La Grisette mariée (Armand D’ARTOIS - Charles-François-Jean-Baptiste MOREAU DE COMMAGNY - Louis-Émile VANDERBURCH)
Comédie-vaudeville en deux actes.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés, le 1er juin 1829.
Personnages
MONSIEUR DE MIRMONT, riche célibataire âgé de cinquante ans, maire de Meudon
ADOLPHE DE MIRMONT, son neveu
HENRIETTE DE MIRMONT, femme d’Adolphe
AUGUSTE BIDOIS, frère d’Henriette, jeune commis-voyageur
PHRASIE, amie d’Henriette, aimée d’Auguste
FIFINE, jeune couturière amie d’Henriette
CAROLINE, jeune couturière amie d’Henriette
VICTORINE, jeune couturière amie d’Henriette
MODESTE, jeune couturière amie d’Henriette
CLARA, jeune couturière amie d’Henriette
JOSEPH BIDOIS, maître maçon, oncle d’Henriette
MADAME BIDOIS, sa femme
CONSTANTIN, domestique d’Adolphe
ANTOINE, jardinier de Monsieur de Mirmont
UN GARÇON RESTAURATEUR
La scène est à Paris chez Adolphe de Mirmont au premier acte, et à Meudon au deuxième acte.
ACTE I
Le théâtre représente un appartement élégamment décoré et meublé ; à droite, la chambre d’Henriette ; à gauche, une autre chambre ; l’entrée principale dans le fond.
Scène première
CONSTANTIN, seul, arrangeant l’appartement et faisant ses réflexions
Dieu ! quand on fait tant que d’être domestique, que c’est bête de servir des maîtres qui n’ont pas de tenue ! Moi, par exemple, je m’attache à un jeune homme de bonne famille... Bon ! qu’ je me disais, j’ai quitté les sabots, me voilà avec des bottes ; c’est déjà ça de gagné ! M. Adolphe de Mirmont ira loin, je peux faire mon chemin derrière un wiski ou un landau. Je t’en souhaite ! voilà que monsieur s’emmourache d’une grisette, et mieux que ça, il l’épouse. Je pouvais devenir chasseur, valet de chambre, ouiche ! je me trouve arrêté dans ma carrière, le plumeau à la main ; au lieu de servir des barons, des comtesses, je ne sers que des parents de madame, et ils sont mauvais genre ! Ah ! il faut voir ! des maîtres maçons, des épiciers... Quant aux parents de monsieur, depuis ce beau mariage-là, nous n’en voyons plus un ; pas même son oncle, le maire de Meudon, qui a été mon premier maître.
Se tournant vers la chambre d’Adolphe.
C’est humiliant pour moi, M. Adolphe !
Revenant.
Cette petite fille lui a tourné la tête !
Air du vaudeville de Julien.
Faut qu’il ait bien peu d’ambition
Pour se conduir’ de cett’ manière ;
C’est comm’ si, dans ma position,
J’épousais une cuisinière !
Oui, mon maître se compromet.
Ah ! qu’une grisette est rusée !
À sa place, rich’ comme il est,
Je n’ sais pas ce que j’aurais fait...
Mais je n’ l’aurais pas épousée.
Faut espérer qu’aujourd’hui nous ne verrons personne de la famille de madame, car j’ai donné la consigne au portier, il ne laissera monter que des gens comme il faut ; il s’y connaît, c’est un homme qui a été suisse.
Scène II
CONSTANTIN, BIDOIS, MADAME BIDOIS
BIDOIS, entrant avec sa femme, dit à la cantonade.
Soyez tranquille, portier, j’vas chez mon neveu ! Ah ! v’là quelqu’un. Eh ! bonjour le valet de mon neveu, ton maître y est-il ?
CONSTANTIN, étonné et à part.
Monsieur et madame Bidois ! par où sont-ils donc entrés ?
MADAME BIDOIS.
Salut, monsieur le domestique !
CONSTANTIN.
Comment, c’est vous, madame Bidois... à cette heure ? monsieur n’est pas levé, il ne peut pas vous recevoir.
MADAME BIDOIS.
Je te le disais bien, notre homme !
BIDOIS.
Dam’ ! est-ce que j’sais moi ?
Tirant une grosse montre.
il est neuf heures tout à l’heure à ma bassinoire.
MADAME BIDOIS.
Mon n’veu n’est pas de la même acabit qu’nous, vois-tu ; les gens du beau monde, ça dort tard !
BIDOIS.
Eh ! ben... nous attendrons, v’là tout. Où donc qu’il y a des chaises ?
MADAME BIDOIS.
Qu’t’es bête ! n’vas-tu pas t’gêner chez ton neveu ? prends-moi donc un bon fauteuil d’acajou !
BIDOIS.
Ah ! j’ les haïs comm’ tout, les fauteuils. C’est mou, on enfonce ; y m’semble toujours que j’m’assis dans du fromage.
CONSTANTIN, à part.
Y a-t-il de quoi bisquer d’entendre parler comme ça ?
BIDOIS.
Vois-tu, mon garçon, mon n’veu est bon enfant, tout monsieur qu’il est.
CONSTANTIN.
Je crois bien qu’il est bon enfant.
BIDOIS.
Or donc, vu qu’il est plus cossu que nous, il est de son intérêt de pousser sa famille.
CONSTANTIN.
Pardi ! elle est bien toute poussée, sa famille.
BIDOIS.
Ah ! farceur, tu fais aussi des calembours. Eh ! bien, si nous sommes poussés, nous voulons monter en graine, vois-tu, fiston.
CONSTANTIN, à part.
Quel ton populaire !
Haut.
J’entends ! et mon maître est là pour aider...
BIDOIS.
Juste ! t’a mis l’nez dessus, mon fils !
CONSTANTIN.
Monsieur Bidois, je vous avertis que je ne me nomme ni mon fils, ni fiston ; je m’appelle Constantin, afin que vous le sachiez...
MADAME BIDOIS.
Excusez, monsieur Constantin, c’était pas pour vous offenser !
BIDOIS, à sa femme.
Comment, femme, tu dis excusez ! tiens-toi donc un peu dans ton rang.
À Constantin.
Monsieur l’inférieur !
Regardant sa femme.
Nos valets sont nos inférieurs !
À Constantin.
Ça n’est pas le tout d’être domestique, il faut encore être honnête, et il ne vous convient pas de prendre un ton de sultan, parce que vous vous appelez Constantin !
À sa femme.
Comprends-tu le calembour ?
CONSTANTIN, à part.
Est-il grossier ?
MADAME BIDOIS, à son mari.
Ben dit, not’ homme, tu l’y as rendu la monnaie d’sa pièce.
BIDOIS, avec chaleur.
C’est que j’exerce un état libre, vois-tu. Et après tout, chacun se vaut, les hommes sont comm’ les moellons ; les meilleurs sont les plus durs, et je n’suis pas tendre quand on m’choque.
CONSTANTIN, à part.
Ah ! les vilaines gens que les petites gens !
Scène III
CONSTANTIN, BIDOIS, MADAME BIDOIS, ADOLPHE
ADOLPHE.
Ah ! c’est vous, mes bons amis !
BIDOIS.
Bonjour, mon n’veu !
MADAME BIDOIS.
Votr’ servante, mon n’veu,
BIDOIS.
Comment donc qu’ça va, mon n’veu ?
MADAME BIDOIS.
La santé est-elle bonne, mon n’veu ?
CONSTANTIN, à part.
Mon n’veu ! mon n’veu ! la jolie petite famille... Je m’en vas, parce que ç’a me fait honte pour monsieur.
Il sort.
Scène IV
ADOLPHE, BIDOIS, MADAME BIDOIS
ADOLPHE, assez gaiement.
Je me porte fort bien, mes amis ; mais vous venez de bien bonne heure ; Henriette est encore à sa toilette.
MADAME BIDOIS, riant.
Ah ! ah ! il n’y a plus d’Henriette Bidois... c’est une dame à présent... Madame de Mirmont, ça ronfle mieux, pas vrai ! c’est bien de l’honneur pour nous au moins.
BIDOIS.
Bath ! monsieur de Mirmont n’est pas de ces gens qui disent : C’est ci, c’est ça ; il a tout d’suite dit : V’là c’que c’est : j’aime Henriette Bidois, elle m’aime, ses parents n’sont pas riches, mais c’est de braves gens... ça peut-il s’faire ? et en trois dimanches ça s’est fait.
ADOLPHE, souriant.
Oui, mon cher monsieur Bidois, et je suis loin de m’en repentir... Henriette est si bonne, si douce ; elle m’aime de si bon cœur !
Air : Vaudeville d’Arlequin Muzard.
En lui refusant la richesse,
Le ciel se plut à la parer
De cette grâce enchanteresse
Qu’on ne peut voir sans l’adorer.
Beauté, vertu, sont la dot peu commune
Qu’elle m’offrit. Je suis son débiteur,
Car je n’ai fait que sa fortune :
Henriette a fait mon bonheur.
BIDOIS.
Eh ! bien, voilà la différence, madame Bidois a fait mon bonheur gratis.
À sa femme.
Pas vrai, madame Bidois ?
ADOLPHE.
Ce bonheur, je vous le dois en partie, vous serviez de père et de mère à Henriette.
MADAME BIDOIS.
Ça, nous n’avons pas de reproches à nous faire de ce côté-là ; nous avons élevé les enfants d’not’ frère comme les nôtres... V’là Henriette ben établie !
BIDOIS.
Bien calée ! et quand les marmots arriv’ront... Ils peuvent arriver, les marmots, ç’a vous regarde ; alors !...
ADOLPHE, l’interrompant.
Eh ! bien, mon oncle, et les affaires ? avez-vous beaucoup d’ouvrage ?
MADAME BIDOIS, bas à son mari.
Il t’a appelé mon oncle !
BIDOIS, bas à sa femme.
Tais-toi donc ! j’l’ai ben entendu !...
Haut.
Mais, mon n’veu... ça va ! la bâtisse donne encore assez ; mais c’est plus ça, voyez-vous. J’aurais, comme qui dirait, l’idée d’une entreprise, où c’ qu’il y aurait gros à gagner, et c’est là-d’ssus que je voulais vous toucher un mot. Dam’, je n’ serais plus maître maçon... je serais artiste ! architecte, entrepreneur, et nous aurions un joli passage dans la rue de l’Oursine, dont nous serions propriétaires à nous deux !
ADOLPHE, gaiement.
Un nouveau passage ! mais il me semble que nous en avons déjà beaucoup.
BIDOIS.
Il n’y en a pas un seul dans le faubourg Saint-Marceau.
ADOLPHE.
