Clémentine (Jacques-François ANCELOT - Éléonore TENAILLE DE VAULABELLE)

Comédie-vaudeville en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Palais-Royal, le 7 décembre 1836.

 

Personnages

 

ALBERT GAUTHIER, jeune avocat

POLYDORE

CLÉMENTINE LEROUX

JULIE, sa femme de chambre

 

La scène se passe à Paris, chez Clémentine, en 1836.

 

Le théâtre représente un salon. Porte au fond ; portes latérales. Une table avec tout ce qu’il faut pour écrire, à droite de l’acteur ; une fenêtre à gauche ; cheminée à droite ; pendule sur la cheminée.

 

 

 

Scène première

 

ALBERT, JULIE

 

Au lever du rideau Julie est en scène, Albert entre.

ALBERT.

Julie, votre maîtresse est-elle visible ?

JULIE, d’un ton un peu moqueur.

Quelquefois, monsieur.

ALBERT.

Vous ne m’entendez pas, ou vous feignez de pas m’entendre, je vous demande si elle est visible maintenant ?

JULIE, de même.

Pour monsieur ?

ALBERT.

Sans doute ! Du moment où elle ne serait pas visible pour moi, je suppose qu’elle ne le serait pour personne.

JULIE.

Ah !... cependant excepté pour...

ALBERT.

Excepté pour qui ?

JULIE.

Excepté pour sa femme de chambre.

ALBERT.

C’est juste !... Eh bien, usez de votre privilège, et voyez si l’on peut me recevoir.

JULIE, après avoir fait un pas vers le fond.

Et que faut-il que je dise à madame !...

Albert fait un geste de mauvaise humeur.

Pardon !... je me trompe... je dois dire à mademoiselle. J’oublie toujours que vous n’aimez pas le mot de madame.

ALBERT.

On ne doit l’employer qu’en parlant des femmes mariées : mais, à Paris, vous autres domestiques, vous dites sans cesse...

JULIE.

Madame à toutes les demoiselles que nous servons, c’est plus poli et plus convenable.

ALBERT, l’examinant.

Ah !...

JULIE.

Air du Vaudeville du Baiser au Porteur.

Mille embûch’ assiègent un’ femme ;
Que d’exemples viennent l’prouver ;
On doit toujours dire : Madame...
Sait-on ce qui peut arriver ?
De ce mot telle est la puissance,
Qu’à tout’ les femm’ il fait plaisir !
Pour les unes c’est l’espérance ;
Pour d’autres c’est le souvenir...

ALBERT, à part.

Cette femme de chambre ne m’a jamais plu.

JULIE.

Eh bien, monsieur, qu’est-ce que je dirai

Avec intention.

à mademoiselle ?

ALBERT.

Rien, car je l’entends.

Clémentine paraît au fond.

JULIE, à part.

Pauvre jeune homme !... celui-là peut se vanter d’être bon enfant !...

Elle sort sur un geste de Clémentine.

 

 

Scène II

 

CLÉMENTINE, ALBERT

 

ALBERT, qui est allé au-devant d’elle.

Chère Clémentine, venez !... j’ai besoin de vous voir ; votre présence seule peut me rendre heureux !... Mais quoi ! vous ne répondez pas ?...

CLÉMENTINE, tendrement.

Que pourrais- je dire, monsieur Albert ?... je vous laisse parler. Vous peignez si bien ce que j’éprouve !...

ALBERT.

Ah !... ce mot me rassure.

CLÉMENTINE.

Étiez-vous donc inquiet ?

ALBERT.

Je ne le suis plus.

CLÉMENTINE.

Qui pouvait causer votre inquiétude ?

ALBERT.

Rien !... oh rien !... Seulement je croyais me rappeler que souvent, lorsque je viens, vous êtes enfermée, ou... enfin vous n’êtes pas toujours visible !... On croirait que ma présence est quelquefois de trop ici.

CLÉMENTINE, à part.

Soupçonnerait- il ?...

Haut et se remettant.

Mais pourtant vous le savez, monsieur Albert, je vis seule ; je suis sans famille, et je serais sans amis si vous ne daigniez être le mien !... Qui recevrais-je d’ailleurs ?... ma naissance, mon éducation, ma position même, éloignent le monde de moi et me forcent aussi à éviter le monde.

Elle soupire.

ALBERT.

Quelle idée !... Votre position, Clémentine, n’a rien de condamnable. Vous n’êtes pas encore mariée ; vous vivez seule, c’est vrai !... mais je ne crois pas qu’être orpheline, demoiselle, et sans reproches, soit un si grand crime aux yeux du monde.

CLÉMENTINE.

Si ce n’était que cela, certainement...

ALBERT.

Il y a donc autre chose !...

À part.

Je m’en doutais !... Le ton moqueur de sa femme de chambre, ce je ne sais quoi de contraint et de mystérieux...

Haut et lentement.

Et peut-on savoir ce que c’est que... l’autre chose ?

CLÉMENTINE, avec hésitation.

C’est une circonstance que j’ai eu le tort de vous cacher jusqu’à cette heure ; circonstance que vous connaîtriez toujours plus tard, et que je préfère vous apprendre tout de suite au risque de perdre votre amitié ; car j’aime mieux tout perdre que de vous laisser croire que j’ai voulu vous tromper sur ce que je suis.

ALBERT, à part.

Diable !... il paraît que c’est grave.

CLÉMENTINE, les yeux baissés.

Déjà vous avez bien voulu me pardonner l’obscurité de ma naissance...

ALBERT.

Fils d’un simple bourgeois de la rue du Temple, j’aurais assez mauvaise grâce...

S’interrompant.

Mais... l’autre chose ?

CLÉMENTINE.

Vous avez bien voulu aussi ne pas me mépriser à cause du peu d’éducation que j’ai reçu.

ALBERT.

Orpheline dès votre bas âge, recueillie par une pauvre femme, vous n’avez pas reçu l’éducation brillante de nos femmes à la mode ; quoiqu’en vérité, à vous voir, à vous entendre, on ne trouve entre elles et vous aucune différence notable.

CLÉMENTINE.

J’ai souvent été en rapport avec des dames comme il faut, et peut-être le désir que j’avais de leur ressembler...

ALBERT.

Oui ! et d’ailleurs à votre âge, les personnes de votre sexe prennent si vite et si aisément les manières, le langage de la bonne compagnie !

CLÉMENTINE.

Vous croyez ?

ALBERT.

Sans doute.

Air : J’en guette un petit de mon âge.

Au despotisme de l’usage,
Qui, mieux que vous, sait se plier ?
Élégance, noble langage,
Vous forcent-ils d’étudier ?
Non... ces secrets par qui l’on règne,
D’un coup d’œil vous les devinez :
Tout ce qui plaît, vous l’apprenez,
Sans que personne vous l’enseigne.

CLÉMENTINE, lui tendant la main.

Merci, Albert !

ALBERT

Mais vous ne me dites pas cette... cette autre chose !...

CLÉMENTINE.

Vous avez daigné encore me témoigner quelque estime, quoique ma fortune me soit venue par hasard, et que je ne la doive point à mes parents...

ALBERT.

Un parrain est un second père. Votre parrain meurt à l’étranger, sans enfant ; il vous laisse une partie de ses richesses ; vous possédez tout-à-coup quinze mille livres de rentes !... Hier encore vous m’avez fait lire une copie notariée du testament de ce parrain, mort à Hambourg ; ainsi, je ne peux rien voir là-dedans que de fort naturel, et je souhaiterais que... l’autre chose en question pût être avouée par vous comme vous avouez celle-ci.

