Le Train de minuit (Henri MEILHAC - Ludovic HALÉVY)

Comédie en deux actes.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Gymnase, le 16 juin 1863.

 

Personnages

 

LE COMTE DE VALRÉAS

RICHARDIN

ANDRÉ DE FERLY

JACQUES

LA COMTESSE

MADELEINE DE FERLY

HENRIETTE

 

De nos jours, dans un château, à une quarantaine de lieues de Paris.

 

 

ACTE I

 

Un salon donnant sur un parc, chez le Comte. Portes au fond et dans les pans coupés ; cheminée et canapé à droite. Fenêtre et table à gauche ; guéridon à gauche du canapé.

 

 

Scène première

 

JACQUES, HENRIETTE

 

Chacun à une extrémité de la scène ; Jacques, tenant sur son bras un habit d’homme ; Henriette, tenant une robe de femme.

JACQUES.

Henriette.

HENRIETTE.

Ne bouge pas au moins...

JACQUES.

Tu n’es pas aimable, Henriette...

HENRIETTE.

Pas aimable... pourquoi ?... Est-ce que je t’empêche de me parler ? Est-ce que je ne te permets pas de me dire que tu me trouves jolie et que tu m’aimes tant que tu en es bête ?...

JACQUES.

Cette permission pouvait suffire il y a six semaines, mais il me semble que maintenant que nous sommes mariés... ce que tu me permets de te dire de loin, tu devrais me permettre de te le dire... de près !

HENRIETTE.

Pour que l’on nous surprenne, et que l’on nous mette à la porte !...

JACQUES.

Cela serait fâcheux sans doute... mais il est plus fâcheux encore d’être obligés, quand on s’adore, de faire semblant de s’exécrer.

HENRIETTE.

Est-ce ma faute à moi ? Pouvions-nous supposer que, chez des maîtres mariés depuis huit jours, l’amour serait aussi mal vu qu’il l’est dans cette maison ? On ne nous garde ici qu’à cause de cette aversion que nous sommes censés avoir l’un pour l’autre. Le jour où madame se douterait que cette aversion est une comédie et qu’au fond nous ne nous détestons pas du tout...

JACQUES.

Pas du tout !...

HENRIETTE.

Notre compte serait bientôt fait, tandis que pour obtenir d’elle de bonnes paroles et des cadeaux, il me suffit de lui dire un peu de mal de toi...

JACQUES.

Et tu lui en dis ?...

HENRIETTE.

Enormément, dans l’intérêt de notre ménage.

JACQUES.

J’entends... et dans un certain sens je ne saurais te blâmer ; mais, c’est égal, il est bien triste...

HENRIETTE, elle met la robe sur le canapé.

Bon... quoique madame fasse bonne garde, il se rencontre bien, par-ci par-là, des moments où l’on trouve moyen de se rattraper...

JACQUES, il met l’habit sur la table.

 Il me semble que nous sommes dans un de ces moments-là, et que, si tu t’y prêtais un peu, je pourrais bien t’embrasser sans que personne...

HENRIETTE.

Non pas... non pas...

JACQUES.

Je te jure que si...

HENRIETTE.

Je te jure que non, moi !

JACQUES.

Fais un pas seulement.

HENRIETE.

Quand j’aurai fait un pas, tu seras bien avancé...

JACQUES.

Fais-le toujours...

HENRIETTE.

Le voilà fait.

Elle fait un tout petit pas.

JACQUES.

Ah ! bien, si c’est ça que tu appelles un pas ?

HENRIETTE.

Qu’est-ce que c’est donc ?

JACQUES, faisant une enjambée énorme.

Voilà un pas !

HENRIETTE.

Oh !

JACQUES.

Enfin fais-les petits si tu veux, mais fais-en plusieurs...

HENRIETTE.

Je le veux bien, mais tu verras que nous y serons pincés.

JACQUES.

Mais non... je te dis... mais non !

HENRIETTE.

Il suffit du bruit d’un baiser pour que madame s’élance... prrr... comme ces diables... tu sais... quand on ouvre la boîte...

JACQUES.

Je t’embrasserai si doucement...

Ils marchent avec de grandes précautions l’un au-devant de l’autre et s’embrassent. La Comtesse paraît au fond ; Henriette et Jacques se séparent vivement et se retrouvent encore aux deux extrémités de la scène, Henriette à la place de Jacques, Jacques à la place d’Henriette.

 

 

Scène II

 

JACQUES, HENRIETTE, LA COMTESSE

 

LA COMTESSE.

Henriette...

HENRIETTE.

Madame...

LA COMTESSE.

Qu’est-ce que vous faites ici ?...

HENRIETTE.

Moi... madame ?... Je... je portais à madame cette robe... la robe grise, que j’ai arrangée comme madame me l’a dit...

LA COMTESSE.

Où est-elle, cette robe ?

HENRIETTE.

Elle est...

Montrant le coin où est Jacques.

là-bas.

LA COMTESSE.

Ah ! et vous Jacques ?

JACQUES.

Moi... je portais ces habits à ce monsieur qui est l’ami de M. le comte, et qui est arrivé à six heures du matin... Il vient de se réveiller...

LA COMTESSE.

Où sont-ils, ces habits ?...

JACQUES.

Mais ils sont...

Montrant le coin où est Henriette.

là-bas...

LA COMTESSE.

Prenez-les et portez-les dans la chambre de M. Richardin.

JACQUES.

Bien, madame !

Il ne bouge pas.

LA COMTESSE.

Ne m’entendez-vous pas ? je vous dis de prendre ces habits et de les porter chez M. Richardin.

JACQUES.

Oui, madame.

Jeu de scène, grand circuit de Jacques dans le fond pour revenir à son ancienne place ; grand circuit d’Henriette pour revenir à la sienne. Ils affectent de s’éviter tous les deux.

LA COMTESSE.

Allez vite, Jacques.

Il sort par la droite, Henriette reprend la robe.

Restez, Henriette.

 

 

Scène III

 

LA COMTESSE, HENRIETTE

 

LA COMTESSE.

Qu’est-ce que cela signifie, Henriette ?

HENRIETTE.

Quoi, madame ?

LA COMTESSE.

Quand je suis entrée...

HENRIETTE.

Quand madame est entrée ?...

LA COMTESSE.

Vous étiez près de votre mari...

HENRIETTE.

J’étais près de lui ?...

LA COMTESSE.

Je l’ai bien vu...

HENRIETTE.

Si madame l’a vu...

LA COMTESSE.

Vous avez donc jugé à propos de vous réconcilier...

HENRIETTE, vivement.

Par exemple !

À part.

Qu’est-ce que je vais dire...

LA COMTESSE.

Eh bien ?

HENRIETTE.

Pas du tout... madame... pas du tout ! Nous réconcilier ?... ah ! bien, oui... nous n’y pensons guère...

LA COMTESSE.

C’est vrai, ça ?

HENRIETTE.

C’est très vrai, madame...

LA COMTESSE.

Cela s’accorde assez mal avec ce que j’ai vu...

HENRIETTE, embarrassée.

Avec ce que madame a vu !...

LA COMTESSE.

Eh ! oui... tout à l’heure...

HENRIETTE, avec aplomb.

Au contraire... madame, cela s’accorde très bien !...

LA COMTESSE.

Comment !

HENRIETTE.

Mon mari et moi, nous nous sommes rencontrés ici...

LA COMTESSE.

Vous vous êtes rencontrés...

HENRIETTE.

Bien par hasard, madame... car généralement nous cherchons à nous éviter.

LA COMTESSE.

Bon...

HENRIETTE.

Mais enfin nous nous sommes rencontrés... et nous avons d’abord échangé... de loin quelques paroles... aigres, madame, très aigres...

LA COMTESSE.

Et, après ?...

HENRIETTE.

Après... la conversation s’est un peu animée... je veux dire que nous en sommes venus aux invectives...

LA COMTESSE.

Oh !

HENRIETTE.

C’est alors qu’emportés par la colère, nous nous sommes rapprochés l’un de l’autre et... que madame me pardonne !...

LA COMTESSE.

Quoi donc ?...

HENRIETTE.

Je crois que si madame n’était pas entrée en ce moment...

LA COMTESSE.

Qu’est-ce qui serait arrivé ?...

Entre le Comte sortant de chez lui ; il s’arrête et écoute.

 

 

Scène IV

 

LA COMTESSE, HENRIETTE, LE COMTE

 

HENRIETTE.

Mon cher mari aurait reçu la meilleure torgnole...

LA COMTESSE.

Vous l’auriez battu !

HENRIETTE.

Dame !...

LA COMTESSE, après un silence et en dissimulant un sourire.

Décidément, cette robe même arrangée ne me plaît pas ; je vous la donne...

HENRIETTE.

Merci, madame.

LA COMTESSE.

Un mot, seulement, Henriette, il ne faut pas vous servir de l’expression torgnole. Torgnole est une expression peu convenable.

Elle passe devant. Henriette qui remonte pour sortir.

LE COMTE, s’avançant.

Madame la comtesse a raison, Henriette, il ne faut pas se servir de l’expression torgnole... J’ajouterai, madame a oublié de vous le dire, qu’il ne faut pas non plus donner de torgnole à son mari... N’oubliez pas le conseil de madame la comtesse, et souvenez-vous du mien... Ils sont excellents tous les deux !

HENRIETTE.

Je me les rappellerai, monsieur !...

Elle sort par la gauche.

 

 

Scène V

 

LE COMTE, LA COMTESSE

 

LE COMTE.

Vous ne m’en voulez pas, madame, d’avoir complété la leçon que vous étiez en train de donner à Henriette ? Il est bon certainement que nos gens se servent d’expressions choisies ; il est meilleur encore qu’ils ne se battent point.

Mouvement de la Comtesse.

Vous me laissez...

LA COMTESSE.

Nous n’avons pas, je pense, l’habitude de beaucoup rester ensemble...

LE COMTE.

Un de mes meilleurs amis, Richardin, a quitté Paris pour venir passer quelques jours près de nous...

Sourire de la Comtesse.

Quand il est arrivé, vous n’étiez pas là pour le recevoir... à six heures du matin, cela a pu ne pas l’étonner... mais si tout à l’heure...

LA COMTESSE.

Je verrai certainement M. Richardin dès qu’il sera descendu...

Elle veut sortir.

LE COMTE.

Voyons, madame, ayons l’un pour l’autre les sentiments qu’il nous convient d’avoir, je le veux bien ; mais il me paraît au moins inutile de laisser voir... devant une personne étrangère...

LA COMTESSE.

Devant une personne étrangère ?... il n’y a ici que vous et moi...

LE COMTE.

Je viens de vous dire que Richardin...

LA COMTESSE.

Et je vous ai dit, moi, que je verrais M. Richardin dès qu’il serait descendu, Est-il absolument nécessaire que nous restions ici, en tête-à-tête, tous les deux, en attendant qu’il descende ?...

LE COMTE.

Eh ! madame...

LA COMTESSE, l’interrompant.

Cela est-il nécessaire ?

LE COMTE.

Non, madame, non, cela n’est pas nécessaire.

LA COMTESSE.

Souffrez alors que je ne reste pas... Dès que M. Richardin sera descendu, vous aurez la bonté de me faire avertir... et je viendrai...

LE COMTE.

En vérité, madame...

LA COMTESSE.

Vous me ferez avertir, je vous en serai fort obligée.

Elle rentre chez elle à gauche.

 

 

Scène VI

 

LE COMTE

 

Ce qu’il y a d’amusant à remarquer, c’est que ce mariage a été la meilleure action de ma vie, si ce n’est la seule bonne... je n’avais nulle envie d’essayer de la vertu, quant à moi, mais ma sœur était là, me suppliant de me marier... J’ai pensé qu’il ne fallait pas refuser cette joie, je me suis marié, et voilà ma femme !... J’ai été vertueux... et voilà... Vertu, ma mie ! il faut avouer que le hasard a parfois une façon singulièrement burlesque de vous récompenser !... Ce qu’il y a de non moins amusant, c’est que ma sœur a fait ce mariage pour ne pas laisser sa fortune à des collatéraux de province, mais bien à quelque charmant neveu ou à quelque adorable nièce qu’elle verrait grandir auprès d’elle... Il ne faut pas m’an vouloir... ma chère sœur... mais je crois bien qu’en dépit de vos excellentes intentions, ce sont les collatéraux qui hériteront !