Ce quartier-là n’en a pas absolument besoin.
BIDOIS.
Au contraire, mon n’veu. Ah ! si j’ vous montrais l’ plan qu’ j’ai fait.
ADOLPHE.
Tenez, mon cher monsieur Bidois.
Air : Vaudeville de la Somnambule.
Toute entreprise, entre nous, m’est suspecte ;
Que de projets n’ont rien produit de bon !
Vous pourriez faire un mauvais architecte,
Contentez-vous d’être habile maçon.
Ces grands travaux ne valent pas les vôtres :
Plus d’un exemple à Paris en fait foi ;
On s’enrichit à bâtir pour les autres,
On se ruine en bâtissant pour soi.
MADAME BIDOIS.
Mon n’veu dit bien... je pense comm’ ça !
BIDOIS.
Tu penses comm’ ça, tu penses comm’ ça... depuis un quart-d’heure... parce que c’ matin encore...
À Adolphe.
Pour ce qu’il y a d’être maçon, je le suis, et quand bien même je s’rais artiste, ça ne m’empêch’rait pas d’être maçon, parce que c’est dans ma nature !
ADOLPHE l’interrompt.
Je crois que j’entends Henriette...
Scène V
ADOLPHE, BIDOIS, MADAME BIDOIS, HENRIETTE, dans un riche négligé
HENRIETTE entrant.
Ah ! c’est mon oncle et ma tante Bidois !
MADAME BIDOIS.
Henriette ! ma chère fille !
Elle l’embrasse.
BIDOIS, de même.
Eh ! là... comm’ t’es brave, mon enfant !
HENRIETTE.
Oh ! oui... ce n’est que mon négligé.
À Adolphe.
Bonjour, mon Adolphe. Qu’as-tu donc ? tu parais contrarié... est-ce que ça te fait de la peine que mes parents viennent me voir ?
ADOLPHE.
Au contraire, ma chère amie !
BIDOIS.
C’est pas ça, ma poulotte ; c’est que, vois-tu, j’faisais comme ça, par manière d’causer, une proposition à mon neveu, et nous n’avons pas l’air d’être tout-à-fait d’accord.
HENRIETTE.
Ah bien ! tant pis, il faut vous accorder... Adolphe, mes parents sont pauvres, mais ils sont bons et honnêtes ; ils nous ont bien élevés, mon frère et moi, et j’aurais trop de chagrin si tu les humiliais... si tu leur faisais la moindre peine ; j’en mourrais, monsieur, entendez-vous ?
MADAME BIDOIS.
Est-elle gentille !...
ADOLPHE.
Rassure-toi, Henriette ; tes parents sont devenus les miens, ils peuvent compter sur mon amitié ; que M. Bidois fasse dans son état des entreprises modestes, utiles, il me trouvera toujours prêt à le seconder.
BIDOIS.
À la bonne heure... touchez là, mon n’veu... J’avais bien songé à demander l’entreprise des trottoirs dans les rues de Paris, mais c’est donné. Par exemple, ça n’va pas vite ; nous n’avons qu’ des p’tits morceaux de trottoirs... On dit que c’est l’entrepreneur de la barrière de l’Étoile qui est chargé d’les confectionner. Adieu, ma nièce ; adieu, madame Mirmont ! ça t’amuse qu’on t’appelle madame, pas vrai ?
HENRIETTE.
Adieu, mon oncle ! adieu, ma bonne tante !
BIBOIS.
Dites donc, mon neveu, est-ce que vous ne nous ferez pas l’amitié de venir sans façon un de ces dimanches manger la soupe avec nous ? Ça s’ra modeste, je vous en avertis, mais il y aura le plat de résistance... le gigot aux zharicots !
HENRIETTE.
Ah ! oui, il y a bien longtemps que je n’en ai mangé.
Air : Contentons-nous d’une simple bouteille.
De not’ maison l’opulence est bannie,
Nous n’ mettrons pas les p’tits pots dans les grands ;
Mais nous ferons là, sans cérémonie,
Ce qu’on appelle un repas de parents.
Pour n’êtr’ pas riche on n’est pas sans vergogne ;
Et, voyez-vous, monsieur l’ nouveau marié,
À vot’ santé j’ boirons d’un vieux Bourgogne,
Qu’est le ciment de la bonne amitié.
Il prend la main d’Adolphe qu’il secoue rudement, puis il sort avec sa femme.
Scène VI
ADOLPHE, HENRIETTE
ADOLPHE.
Ils sont partis !
HENRIETTE.
Ce bon oncle ! cette bonne tante ! nous irons les voir, n’est-ce pas, Adolphe ? Ah ! mon ami, à propos, j’ai une grâce à te demander.
ADOLPHE.
Tu es bien sûre de l’obtenir.
HENRIETTE.
Je voudrais inviter aujourd’hui quelques personnes à dîner.
ADOLPHE.
Aujourd’hui !
HENRIETTE.
Oui, plusieurs de mes compagnes d’apprentissage... mes bonnes amies, c’est comme des camarades de pension. Je ne veux pas qu’elles croient que la fortune m’a rendue fière ; je leur ai tant dit que j’étais heureuse, que je veux leur faire voir mon mari et mon bonheur !
ADOLPHE.
Ce sentiment est louable, ma chère Henriette, et je n’avais pas besoin de cette nouvelle preuve de ton excellent naturel ; mais cette société n’est plus celle que tu dois voir : tes jeunes amies sont fort aimables sans doute ; ne les évite pas, si tu les rencontres, mais les recevoir chez nous ne serait pas convenable.
HENRIETTE, à part.
Ah ! mon Dieu ! ne lui disons pas que je les attends ce matin.
Haut.
Comment... toi qui es si bon, tu voudrais ?...
ADOLPHE.
Qu’en conservant ta charmante candeur, ta précieuse franchise, tu prisses les goûts, les habitudes du monde où tu vas figurer.
HENRIETTE, d’un petit air boudeur.
C’est bien gai ! tu parles comme un maître.
ADOLHHE.
Non, mais comme un ami qui te rendra parfaite. Je voudrais, d’ailleurs, me prêter à l’enfantillage qui te passe par la tête, que cela serait impossible aujourd’hui.
HENRIETTE.
Bah ! pourquoi donc ?
ADOLPHE.
Je vais partir à l’instant même !
HENRIETTE.
Partir !
ADOLPHE.
Je vois bien qu’il faut que je te confie un secret que je ne voulais t’apprendre que plus tard.
HENRIETTE.
Comment, monsieur, vous avez déjà des secrets pour moi ?
ADOLPHE.
Mon oncle de Mirmont s’est toujours opposé à notre mariage, pour lequel son consentement n’était pas absolument nécessaire, puisque j’avais mes vingt-un ans. C’est, au fond, le meilleur homme du monde ; mais, vieux célibataire, il ne conçoit pas qu’on se marie, et surtout...
HENRIETTE.
J’entends !... votre oncle a de l’orgueil, il me méprise.
ADOLPHE.
Il n’a point de préjugés, et quand il t’aura vue, il approuvera mon choix ; mais il faut, avant tout, qu’il consente à te voir, et c’est pour arriver à ce rapprochement, que tu dois désirer autant que moi, qu’un amide collège de mon oncle, et son voisin de campagne, me fait aujourd’hui même passer la journée avec lui.
HENRIETTE.
Ah ! que c’est donc contrariant !
ADOLPHE.
J’ai bien quelques torts à réparer envers M. de Mirmont, c’est une démarche que je fais avec plaisir : c’est un devoir auquel pour rien au monde je ne voudrais me soustraire.
HENRIETTE, avec un petit air boudeur.
Vous aimez donc mieux votre oncle que votre femme ?
ADOLPHE, d’un ton aimable.
Ma femme jusqu’à présent n’a rien à me pardonner.
HENRIETTE, avec abandon et lui tendant la main.
C’est vrai ! elle n’a que des remerciements à te faire ; mais je me rends justice ; je sais bien qu’en me voyant votre oncle va dire : « On ne m’avait pas trompé, mon neveu a épousé une petite grisette ? »
ADOLPHE.
Monsieur de Mirmont, quoiqu’il ait cinquante ans, aime beaucoup les jolies femmes ; il te trouvera charmante.
HENRIETTE.
Tu me flattes toujours ! et je me laisse flatter, c’est tout simple... Je suis devenue grande dame ! Et quand reviendrez-vous, monsieur ?
ADOLPHE.
Demain !
HENRIETTE, vivement.
Comment, demain ?
ADOLPHE.
Pour déjeuner, et j’espère bien à mon retour te présenter à mon oncle !
HENRIETTE.
Ah ! mon Dieu ! comme les heures vont me paraître longues !
Air de la Nacelle (de Panseron.)
Pars donc et reviens vite,
Car j’ai trop de chagrin
Quand mon mari me quitte.
ADOLPHE.
Je reviendrai demain.
HENRIETTE.
La nuit de ce voyage
Sera longue, je crois,
Depuis mon mariage
C’est la première fois !...
Ensemble.
Combien votre Henriette
Va loin de vous être inquiète !
Pour la pauvre Henriette
Point de plaisir sans toi !
Crois-moi, (bis.)
Point de bonheur sans toi !
ADOLPHE.
Adieu, mon Henriette ;
Que rien, crois-moi, ne t’inquiète !
Je te quitte, Henriette !
Mais pour parler de toi,
Crois-moi, (bis.)
Je vais penser à toi.
Deuxième couplet.
Quelle douce assurance !
Mais de nous réunir
Quelques heures d’absence
Doubleront le plaisir !
Il fait un pas pour sortir.
HENRIETTE.
Tu te mets en voyage
Sans m’embrasser, je crois ?
Depuis mon mariage
C’est la première fois !
Ensemble.
ADOLPHE l’embrasse.
Adieu, mon Henriette, etc.
HENRIETTE.
Combien votre Henriette, etc.
Scène VII
HENRIETTE, seule
Ah ! mon Dieu ! que je suis étourdie, je ne lui ai pas seulement demandé où est la campagne de son oncle ! Que c’est malheureux pourtant ! moi qui me faisais une fête de jouir de la surprise de Phrasie et de mes autres camarades envoyant le jeune homme charmant que j’ai épousé ! Oui, mon Adolphe est charmant, je peux bien le dire !... ses goûts ne sont pas les miens, voilà son seul défaut. Il aime les Italiens ; moi, je préfère l’Ambigu, le Cirque-Olympique ; il se plaît dans les grandes sociétés, et je regrette toujours celles de la Chaumière et du Delta !... comme nous nous y amusions dans le temps ! Aujourd’hui, cela le contrarie... je ne suis pas la maîtresse ! Bah ! cela ne m’empêche pas d’être la plus heureuse des femmes !
