Notice sur Psyché de Molière (Louis MOLAND)
Travail de critique et d’érudition. Aperçus d’histoire littéraire, biographie, examens de chaque pièce, commentaires, bibliographie, etc. Œuvres complètes de Molière, Granier Frères, Libraires-Éditeurs, Paris, 1864.
Le philosophe de Madaure, le rhéteur Apulée, est le premier écrivain qui nous ait transmis la brillante fable de Psyché. Elle forme un épisode de son roman fantastique des Métamorphoses ou de l’Âne d’or. Une vieille femme « radoteuse » raconte cette histoire à une jeune prisonnière, pour la distraire des chagrins de sa captivité :
Un roi et une reine avaient trois filles, toutes trois fort belles, La cadette surtout était d’une perfection si rare et si merveilleuse que les habitants du pays l’adoraient avec un respect religieux, comme si c’eût été Vénus elle-même. Vénus s’irrita de ces hommages rendus à une mortelle, et elle chargea son fils Cupidon de la venger. Cupidon, au lieu de servir le courroux de sa mère, se laissa toucher par les attraits de Psyché. Il écarte tous ses rivaux, et il fait rendre par Apollon un oracle qui enjoint au roi d’exposer sa fille sur un rocher, où elle deviendra l’épouse et la victime d’un affreux dragon. Psyché est conduite, avec une pompe funèbre, sur une montagne escarpée où on la laisse seule. Psyché, tremblante d’effroi, baignée de larmes, attend le monstre dont elle doit être la proie, lorsque tout à coup l’haleine délicate de Zéphire, gonflant les plis de la robe dont elle est revêtue, la soulève, la transporte doucement, et la dépose dans une vallée profonde, sur un gazon émaillé de fleurs. Elle pénètre dans un merveilleux palais, construit avec un art tout divin; elle y est servie par des êtres invisibles. Des instruments mystérieux lui donnent des concerts. Tous les soins l’entourent. L’époux qui lui a été prédit vient lui rendre visite, mais il vient lorsque la nuit est obscure, et il se retire avant l’aube du jour ; et il recommande bien à Psyché de ne pas chercher à voir son visage. Psyché désire la présence de ses sœurs, malgré les avis de son mari, qui finit par céder à ses instances. Zéphire amène les sœurs de Psyché dans ce délicieux séjour. Celles-ci, apprenant que leur cadette a épousé un dieu, tandis qu’elles ne sont que les femmes de vulgaires humains, se sentent mordues au cœur par la jalousie. Elles s’efforcent par leurs mauvais conseils de la précipiter d’une si haute fortune. Sachant la recommandation faite à Psyché par son époux, elles lui persuadent que ce mari, qui redoute tant d’être aperçu, n’est autre que le monstre prédit par l’oracle, le cruel dragon qui doit un jour la dévorer. Elles l’engagent à cacher une lampe derrière un épais rideau, à s’armer d’un poignard, puis, au milieu de la nuit, à dévoiler la lumière, à reconnaître le monstre et à le frapper.
Psyché, bouleversée par leurs paroles, se résout à suivre les conseils de ses sœurs. Lorsqu’elle a dégagé de sa cachette la lampe qu’elle a préparée, au lieu d’un affreux dragon, elle voit endormi le plus brillant des dieux. Elle se penche pour admirer cette tête radieuse. Une goutte d’huile bouillante tombe sur l’épaule de Cupidon. Celui-ci se réveille, et aussitôt qu’il découvre la trahison de Psyché, il s’envole dans les airs et disparaît.
« Psyché, Psyché ! s’écrie M. Cousin en faisant allusion à ce passage du conte, respecte ton bonheur ; n’en sonde pas trop le mystère ; garde-toi d’approcher la redoutable lumière de l’invisible amant dont ton cœur est épris. Au premier rayon de la lampe fatale, l’Amour s’éveille et s’envole. Image charmante de ce qui se passe dans l’âme, lorsqu’à la sereine et insouciante confiance du sentiment succède la réflexion avec son triste cortège ! »
Psyché, abandonnée et désespérée, erre à travers le monde. Elle va voir d’abord ses deux sœurs et leur raconte le triste événement. Les sœurs, croyant prendre la place de leur cadette, courent, chacune de son côté, au rocher d’où Zéphire les a précédemment transportées dans le palais de Cupidon ; elles s’élancent ; mais Zéphire n’est plus là pour les soutenir, et elles se brisent dans leur chute.
Cependant Vénus, qui est instruite de tout ce qui s’est passé, fait chercher Psyché pour satisfaire elle-même cette fois sa vengeance. Elle la jette en esclavage et lui impose des travaux qu’il paraît impossible d’accomplir ; elle lui tend des pièges presque inévitables. Une première fois elle lui montre un vaste amas de froment, d’orge, de millet et d’autres semences, et lui ordonne de séparer ces graines. Les fourmis, ayant pitié de la malheureuse Psyché, viennent à son secours ; elles accourent par nombreux bataillons et démêlent grain à grain tout le monceau. Une autre fois Vénus commande à son esclave de lui rapporter de la laine qu’elle dérobera à un troupeau de béliers sauvages et furieux. Un roseau compatissant indique à Psyché les buissons auxquels ce troupeau laisse, en prenant ses ébats, une partie de sa toison, et Psyché en fait une récolte abondante. Vénus l’envoie encore puiser une bouteille à la source inaccessible d’un des affluents du Cocyte. L’aigle vient à son aide, et, prenant le flacon entre ses serres, le remplit lui-même et le rapporte à Psyché. Enfin Vénus l’envoie présenter une boîte à Proserpine et lui demander un peu du trésor de beauté dont font usage les déesses. C’est la plus perfide des embûches que la reine de Cnide ait tendues à sa belle-fille, devenue sa servante. Psyché descend aux enfers et échappe à un nombre infini de périls. Mais lorsqu’elle revoit la lumière des cieux, elle ne peut s’empêcher de jeter un coup d’œil curieux sur la boîte qu’elle rapporte. « Ainsi, dit-elle, je tiens ici le secret de la beauté immortelle des déesses ; pourquoi n’en déroberais-je pas un tant soit peu pour moi-même ? » Cédant à la tentation, elle ouvre la boîte ; et il s’en exhale des vapeurs léthargiques qui la plongent dans un assoupissement mortel.
Mais Cupidon, retenu captif dans le palais maternel, s’échappe par une fenêtre. Il vole à tire d’ailes vers Psyché, qu’il n’a pas cessé d’aimer. Il la réveille ; puis il va implorer l’appui de Jupiter. Le maître de l’Olympe intervient ; il apaise sa fille Vénus ; il place Psyché parmi les divinités et l’unit à jamais à Cupidon ; et « au bout de neuf mois il leur naquit une fille que nous nommons la Volupté. »
Quelle fortune a eue cette fable, depuis que le rhéteur africain la racontait au IIe siècle de l’ère chrétienne ! Combien de savants mythologues en ont cherché l’origine, la signification allégorique ; et quelles singulières explications quelques-uns en ont trouvées ![1] Combien aussi de peintres, de sculpteurs, de poètes se sont inspirés de la gracieuse et mystérieuse fiction !