Entre Richardin venant de la droite

 

 

Scène VII

 

LE COMTE, RICHARDIN

 

RICHARDIN.

C’est moi ! bonjour !

LE COMTE.

Bonjour !

RICHARDIN.

T’ai-je dit ce matin ce qui est arrivé ?... je n’ai pas dû te le dire, car je dormais.

LE COMTE.

Tu ne m’as rien dit du tout.

RICHARDIN.

Chabannes !

LE COMTE.

Notre ami !

RICHARDIN.

Oui, notre ami !

LE COMTE.

Eh bien ?

RICHARDIN.

Perdu !... déshonoré !...

LE COMTE.

Allons donc !

RICHARDIN.

Parole d’honneur !

LE COMTE.

Et comment ça ?

RICHARDIN.

Il ne s’est pas aperçu que Bradfort lui tendait un piège en met tant sa reine en prise... Il a pris cette reine, le misérable... Trois coups après, Bradfort l’a fait mat !...

LE COMTE, riant.

C’est cela !...

RICHARDIN.

À sa place, moi, je n’oserais plus me montrer... Tu vas voir... donne-moi un échiquier, je vais t’expliquer le coup.

LE COMTE.

Plus tard ! plus tard !

RICHARDIN.

Est-ce que tu ne m’as pas dit que nous ne serions pas dérangés ici, et que nous pourrions jouer aux échecs depuis le matin jusqu’au soir si cela nous convenait ?...

LE COMTE.

Si fait, si fait ; mais laisse-moi au moins le temps de te demander de les nouvelles... Tu t’es couché à six heures du matin... il est maintenant trois heures de l’après-midi... Tu as bien dormi ?

RICHARDIN.

Non ; j’ai été agité... j’avais dans les oreilles ce bruit du chemin de fer... pan rran pan pan ! pan rran pan pan ! Je n’aime pas ce bruit-là.

LE COMTE.

Je le sais, et je ne t’aurais pas exposé à l’entendre pendant sept ou huit heures, si tu ne m’avais écrit toi-même que tu étais décidé à quitter Paris.

RICHARDIN.

Très décidé ! très décidé !... Et je suis enchanté de ne plus y être... ma nièce y arrive ce soir !

LE COMTE.

Ta nièce ?

RICHARDIN.

Oui, j’ai une nièce qui s’est mariée il y a un mois environ...

LE COMTE.

Avec un petit cousin à moi, Ferly, je sais... le mariage a eu lieu en province...

RICHARDIN.

J’ai reçu une lettre de madame de Ferly... Elle m’annonçait qu’elle venait à Paris avec son mari... et qu’elle logerait chez moi... avec son mari !... Des nouveaux mariés, je ne peux pas souffrir ça, moi... c’est désagréable à voir... Ça se parle tout bas, ça se prend la main, ça s’embrasse !... et les baisers ça fait un bruit que je n’aime pas... ps... ps... Là-dessus, j’ai pris le parti de mettre mon hôtel à leur disposition et de m’en aller.

LE COMTE.

Et là-dessus, moi, je t’ai écrit que si tu ne savais où aller, tu ferais bien de venir chez moi... que tu y trouverais encore des nouveaux mariés, cela est vrai, mais des nouveaux mariés d’une espèce particulière, des nouveaux mariés qui ne se parlent jamais tout bas, qui ne se prennent guère la main, et qui ne s’embrassent pas du tout.

RICHARDIN.

J’aime à le croire... les baisers... oh !

LE COMTE.

Et tu es venu ?

RICHARDIN.

Avec confiance !

LE COMTE.

Merci !

RICHARDIN.

Et aussi avec une certaine inquiétude... car enfin... la situation me paraît tellement extraordinaire, au bout de huit jours...

LE COMTE.

Ah ! tu aurais pu venir le lendemain !...

RICHARDIN.

Le lendemain ?...

LE COMTE.

Je vais te conter ça.

RICHARDIN.

Ah !

Ils s’asseyent, Richardin sur le canapé, le Comte sur un fauteuil.

LE COMTE.

Cela t’épargnera la peine de faire des suppositions... qui, du reste, fatigueraient inutilement ta cervelle. J’ai fait une sottise en mariant, une énorme sottise... ma seule consolation est de me dire que ce sont les autres qui me l’ont fait faire... J’ai, moi, regimbé jusqu’au dernier moment ou à peu près, à toute force je ne me voulais pas marier, à ce point qu’un jour, bien que les choses fus sent fort avancées, je pris un grand parti au risque de ce qui pouvait arriver !... j’écrivis une longue lettre à la mère de Louise... elle se nomme Louise... déclarant dans cette lettre que je ne me sentais qu’un entraînement médiocre vers celle à l’existence de qui on voulait lier mon existence... et le déclarant en termes assez nets afin qu’il n’y eut pas moyen de revenir !... Ma lettre finie... je voulus la porter moi-même... J’arrive à la porte de la maison... une voiture s’arrête, deux femmes en descendent... c’était ma sœur et la mère de Louise... Moi, je balbutie... je tenais justement à la main... « Madame, c’est une lettre ! – Votre réponse, dit la mère ; mon ami, vous comblez mes vœux ! » Elle se jette dans mes bras, prend ma lettre, ne l’ouvre pas... Nous arrivons dans le salon, Louise y était avec sa sœur... une enfant de trois ou quatre ans !... Sa mère jette ma lettre sur la table... sans l’ouvrir ! Je vais m’élancer... mais on m’entraine dans une chambre voisine pour me présenter à je ne sais quelle cousine de province, qui me voulait parler en particulier et qui avait fait deux cents lieues pour me dire la phrase sacramentelle : « Monsieur, rendez-la heureuse !... » Au bout d’une demi-heure je rentre enfin... je regarde... ma lettre n’y était plus... j’examinai les figures... rien !... On me garda à diner, rien... je partis le soir, assez tard, sans avoir rien remarqué d’extraordinaire, si ce n’est l’attention extrême avec laquelle Louise considérait des cocottes que sa jeune sœur était en train de confectionner... Le mariage se fit !... je partis avec ma femme pour venir ici. Elle fut convenable pendant le trajet, à part certain sourire qui de temps à autre relevait les coins de sa bouche d’une façon bizarre... Elle entra seule dans sa chambre... Je dois avouer qu’au moment d’y entrer à mon tour, je me sentais assez en humeur de me réconcilier avec le mariage...

RICHARDIN.

Hein ?

LE COMTE.

Qu’est-ce qui te prend, à toi ?

RICHARDIN.

Rien. Continue.

LE COMTE.

J’y entrai, dans cette chambre ! ma femme était assise... en train de jouer avec des cocottes. Je les reconnus du premier coup d’œil, Louise sourit en se tournant vers moi ! « Il y a là quelque chose d’écrit, me dit-elle... regardez... » Je regardai... c’était ma lettre !

RICHARDIN.

Elle avait lu les cocottes ?...

LE COMTE.

Sans en passer une ligne... Elle s’en accusa avec une humilité singulièrement ironique... Et elle me récita, sans se tromper d’une syllabe, le passage qui la concernait !... « Mais pourquoi, étant si bien instruite, vous êtes-vous laissé marier ?... » Elle me répondit qu’elle avait craint le scandale, qu’il aurait fallu avouer qu’elle avait lu et qu’elle n’avait pas osé, et puis qu’elle avait eu peur de faire de la peine à sa mère qui tenait à ce mariage... Sur ce beau raisonnement, elle se leva, me fit une révérence et...

RICHARDIN.

Et ?...

LE COMTE, se levant.

Et nous aurons tout le temps de jouer aux échecs... Tu dois en être sûr maintenant ?

RICHARDIN.

Voilà comment je comprends le mariage !

Entre Henriette.

 

 

Scène VIII

 

LE COMTE, RICHARDIN, HENRIETTE

 

HENRIETTE.

Vos journaux, monsieur, et puis des lettres.

LE COMTE.

Merci, Henriette... Voulez-vous entrer chez madame la comtesse et lui dire que M. Richardin est descendu !

HENRIETIE.

Oui, monsieur !

Elle sort par la gauche.

RICHARDIN, suivant Henriette du regard, à part.

Eh ! eh ! elle est gentillette, cette fillette !

 

 

Scène IX

 

RICHARDIN, LE COMTE

 

LE COMTE.

Je l’ai dit mon histoire ; fais-en ton profit si jamais la fantaisie te venait de te marier, à toi aussi.

RICHARDIN.

Me marier ! moi !

LE COMTE.

Dame, on peut s’attendre à tout, puisque moi-même...

RICHARDIN.

Me marier ! Est-ce que tu te figures m’avoir appris quelque chose que je ne savais pas, avec tes cocottes ? Est-ce que tu crois qu’avant de t’écouter, je ne savais pas déjà ce que c’est que les femmes ?...

LE COMTE.

Tu sais ce que c’est ?

RICHARDIN.

C’est la plus grande mystification que Dieu ait jamais faite à l’homme !... Il y a six mille ans pour le moins que la femme conte à l’homme la même bourde et que l’homme s’y laisse prendre. Adore-moi, tu seras Dieu... l’homme adore et il est bête !

Entre la Comtesse.

LE COMTE, à Richardin.

La Comtesse.

 

 

Scène X

 

LE COMTE, RICHARDIN, LA COMTESSE

 

RICHARDIN.

Ah ! madame !

LA COMTESSE.

Je vous remercie beaucoup, monsieur, d’avoir consenti à venir passer quelques jours près de nous...

RICHARDIN.

Madame, c’est moi qui suis enchanté...

LA COMTESSE.

Vous êtes, je le sais, un des plus anciens amis de M. de Valréas... et à ce titre...

RICHARDIN.

J’ai eu le plaisir de voir madame le jour de son mariage... à la Madeleine... un bien beau mariage !... Il y en avait un autre à côté qui n’avait l’air de rien du tout... Un mariage superbe !

LA COMTESSE.

M. de Valréas m’a parlé de vous comme d’un joueur d’échecs de première force.

LE COMTE.

Oh ! de première force ! Quand nous jouons ensemble... il perd neuf fois sur dix.

LA COMTESSE.

Est-ce vrai, monsieur ?

RICHARDIN.

Il est bien vrai que quelquefois, par étourderie... il m’arrive... Mais ça ne fait rien il y a en moi quelque chose qui me crie que je suis plus fort que lui !

LE COMTE.

Pardonnez-moi, madame, et toi aussi pardonne-moi... J’ai à lire quelques lettres que je viens de recevoir.

LA COMTESSE, au Comte.

Lisez, monsieur.

Le Comte s’éloigne et ouvre les lettres ; la Comtesse va s’asseoir sur le canapé.

Une belle chose que les échecs, n’est-ce pas, monsieur ?

RICHARDIN, s’asseyant sur une chaise.

Une chose merveilleuse ; l’origine de ce jeu se perd dans la nuit des temps. Les uns lui donnent pour inventeur Palamède, un Grec... et les autres Nascir, un sage Indien.

LA COMTESSE.

Vous, monsieur, pour qui penchez-vous ?

RICHARDIN.

Moi, madame... je flotte... Il y a sur le sage Nascir une bien jolie anecdote, je ne sais pas si vous la connaissez... Son maître lui demanda quelle récompense il désirait... le sage Nascir demanda un grain de froment pour la première case de l’échiquier, deux pour la seconde, quatre pour la troisième, huit pour la...

LE COMTE, l’interrompant.

Oh ! mon Dieu !

Il sonne ; à Richardin.

Je vais avoir besoin de toi...

RICHARDIN.

Nous allons jouer ?

LE COMTE.

Non... pas encore.

RICHARDIN.

Pourquoi alors dis-tu que tu vas avoir besoin de moi ?... j’étais en train de raconter à madame...

À la Comtesse.

Huit pour la quatrième case, et ainsi de suite en doublant toujours, jusqu’à...

LE COMTE, sonnant encore.

Qu’est-ce que cela veut dire ?... Jacques ne viendra donc pas ?

Jacques entre du fond.

 

 

Scène XI

 

LE COMTE, RICHARDIN, LA COMTESSE, JACQUES

 

LE COMTE.