Air nouveau de M. Adolphe Adam.
Avoir une belle toilette,
Un joli cachemire blanc,
Obtenir tout ce qu’on souhaite,
Ah ! n’est-ce pas un sort charmant !
C’est dommage que l’étiquette
Vienne m’ennuyer si souvent.
On prend des glaces, c’est l’usage,
Dans tous ces élégants salons ;
Je m’y plairais bien davantage,
Si l’on y mangeait des marrons.
Avoir une belle toilette, etc.
À l’Opéra j’entends qu’on cite
Pour la danse je ne sais qui ;
Tout en leur trouvant du mérite,
J’aime mieux madame Saqui.
Avoir une belle toilette, etc.
Parlez-moi de la tragédie
Quand les Anglais la déclamaient ;
Ah ! comme ils m’auraient attendrie,
Si j’avais su ce qu’ils disaient.
Avoir une belle toilette, etc.
Scène VIII
HENRIETTE, CONSTANTΙΝ
CONSTANTIN, mystérieusement.
Madame !
HENRIETTE.
Que voulez-vous, Constantin ?
CONSTANTIN.
Madame, c’est un jeune homme qui...
HENRIETTE.
Eh ! bien, après ?
CONSTANTIN.
Il demande si madame est visible !
HENRIETTE, ingénument.
Sûrement que je suis visible ! vous le voyez bien.
CONSTANTIN.
Je lui ai demandé son nom, il n’a pas voulu me le dire ; mais il prétend que madame sera très contente.
HENRIETTE.
Il me connaît donc ?
CONSTANTIN.
C’est à présumer ; bien plus... quand je lui ai appris que monsieur était absent, il a dit : Bon, tant mieux ! nous serons moins gênés !
HENRIETTE.
C’est drôle ! qu’il entre tout de suite, je n’aime pas les cachotteries !
CONSTANTIN.
Il est là, dans l’antichambre.
À part.
C’est fièrement suspect !
Scène IX
HENRIETTE, CONSTANTΙΝ, AUGUSTE
HENRIETTE.
Quel peut être ce jeune homme ? si c’était Auguste !...
Elle voit entrer Auguste et se jette dans ses bras.
Précisément, c’est lui ! Auguste !
AUGUSTE.
Henriette !
CONSTANTIN, à part.
Je suis pétrifié !
AUGUSTE.
Tu me reconnais donc, ma bonne Henriette ! ma pauvre chouchoute !
HENRIETTE.
Je ne t’ai jamais oublié.
CONSTANTIN.
Ce n’est plus suspect, c’est clair : ma chouchoute !
HENRIETTE.
Constantin, laissez-nous seuls ; si quelqu’un venait, vous viendriez m’avertir sur-le-champ. Allez donc.
CONSTANTIN, à part.
Madame ! oui, madame !... Oh ! c’est trop fort !
Il sort.
Scène X
HENRIETTE, AUGUSTE
AUGUSTE.
Te voilà donc, ma pauvre sœur ! Est-ce que tu es devenue comtesse ?
HENRIETTE.
Comtesse, non ; mais je suis riche comme une marquise !
AUGUSTE.
Enfin, tu es grande dame ! tu as fait un mariage calé ; mon oncle Bidois m’a écrit ça par la poste. J’ai pas pu assister à ta noce, je cours toujours comme tu sais ; quand on est commis-voyageur...
HENRIETTE.
C’est-à-dire que tu vends dans les marchés, dans les foires...
AUGUSTE.
Oui, sans compter que j’ai fait d’assez bonnes affaires cette année. Ah ! ça, dis-moi donc, mon beau-frère est-il bon enfant ?...
HENRIETTE.
Je t’en réponds ! bon, généreux, il a toutes les qualités possibles.
AUGUSTE.
Fameux ! fameux ! Je laisse-là les voyages et le commerce de pacotille ; j’emprunte de l’argent à mon beau-frère ; j’ouvre un magasin de nouveautés à prix fixe ; je me lance dans les flanelles, et j’épouse incontinent ma chère Phrasie, ton ancienne camarade... À propos, est-elle toujours fille ?
HENRIETTE.
Certainement !
AUGUSTE.
Pauvr’ mère ! elle est encore fille ! Dam’ c’est que quand on voyage, t’entends bien, on s’attend toujours... ça arrive quelquefois ; mais il paraît que j’ai eu du bonheur.
Air : Que de mal, de tourment ! (de la Fiancée.)
En qualité d’ commis
Étant partout admis,
Vois-tu, ma sœur, j’ connais les femmes ;
D’elles je n’ médis pas ;
J’admire leurs appas,
Et surtout la bonté de leurs âmes.
Mais le sexe est coquet,
Avec un peu d’ caquet,
Le moindre freluquet
Va dans un tour de main,
Du jour au lendemain,
Comme on dit, fair’ son ch’min
Près du minois le plus inhumain.
Moi, qu’ai tant voyage,
Le ciel m’a protégé.
Je ne sais vraiment pas si je veille :
R’trouver toujours constant
Un cœur qui vous attend,
Ma parol’ d’honneur, c’est un’ merveille !
C’est si rare déjà
Quand on est toujours là !
HENRIETTE.
Oui, Phrasie t’aime toujours ; elle me disait encore dernièrement : Ah ! quand serai-je ta belle-sœur ! pourvu qu’Auguste n’ait pas changé.
AUGUSTE.
Moi, changer ! moi, oublier ma Phrasie ! il faudrait que je sois un monstre, ma sœur ; non, je suis un jeune homme sensible, aimant... trop peut-être ; mais toujours la même, ô ma Phrasie ! tu es cette même, même, que je n’ai jamais cessé d’aimer.
HENRIETTE.
Que je suis contente ! justement tu vas la voir aujourd’hui ; elle va venir !
AUGUSTE.
Bonheur inespéré !
HENRIETTE.
Ah ! la voilà !
Elle court vers le fond.
AUGUSTE.
Ô mon cœur ! ô émotion ! vrai, quand on ne s’y attend pas, ça fait mal ; les sensations sont si vives, quand on est commis-voyageur !
Scène XI
HENRIETTE, AUGUSTE, PHRASIE, en grande parure de grisette
PHRASIE, en entrant.
C’est Auguste !
AUGUSTE.
Chère Phrasie !
HENRIETTE.
Embrassez-vous donc !
AUGUSTE.
Air : Contredanse de la Muette.
Tu revois ton amant
Fidèle à son serment.
C’est un bien doux moment
Pour un cœur tendre !
Va ! si j’ai voyagé,
C’est à toi seul’ que j’ai
Partout songé,
Vénus en abrégé.
PHRASIE.
Tu d’vais plutôt r’venir,
Et quand on doit s’unir,
Faut en convenir,
C’est ennuyeux d’attendre.
AUGUSTE, à part.
Ah ! que c’est provoquant !
Tant d’autres se moquant
D’ leur prétendu,
N’auraient pas attendu !
Ensemble.
AUGUSTE.
Tu revois ton amant
Fidèle à son serment.
C’est un bien doux moment
Pour un cœur tendre !
Assez j’ai voyagé.
Par l’hymen engagé,
Soldat range,
Je n’ prendrai plus de congé.
PHRASIE et HENRIETTE.
Je } revois { mon } amant,
Tu } { ton }
Fidèle à son serment,
C’est un bien doux moment
Pour un cœur tendre !
Assez t’as voyagé !
Par l’hymen engagé,
Soldat rangé,
Tu n’auras plus d’ congé.
AUGUSTE, à Phrasie.
Quelquefois, de fil en aiguille,
Dans l’état qu’ tu fais, vois-tu,
Il arriv’ qu’un’ jeune fille
S’ laiss’ tromper.
PHRASIE.
J’ai d’ la vertu.
AUGUSTE.
Tu m’aim’s toujours ?
PHRASIE.
Pour la vie !
Et j’ n’ai rien à me r’procher.
AUGUSTE, à part.
Où la constance, j’ vous prie,
A-t-elle été se nicher !
À Phrasie.
Tu revois ton amant ! etc.
PHRASIE et HENRIETTE.
Je } revois { mon } amant, etc.
Tu } { ton }
AUGUSTE.
Oui, aimable Phrasie, c’est Auguste ! toujours ton Auguste !
HENRIETTE, à Phrasie.
Le trouves-tu changé, mon frère ?
PHRASIE.
Monsieur Auguste n’est changé qu’à son avantage.
AUGUSTE.
C’est-à-dire que j’ai pris du corps... Elle est charmante !
HENRIETTE, à Phrasie.
Oh ! que ton chapeau est joli ! ce fichu te va à merveille. Est-ce toi qui as fait ta robe ?
PHRASIE.
Sans doute.
HENRIETTE.
Où est le temps où je m’en faisais, comme ça ! Tu seras ma couturière, veux-tu ?
PHRASIE.
Je ne demande pas mieux !
HENRIETTE.
Par exemple, tes volants ne froncent pas assez ! attends, c’est un point à faire... je vais t’arranger cela.
PHRASIE.
Ah ! je ne souffrirai pas qu’une belle dame comme toi travaille à ma robe.
HENRIETTE.
Laisse donc, ça m’amuse ! je m’en souviens encore, va.
Elle se baisse et fronce les plis de la robe de Phrasie.
PHRASIE.
Tu étais si adroite !
AUGUSTE.
Ma Phrasie me permettra-t-elle de lui offrir des anis de Verdun, un mouchoir de Chollet, du pain d’épice de Reims, et de jolis ciseaux de Châtellerault, fruits naturels de mes voyages ?
PHRASIE.
Avec grand plaisir, monsieur Auguste.
HENRIETTE, cousant toujours.
Ah ! bah ! les ciseaux... ça coupe l’amitié.
AUGUSTE.
Laisse donc, c’est un pur préjugé aussi mensonger que vulgaire. Ma Phrasie accepte tout, sans parler de mon cœur, parce qu’elle l’avait déjà.
PHRASIE, à Henriette.
Eh ! moi, qui ne pense pas à t’avertir ! ma chère Henriette, toutes nos camarades vont arriver. Caroline. Modeste, Victorine, Fifine, Clara ! des toilettes superbes... Elles ont pris un fiacre, c’est-à-dire une citadine ; moi, je suis venue à pied, voilà pourquoi je suis arrivée avant elles.
HENRIETTE.
Elles arrivent ! je suis joliment contrariée, va.
PHRASIE.
Pourquoi donc ça ?
HENRIETTE.
Figure-toi que je me faisais une fête de leur présenter mon mari, et il est parti pour la campagne ; il est obligé de passer la journée chez un de nos parents, un vieil oncle que je ne connais pas encore.