CLÉMENTINE.

Oh ! vous ne m’aimerez plus, Albert !...

ALBERT.

Je vous jure que si, mademoiselle !...

CLÉMENTINE.

Eh bien ! monsieur Albert, j’ai été... ouvrière lingère !...

ALBERT.

Lingère ?

CLÉMENTINE.

Oui.

ALBERT.

Eh ! qu’aviez-vous besoin de tant hésiter pour me dire une chose aussi simple ?... Vous m’avez fait une peur !...

CLÉMENTINE.

Quoi !... vous ne m’en voulez pas ?

ALBERT.

De ce que vous avez été lingère ?... Est-ce que vous m’en voulez à moi parce que j’ai été clerc d’avoué ?... Il n’y a rien de plus naturel que d’être lingère !... je suis bien un avocat sans causes... un pauvre diable qui débute, qui court après les procès, qui a cent louis de revenu pour toute fortune présente, et des plaidoiries pour tout avenir !... Vous avez été lingère, et vous ne l’êtes plus ; vous le redeviendrez, si cela vous plaît, et je ne vous en estimerai que davantage, je vous l’atteste... La femme qui est occupée est toujours une honnête femme !

CLÉMENTINE.

Que je suis heureuse de vous entendre parler ainsi !... Je craignais, parce que vous êtes avocat, qu’une ancienne ouvrière ne vous fît honte.

ALBERT.

Rougit-on jamais de qui est honorable et de ce qu’on aime ? Non, Clémentine, non !... eussiez-vous été mille fois lingère, je ne sais et ne vois qu’une seule chose, c’est que vous êtes bonne, franche, honnête, adorable, et que je vous aime avec passion.

Onze heures sonnent à la pendule.

CLÉMENTINE.

Ah ! mon Dieu !... déjà onze heures !

ALBERT, étonné.

Que vous importe ?

CLÉMENTINE, avec embarras.

C’est que j’ai un rendez-vous chez mon notaire. Une dernière quittance à signer.

ALBERT.

Je croyais vous avoir entendu dire que le legs de votre parrain vous avait été remis à vous-même en billets de banque et en billets à ordre, par un négociant d’Hambourg, l’exécuteur testamentaire ?

CLÉMENTINE, embarrassée.

Oui, sans doute ; mais j’ai déposé une partie des billets à ordre chez mon notaire... et puis, il s’agit encore d’une petite acquisition que je projette...

ALBERT, avec défiance.

Voulez-vous permettre que je vous accompagne chez ce notaire ?

CLÉMENTINE.

Impossible !... Qu’est-ce qu’il penserait en me voyant avec un jeune homme ?... Non !... si vous le voulez bien, j’irai seule... et, comme il ne serait peut-être pas convenable qu’on nous vît sortir ensemble de la maison...

ALBERT.

J’entends !... Et à quelle heure pourrais-je me représenter ?

CLÉMENTINE.

Mais à deux heures je serai rentrée. Adieu !... à deux heures ; au moins, soyez exact... je vous attendrai.

ALBERT.

Oh ! soyez tranquille !... je serai exact...

À part.

à la suivre, car je veux savoir où elle va.

CLÉMENTINE.

À bientôt, Albert.

ALBERT.

Adieu, Clémentine.

Albert sort par le fond.

 

 

Scène III

 

CLÉMENTINE, POLYDORE

 

CLÉMENTINE, seule un instant.

Pourvu qu’il ne se doute de rien !...

On frappe un léger coup à la porte à gauche de l’acteur.

Ah !... il était tems qu’il sortît !...

Elle va ouvrir avec précaution.

Vite !... vite !...

POLYDORE.

Me voilà ! fidèle au rendez-vous, arrivant juste à l’heure indiquée, n’est-il pas vrai ?

CLÉMENTINE.

Hélas !... deux secondes plus tôt nous étions surpris !...

POLYDORE.

Ah !... ç’aurait été dommage !...

CLÉMENTINE, qui était allée au fond et qui revient en scène.

Je dois attacher une telle importance à ce que tout le monde ignore !...

POLYDORE.

Je le sais ; aussi avec quel soin je prends toutes les précautions pour qu’on ne soupçonne rien !... Je frappe, on tire le cordon, et zeste, je m’élance comme un sylphe !... de sorte que personne...

CLÉMENTINE.

Bien sûr ? personne sur l’escalier ?...

POLYDORE.

Il n’y a que l’escalier qui m’ait vu !... la discrétion, le mystère, le silence et moi, nous ne faisons qu’un.

CLÉMENTINE.

Ainsi, ma femme de chambre ?...

POLYDORE.

Pas plus de femme de chambre que dans le creux de ma main... aujourd’hui du moins.

CLÉMENTINE.

Comment ?

POLYDORE.

Ah ! c’est que je crois qu’une fois, une seule fois, nous nous sommes rencontrés au bas de l’escalier protecteur et mystérieux.

CLÉMENTINE.

Est-il possible ?

POLYDORE.

Elle allait à la cave, elle tenait un bougeoir à la main...

CLÉMENTINE.

Eh bien ?

POLYDORE.

J’ai soufflé sur la chandelle, elle s’est éteinte, j’ai glissé comme une ombre près de la camériste, et elle m’aura pris pour un fantôme.

CLÉMENTINE.

Ah, tant mieux !

POLYDORE.

Oui, mais le fantôme a manqué une marche, il s’est étendu tout de son long dans l’escalier, et il s’est fait au tibia gauche un noir atroce, dont il n’a point parlé par délicatesse.

CLÉMENTINE, avec un ton d’intérêt.

Ah ! si je l’avais su ?

POLYDORE.

Quand il s’agit d’arriver jusqu’ici, qu’est-ce qu’un tibia endommagé ?

CLÉMENTINE.

Et le concierge ?

POLYDORE.

Le concierge ? Quand par hasard il m’aperçoit, ce qui arrive très  rarement, grâce à la légèreté qui me caractérise, car je suis léger comme une plume !...

CLÉMENTINE.

Vraiment ?

POLYDORE.

Comme une plume de corbeau !... je lui dis que je vais au sixième, chez la fleuriste.

CLÉMENTINE.

Cette pauvre fille ! on la soupçonne peut-être ?

POLYDORE.

Les fleuristes ? ah, mon Dieu !... quand on ne fait que les soupçonner, elles sont enchantées, et vous remercient !...

CLÉMENTINE.

Pourquoi cela ?

POLYDORE.

Oh ! ça tient à l’état.

Air : Au sein d’une fleur tour à tour.

Lorsque sous leurs doigts tous les jours,
La fleur naît, brille et se colore,
Près d’elle l’essaim des amours
Se croit dans l’empire de Flore ;
À combien de séductions,
État charmant, tu les exposes !...
On doit trouver des papillons
Dans les lieux où naissent les roses.

CLÉMENTINE, souriant.

Je comprends !... mais nos instants sont comptés ; ici quelqu’un peut venir.

POLYDORE.

C’est juste, et je vais me glisser furtivement.

CLÉMENTINE.

Bien... moi, j’ai quelque chose à prendre ici à côté, j’entrerai dans un moment par la porte qui ouvre sur le salon.

POLYDORE.

À merveille !...

Elle le fait entrer par la porte à droite de l’acteur, referme la porte et ôte la clef.

CLÉMENTINE.

