Madame du Barry (Jacques-François ANCELOT - Étienne ARAGO)

Comédie en trois actes, mêlée de couplets.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Vaudeville, le 28 février 1831.

 

Personnages

 

LOUIS XV, roi de France

LE MARÉCHAL DE RICHELIEU

LE DUC D’AIGUILLON, ministre de la guerre

LE DUC DE LAVRILLIÈRE ministre de la maison du roi

LE CHANCELIER MEAUPOU

LE COMTE JEAN DUBARRY, beau-frère de la comtesse

CAZOTTE

ADRIEN MIRVAL, jeune poète, amant de Cécile

LE NONCE DU PAPE

UN COUREUR

UN HUISSIER

LA COMTESSE DU BARRY

LA MARÉCHALE DE MIREPOIX

CÉCILE, jeune orpheline

MATHILDE, jeune filles du parc aux Cerfs

MARIE, jeune filles du parc aux Cerfs

EULALIE, jeune filles du parc aux Cerfs

HORTENSE, jeune filles du parc aux Cerfs

UNE FEMME DE CHAMBRE de madame du Barry

DAMES DE LA COMTESSE

DOMESTIQUES

 

La scène se passe à Versailles.

 

Le premier acte dans l’appartement de madame du Barry, au château. Le deuxième acte dans les jardins du parc aux Cerfs. Le troisième acte dans les petits appartements du château.

 

 

ACTE I

 

Le Théâtre représente l’appartement de la comtesse du Barry. Un lit de repos, très riche, est dans le fond, à droite de l’acteur. Porte du cabinet de toilette à gauche.

 

 

Scène première

 

LA COMTESSE, LE CHANCELIER MEAUPOU, LE NONCE DU PAPE, LE MARÉCHAL DE RICHELIEU, LE DUC D’AIGUILLON, FEMMES DE LA COMTESSE

 

La comtesse, enveloppée d’un vaste et riche peignoir, est étendue sur le lit de repos.

Air : Valse de Robin des Bois.

FEMMES DE LA COMTESSE.

Votre toilette vous réclame ;
Voici l’heure, qu’ordonnez-vous ?
Parlez, vous le savez, Madame,
Vos désirs sont des lois pour nous.

La comtesse met un pied à terre pour chercher sa mule. Meaupou se jette à genoux et la lui chausse. Le nonce s’avance, offre son épaule, sur laquelle s’appuie la comtesse qui se lève.

RICHELIEU.

Ah ! jadis je ne me serais pas laissé prévenir.

LA COMTESSE.

Ici chacun de vous m’encense,
À vos discours j’ajoute foi !...
Mais je sors !... Pendant mon absence,
Je vous en prie, épargnez-moi.

MEAUPOU, RICHELIEU, D’AIGUILLON.

Votre toilette vous réclame ;
Mais pourquoi donc douter de nous ?
Que pouvez-vous craindre, Madame,
Quand nous sommes à vos genoux ?

LES FEMMES.

Votre toilette vous réclame, etc.

Elle marche, appuyée sur l’épaule du Nonce, vers son cabinet de toilette, où elle entre.

RICHELIEU.

Allons, le pouvoir de la belle comtesse est inébranlable : qui pourrait l’attaquer, soutenu par la magistrature et sanctifié par l’église ?... Je vous félicite, Messieurs, de votre bonne fortune.

LE NONCE.

En prêtant appui à cette femme excellente, j’ai obéi au précepte de la charité chrétienne : « Fais à autrui ce que tu voudrais qu’on fît pour toi. »

MEAUPOU.

Qu’est-ce que le léger service que je lui ai rendu, comparé à tout ce que je lui dois ?

RICHELIEU.

En effet, monsieur le Chancelier, en échange d’une simarre, vous lui passez une mule ; on peut chausser qui nous a vêtu ; vous n’êtes pas encore quitte.

MEAUPOU.

Elle peut compter sur mon dévouement.

RICHELIEU.

Comme sur le nôtre. Mais parlons d’affaires : Avez-vous quelques bonnes paroles de la comtesse, monsieur de Meaupou ? achèvera-t-elle ce qu’elle nous a promis ?

MEAUPOU.

Que sais-je ? Peut-on être certain de ce que fera cette femme adorable, si gracieuse, si gaie, si espiègle ? Ne songeant qu’au bonheur de son auguste ami, elle hésite à se mêler des affaires d’État.

RICHELIEU.

Tout cela est fort bien ; mais, tenez, profitons de son absence pour parler franchement, si nous pouvons. Il faut à monseigneur le Nonce le retour d’un ordre pieux qui seul peut soutenir la religion et la monarchie. Mon neveu et vous, monsieur le Chancelier, vous voulez l’entière destruction des Parlements ; il me faut à moi l’exil du duc de Choiseul. Madame du Barry peut nous aider à mener à bien ces intérêts divers ; pourquoi n’en fait-elle pas son affaire ? De quoi vous occupez-vous donc pendant vos longs colloques avec elle, monsieur mon neveu ?

D’AIGUILLON.

Mais, non oncle, je me renferme dans les attributions de mon département.

RICHELIEU.

Que diable ! nous étions convenus de parler avec franchise. Prenez-y garde ; vous perdez un temps précieux, et l’occasion vous échappera.

LE NONCE.

Et quel bien voulez-vous qu’on fasse, qui ne soit promptement détruit par le débordement d’impiétés qui inonde ce malheureux royaume ? par les écrits de cette tourbe de philosophes, de ce Voltaire surtout ?...

RICHELIEU.

Oh ! j’en conviens, Voltaire est dangereux.

MEAUPOU.

Eh ! vous-même, monsieur le duc, n’êtes-vous pas avec lui en correspondance réglée ? ne vous appelle-t-il pas son héros ? ne lui adressez-vous pas les lettres les plus affectueuses ?

RICHELIEU.

Qu’est-ce que cela prouve ? qu’il a besoin de moi, et que j’ai peur de lui.

D’AIGUILLON.

Décidément, mon oncle, vous êtes dans un accès de franchise... Au reste, je crois qu’à présent nous aurions tort de redouter Voltaire.

Air : J’en guette un petit de mon âge.

Il va, quillant le ton caustique,
Aduler ce qu’il a bravé ;
Contre sa verve satyrique,
Le meilleur remède est trouvé !
(bis.)
Ce piquant esprit qu’on renomme,
S’émoussera bientôt !

RICHELIEU.

Pourquoi ?

D’AIGUILLON.

Oubliez-vous donc que le roi
Vient de le faire gentilhomme ?

RICHELIEU.

Monsieur le ministre de la guerre, vous tirez sur vos troupes. Quoi qu’il en soit, ne négligez pas mes conseils. Le pouvoir de la charmante comtesse est grand, nous sommes attachés à son char ; mais, en nous occupant d’elle, ne nous oublions pas. Qui sait si le monde durera encore trois semaines !

 

 

Scène II

 

LES MÊMES, JEAN DU BARRY, entrant par le fond

 

JEAN.

J’espère bien, sarpedié, qu’il ne finira pas sitôt !

D’AIGUILLON.

Ah ! le comte Jean du Barry !... Il n’est pas besoin qu’on l’annonce ; au bruit qu’il fait, on le reconnaît d’abord.

JEAN.

Oui, palsambleu, Messieurs, et j’en ferai bien un autre si tout cela continue ! Oh ! ça, père Meaupou, quand tous ces barbouilleurs de papier nous laisseront-ils en repos ? Savez vous que chaque jour voit naître d’insolents pamphlets où l’on traite gaillardement ma belle-sœur, vous, Messieurs, et moi-même, sarpedié ? Que fait donc le Sartines avec ses mouchards ? et le Lavrillière avec ses lettres de cachet ? Si vous ne mettez ordre à tout cela, je m’en mêlerai moi même, et prenez garde à vous.

D’AIGUILLON, avec hauteur.

Monsieur le comte...

JEAN.

Duc d’Aiguillon, parce que vous aimez ma belle-sœur, et que vous ne lui déplaisez pas, croyez-vous donc m’imposer silence ? Ne me poussez pas à bout, ou j’en dirai plus qu’on ne voudrait.

RICHELIEU, à part.

Ne chasserons-nous jamais cette insolente canaille !

LE NONCE.

La paix, Messieurs, la paix !

JEAN.

Eh, parbleu ! qu’est-ce que je demande, moi ? qu’on nous coffre bien et dûment ces écrivailleurs qui ne respectent rien ! N’ont-ils pas l’audace d’imprimer que les vices de monsieur le chancelier déshonorent la magistrature dont il est le chef ? que monsieur le premier gentilhomme de la chambre, membre de l’Académie française, ne sait pas l’orthographe ? que monsieur le duc d’Aiguillon a trouvé son brevet de ministre de la guerre dans le vertugadin de ma belle-sœur ? et moi, donc ?... n’osent-ils pas attaquer jusqu’à ma naissance ?

Air de Turenne.

Ils impriment que je m’enivre,
Que je soutiens tous les gens sans aveu ;
Qu’à mille excès chaque jour je me livre,
Et même que je triche au jeu !
(bis.)
Qu’ils disent cent fois pis encore,
J’en rirai, moi, bien loin de me fâcher !...
Mais ils me font descendre d’un boucher !...
Ah ! voilà qui me déshonore.

Palsambleu ! si l’on ne réprime pas tant d’audace, je crierai de façon à me faire entendre aux deux bouts de Versailles ! et je ferai sauter quelques-uns de ceux qui se fâchent, et qui ne font pas leur devoir envers le roi et moi !

MEAUPOU.

On y pourvoira, monsieur le comte, on y pourvoira. (

JEAN.

À la bonne heure ! Ah, ça, ma belle-sœur est bien longtemps à sa toilette aujourd’hui.

LE NONCE.

Je crois l’entendre.

 

 

Scène III

 

LE NONCE, JEAN, MEAUPOU, MADAME DU BARRY, LA MARÉCHALE DE MIREPOIX, sortant toutes deux du cabinet de toilette, LE DUC D’AIGUILLON, LE MARÉCHAL DE RICHELIEU

 

LA COMTESSE.

En vérité, Messieurs, vous faites un bruit qui m’a presque effrayée ! On se querelle ici ?

RICHELIEU.

À votre aspect, tout le monde sera d’accord.

MEAUPOU.

Nous n’avons plus qu’un sentiment, l’admiration !

LA COMTESSE.

Le comte Jean est avec vous ; je ne m’étonne plus. Mon cher beau-frère n’a pas coutume de se gêner.

JEAN.

Oui, je suis un original ; je dis ce que je pense.

LA COMTESSE.

Et, chose non moins rare, vous pensez ce que vous dites. Vous venez sans doute la bourse vide ? le jeu vous a ruiné hier ?

JEAN.

Vous l’avez dit.

LA COMTESSE.

Et vous voulez un mot de moi pour rendre visite à l’abbé Terray ?

JEAN.

Vous ne me le refuserez pas. Cet excellent abbé ! plus je le vois, plus il m’enchante ! Comme il brave la haine publique ! avec quelle adresse il prend dans la poche de tout le monde ! C’est un admirable financier !

LA COMTESSE.

J’ai bien à faire pour le soutenir auprès du roi. On a beau se tourmenter, Messieurs, la vérité perce. Dites-lui donc, comte Jean, de tâcher de plumer la poule sans la faire crier.

MADAME DE MIREPOIX, souriant.

Cette chère comtesse a des expressions qui ne sont qu’à elle.

LA COMTESSE.

Et qui effarouchent quelquefois la gravité de Versailles, n’est-il pas vrai ? Que voulez-vous ?...

Air : Restez, restez, troupe jolie !

Je n’ai pas encore, Madame,
Su profiter de vos leçons :
Chacun peut lire dans mon âme,
Et mon langage est sans façons !
Au malheur, moi je m’intéresse,
Au faible j’offre mes secours !...
Sous le manteau de la comtesse,
La bourgeoise paraît toujours.

Qu’on rie de mes boutades, j’y consens ! J’aime mieux qu’on cite de moi un mauvais mot, qu’une méchante action.

MEAUPOU.

Sur ce point, ma belle cousine peut défier ses plus cruels ennemis.

LA COMTESSE.

Oh ! l’on a l’esprit inventif à la Cour ! Mais que m’importe ?... Y a-t-il quelque chose de nouveau, Messieurs ?

MEAUPOU.

Toujours la résistance des Parlements.

LE NONCE.

Les progrès effrayants de l’impiété.

RICHELIEU.

L’audace des Choiseul.

LA COMTESSE.

Et pas un opéra de Grétry !

MEAUPOU.

Est-ce l’instant de vous occuper de pareilles frivolités ?

LA COMTESSE.

C’est qu’elles m’amusent davantage.

D’AIGUILLON.

Je le conçois ; mais pourriez-vous leur sacrifier les grands intérêts qui reposent entre vos mains ?

LA COMTESSE.

Si vous saviez comme tout cela me fatigue ?... Cependant, j’ai promis de m’en occuper, et je l’ai déjà fait, Messieurs ; mais jusqu’à ce jour je n’ai pas été heureuse. Casser les Parlements !... Le roi recule devant une telle mesure.

MEAUPOU.

Elle est pourtant indispensable. Vous n’oubliez pas leur conduite dans l’affaire de monsieur le duc d’Aiguillon.

LA COMTESSE.

Allons, je tenterai de nouveaux efforts.

LE NONCE.

Et notre sainte religion, Madame ?

LA COMTESSE.

N’est-il pas plaisant, monseigneur, que ce soit à moi qu’on s’adresse ? Je sais ce que vous désirez ; mais le Roi n’aime pas les jésuites ! Ces bons pères ! Savez-vous qu’ils m’ont envoyé un diplôme d’affiliation à leur ordre ? Je l’ai reçu comme Madeleine pécheresse, en attendant que je sois Madeleine pénitente.

LE NONCE.

Eux seuls peuvent ramener la France dans la bonne voie !

LA COMTESSE.

Veuillez les assurer, monseigneur, que je ne serai pas ingrate. Qu’ils s’occupent de moi pour l’autre monde, je songerai à eux dans celui-ci.

MEAUPOU.

Ainsi, ma belle cousine, nous pouvons espérer...

LA COMTESSE.

Oui, Messieurs, je n’oublierai rien. J’attends aujourd’hui ce bon Cazotte ; il doit me présenter un jeune poète qui, dit-on, donne de grandes espérances.

JEAN.

Encore un !... Que diable, ma chère sœur, pourquoi vous affubler de tous ces gens-là ? Je n’aime pas votre Cazotte, avec ses rêveries d’illuminé, et ses prétendues révélations ! Il a la rage de prophétiser !

LA COMTESSE.

Sous ses prophéties la vérité se cache peut-être.

JEAN.

Et vous l’accueillez comme une nouveauté.

LA COMTESSE.

J’avoue que je crains Cazotte comme... ma conscience ! et je tâche d’être bien avec lui.

Air : Faut l’oublier !

J’ai peur de lui !... Je me rappelle
Ce qu’il m’a prédit autrefois !
Il a deviné qu’à ma voix
La fortune serait fidèle !
Pour moi, ce jour brillant à lui ;
Sa science n’est plus douteuse !...
Que va-t-il me dire aujourd’hui ?...
À présent que je suis heureuse,
J’ai peur de lui ! j’ai peur de lui !
À présent que je suis heureuse,   }
Bis.
Je l’avouerai, j’ai peur de lui !      }

JEAN.

Est-ce que ce serait un prophète de malheur ?

LA COMTESSE.

J’espère que non !... Duc d’Aiguillon, je vous reverrai dans la journée, n’est-il pas vrai ? Et vous aussi, Messieurs ?

MEAUPOU.

Qui de nous pourrait manquer à un semblable appel ?

LA COMTESSE.

Mon cousin, j’aurai peut-être une grâce à vous demander.

MEAUPOU.

Si la chose est possible, elle est faite ; si elle est impossible, elle se fera.

LA COMTESSE, à Richelieu.

Ah ! monsieur le maréchal, vous êtes vaincu en galanterie.

JEAN.

Ma belle-sœur a raison : cedant arma togœ.

RICHELIEU.

Je ne vous comprends pas.

JEAN.

C’est du fort bon latin. Vos confrères de l’académie vous l’expliqueront, s’ils peuvent.

LA COMTESSE.

Adieu, Messieurs, à tantôt !

RICHELIEU, lui baisant la main.

Je vous recommande les Choiseul.

LA COMTESSE.

Vous les haïssez bien, monsieur le maréchal ?

RICHELIEU.

Presque autant qu’ils vous détestent.

 

 

Scène IV

 

LA COMTESSE, MADAME DE MIREPOIX

 

MADAME DE MIREPOIX.

Comme le duc de Richelieu vous est dévoué !

LA COMTESSE.

Oui, en ce moment il ne m’épargne pas les protestations.

MADAME DE MIREPOIX.

Elles sont sincères.

LA COMTESSE.

Comme autrefois ses serments d’amour.

MADAME DE MIREPOIX.

Pouvez-vous le soupçonner ?...

LA COMTESSE.

Je le connais. Vous le dirai-je, ma chère maréchale, il me caresse trop pour ne pas me préparer quelque méchant tour !

MADAME DE MIREPOIX.

Que pourrait-t-il tenter contre vous ?

LA COMTESSE.

Que sais-je ? Il trouve peut-être que je ne sers pas à souhait son insatiable ambition ; et s’il pouvait mettre en ma place quelqu’un dont le dévouement lui fût plus profitable...

MADAME DE MIREPOIX.

Il échouerait dans une pareille tentative.

LA COMTESSE.

Je l’espère, et je ne négligerai rien pour cela.

UN DOMESTIQUE, annonçant.

M. Cazotte !

LA COMTESSE.

Faites entrer.

 

 

Scène V

 

ADRIEN MIRVAL, LA COMTESSE, CAZOTTE, MADAME DE MIREPOIX

 

CAZOTTE.

Madame, je dépose à vos pieds mon hommage respectueux.

LA COMTESSE.

Soyez le bienvenu, monsieur Cazotte.

CAZOTTE.

J’use de la permission que vous m’avez accordée, en vous présentant un ami, pour qui j’implore votre puissante protection.

LA COMTESSE, examinant Adrien.

Ah !...

ADRIEN, s’inclinant.

Madame...

LA COMTESSE.

Pourquoi Monsieur ne s’est-il pas présenté seul ? Croit-il donc que j’aie oublié mes anciennes connaissances ?

ADRIEN.

Qu’entends-je ?... Ce son de voix...

LA COMTESSE.

Monsieur Adrien Mirval ne se souvient plus de Jenny Vaubernier ?

ADRIEN.

Est-il possible ?... Ah ! Madame, comment soupçonner ?...

LA COMTESSE.

Que j’étais devenue la comtesse du Barry !... Jadis je ne m’en doutais pas plus que vous. Madame la maréchale, Monsieur est un ami de ma première jeunesse, bomme d’honneur, qui m’a autrefois rendu un grand service, et qui a mérité toute mon estime.

MADAME DE MIREPOIX, à part.

Un homme de rien. Quelle imprudence !...

LA COMTESSE.

C’est donc vous que je revois, Adrien ! Des circonstances étranges nous ont séparés depuis bien longtemps, mais je ne suis pas de celles qui revient leurs anciennes affections.

CAZOTTE.

Toujours la même ! Ah ! que ne ferait pas excuser on si bon cœur !