Elle fut, dès le XIIIe siècle, renouvelée avec une curieuse originalité par l’un de nos plus gracieux conteurs du moyen âge, Denys Piramus, l’auteur du roman de Partenopeus de Blois. Elle lui servit à peindre les nobles et délicates épreuves de l’amour chevaleresque. Le poète espagnol Calderon fit sur le même sujet un auto sacramentale, un petit drame mystique, dans lequel Éros (l’Amour) figure le Christ, Psyché l’âme du fidèle qui aspire incessamment vers lui ; et où l’hyménée final des deux amants dans l’Olympe symbolise l’union de l’homme et de Dieu dans l’Eucharistie. Mais déjà, dans l’Italie de la Renaissance, le divin Raphaël avait traduit la fable grecque avec ses pinceaux, et, plus fidèle au sens primitif, lui avait fait exprimer la passion ingénue et le souverain pouvoir de la beauté pure. Non-seulement il en tira la matière des douze tableaux dont il décora la Farnésine ; son crayon reproduisit encore l’histoire de Psyché dans une suite de trente-deux dessins qui furent gravés par Marc-Antoine ou plutôt par ses élèves.
On voit que la fable de Psyché eut tout d’abord, chez les modernes, des interprétations diverses, naïves, éclatantes. Notre XVIIe siècle s’en empara à son tour. Elle séduisit La Fontaine, qui se mit à la raconter à sa manière, tantôt en prose, tantôt en rimes ; il en composa son roman des Amours de Psyché et de Cupidon, qui parut en 1669. Parmi les trois amis, Acante, Ariste et Gélaste, auxquels l’auteur feint de lire son ouvrage, on s’accorde à reconnaître Molière sous le nom de Gélaste. « Je vous ai, dit Gélaste à ses amis, tantôt laissés mettre le plaisir de rire après celui de pleurer, trouverez-vous bon que je vous guérisse de cette erreur ? Vous savez que le rire est ami de l’homme, et le mien particulier ; m’avez-vous cru capable d’abandonner sa défense sans vous contredire le moins du monde ?... La tragédie nous attache, si vous voulez ; mais la comédie nous amuse agréablement. Pour preuve infaillible de ce que j’avance ; prenez garde que, pour effacer les impressions que la tragédie avait faites en nous, on lui fait succéder un divertissement comique ; mais de celui-ci à l’autre il n’y a point de retour ; ce qui vous fait voir que le suprême degré du plaisir, après quoi il n’y a plus rien, c’est la comédie. » C’est bien vraisemblablement Molière que La Fontaine fait ainsi parler. Molière avait donc participé ou du moins assisté à la création de ce poème, et le sujet lui en était familier. On comprend que ce sujet se soit présenté à son esprit lorsqu’il s’agit d’inaugurer, au commencement de l’année 1671, la vaste salle des Machines que Louis XIV avait fait construire aux Tuileries « pour les divers spectacles et pour les délassements de son esprit et le divertissement de ses peuples.[2] »
Les aventures de Psyché, qui, comme le disait Lamotte, auraient pu faire inventer l’opéra, étaient tout à fait propres à satisfaire les intentions du monarque. Molière avait déjà tracé le plan de sa pièce ; déjà il avait écrit le premier acte, la première scène du second acte, et la première aussi du troisième. Mais le roi ayant déclaré qu’il voulait plusieurs représentations de l’ouvrage avant le carême, Molière fut forcé de prendre pour collaborateur Pierre Corneille, qui écrivit les autres scènes dans l’espace d’une quinzaine de jours. Quinault composa les paroles destinées à être chantées ; et Lulli, auteur de la musique, fournit pour sa part les paroles italiennes du premier intermède. « C’est sans doute un fait remarquable dans l’histoire des lettres, dit Auger, qu’une pièce de théâtre composée par trois hommes de génie (sans parler du musicien), créateurs en France l’un de la tragédie, l’autre de la comédie, et l’autre de l’opéra. »
La tragédie-ballet de Psyché n’est pas indigne d’une telle collaboration. Le plan que Molière a tracé est des plus hardis qu’il ait conçus ; la grande scène du second acte, où le roi conduit à la fois les fiançailles et le deuil de sa fille, est ce qu’il a écrit de plus touchant dans le genre élevé. Les plaintes du père de Psyché pleurant sa fille, plaintes inspirées par un profond sentiment de tendresse paternelle, ont fait supposer que Molière dut les écrire sous l’impression de la mort de son fils aîné qu’il perdit à une époque incertaine.
L’apparition dans le royaume des ombres des deux princes qui se sont tués par amour, est d’une grandeur shakespearienne. Corneille, qui avait alors soixante-cinq ans, fit preuve d’une délicatesse, d’une suavité, d’une mollesse de style que la jeunesse de son talent n’avait pas possédées au même degré : « La déclaration de l’Amour à Psyché, dit Voltaire, passe encore pour être un des morceaux les plus tendres et les plus naturels qui soient au théâtre. »
« Tout ce qu’a écrit Corneille dans les quatre derniers actes, ajoute un critique moderne, est d’une ampleur de style, d’une élévation, d’une aisance magistrales. Quelle langue noble, mâle, souple, harmonieuse ! Quels beaux vers et quels tendres sentiments ! Je ne parle pas seulement de cette scène immortelle que tout le monde sait par cœur, la scène de la déclaration, mais y a-t-il rien de plus magnifique au théâtre que ce cri longtemps contenu que laisse éclater enfin l’Amour offensé ?
Eh bien ! je suis le dieu le phis puissant des dieux.
Absolu sur la terre, absolu dans les cieux ;
Dans les eaux, dans les airs, mon pouvoir est suprême,
En un mot, je suis l’Amour même...
Il y a là du souffle et de la grandeur de Polyeucte. »
Psyché fut représentée aux Tuileries le 17 janvier 1671. On écrit de Paris à la Gazette, sous la date du 24 janvier : « Le 17 de ce mois, Leurs Majestés, avec lesquelles étaient monseigneur le Dauphin, Monsieur, Mademoiselle, Mademoiselle d’Orléans, et tous les seigneurs et dames de la cour, prirent, pour la première fois, dans la salle des Machines, au palais des Tuileries, le divertissement d’un grand ballet dansé dans les entr’actes de la tragi-comédie de Psyché, représentée par la troupe du roi avec tout l’éclat et toute la pompe imaginables, etc. »
« De Paris, le 31 janvier 1671 :
« Le 24, Leurs Majestés retournèrent en cette ville, où Elles ont continué plusieurs fois le divertissement du grand ballet. »
Robinet, de son côté, s’exprime comme il suit, dans sa lettre du 24 :
Le dix-sept de ce mois tout juste,
Ce Ballet pompeux, grand, auguste,
Et bien digne, veramente
De divertir la majesté
Du premier monarque du monde
Tant sur la terre que sur l’onde,
Fut, pour le premier coup, dansé
En ce vaste sallon, dressé
Dans le palais des Tuileries
Pour les royales momeries,
Avec tant de grands ornements
Si merveilleux et si charmants,
Tant de colonnes, de pilastres
Valant plusieurs mille piastres,
Tant de niches, tant de balcons,
Et, depuis son brillant plat-fonds
Jusques en bas, tant de peintures,
D’enrichissements et dorures,
Que l’on croit, sur la foi des yeux,
Être en quelque canton des deux.