À présent, me voilà tranquille... on ne nous surprendra pas...

Elle sort par le fond.

 

 

Scène IV

 

JULIE, entrant doucement par la porte de gauche

 

Ah !... on ne vous surprendra pas ? C’est ce qu’il faudra voir... Ce joli monsieur que je guette depuis le jour où il m’a soufflé ma chandelle, il ne se doute pas que je l’ai aperçu ce matin... je l’ai reconnu à sa canne !... Je l’avais pris d’abord pour un tambour-major de la garde nationale... mais non... il est trop petit... et il s’appelle Polydore !... l’autre jour, à travers cette porte, j’ai entendu ma maîtresse le nommer ainsi... Polydore ?... J’ai déjà connu trois lingères, dont une modiste, qui avaient des Polydores pour amoureux : il paraît que ce nom-là porte bonheur !... Et ma maîtresse qui l’enferme là-dedans... Au reste, je trouve qu’elle se conduit bien, il faut lui rendre justice ; ce Polydore, elle l’aimait, sans doute avant d’être riche, et elle l’aime encore après... c’est délicat, ça prouve un bon cœur... quant à M. Albert... dam ! il sera le mari, lui... Ces pauvres hommes !... ce n’est pas notre faute.

 

 

Scène V

 

ALBERT, entrant brusquement par le fond, JULIE

 

ALBERT, à part.

Bien certainement elle est restée chez elle... je l’aurais vue passer...

Haut.

Julie.

JULIE.

Monsieur ?

ALBERT, l’examinant.

Votre maîtresse n’est pas encore rentrée ?

JULIE.

Non, monsieur.

À part.

Je dis la vérité, puisqu’elle n’est pas sortie.

ALBERT.

Mais êtes-vous bien sûre qu’elle soit dehors ?

JULIE.

Dam... aussi sûr que vous l’êtes vous-même, monsieur.

ALBERT, s’animant.

C’est que je n’en suis pais sûr du tout, moi.

JULIE.

C’est peut-être parce que les hommes ne sont jamais sûrs de rien ?

ALBERT, jetant les yeux à droite et à gauche.

Vous croyez cela ?

JULIE.

Je l’ai entendu dire.

ALBERT, vivement.

Elle est ici !

JULIE.

Du moment où c’est votre idée...

ALBERT, indiquant la porte à gauche de l’acteur.

N’entends-je pas quelque chose dans cette chambre ?

JULIE.

Cette chambre ? c’est un escalier.

ALBERT.

Bah !...

Il va ouvrir la porte et regarde.

En effet... voilà qui est étrange... je ne connaissais pas cette porte de sortie. Où cet escalier donne-t-il ?

JULIE.

Dans la petite cour.

ALBERT.

Ah ! insensé, fou que je suis ! elle sera descendue par là !... c’est ce qui explique pourquoi je ne l’ai pas aperçue.

Il s’assied.

Je vais l’attendre.

JULIE.

À votre aise, monsieur.

On entend un léger bruit qui part de la pièce à droite.

ALBERT.

Eh ! mais il y a quelqu’un là- dedans ?

JULIE.

Vous croyez ?

ALBERT.

Je suis sûr d’avoir entendu du bruit.

JULIE, à part.

Voyons un peu comment elle sortira de là... c’est une bonne leçon que je vais prendre.

ALBERT.

Il n’y a pas de clef à cette porte ?

JULIE.

C’est apparemment pour qu’on ne l’ouvre pas.

ALBERT.

Air : Me voilà. (de la Maison de Plaisance.)

Elle est là ! (bis.)
Je la verrai, j’espère ;
Pourquoi tout ce mystère ?
Que veut dire cela ?
Elle me dit : Je sors !... et puis se cache !
De mes soupçons comment me délivrer ?
Ah ! ce secret, il faut que je l’arrache ;
Oui, dans ce lieu, je saurai pénétrer.

JULIE, le retenant.

Arrêtez, monsieur ! prenez garde !
Craignez d’être trop curieux :
À l’amour si l’on bouch’ les yeux,
C’est pour empêcher qu’il regarde.

Albert fait un mouvement vers la porte de droite, Clémentine entre par cette porte.

 

 

Scène VI

 

CLÉMENTINE, ALBERT, JULIE

 

Ensemble.

CLÉMENTINE.

Me voilà ! (bis.)
Que vouliez-vous donc faire ?
Je ne m’attendais guère
À vous rencontrer là !

ALBERT.

La voilà ! (bis.)
Modérons ma colère !
Dans un instant, j’espère,
Elle s’expliquera.

JULIE.

La voilà ! (bis.)
Craignant qu’il ne s’éclaire,
Pour cacher le mystère.
On arrive par là.

CLÉMENTINE, à Albert.

Qu’avez-vous donc ? vous ne dites rien ? Il me semblait vous avoir dit que je ne serais de retour qu’à deux heures !

ALBERT.

Oui, mais il me semble, à moi, que vous êtes de retour bien avant deux heures.

CLÉMENTINE.

Comment ? je ne suis pas encore sortie.

ALBERT.

Pardieu ! je le vois bien... Et vous étiez dans ce cabinet ? seule sans doute ?...

CLÉMENTINE.

Mais... pourquoi cette question ?

JULIE, à part.

De l’innocence à force, et avec ça, beaucoup de hardiesse... Est- elle adroite, mon Dieu... l’est-elle ?

CLÉMENTINE.

Avant d’aller chez mon notaire...

ALBERT.

Eh bien ?...

CLÉMENTIAE.

J’écrivais...

ALBERT.

Ah !...

JULIE, à part.

Oh ! par exemple, voilà qui est bien... quel aplomb !...

CLÉMENTINE, remarquant Julie qui la contemple avec admiration.

Que faites-vous là ?

JULIE.

Moi, madame ? j’écoute.

CLÉMENTINE.

Cela ne me semble pas nécessaire. Sortez.

JULIE, à part en sortant.

Et puis on renvoie sa femme de chambre... Allons, ça n’est pas si difficile que je croyais.

Elle sort.

 

 

Scène VII

 

CLÉMENTINE, ALBERT

 

ALBERT.

Ainsi, vous écriviez ? et maintenant vous allez vous rendre chez votre notaire ?

CLÉMENTINE.

Non... Il est trop tard... ce sera pour demain. Je reste.

ALBERT.

Eh bien ! moi aussi... Cela vous contrarie peut-être ?

CLÉMENTINE.

Vraiment, Albert, vous me faites aujourd’hui des questions bien étranges !... vous ai-je jamais laissé voir que votre présence me gêne, me contrarie ?...

ALBERT, avec amertume.

Vous ?... oh ! jamais !

CLÉMENTINE.

Alors que signifient ce ton et ces regards ?... car je ne puis m’y méprendre... vous m’accusez en secret... vous m’en voulez ?... Voyons, monsieur, ne soyez plus comme cela... que vous ai-je fait, expliquez-vous ?

ALBERT.

Vous me demandez une explication, je vais vous la donner, votre rendez-vous chez votre notaire n’était qu’un prétexte.

CLÉMENTINE.

Albert !...

ALBERT.

Vous n’aviez pas de rendez-vous à onze heures.

CLÉMENTINE.

Je vous jure...

ALBERT.

Depuis que je vous connais, vous m’éloignez à certaines heures, ou vous sortez, ou vous me faites dire que vous êtes sortie, je ne sais au juste ; mais la vérité est qu’aujourd’hui vous avez prétexté une affaire, tout exprès pour rester chez vous.