PHRASIE.
Ah ! quel malheur !
HENRIETTE.
Elles vont croire qu’il l’a fait exprès, qu’il est fier, qu’il n’a pas voulu les voir.
AUGUSTE.
Ah ! dam’ ! les suppositions, c’est tout simple, quand on ne connaît pas.
HENRIETTE.
Air : Amis, voici la riante semaine.
C’est justement ce qui me contrarie ;
J’ voudrais déjà qu’Adolphe fût revenu.
Quand, par bonheur, ma chère, on se marie,
On est bien ais’ que ça soit bien connu.
Être la femme d’un mari qu’on admire,
Et qu’à tout l’ monde on ne peut pas fair’ voir ;
Ça m’ fait l’effet d’avoir un beau cachemire
Qui resterait toujours dans votr’ tiroir !
AUGUSTE.
Attends donc ! tes compagnes ne me connaissent pas non plus ; présente-moi comme ton mari, je jouerai bien mon rôle ; quand on est commis-voyageur, on n’est pas embarrassé.
PHRASIE.
C’est ça !
HENRIETTE.
C’est charmant !
PHRASIE.
Oh ! la bonne plaisanterie !
AUGUSTE.
Ce n’est pas la première que j’aurai faite, quand on est...
HENRIETTE.
Eh ! bien, ne perdons pas de temps. Vite ! préparons-nous !
Elle appelle.
Constantin ?
PHRASIE.
J’en ris d’avance !
HENRIETTE.
Constantin, venez donc ?
AUGUSTE.
Allons donc, Constantin !
Scène XII
HENRIETTE, AUGUSTE, PHRASIE, CONSTANTIN
CONSTANTIN.
Madame a appelé ?
AUGUSTE, d’un ton important.
Sans doute que madame a appelé.
HENRIETTE.
Il va venir des personnes que nous attendons...
AUGUSTE.
Des dames que nous avons invitées !
HENRIETTE.
Vous les ferez entrer ici, et vous les prierez d’attendre un instant.
AUGUSTE.
Tu les introduiras dans ce salon ; qu’elles attendent que nous soyons visibles !
PHRASIE.
J’entends la voiture.
AUGUSTE.
Air : Voulez-vous des bijoux ? (du Concert à la cour.)
Ah ! vraiment,
C’est charmant !
Ah ! quelle fête !
Mais partons ;
Procédons
À ma toilette !
Ah ! j’en réponds,
Oui, nous rirons !
Ah ! j’en réponds ! (bis.)
Oui, nous rirons !
Nous nous amuserons !
À Henriette.
Pour tout le jour, j’ suis ton mari, ma chère !
CONSTANTIN, à part.
Vous l’entendez ! il n’en fait pas mystère !
Il fait des grimaces.
TOUS TROIS.
Ah ! j’en réponds !
Oui, nous rirons ! etc.
Auguste prend le bras d’Henriette et de Phrasie, et sort avec elles par une porte latérale.
Scène XIII
CONSTANTIN, seul
C’est gentil ! c’est bien gentil ! et ce jeune homme qui était si timide, avez vous vu comme il commande ? et mon maître est parti ; décidément je ne peux pas me dispenser d’instruire son oncle de tout ce qui se passe ici.
TOUTES LES GRISETTES, dans la coulisse.
Chez madame de Mirmont.
CONSTANTIN.
Voilà toutes ces demoiselles.
Scène XIV
CONSTANTIN, CAROLINE, MODESTE, FIFINE, VICTORINE, CLARA
TOUTES, en entrant.
Air de Fiorella.
Le plaisir, mesd’moiselles,
Ici guide nos pas ;
Si l’amour a des ailes,
L’amitié n’en a pas.
TOUTES.
Ah ! les beaux meubles !
VICTORINE, à Constantin.
Madame de Mirmont est-elle chez elle, monsieur ?
CONSTANTIN.
Mesdemoiselles, madame vous prie de vouloir bien l’attendre ; elle va venir, asseyez-vous.
À part.
Ah ! si j’étais le maître, quel coup de plumeau !
FIFINE.
Qu’elle ne se dérange pas, cette chère enfant ! nous serions désolées...
CAROLINE, montrant un tableau.
Tiens, Fifine, vois donc ce portrait ; c’est peut-être son mari !
FIFINE.
Oh ! il doit être plus jeune que ça ! c’est plutôt le beau-père.
VICTORINE.
Elle doit avoir de bien belles robes !...
CAROLINE.
Je t’en réponds ! et des châles, et des diamants, et des domestiques !
TOUTES.
Est-elle heureuse ?
VICTORINE.
Dites donc... est-elle mariée, vrai ?
CAROLINE.
Tiens, c’t’autre ! Mesdemoiselles, Victorine qui demande si elle est mariée ?
CONSTANTIN, à part.
Voyez-vous, les petites mauvaises langues !
CAROLINE.
Oui, mesdemoiselles, elle est mariée, tout ce qu’il y a de plus marié ! Madame Bernard, qui a été à sa noce, dit qu’elle avait un air innocent et un beau cachemire qui avait des palmes longues comme ça !
TOUTES.
Ah ! voilà Phrasie !
Scène XV
CONSTANTIN, CAROLINE, MODESTE, FIFINE, VICTORINE, CLARA, PHRASIE, arrivant
PHRASIE.
Eh ! arrivez donc, paresseuses !
TOUTES.
Et Henriette ?
PHRASIE.
Monsieur et madame vont paraître dans l’instant.
CAROLINE.
Ah ! bon !
CONSTANTIN, à part.
Monsieur et madame !
PHRASIE.
Constantin, allez chercher tout de suite deux voitures, deux coucous.
CONSTANTIN.
Deux coucous ?
PHRASIE.
De la rue Mont-Thabor à la place Louis XV, il n’y a qu’un pas. Allez vite ; c’est madame qui l’ordonne.
CONSTANTIN, à part.
Madame !... deux coucous !... mon pauvre maître !
Il sort.
PHRASIE.
Mes amies, voilà ce que c’est : au lieu de dîner ici, nous allons faire une partie de campagne ; monsieur de Mirmont consent à donner ce plaisir à sa femme.
MODESTE.
Une partie de campagne !
TOUTES.
Tant mieux !
PHRASIE.
La voilà !
Scène XVI
CAROLINE, MODESTE, FIFINE, VICTORINE, CLARA, PHRASIE, HENRIETTE, en grisette, donnant la main à AUGUSTE, grotesquement vêtu
HENRIETTE, courant à ses amies.
Bonjour, mesdemoiselles ! pardonnez-moi, je vous ai fait attendre !
Elle les embrasse tour-a-tour.
TOUTES.
Bonjour, Henriette.
HENRIETTE.
Je vous présente mon mari.
Elle font toutes la révérence.
AUGUSTE, qui les a saluées.
Mesdemoiselles, certainement, c’est moi. Vous êtes les bonnes amies de ma femme ; et les bonnes amies de ma femme doivent toutes être les miennes.
PHRASIE, riant.
Ah ! ah ! ah !
MODESTE, à Caroline.
Il est très bien !
CAROLINE, à Modeste.
Il est très galant.
FIFINE.
Monsieur est trop honnête !
HENRIETTE.
Mes amies, mon mari et moi, nous avons pensé qu’une partie de campagne vous ferait plaisir ; j’aime tant à me rappeler ma jeunesse ! nous serons plus libres, rien ne nous gênera. C’est pour cela que j’ai pris ce costume, c’est celui que je portais encore la veille de mon mariage.
MODESTE.
Nous aurions bien voulu voir tes belles robes !
CAROLINE.
C’est égal, tu es bien gentille comme ça !
AUGUSTE, avec une importance comique.
Oui, mes amies, j’ai autorisé ma femme à faire une partie de campagne, ce qui ne m’empêchera pas de faire les honneurs de chez moi, et de chez elle, chez le restaurateur ! Oh ! soyez tranquilles, nous ferons nos farces ! d’autant plus que je connais les bons endroits. Quand on est... c’est-à-dire... Voyons... où irons-nous ?
HENRIETTE.
Mon ami, si nous allions à Sceaux ?
TOUTES.
À Sceaux ! à Sceaux !
PHRASIE.
Ah ! Sceaux ! c’est bien cohue ! On dit que c’est si mal composé à présent !
AUGUSTE.
Ah ! si c’est mal composé, je n’en suis pas... Tenez, une idée ! Allons à Meudon ?
HENRIETTE.
Ah ! oui... à Meudon ! je n’y ai pas été depuis mon mariage.
Bas à Phrasie.
Mon mari n’a jamais voulu m’y mener, je ne sais pas pourquoi.
TOUTES.
À Meudon ! à Meudon !
AUGUSTE.
À Meudon ! donc ! Voilà justement le grand Constantin qui revient. Vivat !
CONSTANTIN, entrant.
Les coucous sont en bas.
AUGUSTE.
En avant, la gaîté française, partons !
TOUTES.
Partons !
Finale.
Air : Fragment du Finale du premier acte de la Dame Blanche.
AUGUSTE.
Allons ! allons ! vite en campagne,
Ne perdons pas un seul moment.
PHRASIE.
Puisque monsieur nous accompagne,
Le voyage sera charmant.
TOUTES.
Que de plaisir je me promets !
Vive la danse sous l’ombrage !
HENRIETTE.
Mais écoutez (bis) tous mes projets :
D’un petit trésor en voyage
Il faut que nous soyons munis,
Car les plaisirs sont au village
Presqu’aussi chers que dans Paris.
AUGUSTE, bas à sa sœur.
Je n’ peux pas fair’ d’avances.
HENRIETTE, montrant Auguste.
Ces dam’ n’auront rien à penser,
Monsieur (bis) se charge des dépenses.
Elle lui donne une bourse.
AUGUSTE.
Vous ne pouviez mieux me placer,
C’est là que j’ veux me surpasser,
Car je suis fort pour dépenser :
Je suis ministre des finances !
TOUTES.
Ministre des finances.
AUGUSTE.
Vous pouvez (bis) me faire financer.
TOUTES.
Ô ciel ! protég’ notr’ voyage !
Toi qui fais la pluie et l’ beau temps,
Loin de Meudon chasse l’orage ;
Protège (bis) nos jeux innocents. (bis)
Quand rira-t-on, si ce n’est au printemps ?
Ils partent tous.
ACTE II
Le théâtre représente un site champêtre de Meudon. À droite des acteurs, et sur le devant de la scène, la maison d’un restaurateur ; au-dessous de l’enseigne, un balcon praticable. À gauche, vers le fond, on aperçoit la grille d’une belle maison bourgeoise.