LA COMTESSE.

Monsieur Cazotte dit que je peux vous être utile ; disposez de moi, mon ami. Je me rappelle toujours avec quel courage vous m’avez défendue à ce bal de l’Opéra ! je n’a vais alors ni laquais, ni diamants, ni carrosses : étais-je moins heureuse ? Non sans doute.

ADRIEN.

Eh quoi c’est vous ! Et ce sort brillant qu’on vous envie...

LA COMTESSE.

Si on le connaissait !... À vous, Adrien, je peux ouvrir mon cœur : Oh ! que de vains songes se sont dissipés ! que d’illusions ont été détruites ! Ici, je ne peux pas dire un mot qui ne soit calculé d’avance ; il me faut rire quand bien souvent je voudrais pleurer. Je dois bouder au moment où l’envie me prend d’être d’une gaieté folle. Je me trouve toujours en scène, sans pouvoir jouir un instant du délassement des coulisses. Ah ! mon ami, le fatigant théâtre !

ADRIEN.

Que dites-vous ?

LA COMTESSE.

Et ce n’est pas tout encore ! Je suis contrainte à me mêler des affaires d’État. Il faut que je poursuive les Parlements, qui ne m’ont jamais fait ni bien ni mal ; que j’exaspère le roi contre eux ; et tout cela, à mon profit, peut-être ? Nullement ! Dans l’intérêt de quelques courtisans, je dois, pour eux, attirer sur moi la haine publique ! Ils m’ont persuadée que j’en veux beaucoup au duc de Choiseul ; son exil peut-être sera mon ouvrage, et pourtant je ne le hais point !

CAZOTTE.

Eh bien, Madame, que ne cédez-vous aux inspirations de votre cœur ? pourquoi ne pas employer à un plus noble usage cette influence que vous devez à vos charmes ? Le peuple souffre, il vous accuse, car il ne vous connaît pas : Faites entendre ses plaintes au roi qui vous écoute ; allégez le poids de ses souffrances, et vous empêcherez peut-être de grands malheurs.

LA COMTESSE.

Qu’avons-nous donc à redouter ? Vous lisez dans l’avenir, vous, monsieur Cazotte.

CAZOTTE.

Parce que j’observe le présent.

LA COMTESSE.

Oh ! les Martinistes vous ont initié à tous leurs secrets... On le sait à Versailles.

CAZOTTE.

Oui, l’on me traite de visionnaire, de songe-creux !... Mais s’il était vrai que mon imagination ardente et rêveuse s’élançât quelquefois au-delà du monde réel... Si je découvrais alors...

LA COMTESSE.

Ah ! je vous en prie, ne m’effrayez pas !

CAZOTTE.

Écoutez donc ma voix ! Consacrez au bonheur du peuple un crédit que vous usez dans les intrigues de la cour, et ce peuple vous bénira.

LA COMTESSE.

Eh ! le puis-je ?... Attaquée sans cesse par des ennemis puissants, ne me dois-je pas à ceux qui se déclarent mes amis ? Ne suis-je pas enlacée dans des liens que je ne saurais rompre ? Ah ! qu’ils étaient différents, ces jours où je vous ai connu !

Air : Je loge au quatrième étage.

Je me rappelle encor l’humble retraite
Où le bonheur venait me visiter ;
Et les plaisirs qu’à la pauvre grisette
L’insouciance apportait, sans compter :
Qui me rendra félicité pareille !...
Sans crainte alors s’écoulait mon destin,
Entre un souvenir de la veille,
Un espoir pour le lendemain.

Oui, mon ami, riche d’indépendance et de gaieté, alors je n’avais pas sans cesse près de moi des gens intéressés à épier mes moindres gestes, à interpréter mes discours, à surprendre mes plus secrètes pensées ; je pouvais suivre les penchants de mon cœur, j’étais libre d’aimer et d’être aimée !...

MADAME DE MIREPOIS.

Ma chère comtesse...

LA COMTESSE.

Comtesse !... Ah ! malheureuse, vous m’avez réveillée ! Ne songeons plus à un passé qui ne peut revenir ; c’est trop vous parler de moi, quand je ne devrais m’occuper que de vous. Dites, Adrien, que désirez-vous ? Demandez-vous une place ?

ADRIEN.

Non, Madame, ma modeste aisance suffit à mes besoins.

LA COMTESSE.

Vous êtes poète, dit-on ?

ADRIEN.

Je trouve dans mes travaux littéraires quelquefois du bonheur, et toujours des consolations. J’hésitais, je l’avoue, à profiter de l’offre obligeante de mon ami ; je n’ai cédé qu’à ses instances, et je n’en félicite maintenant. Je croyais ne connaître madame du Barry que par sa réputation.

LA COMTESSE.

Et je vaux mieux qu’elle, n’est-il pas vrai ? Mais, si vous ne demandez rien, quel motif vous amène ici ?

CAZOTTE.

Les dangers qu’il court.

LA COMTESSE.

Des dangers ! Expliquez-vous !

CAZOTTE.

La verve poétique de mon ami l’a peut-être entraîné un peu loin : des vers fort remarquables, mais empreints d’une grande hardiesse, ont attiré sur lui la haine de gens puissants. Le maréchal de Richelieu surtout a cru s’y reconnaître, et je crains pour la liberté du jeune poète.

LA COMTESSE.

Je vois, mon cher Adrien, que vous vous êtes enrôlé parmi les philosophes.

CAZOTTE.

Excusez-le, c’est une tête ardente.

ADRIEN.

Arrêtez, mon ami. Je viens ici demander justice, et non pas un pardon ; je ne renierai point mes sentiments. Ah ! ces idées généreuses, qu’on poursuit aujourd’hui, elles seront bientôt celles de tout le monde.

Air : Aux braves hussards du deuxième.

Le siècle marche, et la philosophie
De l’ignorance un jour doit triompher ;
À ses clartés l’avenir se confie,
Et c’est en vain qu’on les veut étouffer !
Quand le soleil commence son voyage,
Ses feux parfois à nos yeux sont couverts !...
Mais tout-à-coup il perce le nuage,
Et ses rayons fécondent l’univers.

LA COMTESSE.

Avec de semblables idées, vous avez raison de trembler ; Richelieu est vindicatif, et Lavrillière est bien complaisant.

ADRIEN.

Si le malheur ne devait frapper que moi, je ne vous aurais pas importunée ; mais mon sort est lié à celui d’une jeune femme, dont je suis le seul soutien dans le monde.

LA COMTESSE.

Ah ! vous êtes marié ?

ADRIEN.

Pas encore ; mais cela ne tardera pas, j’espère. Une jeune orpheline, bien digne d’être heureuse, si les vertus et la beauté étaient des titres au bonheur, m’a inspiré l’amour le plus sincère et le plus tendre ; la mort de sa grand’mère, en la laissant sans appui, l’a réduite à vivre du travail de ses mains. Puissé-je bientôt l’arracher à cette situation pénible !

LA COMTESSE, rêveuse.

Elle partage vos sentîmes ? vous vous aimez !... Vous êtes bien heureux !

CAZOTTE.

Mais si on l’envoie soupirer à la Bastille ?

LA COMTESSE, souriant.

Ah ! vous avez raison ; il faut prévenir vos ennemis, je m’en charge ! ne craignez rien ; les lettres de cachet du Duc de Lavrillière ne sont pas faites pour mes protégés, et vous êtes le mien maintenant.

ADRIEN.

Que de reconnaissance !...

LA COMTESSE.

Vous ne m’en devez pas : Souvenez vous qu’autrefois vous m’avez défendue. C’est aujourd’hui mon tour. Et qui sait ce que l’avenir me prépare ! qui sait ce qu’il me restera de tant de pouvoir ?...

MADAME DE MIREPOIX.

Vos amis, du moins.

LA COMTESSE.

À la Cour, on ne cultive pas l’amitié, on l’exploite.

UN DOMESTIQUE.

Une jeune fille, qui apporte de riches étoffes, demande si madame la comtesse veut la recevoir.

LA COMTESSE.

Je sais ce que c’est ; qu’elle entre : restez, Messieurs.

 

 

Scène VI

 

ADRIEN, MADAME DU BARRY, CÉCILE, entrant par le fond, des étoffes à la main, MADAME DE MIREPOIX, CAZOTTE

 

LA COMTESSE.

Approchez, Mademoiselle.

ADRIEN.

Que vois-je ?... Cécile !...

CÉCILE.

Adrien !... Ici !...

LA COMTESSE.

Eh bien, voilà je crois, une reconnaissance ? est-ce que Mademoiselle serait...

CAZOTTE.

Celle qu’il aime.

LA COMTESSE.

Je vous fais compliment, mon ami, vos éloges n’étaient point exagérés. Déposez là ces étoffes, ma belle enfant, et ne rougissez pas ainsi : je ne pensais pas que Mme Charpentier m’enverrait une aussi jolie messagère ; mais je l’en remercierai.

CÉCILE.

Une indisposition l’a retenue chez elle, et c’est moi, sa première ouvrière, qu’elle a chargée de venir prendre les ordres de madame la comtesse.

LA COMTESSE.

C’est très bien ; mais nous avons à nous occuper de choses plus importantes, et je bénis le hasard qui vous amène ici. Vous êtes orpheline ?

CÉCILE.

Oui, Madame.

LA COMTESSE.

Monsieur Adrien Mirval vous aime.

CÉCILE.

Il le dit.

LA COMTESSE.

Et vous l’aimez ?

CÉCILE.

Je le crois.

LA COMTESSE.

Vous consentez à l’accepter pour époux ?

CÉCILE.

Il connaît ma réponse. Mais les périls qui le menacent...

LA COMTESSE.

Je me charge de l’en garantir : je ferai plus. La situation où vous êtes n’est pas convenable ; elle va changer, et votre fortune...

ADRIEN, avec embarras.[1]

Arrêtez, Madame, arrêtez, je vous en conjure ! J’accepte l’appui que vous m’offrez contre des ennemis puissants mais daignez borner là vos bienfaits ! Point de fortune ! point de présents ! j’aime Cécile avec ses vertus et sa pauvreté...

LA COMTESSE.

Je vous comprends, Adrien, je vous comprends !... Oui, mes mains ne sont pas assez pures...

ADRIEN.

Madame !...

LA COMTESSE.

C’est un de mes châtiments ! Vous déchirez mon cœur... mais je vous pardonne le mal que vous me faites. Écoutez-moi, mon ami, je n’offrirai point à celle que vous aimez une opulence que repoussent vos scrupules ; mais n’avez vous jamais songé que sa position la livre sans défense à des dangers de tous les jours ? La maison où elle habite est-elle un asile bien sûr contre d’audacieuses entreprises ?

CÉCILE, qui s’est rapprochée.

Ah ! Madame, vous avez bien raison, et c’est ce que monsieur Richard me disait hier encore !

ADRIEN.

Qu’est-ce que monsieur Richard ?

CÉCILE.

Un vieil ami de madame Charpentier, qui depuis peu de temps vient souvent la voir, et qui semble prendre à moi un intérêt tout paternel.

ADRIEN.

Qu’entends-je ?

LA COMTESSE.

Vous le voyez, mon ami, les soupçons qui s’élèvent dans votre cœur vous disent assez que mes craintes ne sont pas sans fondement : il faut donc que, jusqu’à l’instant où vous pourrez conduire cette jeune fille à l’autel, un asile respectable la mette à l’abri de tout péril. Aujourd’hui même elle quittera cette demeure qui ne la protège pas ; sous les auspices de madame la maréchale de Mirepoix, qui voudra bien lui prêter les secours d’un honorable patronage, elle entrera dans un couvent !... Oui, j’espère même obtenir pour elle une place à Saint-Cyr.

CÉCILE.

Ah ! Madame !...

LA COMTESSE.

Elle en sortira que pour porter votre nom ; vous n’aurez à rougir ni l’un ni l’autre, vous serez heureux, et moi je jouirai de votre bonheur.

ADRIEN

Que ne devrons-nous pas à tant de bonté !

LA COMTESSE.

Allons, voilà qui est bien, vous acceptez mes offres... J’ai quelques dispositions à prendre pour l’accomplissement de mes desseins ; laissez près de moi cette jolie enfant, et ne quittez pas encore Versailles. Monsieur Cazotte, revenez me voir dans deux heures, je vous en prie. Adieu, Adrien, je vais m’occuper de vous.

Air : Je saurai bien la faire marcher droit.

Dans peu d’instants, vous viendrez me revoir.

ADRIEN.

Adieu, Madame, je vous quitte.

LA COMTESSE.

Le ciel permet qu’envers vous je m’acquitte,
Et je commence à bénir mon pouvoir.

À l’amitié qui m’inspire aujourd’hui,
Plus qu’à l’amour je suis fidèle ;
Mon cœur, parfois oublieux avec lui,
À de la mémoire pour elle.

ENSEMBLE.

Dans peu d’instants vous viendrez me revoir,
Allez, il faut que je vous quitte ;
Le ciel permet qu’envers vous je m’acquitte,
Et je commence à bénir mon pouvoir.

ADRIEN.

Dans peu d’instants je viendrai vous revoir,
Adieu, Madame, je vous quitte ;
Lorsqu’envers moi son amitié s’acquitte,
Ah ! je lui dois pardonner son pouvoir.

CAZOTTE.

Dans peu d’instants nous viendrons vous revoir,
Et je bénis cette visite ;
Lorsqu’envers lui son amitié s’acquitte,
Nous lui devons pardonner son pouvoir.

CÉCILE.

Dans peu d’instants j’espère le revoir,
Pour nous quelle heureuse visite !
Lorsqu’envers lui votre amitié s’acquitte,
Que nous devons bénir votre pouvoir !

 

 

Scène VII

 

CÉCILE, LA COMTESSE, MADAME DE MIREPOIX

 

CÉCILE.

Je ne sais, Madame, comment vous exprimer ma reconnaissance.

LA COMTESSE.

C’est pour moi que je travaille ; en faisant un peu de bien je me prépare des souvenirs pour la disgrâce. Madame la maréchale, vous consentez à me seconder ?

MADAME DE MIREPOIX.

Que je suis heureuse de m’unir à l’une de vos belles actions ! Oh ! grâce à mes soins, dès aujourd’hui toute la Cour la saura.

LA COMTESSE.

Non, n’en dites rien, on l’empoisonnerait.

À Cécile.

Veuillez demeurer ici un instant, ma chère amie ; je vais écrire quelques ordres que vous porterez à madame Charpentier, et bientôt on ira vous chercher pour vous conduire dans l’asile qui vous est destiné. Voulez-vous m’accompagner, madame la maréchale ? j’ai besoin de m’entendre avec vous.

À Cécile.

Prenez patience, ma belle enfant.

Elles entrent dans le cabinet de toilette.

 

 

Scène VIII

 

CÉCILE, seule

 

Excellente dame !... que de bontés !... Il paraît qu’elle a un grand crédit à la Cour !... Je lui devrai le bonheur de ma vie, et la liberté d’Adrien... Tout ce qui nous arrive ici m’étonne et me confond.

Air : Faisons la paix. (Maison du Faubourg,)

C’est à la cour (bis.)
Qu’un poète trouve assistance,
En frappant les vices du jour !...
Où soutient-on l’indépendance ?...
C’est à la cour !
(bis.)
Qui l’aurait dit ? c’est à la cour !

C’est à la cour (bis.)
Qu’on m’a dit : je prends ta défense
Contre les pièges de l’amour !...
Où protège-t-on l’innocence ?
C’est à la cour !
(bis)
Qui l’aurait dit ? c’est à la cour !

 

 

Scène IX

 

RICHELIEU, CÉCILE

 

RICHELIEU, à part, en entrant.

Mon valet de chambre ne m’a pas trompé : c’est elle ! que vient-elle faire ici ?

CÉCILE, l’apercevant.

Monsieur Richard !

RICHELIEU.

Oui, mon enfant, j’ai appris que vous étiez en ce lieu, et l’intérêt que je prends à vous m’a conduit sur vos pas.

CÉCILE.

Vous êtes bien bon Monsieur.

RICHELIEU.

Quel motif vous a donc amenée au château ?

CÉCILE.

J’avais apporté des étoffes à madame la comtesse du Barry... Oh ! que ce voyage est heureux pour moi !

RICHELIEU.

Comment cela ?

CÉCILE.

Elle veut bien s’intéresser à mon sort ; elle partage les craintes qu’hier encore vous exprimiez à mon sujet, et, par ses soins, je vais entrer dans la maison royale de Saint-Cyr, jusqu’au jour où j’épouserai celui que j’aime.

RICHELIEU.

À Saint-Cyr !...

À part.

Pardieu ! ce n’est pas là mon compte.

Haut.

Je suis bien heureux de ce que vous me dites là... Cette bonne comtesse !...

CÉCILE.

J’ignorais, monsieur Richard, qu’elle fût connue de vous, et le costume où je vous vois aujourd’hui...

RICHELIEU.

Est celui dont j’ai besoin pour approcher d’elle... Son pouvoir à la Cour est grand, elle a pour moi quelque bienveillance dont je profile dans l’intérêt de la vertu : l’amitié que je vous porte m’amène souvent auprès de la comtesse.

CÉCILE.

Vous lui avez parlé de moi ?... Mais quand j’aï prononcé votre nom, elle n’a pas paru le connaître.

RICHELIEU.

Elle a tant d’affaires !... Vous dites donc qu’elle veut vous placer à Saint-Cyr ?

CÉCILE.

Oui, Monsieur.

RICHELIEU.

Tel était aussi le plan que j’avais formé pour votre repos ; mais je cède le soin de votre avenir à un patronage plus efficace que le mien.

CÉCILE.

Comment moi, pauvre orpheline, ai-je pu mériter de tels protecteurs ?

RICHELIEU.

Oh ! il ne tiendra pas à moi que vous n’en trouviez un plus puissant encore.

À part.

Il n’y a pas un moment à perdre ; mais comment la faire disparaître ?

UNE FEMME DE LA COMTESSE, sortant du cabinet.

Mademoiselle, madame la comtesse, retenue par une affaire importante, ne peut vous revoir, comme elle en avait le dessein ; voici une lettre que vous voudrez bien remettre à madame Charpentier, et dans deux heures on ira vous prendre de la part de madame la comtesse.

RICHELIEU, à part.

Dans deux heures !... Quelle idée !

CÉCILE.

Offrez, je vous prie, à ma bienfaitrice, l’expression de ma reconnaissance. Adieu, Monsieur.

RICHELIEU.

À revoir, ma belle enfant ; recevez mes félicitations, et mes souhaits pour votre bonheur.

Il lui donne la main jusqu’à la porte ; la femme rentre, et Richelieu revient sur le devant de la scène.

 

 

Scène X

 

RICHELIEU, seul

 

Oui, c’est cela ! mon valet de chambre exécutera mes ordres ; le drôle est au fait de pareilles aventures. Par dieu, le tour sera piquant !... La petite est charmante, son langage annonce une éducation au-dessus de son état présent ; elle plaira... Ah ! madame du Barry, vous hésitez à me servir ! De concert avec mon cher neveu, vous m’écartez du conseil !... Vous voulez que je me contente de stériles honneurs ? C’est du pouvoir qu’il me faut !... Eh ! bien, on peut vous remplacer dans le cœur du maître !... De l’esprit, de la grâce, dix-huit ans, une figure enchanteresse !... Elle réussira !... Mais si des scrupules bourgeois ?... Nous en triompherons !... Il serait plaisant qu’une fille de rien fît plus de façons qu’une duchesse !... Non, non ! elle me remerciera bientôt de ce que j’aurai fait pour elle, et sa reconnaissance m’aplanira la route !...

