La Valise de Molière (Édouard FOURNIER)

Comédie en un acte, avec des fragments peu connus attribués à Molière et précédée d’une introduction historique et suivie de notes.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre-Français, le 15 janvier 1868.

 

 

INTRODUCTION

 

Neuf ans après la mort de Molière, c’est-à-dire en 1682, les troupes de l’Hôtel de Bourgogne et de la rue Mazarine, en face de la rue Guénégaud, qui, depuis deux ans, par ordonnance du Roi, avaient dû se fondre et n’en plus former qu’une seule, jouèrent, sur ce dernier théâtre qui leur était devenu commun, une pièce assez singulière, accommodée par l’un des comédiens, Champmeslé, avec des bribes empruntées au répertoire du grand homme.

Il y avait là, sous le titre de Fragments de Molière, douze scènes distribuées en deux actes, cousues ensemble tant bien que mal, et prises presque toutes dans la comédie de Don Juan, ou le Festin de Pierre, dont la représentation complète était défendue, et qu’on ne permit d’imprimer qu’à la fin de cette même année, après dix-sept ans d’interdiction[1].

Ces fragments étaient destinés à dédommager un peu le public de l’absence du chef-d’œuvre prohibé, et à laisser voir ce que M. de la Reynie et sa police voulaient bien en permettre, c’est-à-dire presque toute la partie comique, entre autres les scènes paysannes du second acte, et celle de M. Dimanche ; mais rien, en revanche, absolument rien de la partie sérieuse. Don Juan athée, et surtout Don Juan faux dévot, semblait, même avec la punition du coup de foudre final, beaucoup trop dangereux à laisser entendre, en ce moment où les scrupules du roi qui, jeune, avait permis Tartuffe, commençaient avec sa vieillesse.

Pour raccorder entre eux les morceaux de ce Don Juan, méconnaissable à force d’amendement, et devenu presque une comédie champêtre, l’arrangeur chercha, dans les parties restées inédites du répertoire de Molière, ce qui pourrait lui servir de lien et de soudure.

Au commencement, deux scènes, entre les fleuves poétiques, le Lignon et le Jourdain, devenus là des divinités burlesques par moquerie contre l’Astrée et tout son cycle, encore fort en vogue, lui servirent assez gaîment d’introduction.

Où les avait-il prises ? Je ne sais au juste, mais je parierais que ce dut être dans la Pastorale comique dont le peu qu’on en sait est de ce ton. Elle avait servi avec Mélicerte, dont elle est la contrepartie, de troisième entrée pour le Ballet des Muses joué devant le roi en 1666, aux fêtes de Saint-Germain-en-Laye.

Molière n’avait été que médiocrement satisfait de cette bouffonnerie, faite dans un genre, celui de la parodie, qui ne fut jamais du goût des hommes de sa trempe.

Il en avait, dit-on, jeté au feu le manuscrit, peu de temps avant de mourir[2]. Ce qui en a survécu, authentiquement du moins, nous vient de la partition de Lulli, moins dédaigneux de sa musique que Molière de ses vers, et qui, en se publiant, fit surnager le poète sur le musicien[3].

La prose ne pouvait se trouver comprise dans ce singulier sauvetage de la poésie par la musique[4].

Mais, ailleurs, dans les papiers du poète, ou bien, à leur défaut, dans la mémoire de quelque vieux comédien, qui avait joué cette pastorale, ne pouvait-il pas rester quelques débris de scène, quelques épaves de dialogue ?

Il est permis de le supposer sans la moindre invraisemblance, et de conclure que c’est là, comme nous l’avons dit, que dut être pris tout le commencement de la pièce de Champmeslé. Fidèle en effet, au titre : Les Fragments de Molière, il n’a, dans ses deux actes, donné que du Molière, inédit de son temps, mais aujourd’hui complètement connu, sauf, bien entendu, ces deux scènes, et une autre encore, là deuxième du second acte, qu’on trouvera plus loin, et qu’on fera bien de faire rentrer, avec elles, dans les œuvres complètes du poète, d’où les éditeurs ont, jusqu’à présent, par négligence ou plutôt peut-être par ignorance, eu grand tort de les tenir éloignées.