Scène première
MONSIEUR DE MIRMONT, en costume de chasse et un fusil sous le bras, sort de la grille, ANTOINE le suit
MONSIEUR DE MIRMONT.
Tu m’entends bien, Antoine ? si quelque affaire pressée exigeait ma présence, tu me trouveras chez monsieur de Montalan où je dîne.
ANTOINE.
Oui, monsieur de Mirmont.
Il rentre.
MONSIEUR DE MIRMONT.
Les honorables et gratuites fonctions de maire ne nous condamnent pas, grâce au ciel, à rester toujours chez nous. La journée est superbe, il est encore de bonne heure... je vais battre un peu le bois pour gagner de l’appétit.
Il sort au moment où Auguste paraît sur la porte du restaurateur.
Scène II
AUGUSTE, à la cantonade
C’est convenu, le cabinet numéro 3, et le dîner pour quatre heures précises.
Sur le devant de la scène.
C’est bien gentil d’avoir une petite sœur comme ça, qui a épousé un jeune homme fortuné ! Voilà sa bourse qu’elle ma donnée pour fournir à la dépense ; c’est moi qui commande et c’est elle qui paie.
Air : Vaudeville de Jadis et Aujourd’hui.
Par moi la fête est ordonnée ;
Je réponds que tout ira bien :
J’ai les honneurs de la journée,
Et cela ne me coûte rien.
À Paris que d’ gens se signalent
Par le mêm’ désintéress’ment !
Quand certains seigneurs nous régalent,
C’est toujours avec notre argent.
Eh bien ! où est donc la troupe folâtre ? moi qui suis le mari... est-ce que j’aurais perdu ma femme ?Ah ! les voilà qui descendent des chevaux de bois !... Reprenons le ton d’un homme comme il faut...
Criant à la cantonade.
Hoë !... hoë !... par ici les demoiselles !
Scène III
AUGUSTE, HENRIETTE, PHRASIE, TOUTES LES DEMOISELLES, chacune d’elles a à la main des cornets de plaisirs
CHŒUR.
Air des Commères. (le Maçon.)
Ah ! quels moments
Charmants !
La liberté, les bois, les champs,
Ah ! pour nous quels amusements !
Ah ! quels moments !
Charmants ! Voilà bien de nos jeunes ans
Le plus doux passe-temps !
Mesd’moisell’s, il faut en conv’nir,
Rien n’est si bon que le plaisir !
AUGUSTE.
Ah ! ça, vous allez vous donner une indigestion de plaisirs ?
HENRIETTE.
Le plaisir n’indispose jamais.
AUGUSTE.
Aiment-elles le plaisir ?
PHRASIE.
Nous venons de faire une partie de bague ; à présent, il faut faire une partie d’ânes !
HENRIETTE.
Est-ce qu’il y en a à Meudon ?
AUGUSTE.
Tiens, s’il y en a ? je le crois bien.
Air du Vaudeville de Jadis et Aujourd’hui.
Autrefois, quand on voulait prendre
Un plaisir comme celui-ci,
Avant tout, il fallait se rendre
Dans le bois de Mémorency.
C’était là l’unique manège
De ces coursiers de si bon goût.
Maintenant, plus de privilège :
On trouve des ânes partout.
PHRASIE.
Moi, je n’aime pas ceux de Mémorency, ils sont trop fringants ; la dernière fois, le mien a pris le mors aux dents... ma robe s’est accrochée, et j’ai fait la culbute.
TOUTES, riant.
Ah ! ah ! la bonne cavalière !
AUGUSTE.
Vous ne vous êtes pas fait de mal, Phrasie ?
PHRASIE.
Non !... mais j’étais joliment honteuse.
AUGUSTE.
Les ânes de Meudon seront plus galants, et puis je serai là pour conduire la cavalcade.
CONSTANTIN paraît dans le fond du théâtre, et dit à part.
Ah ! les v’là ! j’arrive à temps.
AUGUSTE.
Ça nous fera attendre le dîner que je viens de commander.
CONSTANTIN, à part.
C’est là qu’ils dînent, c’est bon à savoir.
Il se cache jusqu’à la fin de la scène.
AUGUSTE.
Et au dessert, je vous chanterai la chanson du commis-voyageur... ça vous fera rire !...
HENRIETTE.
Comment, du commis-voyageur ?
PHRASIE, à Auguste.
Prends donc garde, tu te trahis !
AUGUSTE, à part.
Ah ! diable !
Haut.
Oui, du commis-voyageur ! ça étonne ces demoiselles qu’un homme comme moi sache une pareille chanson... Je l’ai apprise d’un de mes amis... un drôle de corps... justement le frère d’Henriette... de ma femme !
CAROLINE.
Ah ! oui, le prétendu de Phrasie ! on dit que c’est un mauvais sujet.
AUGUSTE.
Qu’est-ce qui dit ça ?
VICTORINE.
Tiens, c’est la renommée.
AUGUSTE.
La renommée fait des cancans comme une autre, et je vous dis, moi, que le jeune Auguste est un charmant garçon, aimable et spirituel comme tout.
HENRIETTE, bas à Auguste.
Tu ne t’égratignes pas !
AUGUSTE, bas à Henriette.
Pourquoi donc que je m’égratignerais ?
Haut.
Et pour le physique, il ne craint personne.
TOUTES, riant.
Ah ! ah ! ah !
AUGUSTE.
Il n’y a pas de ah ! ah ! ah ! et quand il a un frac comme le mien, vous le prendriez plutôt pour moi que pour lui.
HENRIETTE.
Allons, allons, ne te fâche pas.
AUGUSTE, à Henriette.
Non, mais il ne faut pas qu’on ait l’air de molester son frère... parce que... Ah ! bah !... vous êtes un essaim de beautés piquantes, et vous cherchez à me piquer... mais j’ai l’esprit bien fait ; allons louer des ânes !
Air : Clic, clic, clac ! (d’Adolphe Adam.)
Clic ! clic ! clac ! en avant sur nos ânes !
Nous sommes aux champs ;
Sans gêne suivons nos penchants.
Clic ! clic ! clac ! faisons nos caravanes !
À courir les champs,
On s’ divertit mieux qu’à Longchamp.
HENRIETTE.
Oui, pendant la soirée entière
Il ne faut rien nous refuser.
Je crois encore êtr’ couturière ;
Ah ! comme je vais m’amuser !
CHŒUR.
Clic ! clic ! clac ! en avant sur nos ânes, etc.
AUGUSTE.
Gaiement trottons sur nos montures ;
Demain, n’ faut pas nous abuser,
Nous aurons tous des courbatures...
Comm’ nous allons nous amuser !
PHRASIE, à Henriette.
Ah ! puisse le destin prospère
Nous faire à chacune épouser
Un mari comm’ le tien, ma chère,
Quand ça n’ s’rait qu’ pour nous amuser.
CHŒUR.
Clic ! clic ! clac ! en avant, etc.
Toutes les grisettes sortent avec Auguste.
CONSTANTIN, les regardant sortir.
C’est ça. Clic ! clic ! clac ! riez, amusez-vous bien, vous ne rirez pas longtemps !
Il tire de toute sa force la sonnette de la maison de M. de Mirmont.
Scène IV
CONSTANTIΝ, ΑΝΤΟΙΝΕ
Cette scène doit être jouée dans le fond du théâtre.
ΑΝΤΟΙΝΕ.
Qu’est-ce qu’il y a pour vot’ service ?
CONSTANTIN.
M. de Mirmont est-il chez lui ?
ΑΝΤΟΙΝΕ.
Non, il ne rentrera même pas de la journée. Mais, si c’est une affaire qui presse...
CONSTANTIN.
Une affaire qui presse ! je le crois bien, il n’est peut-être déjà plus temps !
ΑΝΤΟΙΝΕ.
Alors, ça n’est pas la peine de le déranger.
Il fait un mouvement pour rentrer.
CONSTANTIN.
Au contraire, il sera enchanté... Je veux dire, il sera furieux quand il saura...
ΑΝΤΟΙΝΕ.
Dam’... je n’ peux pas laisser la maison seule... mais avez-vous de bonnes jambes ?
CONSTANTIN.
Si j’ai de bonnes jambes ! j’ai gagné le prix de la course à pied, au Champ-de-Mars... Trois fois le tour en sept minutes !
ANTOINE, lui indiquant le coté opposé à celui par lequel les grisettes sont sorties.
En ce cas... vous voyez bien c’te rue qui conduit à la grande place ? quand vous serez vis-à-vis de l’église, vous prendrez à gauche... pour lors vous arriverez dans l’avenue... et en allant toujours tout droit, vous tomberez naturellement dans le village de Clignancourt ; et la première maison qui vous fait face avec une grille, est celle de monsieur de Montalan. Mon maître y dîne, vous n’avez qu’à le faire demander par François, le domestique, ou par Jeanneton, la cuisinière.
CONSTANTIN.
J’y cours... En vous remerciant, brave homme.
ΑΝΤΟΙΝΕ.
Il n’y a pas de quoi, monsieur, à votre service.
On entend un coup de fusil.
CONSTANTIN.
Tiens, un coup de fusil ! Il y a donc du gibier ici ?
ΑΝΤΟΙΝΕ.
Certainement, on chasse même la grosse bête.
CONSTANTIN.
Je me sauve !
Il sort en courant ; Antoine rentre chez lui.
Scène V
PHRASIE, MIRMONT, arrivant du côté par lequel les grisettes sont sorties
PHRASIE, accourant tout effrayée et suivie de Mirmont.
La vilaine bête ! le coup de fusil lui a fait peur ! En vous remerciant, monsieur le chasseur !
MIRMONT.
C’est moi, mademoiselle, qui dois me féliciter d’une si heureuse rencontre.
PHRASIE.
Vous êtes bien honnête, monsieur.
MIRMONT.
Dites que je suis bien heureux d’avoir pu vous être bon à quelque chose.
PHRASIE.
Je ne sais plus maintenant où retrouver ces demoiselles !
MIRMONT.
Ma maison n’est qu’à deux pas... Si vous voulez les y attendre... Antoine, qui connaît tous les détours du bois, ira les prévenir.
PHRASIE.
Je crains de vous gêner, monsieur, et n’ayant pas l’honneur de vous connaître, la décence...
À part.
Il n’est pas mal, pour un habitant de Meudon !
MIRMONT, à part.
Elle fait la prude, c’est une grisette !
PHRASIE.
Mais je me souviens maintenant que le rendez-vous était à la danse.
MIRMONT.
Voulez-vous que je vous y conduise ?
PHRASIE.
Ah ! monsieur, c’est inutile.
À part.
Est-ce qu’il aurait des intentions ?