Comment ne venez-vous pas plus vite, quand on vous appelle ?...

JACQUES.

Monsieur, c’est que j’étais...

LE COMTE.

Vous étiez ?...

LA COMTESSE.

Répondez, Jacques !

JACQUES.

Henriette... ma femme... était sur mon chemin, et, pour ne pas passer près d’elle, j’ai fait un détour...

LE COMTE.

Ah !

RICHARDIN, à part.

Voilà comment je comprends le mariage.

LE COMTE.

Dites à Pierre d’atteler, il conduira M. Richardin à la gare...

 

 

Scène XII

 

LE COMTE, LA COMTESSE, RICHARDIN

 

RICHARDIN.

Comment, il me conduira à la gare.

LE COMTE.

Eh oui ! tu y attendras des personnes... qui viennent chez moi.

RICHARDIN, se levant.

Quelles personnes ?

LE COMTE.

Ferly et sa femme... mon cousin et ta nièce...

RICHARDIN.

Les nouveaux mariés !

LE COMTE.

Justement.

RICHARDIN.

Je quitte Paris pour les éviter, et je vais me trouver avec eux... !

LE COMTE.

Ils ne resteront pas longtemps ici. Ils s’arrêtent pour y dîner en passant.

RICHARDIN.

Pour y dîner seulement ?

LE COMTE.

Oui... après ils continueront leur route par le train de dix heures et demie...

RICHARDIN.

Et pourquoi ne vas-tu pas toi-même au-devant d’eux ?

LE COMTE, bas.

Parce que j’ai, avant qu’ils soient entrés dans cette maison, certaines paroles à dire à la Comtesse. Va, tu me remplaceras...

RICHARDIN.

Mais tu m’avais dit que je ne ferais ici que des choses amusantes...

LE COMTE.

Tu ne peux pas refuser... puisque c’est ta nièce.

RICHARDIN.

Je ne refuse pas... mais enfin tu m’avais dit... Eh bien, voilà déjà une chose qui n’est pas amusante !...

LE COMTE.

Allons va vite... va vite...

RICHARDIN.

La voiture n’est pas prête encore...

LE COMTE.

Ça ne fait rien...

RICHARDIN.

Ne faudra-t-il pas que j’aide le domestique ?

LE COMTE.

Si tu veux...

RICHARDIN.

Ah çà !...

LE COMTE, bas.

Eh ! je te dis qu’il faut que je parle à la Comtesse... il faut que je lui parle seul... Tu ne comprends rien !...

RICHARDIN.

Voilà déjà une chose qui n’est pas amusante !

Il sort par le fond.

 

 

Scène XIII

 

LE COMTE, LA COMTESSE

 

LA COMTESSE, se levant.

Que se passe-t-il donc, monsieur ?...

LE COMTE.

Quelque chose d’assez grave.

LA COMTESSE.

Quoi enfin ?...

LE COMTE.

Voulez-vous avoir la bonté de lire...

Il lui donne la lettre.

LA COMTESSE.

Eh bien, j’ai lu...

LE COMTE.

Et vous avez vu... ?

LA COMTESSE.

J’ai vu... ce que vous avez dit tout à l’heure... que M. André de Ferly et sa femme s’arrêteront ici ; qu’ils dîneront avec nous, et qu’à dix heures et demie, ils continueront leur route vers Paris...

LE COMTE.

Vous ne dites pas tout. Il y a autre chose...

LA COMTESSE.

Je dis tout ce qui importe, il me semble...

LE COMTE.

Pardonnez-moi, je crois que vous vous trompez... Le reste est pour le moins aussi important... Ferly parle dans cette lettre de l’amour qu’il a pour sa femme, et aussi de l’amour que sa femme a pour lui, et il en parle avec une vivacité... Ferly a vingt-six ans, sa femme en a dix-sept... ce sont deux enfants que nous allons recevoir, deux enfants qui s’adorent...

LA COMTESSE.

Bien... bien !...

LE COMTE.

Et qui sont mariés depuis un mois...

LA COMTESSE.

Je le sais...

LE COMTE.

Vous me direz que nous qui sommes mariés depuis huit jours...

LA COMTESSE.

Où voulez-vous en venir ?...

LE COMTE.

À ceci, que peut-être ce qui se passe dans celle maison... je ne vous accuse pas.

LA COMTESSE.

Vous êtes bien bon...

LE COMTE.

Ce qui se passe dans cette maison est tout naturel... puisqu’il nous convient qu’il en soit ainsi... Mais enfin... il serait bon, je crois, de ne pas montrer à ces enfants, si épris l’un de l’autre, qu’il y a des ménages qui ne ressemblent pas au leur... ce qu’ils verraient ici étonnerait leur amour, effraierait leur bonheur... pour l’avenir peut-être, ce serait une mauvaise chose...

LA COMTESSE.

Est-ce votre avis, monsieur ?

LE COMTE.

C’est mon avis...

LA COMTESSE.

Je pense comme vous, moi aussi... et sans doute il aurait mieux valu qu’ils ne vinssent pas ici ; mais la voiture qui va les chercher est partie... ils viendront, il nous est maintenant impossible de les en empêcher...

LE COMTE.

Assurément, madame, ils viendront... et je n’ai jamais songé à les empêcher de venir...

LA COMTESSE.

Que voulez-vous alors ?...

LE COMTE.

Je voudrais qu’après être venus et avoir vu, ils n’emportassent pas d’ici cette fâcheuse impression... que... je vous disais...

LA COMTESSE.

Soyez tranquille, monsieur, je me tairai.

LE COMTE.

Vous vous tairez ?...

LA COMTESSE.

Je vous le promets.

LE COMTE.

C’est bien quelque chose... mais ce n’est pas assez...

LA COMTESSE.

Que faudrait-il enfin ?...

LE COMTE.

Il faudrait...

LA COMTESSE.

Quoi ?...

LE COMTE.

Il faudrait... avoir l’air de nous aimer...

LA COMTESSE.

Hein ?

LE COMTE.

Un peu.

LA COMTESSE.

Vous avez dit... ?

LE COMTE.

J’ai dit un peu, et j’ai eu tort, car s’ils nous voyaient nous aimer seulement un peu... Il faudrait avoir l’air de nous aimer... pas mal !

LA COMTESSE.

Non, par exemple...

LE COMTE.

Songez, madame, qu’ils partent à dix heures et demie... et que la comédie ne durera pas longtemps...

LA COMTESSE.

La comédie...

LE COMTE.

Certainement, la comédie... il s’agit seulement de jouer une comédie... je n’ai pas besoin de vous dire qu’une fois qu’ils seront partis, nous redeviendrons l’un pour l’autre...

LA COMTESSE.

J’entends bien.

LE COMTE.

Consentez-vous ?... je n’ose pas vous prier de consentir à cause de Ferly... il est mon cousin, le pauvre garçon et ce titre satis doute ne suffit pas... mais Madeleine, sa femme, a été votre amie...

LA COMTESSE.

Oui, quand nous étions enfants...

LE COMTE.

Eh bien alors, à cause de votre amie...

LA COMTESSE.

Je serai donc obligée de vous dire... ?

LE COMTE.

Oh ! rassurez-vous... quoi que vous me disiez, je saurai très bien que vous ne pensez pas un mot de ce que vous dites...

LA COMTESSE.

Et je saurai, moi, quoi que vous me répondiez... ?

LE COMTE.

Consentez-vous ?...

LA COMTESSE.

Là, vraiment, monsieur, est-ce que vous ne voyez pas un autre moyen ?

LE COMTE.

Je n’en vois aucun.

LA COMTESSE.

En vérité, je me demande comment je ferai pour...

LE COMTE.

Nous aurons des modèles sous les yeux, et il nous suffira d’imiter...

LA COMTESSE.

Quels modèles ?

LE COMTE.

Ferly et sa femme... nous nous contenterons de les regarder, et comme ils feront, nous ferons.

LA COMTESSE.

Eh ! mais...

LE COMTE.

Je vous le répète, ils partent à dix heures et demie.

LA COMTESSE.

Allons...

LE COMTE.

Est-ce dit ?...

LA COMTESSE.

C’est dit ; mais il est bien convenu, n’est-ce pas, que tout cela n’est qu’une comédie ?...

LE COMTE.

Sans doute...

LA COMTESSE.

Et qu’aussitôt après le départ de ceux au profit de qui elle est jouée, cette comédie cessera ?...

LE COMTE.

Cela va sans dire.

LA COMTESSE.

Allons, je consens.

LE COMTE, tendant la main.

Merci...

LA COMTESSE, regardant la main tendue.

Alors, nous commençons tout de suite ?...

LE COMTE, saluant et retirant sa main.

Nous commencerons quand les amoureux seront arrivés, je vais au-devant d’eux !

Il sort par le fond.

 

 

Scène XIV

 

LA COMTESSE

 

Le comte a raison, pour des amoureux ce serait un assez fâcheux spectacle... Oh ! mais j’y songe, il y a aussi Jacques et sa femme qui gâteraient le tableau...

Elle sonne.

Il ne faut pas...

Entre Henriette.

 

 

Scène XV

 

LA COMTESSE, HENRIETTE, puis JACQUES

 

HENRIETTE.

Madame.

LA COMTESSE.

Faites venir votre mari.

HENRIETTE.

Mon mari ?...

LA COMTESSE.

Oui, votre mari.

HENRIETTE.

Bien, madame.

Elle sort.

LA COMTESSE.

Il ne faut pas non plus qu’ils voient les domestiques se battre, cela est évident !...

Entre Jacques.

JACQUES.

Me voici, madame.

LA COMTESSE.

Eh bien, votre femme ?...

JACQUES.

Mais c’est elle-même qui m’a dit...

LA COMTESSE.

Allez la chercher, c’est à vous deux que je veux parler, à vous deux en même temps.

JACQUES.

Ah ! bien, madame...

Il sort.

LA COMTESSE.

Si on les voyait se battre ce serait d’un très mauvais exemple. Il ne faut pas qu’ils puissent soupçonner qu’il existe des ménages ou l’on se donne... des torgnoles.

Entrent Jacques et Henriette.

Venez ici tous les deux.

Les deux domestiques se tiennent à une grande distance l’un de l’autre, se jetant de mauvais regards.

HENRIETTE.

Nous voici, madame.

LA COMTESSE.

J’ai a vous dire des choses sérieuses : vous êtes mariés, depuis assez peu de temps et cependant vous faites mauvais ménage.

JACQUES.

Dame !...

LA COMTESSE.

Je ne puis pas vous demander de penser autre chose que ce que vous pensez véritablement, cela vous serait impossible.

HENRIETTE.

Tout à fait impossible, madame...

LA COMTESSE.

Mais je puis vous demander au moins de dissimuler ces sentiments que vous avez l’un pour l’autre et de...

HENRIETTE.

Et de... ?

LA COMTESSE.

Et de vivre comme si vous vous aimiez, bien que vous ne vous aimiez pas.

JACQUES, s’oubliant.

Oh ! pour cela !...

HENRIETTE.

Le maladroit !

JACQUES, changeant de ton.

Ne l’espérez pas, madame.

À Henriette.

Vous non plus.

HENRIETTE.

Que dites-vous, madame ?

LA COMTESSE.

Je dis qu’il faudra faire semblant de vous aimer...

HENRIETTE.

Voilà ce que je ne puis promettre, il fera ce qu’il voudra, lui... mais moi...

JACQUES.

Moi... je ne ferai rien...

HENRIETTE.

Pour tout ce qui est de mon service, madame n’aura pas à se plaindre de moi ; mais quant à faire semblant d’aimer cet être-là...

JACQUES.

Qu’on me donne des habits à brosser, je les brosserai ; mais pour ce qui est de témoigner de l’affection à cette personne !...

LA COMTESSE.

Il le faut cependant, je le veux... m’entendez-vous ?...

JACQUES.

Ah ! si madame le veut...

HENRIETTE.

Si madame l’ordonne... sérieusement.

LA COMTESSE.

Je l’ordonne très sérieusement ; du reste, vous ne serez pas obligés de vous contraindre pendant longtemps...

JACQUES.

Pas pendant longtemps ?

LA COMTESSE.