CLÉMENTINE, l’examinant de côté, avec crainte.

Et dans quel but supposez-vous que...

ALBERT.

Eh ! le sais-je ?... sais-je davantage toutes les raisons mystérieuses de votre conduite ? sais-je surtout pourquoi, jusqu’à cette heure, vous avez constamment différé l’instant de notre mariage ? car, si vous n’êtes pas encore à moi, c’est vous, vous seule qui ne l’avez pas voulu !... c’est vous seule qui sans cesse avez remis, tantôt à quinze jours, tantôt à un mois, une union...

CLÉMENTINE.

Que j’avais la faiblesse de désirer trop !... et la preuve, c’est que je travaillais sans relâche à avancer cet instant que je prends plaisir à éloigner, s’il faut vous en croire.

ALBERT.

Mais, s’il faut vous en croire vous-même, vous m’aimez ; vous êtes sans famille, et vous n’êtes pas libre de vous marier quand il vous plaît ?... est-ce croyable ?... si vous ne dépendez de personne, les obstacles viennent de vous !

CLÉMENTINE.

Ces obstacles ne viennent pas de moi seule, je vous le promets.

ALBERT.

De qui viennent-ils donc ? quels sont-ils ?

CLÉMENTINE.

Je ne puis vous l’apprendre ; mais la semaine prochaine, bientôt... je l’espère...

ALBERT.

Ah ! la semaine prochaine !... bientôt !... vous me dites cela tous les jours depuis deux mois !... et, en attendant cette semaine prochaine, ce bientôt qui n’arrive jamais, vous voulez que j’aie une pleine, une aveugle confiance en vos paroles, lorsque vous-même vous manquez de confiance en moi ? Tenez, Clémentine, je vais vous parler franchement !... vous ne m’aimez pas !... et vos prétextes, vos lenteurs cachent... oui, certainement, cela cache une perfidie.

CLÉMENTINE.

Vous êtes bien cruel, Albert !...

ALBERT.

Soit !... mais dites-moi, pourtant : s’il était vrai que la bonne foi, l’amour, fussent de votre côté, et non du mien, comment expliqueriez-vous, s’il vous plaît... (car voilà une circonstance qui me frappe) comment expliqueriez-vous, dis-je, la crainte que vous avez toujours eue de vous lier envers moi par la démarche la plus innocente ?

CLÉMENTINE.

Je ne vous comprends pas.

ALBERT.

Je vous ai écrit vingt fois, cent fois, et vous n’avez jamais voulu me répondre.

CLÉMENTINE.

Je vous voyais tous les jours ; qu’avais-je besoin de vous écrire ?

ALBERT.

Je vous écrivais bien, moi !...

CLÉMENTINE.

Ce qui est permis à un homme ne l’est pas toujours à une femme ; les bienséances...

ALBERT.

Défendent aux femmes de répondre à une lettre que ces mêmes bienséances leur permettent de recevoir et de lire ?

CLÉMENTINE.

Nous avons tort sans doute de recevoir et de lire vos lettres ; mais nous aurions un tort plus grand si nous osions y répondre.

ALBERT.

Maxime fort commode !... les femmes, surtout les femmes coquettes, n’écrivent pas, madame, et elles savent bien pourquoi.

CLÉMENTINE.

Nous savons, il est vrai, qu’un homme peut devenir tout-à-coup, et sans raison, injuste, méchant avec nous ; c’est pour cela que nous hésitons longtemps avant d’écrire, et en cela, malheureusement, nous ne sommes que prudentes.

ALBERT.

Oui, parce qu’une lettre est un gage, une sorte de contrat !... parce qu’une lettre reste ; parce qu’elle témoigne contre l’imposture ; parce qu’elle condamne et qu’elle peut venger ; parce qu’enfin, entre les mains d’un amant trompé, une lettre doit servir de bourre au pistolet qu’il dirige sur la poitrine d’un rival !... voilà, madame, voilà pourquoi les femmes n’écrivent pas.

CLÉMENTINE.

Albert !...

ALBERT.

Je vous connais maintenant, je sais à qui j’ai affaire !... et vous m’avez vu pour la dernière fois.

Il sort violemment par le fond.

CLÉMENTINE, seule un instant.

Albert !... eh bien, il est parti ?... et je ne le reverrais plus ?... cela n’est pas possible !... une lettre ?... une lettre ?... allons !... puisqu’il n’y a que ce moyen... oh oui !... je ne veux pas qu’il m’abandonne !... je veux le revoir... je veux qu’il revienne !...

Elle prend à sa ceinture ou dans sa poche la clef du cabinet de droite, ouvre la porte, retire la clef et entre en refermant.

ALBERT, reparaissant au fond.

Et ne croyez pas que je revienne jamais !... tiens !... elle n’est plus là ?... elle s’est en allée... fort tranquille, sans doute ?... s’inquiétant peu de ma colère ?... et je l’aimerais encore ?... non, non !... je la déteste, je la méprise !...

Il va s’asseoir à gauche de l’acteur.

Je ne resterai pas chez elle une minute de plus !... je sors de cette maison, je pars, je voyage !... je suis libre, je suis avocat, je peux aller... je ne sais où !...

Il se lève et se promène sur le devant.

J’irai à Alger ; on se civilise dans ce pays-là ; il y a déjà des tribunaux et des procès !... je plaiderai à Alger !... j’y ferai ma fortune !...

 

 

Scène VIII

 

ALBERT, JULIE

 

ALBERT, l’apercevant.

Ah !... te voilà, toi ?... viens ici, et parle, mais parle avec franchise !... qu’est-ce que c’est que ta maîtresse ?...

JULIE.

Ce que c’est que ma maîtresse ?... c’est celle qui me paie mes gages, que je sers, coiffe et habille, moyennant cinq cents francs par an, sans compter les cadeaux.

ALBERT.

Ce n’est pas là ce que je te demande.

JULIE.

Qu’est-ce donc que vous me demandez ?

ALBERT.

Sais-tu bien que ta maîtresse se moque de moi ?

JULIE.

Bah !

ALBERT.

Sais-tu qu’elle me fait jouer ici le rôle d’une dupe ?

JULIE.

Bah !...

ALBERT.

Oui !... elle me trompe !...

JULIE.

Bah !...

ALBERT.

Qu’en penses-tu, toi ?

JULIE.

Moi, monsieur ?... on ne me paie pas ici pour penser.

ALBERT.

Ah ! quel supplice !

JULIE.

Allons, j’ai pitié de vous, et je vous dirai, monsieur, que vous n’avez pas de raison !... ma maîtresse, vous tromper !... une ancienne lingère !... ah, si elle avait été modiste... mais, vrai, il n’y a pas de bon sens de vous mettre de pareilles idées dans la tête !...

ALBERT.

Ton opinion est donc ?...

JULIE.

Mon opinion est que, si madame vous trompait, elle ne vous le dirait pas !... est-ce qu’elle vous l’a dit ?...

ALBERT.

Te moques-tu de moi, à ton tour ?

JULIE.

Par exemple !...

ALBERT.

Alors sois franche !... crois-tu qu’elle m’aime ?

JULIE.

Ah !... c’te bêtise !...vous qui voulez l’épouser !... si elle vous aime ?...

Air : V. de l’apothicaire.

Comment pouvez-vous demander ça,
Et vous tourmenter d’un’ chimère ?
Son amour, ell’ vous l’jurera
Devant l’curé, d’vant monsieur l’maire !
Voilà de quoi vous rassurer ;
Car peut-on douter, je vous prie,
D’un serment qu’on fait enr’gistrer
Par le ciel et par la mairie ?

