qui fait face à Argan, qui tient la partie contre lui, c’est Béralde, son frère, l’ennemi de la Faculté, le négateur et le contempteur de la médecine. L’incrédulité que professe Béralde, dans la fameuse scène m du troisième acte, est aussi radicale que possible ; c’est la science elle-même qu’il attaque dans son principe. On ne s’est peut-être pas assez souvenu, en appréciant ce caractère, que Molière oppose rarement à un travers bien caractérisé la froide, calme et impartiale raison. Béralde n’est pas, autant que Cléante du Tartuffe, la personnification élevée du bon sens : il a une pointe de passion très sensible. Molière est avec lui, il est vrai, et il se fait appeler en témoignage par cet adversaire de la Faculté. Cependant on aurait tort, selon nous, de conclure de là que Molière a prétendu lui faire exprimer l’opinion la plus juste et la plus sage sur l’art d’Hippocrate. Molière ne se dissimulait pas, sans doute, sa propre partialité. Il ne lui suffit pas d’être d’un côté, caché sous la coiffe d’Argan ; il ne laisse pas d’intervenir aussi de l’autre, à visage découvert, et de soutenir Béralde, en quelque sorte, de sa personne. Nous avons sous les yeux, dans cette cause comique, des parties opposées entre elles par des ressentiments, par des intérêts très graves ; Molière n’est pas celui qui se sent le moins engagé, lui à qui coûtera si cher le jeu désespéré qu’il joue. Chacun, dans le débat, parle donc plus ou moins ab irato. Nous n’apercevons pas déjuge qui ait mission de le trancher ; ou plutôt, le juge, c’est le spectateur, qui adoptera sans doute, comme d’ordinaire, un terme moyen ; qui trouvera que Béralde a raison de rabattre les prétentions trop peu justifiées d’une science qui a tant de motifs de douter d’elle-même, et qu’Argan n’a pas tout à fait tort, non plus, d’estimer qu’après tout les médecins en doivent savoir, pour le traitement des maladies, un peu plus que les autres hommes.

Molière, disons-nous, en écrivant le Malade imaginaire dans l’état où il se trouvait, faisait acte de révolte suprême et d’impénitence finale. « Lorsqu’il succomba, plus d’un médecin fanatique, dit Auger, crut voir dans sa mort un châtiment exemplaire de ses sarcasmes contre la Faculté.[1] » Il est certain qu’il n’avait jamais traité celle-ci avec plus d’irrévérence, ni exercé plus hardiment contre elle sa verve satirique. La Faculté est représentée, dans la nouvelle comédie, par les personnages de Purgon, de Diafoirus père et fils, de Fleurant. Elle y est moquée jusque dans les jeunes générations en qui elle mettait ses espérances : voyez Thomas Diafoirus ; sa stupidité native, vaincue par la ténacité de ses efforts, est devenue de la bêtise savante ; il est armé contre le bon sens de toutes les subtilités de la dialectique ; son opiniâtreté et son faux jugement feront autant de victimes dans les épreuves de la clinique qu’il a mis d’adversaires à quia dans les disputes de l’École. Voilà donc les élèves que produit l’enseignement médical ; voilà les dignes continuateurs que la très salubre Faculté, comme elle s’intitulait elle-même, tient en réserve pour l’avenir.

Elle est surtout bafouée dans la plus auguste de ses cérémonies, dans l’acte solennel qui consacre les docteurs. M. Maurice Raynaud a fait ressortir la frappante analogie, pour ne pas dire la similitude parfaite, qui existait entre les solennités scolastiques et la fameuse cérémonie du Malade imaginaire. On a dit, d’après Monchesnay et Cizeron-Rival, que cette inimitable bouffonnerie fut imaginée dans un souper auquel assistaient Boileau, La Fontaine, Mme de La Sablière et Ninon de Lenclos. Molière aurait fourni le canevas ; et on aurait improvisé à la ronde les couplets en latin macaronique. On doit toujours se défier de ces anecdotes qui font naître des chefs-d’œuvre après boire. Il faudrait, en tous cas, supposer que les médecins dont on sait la liaison avec Molière, Liénard, Bernier, Mauvillain, faisaient partie de la société. En effet, certaines expressions techniques, l’exactitude des détails, qui prouve une connaissance intime des usages de la Faculté, trahissent à n’en pas douter l’active collaboration de quelque main experte et les conseils de gens de la profession.

« Ce morceau, dit M. Maurice Raynaud, doit être considéré comme un abrégé non-seulement des cérémonies du doctorat, mais de toutes celles par où devait passer un candidat depuis le commencement de ses études jusqu’au jour où il recevait le bonnet. Tout s’y trouve, mais avec une sobriété et un art de choisir les traits caractéristiques où se révèle dans toute sa puissance l’écrivain habitué à ne demander des conseils que pour les contrôler, et sachant sacrifier les détails à l’ensemble.