Non !... il ne faudra faire semblant d’être amoureux l’un de l’autre que jusqu’au moment où des personnes, qui vont venir s’en iront d’ici.

HENRIETTE.

Et quand ces personnes s’en iront-elles ?

LA COMTESSE.

Aujourd’hui, à dix heures et demie.

HENRIETTE, désappointée.

Ah !

LA COMTESSE.

Vous dites... ?

HENRIETTE.

Je dis que c’est long !

LA COMTESSE.

À la bonne heure, vous pouvez vous en aller maintenant...

Jacques et Henriette s’en vont bras dessus, bras dessous, en se regardant tendrement.

LA COMTESSE.

Eh bien, que faites-vous ?

JACQUES.

Nous commençons, madame !

LA COMTESSE.

Vous obéirez quand il y aura du monde... tant qu’il n’y a personne, cela est inutile.

HENRIETTE.

Ah ! c’est différent !

Ils se séparent violemment et sortent chacun de leur côté.

 

 

Scène XVI

 

LA COMTESSE

 

Maintenant je n’ai plus à m’occuper que de moi... et ce n’est pas ce qu’il y a de moins grave !... pourrai-je le jouer ce rôle que j’ai accepté ?... je ne sais pas pourquoi... ni de quoi j’ai peur !... Ah ! voici la voiture,

Regardant par la fenêtre.

une jeune fille blottie près d’un jeune homme... Madeleine !... À quoi ai-je consenti ?... J’ai eu tort ; quoi que je fasse, on verra bien tout de suite... il doit y avoir dans la voix, dans le regard d’une femme qui aime... et qui est aimée, quelque chose que je ne pourrai jamais... Ah !

Entrent le Comte, Richardin, Ferly, Madeleine, Jacques et Henriette.

 

 

Scène XVII

 

LA COMTESSE, LE COMTE, RICHARDIN, FERLY, MADELEINE, JACQUES, puis HENRIETTE, Jacques et Henriette se tenant l’on près de l’autre et se regardant avec amour

 

MADELEINE, à la Comtesse.

Madame !

LA COMTESSE.

Tu m’appelleras Louise... comme autrefois, n’est-ce pas, ma chère Madeleine ?

MADELEINE.

J’aime mieux cela.

FERLY, saluant.

Madame la comtesse...

LA COMTESSE, à Ferly.

Il y a bien longtemps que nous ne nous sommes vus, monsieur...

RICHARDIN, au Comte.

Ça n’a pas manqué... dans la voiture ils ont commencé à se parler tout bas... et à se prendre les mains...

LE COMTE, à Ferly.

Vous me pardonnez, n’est-ce pas, de ne pas être allé moi-même à la gare...

FERLY, riant.

Il demande si nous lui pardonnons !

LE COMTE.

Eh bien ?...

FERLY.

Comme si nous n’avions pas tout de suite deviné pourquoi il n’est pas venu...

À la Comtesse.

Il n’est pas venu à la gare, parce qu’il ne voulait pas vous quitter !...

LA COMTESSE.

Vous croyez ?...

FERLY.

Ce n’est pas difficile à deviner...

MADELEINE, se débarrassant d’un manteau.

Nous avons laissé nos bagages à la gare ; nous devons repartir sitôt !

LE COMTE, à Jacques, montrant une couverture de voyage apportée par Ferly.

Mettez cela dans ma chambre, Jacques.

LA COMTESSE, montrant le manteau de Madeleine.

Et ceci dans la mienne...

JACQUES, à Henriette.

Si tu veux, Henriette, nous allons d’abord porter ça... ensemble chez madame, et puis nous ferons le tour et nous porterons ça... ensemble dans la chambre de monsieur.

HENRIETTE.

Je veux bien, Jacques...

Ils sortent, bras dessus bras dessous.

FERLY, on les regardant sortir.

Voilà des gens qui ont l’air de bien s’aimer !

 

 

Scène XVIII

 

LA COMTESSE, LE COMTE, RICHARDIN, FERLY, MADELEINE

 

Richardin au milieu de la scène, séparant les deux ménages. Le Comte et la Comtesse assis d’un côté ; Ferly et Madeleine de l’autre ; le Comte assez éloigné de la Comtesse ; Ferly très près de Madeleine.

MADELEINE, à Richardin après un temps.

Eh bien, mon petit oncle ?

RICHARDIN.

Eh bien, ma petite nièce ?

MADELEINE.

Vous avez eu la bonté de mettre votre hôtel à notre disposition ?

RICHARDIN, prenant une chaise.

Certainement.

MADELEINE.

Et vous êtes venu ici, vous ?

RICHARDIN, s’asseyant.

Et je suis venu ici, moi !

MADELEINE.

Vous êtes bien gentil ! bien gentil ! bien gentil !

RICHARDIN, à part.

Je les gêne...

FERLY, bas à Madeleine.

Dis donc.

MADELEINE, bas.

Quoi ?...

FERLY.

Il est très aimable ton oncle, et je l’ai remercié ; mais c’est égal, ça n’a pas dû les amuser de le voir arriver ici.

MADELEINE.

Je ne pense pas que ça les ait amusés beaucoup.

FERLY.

Est-ce qu’il va rester là ?

MADELEINE.

Je ne sais pas...

FERLY.

Il devrait s’en aller un peu...

RICHARDIN, à part.

Je dois faire une drôle de figure...

Haut.

Allons-nous diner bientôt ?

LE COMTE.

Dans cinq minutes, je pense.

Bas à la comtesse qui est sur le canapé.

Madame...

LA COMTESSE, bas.

Monsieur...

LE COMTE.

Il me semble que nous sommes un peu éloignés l’un de l’autre... Voyez donc... eux ils sont...

LA COMTESSE.

Vous avez raison...

Elle donne un coup à sa robe dont les plis viennent alors presque toucher le Comte.

LE COMTE, à part.

Ah ! c’est un moyen !

RICHARDIN.

Ainsi que je vous le disais, madame la comtesse, le sage Nascir demanda pour récompense un grain de froment pour la première case, et...

Entre Henriette avec un petit panier.

HENRIETTE, derrière le canapé.

Irez-vous cueillir des pêches, madame ?

MADELEINE.

Vous... toi, Louise !...

LA COMTESSE.

Oui... je les aime beaucoup, et c’est moi qui ai l’habitude...

MADELEINE.

Quand mon oncle n’est pas ici, c’est possible... mais aujourd’hui puisqu’il y est...

RICHARDIN.

Comment ?

MADELEINE.

Soyez tranquille... il est très gourmand, mon oncle, et il choisira les bonnes. Allez chercher les pêches, mon oncle.

FERLY.

C’est cela, monsieur, allez chercher les pêches...

RICHARDIN.

Par exemple...

LE COMTE.

Allons, va chercher les pêches...

RICHARDIN.

Mais...

LE COMTE.

Henriette, donnez le panier à M. Richardin.

RICHARDIN, se levant.

Cela est violent.

HENRIETTE, lui donnant le panier.

Allez donc chercher les pêches, monsieur, puisque tout le monde vous en prie...

RICHARDIN, après avoir regardé Henriette.

Soit, j’aime autant...

À Henriette, avec un sourire.

Conduisez-moi.

HENRIETTE.

Oui-da, monsieur, vous irez bien tout seul ; je vous dirai où est le potager... moi, j’ai autre chose à faire !

RICHARDIN.

Voilà encore une chose qui n’est pas amusante !...

Il sort avec Henriette, par le fond.

 

 

Scène XIX

 

LE COMTE, LA COMTESSE, FERLY, MADELEINE

 

FERLY, se levant ainsi que le Comte.

Enfin !...

MADELEINE.

Chut !

FERLY.

Je l’adore, notre oncle, mais...

Au Comte et à la Comtesse.

Ça doit bien vous ennuyer qu’il ait eu l’idée de venir chez vous ; il vous gêne...

LA COMTESSE.

Nous, pas du tout...

FERLY.

Vous dites, madame ?...

LA COMTESSE.

Je veux dire que... comme il ne doit rester ici que pendant quelques jours.

FERLY.

Pendant quelques jours, miséricorde !... mais il ne me gênait que depuis une demi-heure, moi, et je commençais à trouver que ça durait trop longtemps...

Il se rapproche de sa femme.

Heureusement il est parti...

LE COMTE, se rapprochant de la Comtesse.

Il est parti !...

FERLY.

Oui, il est parti, mais le mal...

LE COMTE.

Le mal ?...

FERLY.

C’est que... vous deux, vous me gênez un peu... vous aussi...

LE COMTE.

Hein ?

FERLY.

Oh ! bien moins que notre oncle, bien moins !...

LE COMTE.

À la bonne heure...

FERLY.

Mais enfin... encore un peu !...

LE COMTE, bas à la Comtesse derrière le canapé.

Vous voyez... ils sont gênés... ils n’iront pas trop loin...

LA COMTESSE, bas.

J’en suis fort aise... je l’avoue...

FERLY prend le bras de sa femme et l’amène en scène, puis fait signe au Comte et à la Comtesse de venir.

Si nous voulions arriver à être moins gênés, il y aurait un moyen peut-être, ce serait de faire une convention.

LE COMTE, près de lui et donnant le bras à la Comtesse.

Quelle convention ?

FERLY.

Quelque chose de très simple... il serait convenu entre nous que lorsque nous serons quatre ce sera absolument comme si nous étions deux...

LA COMTESSE.

Oh !

FERLY.

Cela une fois admis, nous ne serions plus gênés du tout...

LE COMTE.

C’est évident, mais est-ce que tu crois que ?...

FERLY.

Oh ! c’est bien moins difficile que vous ne pensez... vous allez voir !...

LA COMTESSE, au Comte.

Mais, monsieur...

LE COMTE, bas.

On peut toujours voir, madame, on peut toujours voir !

FERLY.

Viens m’embrasser Madeleine.

MADELEINE.

Oh ! devant...

FERLY.

Viens tout de même, va...

MADELEINE.

André !...

FERLY.

Si tu ne m’embrasse pas... je croirai que tu ne m’aimes plus...

MADELEINE.

Oh !

Elle embrasse André.

FERLY, au Comte et à la Comtesse.

À vous, maintenant.

LA COMTESSE, se récriant.

À nous...

FÉRLY, riant.

Dame ! si vous refusez de vous embrasser, je croirai que vous ne vous aimez pas.

LE COMTE.

Allons !...

LA COMTESSE.

Mais !...

LE COMTE, bas.

Remerciez-les... ils vous font commencer par ce qu’il y a de plus difficile...

LA COMTESSE, bas.

Ah !...

LE COMTE, bas.

Après ça, le reste ne sera rien...

LA COMTESSE, bas.

C’est une comédie, au moins ?...

LE COMTE, bas.

Sans doute...

MADELEINE.

Va, Louise, va...

LA COMTESSE, bas.

Alors...

Elle embrasse le Comte du bout des lèvres.

FERLY.

Ah ! que c’est mal embrassé.

À Madeleine.

N’est-ce pas ?

LE COMTE.

C’est que vous nous gênez, vous aussi...

FERLY.

Ça, c’est possible... J’ai, moi, quelque chose d’imposant.

LA COMTESSE.

De très imposant...

FERLY, montrant sa femme.

Quant à elle, c’est une petite reine !... nous allons recommencer... il n’en sera que cela, recommençons, Madeleine.

MADELEINE.

Mais, nous, ça n’était pas mal...

Rentre Richardin, avec un chapeau de paille et un parasol ; il rapporte le panier plein de pêches.

 

 

Scène XX

 

LE COMTE, LA COMTESSE, FERLY, MADELEINE, RICHARDIN

 

RICHARDIN.

Voici les pêches...

MADELEINE.

Ah ! voyons !

Elle les regarde.

Heu ! heu !...

RICHARDIN.

Comment, heu ! heu !

MADELEINE.

Vous n’êtes pas resté assez longtemps, mon petit oncle...

RICHARDIN.

Qu’est-ce que vous dites, ma nièce ?...

MADELEINE.

Je dis que si vous étiez resté plus longtemps, vous auriez pu en rapporter davantage, et que ça m’aurait fait plaisir, parce que je les aime beaucoup.

Entre Henriette.