ALBERT.

Tu ne me dis pas ça d’un air bien sérieux !...

JULIE, riant.

En voilà une bonne !... je ne vous dis pas ça d’un air sérieux !...

ALBERT.

Mais pourquoi donc ris-tu, malheureuse ?

JULIE, riant plus fort.

Je ris, monsieur ; je ris de ce que vous dites que je n’ai pas l’air sérieux... c’est vous qui me faites rire... me dire que je n’ai pas l’air sérieux !... c’est une drôle d’idée... moi qui au contraire...

À part.

Oh ! je suis capable d’en étouffer !...

ALBERT, à part et se contraignant.

Il est clair que je suis joué !... sa domestique elle-même est dans le secret de la trahison ! Oh ! je me vengerai !... Cet escalier dérobé par où je ne suis jamais venu, moi... que je ne connaissais même pas... oh ! s’il y a quelqu’un dans la maison, je réponds bien qu’il ne sortira pas sans que je le voie !...

Il s’élance par la porte de gauche.

JULIE, qui l’examinait en riant.

Eh bien, où va-t-il ? Monsieur, on ne sort pas de ce côté madame a défendu... Pauvre jeune homme !... il n’a plus sa tête... c’est amusant !... monsieur... venez donc...

ALBERT, reparaissant.

Oui, oui ; c’est juste ?...

À part.

Maintenant je suis tranquille

Haut.

oui, je me trompais de route !...

Air : Ne raillez pas la garde citoyenne.

Je vais partir, mais désormais j’abjure
Colère injuste et pénible soupçon :
À tes discours mon âme se rassure,
Et je promets d’écouter la raison !

À part, montrant la clef qu’il tient.

Si l’on se cache, il faudra bien qu’on sorte ;
Et, quel qu’il soit, du moins, pour s’éloigner,
Le fugitif n’aura plus qu’une porte,
Et je suis là, moi, pour l’accompagner.

Ensemble.

Adieu, je pars, mais désormais j’abjure, etc.

JULIE.

Adieu, monsieur, vous nous feriez injure,
En écoutant un odieux soupçon ;
Qu’à mes discours votre âme se rassure,
Et revenez enfin à la raison.

 

 

Scène IX

 

JULIE, seule

 

Quand je disais que sa pauvre tête déménage ? oh... il se doute de quelque chose !... Il a peut-être entendu madame causer avec son Polydore dans le cabinet ?... Ah ça ! mais, si je les écoutais aussi, moi ?...

Elle écoute.

Ah, ah !... ils se parlent ?... Qu’est-ce que madame lui conte donc ?... « Mon cher ami !... » Est-il heureux ce Polydore ?... son cher ami !...

Elle écoute.

« Je vous aime !... » Ah ! à merveille !... eh bien ! qu’est-ce que je disais tantôt !...

Elle quitte la porte.

Mon Dieu ! mon Dieu !... les femmes ! les femmes !... Je ne voudrais pas être homme pour je ne sais quoi !... C’est trop bête !...

 

 

Scène X

 

CLÉMENTINE, sortant du cabinet une lettre à la main, JULIE

 

CLÉMENTINE.

Ah, vous êtes ici, Julie ?... Portez cette lettre à M. Albert, et dépêchez-vous.

JULIE, avec étonnement.

À M. Albert ?...

CLÉMENTINE.

Sans doute, et tout de suite.

JULIE.

J’y vais, j’y vais !... mais madame veut-elle bien me permettre ?...

Elle prend la main de Clémentine et la baise.

CLÉMENTINE.

Est-ce que vous êtes folle ?

JULIE.

Non, madame !... mais c’est que j’ai pour vous une adoration... une admiration...

CLÉMENTINE.

Finissez et allez vite où je vous envoie.

Elle fait quelques pas vers la porte de droite.

JULIE, à part, et regardant la lettre.

Quand il a des soupçons, on lui écrit des douceurs, et il revient !... à présent, me voilà presque aussi savante que ma maîtresse.

Elle sort par le fond.

 

 

Scène XI

 

CLÉMENTINE, POLYDORE

 

Clémentine va ouvrir la porte de droite.

CLÉMENTINE.

Ma femme de chambre est partie, les chemins sont sûrs !

POLYDORE, paraissant.

Ouf !... je ne suis pas fâché de sortir, il fait une chaleur là-dedans... j’étouffais !...

CLÉMENTINE.

Adieu !...

POLYDORE.

Sans reproche, on m’a laissé là bien longtemps !

CLÉMENTINE.

Il le fallait.

POLYDORE.

J’ai été sur le point de m’en aller par le salon.

CLÉMENTINE.

Passer par le grand escalier !... mais tout aurait été perdu.

POLYDORE.

C’est ce que j’ai pensé, aussi je suis resté là !... mais j’avais si chaud !...

CLÉMENTINE.

Ah ! mon Dieu !... j’entends quelqu’un, on monte !... vite, vite... par cette porte !...

Elle indique celle de gauche.

POLYDORE.

À demain ?

CLÉMENTINE.

Oui !

POLYDORE.

Toujours à la même heure ?

CLÉMENTINE.

Toujours !...

Il sort par la porte de gauche.

 

 

Scène XII

 

ALBERT, CLÉMENTINE

 

CLÉMENTINE, à elle-même.

Ah ! il n’y avait pas un moment à perdre.

ALBERT, entrant par te fond.

Clémentine, vous êtes encore ici ? je vous retrouve ? oh ! combien je suis heureux !...

CLÉMENTINE, souriant.

Vous voilà donc, monsieur l’emporté !...

ALBERT.

Oui, me voilà ! et si content... et le cœur plein de tant de joie et d’amour !...

CLÉMENTINE, le singeant.

« Vous m’avez vu pour la dernière fois, je quitte cette maison, je n’y paraîtrai plus !... » Et on sort en poussant les portes de façon à les briser et à me faire intenter un procès par mon propriétaire !...

ALBERT.

Ah ! pardon ! pardon !...

CLÉMENTINE, souriant.

Vous êtes de grands enfants !

Air de l’Angélus.

On rit de vous et l’on fait bien,
Car, messieurs, ne vous en déplaise,
On vous irrite avec un rien,
Avec un rien l’on vous apaise !
Enfants soumis ou révoltés,
Mais qu’on mène de cent manières,
À peine si vous méritez
Que l’on vous cache les lisières.

ALBERT.

Soit... mais si pour nous apaiser, il suffit d’un rien, pourquoi nous disputer ce rien ? Aujourd’hui, par exemple, je reviens près de vous enchanté, car la voilà cette lettre si précieuse, si ardemment désirée !... Oui, votre femme de chambre me la portait ; mais elle n’a pas eu besoin d’aller jusque chez moi, elle m’a trouvé dans la rue, près de votre maison...

CLÉMENTINE, avec quelque inquiétude.

Les yeux fixés sur ma porte peut-être ? m’espionnant, faisant le guet ?...

ALBERT.

Marchant comme un fou, coudoyant tout le monde sur le trottoir, renversant tous les parapluies, m’embarrassant les jambes dans toutes les cannes, et ne pouvant pas m’éloigner de ces lieux où je venais de vous quitter.

CLÉMENTINE, à part.

Pauvre Albert ! comme il m’aime !...

ALBERT.