« La séance est ouverte par le Prœses. À ce pompeux éloge de la médecine, à ces hommages emphatiques rendus à la Faculté, il n’est pas difficile de reconnaître un discours de vespérie. Le ton en est absolument le même ; le discours comique ne diffère des discours réels que par cette simple nuance : un président de vespérie louait d’ordinaire la Faculté de sa science, de sa vertu, de son désintéressement. Le Prœses de Molière ne peut assez s’extasier sur les bénéfices de la profession.

 

Non possum, docti confreri,

En moi satis admirari,

Qualis bona inventio

Est medici professio...

Quæ, suo nomine solo,

Surprenanti miraculo,

Depuis si longo tempore,

Facit a gogo vivere

Tant de gens omni genere.

 

« Ce discours d’ouverture se termine, selon l’usage constant des écoles, par l’exposition du motif de l’assemblée :

 

C’est pour cela que nunc convocati estis, etc.

 

« Il s’agit d’examiner à fond un candidat, et de voir si l’on y trouvera dignam materiam medici. On passe par-dessus les épreuves préparatoires, et l’examen commence aussitôt. Il n’est pas bien rigoureux, ni l’argumentation bien formidable. Mais n’oublions pas que Béralde a amené pour la circonstance une Faculté de ses amies ; et il faut bien passer quelque chose à l’amitié. Il est d’ailleurs certain qu’il existait alors, non pas à Paris, mais en province, des Facultés pauvres, où l’amitié avait des droits excessifs, et où un diplôme de docteur ne prouvait guère que la fortune de celui qui l’avait obtenu. – Et puis, faudrait-il, pour plus de couleur locale, que la séance durât six ou sept heures, comme à la rue de la Bûcherie ? – Du moins les principaux traits de ces argumentations sont-ils indiqués. L’ordre général des épreuves y est même observé. La première question, sur les vertus soporifiques de l’opium, est toute physiologique : nous sommes en plein aristotélisme, en plein règne des qualités occultes. On passe de là à la pathologie : l’hydropisie, l’asthme, la fièvre hectique font les frais de l’interrogation ; et lorsque l’auditoire est édifié sur les connaissances théoriques du candidat, on l’admet à l’examen de praxi.

 

Dès hiero maladus unus

Tombavit in meas manus ; etc.

 

« Et l’examinateur demande au candidat son avis sur ce cas particulier. – Il ne serait pas difficile de constater un ordre analogue dans les questions des huit argumentateurs qui se trouvent dans la version la plus étendue.

« À chaque réponse du candidat, le chœur répète son grand refrain, qui n’est guère que la reproduction des termes dans lesquels le président concluait après chaque argumentation. Je place les deux formules en regard.

 

CHORUS.

LE PRÉSIDENT.

Bene, bene, bene, bene respondere ;

Dignus, dignus est intrare

In nostro docto corpore.

Audivistis, viri clarissimi, quam bene, quam apposite responderit Baccalaureus vester : eum, si placet, tempore et loco commendatum habebitis.

 

« Après de si brillantes épreuves, la réception du candidat ne saurait être douteuse. Aussi Molière lui fait-il grâce du vote, qui doit prononcer sur son sort, pour l’admettre, sans plus tarder, à prononcer le serment en trois articles. Le premier article est presque copié sur l’original.

 

Juras gardare statuta

Per Facultatem præscripta

Cum sensu et jugeamento.

1° Quod observabis jura, statuta, leges et laudabiles consuetudines hujus ordinis.

 

 

            « Le deuxième article, roulant sur une pratique religieuse, l’assistance à l’office pour les docteurs décédés, ne pouvait décemment être reproduit. Molière y substitue heureusement un serment de professer pour l’ordre des anciens ce respect aveugle qui était comme la seconde religion de la Faculté :

 

Essere in omnibus

Consultationibus

Ancieni aviso,

Aut bono, aut mauvaiso.

 

« Quant au troisième article, un peu différent dans la forme, il signifie au fond absolument la même chose, et nul docteur ne l’eût désavoué.

 

De non jamais te servire

De remediis aucunis

Quam de ceux seulement doctæ Facultatis,

Maladus dût-il crevare

Et mori de suo malo.

3° Quod totis viribus contendes adversus medicos illicite practicantes, nulli parcendo, cujuscunque ordinis aut conditionis fuerit.

 

 

 

« Juro ! répète chaque fois le candidat. Et le président lui enfonce à coups de poings le bonnet sur la tête, en prononçant une formule qui est évidemment une réminiscence de la bénédiction du chancelier :

 

Ego cum isto boneto

Venerabili et docto,

Dono tibi, et concedo

Virtutem et puissanciam

Medicandi,

Purgandi,

Seignandi,

Perçandi,

Taillandi,

Coupandi,

Et occidendi

Impune per totam terram.

Auctoritate sedis apostolicæ

Qua fungor in hac parte,

Do tibi licentiam

Legendi,

Interpretandi

Et faciendi

Medicinam, hic et ubique terrarum.