Air : Vaudeville de la Robe et les Bottes.

Jadis, du plaisir seul avide,
L’amour m’entraînait au boudoir, 
Mais, à présent, s’il est encor mon guide,
C’est pour me conduire au pouvoir !
Cette carrière, il faut qu’il me la fraie ;
C’est mon seul refuge aujourd’hui !...
N’est-il pas juste qu’il me paie.
De tout ce que j’ai fait pour lui ?

Mettons les instants à profit !... Ah ! songeons aussi à son amoureux !... J’ai plus d’un compte à régler avec lui. Justement, j’entends le gros Lavrillière ; c’est mon bon ange qui me l’adresse.

 

 

Scène XI

 

LE DUC DE LAVRILLIÈRE, RICHELIEU

 

LAVRILLIÈRE, à la cantonade.

Ne m’annoncez pas !... j’attendrai.

RICHELIEU.

Dieu vous garde, mon cher duc.

LAVRILLIÈRE.

Bonjour, Monsieur le maréchal.

RICHELIEU.

J’allais envoyer chez vous pour vous demander un quart-d’heure de votre temps ; mais puisque j’ai le bonheur de vous rencontrer ici...

LAVRILLIÈRE.

Je suis tout vôtre, Monsieur le maréchal, qu’exigez vous de moi ?

RICHELIEU.

Parlons de vous, d’abord. Eh ! bien, mon cher duc, on hésite donc encore à vous donner la surintendance du Languedoc ?

LAVRILLIÈRE.

Hélas ! oui.

RICHELIEU.

C’est une odieuse injustice, et, si vous le désirez, j’en parlerai au Roi.

LAVRILLIÈRE, à part.

Comme il est prévenant ! Il a quelque pensionnaire à loger à la Bastille.

Haut.

Je suis votre obligé, Monsieur le maréchal, et j’accepte vos offres.

RICHELIEU.

Nous vivons dans un triste siècle, mon cher duc ; les plus nobles caractères sont méconnus, les meilleures intentions sont calomniées.

LAVRILLIÈRE.

À qui le dites-vous ? Puis-je ignorer les méchancetés atroces que vomit contre nous tous, cette insolente engeance d’écrivailleurs qui pullule dans Paris ? Tout dépérit, Monsieur le maréchal, on ne nous respecte plus, et vous n’êtes pas tout-à-fait innocent du mal dont nous nous plaignons.

RICHELIEU.

Moi, bon Dieu !

LAVRILLIÈRE.

Oui, je vous l’ai dit bien des fois, vous caressez trop la littérature.

RICHELIEU.

Eh ! bien, si je fus coupable, je veux réparer mes torts, et c’est pour cela que j’ai besoin de vous.

LAVRILLIÈRE.

Commandez, Monsieur le maréchal.

RICHELIEU.

Il y a dans les rues de Paris un jeune poète, inconnu encore, mais spirituel, malin, qui, avant-hier, égaya le salon de ce fou de baron d’Holbach, par un morceau poétique où, dit-on, ce pauvre abbé Terray, vous, mon cher duc, et jusqu’à cette bonne madame, de Langeac ne sont guère épargnés.

LAVRILLIÈRE.

L’impertinent !

RICHELIEU.

J’ai ma part aussi de ses gentillesses, comme vous comprenez, et je voulais vous proposer de loger ce génie naissant sous une des voûtes de la Bastille, jusqu’au jour où il sacrifiera en l’honneur des divinités qu’il n’a pas craint d’insulter.

LAVRILLIÈRE.

Si nous ne l’y gardions que jusqu’à ce moment, le drôle n’y resterait pas longtemps.

RICHELIEU.

Ne vous y trompez pas, c’est un de ces entêtés qui ne savent pas calculer, ça préfère l’indépendance à la fortune.

LAVRILLIÈRE.

C’est donc un sot ?

RICHELIEU.

C’est tout au moins un imbécile. Me refuserez-vous pour lui un carré de papier et une signature ?

LAVRILLIÈRE.

Je suis trop votre ami pour agir de la sorte. Tenez, j’ai toujours sur moi des lettres-de-cachet en blanc ; on ne sait pas ce qui peut arriver, et on est bien aise d’être agréable !... Je vais vous en remettre une... Ah ! duc de Richelieu, comment s’appelle votre protégé ?

RICHELIEU.

Que sais-je ? Est-ce que ces gens-li ont des noms ?

LAVAILLIÈRE.

Il n’a donc pas de famille bien connue ?

RICHELIEU.

Cela ne tient à personne.

LAVRILLIÈRE.

Il pourrira à la Bastille.

RICHELIEU.

Mon dieu, c’est une charité de pourvoir ainsi à tous ses besoins. Donnez, je remplirai la lettre moi-même.

LAVRILLIÈRE.

La voici : voyez, elle porte la marque secrète qui avertira M. de Jumilhac que le détenu est condamné à une prison perpétuelle. Oh ! je ne fais pas les choses à demi, moi !

RICHELIEU.

C’est délicieux ! j’ai des remerciements à vous faire, mon tout aimable duc !

LAVRILLIÈRE.

Pour une bagatelle semblable !... Cela en vaut-il la peine ?

RICHELIEU.

Comptez sur moi auprès de Sa Majesté.

À part.

Allons, les tourtereaux pourront roucouler à leur aise ; je me suis occupé de leurs cages.

Haut.

J’entends du bruit. Mon cher duc, c’est sans doute la déesse du lien, je vous laisse avec elle.

 

 

Scène XII

 

LAVRILLIÈRE, puis LA COMTESSE[2]

 

LAVRILLIÈRE.

Il a l’oreille du Roi : je serais un fou de me brouiller avec lui.

LA COMTESSE, entrant une lettre ouverte à la main.

Que d’insolence !...

LAVRILLIÈRE.

Madame la comtesse...

LA COMTESSE.

Ah ! c’est vous, Monsieur le duc ! pourquoi ne vous a-t-on pas annoncé ?

LAVRILLIÈRE.

Aurais-je voulu vous déranger ?... Mais quel nuage s’est étendu sur ce beau front ? Quel chagrin secret ?...

LA COMTESSE.

Je ne le cache pas, je suis furieuse.

LAVRILLIÈRE.

Quelqu’un vous aurait-il offensée, parlez, Madame, parlez, il couchera à la Bastille.

LA COMTESSE.

Monsieur le duc, vous ne savez ce que vous dites.

LAVRILLIÈRE.

Madame la comtesse est aujourd’hui d’une vivacité charmante ; mais, encore une fois, elle sait si elle peut disposer de moi. Point d’indulgence pour qui l’osa mécontenter ! Veuillez me dire le nom du coupable, et une bonne lettre de-cachet...

LA COMTESSE.

C’est le roi de Prusse.

LAVRILLIÈRE.

Ah ! celui-là n’est pas dans mes attributions.

LA COMTESSE.

Que m’importent, au reste, ses épigrammes ?

LAVRILLIÈRE.

Sans doute, sans doute, il faut bien souffrir...

LA COMTESSE.

Ce qu’on ne peut empêcher, vous avez raison ! mais il en est d’autres que je ne souffrirai pas ; et la duchesse de Grammont...

LAVRILLIÈRE.

Quoi ! la sœur du duc de Choiseul ose encore...

LA COMTESSE.

Rien ne peut briser ce caractère indomptable : exilée par le Roi, elle continue en province le rôle qu’elle jouait à Paris, et voudrait soulever contre moi toute la France !... Elle me hait, parce que je suis jeune et jolie !... Je voudrais que sa haine durât toujours.

LAVRILLIÈRE.

Chaque jour doit l’augmenter.

LA COMTESSE.

Quoi qu’il en soit, je me lasse, à la fin ! J’honorais le caractère et les talents de son frère ; j’hésitais à le perdre !... mais cette femme le veut... Eh ! bien, c’en est fait, la guerre !... Le duc de Choiseul et les parlements qu’il soutient, en paieront les frais.

LAVRILLIÈRE.

Vous avez été trop longtemps magnanime, point de pitié ! tout le monde vous approuvera.

LA COMTESSE.

Oui, tant que je serai la plus forte.

LAVRILLIÈRE.

Madame la comtesse a-t-elle quelques ordres à me donner ?

LA COMTESSE.

Non, monsieur le duc !... Ah ! j’y songe, j’ai une prière à vous adresser.

LAVRILLIÈRE.

Une lettre-de-cachet ?... Je suis tout prêt.

LA COMTESSE.

Au contraire ! Je vous recommande un jeune homme à qui je prends un vif intérêt, il se nomme Adrien Mirval ; j’ai lieu de croire qu’il a de puissants ennemis ; mais si l’on voulait attenter à sa liberté, je vous prie de vous souvenir que je le protège. N’oubliez pas son nom.

LAVRILLIÈRE.

Il suffit, Madame ; recommandé par vous, il est à l’abri de nos poursuites, autant...

LA COMTESSE.

Que le roi de Prusse !... J’y compte, monsieur le duc.

LAVRILLIÈRE.

Quelqu’un vient ; permettez-moi de déposer mes hommages à vos pieds.

UN HUISSIER.

Le roi !

 

 

Scène XIII

 

MADAME DU BARRY, LE ROI, LE DUC DE LAVRILLIÈRE

 

LAVRILLIÈRE.

Sire !...

LE ROI.

Bonjour, monsieur de Lavrillière. Salut à la plus jolie !

LAVRILLIÈRE.

Sa Majesté n’a rien à me commander ?

LE ROI.

Rien, monsieur le duc.

LAVRILLIÈRE.

Je me retire.

 

 

Scène XIV

 

LA COMTESSE, LE ROI

 

LA COMTESSE,

Vous avez été bien longtemps à la chasse, aujourd’hui ?

LE ROI.

Trop, puisque j’étais loin de vous.

LA COMTESSE.

J’aime à voir ce sourire sur les lèvres de Votre Majesté.

LE ROI.

C’est qu’auprès de vous j’oublie tous mes ennuis ; et puis il vient de m’arriver une aventure assez plaisante.

LA COMTESSE.

Vous allez me la raconter ?

LE ROI.

Volontiers. Au moment où je rentrais, le concierge du parc de Versailles s’est humblement approché de moi, un placet à la main ; j’ai cru que cette supplique m’était adressée, point du tout.

LA COMTESSE.

Et à qui donc ?

LE ROI.

À vous, madame la comtesse. Et le brave homme me venait prier de daigner l’apostiller.

LA COMTESSE.

En vérité ?

LE ROI.

Je ne lui ai point refusé ce léger service. La pétition vous sera donc remise ; il s’agit d’une place que ce vieux serviteur demande pour un de ses fils. Aurez-vous égard à ma recommandation ?

LA COMTESSE, souriant.

S’il a des titres, nous verrons...

LE ROI.

Ah ! c’est juste... Eh bien ! dans quelle rêverie soudaine êtes-vous tombée ? vous paraissez soucieuse.

LA COMTESSE.

Je n’en ai que trop sujet.

LE ROI.

L’exil de la duchesse de Grammont vous a vengée de ses impertinences.

LA COMTESSE.

Que le diable emporte cette pécore ! Si elle et son frère n’attaquaient que moi, j’en rirais.

LE ROI.

Vous m’étonnez ! Leur audace viserait-elle plus haut ?

LA COMTESSE.

Tenez, lisez cette lettre qu’elle adresse à un président à mortier du parlement de Toulouse. Un serviteur dévoué s’en est emparée, et me l’a remise.

LE ROI, parcourant la lettre.

Sur mon âme, voilà une pièce curieuse !... Mais c’est de la rébellion.

LA COMTESSE.

Que vous en semble ?

LE ROI.

Ils s’entendent tous pour me tourmenter. Je ne serai jamais tranquille, tant que ces maudites robes noires conserveront le pouvoir dont mes aïeux les ont investies.

LA COMTESSE.

Ah ! si j’étais le roi !

LE ROI.

Que feriez-vous ?

LA COMTESSE.

Je chasserais dans vingt-quatre heures, et les parlements, et tous ceux qui les soutiennent.

LE ROI.

Allons, faites comme les autres, forcez-moi à quelque imprudence, qui attire sur moi la haine de la France entière ! Les parlements ont la nation pour eux.

LA COMTESSE.

C’est avec un fouet que les gouvernait Louis XIV.

LE ROI.

Louis XIV était jeune, il était victorieux !... et moi...

LA COMTESSE.

Si vous avez quelques cheveux blancs, ils sont cachés sous les lauriers de Fontenoy.

LE ROI.

Que d’années se sont écoulées depuis ce temps !

LA COMTESSE.

Un de vos ministres ! conspirer aussi ouvertement.

LE ROI.

Oh ! cela n’est point prouvé ! La duchesse de Grammont est une insensée qui compromet son frère ; mais le duc de Choiseul...

LA COMTESSE.

Est d’accord avec les parlements pour affaiblir votre autorité.

LE ROI.

Si je le croyais ?... Peste soit de ceux qui prennent plaisir à me faire haïr l’existence ! Mon dieu, que je méprise les hommes !

LA COMTESSE.

Et que vous avez raison !

LE ROI.

Oh ! votre sexe ne vaut pas mieux, je vous en avertis.

LA COMTESSE.

Bien obligée ! En vérité, vous êtes galant aujourd’hui.

LE ROI.

Là ! là, ne vous fâchez pas !... Si vous m’abandonniez, où trouverais-je les consolations dont j’ai tant besoin ? Savez-vous qu’au milieu de tous ces tracas, j’ai peur quelque fois de ne pas rendre mon peuple heureux ?

LA COMTESSE.

Chassez ceux qui égarent les esprits, et tout rentrera dans l’ordre.

LE ROI.

Cette antique magistrature, entourée de la vénération des siècles...

LA COMTESSE.

Monsieur de Meaupou vous en achètera une autre.

LE ROI.

Mais achète-t-on l’estime publique ?

LA COMTESSE.

Ah bah ! ils s’en passeront.

LE ROI.

L’opinion doit être respectée.

Air : de Téniers.

Contre sa voix où trouver un refuge ?
Elle prononce, et le faible est vengé !
Oui, croyez-moi, le magistrat qui juge,
Sous la simarre, à son tour, est jugé !
Tout lui répète : Ayez un nom sans tache !
Par des vertus, sachez vous signaler !
La loi périt, quand le mépris s’attache
À l’homme qui la fait parler.

LA COMTESSE.

Au reste, faites comme vous l’entendrez ! Laissez-vous braver par les vieilles robes noires, attaquer par le duc de Choiseul, cela vous regarde ; moi je m’en soucie comme d’un vertugadin de l’an passé.

LE ROI.

Quand je m’arrache à l’ennui des affaires, est-ce donc pour le retrouver près de vous ? Toujours les Choiseul ! toujours les Parlements !... Cette jolie bouche ne saurait elle parler d’autre chose ?

LA COMTESSE.

Pouvez-vous m’en vouloir de songer à votre gloire ?

LE ROI.

C’est du bonheur que je vous demande.

LA COMTESSE.

Peut-on donner ce qu’on n’a pas ?

LE ROI.

Ah ! le mot est bien dur !... Vous aussi, seriez-vous ingrate ?

LA COMTESSE.

Non, Louis, non ! pardonnez-moi. Vous le savez, je n’ai point appris à farder ma pensée ; je me montre à la Cour, telle que la nature m’a faite.

LE ROI.

Et c’est par là que vous me charmez. Je ne vois autour de moi que des poupées à ressorts, dont l’étiquette et l’intérêt règlent tous les mouvements ; mais vous, par la piquante originalité de vos saillies, par l’étrange naïveté de vos manières, vous me transportez dans un monde nouveau, et j’oublie à vos côtés la fatigante uniformité des automates qui m’environnent.

LA COMTESSE.

Je pourrais recourir aux armes ordinaires de mon sexe ; car je sais, au besoin, pleurer et m’évanouir comme une autre.

LE ROI.

Mais vous dédaignez de semblables ressources.

LA COMTESSE.

Oui, quand vous n’êtes pas aimable, je préfère vous gronder.

LE ROI.

Ai-je donc cessé de l’être ?

LA COMTESSE.

Il paraît que non, puisque je vous aime toujours. Gardez votre Choiseul, gardez vos Parlements, je ne vous en parlerai plus. On dira peut-être qu’ils vous font peur ?

LE ROI.

Peur !

LA COMTESSE.

Moi, je ne le croirai pas ; mais, eux, ils pourront le penser.

LE ROI.

S’ils osaient concevoir une pareille idée !...

LA COMTESSE.

De bonne foi, que voulez-vous qu’ils imaginent ? Vous ont-ils assez bravé dans l’affaire du duc d’Aiguillon ?

LE ROI.

Il est vrai qu’ils ont été d’une insolence !...

LA COMTESSE.

Et le duc de Choiseul ? Vous a-t-il accompagné quand vous avez paru au lit de justice ?

LE ROI.

Non ! Son devoir l’appelait auprès de moi, et il s’en est abstenu.

LA COMTESSE.

C’est qu’il aimait mieux vous mécontenter, que de se brouiller avec les robes noires. Il se range du côté de la puissance.

LE ROI.

M’ont-ils donc dérobé la mienne ?

LA COMTESSE.

Ils sont en bon chemin.

LE ROI, après avoir réfléchi un instant.

Mais sa chute désorganiserait toute ma diplomatie.

LA COMTESSE, riant aux éclats.

Sa diplomatie !... voilà une belle affaire !... Persuadez-lui qu’il est indispensable, et bientôt il vous croira inutile.

LE ROI.

Vous êtes une bien dangereuse ennemie !

LA COMTESSE, lui tendant la main.

Moins que je ne suis amie dévouée.

LE ROI, baisant sa main.

Je le sais !... Mais voyez, voici l’heure du conseil, et tout le temps s’est passé à nous occuper de ces ennuyeuses gens.

LA COMTESSE.

Eh bien ! qu’ils partent, et il n’en sera plus question.

LE ROI.

Vous en parlez à votre aise ! Mais les criailleries de la ville et de la cour ?

LA COMTESSE.

Vous laisserez crier.

LE ROI.

Les quolibets de tout genre ?

LA COMTESSE.

Nous en rirons, s’ils sont plaisants.

LE ROI.

Et les chansons ?

LA COMTESSE.

Je vous les chanterai, et cela vous divertira.

LE ROI.

Vous avez réponse à tout.

LA COMTESSE.

Et vous, peur de tout.

LE ROI.

Ah ! je ne sais que trop disposé à suivre vos avis !... Nous verrons : il faut que je vous quitte ; plaignez-moi beaucoup, et aimez-moi un peu !

LA COMTESSE.

Puis-je faire autrement ?

LE ROI.

Je reviendrai après le conseil, vous me recevrez ?

LA COMTESSE.

Jamais assez tôt.

Elle conduit le roi jusqu’à la porte du fond, et revient en sautant.