Et si je vous disais quelle a été ma joie, quel a été mon délire, quand j’ai tenu cette délicieuse épître, qui m’assure et me garantit votre amour ? J’ai été sur le point de sauter au cou de votre femme de chambre devant deux cochers d’omnibus qui étaient arrêtés et qui nous regardaient !...

CLÉMENTINE, souriant.

Embrasser Julie ? mais c’était fort inutile.

ALBERT.

Bah ! j’aurais embrassé les cochers, les chevaux, les omnibus et tous les voyageurs, tant j’étais heureux !...

CLÉMENTINE.

Cher Albert !...

ALBERT.

Air : Je sais attacher des rubans.

J’ai le droit de vous accuser ;
Vous étiez ingrate et méchante :
Pourquoi toujours me refuser
Ce trésor dont l’aspect m’enchante ?
Lettre chérie... elle a fait mon bonheur,
En me prouvant votre tendresse ;
Et je la place sur mon cœur,
Afin qu’elle aille à son adresse.

CLÉMENTINE, avec embarras.

Mon ami !

ALBERT.

Je veux les baiser, les baiser mille fois ces caractères chéris...

Il porte la lettre à ses lèvres ; Clémentine l’arrête.

CLÉMENTINE.

Non, non !... je vous en prie !...

ALBERT.

Pourquoi me retenez-vous ?

CLÉMENTINE, lui tendant la main.

J’aime mieux...

ALBERT.

Cette main qui les a tracés ?... qui bientôt m’appartiendra ?... ah, oui, vous avez raison !...

Il baise sa main.

CLÉMENTINE, à part.

Il me fait mal !... oh ! j’ai presque des remords !...

ALBERT.

C’est que je vous soupçonnais, je vous accusais...

CLÉMENTINE.

Je l’avais bien vu...

ALBERT.

Oui... je croyais que vous me trompiez !... j’étais bien ridicule, n’est-ce pas ?

CLÉMENTINE.

Du moins, vous étiez bien injuste.

ALBERT.

J’allais jusqu’à imaginer que vous receviez mystérieusement un homme en mon absence, que vous me cachiez ses visites !

CLÉMENTINE.

Vraiment ?...

À part.

Quel bonheur qu’il soit parti !...

ALBERT.

J’étais furieux ! et pourtant j’étais parvenu à modérer ma colère, et tout en ruminant le plan de ma vengeance, car j’en avais inventé une...

CLÉMENTINE.

Est-il possible ?

ALBERT.

Eh, mon Dieu, oui !... jusqu’où ne va pas une imagination en délire ?... Je croyais avoir découvert...

POLYDORE, entr’ouvrant la porte de gauche, passant la tête, et refermant tout de suite.

Diable !... il v a quelqu’un avec elle !...

Il disparaît.

ALBERT, qui l’a aperçu.

Ah !...

CLÉMENTINE, se retournant du côté d’Albert.

Eh bien, Albert, pourquoi ce cri ?

ALBERT.

Moi !... j’ai crié ?

CLÉMENTINE.

Mais oui.

ALBERT.

C’est bizarre ! je ne m’en suis pas aperçu.

CLÉMENTINE.

Vous disiez que vous croyiez avoir découvert...

ALBERT.

Rien !... absolument rien !...

À part.

Il est là !... grâce âmes précautions, il n’a pu sortir.

CLÉMENTINE.

Maintenant, vous êtes tout-à-fait rassuré ?...

ALBERT.

Oh ! tout-à-fait.

 

 

Scène XIII

 

ALBERT, CLÉMENTINE, JULIE

 

JULIE.

Madame, votre couturière est dans votre chambre ; elle apporte une robe, et désirerait vous parler.

ALBERT, à part.

Ah !... béni soit le hasard !

CLÉMENTINE, souriant.

Ma couturière qui apporte une robe !... c’est une chose grave, Albert !...

ALBERT.

Sans doute, et je vous engage à l’aller trouver.

CLÉMENTINE.

Eh bien oui !... et quand je reviendrai vous serez tout à moi.

ALBERT.

Je serai tout à vous !... certainement, je serai tout à vous.

CLÉMENTINE.

Venez, Julie...

Air : Travaillez, mesdemoiselles, (Fiancée.)

À l’amour on me dérobe ;
Ce n’est que pour un moment !
Devrait-on pour une robe
Ainsi quitter un amant ?

Ensemble.

ALBERT.

À l’amour on vous dérobe,
Je le conçois aisément !
Quand il s’agit d’une robe,
Qu’est-ce donc qu’un pauvre amant ?

JULIE.

À l’amour on la dérobe.
Je le conçois aisément ?
Quand il s’agit d’une robe,
Qu’est-ce donc qu’un pauvre amant ?

CLÉMENTINE.

À l’amour on me dérobe, etc.

 

 

Scène XIV

 

ALBERT, puis POLYDORE

 

ALBERT, seul un instant.

Enfin !... je le tiens à présent, ce monsieur !... je le tiens !... il ne m’échappera pas !... à nous deux !... Je ne m’étais pas trompé !... il était là !... et elle m’écrivait !... quelle exécrable perfidie !... mais soyons calme !... et accomplissons la vengeance que j’avais rêvée !... elle sera digne de l’outrage !...

Il va ouvrir la porte de gauche.

Sortez, monsieur, je vous en prie !... vous pouvez sortir.

POLYDORE.

Je vous assure que je ne demande pas mieux ; passer subitement d’un cabinet où l’on sue à un escalier où l’on gèle !... il y a de quoi gagner une foule de rhumatismes ; et je vous remercie de m’ouvrir les voies. J’ai bien l’honneur de vous saluer.

Il fait un pas vers le fond.

ALBERT, l’arrêtant.

Pardon, monsieur !... nous avons le temps.

POLYDORE.

Vous, c’est possible !... mais moi, je vous avoue que je ne l’ai pas, et je vous supplierai de permettre...

ALBERT, l’arrêtant.

Un instant, s’il vous plaît !... vous avez dû être surpris de trouver la porte de cet escalier fermée ?

POLYDORE.

Fort surpris et surtout très  fâché, car je suis pressé, monsieur.

ALBERT, l’arrêtant.

Vous ne vous en irez point avant que nous ayons eu un moment d’entretien.

POLYDORE, à part.

Il est insupportable ce monsieur !...

ALBERT.

Vous connaissez beaucoup la maîtresse de cette maison ?

POLYDORE.

J’ai l’honneur de la connaître un peu.

ALBERT.

Et vous la trouvez jolie ?

POLYDORE.

Et vous, monsieur ?

ALBERT.

Ce n’est pas de moi, c’est de vous qu’il s’agit ; soyez assez bon pour me répondre.

POLYDORE.

Que vous dirai-je ! j’ai des yeux, et je m’en sers habituellement pour regarder.

ALBERT.

Vraiment ?

POLYDORE.

N’est-ce pas là leur destination ?

Air : Femmes, voulez-vous éprouver.

La nature fait tout au mieux ;
Mère sage non moins que tendre,
Pourvoir elle donne des yeux,
Et des oreilles pour entendre ;
Mon nez me sert pour me moucher,
Mes dents brisent ma nourriture ;
Enfin, j’ai des pieds pour marcher,
Et j’en rends grâce à la nature.

Il s’éloigne précipitamment ; Albert court après lui et le ramène.

ALBERT.

Un moment donc, monsieur !

POLYDORE.

Ah, mais, dites donc ! cela ressemble à de la tyrannie, et on ne la souffre pas en France.