 

 

 

 

 

 

« Je n’ai ici qu’une toute petite réserve à faire. Medicandi, purgandi, rien de mieux. – Passe encore pour occidendi. Mais seignandi, perçandi, taillandi, coupandi ! c’est presque toute la chirurgie ; autant d’anachronismes que de mots. Les médecins s’engageaient par écrit à s’en abstenir absolument. Pour Molière, comme pour le public qu’il veut divertir, médecins et chirurgiens, cela fait tout un. Il y joint même les apothicaires, escortant le char triomphal de la Faculté, comme des licteurs, les armes à la main. Il en résulte un effet théâtral des plus grotesques, et c’est tout ce qu’il lui faut. – Mais, certes, il ne les aurait jamais trop maltraités, à leur gré réciproque, tant chirurgiens et médecins se haïssaient entre eux !

« Enfin la séance se termine par le discours de remerciements du nouveau docteur. C’est un modèle du genre. Il a beau comparer l’assistance au soleil et aux étoiles, aux ondes de l’océan et aux roses du printemps, jamais il ne surpassera en emphase les compliments gigantesques qui étaient alors la monnaie courante des réceptions académiques. On s’est souvent étonné, et avec raison, des louanges serviles jusqu’à l’idolâtrie, que l’enthousiasme officiel des gens de cour et des hommes de lettres décernait vingt fois par jour à Louis XIV. Faut-il tant s’émerveiller de ces exagérations puériles, dans un temps où la réception du moindre licencié s’accompagnait forcément des métaphores les plus lyriques ? C’était un astre nouveau s’élevant à l’horizon, un phare qui devait illuminer la postérité la plus reculée ; il réunissait en lui seul toutes les vertus, tous les talents, toutes les gloires ; égalait, s’il ne les surpassait pas, les plus grands génies de l’antiquité. Un licencié qui s’entendait simplement traiter de grand homme, pouvait se considérer comme médiocrement récompensé de sa peine. En veut-on un exemple ? Voici un extrait, malheureusement bien court, bien décoloré par la traduction, d’un discours de paranymphe pris au hasard :[2]

« Le voilà, ce jeune Moreau, la merveille de son siècle et de cette École ! Que dis-je ? la merveille ! Mais y a-t-il rien qu’on puisse appeler merveilleux en un mortel chez qui tout est divin, et dont on ne doit rien attendre d’ordinaire ? C’est le caractère distinctif des héros, que chez eux tout est illustre, rien ne souffre la médiocrité. Or, est-ce bien un héros dont j’ai à vous entretenir ? Oui, messieurs, et je n’en veux pour preuve que ce qu’en dit le suave Isocrate : ceux qu’une heureuse facilité, un génie naturel disposait à toutes sortes d’études et de travaux, et séparait ainsi de la foule, il les appelait enfants des dieux, θεωγ πχιδάς, comme si ces intelligences privilégiées lui eussent paru non pas engendrées par les hommes, mais formées par la main même de Mercure ou de Minerve. Et ce serait une grave erreur de mesurer la vertu, la doctrine, les mérites divers de notre licencié au nombre de ses années. Que de fois dans cette enceinte, asile du génie et de la science, vous avez cru voir réunis en lui seul Hippocrate rendant de vive voix ses oracles, Platon enseignant la philosophie, Aristote disputant avec subtilité et profondeur, Galien pratiquant l’art de guérir, Pline étudiant la nature, Théophraste racontant les merveilles des plantes, Ptolémée interrogeant le firmament, Cicéron enchaînant les cœurs par les charmes de son éloquence ! Alors, je me le rappelle, refusant de croire à son extrême jeunesse, vous étiez tentés de vous écrier :

 

Non hæc humanis opibus, non arte magistra

Proveniunt... »

 

« Si tels étaient les éloges décernés à un candidat heureux à ses examens, qu’était-ce donc lorsqu’il s’agissait de louer la Faculté elle-même, dispensatrice de toutes les gloires ? L’hyperbole ne connaissait plus de termes. Voici, par exemple, un orateur[3] qui prend pour texte cet aphorisme : Le médecin est semblable à Dieu. Beau début sans contredit, et l’on voit d’avance tout ce qu’avec un peu d’imagination il sera facile de broder sur ce thème : Messieurs de la Faculté, vous êtes les bienfaiteurs du genre humain, vous êtes semblables à Dieu par le savoir, semblables par la puissance, semblables par la miséricorde ; vous êtes les ministres et les « collègues » de Dieu. – Mais bientôt l’orateur se laisse emporter par son éloquence ; cela ne lui suffit plus, et il raisonne ainsi : Tout nous vient de Dieu, donc le mal comme le bien. De vous, messieurs les médecins, il ne vient que du bien. Sans doute Dieu est juste, et il a ses raisons lorsqu’il nous afflige. Mais enfin, le mal est toujours le mal, et la médecine est toujours salutaire, « Ô chose merveilleuse et vraiment incroyable, si l’expérience ne nous l’enseignait tous les jours ! Dieu nous envoie la maladie, et vous le remède ; il frappe, et vous guérissez ; il nous inflige la souffrance comme un châtiment, et vous ne nous apportez que des soulagements et des bienfaits. » – Conclusion : « Nous devrions plus au médecin qu’à Dieu même, si ce n’était encore à Dieu que nous devons le médecin. »