Après une longue description dont quelques traits nous serviront par la suite, il termine ainsi son compte rendu :
La scène, au reste, incessamment,
Comme par un enchantement,
En différents objets se change ;
Et, par une surprise étrange,
On y voit tantôt des palais
De marbre, en un tourne-main faits ;
Puis, en moins de rien, à leur place,
Sans qu’il en reste nulle trace,
Des mers, des jardins, des déserts,
Enfin les cieux et les enfers.
Mais il m’en faudrait faire un livre
Gros comme cil qui s’en délivre
Chez Ballard, imprimeur du roi,
(Je vous le dis de bonne foi,)
Pour tout raconter, tout déduire
Et parfaitement vous instruire
De ce spectacle si royal.
Ainsi donc, en auteur féal,
D’y recourir je vous avise.
Dans la lettre du 7 février 1671, on lit encore ces vers :
Le fameux Ballet de Psyché
Qu’assez bien l’on trouva touché
Dans ma pénultième épître
Où j’en fis un fort long chapitre,
Ce spectacle plein de beautés
Est encor de Leurs Majestés
Le cher ébat carnavaliste
Et le principal sur la liste
Des autres divertissements.
La troupe, par une délibération qui est mentionnée sur le registre de La Grange et que nous avons, résolut de représenter la tragi-comédie sur le théâtre du Palais-Royal. Il fallut, bien entendu, rabattre un peu des magnificences et des enchantements de la première mise en scène. On s’imposa pourtant des sacrifices, puisque, sans parler des frais extraordinaires dont le total a été donné à la susdite page de notre premier volume, les frais ordinaires s’élevèrent pour cette pièce au chiffre de 351 livres par jour.
Psyché parut pour la première fois à la ville le 24 juillet. Robinet consacra à la nouvelle mise en scène une grande partie de la lettre du 1er août et ne lui marchanda pas les éloges :
Illec ainsi qu’aux Tuileries
Il a les mêmes ornements,
Même éclat, mêmes agréments ;
Les airs, les chœurs, la symphonie
Sans la moindre cacophonie,
Sont ici comme ils étaient là.
Vous y voyez, outre cela,
Les divers changements de scène
Qu’on ne s’imagine qu’à peine,
Les mers, les jardins, les déserts,
Les palais, les cieux, les enfers,
Les mêmes dieux, mômes déesses
Soit à blondes ou brunes tresses,
On y voit aussi tous les vols,
Les aériens caracols,
Les machines et les entrées
Qui furent là tant admirées.
Psyché eut trente-huit représentations consécutives. Deux fois reprise dans le courant de l’année suivante, elle eut treize représentations la première fois et trente et une la seconde. Ce fut donc un grand succès, qui égala presque ceux du Tartuffe et de l’École des Femmes.
La pièce fut imprimée la même année : « Psiché, tragédie-ballet par J.-B. P. Molière. Et se vend pour l’autheur, à Paris, chez Pierre Lemonnier, au Palais, vis-à-vis la porte de l’église de la Sainte-Chapelle, à l’image S. Louis et au Feu divin. 1671. Avec privilège du Roy. » Privilège du 31 décembre 1670. – Achevé d’imprimer pour la première fois le 6 octobre 1671.
Une seconde édition eut lieu deux ans plus tard : « Psiché, tragédie-ballet, par J.-B. P. Molière. À Paris, chez Claude Barbin, au Palais, sur le second perron de la Sainte-Chapelle. 1673. Avec privilège du Roy. »
La tragédie-ballet fut enfin réimprimée dans l’édition des Œuvres complètes de Molière de 1682.
Avant toutes ces éditions de la pièce, on avait eu le livre du Ballet : « Psiché, tragi-comédie et ballet dansé devant Sa Majesté au mois de janvier 1671. À Paris, par Robert Ballard, seul imprimeur du Roi pour la musique, rue S. Jean de Beauvais, au Mont-Parnasse. 1671. Avec privilège de Sa Majesté. » La mise en scène, telle qu’elle est décrite dans le livre du Ballet, présente de notables différences avec la mise en scène qui est indiquée dans les éditions de la pièce. Ces différences se comprennent aisément, puisque l’un se réfère à la mise en scène des Tuileries, et les autres à celle du Palais-Royal. Il y eut réellement, dans cette occasion, deux représentations assez distinctes pour qu’on ne puisse les identifier ; deux spectacles qu’il est intéressant de comparer l’un à l’autre. C’est pourquoi nous publierons à la suite de la pièce le livre du Ballet, qui permettra de faire cette comparaison.
En 1678, sept ans après la Psyché de Molière et de Corneille, parut sous le même titre un opéra dont Lulli avait aussi composé la musique. L’auteur des paroles était Fontenelle, qui ne se fit point connaître. On retrouvait dans le nouvel ouvrage beaucoup des morceaux chantés de la tragédie-ballet, dont il n’était qu’une transformation.
PSYCHÉ
TRAGI-COMÉDIE ET BALLET DANSÉ DEVANT SA MAJESTÉ AU MOIS DE JANVIER 1671[3]
DESCRIPTION DE LA SALLE.
Le lieu destiné pour la représentation et pour les spectateurs de cet assemblage de tant de magnifiques divertissements est une salle faite exprès pour les plus grandes fêtes et qui seule peut passer pour un très superbe spectacle. Sa longueur est de quarante toises. Elle est partagée en deux parties, l’une pour le théâtre et l’autre pour l’assemblée. Cette dernière partie est celle que l’on voit la première ; elle a des beautés qui amusent agréablement les regards jusqu’au moment où la scène doit s’ouvrir. La face du théâtre, ainsi que les deux retours, est un grand ordre corinthien qui comprend toute la hauteur de l’édifice. On entre dans le parterre par deux portes différentes, à droit et à gauche. Ces entrées ont, des deux côtés, des colonnes sur des piédestaux, et des pilastres carrés élevés à la hauteur du théâtre. On monte ensuite sur un haut dais réservé pour les places des personnes royales et de ce qu’il y a de plus considérable à la cour. Cet espace est bordé d’une balustrade par devant, et de degrés en amphithéâtre tout à l’entour. Des colonnes, posées sur le haut de ces degrés, soutiennent des galeries sous lesquelles, entre les colonnes, on a placé des balcons qui sont ornés, ainsi que le plafond et tout ce qui paraît dans la salle, de ce que l’architecture, la sculpture, la peinture et la dorure ont de plus beau, de plus riche et de plus éclatant.[4]
PROLOGUE.