Voulant refaire, à ma façon, ce dont Champmeslé s’était avisé de son temps : une pièce avec des fragments de Molière inconnus, je ne pouvais mieux que reprendre un de ceux qu’on n’avait pas encore repris dans sa comédie. C’est du dernier, dont je viens de parler, le plus court des trois et le meilleur aussi, je pense, que je me suis accommodé. J’en parlerai un peu plus longuement, quand arrivera son tour dans l’historique, avec preuves, que je donnerai tout à l’heure pour chacun des morceaux de ce salmigondis.

Il y en a douze, juste autant que Champmeslé donna de scènes autrefois.

Quelques-uns me viennent d’une découverte que fit, il y a quelques années, M. le marquis Henri de La Garde, chez un bouquiniste d’Avignon, et dont la mise en lumière fut confiée par lui à son ami le savant si délicat et si regretté Joseph d’Ortigues, qui n’eut que le temps de donner à ces précieux morceaux la publicité fugitive d’un article de journal.

D’autres sont dus aux recherches de mon ami Paul Lacroix, le bibliophile Jacob, qui m’autorise à les reprendre après m’avoir découvert quelques-unes des sources où il les a puisés, et qui, vérification faite, m’ont paru des plus sûres.

La responsabilité, du reste, me revient. Je voudrais que la part en fût plus importante, mais il m’a été, jusqu’à présent, impossible de l’accroître. Malgré toutes mes perquisitions dans les coins du passé où je pouvais pressentir un débris perdu de l’œuvre de Molière, j’ai dû renoncer au plaisir de joindre une fleur de plus à mon bouquet de fête.

Tel qu’il est, voudra-t-on le bien accueillir ? Si, parmi ces fleurettes, que je crois toutes de son jardin, il en est qui, pour les délicats, trahissent, par leur parfum, une moins noble origine, voudra-t-on aussi me pardonner de les avoir, par excès de zèle, mêlées à ma guirlande ?

Il n’a pas tenu à moi, je ne saurais trop le dire, qu’elle fût plus authentique et mieux fournie.

Chaque fois qu’il y eut quelque part l’espérance d’une découverte, je me mis sur la piste, mais ce fut toujours pour « faire buisson creux, » comme disent les chasseurs.

Au siècle dernier déjà, cette sorte de battue était commencée, mais sans plus de résultat. Elle ne fit rien sortir d’intéressant pour compléter l’œuvre de Molière, quoique le temps fût meilleur, puisqu’il était de beaucoup plus rapproché du sien, et quoique tant d’archives de villes et de familles, détruites à la Révolution, fussent encore intactes.

Les dépisteurs n’étaient malheureusement pas assez ardents, en raison peut-être de leur situation plus favorable. Ils étaient trop dédaigneux du peu qu’ils trouvaient, parce qu’à leur époque il semblait toujours qu’on devait trouver davantage. En quête des gros morceaux, ils passaient sans les prendre auprès des plus petits qui, aujourd’hui, feraient si bien notre régal et qui se sont perdus.

C’est ainsi qu’il s’en fallut de bien peu que les deux farces : le Médecin volant et la Jalousie du Barbouillé, dont, en 1780, il existait dos manuscrits dans « deux Cabinets de Curieux[5], » ne disparussent tout à fait, et n’emportassent avec elles le peu qui survivait de Molière à son commencement.

J.-B. Rousseau, consulté pour l’édition de 1734,et ne voyant que ce qui importait à l’Œuvre , non à l’histoire de l’homme, avait pris sur lui de dire que ces deux farces, dont il possédait aussi une copie, étaient indignes de Molière[6] ; on l’écouta, et ni le Barbouillé, ni le Médecin volant ne furent publiés.