ALBERT.

Vous aurez pourtant la bonté de souffrir celle-là.

POLYDORE.

Savez-vous bien qu’un homme moins pacifique que moi pourrait se fâcher ?

ALBERT.

Vous vous fâcherez tout à l’heure, si cela peut vous être agréable ; mais, auparavant, j’ai encore une question à vous adresser.

POLYDORE.

En ce cas, parlez !... je vous écoute.

ALBERT.

Monsieur, savez-vous écrire ?

POLYDORE.

Hein ?... comment dites-vous cela ?

ALBERT.

Je vous demande si vous savez écrire ?

POLYDORE.

Mais cela me paraît assez probable.

ALBERT.

Eh bien, veuillez vous asseoir ici.

POLYDORE.

Pour quoi faire ?

ALBERT.

Pour écrire.

POLYDORE.

Quoi donc ?

ALBERT.

Ce que je vais vous dicter.

POLYDORE.

Ah !... vous avez quelque chose à me dicter ?

ALBERT.

Oui !... une lettre : vous allez voir.

POLYDORE.

Voilà qui est bouffon.

ALBERT.

C’est un service que je réclame de votre complaisance.

POLYDORE.

Mais, monsieur, quand on ne veut pas, ou qu’on ne peut pas écrire soi-même, on va chez un écrivain public ; il y en a un dans la cour des Fontaines qui a une main superbe !... j’ai bien l’honneur...

Il fait un mouvement.

ALBERT, l’arrêtant et lui serrant le bras.

Oh !... vous ne me refuserez pas ce bon office.

POLYDORE.

Un moment donc !... comme vous me serrez !... vous allez me paralyser les doigts !... et comment voulez-vous, après cela, que je tienne une plume ?

ALBERT.

Ah ! vous consentez donc ?

POLYDORE.

S’il n’y a que ce moyen d’être libre ?...

ALBERT.

C’est le plus sûr !... et j’ose espérer...

POLYDORE.

Je vous suis donc absolument nécessaire ?

ALBERT.

Oh !... il est indispensable que ce soit vous qui écriviez. Voici là tout ce qu’il faut.

POLYDORE, à part, s’asseyant à la table à droite.

Il a une poigne du diable, ce monsieur !... débarrassons-nous-en tout de suite.

Haut.

Allons, monsieur, mais au moins hâtons-nous.

ALBERT.

Vous êtes prêt ?

POLYDORE.

Tout-à-fait et j’attends.

ALBERT, dictant.

« Mademoiselle...

POLYDORE.

Ah !... c’est à une demoiselle que nous écrivons ?

ALBERT.

Oui !... avez-vous mis ?

POLYDORE.

« Mademoiselle !...

ALBERT, dictant.

« Je ne vous aime pas ; Je ne vous ai jamais aimée. »

POLYDORE.

Diable !... c’est donc une lettre de rupture ?

ALBERT.

Je l’espère !... avez-vous mis ?

POLYDORE.

« Je ne vous ai jamais aimée. »

ALBERT, dictant.

« Votre fortune seule m’attirait auprès de vous. »

POLYDORE, s’arrêtant.

Oh !...

ALBERT.

Eh bien, monsieur ?

POLYDORE.

Permettez-moi une observation.

ALBERT.

Quelle observation avez-vous à faire ?

POLYDORE.

D’ordinaire, ces choses-là se pensent, mais ne s’écrivent pas.

ALBERT.

Je désire que vous les écriviez.

POLYDORE.

Comme il vous plaira. « Votre fortune seule m’attirait auprès de vous. »

ALBERT, à part.

Il paraît qu’il ne devine pas ? mais, patience !... quand il faudra signer...

POLYDORE, à part.

C’est incroyable qu’il écrive une semblable chose !...

ALBERT, dictant.

« Vous avez trahi pour moi un homme qui vous aimait avec passion. »

POLYDORE.

Ah !... en vérité... vous êtes sûre qu’elle a trahi ?...

ALBERT.

Écrivez donc, monsieur !...

POLYDORE, à part.

Au fait, cela ne m’étonne pas !... Il est fort bien ce jeune homme !...

Haut.

« Qui vous aimait avec passion. »

ALBERT, dictant.

« Et je vous méprise, comme il doit vous mépriser. »

POLYDORE.

Oh !... c’est dur !

ALBERT.

Vous trouvez ?

POLYDORE.

Ne pourrait-on pas adoucir la phrase ?

ALBERT.

J’entends que la phrase soit ainsi.

POLYDORE.

À la bonne heure !... du moment que ça vous convient.

ALBERT, à part.

Sera-t-il assez lâche pour signer cela ?

POLYDORE.

« Comme il doit vous mépriser. »

ALBERT.

Vous avez écrit ?

POLYDORE.

Oui, monsieur, et assez proprement, j’ose m’en flatter !

Il se lève et présente le papier à Albert.

Voyez...

ALBERT, à part.

Son sang-froid est inimaginable !...

Il regarde le papier. Haut.

Ah ! mon Dieu !... je ne me trompe pas !...

POLYDORE.

Est-ce qu’il y a quelque chose qui vous choque ?... est-ce que vous ne trouvez pas ?...

ALBERT, à lui-même, marchant avec agitation.

Ce que je découvre est-il concevable ?... c’était lui !... c’était lui !... elle a osé !... Oh !... y a-t-il assez de châtiments pour tous deux ?...

POLYDORE, à part.

Qu’est-ce qu’il a donc ?

ALBERT, se plaçant devant Polydore, et avec une fureur concentrée.

Répondez-moi !

POLYDORE.

Que voulez-vous que je vous réponde ?

ALBERT.

Vous m’aimez donc, vous ?

POLYDORE.

Moi !... je vous aime !...

ALBERT.

Vous n’aimerez jamais que moi ?...

POLYDORE.

Est-ce qu’il est fou ?

ALBERT.

Vous ne nierez pas votre écriture, monsieur ?

POLYDORE.

Nier mon écriture ?... je m’en garderai parbleu bien !...

ALBERT, montrant la lettre qu’il a reçue.

Regarde !... qui a tracé cette lettre ?

POLYDORE, regardant la lettre.

Ah ! ah !... vous êtes monsieur Albert Gauthier ?...

ALBERT.

Vous vous décidez enfin à me reconnaître ?

POLYDORE.

Je ne vous avais jamais vu, mais dès que cette lettre est entre vos mains...

ALBERT.

On vous a donc pris pour secrétaire, monsieur ?...

POLYDORE.

Comme vous venez de le faire vous-même.

ALBERT.

Et moi qui couvrais cette lettre de baisers !... c’était l’écriture de ce monsieur que je baisais !...

POLYDORE.

Bah !... vous baisiez mon écriture ?...

ALBERT.

Je crois qu’il rit encore ?...

POLYDORE.

Mais, dam !...

ALBERT.

Vous avez pu vous prêter à une pareille infamie ?

POLYDORE.

Quelle infamie voyez-vous là-dedans ?

ALBERT.

En effet, je comprends !... la plaisanterie a du vous sembler piquante !... Cela vous a beaucoup amusé sans doute ?

POLYDORE.

Mais... jusqu’à certain point.

ALBERT.

Savez-vous bien que ça ne m’amuse pas du tout, moi ?

POLYDORE.

Diable !... vous êtes difficile !... les expressions de la lettre sont pourtant furieusement tendres.

ALBERT.

Ah ! c’est trop fort !... je ne subirai pas davantage une semblable ironie !... Monsieur, vous venez ici tous les jours.