MIRMONT.
Le bal ne commence qu’à quatre heures, je vous en avertis.
PHRASIE.
Air : Entendez-vous, c’est le tambour (de la Fiancée.)
J’entends déjà la tambourin ;
Déjà le trombone
Résonne.
Le flageolet, le tambourin,
M’indiqueront bien le chemin.
MIRMONT.
Seule ainsi dans les bois que je vous abandonne !
Non, je suis trop galant...
PHRASIE.
Laissez-moi, l’on m’attend.
Ensemble.
J’entends déjà, etc.
MIRMONT.
Quel petit air vif et mutin !
L’aimable et gentille personne !
Jamais chasseur en son chemin
Trouva-t-il plus joli butin !
PHRASIE.
Adieu, monsieur.
MIRMONT.
Un seul moment
Restez encore, je vous prie !
Il lui prend la main.
PHRASIE, retirant sa main.
Ah ! vous me faites mal, vraiment !
MIRMONT.
Certes, ce n’est pas mon envie ;
Mais si vous voulez librement
Rejoindre votre compagnie,
Rien qu’un baiser...
PHRASIE.
Non, c’est fort mal :
C’est un impôt très illégal.
Ensemble.
J’entends déjà, etc.
MIRMONT.
Quel petit air, etc.
Au moment où Mirmont va l’embrasser, elle se sauve ; Adolphe paraît, et tombe presque dans les bras de son oncle.
Scène VI
MIRMONT, ADOLPHE
ADOLPHE.
Eh ! c’est vous, mon oncle ! que je suis heureux de vous rencontrer !
MIRMONT, embarrassé.
Te voilà, toi... Qu’est-ce que tu viens faire ici ?
ADOLPHE.
Mais vous-même, mon oncle, où couriez-vous donc si lestement ?
MIRMONT.
Ça ne te regarde pas... Que viens-tu faire ici ?
ADOLPHE.
Vous voir, mon oncle, passer la journée avec vous, chez notre excellent ami monsieur de Montalan. Si la soupente de mon cabriolet ne s’était pas cassée en route, je serais arrivé depuis une heure.
MIRMONT.
Ah ! j’y suis, Montalan veut jouer le rôle de conciliateur... C’est un dîner diplomatique. De quoi s’agit-il ? d’un rapprochement entre nous ? Je ne t’en veux pas moi. Tu t’es marié, c’est une sottise, mais ça te regarde, et pourvu que je ne voie pas ta femme...
ADOLPHE.
Vous la verrez, mon cher oncle, et vous serez enchanté d’elle. Elle est d’un caractère charmant, fort jolie, et les jolies personnes ne vous déplaisent pas !
MIRMONT.
Non, certainement, je ne me donne pas pour un Caton, l’orgueil de la naissance m’a toujours paru fort ridicule ; mais je trouve aussi qu’il y a véritablement mésalliance quand un homme bien élevé épouse une femme sans éducation.
ADOLPHE.
Comptez-vous pour rien le plaisir de l’instruire ?
Scène VII
MIRMONT, ADOLPHE, CONSTANTIN
CONSTANTIN, tout essoufflé.
Ah ! monsieur, c’est vous ! c’est le ciel qui vous envoie ! Est-ce que vous savez déjà ?
ADOLPHE.
Que veux-tu dire, et pourquoi, sans mon ordre, as-tu quitté la maison ?
CONSTANTIN.
Ne m’en parlez pas ! des aventures ! des événements !...
MIRMONT, qui s’est arrêté à l’arrivée de Constantin.
Explique-toi donc, imbécile !
CONSTANTIN, saluant M. de Mirmont.
Ah ! monsieur me reconnaît !
ADOLPHE.
Que s’est-il passé ? parle...
CONSTANTIN.
Madame votre femme...
ADOLPHE.
Eh bien ?
CONSTANTIN.
Elle est enlevée !
ADOLPHE.
Enlevée !
MIRMONT, à Adolphe.
Ma foi, tu le mérites bien !
CONSTANTIN.
À peine étiez-vous monté en cabriolet, qu’un jeune homme d’environ un mètre soixante-dix centimètres, s’est présenté, l’a appelée ma chouchoute, m’a envoyé chercher deux voitures... et ils sont partis ensemble...
ADOLPHE.
Ensemble !
CONSTANTIN.
Avec cinq ou six autres jeunes filles... des camarades de mam’selle... je veux dire de madame.
ADOLPHE.
Cela n’est pas possible...
MIRMONT, à Adolphe.
Vous la verrez, mon oncle, et vous serez enchanté d’elle ! Pauvre dupe !
ADOLPHE.
Il y a certainement ici quelque méprise !... ma femme est incapable...
MIRMONT.
Ma femme est incapable ! Voilà bien les maris ! ils sont toujours d’une sécurité parfaite !
CONSTANTIN, à part.
Eh ! tenez, monsieur, le voilà qui vient de ce côté.
ADOLPHE.
Qui ?
CONSTANTIN.
Le ravisseur ! Ils sont à Meudon, en partie fine, et voilà le restaurant où ils doivent dîner.
ADOLPHE, à Constantin.
Laissez-nous.
MIRMONT, à Constantin.
Va trouver Antoine... tu te rafraîchiras.
CONSTANTIN, en sortant.
Ah ! mon Dieu ! qu’est-ce que tout ça va devenir !
Scène VIII
MIRMONT, ADOLPHE, AUGUSTE
Auguste arrive en sautant sur le devant de la scène.
ADOLPHE, au fond du théâtre.
Je vais avoir une petite explication avec ce monsieur...
MIRMONT.
Modérez-vous, mon neveu, point d’emportement... point de provocation surtout... Songez que je dois veiller ici à la tranquillité publique !
AUGUSTE, sans voir les autres personnages.
Sont-elles gaies ! sont-elles aimables ! Ma petite Phrasie, quelle rose !... Et la grande Victorine, quel brillant ! Et la blonde Clara, quelle perle ! Quels bijoux que tout cela ! Et Fifine le petit nez retroussé ! C’est amusant des grisettes, quand on est...
Il appelle.
Garçon !
ADOLPHE, s’approchant de lui.
Monsieur, pourrait-on vous dire deux mots ?
AUGUSTE.
Quatre, monsieur, si ça vous fait plaisir, quand j’aurai parlé au garçon...
Il appelle.
Garçon !
LE GARÇON, arrivant.
Voilà, voilà ! qu’est-ce qu’appelle ?
AUGUSTE.
Ici donc, garçon... Ca n’est pas tout ça... me connaissez-vous ?
LE GARÇON.
Non, monsieur.
AUGUSTE, lui ôtant son bonnet de coton.
Ôte donc ton chapeau ! Là, maintenant je te demande si tu me connais ? Tu ne me connais pas à ton dire ? Eh bien ! j’ai commandé un repas pour neuf personnes qui meurent de faim... Conduis-moi à la chambre retenue pour M. Adolphe de Mirmont.
ADOLPHE, à part.
Que dit-il ?
MIRMONT, à part.
En voici bien d’une autre !
ADOLPHE, à Auguste.
Comment, vous vous appelez Adolphe de Mirmont ?
AUGUSTE.
Si vous voulez bien le permettre... Oui, je suis Adolphe de Mirmont, et puisqu’il faut vous le dire, en société pour le moment avec des dames aimables et mon épouse par-dessus le marché.
ADOLPHE, avec chaleur.
Votre femme !... Je voudrais bien savoir...
AUGUSTE.
Ah ! ça vous êtes bien curieux !... Oui, monsieur, une petite femme que j’ai épousée comme ça... Un coup de tête...
MIRMONT, retenant toujours Adolphe.
C’est une gageure... une mystification...
ADOLPHE, à son oncle.
C’est une insolence que je ne souffrirai pas...
À Auguste.
Vous allez me dire à l’instant même...
MIRMONT, à Adolphe.
Tu ne vois pas que c’est un fou ?
AUGUSTE.
Pardon, monsieur, enchanté d’avoir fait votre connaissance... Mais il me semble que je vous en ai assez dit comme ça... Garçon, conduis-moi... Je veux goûter le vin... il ne faut pas se laisser enfoncer !
ADOLPHE, le retenant.
Vous ne sortirez pas d’ici que vous ne m’ayez expliqué...
AUGUSTE.
Qu’est-ce que cela signifie ? Il n’y adonc plus de liberté individuelle !... Si c’est une querelle que vous voulez me chercher, j’ vas trouver monsieur le maire, je vous en préviens... C’est que je suis très bien avec monsieur le maire !
MIRMONT, à part.
Voilà du nouveau !
ADOLPHE, regardant l’habit d’Auguste.
Mais, Dieu me pardonne, c’est mon habit bleu !
AUGUSTE.
Vous regardez mon habit ? Il me va bien, n’est-ce pas ? Eh ! bien parole d’honneur, il ne me coûte pas cher ! Ah ! c’est que je connais le prix des marchandises. Quand on est... Gâte-sauce, en avant, marche au numéro 3.
À Adolphe.
Je vous donnerai l’adresse du tailleur, à la première rencontre.
À part.
Il est original, ce monsieur !...
Scène IX
MIRMONT, ADOLPHE
ADOLPHE, fort ému.
En vérité ! j’admire ma patience...
À Mirmont.
Quoi, vous voulez que je souffre ?...
MIRMONT.
Je veux que vous ne cédiez point à un premier mouvement... que vous ne fassiez pas ici un éclat qui, dans ma position, serait plus fâcheux encore pour moi que pour vous. Je n’ai pas fait la folie d’épouser une grisette !
ADOLPHE, avec émotion.
Vous avez raison, mon oncle... Abusez de vos avantages... toutes les apparences sont contre elle... Eh ! bien, malgré le ridicule rapport de mon valet de chambre, malgré tout ce que je viens de voir, j’oserais affirmer qu’Henriette n’est pas coupable... Elle peut être inconséquente, étourdie ; mais la dissimulation n’entre point dans son âme ; elle m’aime sincèrement, et c’est če monsieur qui me fera raison...
MIRMONT, le calmant.
Pourquoi ? puisque tu es si sûr de la vertu de ta femme ! écoute : tu voulais me la présenter, je ne voulais pas la voir, le hasard l’amène ici ; eh ! bien je la verrai, si, te fiant à ma prudence, tu consens à me laisser seul débrouiller cette intrigue.
ADOLPHE.
Mais, mon oncle, c’est à moi...
MIRMONT.
De deux choses l’une, ou ta femme ne mérite point de grâce, ce qui n’est que trop probable... alors tu paies ta sottise, tu lui assures de quoi vivre et tu cesses de la voir... Ou si, comme tu le prétends, elle n’a été qu’étourdie, inconséquente, moi-même je lui pardonne et je suis le parrain de ton premier enfant.