Il fallut, pour qu’ils parussent, attendre presque un siècle[7], pendant lequel ils eurent mille chances pour une de se perdre, comme se sont perdues toutes les autres farces du même temps, et de la même veine : celle du Maître d’école, dont alors un manuscrit existait encore[8] dans le Cabinet, si riche en raretés, de M. de Bombarde[9] ; celle de la Casaque, qui, suivant une tradition longtemps conservée au Théâtre-Français, devint, en 1693, la comédie de la Tapisserie vivante[10], puis de nouveau retournée, la jolie bouffonnerie d’Alexandre Duval, la Tapisserie, jouée en 1808, à l’Odéon ; celle du Docteur amoureux, qui ne survit que par l’analyse qu’en donna un ballet, la Boutade des comédiens[11] ; celle des Docteurs rivaux, dont toute trace s’est effacée, quoique Molière Peut jouée plus qu’aucune autre en province ; enfin celle du Testament, dont rien n’existe qu’une tradition vagues et cette mention presque aussi obscure dans la moins connue des nombreuses épitaphes de Molière, où les commencements de sa vie, mêlés de farces et de tragédies, sont rapprochés des péripéties de sa fin :

Ci-gît dessoubz ce monument
Le corps de l’illustre Molière,
Qui, de Malade imaginaire,
Le devint véritablement ;
Et, comme la fin de la vie
Se rapporte au commencement,
Ce pauvre acteur en ce moment,
Pour achever la comédie,
Voulut faire son Testament,
Et finit par la Tragédie[12].

En 1828, lorsque notre siècle commençait à se faire chercheur, et que les amis de Molière, ayant à leur tête l’actif Beffara, qui apportait dans l’érudition un flair aiguisé par ses fonctions de commissaire, étaient sérieusement rentrés en campagne pour aller à la découverte, on apprit qu’un vieux monsieur visitant la Bibliothèque et s’y ‘enquérant des manuscrits de Molière qui pourraient y exister, avait affirmé qu’il s’en conservait de fort précieux dans un château de Normandie : lui-même il les avait, disait-il, vus et touchés dans une grande malle au château de Ferrière ou de la Perrière.

Beffara fut bientôt sur pieds pour dépister ce qu’il pouvait y avoir de vrai dans cette confidence du vieux passant. Il s’enquit de tous les châteaux de Normandie et des provinces voisines, qui portaient le nom dont il avait parlé, et ne perdit pas un instant pour écrire à leurs propriétaires ; il n’obtint pas de réponse. Ce mécompte ne le rebuta point. Au lieu d’une simple lettre, il fit alors une circulaire imprimée, qu’il adressa bravement aux maires de tous les villages assez nombreux qui s’appellent La Ferrière ou Ferrière, et qu’il fit de plus insérer dans plusieurs journaux, à commencer par celui de la Librairie[13].

Cette charge à fond, cet appel suprême n’eurent pas plus de résultat que sa première requête, et chose plus triste, c’est que chaque fois que pareille espérance s’est de nouveau offerte, elle a de même avorté, après n’avoir fait que poindre un instant.

Il y a douze ans, le bruit courut qu’une de nos villes du Midi possédait dans sa bibliothèque une des farces de Molière, le Médecin Barbon, signée et tout entière écrite de sa main[14]. On s’empressa d’aller aux preuves, tout s’évanouit.

L’année d’après, pareil bruit se répandit, non-seulement à Paris et par toute la France, mais jusqu’en Angleterre[15], au sujet d’une correspondance entre un jésuite du collège de Clermont et le gassendiste Bernier, ami de Molière, laquelle aurait contenu sur celui-ci de curieuses révélations, pour l’époque où il faisait jouer à Montpellier le Dépit amoureux. Cette correspondance avait, disait-on, été découverte en province. Qu’en est-il sorti ? Rien.