POLYDORE.

C’est possible.

ALBERT.

Vous entrez par cet escalier ?

POLYDORE.

Il faut bien prendre un escalier quelconque pour arriver au premier étage.

ALBERT.

Eh bien ! moi, monsieur, je vais vous faire sortir par la fenêtre.

POLYDORE.

Par la fenêtre ?... Doucement, s’il vous plaît !... comme vous y allez !...

ALBERT.

Est-ce que vous ne me comprenez pas, monsieur ?

POLYDORE.

Il faudrait que j’eusse bien peu d’intelligence.

ALBERT.

Et vous avez assez peu de cœur ?...

POLYDORE.

Pour ne pas sauter par la fenêtre ?... merci !...

ALBERT.

Non, mais pour supporter patiemment...

POLYDORE.

Au fait, c’est juste... vous m’y faites songer... voilà un quart d’heure que vous m’insultez ; votre façon d’agir et vos expressions...

ALBERT.

Ah !... elles vous déplaisent ?...

POLYDORE.

Comment donc ?... elles me déplaisent prodigieusement.

ALBERT.

Eh bien ! monsieur ?...

POLYDORE.

Eh bien ! monsieur... vous m’ennuyez !

ALBERT.

Je vous ennuie ?... mais je veux vous tuer !...

POLYDORE.

Me tuer ?... vous avez là une drôle d’idée !...

ALBERT.

Vous avez détruit la plus chère de mes illusions ; vous m’avez enlevé mon bonheur ; vous avez joint l’insulte à la perfidie !... Il faut que j’ai votre vie ou que vous ayez la mienne !... Sortons !...

Il le prend au collet.

POLYDORE.

Ah !... Au secours !... à la garde !... des sergents de ville !... des douches !... des municipaux !...

 

 

Scène XV

 

POLYDORE, CLÉMENTINE, ALBERT, JULIE

 

CLÉMENTINE, accourant.

Quels sont ces cris ?... que signifie ?...

Apercevant Polydore.

Ciel !...

ALBERT.

Tenez, madame, venez !... votre arrivée me ravit et me charme.

JULIE, à part.

Les deux amoureux aux prises !... ça va être drôle !...

POLYDORE, à Clémentine.

Ce monsieur a-t-il souvent de ces accès-là ?

CLÉMENTINE.

Oh ! c’est indigne ! un pareil bruit chez moi !

ALBERT.

J’ai tort peut-être !... mais il est des moments où le cœur souffre trop pour que la tête soit calme.

JULIE, à part.

Comment va-t-elle se tirer de là ?

CLÉMENTINE, à Albert.

Allez, monsieur, vous êtes un insensé !...

ALBERT.

Un insensé ?... Oui, je le fus le jour où j’ai pu vous aimer, le jour où j’ai pu vous le dire !... Un insensé ?... oui, je le fus quand je crus à votre parole !... Mais qu’êtes-vous donc, madame, vous qui me jurez d’être à moi, qui me prodiguez les serments du plus tendre amour, au moment où vous tenez un homme enfermé chez vous ?... vous qui employez tout ce que l’esprit féminin contient de ruses et de fausseté pour m’éloigner afin de rester seule avec lui ?...

CLÉMENTINE.

Monsieur !...

ALBERT.

Vous qui ajoutez le sarcasme et l’ironie à la plus noire des trahisons ?...

CLÉMENTINE.

Monsieur !... je vous en conjure !...

ALBERT.

Vous qui faites tracer par cet homme la lettre si tendre et si perfide où je croyais trouver un gage de mon bonheur ?

JULIE, à part.

Bah !... c’est lui ?...

CLÉMENTINE.

Encore une fois, monsieur, arrêtez !... Je suis une femme, je suis chez moi, j’ai le droit d’exiger...

ALBERT.

Et moi, j’ai le droit de vous confondre.

CLÉMENTINE.

Albert, revenez à vous !... ne me forcez pas à rougir !...

ALBERT.

Rougir !... oh ! oui, vous devez rougir !...

CLÉMENTINE.

C’en est trop !... je ne souffrirai pas...

ALBERT.

Vous devez rougir !... car vous ne pouvez nier que cette lettre m’ait été envoyée par vous !

CLÉMENTINE.

Sans doute, mais...

ALBERT.

Oserez-vous me dire qu’elle est de votre main ?

CLÉMENTINE.

Non... mais si vous saviez...

ALBERT.

Nierez-vous enfin qu’elle ait été écrite par cet homme ?

CLÉMENTINE, dans le plus grand trouble.

Eh bien !... si je ne sais pas écrire ?

ALBERT.

Comment ?...

JULIE, à part.

Oh !... que c’est beau !... je ne m’attendais pas à celle-là !...

ALBERT.

Qu’ai-je entendu ?... serait-il possible ?... Quoi !... vous ne sauriez pas ?...

CLÉMENTINE.

Non, monsieur !... le voilà ce secret que je voulais vous cacher !... Honteuse de mon ignorance, je reculais l’instant de vous donner ma main pour qu’elle fût digne de s’unir à la vôtre ; je travaillais avec ardeur pour acquérir ce qui me manque, et vous êtes venu m’accuser, m’insulter !... Oh ! je suis bien malheureuse !...

Elle pleure.

ALBERT.

Clémentine !... Clémentine !... Mon Dieu ! mou Dieu ! cela se peut-il ?... monsieur serait...

POLYDORE, présentant un prospectus.

Polydore, professeur de calligraphie, inventeur breveté de l’écriture enseignée en vingt-six leçons.

À part.

Deux heures de leçon par jour, c’est l’affaire de dix-huit mois.

JULIE, à part.

Je parie que c’est encore une frime, et que le maître d’écriture n’est qu’un arracheur de dents.

ALBERT.

Ah !... je suis bien coupable !... Clémentine !...

Air : Faisons la paix.

Pardonnez- vous ? (bis.)
J’osai, dans mon délire extrême,
Vous soupçonner !... J’étais jaloux !...
On n’est jaloux que lorsqu’on aime...
Pardonnez-vous ? (bis.)
Je vous aime... pardonnez-vous ?

Elle lui tend la main. Baisant sa main.

Oh !... désormais c’est moi qui serai votre maître.

POLYDORE.

Comment ?... vous m’enlevez mon écolière ?

CLÉMENTINE, souriant.

Je crois que j’apprendrai plus vite avec lui.

POLYDORE.

Plus vite ?... l’écriture enseignée en vingt-six leçons !

CLÉMENTINE.

Mais j’en ai déjà pris trente, et je ne sais encore...

POLYDORE.

Vous faites déjà des o superbes !... Ô mon élève... oh ! les beaux o !...

ALBERT.

Quel plaisir d’être votre professeur !

CHŒUR.

Air : Honneur à la musique.

Enfin la confiance
À jamais { vous } unit,
                 { nous }
Et le bonheur commence
Quand le soupçon finit.

CLÉMENTINE, au public.

Air : Paris et le Village.

À l’homme, qu’a choisi mon cœur,
Avant peu je vais être unie ;
Il dit qu’il fera mon bonheur,
Et que j’embellirai sa vie !
L’avenir doit en décider,
Et je voudrais vous en instruire !...
Venez donc me le demander,
Car je ne peux pas vous l’écrire.

CHŒUR FINAL.

Air : Honneur à la musique.

Enfin la confiance
À jamais nous unit,
Et le bonheur commence
Quand le soupçon finit.

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