 

 

Scène XV

 

LA COMTESSE, seule

 

Saute, Choiseul ! saute, Praslin ! sautent les parlements !... Tout déménagera ensemble. Encore une attaque, et la victoire est à nous !... Ah ! madame de Grammont, vous apprendrez à me ménager !... Et vous, notre cousin de Prusse, j’accepte votre impertinent sobriquet : oui, vous aurez dit vrai, le règne de Cotillon III a commencé !

Air : Pourquoi me réveiller. (Galopade du Gentilhomme de la Chambre.)

Enfin, dans cette cour,
C’est moi qui règne,
Qu’on me craigne !
Ma main s’arme à son tour
De ce sceptre offert par l’amour.

De nouveaux courtisans
À mes pieds vont se rendre ;
Combien je vais entendre
De propos séduisants !
La raison vient tout bas
Me dire ; l’on t’abuse !
Mais l’esprit s’en amuse,
Quand le cœur n’y croit pas.

Enfin, dans cette cour, etc.

Je brave vos affronts,
Ô mes nobles rivales !
Sous les faveurs royales,
Vous courberez vos fronts !
Vous qui me haïssez,
D’où vient tant de colère ?
Le trône à qui sait plaire !...
Je plais !... obéissez !

Enfin, dans cette cour, etc.

UN DOMESTIQUE, annonçant.

Monseigneur le chancelier, monsieur le duc d’Aiguillon, M. le maréchal de Richelieu, monsieur le comte du Barry.

Ils entrent.

 

 

Scène XVI

 

RICHELIEU, D’AIGUILLON, LA COMTESSE, MEAUPOU, JEAN DU BARRY

 

LA COMTESSE.

Arrivez, Messieurs, arrivez.

MEAUPOU.

Ma belle cousine, nous nous rendons à votre invitation.

LA COMTESSE.

Et je vous en remercie : nous dînerons ensemble. J’ai de bonnes nouvelles à vous annoncer.

MEAUPOU.

Les parlements...

LA COMTESSE.

Voyageront.

RICHELIEU.

Choiseul ?

LA COMTESSE.

Ira respirer l’air de Chanteloup.

JEAN.

L’abbé Terray m’ouvrira son coffre ?

LA COMTESSE.

Tout le monde sera content.

D’AIGUILLON.

Excepté ceux qui partent.

JEAN.

Et ceux qui paient.

LA COMTESSE.

Je ne me sens pas de joie !... Bientôt tout sera dit ! Rendez grâces à la duchesse de Grammont, à ses impertinences, Messieurs.

RICHELIEU.

Admirable duchesse !... je l’embrasserais !

LA COMTESSE.

Nous savons que M. le maréchal a du courage.

UN HUISSIER, entrant un riche écrin à la main.

De la part de Sa Majesté, madame la comtesse.

LA COMTESSE, prenant l’écrin des mains de l’huissier gui se retire.

Donnez, Monsieur, je vous remercie.

Elle examine les diamants.

La magnifique parure !... Ce pauvre Louis ! je l’ai bien grondé, bien tourmenté !... et il veut faire la paix !... Que ces diamants sont beaux !

MEAUPOU.

Encore un chagrin pour vos nobles rivales.

LA COMTESSE.

Et par conséquent deux plaisirs pour moi !

UN DOMESTIQUE, annonçant.

Monsieur Cazotte !

LA COMTESSE.

Qu’il entre.

 

 

Scène XVII

 

RICHELIEU, LE DUC D’AIGUILLON, CAZOTTE, LA COMTESSE, MEAUPOU, JEAN DU BARRY

 

LA COMTESSE.

Je suis charmée de vous revoir, mon cher monsieur Cazotte : je vous retiens à dîner, vous nous chanterez les jolis couplets que vous avez composés pour le duc de Bourgogne, vous nous direz quelqu’un de ces contes merveilleux que vous débitez si bien.

CAZOTTE.

Que madame la comtesse me pardonne : j’ai le cœur oppressé ; de bien tristes nouvelles...

LA COMTESSE.

Qu’est-ce donc ?

CAZOTTE.

Je ne sais si je dois...

LA COMTESSE.

Parlez, je l’exige.

CAZOTTE.

Les malheureux habitants du village où je naquis, ruinés par un hiver rigoureux, par de mauvaises récoltes, n’ont pu acquitter les tailles, et la prison...

JEAN.

Eh palsembleu ! c’est juste ! Si ces manants-là s’accoutumaient à ne pas payer, où l’abbé Terray prendrait-il de l’argent ?

CAZOTTE.

Quelques-uns ont osé résister aux employés des gabelles, et je crains.

LA COMTESSE.

Monsieur Cazotte, prenez ces diamants, qu’ils soient vendus, que le prix en soit distribué à ces malheureux : je me charge d’obtenir leur grâce.

CAZOTTE.

Ah ! Madame !...

LA COMTESSE.

Prenez, vous dis-je, je ne veux pas qu’ils restent un instant de plus dans mes mains !

JEAN.

Mais, ma chère sœur, y songez-vous ? Que dira le roi ?

LA COMTESSE.

Ah ! tous les diamants de la couronne ne valent pas une larme du pauvre.

RICHELIEU, à part.

La fille de rien perce à chaque instant.

LA COMTESSE.

Qu’il n’en soit plus question, monsieur Cazotte ; je compte sur vous. Mais que nous veut mon protégé ?

 

 

Scène XVIII

 

RICHELIEU, LE DUC D’AIGUILLON, CAZOTTE, LA COMTESSE, ADRIEN, MEAUPOU, JEAN DU BARRY

 

ADRIEN.

Je viens, Madame, vous témoigner toute ma reconnaissance : vos intentions bienveillantes ont été remplies ; et Cécile est partie il y a peu d’instants.

LA COMTESSE.

Cécile ! partie !

ADRIEN.

On est venu la chercher de votre part.

RICHELIEU, à part.

Mes ordres ont été exécutés.

LA COMTESSE.

Mais je n’ai point encore envoyé !

ADRIEN.

Comment ?

LA COMTESSE.

Non ! distraite par d’autres affaires, j’ai négligé celle-là, et j’allais m’en occuper.

ADRIEN.

Grand Dieu !

LA COMTESSE.

Qui donc a osé se servir de mon nom ?

JEAN.

Ah ! ah ! un enlèvement !... La petite est-elle jolie ?

LA COMTESSE.

Trêve de plaisanteries, monsieur le comte ! Je protège et j’estime ce jeune homme ; on lui a ravi celle qu’il aime, il faut qu’on la retrouve ; il le faut, je le veux !

ADRIEN.

Oh ! Madame, ne m’abandonnez pas, je vous en conjure !

RICHELIEU.

Vous avez affaire, jeune homme, à quelque adroit séducteur.

LA COMTESSE.

Quel qu’il soit, si je le découvre, son audace ne restera pas impunie.

RICHELIEU.

Et vous aurez raison ! C’est une véritable horreur.

LA COMTESSE.

Monsieur de Meaupou, j’espère que vous voudrez bien seconder nos recherches : Comte Jean, partez, mettez vous en quête, c’est sur vous que je compte pour les premières démarches.

JEAN, passant entre la comtesse et Adrien.

Palsembleu ! voilà du nouveau !

Air : Contentons-nous.

Qui ? moi, poursuivre une belle enlevée !
Aux attentats dérober sa vertu !
La rendre, après que je l’aurai sauvée !...
Jean du Barry, de quoi te mêles-tu ?
Pour l’innocence on veut que tu travailles ;
Tu vas commettre... une bonne action !...

À la comtesse.

N’en dites rien !... Votre frère à Versailles
Serait perdu de réputation...

C’est égal !... j’y consens ! je vais trouver Sartines, et, avec l’aide de Dieu et des mouchards, nous réussirons.

ADRIEN.

Je vais me joindre à vous, Monsieur.

JEAN.

Un amoureux !... allons donc, vous gâteriez tout. Sarpedié ! le ravisseur sera bien adroit si je ne déterre votre belle !

RICHELIEU, à part.

Ce soir, l’amoureux couchera à la Bastille.

ADRIEN, à Jean.

Ah ! Monsieur, souffrez que je vous accompagne : venez, venez, ne perdons pas un instant : qu’on me rende Cécile ou qu’on prenne ma vie !

RICHELIEU, à part.

Va la chercher dans le Parc aux Cerfs.

Final du deuxième acte de Jérôme. (Arrangé par M. Doche.)

ADRIEN.

Partons, Monsieur, je vous en prie,
Et poursuivons le suborneur !
Venez, celle qu’on m’a ravie,
En moi doit trouver un vengeur.

JEAN.

Cherchons la beauté sans pareille,
Qu’un méchant veut vous enlever.

ADRIEN.

Je le tuerai !

JEAN.

C’est à merveille !
Mais d’abord il faut le trouver.
(bis.)

Ensemble.

LA COMTESSE.

Partez, courez, je vous en prie,
Et poursuivez le ravisseur ;
J’approuve, j’approuve sa juste fureur.
Rendez-lui Cécile, Cécile et l’honneur !

ADRIEN.

Ô ciel ! à ma juste furie,
Daigne livrer le ravisseur ;
Qu’il tombe, qu’il tombe sous mon bras vengeur !
Et rends-moi Cécile, Cécile et l’honneur !

JEAN.

Partons, partons, puisqu’il m’en prie,
Et poursuivons le ravisseur !
J’approuve
(bis.) sa juste fureur ;
Rendons-lui Cécile, Cécile et l’honneur !

CAZOTTE, D’AIGUILLON, MEAUPOU.

Partez, courez, je vous en prie,
Et poursuivez le ravisseur !
J’approuve
(bis.) sa juste fureur ;
Rendez-lui Cécile, Cécile et l’honneur !

RICHELIEU, à part.

Partez ; ô la bonne folie !
Mais, croyez-moi, le ravisseur
Se moque
(bis.) de votre fureur.

 

 

ACTE II

 

Le Théâtre représente les délicieux jardins du Parc, aux Cerfs. Un pavillon ouvert sur la salle, et dont la porte est sur le théâtre, est à gauche sur le devant. On voit dans le fond, à droite, l’entrée de la maison. Cette entrée est praticable.

 

 

Scène première

 

CÉCILE, dans le pavillon, MATHILDE, HORTENSE, EULALIE, MARIE, JEUNES FILLES, dans le jardin

 

Au lever du rideau, Cécile est assise dans le pavillon. Une douzaine de jeunes filles sont groupées sur le théâtre ; elles tressent des bouquets. À droite, sur le devant, Mathilde, plus richement parée, est seule assise, le front appuyé sur ses mains, dans l’attitude de la tristesse.

CHŒUR DES JEUNES FILLES.

Air : Chœur des jeunes filles dans le Freyschutz.

Que de doux plaisirs
Charment nos loisirs
Dans ce lieu qui nous rassemble !
Sur ces frais gazons
Dansons, et chantons
Le bonheur d’être ensemble.
Chaque jour,
Dont l’éclat nous éveille,
Livre ce séjour
Aux plaisirs de la veille.

CÉCILE, dans le pavillon.

Quel délicieux séjour ! tout y charme le cœur et les yeux : c’est sûrement Saint-Cyr !... Ma protectrice me l’avait promis ; elle aura obtenu une place pour moi dans cette maison royale.

Elle s’approche d’une toilette, dans le pavillon, trouve un papier et un écrin, elle lit.

« Pour Cécile... »

Elle ouvre l’écrin.

Quoi ! pour moi ces perles magnifiques !

Elle se frotte les yeux.

Je ne rêve pas !... Non !... Essayons tout cela. Oh ! que c’est beau !

EULALIE, à Mathilde qui est seule assise à l’écart.

Venez donc, Madame, vous distraire avec nous ?

MATHILDE porte des diamants et un manteau de cour.

Madame !... Ah ! oui ! Les jeux, les plaisirs, le repos, tout est perdu pour la pauvre Mathilde ! tout !

EULALIE.

Chère amie, qu’avez-vous ?

Mathilde, sans répondre, se jette dans ses bras et pleure.

CÉCILE, regardant par la persienne.

Que vois-je dans ces jardins ?... Ah ! sortons !

Mouvement de curiosité parmi les jeunes filles.

C’est une compagne qui vient au milieu de vous demander amitié et protection.

MARIE.

Une rivale !... Qu’elle est belle !

MATHILDE.

Une victime !... Qu’elle est jeune !

On entoure Cécile.

EULALIE.

Êtes-vous ici depuis longtemps ?

CÉCILE.

Depuis hier.

HORTENSE.

Mais il me semble l’avoir déjà vue.

EULALIE.

Moi aussi !

TOUTES.

Moi aussi ! moi aussi !

CÉCILE, plongée dans la rêverie.

Suis-je transportée dans un palais de fée ?

MATHILDE, bas à Cécile.

Prenez garde à vous !

MARIE.

J’y suis ! j’y suis ! c’est son portrait que nous avons vu : il est là, dans le pavillon.

Elle va ouvrir la porte.

C’est bien elle ! voyez !

CÉCILE.

Comment mon portrait est-il ici ?

EULALIE.

Je ne sais ; mais depuis plusieurs années j’avais remarqué ce tableau parmi tous ceux qui remplissent les appartements.

CÉCILE.

Depuis plusieurs années ! Ce n’est donc pas mon portrait ? Le hasard a sans doute produit une ressemblance qui m’avait presque effrayée comme une chose impossible : il y a tant de merveilles ici !... Je croyais que le costume était noir, et la règle de la maison bien sévère.

MARIE.

Nous ne voyons personne ; nos travaux occupent toutes nos journées.

CÉCILE.

Oui, je le sais ; en sortant d’ici, on devient par ses vertus et ses talents l’ornement du monde, l’orgueil de sa famille et de l’époux qu’on choisit. Je serai enfin digne d’Adrien.

MATHILDE, à part.

Comme ils ont abusé son innocence !

EULALIE, souriant.

Ah ! Adrien !... Qui est cela ?

MATHILDE, bas à Cécile qui va parler.

Ne le nommez point ici !

CÉCILE.

Ah ! sans doute, l’amour est un tort qu’on ne connaît pas dans ce séjour !... Que le ciel me pardonne ! Il m’avait ôté tous les biens de la vie, rang, fortune, famille !... J’ai cru qu’il m’avait donné le cœur d’Adrien pour me dédommager, et je ne lui demandais plus rien.

MATHILDE, bas à Cécile.

En prononçant son nom, vous l’exposez à des dangers...

CÉCILE.

Des dangers !... Que dites-vous ?... Ah ! il n’en court déjà que trop !... Soyez mon guide, soyez l’amie de la pauvre Cécile.

MATHILDE, à elle-même.

Je voudrais la secourir : mais le pourrai-je ?... Silence !

Les jeunes filles qui étaient allées chuchoter dans le jardin se rapprochent. On entend la cloche.

CHŒUR DE JEUNES FILLES.

Air : Entendez-vous ? c’est le tambour. (de M. Doche.)

Entendez-vous ? entendez-vous ?
De rentrer toutes, voici l’heure.
Entendez-vous ? entendez-vous ?
De ces jardins éloignons-nous.

MARIE.

Que nulle en ce lieu ne demeure !
La cloche nous dit que déjà
De nos plaisirs a passé l’heure ;
Mais ces moments, qu’elle abrégea,
C’est elle qui nous les rendra.

CHŒUR.

Entendez-vous ? etc.

Elles entrent dans la maison placée dans le fond à droite. Le roi et Richelieu entrent de l’autre côté ; Richelieu dit un mot à l’oreille d’un des laquais, qui sort du côté des jeunes filles.

 

 

Scène II

 

RICHELIEU, LE ROI

 

LE ROI.

Mon cher duc, voyez donc fuir devant nous ce joli escadron !

RICHELIEU.

Ceux de Frédéric sont moins redoutables.

LE ROI.

Je suis vraiment curieux de savoir si cette jeune beauté est aussi merveilleuse que vous le dites, mon cher maréchal.

RICHELIEU.

Mon enthousiasme m’a emporté, et ce n’est pas la première fois que j’aurai eu à me repentir de mon indiscrétion avec Votre Majesté.

LE ROI.

Allons donc, ne deviendrez-vous jamais sage ? À votre âge il faudrait être constant, et madame de Saint-Vincent devrait vous avoir fixé.

RICHELIEU.

N’est pas constant qui veut, Sire. Dans la jeunesse, nous changeons parce que nous quittons les choses, et plus tard, parce qu’elles nous quittent.

LE ROI.

Parlons de cette jeune Cécile : qui est-elle ? N’y a-t-il pas quelque parent qui puisse se plaindre ?

RICHELIEU.

Orpheline ! et pour seul protecteur un pauvre homme de lettres.

LE ROI.

Hem ! je n’aime pas à me faire des ennemis de ces gens là ! Ils traitent avec les grands de puissance à puissance ; ils finiront par devenir quelque chose, si l’on n’y prend garde.

RICHELIEU.

Heureusement, on peut s’arranger avec eux : il y a des tarifs pour toutes les consciences.

LE ROI.

Vous croyez ?

RICHELIEU.

On aurait pu gagner Socrate et Caton eux-mêmes avec cent mille écus et un gouvernement. Il n’y a que cette mauvaise tête de Sainte-Foix...

LE ROI.

Vous m’en parlez souvent, duc de Richelieu, et ce nom me déplaît, pour plus d’une raison, vous ne l’ignorez pas.

RICHELIEU.

Pardonnez-moi, Sire, j’oubliais que la comtesse du Barry...

LE ROI.

Oui, elle l’a connu autrefois, elle n’avait que quinze ou seize ans : je sais qu’il m’a précédé dans ses affections.

RICHELIEU.

Comme Pharamond a précédé Votre Majesté sur : le trône de France.

LE ROI.

Ah !... Auriez-vous le projet de nuire à la comtesse ?

RICHELIEU.

Dieu m’en garde !... À la Cour, on respecte les droits acquis.

LE ROI.

À-peu-près comme les services rendus.

RICHELIEU.

Et, pour le prouver, Sire, je vous engage à ne point manquer à ce que vous devez à la comtesse, et à sortir d’ici sans voir la jeune Cécile. Cette conduite, digne d’un sage...

LE ROI, souriant.

Oh ! moi, je ne me pique pas d’être philosophe.

RICHELIEU.

Et cependant, Votre Majesté a tant de philosophie !...

LE ROI.

Encore !

RICHELIEU.

Excusez-moi !...

À part.

Ah ! j’aperçois mon auxiliaire.

LE ROI.

Dieu ! quelle charmante personne !

 

 

Scène III

 

LES MÊMES, CÉCILE, précédée du laquais que Richelieu avait envoyé

 

Air : De la Maison de plaisance.

LE ROI.

La voilà ! (bis.)
Dieu ! comme elle est jolie !...

RICHELIEU.

Je la trouve embellie !...

LE ROI.

Quel trouble je sens là !

CÉCILE.

Auprès de vous on m’a dit de paraître,
Messieurs, et j’accours sans retard.

LE ROI.

Quelle espérance en mon cœur vient de naître !

CÉCILE.

Que vois-je ?... c’est Monsieur Richard !...

RICHELIEU.

Approchez !... Pourquoi vous contraindre ?

CÉCILE.

Ah ! Monsieur !...

LE ROI.

Vous ferais-je peur ?

CÉCILE.

Amené par mon protecteur,
Auprès de vous que puis-je craindre ?
Près de vous je n’ai rien à craindre !

Ensemble.

CÉCILE.