Trente lustres qui éclairent la salle de l’assemblée se haussent pour laisser la vue du spectacle libre dans le moment que la toile qui ferme le théâtre se lève. La scène représente, sur le devant, des lieux champêtres. Un peu plus loin paraît un port de mer fortifié de plusieurs tours ; dans l’enfoncement on voit un grand nombre de vaisseaux d’un côté, et de l’autre une ville d’une très vaste étendue.
Flore est au milieu du théâtre, suivie de ses nymphes, et accompagnée, à droit et à gauche, de Vertumne, dieu des arbres et des fruits, et de Palémon, dieu des eaux. Chacun de ces dieux conduit une troupe de divinités ; l’un mène à sa suite des dryades et des sylvains, et l’autre des dieux des fleuves et des naïades.
Une grande machine descend du ciel au milieu de deux autres plus petites. Elles sont toutes trois enveloppées d’abord dans des nuages qui, en descendant, roulent, s’ouvrent, s’étendent, et occupent enfin toute la largeur du théâtre. On découvre une des Grâces dans chacune des petites machines, et la plus grande est occupée par Venus et par son fils environnés de six Amours. Aussitôt que Flore aperçoit Vénus, elle la presse de venir achever par ses charmes les douceurs que la Paix a commencé de faire goûter sur la terre, et, par un récit qu’elle chante, elle témoigne l’impatience qu’elle a de profiter du retour de la plus aimable des déesses et qui préside à la plus belle des saisons.
Flore : Mademoiselle Hilaire.
Nymphes de Flore qui chantent : Mademoiselle Desfronteaux, messieurs Gingan cadet, Langeais, Gillet, Oudot et Jannot.
Vertumne : M. de La Grille.
Palémon : M. Gaye.
SUITE DE VERTUMNE ET DE PALÉMON.
Sylvains : Messieurs Le Gros, Hédouin, Beaumont, Fernon l’aîné, Fernon le cadet, Rebel, Sérignan et Lemaire.
Fleuves : Messieurs Bony, Estival, Don, Gingan l’aîné, Morel, Deschamps, Bernard, Rossignol, Bomaviel et Miracle.
Naïades : Les sieurs Thierry, La Montagne, Mathieu, Perchot, Pierrot et Renier.
DANSEURS.
Quatre Dryades : Messieurs Delorge, Bonard, Chauveau et Favre.
Quatre Sylvains : Messieurs Chicanneau, La Pierre, Favier et Magny.
Quatre Fleuves : Messieurs Beauchamp, Mayeu, Desbrosses et Saint-André cadet.
Quatre Naïades : Messieurs Lestang, Arnal, Favier cadet et Foignard cadet.
Vénus : Mademoiselle Debrie.
L’Amour : La Thorillière le fils.[5]
Six Amours : Thorillon, Baraillon,[6] Pierre Lionnois, Maugé, Dauphin et Duchesne.
Deux Grâces : Mesdemoiselles La Thorillière et Du Croisy.
RÉCIT DE FLORE, chanté par Mlle Hilaire.2
Ce n’est plus le temps de la guerre, etc. [7]
Les nymphes de Flore, Vertumne et Palémon, avec les divinités qui les accompagnent, joignent leurs voix à celle de Flore pour presser Vénus de descendre sur la terre.
CHŒUR DES DIVINITÉS DE LA TERRE ET DES EAUX.
Nous goûtons une paix profonde, etc.
Vertumne et Palémon font, en chantant, une manière de dialogue pour exciter les plus insensibles à cesser de l’être à la vue de Vénus et de l’Amour. Les dryades, les sylvains, les dieux des fleuves et les naïades expriment en même temps par leurs danses la joie que leur inspire la présence de ces deux charmantes divinités.
DIALOGUE DE VERTUMNE ET DE PALÉMON, chanté par MM. de La Grille et Gaye.
Rendez-vous, beautés cruelles, etc.
Flore répond au dialogue de Vertumne et de Palémon par un menuet qu’elle chante : elle fait entendre que l’on ne doit pas perdre le temps des plaisirs et que c’est une folie à la jeunesse d’être sans amour. Les divinités qui suivent Vertumne et Palémon mêlent leurs danses au chant de Flore, et chacun fait connaître son empressement à contribuer à la réjouissance générale.
MENUET DE FLORE, chanté par Mlle Hilaire.
Est-on sage, etc.
Les divinités de la terre et des eaux, voyant approcher Vénus, recommencent de joindre toutes leurs voix et continuent par leurs danses de lui témoigner le plaisir qu’elles ressentent à son abord et la douce espérance dont son retour les flatte.
CHŒUR DE TOUTES LES DIVINITÉS DE LA TERRE ET DES EAUX.
Nous goûtons une paix profonde, etc.
Vénus descend avec son fils et les Grâces. Elle ne peut dissimuler la confusion qu’elle a des honneurs que l’on rend à la beauté de Psyché, au mépris de la sienne. Elle oblige les divinités qui se réjouissent de son retour sur la terre de la laisser seule avec l’Amour. Elle lui exagère son dépit, et l’ayant conjuré de la venger, elle se va cacher aux yeux de tout le monde, en attendant le succès de sa vengeance. L’Amour part du bord du théâtre, et, après avoir fait un tour en l’air en volant, il se va perdre dans les nues.
NOMS DES ACTEURS.
L’Amour : Baron.
Psyché : Mademoiselle Molière.
Deux sœurs de Psyché : Mesdemoiselles Marotte et Beauval.
Le père de Psyché : La Thorillière.
Son capitaine des gardes : Châteauneuf.
Les deux amants de Psyché : Hubert et La Grange.
Vénus : Mademoiselle Debrie.
Deux Grâces : Les petites La Thorillière et Du Croisy.
Deux petits Amours : Thorillon et Barillonnet.
Un Fleuve : Debrie.
Jupiter : Du Croisy.
Zéphyre : Molière.
Deux suivants et deux pages.
ARGUMENT DU PREMIER ACTE.
La scène est changée en une grande allée de cyprès, où l’on découvre, des deux côtés, des tombeaux superbes des anciens rois de la famille de Psyché. Cette décoration est coupée dans le fond par un magnifique arc de triomphe, à travers duquel on voit un éloignement de la même allée qui s’étend jusqu’à perte de vue.
Scène première. Les deux sœurs de Psyché expriment la jalousie qu’elles ont contre leur cadette.
Scène II. Elles veulent se rendre agréables à Cléomène et à Agénor, deux jeunes princes ; mais elles les découvrent l’un et l’autre amoureux de Psyché.
Scène III. Les deux princes déclarent leur amour à Psyché.
Scène IV. Lycas, avec douleur, vient chercher Psyché de la part du roi son père.
Scène V. Les deux sœurs apprennent de Lycas la réponse funeste que l’oracle a rendue au roi sur la destinée de Psyché.
PREMIER INTERMÈDE.