 

 

Scène XXI

 

LE COMTE, LA COMTESSE, FERLY, MADELEINE, RICHARDIN, HENRIETTE, puis JACQUES

 

HENRIETTE.

Madame est servie...

RICHARDIN, voyant Jacques qui est entré avec Henriette et qui la suit pas à pas.

Ah ça ! qu’est-ce que ce garçon fait donc toujours, maintenant, planté derrière cette fille ?

LA COMTESSE.

Cette fille est sa femme, il ne la quitte jamais.

RICHARDIN.

Je croyais, au contraire...

LA COMTESSE, bas.

Taisez-vous donc...

Elle lui montre Ferly et Madeleine ; il ne comprend pas.

FERLY.

Il a raison de ne pas la quitter, je ne veux pas quitter ma femme, moi non plus !

Il prend le bras de Madeleine.

LE COMTE.

Ni moi la mienne.

Il prend le bras de la Comtesse.

FERLY, à Richardin qui a offert inutilement on bras à Madeleine et à la Comtesse.

Par exemple, mon cher oncle... on vous accorde un compensation, vous pouvez passer devant... avec les pêches.

RICHARDIN.

Je passe !

Il remonte.

FERLY, au Comte en lui faisant signe d’embrasser.

Hem ! pendant qu’il a le dos tourné !...

LA COMTESSE.

Oh ! mais ça devient insupportable...

Trois baisers presque coup sur coup, Ferly le premier, le Comte et puis Jacques. Au bruit des baisers, Richardin effaré se retourne.

RICHARDIN.

Qu’est-ce que c’est que ça ?... qu’est-ce que c’est que ça ?...

Tableau. La toile tombe.

 

 

ACTE II

 

Même décor. Neuf heures du soir, lampes sur la cheminée et sur la table.

 

 

Scène première

 

MADELEINE, LA COMTESSE, entrant par le fond

 

MADELEINE, sérieuse.

Écoute-moi bien... Louise ?

LA COMTESSE.

Je t’écoute, Madeleine...

MADELEINE.

Tu aimes trop ton mari !...

LA COMTESSE.

Comment ?...

MADELEINE.

Tu l’aimes trop... prends-y garde... il ne faut pas les gâter ces maris... que nous adorons... J’aime beaucoup André, moi... mais je me garde bien de lui montrer tout l’amour que j’ai pour lui... j’ai mes heures de réserve et de dignité... Il est bon surtout de ne pas leur laisser croire qu’on ne saurait se passer d’eux... ainsi, après le diner... toi, tu voulais absolument retenir M. de Valréas...

LA COMTESSE.

J’en conviens... c’est que.

MADELEINE.

Et cela au moment même où je venais de te faire entendre que nous devions avoir mille choses à nous dire... en particulier... On aurait pu croire que tu avais peur des confidences que nous avons à nous faire.

LA COMTESSE.

Par exemple... quelle idée...

MADELEINE.

Enfin, tu as voulu le retenir, et moi, tout au contraire... tu m’as entendue dire négligemment à André : va, mon ami, va fumer un cigare... il avait un petit air piqué, mais il est parti, M. de Valréas a dû partir avec lui... c’est ce que je voulais... Nous sommes seules maintenant, et nous pouvons nous dire combien nous sommes heureuses.

LA COMTESSE.

Oui.

Elles s’asseyent.

MADELEINE.

Ils ont beau faire tout ce que nous voulons, il y a beaucoup de choses dont ils ne nous laisseraient pas parler devant eux.

LA COMTESSE.

C’est vrai, mais puisqu’ils ne sont pas là, tu me diras...

MADELEINE.

Certainement, et toi aussi ?...

LA COMTESSE.

Sans doute, sans doute, mais commence...

MADELEINE.

Je le veux bien, il appelle cela des enfantillages... des niaiseries... et il faut bien avouer que je ne raconterais pas à tout le monde...

LA COMTESSE.

Mais à moi ?

MADELEINE.

À toi qui es aimée, qui es heureuse, oui, car tu sais que toutes ces niaiseries et tous ces enfantillages... c’est le bonheur...

LA COMTESSE.

Quelles niaiseries enfin... et quels ?...

MADELEINE.

Que sais-je, moi ? tantôt il me parle comme s’il ne me connaissait pas, et il me dit qu’il est fort tenté de devenir amoureux de moi.

LA COMTESSE.

Ah !

MADELEINE.

Alors je lui réponds qu’il est un impertinent, et je m’enferme chez moi, il me supplie de lui ouvrir, et je refuse... et un jour j’ai eu bien peur, parce que ne pouvant entrer par la porte, il est entré par la fenêtre... et qu’il aurait pu se faire beaucoup de mal... Je tE dis tout cela à toi... je ne le dirais pas à d’autres... ce n’est joli que pour les initiés...

LA COMTESSE.

Continue, Madeleine.

MADELEINE.

Tantôt il s’approche de moi très respectueusement et il me demande si je veux aller faire un tour dans le parc avec lui... et alors, moi, je baisse les yeux, comme nous les baissions autrefois, tu sais ?

LA COMTESSE.

Je sais.

MADELEINE.

Et je réponds que moi, je le veux bien... mais que je ne sais pas si ma mère me le permettra... et je sais bien que ma mère n’est pas là pour me le défendre... À ton Tour, tu ne me dis rien ?...

LA COMTESSE.

Moi ?...

MADELEINE.

Mais oui... Est-ce que tu n’as pas, toi aussi, à me raconter...

LA COMTESSE.

Si fait... mais j’ai tant de plaisir à t’entendre, continue...

MADELEINE.

Ah ! si tu le veux, je le veux bien ; j’ai, moi, tant de plaisir à parler de lui, que je parlerais toute la journée.

LA COMTESSE.

Alors ?...

MADELEINE.

Tiens !

Prenant un petit nécessaire de voyage.

Sais-tu ce qu’il y a là dedans ?

LA COMTESSE.

Non !

MADELEINE.

Quelque chose de bien précieux, va.

LA COMTESSE.

Un trésor ?

MADELEINE.

Oui, un trésor que je porte partout avec moi, un trésor sans lesquel je ne saurais faire un pas.

LA COMTESSE.

Des diamants ?...

MADELEINE.

En effet, il y a des diamants, mais il y a aussi quelque chose, que j’aime mille fois plus que les diamants... et pourtant je te jure que j’aime bien...

LA COMTESSE.

Quoi donc, dis ?

MADELEINE.

Une lettre !

LA COMTESSE.

Une lettre ?

MADELEINE.

Oui, une lettre de lui, la seule qu’il m’ait écrite avant notre mariage.

LA COMTESSE.

Ah !

MADELEINE.

Tiens, lis, je te la laisse lire parce que c’est toi.

LA COMTESSE, se levant.

Oui, donne.

Elle lit.

« Mademoiselle, je suis forcé de quitter Paris pendant deux jours, madame votre mère me permet de vous écrire, j’en profite pour vous faire savoir que je suis bien triste d’être loin de vous, et que je serai bien heureux le jour où je vous reverrai. »

MADELEINE.

Il n’y a que cela ?

LA COMTESSE.

Sans doute, il n’y a absolument que cela.

MADELEINE, se levant.

C’est que tu as mal lu... donne-moi, je te montrerai mille choses que tu n’as pas su faire paraître.

LA COMTESSE.

Voyons ?

MADELEINE.

« Mademoiselle, je suis forcé de quitter Paris pendant deux jours... » « Je suis forcé » est-ce que l’on ne sent pas tout le mal que cela lui fait de se séparer de moi ? « pendant deux jours !... » Il souffre, bien que l’absence ne doive durer que deux jours...

LA COMTESSE.

Oui, c’est vrai.

MADELEINE.

« Madame votre mère me permet de vous écrire... » Quel respect il y a dans celle façon de parler ! et c’est bien beau va, d’avoir tant de respect quand on est aussi amoureux qu’il l’était !

LA COMTESSE.

Tu as raison.

MADELEINE.

« J’en profite pour vous faire savoir que je suis bien triste d’être loin de vous. » Est-ce que l’on peut imaginer une phrase plus délicieuse que celle-là... bien triste d’être loin de vous... on le voit... à Melun... désolé... il était à Melun.

LA COMTESSE.

Ah !

MADELEINE.

« Je serai bien heureux, le jour où je vous reverrai !... » Comme on devine que pour lui le chemin de fer ne va pas assez vite, si vite qu’il puisse aller !... s’il avait mis : « Je serai heureux, le jour où je vous reverrai... « ça aurait été froid... il a mis : » je serai bien heureux !... » Tu vois bien que tu avais mal lu la lettre, et qu’elle dit une foule de choses que tu n’avais pas fait entendre.

LA COMTESSE.

Oui, j’en conviens, j’ai mal lu.

MADELEINE.

Et toi ?... Est-ce qu’il ne t’a jamais écrit avant ton mariage ?

LA COMTESSE.

À moi ?...

MADELEINE.

Oui, réponds donc ?...

LA COMTESSE.

Si fait... Il m’a écrit une fois.

MADELEINE.

Tu as gardé la lettre ?

LA COMTESSE.

Non.

MADELEINE.

Ah ! tu aurais dû... mais tu la sais par cœur, sans doute ?...

LA COMTESSE.

Oui, je la sais.

MADELEINE.

Dis-la moi ?

LA COMTESSE.

Que je te la dise ?

MADELEINE.

Pour cela, je le veux.

LA COMTESSE.

Ah !

Elle éclate en sanglots.

MADELEINE.

Louise...

LA COMTESSE.

Rien, Madeleine, rien.

MADELEINE.

Est-ce que tu n’es pas heureuse ?

LA COMTESSE.

Si fait, Madeleine, si fait... mais tu sais... le bonheur... il y a des personnes chez qui ça se traduit par...

Entrent le Comte et Ferly.

 

 

Scène II

 

MADELEINE, LA COMTESSE, LE COMTE, FERLY

 

LE COMTE, bas à la Comtesse.

Eh bien, madame, qu’y a-t-il ?

LA COMTESSE, bas.

Rien, que voulez-vous qu’il y ait ?

LE COMTE, bas.

Que s’est-il passé entre vous ? Voyons, Louise, il faut me répondre.

Entre Richardin.

 

 

Scène III

 

MADELEINE, LA COMTESSE, LE COMTE, FERLY, RICHARDIN

 

RICHARDIN.

Vous savez qu’il est dix heures dix !

LA COMTESSE, au Comte.

Vous entendez ! est inutile de pousser plus loin la comédie.

FERLY.

Dix heures dix, c’est ma foi vrai, il faut partir.

LE COMTE, vivement.

Vous allez vous en aller !

FERLY, étonné.

Mais sans doute, nous allons nous en aller... qu’est-ce que vous avez ? Allons, Madeleine, préparons-nous...

RICHARDIN.

Et vite, vous n’avez pas de temps à perdre !

Entrent Jacques et à Henriette.

 

 

Scène IV

 

MADELEINE, LA COMTESSE, LE COMTE, FERLY, RICHARDIN, JACQUES, HENRIETTE

 

RICHARDIN.

Le paletot de M. de Ferly...

JACQUES.

Le voici.

RICHARDIN.

Le chapeau de madame... son manteau de voyage...

HENRIETTE.

J’apporte tout cela.

RICHARDIN, à Madeleine.

Allons, vite, veux-tu que je t’aide...

MADELEINE.

Je vous remercie, mon oncle !

RICHARDIN, à Ferly.

Il ne veut pas entrer, ce paletot, attendez, attendez !

FERLY.

Eh ! je vous en prie, ne vous donnez pas la peine.

RICHARDIN.

Laissez-moi faire.

Il l’aide à mettre son paletot.

FERLY.

En vérité, vous êtes mille fois trop bon.

RICHARDIN.

Là ! il ne vous manque rien.

FERLY.

Non, rien du tout !

JACQUES, bas à Henriette.

Ils vont partir, Henriette, c’est moi qui les conduit.

HENRIETTE, bas.

Oui, Jacques, ils vont partir.

JACQUES, bas.

Maintenant, nous allons être obligés de nouveau...

HENRIETTE, bas.

Il est bien sûr que dès qu’ils seront partis...

FERLY, au Comte.

Au revoir.

LE COMTE.

Au revoir, Ferly, au revoir !