Me voilà ! (bis.)
Mon âme est attendrie !
Craindre !... quelle folie !
Mon protecteur est là !

LE ROI.

La voilà ! (bis.)
Dieu ! comme elle est jolie !
Mon âme est attendrie !...
Quel trouble je sens là !

RICHELIEU.

La voilà ! (bis.)
Je la trouve embellie !...
Celle qui m’humilie,
À son tour me craindra.

RICHELIEU.

Oui, ma belle enfant, c’est moi qui vous amène un nouveau protecteur.

CÉCILE.

Encore un !

LE ROI.

Vous tremblez, Mademoiselle !

CÉCILE.

Non, Monsieur : je sens au contraire mon trouble se calmer près de vous. Vos traits respirent la bonté.

RICHELIEU.

Monsieur veut bien s’intéresser à votre sort ; il n’est pas sans quelque pouvoir ici, et je vais m’informer si l’on a eu pour vous tous les soins, tous les égards que vous méritez.

CÉCILE.

Vous me quittez ?

RICHELIEU.

Pour quelques instants. Ne vous alarmez pas.

À part, en sortant.

Ah ! madame du Barry, vous apprendrez si je suis à redouter !

 

 

Scène IV

 

CÉCILE, LE ROI

 

LE ROI.

Comme vous êtes émue ! Pourquoi cette inquiétude ? Parlez sans crainte, Mademoiselle : c’est un ami qui vous en prie ! N’êtes-vous pas venue ici volontairement ?

CÉCILE.

C’est un grand bonheur pour moi qu’on m’ait jugée digne d’entrer dans cette maison respectable !

LE ROI.

Ah !...

CÉCILE.

J’avais souvent entendu parler de Saint-Cyr.

LE ROI.

Saint-Cyr !...

CÉCILE.

Que de nobles souvenirs s’éveillent à ce nom ! Qu’il est glorieux pour un roi d’offrir ainsi un asile à l’innocence !

LE ROI, à part.

Que dit-elle ?... Je rougis malgré moi !

CÉCILE.

Je suis entrée ici avec plaisir, et, je l’avouerai, l’idée qu’un jour peut-être j’y verrais le roi, ajoutait à ma joie.

LE ROI, se remettant, et lui prenant la main.

Vous l’aimez donc ?

CÉCILE.

Sans doute, Monsieur, je l’aime ! Que ne dois-je pas à ma généreuse protectrice pour m’avoir rapprochée de lui !

LE ROI, étonné.

Et quelle est cette protectrice ?

CÉCILE.

Madame la comtesse du Barry.

LE ROI, étonné, il laisse la main de Cécile.

La comtesse !

À part.

Il y a là-dessous quelque étrange quiproquo !...

CÉCILE.

Vous vous étonnez qu’une pauvre fille comme moi lui inspire de l’intérêt ! C’est par affection pour Adrien que la comtesse me protège.

LE ROI, de plus en plus surpris.

Qui est cet Adrien ?

CÉCILE.

C’est le plus aimable de tous les hommes !

LE ROI.

Ah !... Et la comtesse le protège aussi ?

CÉCILE.

Bien plus que moi ; car elle le connaît depuis plus longtemps, et j’espère qu’elle le sauvera de la Bastille qui le menace.

LE ROI.

C’est sans doute quelque mauvais sujet ?

CÉCILE.

Ah ! Monsieur ! pourquoi cette idée ?

LE ROI.

Puisqu’on va le punir, il est donc punissable ?

CÉCILE.

Pensez-vous, Monsieur, que tous ceux qu’on enferme par ordre du roi soient véritablement coupables ? N’abuse-t-on pas de ce nom sacré ?

LE ROI, vivement.

Comment !... on en abuse !

CÉCILE.

Vous devez le savoir mieux que moi, Adrien me l’a dit souvent ; les lettres-de-cachet dont on fait un si fréquent usage...

LE ROI.

Vous êtes la première qui m’ayez dit de semblables choses : je croyais, moi, que tout marchait régulièrement dans... le royaume.

CÉCILE

Monsieur veut rire !

LE ROI.

Non, certes !

CÉCILE.

Ne venez-vous jamais à Paris ? ou la vérité n’arrive-t-elle jamais à Versailles ?

LE ROI.

Parlez, Mademoiselle, parlez, je veux tout savoir.

CÉCILE.

Le seul tort d’Adrien est d’avoir dit la vérité ; en parlant avec franchise, peut-être me perdrai-je sans le sauver.

LE ROI.

Cette crainte m’offense !

Très doucement parce qu’il la voit effrayée.

Rassurez-vous, belle Cécile, le roi lui même serait heureux d’entendre la vérité d’une si jolie bouche ! qui ne serait sensible à tant de naturel, de charme et de grâces ! oui, parlez : cet effroi que vous ne pouvez cacher, ces confidences involontaires, l’intérêt que vous m’inspirez, me donnent le droit de vous interroger. Il en est de la confiance comme de l’amour ; il ne faut rien lui accorder si on veut lui refuser quelque chose.

CÉCILE.

En vous voyant, Monsieur, mon cœur s’est trouvé dis posé à cette confiance que vous souhaitez : mais l’avouerai-je ? il y a, dans la frayeur qui trouble mon esprit, quelque chose d’indéfinissable dont je ne puis me rendre compte à moi-même !... Pourtant, Monsieur, ne croyez pas la pauvre Cécile sans force et sans courage ! J’ai travaillé six mois seule près du lit de ma vieille grand mère mourante ; et, quand je l’eus perdue, quand il ne me resta plus rien au monde, et qu’Adrien, Adrien, celui que j’aimais, me dit : Viens avec moi, Cécile ! Je refusai !... car la vertu vaut mieux que le bonheur.

LE ROI, avec émotion.

Chère enfant !

CÉCILE.

Vous le voyez, Monsieur, j’ai pu supporter la misère, j’ai su résister à l’amour : il me semblait qu’après cela rien ne me coûterait ; et maintenant je devrais être si heureuse !... Adrien veut m’épouser ; madame du Barry, cette grande dame qui, dit-on, parle au roi comme je vous parle, Monsieur, protège Adrien contre ses ennemis : elle a même promis de nous marier quand mon éducation aura été achevée dans cette maison.

LE ROI.

Dans cette maison !... Tout ce que vous ne dites, Mademoiselle, m’étonne au dernier point, et j’ai peine à comprendre...

CÉCILE.

Qu’il me reste encore de l’inquiétude, n’est-ce pas ? Je ne le comprends pas moi-même ; mais écoutez ! je ne veux rien vous cacher !... Toutes les craintes qui troublaient ma grand’mère sur son lit de mort, tout ce qu’elle m’a dit des dangers que je pouvais courir se présente maintenant à mon esprit.

LE ROI.

Quels dangers ?...

CÉCILE.

Ceux qui ont conduit ma mère au tombeau.

LE ROI.

Votre mère !...

CÉCILE.

Oui, Monsieur, elle fut enlevée.

LE ROI.

Enlevée !...

CÉCILE.

Sans qu’on ait jamais pu savoir ce qu’elle était devenue, quelques recherches qu’on ait faites pendant deux ans. Mais, on soir, que ma pauvre grand’mère était encore à la pleurer, la porte s’ouvrit, et elle la vit accourir pâle, tremblante ses habits déchirés, ses pieds meurtris, et tomber sans mouvement. Elle me la souvent répété, Monsieur, il fallait le cœur d’une mère pour reconnaître dans ces traits flétris la jeune fille si fraîche et si belle deux années auparavant ! Dans cette nuit de douleur, elle me mit au monde !... et, quelques heures après, elle mourut sans avoir prononcé une parole, sans qu’on pût rien apprendre de ses malheurs !... Aucun écrit, aucun indice de vint mettre sur la voie : Un couteau, que sans doute elle avait pris pour se défendre, et que je garde toujours comme un souvenir, est tout ce qui me reste d’elle !... Mais pourquoi ces tristes pensées ?... Je suis en sûreté ici ! Cette maison n’est-elle pas sous la sauvegarde du roi de France ? du roi qui doit secourir le malheur, protéger l’innocence ! C’est son devoir, Monsieur ?

LE ROI, avec embarras.

Sans doute.

CÉCILE.

Air : d’Aristippe.

N’est-il pas vrai que je n’ai rien à craindre ?
Un nom puissant doit calmer mon effroi.
Quels ennemis ici pourraient m’atteindre ?
Ces lieux sont pleins des souvenirs du roi.
(bis.)
De cet asile tutélaire,
Quels périls pourraient approcher ?
Je ne crains rien... le mal qu’on voudrait faire,
N’est-il pas roi pour l’empêcher ?

LE ROI.

Oui, vous avez raison.

À part.

Quelle douce voix ! il me semble l’avoir entendue déjà !...

CÉCILE.

Ah ! vous êtes ému !... J’ai donc trouvé un protecteur et un ami !

LE ROI.

Oui, un ami !

Il la presse dans ses bras sans qu’elle s’y oppose.

Jamais mon cœur ne fut intéressé à ce point ! quelle touchante ingénuité !... Ne craignez rien... ma Cécile... que toutes vos terreurs se dissipent près de moi.

CÉCILE.

Auprès de vous, en effet, je me sens rassurée.

LE ROI.

Vous me permettrez donc de vous revoir, dès que mes affaires m’en laisseront le loisir ?

CÉCILE.

Vous habitez à la Cour ?

LE ROI, souriant.

Forcément.

CÉCILE.

Vous connaissez la comtesse du Barry ?

LE ROI.

Un peu.

CÉCILE.

Parlez-lui de votre intérêt pour moi, il lui fera plaisir.

LE ROI, à part.

Cela n’est pas sûr !

CÉCILE.

De ma reconnaissance pour vous !... Et venez, revenez souvent rassurer mon cœur.

LE ROI.

Oui ! Vous oublierez bientôt tous vos chagrins près de moi ; mais point de confidences à d’autres ! C’est à moi, Cécile, à moi seul que vous devez exprimer vos craintes et vos désirs, et vous n’en aurez plus que je ne puisse calmer et satisfaire.

Fausse sortie.

CÉCILE.

Monsieur, un mot encore ! M’excuserez-vous si je désire savoir le nom d’une personne qui, par sa bonté, vient en si peu de temps de m’inspirer une confiance et une gratitude éternelle.

LE ROI, hésitant.

Mon nom ?

CÉCILE.

Pardon ! À la Cour, tout le monde le connaît sans doute, et vous n’êtes pas habitué à l’entendre demander ?

LE ROI, souriant.

On me nomme... Je m’appelle le comte de Saint-Vallier.

Il salue et sort par la droite.

 

 

Scène V

 

CÉCILE, seule

 

Que je suis heureuse ! Je gagerais que ce Monsieur a du crédit : il pourra être utile à mon Adrien ! Et, si je n’ai pas de fortune à offrir à mon mari, la protection de ce grand seigneur lui vaudra sûrement quelque chose. Mais voici mes compagnes.

 

 

Scène VI

 

CÉCILE, EULALIE, HORTENSE, MARIE

 

MARIE.

Cécile, Cécile, il faut rentrer ; des gens de la Cour viennent se promener dans les jardins, et la règle de la maison ne permet pas que nous restions ici.

Air : Fragment d’un trio de Fra Diavolo.

MARIE, EULALIE, HORTENSE.

Ensemble et deux fois.

Il faut, Cécile,
Loin de ces lieux,
Dans cet asile,
Fuir tous les yeux.

Elles emmènent Cécile dans la maison au fond, à droite. Deux laquais entrent par la coulisse du fond, à gauche. Ils précédent Madame du Barry.

 

 

Scène VII

 

LA MARÉCHALE DE MIREPOIX, LA COMTESSE DU BARRY, LE CHANCELIER MEAUPOU

 

LA COMTESSE, dans le fond, en entrant.

Oui, c’est une fantaisie : pardonnez-la moi. Il у avait longtemps que je n’avais parcouru ces jardins ; mais, tout en nous promenant, monsieur le chancelier, nous pourrons causer des parlements.

MEAUPOU.

Vous conviendrez que le lieu est singulièrement choisi pour semblable entretien.

LA COMTESSE.

Les parlements !... ou toute autre chose, qu’importe ! J’ai besoin de distraction, et je vous amène ici pour en chercher.

MEAUPOU.

Qui peut vous les faire désirer ?

LA COMTESSE.

Je sais tout-à-fait en colère. Croiriez-vous que je ne sais rien encore de Cécile ? Comment M. de Sartines me laisse il dans cette incertitude ? Mais, à quoi sert donc l’argent du roi ?

MEAUPOU.

Mes ordres étaient pourtant précis. Espérons, ma belle cousine !

 

 

Scène VIII

 

MADAME DE MIREPOIX, MADAME DU BARRY, JEAN, MEAUPOU

 

JEAN.

Victoire ! victoire ! j’apporte des nouvelles.

LA COMTESSE.

Eh bien ! parlez !

JEAN.

Patience ! ab ! vous ne vous attendez pas à ce que vous allez apprendre. Le duc de Richelieu est bien fin, mais j’en sais aussi long que lui.

LA COMTESSE.

Le duc de Richelieu !

MADAME DE MIREPOIX.

Que voulez-vous dire ?

JEAN.

Parions mille louis qu’il nous joue un tour de sa façon, et que cet imbécile de Lavrillière lui a prêté son secours ?

LA COMTESSE.

Je ne comprends pas. Dans quel but ?

JEAN.

Oh ! je crois que j’ai tout deviné.

LA COMTESSE.

Expliquez-vous, je sèche d’impatience !

MADAME DE MIREPOIX.

Le duc vous est attaché de cœur et d’âme. Mais vous savez que, malgré son âge, il est fragile encore.

JEAN.

Ce n’est pas de cela qu’il s’agit, mais d’un complot. Vieux pécheurs, vieux baveurs se ressemblent.

Air : J’ai vu le Parnasse des Dames.

J’en sais dont les caves sont pleines,
Mais que l’âge et la faculté
Condamnent à l’eau des fontaines :
Martyrs de la sobriété,
Pour remonter, par la mémoire,
Vers des plaisirs longtemps permis...
Le vin, qu’ils ne peuvent plus boire,
Ils le versent à leurs amis.

LA COMTESSE.

Que signifie cela ?

JEAN.

Parbleu, cela signifie que la petite a été enlevée par le duc de Richelieu, et que ce n’est pas pour lui !

MADAME DE MIREPOIX.

C’est une calomnie !

MEAUPOU.

C’est une trahison !

LA COMTESSE.

On n’a donc ici que des flatteurs et des ennemis !

MADAME DE MIREPOIX.

Ah ! jugez-nous mieux. Entre nous, c’est à la vie, à la mort ! je le disais hier encore à madame du Deffant.

JEAN.

Votre excellente amie, qui n’aime personne.

LA COMTESSE.

Achevez donc, de grâce, comte Jean, achevez. Que savez-vous ?

JEAN.

Un moment, ma chère belle-sœur ; rien pour rien, c’est la devise de la cour. J’ai découvert une grande conspiration, mais avant de parler, j’exige le prix de mes services.

LA COMTESSE.

Le cruel homme !... Voyons, quelle folie faut-il que je répare ? Avez-vous perdu votre argent ? rossé le guet ? battu un commissaire ?

JEAN.

Oh ! rien de tout cela, je me range. Trois mille louis, et vous saurez tout.

LA COMTESSE.

Trois mille louis !

JEAN.

Ne marchandez pas, c’est pour rien.

LA COMTESSE.

Ne vous corrigerez-vous donc jamais ?

JEAN.

Et pourquoi donc prendrais-je la peine de me corriger, s’il vous plaît ? Je sais heureux par des défauts que j’ai acquis sans travail, que je conserve sans efforts, et qui, d’ailleurs, sont bien plus du goût des gens qui me protègent, que des vertus qui les gêneraient.

À Meaupou.

N’est il pas vrai, cousin ? on loue la vertu, mais elle gèle de froid et meurt de faim ; et, dans ce monde, il faut avoir les pieds chauds, et un bon dîner. Ah ça ! trois mille louis, est-ce un marché conclu ?

LA COMTESSE.

Vous les aurez !

JEAN.

À la bonne heure !... Sachez donc que votre pouvoir est menacé ; que peut-être il chancelle en ce moment.

MEAUPOU.

Comment ?

MADAME DE MIREPOIX.

Grand dieu ! que dites-vous ?

JEAN.

La vérité !... Le vieux renard vous destine une remplaçante, ma chère sœur.

LA COMTESSE.

Il oserait !...

JEAN.

Mes limiers se sont mis en campagne, ils ont dépisté le ravisseur, mais la trace de la petite est perdue, et je gage que c’est ici qu’elle est renfermée.

LA COMTESSE.

Ici !...

MEAUPOU.

C’est une indignité !

MADAME DE MIREPOIX.

Vous, si bonne !...

LA COMTESSE.

Mes amis, il faut conjurer l’orage !... Ah ! duc de Richelieu, vous me le paierez !

MEAUPOU.

Comptez sur nous !

À part.

Elle triomphera.

LA COMTESSE.

Ne perdons pas un moment !

JEAN.

Tout n’est pas désespéré. Sans doute le roi n’a pas vu Cécile, il ne la verra pas.

LA COMTESSE, à un domestique.

Qu’on s’informe, si une jeune fille, n’a pas été amenée hier dans cette maison, et qu’elle vienne à l’instant.

Le domestique entre dans la maison. À Meaupou.

Si je l’emporte, mon cher chancelier, je vous promets le renvoi des Parlements.

MADAME DE MIREPOIX.

Et le prince de Beauveau, mon frère ?... Vous m’aviez fait espérer...

LA COMTESSE.

Il aura la surintendance du Languedoc !... Mais conseillez-moi tous ; ne m’abandonnez pas.

Le domestique sort de la maison, il précède Cécile.

LA COMTESSE, apercevant Cécile.

C’est elle !...

MADAME DE MIREPOIX.

Jolie !... mais pas dangereuse.

LA COMTESSE, à Cécile.

Approchez, Mademoiselle.

 

 

Scène IX

 

MADAME DE MIREPOIX, CÉCILE, MADAME DU BARRY, LE COMTE JEAN, MEAUPOU

 

CÉCILE.

C’est vous, Madame !... Que je suis heureuse de vous revoir !

JEAN, à part.

Sarpedié !... le Richelieu n’avait pas mal choisi.

CÉCILE.

Vous venez recevoir mes remerciements. Oh ! que je vous sais gré de m’avoir placée dans cette maison !

LA COMTESSE.

Moi !...

CÉCILE.

Ne repoussez pas l’expression de ma reconnaissance.

LA COMTESSE.

Je ne comprends pas...

JEAN, bas à la comtesse.

Profitez de son erreur, vous saurez tout. 

LA COMTESSE.

Quand êtes-vous venue ici ?

CÉCILE.

Hier, Madame. Combien je suis joyeuse !... Ah ! je n’avais pas tant d’ambition, un sort plus modeste m’aurait suffi !... Mais Adrien sera si content quand il saura que le roi lui-même...

LA COMTESSE.

Le roi !...

CÉCILE.

Il m’a fait assurer tout à l’heure de sa protection particulière, et c’est à vous que je la dois.

MADAME DE MIREPOIX.

Voilà une étrange chose !

JEAN, passant entre la comtesse et Cécile.

Ah ça ! expliquez-vous : car tout cela s’embrouille terriblement !... Qui vous a conduite ici ?