La scène se change en des rochers affreux, et fait voir en éloignement une effroyable solitude. C’est dans ce désert que Psyché doit être exposée pour obéir à l’oracle. Une troupe de personnes affligées y viennent déplorer sa disgrâce. Une partie de cette troupe désolée témoigne sa pitié par des plaintes touchantes et par des concerts lugubres ; et l’autre exprime sa désolation par toutes les marques du plus violent désespoir.
Femme désolée qui plaint le malheur de Psyché : Mademoiselle Hilaire.
Hommes affligés qui plaignent sa disgrâce : Messieurs Morel et Langeais.
Dix Flûtes : Les sieurs Philbert, Descouteaux, Piesche le fils ; Nicolas, Louis, Martin et Colin Hottere ; Fossart, Du Clos et Boutet.
PLAINTES EN ITALIEN, chantées par Mlle Hilaire, MM. Morel et Langeais.
Dell ! piangete, etc.
ENTRÉE D’HOMMES AFFLIGÉS ET DE FEMMES DÉSOLÉES.
Hommes : Messieurs Dolivet, Le Chantre, Saint-André l’aîné et Saint-André le cadet, La Montagne et Foignard l’aîné.
Femmes : Messieurs Bonard, Joubert, Dolivet le fils, Isaac, Vaignard l’aîné, et Girard.
ARGUMENT DU DEUXIÈME ACTE.
Scène première. Le père de Psyché fait éclater sa douleur et lui dit le dernier adieu.
Scène II. Les deux sœurs prennent aussi congé de Psyché.
Scène III. Les deux princes viennent trouver Psyché pour s’opposer ou s’exposer à tous les périls qui la pourront menacer. Elle est enfin enlevée par le Zéphyre, qui la fait emporter sur un amas de nuages par un tourbillon de vent. Les deux princes, qui la perdent de vue, s’abandonnent au désespoir.
DEUXIÈME INTERMÈDE.
Le théâtre se change en une cour magnifique, coupée dans le fond par un grand vestibule qui est soutenu par des colonnes extrêmement enrichies. On voit, au travers de ce vestibule, un palais pompeux et brillant que l’Amour a destiné pour Psyché.
Des Cyclopes travaillent en diligence pour achever de grands vases d’or que des Fées leur apportent, et qui doivent être de nouveaux ornements du palais de l’Amour.
ENTRÉE DES CYCLOPES ET DES FÉES.
Huit Cyclopes : Messieurs Beauchamp, Chicanneau, Mayeu, La Pierre, Favier, Desbrosses, Joubert et Saint-André le cadet.
Huit Fées : Messieurs Noblet, Magny, Delorge, Lestang, La Montagne, Foignard l’aîné et Foignard le cadet, Vaignard l’aîné.
ARGUMENT DU TROISIÈME ACTE.
Scène première. Le Zéphyre confident de l’Amour lui rend compte de la commission qu’il a eue d’enlever Psyché.
Scène II. Psyché témoigne son étonnement à la vue de ce superbe palais qui s’accorde si mal avec ce qu’elle attend.
Scène III. L’Amour, sans se faire connaître, lui découvre sa passion, que Psyché reçoit favorablement. Elle lui demande à voir ses sœurs ; l’Amour lui promet de les faire venir, et en donne l’ordre au Zéphyre, qui traverse en l’air tout le théâtre et s’envole dans les nuages par un mouvement rapide.
TROISIÈME INTERMÈDE.
De petits Zéphyrs sont invités à se mêler dans les doux jeux des Amours par des chansons qu’un Zéphyr et deux petits Amours chantent ; et tous ensemble s’efforcent par leurs chants et par leurs danses de contribuer aux divertissements que l’Amour veut donner à Psyché.
Zéphyr qui chante : Jannot.
Deux Amours chantants : Renier et Pierrot.
Huit Zéphyrs dansants : Messieurs Bouteville, Des-Airs, Artus, Vaignard le cadet, Germain, Pécourt, Demirail et Lestang le jeune.
Huit Amours dansants : Le chevalier Pol, messieurs Bouilland, Thibaut, La Montagne, Dolivet fils, Daluseau, Vitrou et La Thorillière.
CHANSON DU ZÉPHYR.
Aimable jeunesse, etc.
DIALOGUE DES DEUX AMOURS.
Ils chantent ensemble. Chacun est obligé d’aimer, etc.
Un Amour chante seul. Un cœur jeune et tendre, etc.
Les deux Amours chantent ensemble. Chacun est obligé d’aimer, etc.
Le second Amour chante seul. Pourquoi se défendre ? etc.
Les deux Amours ensemble. Chacun est obligé d’aimer, etc.
SECOND COUPLET DE LA CHANSON DU ZÉPHYR.
L’amour a des charmes, etc.
SECOND COUPLET DU DIALOGUE DES DEUX AMOURS.
Ils chantent ensemble. S’il faut des soins et des travaux, etc.
Un Amour seul. On craint, on espère, etc.
Les deux Amours ensemble. S’il faut des soins et des travaux, etc.
Le second Amour seul. Que peut-on mieux faire, etc.
Les deux Amours ensemble. S’il faut des soins et des travaux, etc.
ARGUMENT DU QUATRIÈME ACTE.
Le théâtre devient un jardin superbe et charmant. On y voit des berceaux de verdure soutenus par des termes d’or, et décorés de vases d’orangers et d’arbres de toutes sortes de fruits. Le milieu du théâtre est rempli des fleurs les plus belles et les plus rares, environnées de haies de buis. On découvre dans l’enfoncement plusieurs dômes de rocailles ornés de coquillages, de fontaines et de statues ; et toute cette agréable vue se termine par un magnifique palais.
Scène première. Les deux sœurs de Psyché s’étonnent à la vue de toutes les merveilles qu’elles rencontrent ; et la félicité de Psyché redouble leur jalousie contre elle.
Scène II. Elles profitent de la bonne foi de Psyché ; et, lorsqu’elles s’en doivent séparer, le Zéphyr les enlève par un nuage en globe qui descend du ciel et qui s’allonge jusqu’à terre. Ce nuage enveloppe les deux sœurs, et s’étant étendu sur toute la largeur du théâtre, il les emporte avec rapidité.
Scène III. Psyché, malgré la résistance de l’Amour, veut savoir ce qu’il est ; l’Amour, lié par un serment, est contraint de se découvrir, et part en colère pour retourner au ciel. Dans l’instant qu’il s’envole, le superbe jardin s’évanouit, et Psyché se trouve seule au milieu d’une vaste campagne et sur le bord sauvage d’une grande rivière.
Scène IV. Psyché, au désespoir du départ de son amant, accuse sa curiosité et se veut précipiter dans le fleuve.
Scène V. Le dieu du fleuve paraît assis sur un amas de joncs et de roseaux, et appuyé sur une grande urne d’où sort une grosse source d’eau. Il retient Psyché et l’avertit que Vénus la cherche.
Scène VI. Vénus fait des reproches à Psyché, qui essaye de s’excuser. La déesse, irritée, lui ordonne de la suivre pour éprouver sa constance.