MADELEINE, à Richardin.

Est-ce que vous venez avec nous, mon oncle ?...

RICHARDIN.

Certainement, je veux vous voir monter en voiture.

JACQUES, bas.

Ah ! que j’ai eu peur que ce maudit homme n’eût envie de venir jusqu’à la gare.

HENRIETTE, de même.

Pourquoi as-tu eu peur ?

JACQUES, bas.

Pour rien, pour rien.

MADELEINE, au Comte.

Adieu, monsieur...

À la Comtesse.

Louise...

LA COMTESSE.

Madeleine...

MADELEINE, bas.

Ainsi ce que j’ai vu ?...

LA COMTESSE, bas.

Ce n’était rien... je suis heureuse, très heureuse.

MADELEINE, à part.

Heureuse !... heureuse !... nous verrons bien...

RICHARDIN.

Vous savez qu’il est dix heures un quart.

Il entraine Madeleine et Ferly, Jacques et Henriette sortent derrière lui.

 

 

Scène V

 

LE COMTE, LA COMTESSE

 

LE COMTE.

Il n’y a plus personne, Louise.

LA COMTESSE.

Non, et c’est justement parce qu’il n’y a plus personne que je ne vois pas pourquoi vous m’appelez Louise.

LE COMTE.

Quand je suis entré tout à l’heure... j’ai cru voir dans vos yeux des larmes...

LA COMTESSE.

Que vous importerait après tout ?

LE COMTE.

Pardonnez-moi, madame... cela m’importe beaucoup... que nous ne nous aimions pas, mon Dieu c’est un malheur... mais un malheur qui peut se tolérer... mais vous voir souffrir, vous voir pleurer...

LA COMTESSE.

N’est-ce que cela qui vous inquiète. Je ne pleure plus... et si je souffre... Le malheur qui me fait souffrir, est selon votre expression, un malheur qui peut se tolérer...

On entend une voiture qui s’éloigne.

Tenez, les voilà partis !...

Elle va s’asseoir sur le canapé.

LE COMTE.

C’est vrai, les voilà partis... qu’allons-nous faire maintenant ?

LA COMTESSE.

Mais nous allons faire... ce que nous faisions avant qu’ils fussent venus, ce que nous avons fait hier et les jours précédents... où est le livre que je lisais... il est là... bien ! Je lirai ou je broderai.

LE COMTE, allant à la cheminée.

Et moi ?

LA COMTESSE.

Vous ?

LE COMTE.

Qu’est-ce que je ferai, moi ?

LA COMTESSE.

Ce que vous voudrez, mon Dieu, ce que vous voudrez !

Entre Richardin, il a l’échiquier sous le bras.

 

 

Scène VI

 

LE COMTE, LA COMTESSE, RICHARDIN

 

RICHARDIN.

J’apporte l’échiquier.

LA COMTESSE.

Voilà votre occupation trouvée... vous allez jouer aux échecs...

Bas.

N’est-ce pas pour pouvoir jouer aux échecs que vous avez prié M. Richardin de venir passer quelques jours ici...

LE COMTE, derrière le canapé.

Ainsi, madame, entre hier et aujourd’hui il n’y a aucune différence...

LA COMTESSE.

Aucune ! si ce n’est qu’hier vous ne pouviez pas jouer.

RICHARDIN.

Eh bien, commençons-nous ?...

LE COMTE.

Commençons !

La Comtesse est assise sur le canapé. Le Comte et Richardin sont assis à la table à gauche, à l’autre extrémité du théâtre ; le Comte, pour voir sa femme, est obligé de tourner la tête.

RICHARDIN.

J’aime mieux les blancs, si ça ne te fait rien...

LE COMTE.

Ça m’est égal !

RICHARDIN, mettant de l’ordre dans les pièces du Comte.

Qu’est-ce que tu fais ?... tu ne sais plus placer les pièces...

LE COMTE.

Est-ce toi qui commences ?...

RICHARDIN.

Pourquoi jouerais-je le premier ? C’est une façon de me faire entendre que tu te crois plus fort que moi, parce qu’il t’est arrivé quelquefois... quelquefois !...

LE COMTE.

Eh bien, tirons ?...

RICHARDIN.

Tu auras beau dire... je sens en moi quelque chose qui me crie...

Il tend au Comte ses deux mains fermées. Le Comte qui a tourné la tête pour regarder Louise, le laisse les deux mains tendues.

Quand tu voudras ?

LE COMTE.

Pardonne-moi.

Il touche une des mains de Richardin.

C’est moi qui joue.

RICHARDIN.

Toujours le désavantage, moi ! mais ça ne fait rien, j’espère aujourd’hui...

LE COMTE, après deux ou trois coups.

C’est à toi.

RICHARDIN.

Je réfléchis...

LE COMTE.

Déjà ?

Il regarde encore Louise.

RICHARDIN.

Avancerai-je mon petit pion ?... n’avancerai-je pas mon petit pion ? Décidément, j’avance mon petit pion... j’attends...

LE COMTE.

Tu as fini de réfléchir ?

RICHARDIN.

Oui, j’ai fini. Qu’est-ce que c’est que cette façon de jouer en tournant la tête ?

LE COMTE.

Je tourne la tête...

RICHARDIN.

À chaque instant... Est-ce que tu as la prétention de jouer sans regarder l’échiquier ?... oh ! oh ! il faudrait être plus fort que loi, mon ami, il faudrait être plus fort que toi...

LE COMTE.

Changeons de place, cela vaudra mieux.

RICHARDIN.

Qu’est-ce que c’est que ces manies-là ?

LE COMTE.

Je t’en prie... changeons...

RICHARDIN.

C’est pour me troubler, tout ça...

LE COMTE.

Eh ! non...

Ils retournent l’échiquier et changent de place.

Là, je remercie.

RICHARDIN.

Ça ne l’empêchera pas de perdre, va.

LE COMTE.

À qui est-ce ?

RICHARDIN.

C’est à moi ! c’est à moi !

LE COMTE.

Joue, alors.

Il regarde Louise.

RICHARDIN.

Je joue et je prends...

LE COMTE, revenant au jeu.

Qu’est-ce que tu prends ?

RICHARDIN.

Ton cavalier...

LE COMTE.

Ah !...

RICHARDIN.

Trop tard... tu avais joué !

LE COMTE.

Eh ! mon Dieu, prends-le, ça m’est très indifférent.

RICHARDIN.

Ah ! ah ! je crois bien qu’aujourd’hui... qu’est-ce que tu fais là !

LE COMTE.

Je prends ton fou.

RICHARDIN.

Je n’avais pas joué... je tenais encore la pièce...

LE COMTE.

Je croyais... pardon...

RICHARDIN.

Il fallait me dire que tu me tendais un piège... au lieu de prendre un air bonasse... prends-le, ça m’est très indifférent... il fallait me dire : je te tends un piège.

LE COMTE.

Je ne tends pas de piège... fais ce que tu voudras.

RICHARDIN.

Gagner comme ça, ça n’est pas gagner !

LE COMTE.

Joue quelque chose, enfin !

RICHARDIN.

Je réfléchis !

LE COMTE.

Ah !

Après avoir attendu.

Réfléchis, mon ami, réfléchis tant qu’il le plaira.

RICHARDIN.

Il y a quelque chose à faire !... il y a quelque chose à faire...

Le Comte se lève, fait deux ou trois pas vers la Comtesse, Louise se détourne, alors le Comte s’arrête.

LE COMTE.

Tu n’as pas joué encore ?

RICHARDIN.

Si fait ! si fait !

LE COMTE, revenant à la table.

Tu y as mis le temps ?

RICHARDIN.

Je combine, moi, je combine... je ne suis pas de ces gens qui pour battre leur adversaire, comptent sur d’heureux hasards.

LE COMTE.

C’est pour moi que tu dis ça ?

Il joue debout, regardant toujours sa femme.

RICHARDIN, à part.

Je vais le tenir.

Haut.

Joue... il y vient...

Il joue un coup et chantonne.

Ta, ta, ta, ta, ta...

LE COMTE.

Qu’est-ce que tu as ?

RICHARDIN.

Moi, rien, j’ai joué...

LE COMTE.

Il paraît qu’il est beau ce coup-là !

RICHARDIN, triomphant.

Je le tiens.

Désappointé.

Ah ! non !

LE COMTE.

Eh bien ?

RICHARDIN.

Je réfléchis !

LE COMTE.

Dis-moi ! combien de temps comptes-tu réfléchir ?...

RICHARDIN.

Je ne sais pas...

LE COMTE.

Je n’aurais pas été fâché de savoir, moi...

RICHARDIN.

J’ai vu Bradfort rester sept heures trois quarts sur un coup... il sait jouer, lui, il combine.

LE COMTE.

Ah ! si ça doit durer sept heures trois quarts.

Il quitte les échecs et s’approche une seconde fois de la Comtesse, Jeu de scène. À la fin il prend son parti et vient s’asseoir près d’elle.

Non, Louise, non, aujourd’hui ce n’est pas la même chose qu’hier...

LA COMTESSE.

Quelle différence voyez-vous ?

LE COMTE.

Hier, cela est vrai, vous étiez assise là... comme maintenant, et moi j’étais là-bas... mais il ne se passait pas en vous ce qui s’y passe aujourd’hui...

LA COMTESSE.

Sur quoi donc jugez-vous ?...

LE COMTE.

Eh ! je juge sur ce qui...

LA COMTESSE.

Sur ce qui...

LE COMTE.

Ce livre que vous tenez à la main, hier, vous le lisiez... aujourd’hui, vous ne le lisez pas... oh ! je vous ai bien regardée... Il vous amusait hier... il ne vous amuse pas aujourd’hui...

LA COMTESSE.

Il m’amusera demain...

LE COMTE.

Vous croyez ?

LA COMTESSE.

J’en suis sûre !

RICHARDIN.

J’attends moi, j’attends.

LE COMTE.

Tu as fini ?

RICHARDIN.

Il y a beau temps...

LE COMTE.

Alors mets ma tour sur la quatrième case.

RICHARDIN, se levant furieux.

Ah bien, non ! ah bien, non !

LE COMTE.

Qu’est-ce que tu as ?

RICHARDIN.

Ces airs de supériorité... jouer d’un bout du salon à l’autre... Ah bien, non ! je n’aime pas ça... si j’ai l’honneur de jouer avec Philidor, il faut le dire, mais si je n’ai pas l’honneur de jouer avec Philidor...

LA COMTESSE, au Comte.

M. Richardin a raison... retournez là-bas...

LE COMTE.

Vous voulez ?...

LA COMTESSE.

Oui, je vous en prie... retournez...

LE COMTE.

Allons, viens...

Il va pour s’asseoir à la place de Richardin.

RICHARDIN.

Qu’est-ce que tu fais ? tu prends ma partie, maintenant...

LE COMTE.

Ah ! je ne sais plus.

Ils reprennent leurs places.

RICHARDIN.

Je comprends, du reste, que tu préfères...

LE COMTE.

Il paraît qu’elle est bonne, ta partie...

RICHARDIN.

Plaisante, va, plaisante...

À part.

Si le ciel est juste, dans quatre coups...

Il joue ; à part.

Un !

On entend la voiture.

LE COMTE.

C’est la voiture qui revient.

RICHARDIN.

Qu’est-ce que ça fait ?...

Il joue ; à part.

Deux !

LE COMTE.

Je ne dis pas que cela fasse quelque chose...

RICHARDIN.

Eh bien, alors...

À part.

Trois !

Haut.

Échec !...

Frémissant.

C’est à toi !

LE COMTE, s’arrêtant.

Attends !

RICHARDIN.

Joue donc, pour Dieu ! joue donc !

LE COMTE.

Est-ce que tu n’entends pas ?

RICHARDIN.

Je n’entends rien, joue !

La porte s’ouvre ; entrent Ferly, Madeleine, puis Jacques.

LE COMTE.

Ah !

 

 

Scène VII

 

LE COMTE, LA COMTESSE, RICHARDIN, FERLY, MADELEINE, puis JACQUES, puis HENRIETTE

 

FERLY.

C’est nous, nous avons manqué le train,

MADELEINE, à la Comtesse.

Qu’est-ce que cela signifie... toi avec un livre... et là-bas... des échecs...