La satire dirigée contre les pompes doctorales de la Faculté, contre les discours en latin barbare, les thèses puériles gravement soutenues, les formules traditionnelles et l’antique coutume, cette satire eut un effet immédiat et considérable. On aperçoit du reste presque toujours le contrecoup des railleries terribles de Molière. Ce dernier acte du pouvoir qu’il exerçait ne fut pas moins efficace que le premier, qui avait frappé les Précieuses. Écoutez Mme de Sévigné : « Ah ! que j’en veux aux médecins ! Quelle forfanterie que leur art ! On me contait hier cette comédie du Malade imaginaire que je n’ai point vue. Il était donc dans l’obéissance exacte de ces messieurs ; il comptait tout : c’étaient seize gouttes d’un élixir dans treize cuillerées d’eau ; s’il y en eût eu quatorze, tout était perdu. Il prend une pilule, on lui dit de se promener dans sa chambre ; mais il est en peine, et demeure tout court, parce qu’il a oublié si c’est en long ou en large ; cela me fit fort rire, et l’on applique cette folie à tout moment. » Trois ans plus tard, l’anglais Locke, qui venait de Paris et qui sans doute y avait vu représenter le Malade imaginaire, passe par Montpellier, assiste à la réception d’un docteur, et la décrit en ces termes : « Recette pour faire un docteur en médecine. – Grande procession de docteurs habillés de rouge, avec des toques noires ; dix violons jouant des airs de Lulli. Le président s’assied, fait signe aux violons qu’il veut parler et qu’ils aient à se taire, se lève, commence son discours par l’éloge de ses confrères et le termine par une diatribe contre les innovations et la circulation du sang. Il se rassied. Les violons recommencent. Le récipiendaire prend la parole, complimente le chancelier, complimente les professeurs, complimente l’Académie. Encore les violons. Le président saisit un bonnet qu’un huissier porte au bout d’un bâton, et qui a suivi processionnellement la cérémonie, coiffe le nouveau docteur, lui met au doigt un anneau, lui serre les reins d’une chaîne d’or, et le prie poliment de s’asseoir. Tout cela m’a fort peu édifié.[4] »

Il paraît que la Faculté, qui jusque-là ne s’était pas émue, supporta moins patiemment cette dernière attaque. Robinet le dit dans sa lettre du l8 février 1673 :

 

La Faculté de médecine

Tant soit peu, dit-on, s’en chagrine...

 

S’il faut en croire un éditeur, les médecins firent tous leurs efforts pour empêcher la publication de cette pièce, et allèrent même jusqu’à invoquer l’intervention du roi : « Voyant leur art devenu infructueux par leur ignorance, et leurs momeries tournées en dérision, ils eurent recours à Sa Majesté pour empêcher l’impression de cette pièce, principalement en France, où ils s’étaient faits si riches à force d’avoir tué tant de monde ; et c’est ce qui fit qu’un de leurs amis en mit une au jour sous ce même titre, n’y ayant ni rime, ni raison, ni danse, ni cérémonie, etc.[5] » Laissons de côté cette hypothèse d’une édition faite exprès pour décréditer le chef-d’œuvre, quoiqu’il en existe une qui s’y prêterait assez bien, et ne constatons que le bruit dont le libraire belge, après vingt années, se faisait l’écho. Il est un autre témoignage et de l’influence exercée par la satire de Molière et de la rancune que la Faculté en garda. On le trouve sur un exemplaire de l’Index funereus de Jean de Vaux (édit. de 1724),[6] sur lequel, à la page 48, on lit cette addition, d’une écriture du temps :

M. Nicolaus Mauvillain, Parisinus, obiit 10a jan. anni 1663.

Filium reliquit D. M. Parisiensem, facie aspera, moroso et inquieto animo prœditum ; nam, licet chirurgi fillus, cum in sui decanatus curriculo quidquid potuerat molestiæ chirurgorum societati fecisset, non melius de sua Facultate meritus fuit, Poquelino Moliero suæ. Egri imaginarii comædiæ scenas accessorias suppeditando, quæ medicinie et medicorum auctoritatem adeo apud plebem imminuerunt, ut nunc apud plerosque cives tantum pro forma rocentur medici, eorum præscriptionibus et ratiociniis fere nullam habentes fiduciam, eo quod éventus spem a medicis datam ægros et assistentes persæpe fallat.

« M. Nicolas de Mauvillain, parisien, mourut le 10 janvier de l’année 1663. (Chirurgien renommé et bibliothécaire du cardinal de Richelieu.)