En 1860, on parla encore, quand fut vendue la bibliothèque du château de Bercy, d’un précieux in-4, composé de plusieurs livrets de ballets, tels que ceux du Mariage forcé et du Malade imaginaire, dans lequel un autographe important de Molière aurait enfin été trouvé. Je m’en préoccupai sans retard ; or l’autographe au moins douteux, quoi qu’en eût dit M. Cousin qui l’examina, n’était qu’une simple ligne au bas du troisième intermède du Mariage forcé. Molière – si c’est lui toutefois – a écrit là : « Remplacer cette entrée de ballet par le Trio des Cocus[16]. » Bien que d’une authenticité contestable, cette seule ligne fit monter le volume à près de quatre cents francs[17] ! tant, malgré toutes les recherches, la rareté se soutient, pour cette précieuse écriture, pendant que le désir d’en posséder, ne fût-ce qu’un mot, augmente au contraire.

Et cependant, continuent à répéter les curieux si peu satisfaits, il dut y avoir, il y eut des manuscrits de Molière ! Sans doute, et j’ajouterai qu’on en put suivre la trace, du moins pour quelques-uns, pendant un assez long temps après sa mort.

Voltaire jeune homme en avait vu un des plus curieux, celui de cette fameuse « Scène du Pauvre » dans Don Juan, qui dut être retranchée de toutes les éditions anciennes de Molière, et dont l’existence, quoiqu’un pamphlet du temps l’eût constatée le lendemain même de la représentation[18], et quoi que Voltaire en eût dit, fut, à cause de cette suppression par ordre, mise si longtemps en doute par les meilleurs esprits. Voltaire tenait bon sur ce point. L’exemplaire enfin retrouvé, où figure la terrible scène supprimée dans les autres, lui donna définitivement raison[19]. « Celui qui écrit ceci, avait-il dit dans sa Vie de Molière[20], a vu la scène écrite de la main de Molière, entre les mains du fils de Pierre Marcassus, ami de l’auteur. »

Voilà un premier manuscrit, et qui plus est, un autographe, dont la trace un instant saisie a complètement disparu.

Beffara, dans la circulaire mentionnée tout à l’heure, donne à penser, d’après une tradition, que la veuve de Molière se dessaisit des manuscrits de son mari en faveur du comédien Lagrange, et que le gendre de celui-ci, M. Musnier de Trohéou, payeur des États de Bretagne, aurait bien pu en devenir détenteur après la mort de son beau-père.

Ils eussent, en ce cas, été dans d’assez mauvaises mains. M. de Trohéou fut un dissipateur, qui rendit fort malheureuse la fille du comédien, et qui causa même la mort de celui-ci par le chagrin qu’il eut de cette mésintelligence[21].

Mais la supposition de Beffara était toute gratuite. J’ai des preuves jusqu’ici inconnues, et tirées de la meilleure source, qui me permettront d’affirmer que la veuve de Molière ne se dessaisit des papiers de son mari en faveur de personne, et que s’ils se perdirent, ce fut ou chez elle, ou chez sa fille, Madame de Montalant, à Argenteuil, ou chez le fils qu’Armande avait eu de son second mari, Guérin d’Étriché, ou bien plutôt encore chez le libraire avec lequel elle avait directement traité, comme on le verra plus loin, pour les pièces non imprimées du temps de Molière.

Le jeune Guérin d’Étriché nous a lui-même fait savoir, par quelques mots jusqu’ici trop peu remarqués, qu’il avait eu en mains les manuscrits de Molière.

En 1699, un an avant la mort de sa mère, il publia la pastorale de Myrtil et Mélicerte, où il avait refait pour une partie, et achevé pour l’autre, ce que Molière en avait laissé.