Bas à Ferly.

Nous avons bien fait de manquer le train, je ne m’étais pas trompée...

RICHARDIN, au Comte.

Joue donc, joue donc...

MADELEINE, arrivée à l’échiquier.

Si vous croyez que je tolérerai cela...

Elle renverse les échecs.

RICHARDIN.

Madeleine...

MADELEINE.

Eh ! mon Dieu ! mon petit oncle...

RICHARDIN, se levant désespéré.

Une pareille partie... un coup... un seul !... et il était mat !...

LE COMTE.

Le fait est que pour une partie que tu allais peut-être gagner, tu n’as pas de chance.

RICHARDIN.

Ces choses-là ne se font pas... Madeleine, ces choses-là... pour quoi avez-vous manqué le train ?... Il était mat si vous n’étiez pas revenus, tu m’entends... tu étais mat !

Il remonte.

HENRIETTE, bas à Jacques.

Ah ! quelle bonne idée tu as eue là !...

JACQUES, bas.

N’est-ce pas ?...

Il s’avance vers le Comte.

Pardonnez-moi, monsieur !

LE COMTE.

Qu’est-ce qui est arrivé ?...

JACQUES.

Je ne sais pas comment ça s’est fait, monsieur... les chevaux, je les croyais intelligents... je pensais à autre chose, me disant qu’ils iraient bien tout seuls à la gare... puisqu’ils ont l’habitude... pas du tout, ils ont pris le chemin opposé, les bêtes, c’est toujours des bêtes...

RICHARDIN.

Imbécile !...

LE COMTE.

Le mal n’est pas grand...

LA COMTESSE

Vous prendrez le train de minuit, voilà tout.

FERLY.

Il y a un train qui passe à minuit ?

Il ôte son paletot et le jette sur une chaise.

LA COMTESSE.

N’est-ce pas, monsieur ?

LE COMTE.

Oui !... je ne sais pas... le service est peut-être changé.

Il remonte.

LA COMTESSE.

Non, monsieur, non...

JACQUES.

Alors je vais dételer ?

LA COMTESSE, vivement.

Mais non...

À Ferly.

Puisqu’on repart dans une demi-heure.

JACQUES.

Bien, madame !

Il avance la pendule sur un signe d’intelligence avec Ferly.

HENRIETTE, à Richardin qui s’est assis sur la chaise où est le paletot de Ferly.

Pardon, monsieur.

Elle prend le paletot et l’emporte.

FERLY, à sa femme.

On tient à nous renvoyer.

MADELEINE.

Mais il faut qu’on nous retienne. À notre tour de jouer la comédie.

FERLY.

Je vais te détester, Madeleine.

MADELEINE.

Ça va me faire de la peine, mais je te pardonne à cause du bien que ça leur fera.

HENRIETTE, bas à Jacques en sortant.

Qu’est-ce que tu as fait tout à l’heure à la pendule ?

JACQUES, bas.

Rien, rien.

Ils sortent.

 

 

Scène VIII

 

LE COMTE, LA COMTESSE, RICHARDIN, FERLY, MADELEINE

 

FERLY.

C’est heureux pour nous qu’il y ait ce train... à minuit ; il ne faudra pas le manquer celui-là !

MADELEINE.

Oh ! nous en serions quittes pour partir seulement demain matin.

LE COMTE, à part.

Bravo !

LA COMTESSE.

Qu’est-ce que tu dis ?

MADELEINE.

Je dis que nous partirions seulement...

FERLY, très sèchement.

Je vous demande bien pardon, madame. Cette fois nous partirons à l’heure, je vous en réponds !

MADELEINE.

Soit, monsieur... si vous croyez que cela m’amuse plus que vous de me contraindre...

LE COMTE.

Eh bien, qu’est-ce qui arrive ?

LA COMTESSE.

Vous contraindre ?

FERLY, à Madeleine.

Ah ! madame... voilà un mot que vous n’auriez pas dû prononcer... il avait été convenu entre nous...

MADELEINE.

Il avait été aussi convenu entre nous que vous ne me parleriez pas avec le ton que vous venez de prendre.

FERLY.

Je l’avoue... mais le moyen d’y tenir, j’ai perdu patience... en vous voyant renverser les échecs de cet excellent monsieur...

MADELEINE.

Et moi j’ai perdu patience en vous entendant me parler...

RICHARDIN.

Ah ! ça, mais ! qu’est-ce que cela veut dire ?

LA COMTESSE.

Madeleine !...

Elle l’emmène sur le canapé.

MADELEINE, pleurant.

Ah ! si tu savais...

FERLY, à Richardin.

Renverser vos échecs au moment... il était mat, monsieur ?

RICHARDIN.

Sans doute... il était mat... mais il ne s’agit pas... Expliquez-nous d’abord...

LE COMTE.

Oui... dis-nous...

FERLY.

Maintenant... c’est impossible... je ne saurais peut-être pas garder la mesure qu’il faudrait... et je demanderai à madame la permission d’aller un peu respirer le grand air... pour me remettre...

LA COMTESSE.

Moi... mais monsieur... Madeleine !...

MADELEINE, à Ferly.

Puisque nous avons renoncé à toute feinte, vous n’attendez pas, monsieur, que je vous prie de rester...

FERLY.

Non, madame, et puisque nous obéissons maintenant à nos véritables sentiments, vous n’attendez pas que je reste près de vous une minute de plus...

MADELEINE.

Adieu donc, monsieur !

FERLY.

Adieu, madame.

Il remonte, le Comte et la Comtesse veulent le retenir.

LE COMTE, à Ferly.

Mais encore une fois...

FERLY, les ramenant tous deux.

Ah ! vous aimez, vous... et vous êtes aimé...

RICHARDIN.

Ils s’adorent !

LE COMTE.

Mais... sans doute.

FERLY.

Ce n’est pas comme moi, alors... ce n’est pas comme moi !

LE COMTE.

Comment ?

FERLY, au Comte.

Venez... je vais tout vous dire.

RICHARDIN.

Voilà comment je comprends le mariage.

Ils sortent.

 

 

Scène IX

 

RICHARDIN, MADELEINE, LA COMTESSE

 

RICHARDIN.

Tu vas nous expliquer...

MADELEINE, se levant.

Que voulez-vous que je vous dise ? vous avez pu croire que mon mari et moi nous nous adorions... Il n’en est rien, au contraire.

RICHARDIN.

Vraiment !

MADELEINE.

Je le déteste, quant à moi... il m’a fait une de ces offenses !...

LA COMTESSE.

Quelle offense ?

MADELEINE.

Dame, je ne sais trop comment dire... qu’il vous suffise de savoir que je suis décidée à ne jamais lui pardonner.

Passant devant la comtesse.

D’ailleurs ; il ne m’aime pas... il me semble que c’est bien quelque chose...

RICHARDIN.

Sans doute... cela peut suffire...

MADELEINE.

N’est-ce pas ?

LA COMTESSE.

Tu ne pourrais pas préciser un peu plus l’offense ?

MADELEINE.

C’est impossible.

RICHARDIN.

Et c’est inutile.

LA COMTESSE.

Mais je ne comprends pas ce que tu me disais tout à l’heure, ce nécessaire de voyage dans lequel est renfermé ce que tu as de plus précieux au monde.

MADELEINE.

Mes diamants !...

LA COMTESSE.

Eh ! non, pas tes diamants... cette lettre de ton mari... la seule qu’il t’ait adressée avant ton mariage... et que tu gardes...

MADELEINE, allant prendre son nécessaire sur le guéridon.

Certes... je la garde... car cette lettre, à elle seule, suffirait pour tenir ma colère éveillée en me prouvant que je n’ai jamais été aimée par celui qui l’a écrite...

LA COMTESSE.

Par exemple !

MADELEINE.

Lisez vous-même, mon petit oncle. Lisez... et jugez,

Elle lui donne la lettre.

RICHARDIN.

Je veux bien.

Lisant.

« Mademoiselle, je suis forcé de quitter Paris pendant deux jours... »

MADELEINE.

Beau début n’est-ce pas pour une lettre d’amour !... Comment donc s’y serait-il pris pour dire la même chose à son notaire ?

RICHARDIN.

« Madame votre mère me permet de vous écrire... »

MADELEINE.

Quel style passionné ! madame votre mère me permet... Est-ce qu’il aurait eu besoin de permission s’il m’avait aimée !...

RICHARDIN.

Le fait est que moi, si j’aimais !... « J’en profite pour vous faire savoir que je suis bien triste d’être loin de vous. »

MADELEINE.

Comme cela peint bien la douleur... bien triste... il n’a même pas songé à mettre désolé... bien triste ! il me semble que je le vois se promenant, fort tranquille, dans les rues de Melun.

À Richardin.

Il était à Melun !

RICHIARDIN, indigné.

Il était à Melun... « Et que je serai bien heureux le jour oui, vous reverrai. »

MADELEINE, reprenant la lettre.

Pour cette dernière phrase, n’en parlons pas.

RICHARDIN.

C’est d’un plat !...

MADELEINE.

Un homme qui écrit une pareille lettre n’aime pas...

RICHARDIN.

Il est incapable d’aimer.

MADELEINE.

N’est-ce pas, mon oncle !...

RICHARDIN.

Mais... si vous ne vous aimez pas... Pourquoi ne restez-vous pas ici...

MADELEINE.

Rester ici !

RICHARDIN.

Oui, je ne vois aucun inconvénient quant à moi...

MADELEINE.

Parce qu’en restant ici je continuerais à av sous les yeux le spectacle de leur amour.

RICHARDIN.

Ah ! si ce n’est que...

LA COMTESSE, bas.

Mais... taisez-vous donc.

RICHARDIN, bas.

Pourquoi me taire ?

MADELEINE.

Parce qu’en la voyant si heureuse d’aimer... l’envie me viendrait peut-être de suivre son exemple... de pardonner.

LA COMTESSE.

Et tu ne veux pas pardonner ?

MADELEINE.

Non certes... pense donc... si j’allais être faible, si j’allais aimer, moi, et lui, s’il continuait à ne pas...

LA COMTESSE.

Oui... tu as raison.

RICHARDIN.

Eh bien, rassure-toi, si c’est seulement le spectacle de leur amour, de leur bonheur...

MADELEINE.

Oui c’est ce spectacle qui me force à partir.

RICHARDIN.

Tu peux rester alors, car cet amour...

LA COMTESSE.

Monsieur... je vous en prie... il ne faut pas dire...

RICHARDIN.

Si fait, il faut dire, ça mettra tout le monde à son aise.

MADELEINE.

Quoi donc ?

LA COMTESSE.

Je ne sais... M. Richardin se trompe... il ne faut pas croire ce qu’il te dira ; malgré tout ce qu’il pourra te dire, j’aime mon mari...

Entre le Comte.

Tu entends, voilà la vérité, je l’aime.

 

 

Scène X

 

RICHARDIN, MADELEINE, LA COMTESSE, LE COMTE

 

LE COMTE, à la Comtesse.

Madame... c’est à vous, madame, que je voudrais parler...

RICHARDIN.

Bien... nous ne vous gênerons pas... Viens, Madeleine, je vais le dire...

MADELEINE.

Vous me direz tout ce que vous voudrez, mon petit oncle... mais vous avez entendu, on m’a défendu de vous croire !

Ils sortent.

 

 

Scène XI

 

LE COMTE, LA COMTESSE

 

LE COMTE.

Avant tout, madame, je dois vous remercier de la phrase que je viens de vous entendre prononcer.

LA COMTESSE.

Quelle phrase ?

LE COMTE.

N’avez-vous pas dit : j’aime mon mari ?

LA COMTESSE.

Je l’ai dit... mais c’est que...

LE COMTE.

C’est que vous aviez un motif pour cela ; peut-être aviez-vous celui que j’avais tout à l’heure pour dire à Ferly, que je vous aimais.

LA COMTESSE.

Et quel est le motif qui vous ?...

LE COMTE.

Si je vous disais d’abord qu’en jouant cette comédie, de l’amour, il est arrivé peu à peu que ce qui n’était qu’un rôle est devenu...

LA COMTESSE.

Vous avez dit d’abord... Il y a donc autre chose ?

LE COMTE.

Oui, madame.