CÉCILE.

Monsieur Richard.

LA COMTESSE.

Monsieur Richard !... Je ne le connais pas.

CÉCILE.

Je l’ai pourtant rencontré chez vous, Madame.

LA COMTESSE.

Chez moi !...

JEAN, à demi-voix, à la comtesse.

Eh ! palsambleu, c’est clair !... Vous voyez que mes limiers ne se trompaient pas.

CÉCILE, à la comtesse.

C’est de votre part et en son nom qu’une voiture est venue me prendre et m’a conduite ici, où mon éducation doit s’achever aux frais du Roi.

JEAN, à demi-voix.

C’est cela !... Eh ! bien, qu’en dites-vous ?

LA COMTESSE.

Le traître !

MEAUPOU, à part.

Ce damné de Richelieu !

MADAME DE MIREPOIX.

J’hésite encore à croire...

JEAN.

Oh ! vous, madame la maréchale, vous êtes de son parti !... Mais prenez-y garde.

À Cécile.

Et vous n’avez pas revu ce monsieur Richard ? 

CÉCILE.

Pardonnez-moi, il est venu avec un seigneur de la cour.

TOUS.

Ah !...

LA COMTESSE.

Un seigneur !...

MADAME DE MIREPOIX.

Qui ce peut-il être ?

MEAUPOU.

Mais c’est toute une intrigue.

JEAN.

Nous la déjouerons.

À Cécile.

Et que vous ont-ils dit ?

CÉCILE.

Je suis restée longtemps seule avec ce seigneur ; je tremblais d’abord ; mais il m’a parlé avec tant de bonté, il m’a si bien assurée de sa protection, que mon effroi s’est dissipé bientôt. Il a l’air si respectable !

LA COMTESSE, bas au comte Jean.

Si c’était ?...

JEAN.

Quel est son nom ?

CÉCILE.

Le comte de Saint-Vallier.

MEAUPOU.

Il n’y a personne de ce nom à la cour.

CÉCILE.

Il m’a bien dit pourtant qu’il ne la quitte jamais.

LA COMTESSE, à demi-voix.

Comte Jean, mes soupçons m’éclairent !... C’est lui...

JEAN, à demi-voix.

Ne lui dites rien !... Craignez l’ambition !...

MADAME DE MIREPOIX.

Je commence à deviner...

JEAN.

Silence !...

À Cécile.

Ma belle enfant, vous êtes dans un pays où il faut se défier de tous ceux qu’on rencontre.

CÉCILE.

Me défier du comte !... Oh ! si vous aviez vu comme il était ému en me parlant !

LA COMTESSE.

Il était ému !...

Bas à Jean.

Comte Jean, mon crédit, ma bourse, mes services... disposez de tout.

JEAN.

Laissez-moi faire !

Un domestique s’approche de Jean et lui parle bas.

CÉCILE.

Que se passe-t-il donc, Madame, au nom du ciel ? Apprenez-moi ce que je dois craindre ; je ne puis rien comprendre à tout ce que j’entends, et je tremble malgré moi !

JEAN.

À merveille !...

À Cécile.

Mademoiselle, veuillez entrer un instant dans ce pavillon.

CÉCILE.

Monsieur...

JEAN.

Oh ! ce n’est pas de nous qu’il faut vous défier !

LA COMTESSE.

Que voulez-vous faire, comte Jean ? qu’y a-t-il ?

JEAN.

Vous allez le savoir !... Venez, mademoiselle.

ENSEMBLE.

Air du Chœur d’ouverture de la Fiancée.

À nos vœux il faut vous rendre ;
Vous devez y consentir !...
Des pièges, qu’on peut vous tendre,
Nous voulons vous garantir.

CÉCILE.

À ses vœux il faut me rendre ;
Oui, je dois y consentir...
Des pièges, qu’on peut me tendre,
Ils sauront me garantir !...

Il conduit Cécile dans le pavillon, et referme la porte.

JEAN, revenant.

À notre tour, maintenant, avec le duc de Richelieu.

LA COMTESSE.

Comment ?

JEAN.

On vient de m’avertir qu’il s’approche : du sang-froid et jouons serré.

LA COMTESSE.

Ah ! qu’il vienne !

JEAN.

Du calme, vous dis-je ; laissons-le s’enferrer lui-même.

MADAME DE MIREPOIX, à part.

Pauvre maréchal !... il va se perdre si je ne parviens à l’avertir.

JEAN.

Pas de gestes, au moins, madame de Mirepoix ; j’ai les yeux sur vous.

 

 

Scène X

 

MADAME DE MIREPOIX, JEAN, MADAME DU BARRY, RICHELIEU, MEAUPOU

 

RICHELIEU, entrant par la droite.

La comtesse !... qu’est-elle venue faire ici ?

Il se compose et s’approche en souriant.

J’allais chez vous, madame la comtesse ; votre voiture, que j’ai vue à peu de distance, m’a fait deviner que vous étiez en ce lieu, et, dans mon empressement, je me suis permis de vous chercher.

LA COMTESSE, à part.

Pas mal !

RICHELIEU.

Mes hommages à madame la maréchale ! salut au chancelier de France ; bonjour, monsieur du Barry.

Madame de Mirepoix tente de faire quelques signes à Richelieu.

JEAN, se plaçant devant madame de Mirepoix.

Un moment !... j’intercepte les signes au passage.

RICHELIEU.

Qu’y a-t-il donc ? l’orage gronderait-il dans ces beaux yeux ?... Vous me regardez presque avec colère.

LA COMTESSE.

Je serais injuste. Vous êtes pour moi un ami si dévoué ?

RICHELIEU.

De l’ironie !... M’aurait-on calomnie ? Il y a des gens capables de tout.

LA COMTESSE.

Oui, même de se servir d’un faux nom, pour enlever une jeune fille jusque sous les yeux de ses protecteurs.

Madame de Mirepoix tousse et fait quelques gestes.

JEAN.

Vous êtes incommodée, madame la maréchale ? prenez un siège.

RICHELIEU.

Eh ! quoi, voilà le sujet de votre colère ! Une folie si excusable !... Je ne le nierai pas, puisque vous le savez ; oui, la petite est jolie, et ma foi... Allons, c’est une misère qui ne mérite pas de nous occuper ! La belle enfant dime plaît, le jeune prétendu ne vous déplaît pas !... Laissons donc aller les choses, et permettez que je scelle sur cette jolie main le traité de paix que nous allons conclure.

LA COMTESSE, retirant sa main.

Ainsi cette jeune fille ?...

RICHELIEU.

Est dans ma petite maison ; n’en parlons plus.

MADAME DE MIREPOIX, passant du côté du duc de Richelieu.

Mais... en êtes-vous bien sûr ?

JEAN.

Ma sœur !... voici madame la maréchale qui passe dans le camp ennemi.

RICHELIEU.

Dites dans le camp ami !... Ne suis-je pas des vôtres à tout jamais ?

LA COMTESSE fait un signe à Jean, qui va chercher Cécile dans le pavillon.

Je suis charmée d’apprendre que la pauvre Cécile est chez vous !...

MADAME DE MIREPOIX.

Vous vous perdez !

 

 

Scène XI

 

MADAME DU BARRY, CÉCILE, RICHELIEU, MADAME DE MIREPOIX, MEAUPOU

 

Jean amenant Cécile en face de Richelieu.

RICHELIEU, voyant Cécile.

Ah !...

JEAN, retournant prendre sa place à gauche.

Eh ! bien, duc de Richelieu ?...

CÉCILE.

Richelieu !... monsieur Richard !

RICHELIEU, à la comtesse.

Je vous savais bien une enchanteresse ; mais je ne vous connaissais pas la baguette d’Armide.

LA COMTESSE.

Point de compliments !...Vous avez voulu me nuire, je ne vous pardonnerai jamais.

JEAN.

Nous vous ferons bonne guerre, monsieur le maréchal.

RICHELIEU.

Comte Jean, je souffre tout des dames !... mais vous...

JEAN.

Il faudra pourtant bien que vous entendiez vos vérités, et nous ne nous battrons pas pour cela.

RICHELIEU.

Et si je vous faisais cet honneur ?

JEAN.

Nous ne nous battrons pas, vous dis-je : d’abord, vous êtes trop vieux, et moi, je suis poltron en diable !

RICHELIEU.

Encore une fois, Monsieur...

JEAN.

Vous êtes maréchal de France, et je n’ai jamais servi... pas même la messe !... Restons donc but à but ; mais, palsembleu ! ne vous mêlez pas de nos affaires.

RICHELIEU.

Madame, rappelez à votre beau-frère que le roi m’honore de son amitié.

LA COMTESSE.

Et moi, je vous retire la mienne.

Le duc d’Aiguillon entre. À Richelieu.

Monsieur le duc, je me vengerai.

 

 

Scène XII

 

JEAN, CÉCILE, LE DUC D’AIGUILLON, MADAME DU BARRY, RICHELIEU, MADAME DE MIREPOIX, MEAUPOU

 

D’AIGUILLON.

Ah ! madame ! vous ne vous brouillerez pas avec mon oncle !

RICHELIEU, riant.

À mon secours, duc d’Aiguillon !... Soubise, à Rosbach, n’était pas plus mal à l’aise que moi.

D’AIGUILLON, à la comtesse.

Quand j’ai passé chez vous, M. Cazotte apportait une lettre pressée, dit-il, et je m’en suis chargé.

LA COMTESSE.

Permettez.

Elle lit bas.

MEAUPOU, à Richelieu.

Vous gâtez nos affaires, maréchal.

CÉCILE.

Saurai-je enfin ce que tout cela signifie ?

LA COMTESSE.

Que vois-je ?... Adrien Mirval a disparu ; on le croit à la Bastille.

CÉCILE.

Ô ciel !... Adrien !

LA COMTESSE.

Duc de Richelieu...

RICHELIEU.

Le diable m’emporte si je sais où est celui-là !

LA COMTESSE.

Rien n’y manque ! L’époux futur disparaît, quand vous vous emparez de la fiancée.

CÉCILE.

S’emparer de moi !... enfermer Adrien !... Que me veut-t-on, grand dieu !...

JEAN.

Calmez-vous !

CÉCILE.

Non ! je veux tout savoir enfin !... On me trompe ! Où suis-je, Madame ?

LA COMTESSE.

Attendez !...

À Richelieu.

Qu’avez-vous fait d’Adrien ?

RICHELIEU.

Ah ! l’intérêt particulier qu’il vous inspire...

LA COMTESSE.

Oui, il fut mon ami, quand j’étais malheureuse... heureuse, voulais-je dire ! car je n’étais pas alors entourée de cours faux et perfides !... Parlez, monsieur le duc, ou je saurai tout par Lavrillière.

RICHELIEU.

Il est assez bête pour cela.

JEAN.

Ah ! vous avouez !

RICHELIEU, riant aux éclats.

Eh vraiment, il le faut bien !... Écoutez, ce monde est un jeu qu’il faut jouer honnêtement, si l’on peut, mais où le point important est de gagner la partie, et j’ai perdu !

Un coureur arrive dans le fond.

LA COMTESSE.

Encore quelqu’un !... Que venez-vous faire ici sans être appelé ?

LE COUREUR.

Des ordres supérieurs concernant mademoiselle Cécile...

CÉCILE.

Moi !

RICHELIEU.

Haïe !

LA COMTESSE.

Comment ?

LE COUREUR.

Une voiture est là !... c’est de la part du roi.

TOUS.

Du roi !...

JEAN.

Il est trop tard !... Il l’a vue !

CÉCILE.

Le roi !... Que me veut-il ?

JEAN.

Eh bien ! monsieur le duc, soyez donc le premier à rendre hommage à la nouvelle favorite.

CÉCILE.

Qu’entends-je ?...

MADAME DE MIREPOIX, à Meaupou.

Elle est bien jolie !...

CÉCILE, passant entre d’Aiguillon et la comtesse.

Ah ! par pitié, Madame, expliquez-vous ! Tout ceci est il un jeu, une plaisanterie cruelle que je ne puis comprendre ?... ou bien, est-ce la vérité ?... Parlez, Madame, s’est-on joué de ma crédulité ?... Où suis-je ?... Où est Adrien ? L’a-t-on donc enfermé pour me perdre ? Ne me reverra-t-il que déshonorée ?

RICHELIEU, à part.

Ne va-t-elle pas prendre tout cela au tragique ?

CÉCILE, se jetant aux genoux de la comtesse.

Ah ! Madame, secourez-moi ! protégez-moi ! Vous êtes indignée contre les lâches qui m’ont trompée ; mais connaissez celle qu’on ose outrager ! Ces présents, ces bijoux, je les rejette !... Moi, la maîtresse du roi !... moi !... Mieux vaut mille fois la misère, que l’opulence au prix de la honte !

LA COMTESSE, frémissant.

Malheureuse !... que dit-elle ?

RICHELIEU, à part.

Elle s’adresse bien !

CÉCILE.

Vous me protégerez, Madame ! vous ne souffrirez pas qu’on livre à des regrets éternels la pauvre fille qui est venue à vous, heureuse et confiante !... Je me souviens confusément qu’on m’a parlé de ces femmes que l’or a séduites, au point d’affronter sans rougir le mépris public !...

LA COMTESSE.

Arrêtez !...

CÉCILE.

Non ! laissez-moi vous exprimer toute ma reconnaissance, si vous m’épargnez cette honte... J’ai pour seule richesse l’amour d’un honnête homme, l’honneur et la vertu ; conservez-moi ces biens ! l’or ne peut pas les remplacer !... N’est-il pas vrai, Madame, il ne le peut pas !

LA COMTESSE, reculant toute émue.

Non !... non !...

CÉCILE.

Vous paraissez émue !... Ah ! que votre intérêt me défende !

D’AIGUILLON.

Taisez-vous donc, imprudente ! taisez-vous !

JEAN, passant auprès de Cécile.

L’ignorance de cette petite fille est incroyable !

LA COMTESSE.

Que je souffre !

JEAN, d’un ton solennel.

Écoutez, jeune fille ! Nous admirons vos nobles sentiments ; gardez-vous d’y renoncer ! repoussez loin de vous les séductions, n’écoutez que la voix de la vertu !... La vertu !... ah ! c’est une excellente chose !... Restez dans votre obscurité ; vous ne savez pas quel bonheur pur et sans mélange vous attend loin de ces coupables grandeurs, empoisonnées par tant de regrets, où l’on cherche en vain à ressaisir ce calme de l’âme, cette sérénité...

Il s’enroue, et se retourne vers la comtesse, d’Aiguillon et Meaupou.

Ah ça ! aidez-moi donc, vous autres ! vous me laissez m’enrouer !... Ne pourriez-vous, comme moi, prêcher la vertu ?... Que diable ! une fois n’est pas coutume !

MEAUPOU, à part.

L’insolent !...

JEAN, à Cécile.

Vous m’avez entendu, jeune fille, et je me flatte...

CÉCILE.

Oui, Monsieur, je les suivrai ces généreux conseils !... Soyez mon guide !... Vous êtes vertueux, vous !...

JEAN.

Merci, mon enfant.

LE COUREUR.

Madame, la voiture du roi...

JEAN, à part.

Que faire ?... En serons-nous réduits à la perdre après ?

CÉCILE.

On m’y contraint !... Eh bien ! oui, j’irai ! Je me jetterai aux pieds du roi, et je reviendrai digne d’Adrien... ou je ne survivrai pas à ma honte !

RICHELIEU, à madame de Mirepoix.

Elles parlent toutes de se tuer, et pas une n’en meurt !

D’AIGUILLON, à la comtesse.

Tout peut encore se réparer ; appuyez-vous sur moi, chère comtesse.

LA COMTESSE, à Jean.

Son amour et sa vertu nous sauveront.

JEAN.

Plaise à Dieu !... Mais fiez-vous à ces choses-là !

MADAME DE MIREPOIX, à Meaupou.

Attendons !

Final du Dieu el la Bayadère. (Arrangé par M. Doche.)

Ensemble (Tous et Cécile).

TOUS.

C’en est fait, on l’appelle
Dans le royal séjour ;
Mais résistera-t-elle
Aux pièges de l’amour ?

CÉCILE.

C’en est fait, on m’appelle
Dans le royal séjour ;
Mais je serai fidèle
À l’honneur, à l’amour.

JEAN.

Toi que poursuit un lâche artifice,
Relève ton front abattu !
Crois-moi, oui crois-moi, contre le vice
Je défendrai ta vertu.

TOUS.

C’en est fait, on l’appelle
Dans le royal séjour, etc.

Tout le monde se prépare à sortir ; Jean étend les mains sur le front de Cécile. La toile tombe.

 

 

ACTE III

 

Le Théâtre représente les petits appartements de Versailles. Beau salon qui s’ouvre sur un salon plus riche et plus vaste.

 

 

Scène première

 

LA COMTESSE, seule

 

Elle est assise au lever du rideau

Elle est là !... et moi, j’attends et je souffre !... Oh ! qui me délivrera de cette cruelle incertitude ? La voilà donc établie à Versailles ! dans les petits appartements !... Par ordre du roi !... du roi qui, hier encore... Il va bientôt la revoir, et peut-être... Elle est vertueuse ; son âme innocente et pare veut résister aux séductions !... Mais qui me répondra que demain... L’air qu’on respire en ce lien est si enivrant !... Demain !... S’il me fallait abandonner cette cour, renoncer à la puissance, voir s’enfuir ces flatteurs qui m’entourent aujourd’hui ?... Ces flatteurs !... Je les méprise !... et j’en ai besoin !

Air : Reviens à moi. (Romagnesi.)

Premier couplet.

Déjà peut-être ils ont appris
Quel secret tourment me déchire ;
Sur mes lèvres ils ont surpris
La tristesse de mon sourire !...
Vous qui partout suiviez mes pas,
Courtisans, dont la voix m’encense ;
Et vous, plaisirs, trésors, puissance,
Ne fuyez pas ! ne fuyez pas !

Deuxième couplet.

Que de fois ce brillant séjour
Du bonheur m’offrit l’apparence !...
Est-il donc arrivé le jour
Où doit fuir même l’espérance ?
Douces chimères, sur mes pas
Vous qui semiez tant d’heureux songes,
Mon cœur a besoin de mensonges !...
Ne fuyez pas ! ne fuyez pas !

 

 

Scène II

 

LA COMTESSE, JEAN

 

JEAN.

Eh ! bien, ma chère sœur, c’est donc ici que vous avez établi votre quartier général ? Vous voulez surveiller de près tous les mouvements de l’ennemi : vous avez raison ; mais parlez, y a-t-il quelque chose de nouveau ? faut-il que nous fassions nos paquets ?

LA COMTESSE.

Cruel homme ! vous plaisantez toujours !...

JEAN.

Je n’en ai pourtant guère envie : je crains qu’il n’ait déjà transpiré quelque chose de toute cette intrigue.

LA COMTESSE.

Vous croiriez ?...

JEAN.

Oui, l’abbé Terray, tout à l’heure, en me faisant compter trois mille louis sur votre signature, s’est permis de me dire que mes visites étaient un peu chères. Vous avez de bons amis qui auront jasé : madame de Mirepoix, duc de Richelieu...

LA COMTESSE.

Le vieux damné !... Je l’écorcherais tout vif !

JEAN.