« Il laissa un fils (Jean-Armand de Mauvillain), D. M. de Paris, d’une physionomie désagréable, d’un esprit morose et inquiet. Car, quoique fils d’un chirurgien, il fit, dans le cours de son décanat, tout ce qu’il put pour nuire à la compagnie des chirurgiens ; et il ne mérita pas mieux de sa Faculté en fournissant à Poquelin Molière les scènes accessoires de sa comédie du Malade imaginaire, qui ont tellement affaibli l’autorité de la médecine et des médecins parmi le peuple, que maintenant encore les médecins ne sont plus guère appelés chez les particuliers que pour la forme, et qu’on n’y a presque aucune confiance dans leurs prescriptions et leurs raisonnements, à cause que l’événement déçoit souvent l’espoir qu’ils donnent aux malades et aux assistants. »

La Faculté ne fut que trop promptement vengée de son détracteur. L’année 1672 avait été sombre pour l’auteur comique. Les Femmes savantes n’avaient pas tout à fait reçu l’accueil que sans doute il espérait pour elles. La Comtesse d’Escarbagnas avait consommé sa rupture avec Lulli, qui semblait décidément l’emporter dans la faveur royale. Le Malade imaginaire, cette comédie pour laquelle il avait rassemblé tout ce qui lui restait de forces, rencontrait la fortune adverse. Molière fut d’abord contrarié dans son entreprise par Lulli, qui, pendant que l’ouvrage était en préparation, fit signifier à son ancien collaborateur les défenses qui limitaient si rigoureusement l’emploi des musiciens et des instruments de musique sur les théâtres autres que l’Opéra. La partition de Charpentier offre une preuve bien concluante de ce fait. Nous y lisons en tête des premiers morceaux : « Le Malade imaginaire, avant les défenses. – Ouverture du prologue du Malade imaginaire dans sa splendeur. » Puis : « Le Malade imaginaire, avec les défenses. » C’était un coup assez rude porté au théâtre, que cette interdiction qui réduisait le ballet aux proportions les plus exiguës.

Ce n’est pas tout ; il est hors de doute que Molière avait compté que le Malade imaginaire ferait le divertissement de la cour pendant ce carnaval de l’année 1673. Le premier prologue en forme d’églogue n’a été évidemment composé qu’en vue de cette destination. D’où vient donc que Molière dut se contenter d’offrir à la ville cette pièce faite « pour délasser le roi de ses nobles travaux ? » Faut-il conjecturer, avec M. Bazin, que, « malgré la prodigieuse verve de gaieté qui règne dans tout l’ouvrage, on trouva peu d’agrément à cette chambre de malade, à ces médicaments, à ces coliques, à cette mort feinte, dont Molière avait cru tirer un si joyeux parti ? » Ce n’est pas, comme on sait, que Louis XIV ni ses contemporains portassent sous ce rapport la délicatesse aussi loin qu’elle est poussée de nos jours. Mais, si l’on se rappelle que le monarque avait fait, dans le cours de l’été précédent, la première et glorieuse campagne de Hollande, qu’il avait vu s’accomplir sous ses yeux ce passage du Rhin que Boileau a célébré, on peut concevoir qu’il ait eu à cette époque l’esprit tourné aux choses héroïques, et l’on s’explique qu’il ait préféré à la comédie de Molière le Mithridate de Racine, joué par les comédiens de l’hôtel de Bourgogne. Robinet, dans sa lettre du 18 février 1673, constate en effet la faveur dont cette tragédie jouissait à Saint-Germain.

 

La cour à Saint-Germain-en-Laye,

Continuant d’être fort gaye,

Se divertit en ces jours gras,

Entre autres gracieux ébats,

À celui de la comédie

Et voit, dit-on, la tragédie

Du roi Mithridate ayant nom

Qui se nourrissait de poison,

Dans lequel poétique régale

L’admirable troupe royale

Fit merveilles ; et je le crais ;

Joua-t-elle autrement jamais ?

 

Molière, quel que fût le génie du rival qui prenait sa place, souffrit sans doute d’être dépouillé du glorieux privilège qui lui appartenait depuis si longtemps. L’on voit qu’il y a bien des raisons pour qu’il ait prononcé effectivement les paroles que lui prête Grimarest : « Tant que ma vie a été mêlée également de douleur et de plaisir, je me suis cru heureux ; mais aujourd’hui que je suis accablé de peine sans pouvoir compter sur aucun moment de satisfaction et de douceur, je vois bien qu’il me faut quitter la partie. »