LA COMTESSE.

Et c’est ?...

LE COMTE.

Ferly m’a dit qu’il était absolument décidé à partir ce soir... savez-vous pourquoi il est absolument décidé... ?

LA COMTESSE.

Non.

LE COMTE.

C’est parce que, en me voyant si heureux, il a peur de faiblir, et de se mettre à aimer sa femme...

LA COMTESSE.

Madeleine m’en a dit autant... en me parlant de mon bonheur à moi...

LE COMTE.

En vérité ?

LA COMTESSE.

En vérité !

LE COMTE.

Ainsi en les poussant un peu l’un vers l’autre... ils s’aimeraient, ils seraient heureux... et pour les amener là il suffirait de continuer à leur donner ce bon exemple que nous leur donnons depuis quelques heures... il suffirait de les garder ici un jour ou deux peut être...

LA COMTESSE.

Mais puisqu’ils sont décidés à partir...

LE COMTE.

Bon... si nous étions bien décidés à les garder.

LA COMTESSE.

Les garder ?...

LE COMTE.

Si nous les laissons partir, jamais peut-être ure occasion pareille ne se présentera, il s’agit du bonheur ou du malheur de toute leur existence... De toute leur existence, Louise ; nous tenons leur avenir dans nos mains... Est-ce que vous ne trouvez pas que cela vaille la peine ?...

LA COMTESSE.

Mais comment les empêcherons-nous tout à l’heure...

LE COMTE.

Ah ! nous trouverions bien un moyen... si vous vouliez m’aider un peu...

LA COMTESSE.

Vous aider !...

LE COMTE.

Ils resteront, n’est-ce pas ? vous m’aiderez.

LA COMTESSE.

Si vous croyez vraiment qu’en leur donnant de bons conseils...

LE COMTE.

Sans doute... de bons conseils... et de bons exemples...

LA COMTESSE.

De bons exemples !... permettez... qu’entendez-vous par...

 

 

Scène XII

 

LE COMTE, LA COMTESSE, RICHARDIN, FERLY, MADELEINE

 

FERLY.

Il est l’heure, monsieur Richardin.

MADELEINE.

Regardez la pendule, mon petit oncle.

RICHARDIN, au Comte.

Voilà un entêtement... j’ai eu beau leur dire que vous ne pouviez pas vous souffrir, afin de les décider à ne pas partir, ils refusent.

LE COMTE.

Tu veux les faire rester, maintenant ?

RICHARDIN.

Oui, deux femmes qui nous feraient du thé pendant que nous jouerions. Je ne suis pas absurde, moi, je ne déteste pas les femmes, mais je n’aime pas qu’on s’occupe d’elles !...

LE COMTE.

Parce que ça empêche de s’occuper de toi.

RICHARDIN.

Oui, parce que ça empêche... qu’est-ce qu’il me fait dire ?

FERLY, cherchant.

Eh bien, mon paletot, vous ne l’avez pas vu, madame.

MADELEINE.

Non, monsieur, et mon manteau à moi, vous ne savez pas où il est ?

FERLY.

Non madame.

MADELEINE.

Je l’avais laissé là.

FERLY.

Mon paletot était ici, vous n’avez pas vu, mon oncle ?...

RICHARDIN.

Moi, je n’ai rien vu, rien du tout.

MADELEINE.

Qu’est-ce que cela veut dire ?

Elle sonne.

HENRIETTE, entrant.

Monsieur.

LA COMTESSE.

Le paletot de M. Ferly.

HENRIETTE.

Le paletot !

LA COMTESSE.

Et le manteau de madame, qu’en avez-vous fait ?

HENRIETTE.

Je n’y ai pas touché, madame.

FERLY.

Vous n’y avez pas...

HENRIETTE.

Non monsieur.

RICHARDIN.

Elle a beaucoup d’esprit, cette petite.

En lui souriant.

Beaucoup d’esprit, beaucoup d’esprit !...

FERLY.

Vous ne trouvez pas, madame.

MADELEINE.

Je ne trouve pas, monsieur.

FERLY, bas à Henriette.

Mon chapeau sur le fauteuil.

Elle sort en emportant le chapeau.

RICHARDIN, la regardant sortir.

Beaucoup d’esprit !

FERLY.

Eh bien ?

MADELEINE.

Quoi encore ?

FERLY.

Mon chapeau que j’ai jeté là tout à l’heure, en revenant ; il n’y est plus.

RICHARDIN.

Il n’y est plus !...

FERLY.

Vous m’en prêterez un, monsieur.

RICHARDIN.

Je ne prête pas mes chapeaux !...

FERLY.

Après ça, mon chapeau, ça m’est égal, il est très facile d’en acheter un autre... et aussi un autre paletot, du moment que j’ai mon argent... Ou ai-je donc mis mon sac ?... vous ne l’avez pas vu, madame ? Ah !

Il va à la table.

LE COMTE.

Oh !

Il prend le sac, passe devant la table et devant Ferly.

FERLY.

Hein ? comment, mon argent, on me l’a pris, il était là.

LE COMTE.

On t’a pris ton argent ?

À Richardin.

Tiens.

Il donne le sac à Richardin qui le met dans sa poche.

RICHARDIN.

Beaucoup d’esprit !

MADELEINE.

Nous pouvons nous passer de votre argent, il y a dans mon nécessaire de voyage, des diamants, nous les vendrons pour vous acheter un chapeau.

LA COMTESSE.

Oh !

Elle prend le nécessaire.

MADELEINE.

Plus rien ! ou est-il ce nécessaire ?

LA COMTESSE, à Richardin.

Prenez !

Il met le nécessaire dans son autre poche et remonte.

RICHARDIN.

Beaucoup d’esprit !

FERLY.

Décidément, nous sommes dans un coupe-gorge !

Entre Jacques.

JACQUES.

Maintenant, madame, est-ce qu’il faut dételer ?

MADELEINE.

Mais non, mais non.

FERLY.

Nous allons partir.

JACQUES.

Il est trop tard, monsieur, nous n’arriverons jamais... que monsieur veuille bien regarder la pendule.

FERLY.

Ce garçon a raison, il est trop tard...

LA COMTESSE, à Madeleine.

Alors, tu restes ?

MADELEINE.

Il le faut bien !

LE COMTE, à Ferly.

Tu ne partiras que demain.

Regard d’intelligence entre André et Madeleine.

MADELEINE.

Eh bien, alors, où est ma chambre ?

LA COMTESSE.

Par-là, Madeleine, par-là.

FERLY.

Où me logez-vous ?

LE COMTE.

Là-bas, Jacques va te conduire.

Jacques et Henriette paraissent chacun à une des portes du fond.

RICHARDIN.

Voilà comment je comprends le mariage.

FERLY.

Madame.

MADELEINE.

Monsieur.

FERLY.

Bonsoir, madame.

MADELEINE.

Bonne nuit, monsieur.

RICHARDIN.

Allez ! allez !

LE COMTE, à la Comtesse.

Vous les voyez, madame ?

LA COMTESSE.

Oui, monsieur, je les vois.

LE COMTE.

Nous n’aurons jamais une plus belle occasion de leur donner ces bons exemples, et ces bons conseils...

LA COMTESSE.

Mais comment ?

LE COMTE.

Prenez mon bras...

Appelant.

Ferly...

FERLY.

Hein !

LE COMTE.

Viens un peu... prenez donc mon bras.

LA COMTESSE.

À quoi bon... Madeleine...

MADELEINE.

Tu m’appelles ?...

LA COMTESSE.

Oui.

RICHARDIN.

Qu’est-ce qu’ils font ? qu’est-ce qu’ils font ?...

LE COMTE, à la Comtesse prenant son bras.

Je vous dis qu’il faut prendre mon bras et vous appuyer un peu.

FERLY, descendant.

Eh bien... quoi ?

MADELEINE, descendant.

Que me veux-tu ?

LE COMTE.

Là, voyons, est-ce que ça ne vous fait rien de nous voir comme ça tous les deux ?

MADELEINE.

Ah ! vous !...

FERLY.

Vous vous aimez, vous êtes heureux !

LE COMTE.

Il vous serait facile, ce me semble, d’être heureux comme nous...

À Madeleine.

Il vous a offensée !...

MADELEINE.

Très gravement.

LE COMTE.

Mais s’il vous disait qu’il se repent...

LA COMTESSE.

Tu pardonnerais...

MADELEINE.

Je ne sais pas... vraiment, je ne sais pas...

LA COMTESSE, au comte.

Elle refuse...

LE COMTE.

C’est que vous ne vous appuyez pas avec assez d’abandon.

LA COMTESSE.

Vous croyez ?...

LE COMTE.

J’en suis sûr...

Bas.

Allons, Louise c’est à nous de donner le bon exemple !... voyez... ils hésitent... essayons de les décider.

LA COMTESSE.

Essayons.

Ils vont à Ferly.

LE COMTE.

Pourquoi ne parles-tu pas... si j’étais à ta place, moi, si j’avais fait à Louise une offense... je ne resterais pas là... comme toi, je parlerais... je dirais...

FERLY.

Vous diriez quoi ?

LE COMTE.

Je dirais : j’ai eu tort, Louise... j’ai eu grand tort... mais je me repens... pardonnez-moi... je me repens et je vous aime.

RICHARDIN, à Madeleine.

Ne faiblis pas... tiens bon !...

Il remonte.

FERLY.

J’ai eu tort, Madeleine... c’est bien cela ?

LA COMTESSE.

Oui, mais...

FERLY.

J’ai eu tort, Madeleine. J’ai eu grand tort, mais je me repens, pardonne-moi... je me repens et je t’aime.

RICHARDIN.

C’est d’un plat !...

LA COMTESSE.

C’est gentil, tu l’entends, Madeleine.

MADELEINE, à la Comtesse.

Et que répondrais-tu, toi ?

LA COMTESSE.

Mais je répondrais que je...

MADELEINE.

Que tu ?...

LE COMTE, bas.

Le bon exemple, Louise, le bon exemple !

LA COMTESSE.

Je répondrais que je pardonne.

MADELEINE.

Et que tu aimes ?...

LA COMTESSE.

Et que j’aime.

FERLY.

Allons donc... on a eu de la peine à vous le faire dire.

Lui et Madeleine éclatent de rire.

RICHARDIN.

C’était un piège ! il fallait leur dire : nous vous tendons un piège.

LA COMTESSE.

Comment, vous n’êtes donc pas... mais c’est seulement pour les réconcilier que j’ai consenti...

MADELEINE.

Ah ! ne la croyez pas... ce qu’elle a dit, elle le pensait, elle vous aime, je m’y connais.

FERLY.

Nous nous y connaissons.

LA COMTESSE.

Ah ! Madeleine ! Madeleine !

RICHARDIN, s’avançant furieux.

Voilà ton nécessaire de voyage !

MADELEINE.

Merci, mon petit oncle.

RICHARDIN.

Voilà votre sac avec votre argent.

FERLY.

Merci, monsieur.

RICHARDIN, sonnant avec fureur.

Et maintenant, une voiture ! un cheval ! je veux partir, je partirai.

Entre Jacques et Henriette.

JACQUES.

Monsieur

HENRIETTE.

Qu’est-ce qu’il y a, monsieur ?

RICHARDIN.

Quel est le moyen le plus prompt pour partir d’ici ?

JACQUES.

Mais, monsieur, la voiture est encore attelée, vous pouvez partir par le train de minuit.

RICHARDIN.

Mais puisqu’il est trop tard... la pendule...

JACQUES.

La pendule !...

HENRIETTE.

Peut-être bien qu’elle avance un peu, la pendule, monsieur ?

FERLY, regardant sa montre.

Il n’est que onze heures et demie.

LE COMTE, à Richardin.

Oh ! je te demande pardon. Tu devines tout, n’est-ce pas, je n’ai pas la tête, tu dois comprendre.

RICHARDIN.

Je ne comprends pas, je ne veux pas comprendre et je pars.

Il remonte.

LE COMTE.

Louise.

FERLY.

Madeleine.

JACQUES.

Henriette.

RICHARDIN.

Mais puisque je vous dis que je pars.

Le Comte, Ferly et Jacques qui allaient s’embrasser, s’arrêtent.

Attendez au moins que je sois parti.

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