Qu’est-ce que vous feriez de sa peau ?... Croyez-moi, point d’imprudence ! Il doute encore de son succès pais qu’il n’a pas rompu avec vous, et qu’il cherche à se réconcilier ; il plaît au roi qui l’a vu toute sa vie, et les princes prennent l’habitude pour l’amitié : ainsi ne le poussez pas à bout.

Air du Grenier.

Pour des méfaits, que sans doute il regrette,
Vous devez feindre un pardon généreux :
Laissez-le faire une honnête retraite,
Son désespoir peut-être dangereux !
Le roi l’estime, à la Cour on l’honore ;
Puisqu’il s’incline, épargnez-le, ma sœur !...
C’est le lion qui, mourant, peut encore
Se relever et blesser le chasseur.

LA COMTESSE.

Feindre de lui pardonner !... quand je serais si heureuse de le perdre !

JEAN.

Vous vous donnerez ce petit plaisir-là plus tard, si vous pouvez !... Écoutez : il faut multiplier sous les pas du roi les embarras et les obstacles ; en irritant son orgueil, nous opérerons, je l’espère, une heureuse diversion. Occupons-le de graves intérêts ; ils triompheront peut-être de ces tentations d’infidélité qui vous tourmentent à juste titre. Les parlements viennent à notre secours ; ils n’ont tenu aucun compte des ordres du Roi ; ils bravent ses volontés. Meaupou en est instruit, il va tenter contre eux auprès de Louis une vigoureuse attaqué qui doit nous servir. Celui-là du moins ne vous abandonne pas.

LA COMTESSE.

Vous croyez ?...

JEAN.

 J’en suis sûr ! Il n’y a qu’un instant il vous appelait encore sa cousine. Secondez ses efforts ; que Louis tremble pour son autorité, et il ne s’occupera plus de son nouvel amour.

LA COMTESSE.

Je suivrai vos conseils.

JEAN.

Ce n’est pas tout, avez-vous songé au beau Céladon qui roucoule en ce moment à la Bastille ?

LA COMTESSE.

J’ai écrit au duc de Lavrillière, et je l’attends.

JEAN.

Très bien ! le roi craint les esclandres, il n’aime pas le bruit, et celui-là en fera, j’en réponds ! Mais pour qu’il crie, il faut qu’il soit démuselé. Lavez donc la tête à cet imbécile de Lavrillière ; donnez-lui vos ordres, que notre amoureux soit libre ; qu’il vienne jusqu’ici réclamer son infante, et tout ira bien. Je me charge de l’amener, moi !... Voyez-vous d’ici le tableau ? La petite pleurera, vous vous fâcherez, l’amoureux criera, le roi, impatienté, les en verra à tous les diables, vos bons amis vous reviendront, Richelieu sera vexé, et moi, je me moquerai de tout le monde.

LA COMTESSE.

Puissiez-vous dire vrai !

JEAN.

En attendant, tâchez de voir Cécile, de la raffermir dans ces idées de vertu qui nous sont si précieuses !... Oh ! si j’avais le temps, moi, je lui ferais un sermon en trois points... Mais j’entends quelqu’un...

UN DOMESTIQUE, annonçant.

Monsieur le duc de Lavrillière !

LA COMTESSE.

Qu’il entre !

 

 

Scène III

 

LAVRILLIÈRE, LA COMTESSE, JEAN

 

LA COMTESSE.

Approchez, monsieur le duc, j’ai besoin de vous.

LAVRILLIÈRE.

Je suis accouru, Madame, avec le plus vif empressement, prêt à vous remercier de la faveur que vous m’accordez.

LA COMTESSE.

Monsieur, j’ai à vous demander compte d’un acte arbitraire commis envers un homme que j’estime, et j’attends de vous qu’il soit réparé sur-le-champ.

LAVRILLIÈRE.

Est-il possible, Madame, que je me sois rendu coupable envers vous ? Apprenez-moi ma faute, je l’expierai à l’instant même.

LA COMTESSE.

Ne vous souvient-il plus que je vous avais recommandé particulièrement un jeune poète, nommé Adrien Mirval ?

LAVRILLIÈRE.

Oui, sans doute, je m’en souviens.

LA COMTESSE.

Eh bien ! Monsieur, vous l’avez envoyé à la Bastille.

LAVRILLIÈRE.

Moi, grand dieu !... Je vous proteste... Oui, je suis presque certain que ce nom là n’est pas tombé de ma plume.

LA COMTESSE.

Comment ! presque certain !... Ah ! ça, vous lancez donc des lettres-de-cachet, sans savoir qui elles doivent atteindre ?...

LAVRILLIÈRE.

Que voulez-vous ?... on ne fait pas grande ‘attention à ces choses là : on me demande un service, je le rends ; dans ma place j’ai besoin d’obliger beaucoup.

JEAN.

Et comptez-vous sur la reconnaissance de ceux que vous faites enfermer ?

LAVRILLIÈRE.

Qui sont-ils pour l’ordinaire ? De petites gens sans crédit, sans famille, sans considération : valent-ils la peine qu’on s’en occupe ?

LA COMTESSE.

Encore une fois, Monsieur, l’homme que je protège a disparu : on ordre seul émané de vous a pu faire attenter à sa liberté, et j’ai lieu de croire qu’elle lui a été ravie par une intrigue du duc de Richelieu.

LAVRILLIÈRE.

Du duc de Richelieu !

JEAN.

Ah ! vous savez ce que cela veut dire ! Le nom du premier gentilhomme vous met sur la voie !

LA COMTESSE.

Monsieur de Lavrillière, songez que je fais de cette intrigue mon affaire personnelle ; que la persécution, dont M. Adrien Mirval est victime, doit cesser, et que vous me rendrez compte de sa personne.

LAVRILLIÈRE.

Mais en vérité, Madame, je ne le connais pas, et je peux vous dire comme le premier né d’Adam : Vous ne me l’avez pas donné en garde.

JEAN.

Monsieur le duc, au moment où Caïn parlait ainsi, il avait tué son frère.

LA COMTESSE.

Fort bien, Monsieur ! prouvez-moi que vous ne voulez plus être de mes amis : parlons d’autre chose ; je me réserve de causer de cette affaire avec quelqu’un qui, ayant plus de pouvoir, sera certainement plus heureux.

LAVRILLIÈRE.

Ah ! Madame, vous me confondez ! pouvez-vous douter de mon dévouement ? Pour vous plaire, je ferais enfermes toute une province.

LA COMTESSE.

Et vous ne délivreriez pas un de mes amis ?

LAVRILLIÈRE.

Mon dieu, je ne demande pas mieux !... Je me rappelle qu’il y a deux jours le duc de Richelieu m’a emprunté une lettre-de-cachet pour un misérable pamphlétaire qui a fait des vers infâmes !...

JEAN.

Et il vous a pris pour dupe ! L’homme que vous avez arrêté est aussi incapable d’une méchante action, que vous et moi le sommes d’une bonne !

LAVRILLIÈRE.

Ah ! monsieur le comte !...

JEAN.

Eh, palsembleu ! mon cher duc, nous nous connaissons ; je me rends justice : faites comme moi !

LAVRILLIÈRE.

Mauvais plaisant !...

À la comtesse.

Madame, il paraît que j’ai commis une erreur bien involontaire ; mais je vais expédier l’ordre de rendre la liberté, sur-le-champ, à votre protégé.

LA COMTESSE.

C’est le parti le plus sage. Monsieur le duc, si dans deux heures cet inconnu, que je connais fort bien, et vous aussi peut-être, n’est pas de retour ici, ne comptez plus sur mon amitié.

LAVRILLIÈRE.

Je vous jure, Madame, que trompé par le duc de Richelieu...

LA COMTESSE.

Trompé ou non, monsieur de Lavrillière, je vous ferai observer que l’aiguille de cette pendule est entrée dans les deux heures fatales.

LAVRILLIÈRE.

Je cours à mon hôtel, Madame, et vous serez satisfaite ! mais promettez-moi de me rendre votre bienveillance.

LA COMTESSE.

Dans deux heures vous aurez ma réponse.

LAVRILLIÈRE.

Je pars !... Oh ! ce Richelieu qui s’avise de me compromettre !

JEAN, passant entre Lavrillière et la Comtesse.

Venez, monsieur le duc, je vais avec vous pour hâter l’exécution de vos ordres : nous crèverons vingt chevaux s’il le faut. À revoir, ma chère sœur, n’oubliez pas ce que je vous ai dit. Tenez, justement, j’aperçois la belle.

Air : Sous ce riant feuillage (Fiancée.)

Partons, le péril presse ;
L’heure fuit promptement !...
Songez à la maîtresse ;
Je vais chercher l’amant.

LAVRILLIÈRE.

Un prisonnier m’appelle ;
Qu’il soit libre !... d’accord !...
Pour vous prouver mon zèle,
Je fais un grand effort !

ENSEMBLE.

Partons, le péril presse, etc.

 

 

Scène IV

 

LA COMTESSE, puis CÉCILE, entrant par la porte de gauche

 

LA COMTESSE.

La voici !...Ah ! malgré moi, je sens que la haine...

À Cécile.

Approchez, Mademoiselle.

CÉCILE.

C’est vous, Madame !... Je ne m’attendais pas à vous rencontrer ici.

LA COMTESSE.

Ah !... je venais vous y chercher. Eh bien ! que pensez vous de ce lieu ? Vous paraît-il assez beau pour éveiller l’ambition, pour faire oublier l’amour, et sacrifier l’honneur et la vertu ?

CÉCILE.

Quel langage !... Je ne l’ai pas habité assez longtemps, Madame, pour avoir appris à supporter sans rougir de tels discours !... et je n’y resterai pas assez pour m’y accoutumer.

LA COMTESSE.

Ainsi, vous quitterez Versailles ?

CÉCILE.

Dès que j’aurai parlé au roi.

LA COMTESSE.

Vous ne l’avez pas revu ?

CÉCILE.

Pas encore.

LA COMTESSE, avec douceur et joie.

Et votre désir, mon enfant, est ?...

CÉCILE.

De vivre pour Adrien.

LA COMTESSE, avec empressement.

Adrien !... par mes soins, dans deux heures, il sera libre ! Ma chère Cécile !...

CÉCILE, à demi-voix.

Quel changement !... Il n’y a qu’un instant, l’aigreur, le dépit... et maintenant...

LA COMTESSE.

Rappelez-vous vos paroles, vos projets !...

CÉCILE, à elle-même.

Mes paroles !... comme elles l’avaient émue !... Quel soupçon !...

LA COMTESSE, s’approchant d’elle.

Vous ne m’écoutez pas.

CÉCILE, la regardant.

Naguères mes discours indiscrets ont paru vous troubler ; vous avez pâli quand le roi m’a mandée ! L’aimeriez-vous, Madame ?... Vous ne répondez pas ?... Ah ! vous habitez ces lieux ; les grands sont à vos pieds, les ministres vous obéissent !... Je n’en doute plus, Madame, vous régnez ici !... Vous êtes aimée du roi !...

Elle recule en disant ces derniers mots.

LA COMTESSE.

Vous le croyez !... et vous osez m’offenser !...

CÉCILE, se rapprochant.

Oh ! non, je vous plains !

LA COMTESSE.

Me plaindre !... Je n’ai jamais excité que l’envie.

CÉCILE.

Ah ! Madame, si je vous blesse, sans le vouloir, par donnez-moi !... Vous n’avez protégée !... Celle qui fut si bonne mérite l’indulgence.

LA COMTESSE.

Indulgence !... pitié !... Que dites-vous ?...

Air : Un page aimait la jeune Adèle.

Quels souvenirs assiègent ma mémoire !...
Son seul regard me rappelle mes torts !...
Dans cette Cour ce qui faisait ma gloire
Pourrait-il donc éveiller des remords ?
Près des flatteurs, qui marchaient à ma suite,
Je levais un front triomphant !...
Et maintenant je me sens interdite
Devant la candeur d’un enfant !
(bis.)

CÉCILE.

Adrien me sera rendu, c’est à votre généreuse protection que je devrai ce bonheur, vous ne l’avez dit ?

LA COMTESSE.

Adrien vous est toujours aussi cher ?

CÉCILE.

Qui pourrait vous en faire douter ?

LA COMTESSE.

La médiocrité de votre fortune, la privation des plaisirs ne vous effraient pas ?

CÉCILE.

Ma richesse ? c’est le cœur d’Adrien ! Mon bonheur est de le voir heureux.

LA COMTESSE.

Ah ! gardez bien ces nobles sentiments ! Que cet air enivrant qu’on respire ici ne trouble point votre raison ! Fuyez, Cécile !... Quelques jours plus tard, votre bonheur serait altéré ! Le séjour de la Cour, ses succès ne rendent point heureux ; mais ils empêchent de l’être jamais ailleurs.

CÉCILE.

Et c’est vous, Madame, qui dites cela !

LA COMTESSE.

Oui ; car parfois je retrouve un convenir des sentiments vrais, des joies naturelles, et de la raison naïve de ma première jeunesse !... Mais je les éloigne ces souvenirs... Ici, toutes les émotions doivent être étouffées.

CÉCILE.

Et le roi ?...

LA COMTESSE.

Le roi ?... Quand je l’ai connu, déjà ils avaient éteint en lui le germe des nobles sentiments ! Dans les intrigues d’une Cour corrompue, dans des plaisirs multipliés et sans choix, s’était usée son âme ardente et généreuse !... Ce n’est plus qu’un homme aimable... Pourtant, il pouvait être un roi... Maintenant, insatiable de nouveaux plaisirs, inconstant par ennui, ne trouvant rien qui remplisse le vide de son cœur, il me fait trembler, chaque jour, pour ce pouvoir fragile que je tiens de son caprice !... pour ce pouvoir, dont je devrais rougir, dont le poids me fatigue, et qui cependant m’est devenu si nécessaire, que je ne pourrais survivre à sa perte !

CÉCILE.

Qu’ai-je entendu ?...

LA COMTESSE.

Je m’étonne moi-même des pensées qui viennent m’as saillir aujourd’hui, des paroles qui m’échappent... Ah ! c’est vous, Cécile, c’est votre innocence qui a reporté mon imagination vers un monde différent de celui qui m’entoure !... Des années se sont effacées !... J’ai cru être rendue aux sentiments, aux idées que j’avais à votre âge !... Et, le dirai-je ! ce luxe, ce pouvoir, dont je ne saurais me passer, ces brillantes apparences de ma situation, sont quelquefois impuissants pour calmer mon cœur !... Oui ! si nous pouvions, en ce moment, échanger destinée contre destinée... Écoute, Cécile, je donnerais tout pour ce cœur innocent, pour cet amour vrai, pour cette conscience sans reproche que tu possèdes, et que j’ai perdu sans retour.

CÉCILE.

Ah ! Madame, quelle âme j’ai blessée par d’imprudents discours !... Il n’y a que mon amitié qui puisse m’acquitter envers vous, acceptez-la !

LA COMTESSE.

Ton amitié !... Mais non !... ton mari ne le permettrait pas !... et moi-même... Ces idées passagères ne peuvent me rapprocher de vous !... Soyez l’heureuse compagne d’un honnête homme ; et que votre séjour ici ne vous ait appris qu’à ne point regretter les grandeurs.

CÉCILE.

Si le sort changeait, si une amie vous devenait nécessaire, n’oubliez pas Cécile !... N’est-il pas vrai, Madame, vous ne l’oublierez pas ?

LA COMTESSE.

Que je te remercie !... Mais j’entends du bruit, on vient ; c’est lui sans doute !... je te laisse. Adieu, Cécile !... Tu as lu dans mon cœur... compare nos destinées, et choisis !

Elle sort par la gauche.

 

 

Scène V

 

CÉCILE, seule

 

Pauvre femme ! que je la plains !... Ah ! qui voudrait de cette opulence, si on savait ce qu’elle coûte ?...

 

 

Scène VI

 

LE ROI, CÉCILE

 

UN HUISSIER, ouvrant les deux battants.

Monsieur le comte de Saint-Vallier !

CÉCILE.

Ah !...

LE ROI.

J’ai des excuses à vous adresser, Mademoiselle : pardonnez-moi si j’ai tant tardé à vous revoir ; de graves occupations m’ont enchainé. Je vous avais promis la protection du roi, vous voyez que j’ai tenu parole. Êtes-vous satisfaite ?

CÉCILE, tremblante.

Monsieur... je ne sais... comment vous dire...

LE ROI.

Ne tremblez pas ainsi ; mon désir est que votre vie s’écoule désormais dans un perpétuel contentement.

CÉCILE.

Ce vœu sera facile à remplir. Qu’on me laisse quitter des lieux où jamais je n’aurais dû paraître, qu’on me rende à ceux qui ont pris soin de mon enfance, et à...

LE ROI.

Et à votre amant, sans doute ?... J’en suis fâché, mais voilà peut-être la seule grâce qui vous sera refusée. Je ne me sens pas la force de céder à un autre un bien si précieux.

CÉCILE.

Et quels sont vos droits sur moi ?

LE ROI.

Mes droits ?...

CÉCILE.

De quel prix pourrais-je être aux yeux d’un puissant seigneur tel que vous, moi, pauvre fille, née dans une classe obscure ?...

LE ROI.

L’amour n’a pas de préjugés ; et votre naissance ne saurait m’empêcher de rendre hommage à vos charmes.

CÉCILE, avec fermeté.

Eh bien ! Sire, ce sera la crainte de me rendre la plus malheureuse des femmes !

LE ROI.

Qu’entends-je ?

CÉCILE.

Oui, Sire, la feinte est inutile, je sais tout !... Écoutez moi : j’honore comme sujette votre royale personne ; mais l’amour de mon cœur est donné, et je ne consentirai jamais à la honte.

LE ROI.

Que dites-vous, Mademoiselle ? Songez-vous bien ?...

CÉCILE.

Je songe que vous êtes roi de France, que je suis une pauvre orpheline sans appui, que vous me devez le vôtre, et que je vous le demande à genoux.

LE ROI.

Relevez-vous, enfant !... Qu’elle est belle !... Je ne saurais dire à quel point vous m’intéressez ! l’expression angélique de vos traits, le son de votre voix touchante, vont remuer au fond de mon cœur, je ne sais quels souvenirs... Pourquoi ne m’aimeriez-vous pas ?

CÉCILE.

Ah ! Sire, je ne m’appartiens plus !

LE ROI.

Vous me résistez ! et cependant...

CÉCILE.

Oui, Sire, je vous résiste ! Vous pouvez exiger ma vie, mais non le sacrifice de mon honneur ! On s’est joué de mon ignorance, on m’a trompée indignement !... Mais le souvenir de ma mère me protégera !... et, si vous n’avez pitié de moi, si la violence... je renouvelle ici le serment de mourir !...

Elle tire un couteau de son sein.

Faites un pas, je me frappe à vos yeux !

LE ROI.

Folle que vous êtes !... y pensez-vous ?

CÉCILE.

Sire...

LE ROI.

Ai-je donc mérité le chagrin que vous me faites ? Ces sombres regards ne s’adouciront-ils pas ?... Je reste éloigné de vous, car vous l’avez voulu !... Ne voyez point en moi un despote redoutable, mais un homme que vous avez charmé, qui donnerait tout pour vous plaire, et qui n’aura jamais le courage d’affronter vos larmes !... Allons, en faut, j’attends un mot de vous pour me rapprocher !... Verrai-je donc toujours dans vos mains cette arme... bien inutile ? un mot de vous est cent fois plus puissant !... Eh bien ! ne me la remettrez-vous pas ?... Me craignez-vous encore ?...