QUATRIÈME INTERMÈDE.
La scène représente les enfers. On y voit une mer toute de feu, dont les flots sont dans une perpétuelle agitation. Cette mer effroyable est bornée par des ruines enflammées ; et, au milieu de ses flots agités, au travers d’une gueule affreuse, paraît le palais infernal de Pluton.
Des furies se réjouissent de la rage qu’elles ont allumée dans l’âme de la plus douce des divinités. Des lutins se mêlent avec les furies ; ils essayent par des figures étonnantes d’épouvanter Psyché, qui est descendue aux enfers, mais les charmes de sa beauté obligent les furies et les lutins de se retirer.
ENTRÉE DES FURIES ET DES LUTINS.
Douze Furies : Messieurs Beauchamp, Hidieu, Chicanneau, Mayeu, Desbrosses, Magny, Foignard l’aîné et Foignard le cadet, Joubert, Lestang, Favier l’aîné et Saint-André le cadet.
Quatre Lutins faisant des sauts périlleux : Cobus, Maurice, Poulet et Petit-Jean.
ARGUMENT DU CINQUIÈME ACTE.
Scène première. Psyché passe dans une barque, et après plusieurs travaux paraît avec la boîte qu’elle a été prendre dans les enfers par l’ordre de Vénus.
Scène II. Elle trouve les ombres des deux princes ses amants, que le désespoir avait fait mourir.
Scène III. Psyché, sans songer au malheur que lui avait produit sa première curiosité, veut essayer sur elle la vertu de ce qu’elle porte dans la boîte ; et, en l’ouvrant, elle tombe évanouie.
Scène IV. L’Amour descend en volant, et vient promptement au secours de Psyché. Il la croit morte et s’abandonne au désespoir.
Scène V. Vénus paraît en l’air sur son char ; et la mère et le fils s’emportent l’un contre l’autre.
Scène VI. Jupiter s’avance pour arrêter leurs emportements. Lorsque Vénus l’aperçoit, elle se retire vers l’un des côtés du théâtre. Jupiter met enfin d’accord Vénus et son fils, et commande à l’Amour d’enlever Psyché au ciel pour y célébrer leurs noces.
DERNIER INTERMÈDE.
Le théâtre se change et représente le ciel. Le grand palais de Jupiter descend et laisse voir dans l’éloignement, par trois suites de perspective, les autres palais des dieux du ciel les plus puissants. Un nuage sort du théâtre, sur lequel l’Amour et Psyché se placent et sont enlevés par un second nuage, qui vient en descendant se joindre au premier. Une troupe de petits Amours vient dans cinq machines, dont les mouvements sont tous différents, pour témoigner leur joie au dieu des Amours. Et dans le même temps Jupiter et Vénus se croisent en l’air et se rangent près de l’Amour et de Psyché.
Les divinités des cieux, qui avaient été partagées entre Vénus et son fils, se réunissent en les voyant d’accord. Elles paraissent au nombre de trois cents sur des nuages, dont tout le théâtre est rempli ; et toutes ensemble par des concerts, des chants et des danses célèbrent la fête des noces de l’Amour.
Apollon conduit les Muses et les Arts ; Bacchus est accompagné de Silène, des Égipans et des Ménades. Mome, dieu de la raillerie, mène avec lui une troupe enjouée de polichinelles et de matassins ; et Mars paraît à la tête d’une troupe de guerriers suivis de timbales, de tambours et de trompettes.
Apollon, dieu de l’harmonie, commence le premier à chanter, pour inviter les dieux à se réjouir.
RÉCIT D’APOLLON, chanté par M. Langeais.
Unissons-nous, troupe immortelle, etc.
Jusqu’à Une félicité qui doit être éternelle.
Toutes les divinités célestes chantent ensemble à la gloire de l’Amour.
CHŒUR DES DIVINITÉS CÉLESTES.
Célébrons ce grand jour, etc.
Jusqu’à Qui tôt ou tard ne se rende à l’Amour.
Bacchus fait entendre qu’il n’est pas si dangereux que l’Amour.
RÉCIT DE BACCHUS, chanté par M. Gaye.
Si quelquefois, etc.
Jusqu’à Souvent, c’est pour toute la vie.
Mome déclare qu’il n’a pas de plus doux emploi que de médire, et que ce n’est qu’à l’Amour seul qu’il n’ose se jouer.
RÉCIT DE MOME, chanté par M. Morel.
Je cherche à médire, etc.
Jusqu’à De n’épargner personne.
Mars avoue que, malgré toute sa valeur, il n’a pu s’empêcher de céder à l’Amour :
RÉCIT DE MARS, chanté par M. Estival.
Mes plus fiers ennemis, vaincus ou pleins d’effroi.
Ont vu toujours ma valeur triomphante ;
L’Amour est le seul qui se vante
D’avoir pu triompher de moi.
Tous les dieux du ciel unissent leurs voix et engagent les timbales et les trompettes à répondre à leurs chants et à se mêler avec leurs plus doux concerts.
CHŒUR DES DIEUX où se mêlent les trompettes et les timbales.
Chantons les plaisirs charmants
Des heureux amants.
Répondez-nous, trompettes,
Timbales et tambours ;
Accordez-vous toujours
Avec le doux son des musettes ;
Accordez-vous toujours
Avec le doux chant des amours.
ENTRÉE DE LA SUITE D’APOLLON
SUITE D’APOLLON.
Les neuf Muses : Mlle Hilaire, Mlle Desfronteaux, Mlles Piesche sœurs ; MM. Gillet, Oudot, Henry Hilaire, Descouteaux et Piesche cadet.
Concertants : MM. Chaudron père, Piesche l’aîné, Marchand, Laquaisse cadet, Clérambaut, Le Doux, Pesan, Gervais, Camille, Henry, Verdier, Bernard, Mercier, Chevalier, Desnoyers, Edme Verdier et Saint-Père.
Les Arts, travestis en bergers galants pour paraître avec plus d’agrément dans cette fête, commencent les premiers à danser. Apollon vient joindre une chanson à leurs danses, et les sollicite d’oublier les soins qu’ils ont accoutumé de prendre le jour, pour profiter des divertissements de cette nuit bienheureuse.
Arts travestis en bergers galants : MM. Beauchamp, Chicanneau, La Pierre, Favier l’aîné, Magny, Noblet, Desbrosses, Lestang, Poignard l’aîné et Poignard le cadet.
CHANSON D’APOLLON, chantée par M. Langeais.
Le Dieu qui nous engage, etc.
Au milieu de l’entrée de la suite d’Apollon, deux des Muses qui ont toujours évité de s’engager sous les lois de l’Amour, conseillent aux belles qui n’ont point encore aimé, de s’en défendre avec soin à leur exemple.
CHANSON DES MUSES, chantée par Mlle Hilaire et par Mlle Desfronteaux.
Gardez-vous, beautés sévères, etc.
ENTRÉE DE LA SUITE DE BACCHUS.
SUITE DE BACCHUS.