Le Malade imaginaire fut donc représenté pour la première fois le 10 février 1673, non à Versailles ou à Saint-Germain, mais à Paris, sur le théâtre du Palais-Royal. La recette s’éleva à 1 992 livres. Molière mourut le vendredi soir 17 février, à la suite de la quatrième représentation. On lit sur le registre de La Grange : « Le même jour, après la comédie, sur les dix heures du soir, M. Molière mourut dans sa maison, rue Richelieu, ayant joué le rôle du malade imaginaire, fort incommodé d’un rhume et d’une fluxion sur la poitrine, qui lui causait une grande toux,[7] de sorte que, dans les grands efforts qu’il fit pour cracher, il se rompit une veine dans le corps et ne vécut pas une demi-heure ou trois quarts d’heure depuis ladite veine rompue, et son corps est enterré à Saint-Joseph, aide de la paroisse Saint-Eustache. Il y a une tombe élevée d’un pied hors de terre. » Nous n’insisterons pas sur cet événement ; nous aurons bientôt à y revenir. Nous ne le rapportons ici qu’en tant qu’il se lie à l’histoire de la comédie, à laquelle il forme un lugubre épisode. Les comédiens ne jouèrent ni le dimanche ni le mardi qui suivirent. Ils rouvrirent le vendredi 24, par le Misanthrope, dans lequel Baron, succédant à son maître, remplit le rôle d’Alceste. Comme il fallut que La Thorillière apprît le rôle d’Argan, le Malade imaginaire ne put être repris que le vendredi 3 mars ; il compta encore jusqu’à la clôture, qui eut lieu le 21 du même mois, neuf représentations, et fut arrêté à la treizième inclusivement.

Nous aurons à parler ailleurs des changements qui survinrent alors dans la Compagnie, et qui n’aboutirent à un arrangement définitif qu’au mois de juillet. Lorsque le théâtre de la nouvelle troupe, formée des débris de la troupe de Molière et de l’élite de celle du Marais, se rouvrit non plus au Palais-Royal, mais à la salle de la rue Guénégaud, on ne donna pas d’abord le Malade imaginaire ; on demeura même assez longtemps avant de remonter cette pièce. En attendant qu’on la jouât, une ordonnance royale, du 7 janvier 1674, interdit à tous autres comédiens de s’en emparer, tant qu’elle n’aurait pas été rendue publique par l’impression. Le Malade imaginaire, remis à la scène le 4 mai 1674, eut trente-sept représentations consécutives. Rosimond, remplaçant La Thorillière entré à l’hôtel de Bourgogne, remplit le rôle d’Argan. Cette comédie fut enfin représentée devant le roi le 19 juillet 1674, dans la troisième journée d’une fête donnée à Versailles au retour de la campagne où la Franche-Comté a été conquise. Reprise de nouveau le 19 novembre de la même année, elle fut encore jouée onze fois de suite, ce qui fait monter à soixante-deux le nombre total des représentations. « On doit, sans doute, dit Auger, attribuer ce succès extraordinaire à l’honorable empressement du public, qui ne se lassait pas de venir admirer le dernier chef-d’œuvre d’un homme qui en avait produit tant d’autres, et qui n’en devait plus produire. »

Telles furent les destinées du Malade imaginaire au théâtre, avant et après la mort de Molière. Les vicissitudes auxquelles sa publication a été soumise ne sont pas moins nombreuses.

On commença, comme d’ordinaire, par imprimer le livre du ballet sous ce titre : « Le Malade imaginaire, comédie mêlée de musique et de danse, représentée sur le théâtre du Palais-Royal. À Paris, chez Christophe Ballard, seul imprimeur du Roi pour la musique, rue Saint-Jean-de-Beauvais, au Mont Parnasse. 1673 » Ce livret accompagna sans doute la première représentation. Un autre livret fut imprimé pour la représentation de Versailles du 19 juillet 1676 : « Chez Guillaume Adam, libraire et imprimeur ordinaire de la troupe du Roi. »

Ce qui parut après la première édition du livre du ballet, c’est le dernier intermède seul, la cérémonie imprimée à part et formant comme une petite comédie sous le titre suivant : « Receptio publica unius juvenis medici in academia burlesca, Joannis Baplistæ Molière, doctoris comici. – Editio deuxième, revisa et de beaucoup augmentata, super manuscriptos trocatos post suam mortem. À Rouen, chez Henri-François Viret, rue aux Juifs, près le Palais, devant la petite porte de l’Hôtel de Ville. 1673. » À la fin, nous lisons : « Registre sur le livre de la communauté des marchands libraires-imprimeurs de cette ville de Rouen, le dix-septième jour de mars mil six cent soixante et treize, pour en jouir suivant le temps porté par les arrêts de la cour. Achevé d’imprimer pour la première fois le 24 de mars 1673. » Cette deuxième édition de la cérémonie fut donc publiée trente-cinq jours après la mort de Molière. Antérieurement y avait-il eu à Paris une première édition distincte ? ou bien l’éditeur compte-t-il le texte du livre du ballet comme première édition ? C’est ce dernier cas qui paraît le plus probable. Le même opuscule eut une troisième édition en Hollande : « Receptio publica unius juvenis medici in academia burlesca, Joannis Baptistæ Molière, doctoris comici. – Editio troisième, revisa et de beaucoup augmentata super manuscriptos trovatos post suam mortem. À Amsterdam, chez Jean-Maximilien Lucas, marchand libraire tenant son magasin sur le Dam, 1673. »