ADOLPHE.
Ah ! mon oncle, vous me comblez de joie... Les parents d’Henriette ne l’ont point instruite à feindre ; ce sont des gens délicats, pleins d’honneur et même assez distingués.
UNE VOIX, dans la coulisse.
Il paiera le dégât... Qu’on le mène chez monsieur le maire !
MADAME BIDOIS, dans la coulisse.
Je ne quitte pas mon homme !
Scène X
MIRMONT, ADOLPHE, BIDOIS, MADAME BIDOIS, DEUX GENDARMES
BIDOIS, que le gendarme conduit.
Pas de violences, gendarme, je marche volontairement, mais je n’ai pas tapé le premier.
ADOLPHE, à part et se retirant au fond du théâtre.
M. Bidois et sa femme, me voilà bien !
MIRMONT.
D’où vient ce bruit ? Qu’est-ce que cela signifie ?
LE GENDARME.
C’est ce particulier, monsieur le maire, qui excite du tumulte.
BIDOIS, au gendarme.
C’est ça le maire ?
À Mirmont.
Mon vertueux maire, v’là c’ que c’est !...
MADAME BIDOIS, interrompant son mari.
Monsieur le maire, vous êtes un homme juste... il n’a pas tort, c’est un accident... ils sont tombés deux sur lui.
ADOLPHE, à part.
Je suis au supplice !
BIDOIS, à sa femme.
Laisse-moi expliquer la chose à monsieur le maire. Faut que vous sachiez d’abord, mon magistrat, qu’ ma femme et moi, après avoir été c’ matin dire un p’tit bonjour à not’ nièce qu’est maintenant, j’ m’en vante, une personne huppée, j’ sommes venus de not’ pied gaillard à Sèvres ousque j’avais besoin, sauf vot’ respect, monsieur le maire, de régler un compte de maçonnerie avec Jean Huguet que monsieur le maire doit connaître, le premier charcutier à la descente du pont. Pour lors... il se trouve que Jean Huguet était parti, révérence parler, pour le marché aux porcs, monsieur le maire. Le garçon m’ dit dit-il qu’il r’viendra à ce soir... Alors, que me dit ma grosse poule, c’est le nom d’amiquié que j’ donne à mon épouse, montons à Belle-Vue... C’est un coup d’œil superbe... un vrai palorama.
MADAME BIDOIS, pleurant.
Ah ! queu mauvaise pensée j’ai eue là !
MIRMONT, impatienté.
Au fait ! tous ces détails sont inutiles.
BIDOIS.
Le fait, le v’là, monsieur le maire. T’as raison, que j’ dis à mon épouse. L’estomac parle, le gosier est sec... J’ mangerons un morceau sur l’herbe. Pour lors, v’là que je prends chez Jean Huguet une langue de trente-cinq sols, avec un melon de quatorze, ça f’ra, que je dis, not’ repas, et nous v’là en route pour Meudon.
MADAME BIDOIS.
Ah ! la chienne de montagne !
MIRMONT, perdant patience.
Finirez-vous aujourd’hui ?
BIDOIS.
Une fois dans le bois, le couvert est bientôt mis, comme vous savez, monsieur le maire, et nous v’là à table. T’as eu là une fameuse idée, que je dis en plaisantant à ma grosse poule.
Air : Taisez-vous, etc.
Je n’aim’ point ces r’pas à la glace,
Où la gêne exil’ la gaieté,
Où le plaisir fait la grimace,
Pour prendre un air de dignité ;
Sur l’herbe on rit en liberté.
Nous somm’s dans l’ mois d’août, ma chère,
Et du jour je n’ somm’s pas au bout ;
Ce mois, par son calorifère,
Enflamm’ la tête et l’ cœur surtout.
Ô août ! (bis.)
Tu réchauffes tout.
MIRMONT.
Quelle patience il faut avoir !
BIDOIS.
Là-dessus v’là madame Bidois, qu’est une rêveuse, qui se laisse tomber sur une pile d’assiettes des voisins qui faisaient comme nous un repas champêtre... Les diables d’assiettes se cassent, ça la fait rire encore plus fort, et ils soutiennent qu’elle est tombée pour lors dans une tête de veau qu’avait fourni le pâtissier de l’avenue... C’est pas vrai, que je réplique... voyez plutôt sa robe !...
À sa femme.
Montre ta robe à monsieur le maire... Faites le tour, monsieur le maire, si vous avez le temps. T’es t’un manant, que l’un me répond en me montrant le poing ! Dam’, vous entendez bien qu’un geste comme ça, ça mortifie un homme... Je me mets naturellement sur la défense... et je lui casse une dent.
MADAME BIDOIS, l’interrompant.
Et là-dessus v’là les deux individus et le pâtissier qui survient qui se mettent trois contre un homme seul, et un homme d’âge encore, ça crie vengeance...
MIRMONT, à madame Bidois.
Taisez-vous !
Il fait signe aux gendarmes de se retirer.
BIDOIS.
Dam’, j’ vous le demande, mon magistrat, j’ pouvais pas me laisser battre ?
MIRMONT.
Vous devez payer le dégât que vous avez fait.
BIDOIS.
J’ vas vous dire, monsieur le maire, il n’y pas d’honte à ça... C’est qu’ayant de l’argent à toucher chez Jean Huguet, j’ n’avions pris sur nous qu’une pièce de trois livres... Et n’ont-ils pas le front de me demander vingt francs pour quelques méchantes assiettes, qui valent bien quatre sols ! Je n’ suis pas un vagabond, j’suis un homme établi... Joseph Bidois, maître maçon, rue de la Huchette... Et j’ n’aurais qu’à faire tenir un mot à mon neveu par le premier coucou...
MIRMONT.
Vous avez été beaucoup trop vif, M. Bidois... mais je vais faire entendre raison au traiteur... Suivez-moi.
BIDOIS, à sa femme.
Quel honnête homme de maire !
ADOLPHE, qui jusqu’alors s’est tenu à l’écart.
Mon oncle, permettez-moi d’arranger cette affaire !
MIRMONT.
Quoi, tu veux ?
ADOLPHE.
Tirer ce brave homme d’embarras.
BIDOIS.
Eh ! parbleu v’là justement mon...
ADOLPHE, à Bidois.
Taisez-vous !
MADAME BIDOIS.
Est-ce que j’ai la berlue ?
ADOLPHE, à madame Bidois.
Ne me nommez pas, surtout !
MIRMONT, à Adolphe.
Fais comme tu voudras... moi je vais changer d’habit, et je reviens ici trouver notre homme.
Il indique la maison du traiteur et rentre dans sa maison.
BIDOIS, à Mirmont, en le reconduisant.
En vous remerciant, monsieur le maire.
ADOLPHE, emmenant Bidois.
Eh ! venez donc ! il faut que je vous parle !
À part.
Que le diable l’emporte !
BIDOIS.
Vot’ volonté soit faite, mon neveu !
À sa femme.
Viens, viens, ma grosse poule.
Adolphe, les Bidois, les soldats sortent ensemble ; Mirmont est rentré chez lui, et Henriette, qui précède les grisettes, entre en scène.
Scène XI
HENRIETTE, PHRASIE, VICTORINE, CLARA, MODESTE, CAROLINE, FIFINE, etc.
Quelques-unes ont des bouquets de bleuets et de coquelicots.
HENRIETTE.
Air : Point de chagrin qui ne soit oublié.
Venez donc, mes bonnes amies !
L’appétit doit être éveillé.
PHRASIE, à Henriette.
Vois, comme ces fleurs sont jolies !
HENRIETTE, aux autres.
Avons-nous assez babillé ?
Une heure au moins, nous avons, je le gage,
Parlé des tours, innocent badinage,
Qui bien souvent nous délassaient d’ l’ouvrage,
Au temps heureux de notre apprentissage...
Il est si doux, quand on a dix-huit ans,
De se rapp’ler son jeune temps.
TOUTES.
Il est si doux, quand on a dix-huit ans,
De se rapp’ler son jeune temps !
PHRASIE.
À propos ? savez-vous quels étaient ces messieurs que nous avons rencontrés ?
CAROLINE.
Ils avaient l’air d’avoir bon genre ?
HENRIETTE.
C’étaient peut-être des clercs de notaire.
FIFINE.
Non, c’est plutôt des employés du ministère des finances !... J’en connais un qui me recherche.
HENRIETTE.
Est-ce que tu vas au ministère des finances, toi ?
FIFINE.
Non, j’ai fait sa connaissance dans les Omnibus !
TOUTES, riant.
Ah ! ah ! ah !
PHRASIE.
Une connaissance d’Omnibus, ça ne peut pas te mener loin.
FIFINE.
Pourquoi donc ça ? Il y a très bonne société... Dans les Béarnaises surtout... Henriette a bien connu son mari dans le bateau à vapeur de Saint-Cloud.
HENRIETTE.
C’est vrai, dans le Parisien. Ce voyage-là fut bien drôle allez... Faut que je vous conte ça... Adolphe se trouvait à côté de moi.
Air : Une robe légère.
Au Pont-Royal, timide,
Il me r’gardait seul’ment.
Aux Bons-Homm’s il s’décide
À m’faire un compliment !
À Sèvre il me courtise,
Je rougis tout-à-coup,
Et son âme était prise
Aux filets de Saint-Cloud.
AUGUSTE, à une des fenêtres de l’auberge, et tenant une queue de billard.
Ah ! mesdemoiselles, vous v’là arrivées enfin !
PHRASIE.
Tiens, ton mari qui joue au billard !
AUGUSTE.
Dam’, le dîner se faisait attendre, et vous aussi... J’ai pas pu résister à une poule ; mais on meurt en trois, ils sont tous à l’agonie... Je les enterre et je descends. Entrez toujours !
Toutes les grisettes font un pas pour entrer chez le traiteur ; Henriette les retient.
HENRIETTE.
Dites donc, mes amies, pendant que nous sommes encore entre nous, avons-nous chacune un amoureux ?
TOUTES.
Oh ! nous n’en manquons pas !
CAROLINE.
Moi, j’ai le fils d’un agent de change qui m’a bien promis de m’épouser plus tard.
CLARA.
Moi, j’ai le secrétaire d’un ambassadeur, qui serait déjà mon mari, s’il n’était pas obligé de partir pour la diplomatie...
MODESTE.
Moi, j’ai un jeune gentleman avec lequel je me marierai aussitôt que je connaîtrai l’anglais.
VICTORINE.
Moi, j’ai un bouffe.
TOUTES.
Un bouffe !
VICTORINE.