Concertants : MM. de La Grille, Le Gros, Gingan l’aîné, Bernard, Rossignol, La Forest, Miracle cadet, Renier et Jannot.
Violons : MM. Dumanoir père et fils, Balus père et fils, Chaudron fils, Lepeintre, Lique, Leroux, Le Gros, Varin, Joubert, Rafié, Desmatins, Léger, L’Espine et Leroux cadet.
Bassons : Les sieurs Colin Hottere et Philidor.
Hautbois : Les sieurs Du Clos, Duchot et Philidor cadet.
Les Ménades et les Égipans viennent danser à leur tour. Bacchus s’avance au milieu d’eux et chante une chanson à la louange du vin.
Six Ménades : MM. Isaac, Paysan, Joubert, Dolivet fils, Breteau et Desforges.
Six Égipans : MM. Dolivet, Hidieu, Le Chantre, Royer, Saint-André l’aîné et Saint-André le cadet.
CHANSON DE BACCHUS, chantée par M. Gaye.
Admirons le jus de la treille, etc.
Silène, nourricier de Bacchus, paraît monté sur son âne. Il chante une chanson qui fait connaître les avantages que l’on trouve à suivre les lois du dieu du vin.
CHANSON DE SILÈNE, chantée par M. Blondel.
Bacchus veut qu’on boive à longs traits ;
On ne se plaint jamais
Sous son heureux empire :
Tout le jour on n’y fait que rire,
Et la nuit on y dort en paix.
Ce dieu rend nos vœux satisfaits ;
Que sa cour a d’attraits !
Chantons-y bien sa gloire :
Tout le jour on n’y fait que boire,
Et la nuit on y dort en paix.
Deux Satyres se joignent à Silène, et tous trois chantent ensemble un trio à la louange de Bacchus et des douceurs de son empire.
TRIO DE SILÈNE ET DE DEUX SATYRES, chanté par MM. Blondel de La Grille et Bernard.
Voulez-vous des douceurs parfaites ?
Ne les cherchez qu’au fond des pots.
UN SATYRE.
Les grandeurs sont sujettes
À cent peines secrètes.
SECOND SATYRE.
L’amour fait perdre le repos.
TOUS ENSEMBLE.
Voulez-vous des douceurs parfaites ?
Ne les cherchez qu’au fond des pots.
UN SATYRE.
C’est là que sont les ris, les jeux, les chansonnettes.
SECOND SATYRE.
C’est dans le vin qu’on trouve les bons mots.
TOUS ENSEMBLE.
Voulez-vous des douceurs parfaites ?
Ne les cherchez qu’au fond des pots.
Deux autres Satyres enlèvent Silène de dessus son âne, qui leur sert à voltiger et à former des jeux agréables et surprenants.
Deux Satyres voltigeurs : MM. de Meniglaise et de Vieux-Amant.
ENTRÉE DE LA SUITE DE MOME.
SUITE DE MOME.
Concertants : MM. Don, Beaumont, Fernon l’aîné, Fernon cadet, Gingan cadet, Deschamps, Horat, La Montagne et Pierrot.
Violons : Les sieurs Marchand, Laquaisse, Huguenot, Magny, Brouard, Fossard, Huguenet cadet, Destouches, Guenin, Roullé, Charpentier, Ardelet, Lafontaine, Chariot, et Martinot père et fils.
Bassons : Les sieurs Nicolas et Martin Hottere.
Hautbois : Les sieurs Piesche père, Plumet et Louis Hottere.
Une troupe de Polichinelles et de Matassins viennent joindre leurs plaisanteries et leurs badinages aux divertissements de cette grande fête. Mome, qui les conduit, chante au milieu d’eux une chanson enjouée sur le sujet des avantages et des plaisirs de la raillerie.
Six Matassins dansants : MM. Delorge, Bonard, Arnal, Favier cadet, Goyer et Bureau.
Six Polichinelles : MM. Manceau, Girard, Lavallée, Favre, Lefebure et La Montagne.
CHANSON DE MOME, chantée par M. Morel.
Folâtrons, divertissons-nous, etc.
ENTRÉE DE LA SUITE DE MARS.
SUITE DE MARS.
Concertants : MM. Bony, Hédouin, Sérignan, La Griffonnière, Lemaire, Desuelois, David, Beaumaviel, Miracle, Perchot, Thierry et Mathieu.
Violons : MM. Masuel, Thaumin, Chicanneau, Bonnefons, Laplace, Regnaut, Passe, Dubois, Duvivier, Nivelon, Lejeune, Dufresne, Allais, Dumont, Lebret, d’Auche, Converset et Rousselet fils.
Basson : Rousset.
Flûtes : Philbert, Boutet et Paisible.
M. Rebel, conducteur.
Daire, timbalier. Ferrier, sacq debout.
Trompettes : Du Clos, Denis, Larivière, L’Orange, La Plaine, Pellissier, Pètre, Roussillon et Rodolfe.
Mars vient au milieu du théâtre, suivi de sa troupe guerrière qu’il excite à profiter de leur loisir en prenant part aux divertissements.
CHANSON DE MARS, chantée par M. Estival.
Laissons en paix toute la terre, etc.
Quatre hommes portant des masses et des boucliers ; quatre autres armés de demi-piques, et quatre autres avec des enseignes font, en dansant, une manière d’exercice.
Quatre Enseignes : MM. Beauchamp, Mayeu, La Pierre et
Favier.
Quatre Piquiers : MM. Noblet, Chicanneau, Magny et Lestang.
Quatre Porte-masses et rondaches : MM. Camet, La Haye, Leduc et Dubuisson.
DERNIÈRE ENTRÉE.
Les quatre troupes différentes de la suite d’Apollon, de Bacchus, de Mome et de Mars, après avoir achevé leurs entrées particulières, s’unissent ensemble et forment la dernière entrée, qui renferme toutes les autres. Un chœur de toutes les voix et de tous les instruments se joint à la danse générale, et termine la fête des noces de l’Amour et de Psyché.
CHŒUR.
Chantons les plaisirs charmants
Des heureux amants.
Répondez-nous, trompettes,
Timbales et tambours ;
Accordez-vous toujours
Avec le doux son des musettes,
Accordez-vous toujours
Avec le doux chant des amours.[8]
[1] Sur ce sujet, on consultera avec fruit les notes de M. Victor Bétolaud, dans sa traduction d’Apulée, publiée chez Garnier frères, en 1862.
[2] Ce sont les termes de l’abbé de Pure dans son ouvrage intitulé Idée des Spectacles anciens et nouveaux. Voyez, pour la description de cette salle, le livre du Ballet à la suite de la pièce.