« Il me paraît évident, dit M. Magnin,[8] que cet opuscule contient la copie complète de la cérémonie, rédigée en commun dans le salon de Mme de La Sablière. » D’autres critiques ont supposé, au contraire, que des interpolations avaient eu lieu. On trouverait des arguments à faire valoir pour l’une et l’autre hypothèse. C’est un point que nous laisserons décider à chacun. Ce qui est hors de doute, c’est qu’à la représentation, la cérémonie fut conforme au texte du livre du ballet et de l’édition de 1682, texte que présentent également toutes les éditions, même subreptices, de la pièce. Ce point incontestable est confirmé encore par l’examen de la partition manuscrite. Ce texte authentique doit donc être seul admis dans la comédie ; l’autre ne peut avoir droit qu’à figurer en appendice, et telle est la place que nous lui attribuerons.

Cependant le retard qu’éprouvait, par suite de la mort de Molière, l’impression de la pièce, et la prohibition formulée par la lettre de cachet de janvier 1674, ne faisaient pas le compte de la librairie étrangère, habituée dès lors à vivre aux dépens de nos auteurs en crédit. Aussi voit-on bientôt apparaître des éditions frauduleuses. La contrefaçon hollandaise s’avisa d’un procédé qui avait été appliqué déjà aux œuvres de Molière. Un quidam, qui avait vu représenter la pièce à Paris, osa se charger de la refaire de mémoire. Mais ce quidam n’avait pas la mémoire aussi fidèle que le sieur de Neufvillenaine, et il défigura complètement ce qu’il avait vu. Les noms des personnages ne sont pas même respectés : Argan s’appelle Orgon, Purgon s’appelle Turbon, Toinette Cato, Béralde Oronte, Angélique Isabelle, etc. Le notaire Bonnefoi est totalement supprimé. Diafoirus conserve seul son orthographe. Et non-seulement les noms sont changés, mais aussi les rôles. La servante Cato est dans les meilleurs termes avec la seconde femme d’Orgon ; Isabelle n’est plus cette Angélique de Molière si fine, et pourtant si tendre pour son père. C’est une « dragonne » revêche et quinteuse, qui à cette demande : « Voulez-vous vous marier ? » répond tout brutalement : « Pour me tirer d’une belle-mère, je vous avoue que je veux bien me marier, si vous le voulez ; » mais qui ensuite, lorsqu’elle connaît le fiancé qu’on lui destine, déclare qu’elle a une aversion mortelle pour les médecins et pour la médecine. La pauvre enfant s’en soucie bien dans Molière ! Elle ne dogmatise pas, elle ne raisonne pas ; elle aime Cléante, et, sauf ce seul point, elle en passerait par tout ce qu’on voudrait. – Orgon, loin de ne pas se trouver suffisamment purgé, comme Argan, se plaint d’être « dans les remèdes jusqu’au cou. » Tout est de ce goût et de cette force. Cette rapsodie porte ce titre : « Le Malade imaginaire, comédie en trois actes mêlés de danses et de musique. À Amsterdam, chez Daniel Elzevir. 1674. » Les intermèdes, conformes au livre du ballet, sont à part, avec une pagination et sous un titre distincts, et placés tantôt avant, tantôt après la pièce supposée.[9] C’est bien certainement de cette misérable contrefaçon que l’éditeur de 1694, Georges de Backer, prétend qu’elle fut faite par un ami des médecins, et à leur instigation, pour déshonorer l’œuvre de Molière. Le procédé aurait été ingénieux. On pourrait apercevoir une preuve de cette manœuvre dans le passage suivant, substitué à la négation si nette, si catégorique de la médecine, que Molière met dans la bouche du frère du malade imaginaire : « Oronte. J’ai connu un des plus célèbres médecins de France, qui conseillait à ses amis de ne se servir de remèdes qu’à l’extrémité, parce que les remèdes, qui pour la plupart sont chauds et violents, à mesure que d’un côté ils fortifient la nature, ils la détruisent de l’autre, et qu’ils font tout ensemble du bien et du mal » Disons cependant, avec M. Maurice Raynaud, que tant de machiavélisme semble peu probable, et que l’éditeur hollandais n’eut sans doute d’autre but que d’exploiter la curiosité publique pour une pièce en vogue.