Oui, un Italien, qui a une belle voix à roulades, un cœur sensible et des favoris noirs !
HENRIETTE.
Un chanteur ! Est-ce une haute-contre, une basse-taille ou un baryton ?
VICTORINE.
C’est un beau garçon.
HENRIETTE.
Tu ne m’entends pas... A-t-il une voix qui va à l’ut ?
VICTORINE.
Il a une voix qui va au cœur !
TOUTES, riant.
Ah !... ah !... ah !... Est-elle naïve ?
HENRIETTE.
Mais tout ça, ce n’est encore que des espérances. Ah ! mon Dieu, que les pauvres demoiselles sont à plaindre !
Air : Où trouver le bonheur (de la Fiancée.)
Pour trouver des maris,
Que l’on a de peine !
Ah ! qu’ils sont, les maris,
Rares à Paris !
Tivoli nous tent’ra ;
Mais ce n’est pas là
Qu’on en trouvera ;
Quand l’ plaisir vous guid’ra
À Sceaux, à Suresnes,
Vous trouv’rez des danseurs,
Mais point d’épouseurs.
Nous avons l’Opéra,
Mais c’ n’est pas encor là
Qu’on en trouvera.
TOUTES LES GRISETTES.
J’implore ta puissance, (bis.)
Amour, entends nos vœux !
Jette sur nous les yeux !
Nous perdons patience (bis.)
À chacune de nous,
Donne donc un époux !
TOUTES.
Pour trouver des, etc.
Elles vont pour entrer chez le traiteur ; Mirmont, qui est sorti de chez lui vers la fin de cette scène, se présente à elles comme s’il venait de la maison du traiteur.
Scène XII
LES MÊMES, MIRMONT
MIRMONT, à part.
Forçons ma nièce à se nommer.
Haut.
Pardon, mesdemoiselles, ou mesdames...
PHRASIE.
Ah ! c’est le chasseur de tantôt qui voulait m’embrasser !
MIRMONT, à part.
Diable de rencontre !... Prenez donc l’air sévère, après cela ! Usons de ruse...
Haut.
Je viens d’entendre prononcer dans cette auberge le nom de M. de Mirmont ; l’une de vous, mesdames, ne serait-elle pas sa femme ?
HENRIETTE, vivement.
Oui, monsieur, c’est moi...
MIRMONT, à part.
Il a raison, elle est très fraîche et très jolie.
Haut.
Que j’ai de plaisir, madame, à offrir mes hommages à l’épouse d’un jeune homme...
HENRIETTE, vivement.
Quoi ! monsieur, vous connaîtriez ?...
MIRMONT.
Adolphe de Mirmont ? très particulièrement, madame.
HENRIETTE, troublée, à part.
Ah ! mon Dieu !
MIRMONT.
Cela vous étonne !
À part.
Elle est troublée !
PHRASIE, à Henriette.
Nous voilà dans un joli embarras !
HENRIETTE, à Phrasie.
Il va tout découvrir !
CAROLINE, gaiement à Henriette.
C’est une connaissance de ton mari ? ça se rencontre bien !
MIRMONT, à part.
La voilà bien embarrassée !
Scène XIII
LES MÊMES, AUGUSTE
AUGUSTE, qui arrive en sautant.
À table ! à table ! Comment, il faut encore venir vous chercher ? c’est-il bavard, des demoiselles ! le couvert est mis, c’est soigné, je vous en réponds. Vous verrez le coup d’œil ! Aimez-vous les artichauts frits ?
Prenant le bras d’Henriette.
Allons, ma femme !
MIRMONT, se mettant devant eux.
Monsieur Adolphe de Mirmont veut-il me permettre de lui présenter mes civilités ?...
AUGUSTE, avec étonnement.
Puériles et honnêtes ? oui, monsieur.
Bas à Henriette.
Est-ce que je le connais, hein ?
HENRIETTE, bas à Auguste.
Sans doute, c’est un amis de...
AUGUSTE, à part.
Ah !
Haut à Mirmont.
Mon cher ami, j’ai bien l’honneur... Je ne vous reconnaissais pas !
Il lui serre la main.
MIRMONT, à part.
Voyons un peu jusqu’où il poussera l’audace.
Haut.
Comment, mon cher Adolphe, tu ne me reconnais pas ? le plus ancien ami de ta famille ? je crois même que je suis ton parrain.
AUGUSTE, embarrassé.
Ah ! diable
Haut.
Dam’ ! si je ne vous ai pas vu depuis mon baptême... Et puis j’ai voyagé, voyez-vous ; mais c’est égal, mon parrain !
Il l’embrasse. À part.
Les dragées de ma marraine ne lui ont pas coûté cher !
HENRIETTE, à Phrasie.
Ils se connaissent ! c’est singulier !
MIRMONT.
Il est sûr que tu es bien changé. Tu étais encore au collège quand j’ai quitté Paris.
AUGUSTE.
C’est-à-dire, l’école, rue Montmartre, chez monsieur Pipelard, au troisième.
À part.
Allons, je m’embrouille !...
Haut.
Pardon, mon parrain, mais le dîner refroidit ; à table !
À Henriette.
Est-ce qu’il faut l’inviter ?
BIDOIS, dans la coulisse.
Non, mon neveu, ne me retenez pas ! c’est une horreur ! une infamie ! elle ne périra que de ma main !
MADAME BIDOIS, dans la coulisse.
Je lui arracherai les yeux !
Ils entrent en scène, suivis d’Adolphe. Au bruit qu’ils font, Constantin sort de la maison de M. de Mirmont.
Scène XIV
LES MÊMES, MONSIEUR et MADAME BIDOIS, ADOLPHE, CONSTANTIN au fond du théâtre
AUGUSTE, à Henriette.
Mon oncle et ma tante Bidois !... par quel hasard ?
MIRMONT.
En voici bien d’une autre !
CONSTANTIN, à part.
V’là les Bidois à présent... c’est donc une assemblée de famille !
ADOLPHE, à Henriette.
Que faites-vous ici, madame ?
HENRIETTE.
Adolphe ! mon mari !
TOUTES LES GRISETTES.
Son mari !
BIDOIS.
Où c’qu’est le suborneur, qui s’fait passer pour l’époux d’Henriette ?
AUGUSTE.
Qu’est-ce que vous dites donc, mon oncle ? il n’y a pas de suborneur ; c’est moi, Auguste.
BIDOIS, le reconnaissant.
C’est toi, mon pauvre Auguste ! embrasse-moi donc !
Il l’embrasse et dit à Adolphe.
Ah ! ça, mon autre neveu, qu’est-ce que vous êtes donc venu me conter, qu’on avait enlevé vot femme ?... C’est Auguste, votre beau-frère.
MIRMONT, bas à Adolphe.
Je te fais mes compliments, tes parents sont très distingués.
ADOLPHE, à Mirmont.
Mais Henriette du moins n’est pas coupable !
AUGUSTE, à Adolphe.
Bonjour, beau-frère ; comment vous portez-vous ? je suis bien aise de vous voir.
Plus bas.
Je vous rendrai vot’ habit, ne dites rien, il m’allait comme un gant.
À part.
Il me le laissera peut-être.
ADOLPHE, à Henriette.
M’expliquerez-vous enfin, Henriette, ce qui a donné lieu à cette ridicule mascarade ; comment justifierez-vous votre conduite ?
HENRIETTE, naïvement.
Ah ! mon Dieu, il n’y a pas besoin de justification... Je ne voulais pas que ces demoiselles, qui ne te connaissaient point, te crussent fier, orgueilleux, moi qui sais combien tu es indulgent, aimable. Mon frère est survenu, Phrasie et moi nous avons trouvé drôle de le faire passer pour mon mari ; il a pris ton nom pour quelques heures, je vois bien que j’ai eu tort d’y consentir ; mais tu sais bien que personne ne pouvait te remplacer dans mon cœur.
LES GRISETTES.
C’est-à-dire que tu t’es moquée de nous ?
HENRIETTE, aux grisettes.
Vous me le pardonnez, n’est-ce pas ?
À Adolphe.
Mais vous, monsieur, qui deviez passer la journée avec cet oncle dont vous faites tant d’éloges, et qui ne veut seulement pas me voir ?...
ADOLPHE.
Il t’a vue, Henriette, et l’une de tes camarades
Désignant Phrasie.
te dira qu’il n’est pas si sévère...
PHRASIE.
Ah ! ça, c’est vrai, monsieur n’a pas l’air méchant... avec les dames, du moins !
MIRMONT, à part.
Voyez-vous, la petite coquette !
HENRIETTE.
Comment, c’est monsieur qui serait ?...
MIRMONT.
Le meilleur ami d’Adolphe de Mirmont, comme je vous le disais tout à l’heure, madame.
HENRIETTE.
Ah ! monsieur, quelle idée devez-vous avoir de moi, et que je suis bien punie d’une faute !...
ADOLPHE, à Mirmont.
D’une étourderie, car ce n’est que cela, vous le voyez, mon oncle.
HENRIETTE.
Ma famille est pauvre, monsieur, mais elle ne peut faire rougir personne, c’est la probité même. Il n’y a que moi qui ai la mauvaise habitude d’agir toujours sans réflexion, mais je me corrigerai, monsieur, je vous assure.
MIRMONT, à part.
Elle est charmante !
Haut.
Embrassez-moi, ma nièce.
À Adolphe.
C’est bien dommage qu’elle ait été si mal élevée !
AUGUSTE, à Mirmont.
Ah ! ça, mais vous n’êtes pas mal farceur non plus, vous, monsieur, qui disiez que vous étiez mon parrain ? Ah ! grand farceur !
BIDOIS.
Veux-tu ben parler avec plus de respect à monsieur le maire, qui commande aux gendarmes.
AUGUSTE, à Mirmont.
Pardon ! excusez... je ne savais pas... mais avec tout ça, le dîner attend. Ce sera celui de mes fiançailles. J’étais marié pour rire... dans huit jours, avec Phrasie, je le serai pour de bon. À table !
PHRASIE.
Et nous danserons ce soir.
CHŒUR.
Air : Sous ces riants feuillages (de la Fiancée.)
Chantons tous en goguettes,
Avant le rigodon,
La vertu des grisettes,
Et le vin de Meudon.
HENRIETTE, au public.
Air : Notre-Dame du Mont-Carmel (de Masaniello.)
Je suis vraiment bien étourdie,
Et je ne puis me corriger
Qu’en voyant bonne compagnie :
Daignez, messieurs, m’encourager.
Ah ! que deviendrait Henriette,
Si vous ne la protégiez pas ?
Puisqu’on prétend qu’une grisette,
Facilement fait un faux pas.