[3] Nous avons dit dans la Notice préliminaire, ce qui nous engage à publier le livre du Ballet de Psyché. Qui rédigea ce livret ? Est-ce Molière ? est-ce Quinault, ou quelque autre ? Il est fort possible, fort probable même que Molière prit ce soin. Les arguments da chaque acte ne sont peut-être que le canevas qu’il avait livré à son collaborateur Corneille. Il est sûr, du moins, que, soigneux comme il était, il dut diriger et surveiller attentivement l’exécution du livre destiné à être distribué dans la salle des Tuileries. C’est une raison de plus pour qu’on n’hésite point à insérer ce canevas dans les œuvres de Molière ; mais nous ne répéterons pas les couplets, ce qui ferait double emploi ; nous nous bornerons à en citer le premier vers ; et l’on se reportera, pour en avoir la suite, au texte de la pièce.
[4] Nous allons compléter cette description de la salle, en empruntant quelques détails à l’ouvrage de l’abbé de Pure, intitulé : Idée des spectacles anciens et nouveaux et publié en 1668 : « Cette salle, dit-il, fut bâtie dans les alignements du dessin du Louvre, et ses dehors sont symétriques avec le reste de la façade. Voici les dimensions et le devis, tant du dedans que du dehors, qui m’a été donné par le sieur Charles Vigarani, fils de l’architecte Gaspard Vigarani :
« Le corps de la salle est partagé en deux parties inégales : la première comprend le théâtre et ses accompagnements ; la seconde contient le parterre, les corridors et les loges qui font face au théâtre et qui occupent le reste du salon de trois côtés, l’un qui regarde la cour, l’autre le jardin, et le troisième le corps du palais des Tuileries.
« La première partie, ou le théâtre, qui s’ouvre par une façade également riche et artiste, depuis son ouverture jusqu’à la muraille qui est du côté du pavillon, vers les vieilles écuries, a de profondeur vingt-deux toises. Son ouverture est de trente-deux pieds sur la largeur, ou entre les corridors et châssis qui règnent des deux cotés. La hauteur, ou celle des châssis, est de vingt-quatre pieds jusqu’aux nuages.
« Par-dessus les nuages jusqu’au tirant du comble, pour la retraite ou pour le mouvement des machines, il y a trente-sept pieds. Sous le plancher ou parquet du théâtre, pour les enfers ou pour les changements des mers, il y a quinze pieds de profondeur.
« La seconde partie, ou celle du parterre, qui est du côté de l’appartement des Tuileries, a de largeur, entre les deux murs, soixante-trois pieds ; entre les corridors, quarante-neuf. Sa profondeur, depuis le théâtre jusqu’au susdit appartement, est de quatre-vingt-treize pieds. Chaque corridor est de six pieds, et la hauteur du parterre jusqu’au plafond est de quarante-neuf pieds. Ce plafond a deux beautés aussi riches que surprenantes par sa dorure et par sa dureté. Celle-ci est toutefois la plus considérable, quoique la matière en soit commune et de peu de prix, car ce n’est que du carton, mais composé et pétri d’une manière si particulière, qu’il est rendu aussi dur que de la pierre et que les plus solides matières. Le reste de la hauteur jusqu’au comble, où sont les rouages et les mouvements, est de soixante-deux pieds. »
Cette salle ne servit qu’aux représentations de Psyché. Elle fut ensuite abandonnée jusqu’en 1716, époque où on la raccommoda, comme disent les frères Parfait, pour les ballets qui y furent exécutés afin d’amuser la jeunesse de Louis XV. Lorsqu’après le premier incendie du théâtre du Palais-Royal, en 1763, Soufflot fut chargé de loger aux Tuileries l’Opéra français, il lui construisit une nouvelle salle sur l’espace occupé jadis par la scène du théâtre des Machines. Cette salle servit ensuite d’asile à la Comédie-Française, lorsqu’en 1770 elle fut forcée d’abandonner son théâtre du faubourg Saint-Germain. Les dispositions intérieures en furent changées en 1792, pour bâtir la salle de la Convention nationale, à laquelle on arrivait par un perron donnant sur la terrasse des Feuillants. C’est là que fut prononcée, contre le petit-fils de Louis XIV, la sentence du 20 janvier 1793.
[5] Ce fils de La Thorillière avait alors quatorze ans ; il était né en 1656. Il devait parcourir une longue et brillante carrière théâtrale jusqu’à sa mort en 1731. Robinet paraît avoir ignoré le nom du jeune acteur qui joua ce rôle, car voici comment il s’exprime dans sa lettre du 1er août :
Son fils (le fils de Vénus), nommé le dieu d’Amour,
Qui là devient homme en un jour,
Pour mieux contenter son amante
Savoir Psyché toute charmante,
Est comme enfant représenté
Par un, lequel, en vérité,
S’acquitte à miracle du rôle
De ce petit céleste drôle ;
Et, comme homme fait et formé
Par ce jeune acteur tant aimé
Qui partout le Baron se nomme
Et lequel des mieux joue en somme.
Robinet nomme La Thorillière fils dans sa lettre du 26 novembre 1672.
[6] Ce Baraillon était sans doute un fils du tailleur de la troupe, M. Baraillon, souvent mentionné sur le registre de La Grange.
[7] Robinet nous dit dans la lettre du 24 janvier :
Cette Flore, qui fait florès
Est représentée (à peu près)
Par l’illustre sirène Hilaire,
Qui toujours a le don de plaire
Avec son angélique voix
Ainsi que la première fois.
En charmant chacun, elle appelle
Vénus, l’amoureuse immortelle,
Afin qu’elle vienne ici-bas
Achever par ses doux appas
Les plaisirs dont la paix foisonne
Grâces à Louis qui la donne
En interrompant ses exploits
Qui pourraient établir ses lois
Chez tous les peuples que la terre
Dans sa vaste rondeur enserre.
Mais il n’est pas besoin de dire que la célèbre cantatrice ne fut pas de ces musiciens et musiciennes qui, dérogeant aux anciens usages, les uns moyennant onze livres par soirée, les autres moyennant cinq livres dix sous (La Grange, parmi les frais journaliers des représentations de Psyché à la ville, compte trois voix à onze livres, total, trente-trois livres ; et quatre voix à cinq livres dix sous, total, vingt-deux livres), consentirent à « chanter sur le théâtre à visage découvert, habillés comme des comédiens. » (Voyez l’extrait du registre de La Grange.) La cantatrice qui accepta de représenter Flore au Palais-Royal se nommait Mlle de Rieux. Robinet dans la lettre du 1er août, en parle dans ces termes flatteurs :
Une assez grande damoiselle,
Blondine, gracieuse et belle
Et d’assez bon air s’agitant
Représente Flore en chantant ;
Et, n’ayant guère de pareilles,
Charme les yeux et les oreilles
Par sa voix, et par des appas
Que toutes chanteuses n’ont pas.
Ce dernier trait est une épigramme à l’adresse de Mlle Hilaire, qui n’était pas jolie.
[8] La plus notable différence qu’on remarque entre les deux leçons du dernier intermède, celle des éditions originales et celle du livre du Ballet, c’est que dans celles-là chacune des principales divinités ne fait qu’un récit, tandis que dans celle-ci chacune d’elles fait d’abord un récit, puis revient chanter une chanson. L’intermède est donc, d’un côté, presque double de ce qu’il est de l’autre.