Cette falsification ne put, en tous cas, abuser longtemps le public, car une autre édition, beaucoup plus correcte, fut publiée la même année à Cologne : « Le Malade imaginaire, comédie mêlée de musique et de danse, par M. de Molière. À Cologne, chez Jean Sambix, 1674. » Voici l’avis au lecteur : « La troupe de Molière ayant voulu borner la gloire de cet illustre auteur et la satisfaction du public dans la seule représentation du Malade imaginaire sans en laisser imprimer la copie, quelques gens se sont avisés de composer une pièce à laquelle ils ont donné le même titre, dont on a fait plusieurs impressions tant dedans que dehors le royaume, qui ont été débitées, et ont abusé bien du monde. Mais les mémoires sur lesquels ces gens-là avaient travaillé, ou l’idée qu’ils croyaient avoir conservée de la pièce, lorsqu’ils l’avaient vu représenter, se sont trouvés si éloignés de la conduite de l’original et du sujet même, qu’au lieu de plaire ils n’ont fait qu’inspirer des désirs plus pressants de voir celle de Molière imprimée. Cette impression que je donne aujourd’hui satisfera à cet empressement ; et, quoiqu’elle ne soit qu’un effort de la mémoire d’une personne qui en a vu plusieurs représentations, elle n’en est pas moins correcte ; et les scènes en ont été transcrites avec tant d’exactitude et le jeu observé si régulièrement où il est nécessaire, que l’on ne trouvera pas un mot omis ni transposé ; et je suis persuadé que ceux qui liront cette copie avoueront, à la gloire de Molière, qu’il avait trouvé l’art de plaire aussi bien sur le papier que sur le théâtre. » L’édition de Sambix reproduit le texte de Molière avec assez de fidélité pour que l’on puisse croire à une communication au moins partielle du manuscrit. Et, en effet, lorsque le Malade imaginaire fut enfin imprimé à Paris, chez les libraires Thierry et Barbin, en 1675, et inséré dans le septième volume qui se réunit aux six volumes de l’édition de 1674, ce fut le texte de Cologne, purgé de ses fautes typographiques, que publièrent les éditeurs parisiens.

Il est à croire cependant que ce texte n’avait pas été soumis à un contrôle suffisant, car La Grange et Vinot, lorsqu’ils éditèrent la pièce en 1682, annoncèrent la comédie du Malade imaginaire comme « corrigée, sur l’original de l’auteur, de toutes les fausses additions et suppositions de scènes entières faites dans les éditions précédentes. » De plus, ils eurent soin d’avertir, en tête de deux scènes du premier acte et au commencement du troisième acte, que ces deux scènes et cet acte tout entier, dans les éditions précédentes, « n’étaient point de la prose de M. Molière, » et qu’ils les donnaient « rétablis sur l’original de l’auteur. » La Grange et Vinot, tous deux amis de Molière, et le premier son camarade, avaient été mis par sa veuve en possession des manuscrits de ses comédies inédites, pour faire l’édition de ses œuvres ; leurs affirmations réitérées doivent donc faire foi, et le texte tel qu’ils l’ont fixé prime tous les autres.

Ainsi, nous suivons le texte de l’édition de 1682. Les variantes de l’édition de 1675 sont données au bas des pages ou placées en appendice à la suite de la pièce.

 


[1] On ne peut pas douter que la mort de Molière n’ait été envisagée de cette manière par quelques-uns de ses contemporains, médecins ou malades superstitieux, quand, dans le siècle suivant, on voit un docteur renommé attacher à cet événement la même idée de châtiment et de fatalité. Grimm, dans sa Correspondance littéraire, raconte l’anecdote suivante : « Le docteur Malouin, vrai médecin de la tête aux pieds, et dont Mme de Graffigny disait plaisamment que Molière, en travaillant à ses rôles de Diafoirus et de Purgon, l’avait vu en esprit, comme les prophètes le Messie, ce bon docteur Malouin nous remontra un jour, pour nous guérir de notre incrédulité, que les véritablement grands hommes avaient toujours respecté les médecins et leur science. « Témoin Molière, » s’écria l’un de nous. « Voyez aussi, reprit le docteur, comme il est mort ! »

[2] Paranymphus medicus habitus in Scholis medicinœ, die 28 junii 1648, a Roberto Patin, medicinœ baccalaurco, suivi de : Orationes encomiastieœ singulorum qui tune licentiœ gradu donundi evant (in-18).

[3] Guil. Marcelli Rhetoris, Medicus Deo similis, oratio panogyrica pro celebritate introgonistarum laurea donandorum.

[4] Life of Locke, by lord King.

[5] Préface du Malade imaginaire, édition de Georges de Backer, Bruxelles, 1691.

[6] Communiqué à M. Maurice Raynaud par M. V. Leclerc, doyen de la Faculté des lettres de Paris.

[7] À en croire le docteur Martin Lister (A Journey to Paris in the year 1698, p. 172), Molière s’étant avancé sur le bord de la scène dit au public : « Messieurs, j’ai joué le Malade imaginaire, mais je suis véritablement fort malade. » Ce détail est dépourvu de toute garantie d’authenticité.

[8] Variétés littéraires. Quelques pages à ajouter aux Œuvres de Molière. Revue des Deux Mondes, juillet 1846.

[9] Cette contrefaçon peut être consultée avec fruit pour l’indication de quelques jeux de scène et pour les costumes. Le maladroit faussaire avait été mieux servi par ses yeux que par son esprit et ses oreilles. (Ch. Magnin.)

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