CÉCILE, remettant le couteau au roi.

Non ! je ne vous crains plus !

LE ROI, regardant le couteau.

Ah !... enfin !... Qui vous avait inspiré ces folles idées ? Mais que vois-je ?... De qui tenez-vous ?...

CÉCILE.

De ma mère !

LE ROI.

Votre mère !... !

À lui-même.

Ce chiffre... cette couronne !...

Haut.

Votre mère, vous ne l’avez donc pas connue ?

CÉCILE.

Elle est morte en me donnant le jour.

LE ROI.

Et votre âge ?

CÉCILE.

Dix-huit ans.

LE ROI.

Dix-huit ans !... Ô mon dieu ! s’il était vrai...

CÉCILE.

Comme moi, victime des méchants, elle fut enlevée à la tendresse maternelle, je vous l’ai dit déjà ; et quand elle s’arracha de leurs mains, fut pour mourir !...

LE ROI.

Oui, je me rappelle... Restez, jeune fille, restez !... Oh ! mes souvenirs... La voilà ! je crois la voir encore... ce sont les mêmes traits... c’est son regard suppliant... elle était là... à mes genoux... et moi... Pauvre Marie !

CÉCILE.

Marie !... C’était le nom de ma mère !

LE ROI.

Son nom !... Marie Dalville ?

CÉCILE.

Oui !

LE ROI.

Ah ! plus de doute !

CÉCILE.

Que voulez-vous dire ?

LE ROI, à lui-même.

Ô mon dieu !... Misérable Richelieu !... où me conduisais-tu ?

CÉCILE.

Sire, expliquez-moi...

LE ROI.

Demeure, jeune fille, demeure, et ne crains rien... Oh ! ne crains rien, te dis-je !

CÉCILE.

Eh bien ! laissez-moi fuir Versailles ; rendez-moi, Sire, celui qui a toute ma tendresse, qui doit être mon époux !

LE ROI.

Votre époux ! peut-il l’être maintenant ?... Attendez ici mes ordres ; votre sort ya changer... Mais que votre cœur se rassure... je vous reverrai bientôt ; je vous reverrai !...

En sortant.

Ô mon dieu ! pardonne-moi !

 

 

Scène VII

 

CÉCILE, seule

 

Que veut-il dire ?... Pourquoi ce trouble, en entendant le nom de ma malheureuse mère ? Pourquoi moi-même, ai-je tout-à-coup senti se dissiper mon effroi ?... Il y avait tant de bonté dans son regard, que je n’ai plus en la force de lui résister !... Mon sort va changer, dit-il ? à quoi suis- je donc destinée ?... Et Adrien ! que deviendra-t-il ? est-il encore captif ? le reverrai-je ?...

 

 

Scène VIII

 

MADAME DE MIREPOIX, CÉCILE

 

MADAME DE MIREPOIX.

Mademoiselle, les ordres du roi m’amènent auprès de vous.

CÉCILE.

Venez-vous m’annoncer, Madame, qu’on va me rendre enfin la liberté ; que je reverrai celui que j’aime ?

MADAME DE MIREPOIX.

Ce n’est pas là précisément ce qu’on m’a chargé de vous dire.

CÉCILE.

Que me voulez-vous donc ? Madame ?

MADAME DE MIREPOIX.

Vous paraissez avoir produit sur le cœur du roi une vive impression ; tout annonce que vous ne quitterez plus Versailles...

CÉCILE.

Qu’entends-je ?

MADAME DE MIREPOIX.

Vous êtes bien jolie ; mais les usages de la Cour vous sont étrangers ; on exige ici, dans les manières, une certaine élégance inconnue à la classe où vous fûtes élevée, et le roi, qui sait mon dévouement, a daigne vous recommander à mes soins.

CÉCILE.

Que me veut-on encore ?

MADAME DE MIREPOIX.

On veut votre bonheur.

CÉCILE.

Mais, Madame, n’êtes-vous pas l’amie de la comtesse du Barry ?

MADAME DE MIREPOIX.

Qui, sans doute, son amie dévouée !... Cette pauvre comtesse !... elle n’a pas écouté mes conseils ; elle a trop abusé de son pouvoir ; elle s’entourait si mal !... et puis des caprices, une exigence !... et quelquefois un ton détestable !... Oh ! cela ne pouvait pas durer !

CÉCILE.

Comment !... que voulez-vous dire ?

MADAME DE MIREPOIX.

Mes conseils vous garantiront des fautes qu’elle a commises !... Car vous serez bonne, vous ; votre reconnaissance n’oubliera pas ceux qui vous consacreront leurs soins.

CÉCILE, reculant.

Ah ! Madame, je crains de vous comprendre.

MADAME DE MIREPOIX, à part.

Eh bien ! qu’est-ce que c’est donc ?

Haut, se rapprochant.

Permettez, Mademoiselle...

 

 

Scène IX

 

MADAME DU BARRY, entrant par la gauche, MADAME DE MIREPOIX, CÉCILE

 

LA COMTESSE.

Que vois-je ?... Eh quoi ! madame la maréchale, déjà !...

MADAME DE MIREPOIX.

Ma chère amie...

LA COMTESSE.

Il me semble que vous êtes bien pressée !

MADAME DE MIREPOIX.

Mais, ma toute belle, j’agis d’après les ordres du roi.

LA COMTESSE, à demi-voix.

Ses ordres !...

MADAME DE MIREPOIX.

Mademoiselle doit désormais habiter Versailles.

LA COMTESSE.

Et elle accepte ?

MADAME DE MIREPOİX.

La belle question !... Auriez-vous refusé, vous ?

LA COMTESSE, passant auprès de Cécile.

Répondez donc, Cécile !... Vous consentez...

CÉCILE.

Que vous dirai-je, Madame ?... Le roi m’a prescrit d’attendre ici ses ordres ; il semblait si touché, ses manières étaient si imposantes, que je n’ai pas en la force de répliquer ; et j’attends, convaincue qu’il ne peut vouloir mon malheur.

LA COMTESSE, à part.

N’est-il donc plus d’espoir ?

MADAME DE MIREPOIX.

Écoutez, ma toute aimable comtesse : Sa Majesté commande, puis-je résister ?

LA COMTESSE, avec dédain.

Vous êtes si complaisante !

MADAME DE MIREPOIX.

Allons, ne soyez pas injuste ! Et, quoi qu’il arrive, songez que l’attachement de vos amis...

LA COMTESSE, avec fierté.

Vous me consoles, je crois ?... attendez, il n’est peut être pas temps encore !... Et vous, Mademoiselle, recevez toutes mes félicitations ; il paraît que les discours du roi ont exercé sur vos résolutions un bien puissant empire ; le sé jour de Versailles ne vous effraie plus !... Mais, Madame qui veut bien vous prodiguer ses conseils, pourra vous dire que la route où vous entrez est glissante ; qu’ici le lendemain n’accomplit pas toujours les promesses de la veille ; et que tel, qu’on croit abattu, peut, en se relevant tout-à coup, écraser les imprudents qui insultaient à sa chute !

CÉCILE.

Arrêtez, Madame !... épargnez-moi des outrages que je n’ai point mérités ; et ne me forcez pas d’oublier que naguères je vous ai dû de la reconnaissance.

LA COMTESSE.

Ah ! vous vous en souvenez encore !... c’est un ridicule dont les leçons de madame vous corrigeront bientôt.

MADAME DE MIREPOIX, à part.

Pauvre femme !... Il faut bien lui passer quelque chose !

 

 

Scène X

 

MEAUPOU, MADAME DE MIREPOIX, MADAME DU BARRY, JEAN, CÉCILE, ADRIEN, CAZOTTE

 

JEAN.

Entrez, monsieur le chancelier !... Venez, Messieurs. Allons, ma chère sœur, je vous amène nos auxiliaires.

CÉCILE.

Adrien !...

ADRIEN.

Ma Cécile !... Auprès de vous, Madame !... Ah ! tous mes chagrins sont oubliés !... On ne nous séparera plus !

CÉCILE.

Oh ! mon ami, si vous saviez tout ce que j’ai souffert !...

JEAN.

C’est bon, c’est bon ! vous lui conterez cela plus tard. Eh ! bien, ma chère sœur, tout va-t-il comme nous l’entendons ? Voici M. de Meaupou qui vient nous prêter main forte ; tout à l’heure il a régalé le roi d’un mémoire sur la nouvelle désobéissance des parlements qui fera merveille. Monsieur Cazotte a voulu accompagner son ami, mais je vous avertis qu’il est plongé dans ses rêveries prophétiques, et qu’elles ne sont pas gaies : près de lui Jérémie était un bouffon.

À Cécile.

Ah ça, ma belle enfant, nous avons fait, j’espère, une résistance...

ADRIEN.

Qu’entends-je ?... Que s’est-il donc passé ?

JEAN.

Oh ! moins que rien !... Une fantaisie de roi !... Soyez tranquille, nous étions là pour l’empêcher.

ADRIEN.

Quel est ce mystère ?... Cécile !

CÉCILE, d’un ton suppliant.

Adrien !...

Madame de Mirepoix parle bas à Meaupou.

MEAUPOU, à demi-voix.

Est-il possible ?

MADAME DE MIREPOIX, idem.

Cela paraît décidé.

JEAN.

Ah ça, mais qu’y a-t-il donc ? ma belle-sœur a l’air consterné et ne dit mot ; madame la maréchale parle bas à M. de Meaupou ; voyons, expliquez-vous.

LA COMTESSE.

Ne comprenez-vous pas mon silence ?

JEAN.

Comment !... il se pourrait ?...

LA COMTESSE.

Mademoiselle ne doit plus quitter Versailles.

ADRIEN.

Ô ciel !...

CÉCILE.

Malheureuse !... Il me soupçonne !

JEAN.

Sarpedié ! nous arrivons trop tard.

CAZOTTE, à part.

Encore une victime !

ADRIEN.

C’est rester trop longtemps dans cette affreuse incertitude ! Parlez, Cécile, parlez ! Que faites-vous ici ? que m’annoncent ces discours que je tremble d’avoir compris ? Pourquoi ces riches vêtements ?

CÉCILE.

Ah ! vous aussi, vous m’accusez !...

Passant auprès de la comtesse.

Par pitié, Madame, ne laissez pas planer sur moi plus longtemps le soupçon qui me déshonore ! Vous ne pouvez pas me croire coupable ! Rendez, rendez à la pauvre orpheline l’honneur qui est sa seule richesse ! Détrompez-le, Madame, détrompez-le !

LA COMTESSE.

Eh ! que sais-je ? Eh ! que puis-je lui dire ?

CÉCILE.

Ô mon Dieu !...

ADRIEN.

Tout m’a-t-il donc trahi ?

JEAN.

Ma foi, mon cher ami, je suis désolé, de vous avoir amené ici pour ça !... J’aurais aussi bien fait de vous laisser à la Bastille.

ADRIEN.

Eh ! Monsieur, gardez vos consolations.

JEAN.

J’en ai, palsembleu, grand besoin !... Je n’ai qu’à me présenter chez l’abbé Terray, à cette heure ! il me recevra bien !... Comptez donc sur ces vertus bourgeoises.

UN HUISSIER, annonçant.

Le Roi !

JEAN.

Ah ! voilà notre congé qui arrive !... Adieu, paniers, vendanges sont faites.

 

 

Scène XI

 

MEAUPOU, RICHELIEU, MADAME DE MIREPOIX, MADAME DU BARRY, LE ROI, CÉCILE, ADRIEN, JEAN, CAZOTTE

 

LE ROI.

Suivez-moi, monsieur le maréchal. Je suis charmé de vous trouver ici réunis.

CÉCILE.

Sire, ne m’abandonnez pas ! Poursuivie par d’odieux soupçons, j’implore la justice de Votre Majesté.

LE ROI.

Et qui ose vous tourmenter ici ? qui fait couler vos larmes ?

LA COMTESSE.

C’est moi !... Exigerez-vous donc que je sois son amie ?

LE ROI.

Je n’exige rien ; mais je désire que vous soyez la première à saluer mademoiselle de Montservier.

CÉCILE.

Qu’entends-je ?

ADRIEN.

Malheureux !

JEAN, à part.

Rien n’y manque.

LE ROI.

Allons, madame la comtesse !

LA COMTESSE, à part.

Quel supplice !...

Elle fait un pas, puis recule en disant.

Jamais !

LE ROI, passant entre Cécile et Adrien.

Ah !... comme vous voudrez !... Et vous, Monsieur, que je vois ici pour la première fois, ne vous nomme-t-on pas Adrien Mirval ?

ADRIEN.

Oui, Sire.

LE ROI.

Vous aimiez Mademoiselle, et vous en étiez aimé ?

ADRIEN.

Je l’ai cru longtemps.

LE ROI.

Et vous auriez tort d’en douter. J’ai pris sur vous des informations, Monsieur ; elles vous ont acquis mon es time. On s’est servi de mon nom pour vous persécuter, je vous dois un dédommagement, vous allez l’obtenir. Vous serez l’époux de Cécile.

ADRIEN.

Son époux !...

JEAN, à part.

Ah ! ah !... Sitôt !...

LE ROI.

Mais comme M. Adrien Mirval ne pourrait prétendre à la main de mademoiselle de Montservier, c’est au comte d’Albi que je la donne ! Recevez en même temps et ce titre, et celle que vous aimez !... Eh ! bien, hésiteriez vous ?

ADRIEN.

Non, Sire, je n’hésite pas, je refuse.

LE ROI.

Vous refusez !...

JEAN, à part.

L’imbécile !

ADRIEN.

Que Votre Majesté me pardonne ! J’adorais la jeune orpheline sans titres, sans fortune, mais riche de ses vertus et d’une réputation sans tache...

LE ROI.

Et vous oseriez soupçonner !...

CÉCILE.

Mon Dieu, prends pitié de moi !

LE ROI.

Jeune homme, je vois que vous honorerez le titre dont je vous décore !... Allons, puisqu’il le faut...

Il prend la main de Cécile et l’amène près d’Adrien.

Ne recevrez-vous pas une fille des mains de son père ?

TOUT LE MONDE.

Son père !...

RICHELIEU, à part.

Je suis perdu !

MADAME DE MIREPOIX, à part.

Maladroite !... Et je n’ai pas deviné !...

JEAN, à part.

Par dieu ! nous l’échappons belle !

LE ROI, à Adrien.

Eh bien, Monsieur, la trouvez-vous d’assez bonne maison ?...

ADRIEN.

Ah ! Sire !...

CÉCILE.

Mon père !... le roi !...

LE ROI.

Oui, petite folle !... Vous ne craindrez plus de m’aimer à présent ?

Air : T’en souviens-tu.

Oublions tout ! à ma voix, je l’espère,
Vous serez docile aujourd’hui :
Dans cette Cour vous retrouvez un père,
Et c’est le roi qui vient plaider pour lui !
Ne songez point à l’éclat dont il brille ;
Tout de l’aimer vous impose la loi !
Le roi le veut !... et vous savez, ma fille,
Que vous devez obéissance au roi.

CÉCILE.

Que ce devoir me sera doux à remplir !

LE ROI.

Bien, mon enfant, bien !

À la comtesse.

Et vous, ma dame la comtesse, vous êtes encore irritée ?... J’ai eu quelques torts, j’en conviens ; faisons la paix,

LA COMTESSE.

Un moment !... J’en vais dicter les conditions.

LE ROI.

Ah ! c’est juste !

LA COMTESSE.

Les accepterez-vous ?

LE ROI.

Voyons.

LA COMTESSE.

Les affaires étrangères au duc d’Aiguillon.

LE ROI.

Et monsieur de Choiseul ?...

LA COMTESSE.

Exilé, cette nuit, avec les parlements qui vous bravent.

LE ROI.

Un coup si hardi...

MEAUPOU.

Consentez, Sire, je réponds du reste !

LA COMTESSE.

C’est mon ultimatum !

LE ROI.

Tous le voulez tous ?... Je n’aurai pas de repos que je ne vous aie contentés !... Mais, pour vous, n’exigez-vous rien ?

LA COMTESSE, lui tendant la main.

Votre amitié !

LE ROI, baisant sa main.

Qui pourrait vous résister ?... Allons, c’en est fait, ils partiront.

CAZOTTE, à part.

Pauvre France !

LE ROI, à Richelieu.

Vous vous taisez, monsieur le maréchal ?... Ah ! je comprends votre embarras : oublions le passé ! Je vous ai dû un plaisir bien doux ; c’est tout ce que je veux me rappeler ! À ma sollicitation, madame la comtesse pardonnera vos torts.

LA COMTESSE.

Je ne m’en souviens plus.

À part.

Il les paiera cher !

RICHELIEU.

Croyez désormais à tout mon dévouement.

À part.

C’est à recommencer.

LE ROI, à Cécile et à Adrien.

Adieu, mes enfants ! Demain vous aurez de mes nouvelles.

À madame de Mirepoix.

Madame la maréchale, je vous recommande Mademoiselle.

Au chancelier.

Monsieur de Meaupou, venez recevoir unes ordres.

À la comtesse.

Au revoir !

Il sort accompagné de M. de Meaupou.

 

 

Scène XII

 

RICHELIEU, MADAME DE MIREPOIX, MADAME DU BARRY, JEAN, CÉCILE, ADRIEN, CAZOTTE

 

Cazotte, plongé dans ses réflexions, a le coude appuyé sur une cheminée.

JEAN.

Ouf ! le nuage a passé encore une fois sans crever !... Ah ! ça, ma chère sœur, ne consacrerons-nous pas cette soirée à la joie ?

LA COMTESSE.

Oui, vous avez raison, ne nous quittons pas.

À des domestiques.

Qu’on nous serve !

JEAN.

C’est cela ! un petit souper !... Nous boirons à la santé du parlement Meaupou.

CAZOTTE, à part.

Les insensés !... où nous entrainent-ils ?

Les portes du fond s’ouvrent, on voit une table richement servie ; on entend de la musique.

LA COMTESSE.

Tout est prêt !... Qui m’aime me suive !... Eh bien, monsieur Cazotte, vous ne venez pas ?...

JEAN.

Bon !... il est enseveli dans ses rêveries !... Il cause avec son esprit familier !... Si nous l’en priions, il nous tirerait à tous notre horoscope.

CAZOTTE.

Ah ! je le pourrais peut-être !... Le peuple se lassera un jour !... De longs excès amèneront de terribles représailles !... et moi-même...

LA COMTESSE.

Qu’entends-je ?...

RICHELIEU.

Quels regards !...

JEAN, riant.

Le souper refroidit !... Voyons, je suis curieux de connaître notre sort : quel sera-t-il ?

CAZOTTE.

Le même que le mien !

LA COMTESSE, troublée.

Et qu’est-ce donc qui vous attend ?...

CAZOTTE.

L’échafaud !

TOUT LE MONDE.

Ah !...

Richelieu et Jean rient aux éclats ; la toile tombe.


[1] Pendant ce que disent Adrien et la comtesse, Cécile va montrer les étoffes à Madame de Mirepoix.

[2] La comtesse sort du cabinet, et vient prendre la droite de l’acteur.

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