Comme il pouvait craindre qu’on l’accusât d’avoir emprunté ce qu’il donnait sous son nom, aux manuscrits dont on savait qu’il avait la libre disposition, il prit les devants, et se hâta de faire dire à sa préface : « qu’il n’avait trouvé dans les papiers de Molière, ni la moindre idée, ni le moindre fragment. »

Était-il sincère ? La platitude de sa pièce le ferait volontiers croire[22] ; mais ce qui importe surtout dans sa déclaration, c’est d’apprendre par celui même qui avait pu s’en servir, qu’à la fin du XVIIe siècle il existait encore des « papiers de Molière. »

Que sont-ils devenus ? quels étaient-ils ?

Plusieurs et des plus précieux parmi ceux que Molière avait laissés, ne s’y trouvaient plus du moins. C’est tout ce que je puis assurer.

Dès 1682, la veuve les avait vendus au libraire Thierry pour l’édition où Lagrange, à qui jusqu’à présent on en a attribué tout le soin, de compagnie avec son ami Vinot, ne dut intervenir qu’assez indirectement. Nous savons aujourd’hui que la préface historique, qu’on lui prêta si longtemps, n’est pas de lui, mais du comédien Marcel[23], et nous allons voir que c’est la veuve même, et non Lagrange, qui traita pour les manuscrits avec le libraire.

Ce dernier fait est fort curieux, en lui-même d’abord, et aussi parce qu’il se complique d’un autre d’où il ressort, comme on va le voir, que la traduction du poème de Lucrèce, par Molière, loin d’avoir été détruite, comme nous l’avons tous raconté d’après Grimarest[24], se trouvait au nombre des manuscrits vendus alors par la veuve.

Deux petites notes encore inédites des manuscrits de M. de Trallage, qui, comme neveu de M. de la Reynie, lieutenant de police, devait être fort au fait de tout ce qu’il raconte, vent, en ceci, nous servir de preuves irréfutables.

Voici ce que dit la première[25] :

« Le sieur Molière a traduit quelques endroits du poète Lucrèce en beaux vers françois On les vouloit joindre à la nouvelle édition de ses œuvres faite à Paris, l’an 1682, en huit volumes in-12, chez Thierry, mais le libraire les ayant trouvés trop forts contre l’immortalité de l’âme, ne les a pas voulu imprimer.

« La comédie du Festin de Pierre est retranchée en plusieurs endroits. On y a fait des cartons. »

La seconde note, qui confirme les mêmes détails, en donne d’autres sur la vente même des manuscrits[26].

« Le sieur Thierry a payé cinq cents escus, ou quinze cents livres à la veuve de Molière pour les pièces qui n’avoient pas été imprimées du vivant de l’auteur, comme sont le Festin de Pierre, le Malade imaginaire, les Amants magnifiques, la Comtesse d’Escarbagnas, etc.

« Le sieur Thierry n’a pas voulu imprimer ce que Molière avoit traduit de Lucrèce. Cela estoit trop fort contre l’immortalité de l’âme, à ce qu’il dit.

« C’est, ajoute encore M. de Trallage, par le même scrupule qu’il a fait consentir Barbin à supprimer les contes du sieur La Fontaine. Ils les avoient imprimés conjointement. On n’en trouve plus de l’édition originale de Paris. »

Il est donc à présent bien établi qu’en 1682, une partie des manuscrits de Molière fut vendue par sa veuve à Thierry le libraire, et que dans le nombre se trouvaient les fragments de la traduction de Lucrèce. Que devinrent-ils après le refus que Thierry avait tait de les imprimer ? Armande les reprit-elle ? C’est peu probable. Elle n’était pas assez soucieuse des œuvres de son mari pour attacher du prix à ce qui, ne pouvant être publié, devenait sans profit pour elle.

Je pense donc que les fragments restèrent aux mains du libraire, et que c’est chez lui qu’ils furent détruits, soit qu’ils aient disparu dans l’incendie de son magasin du collège Montaigu, qui anéantit presque entièrement l’édition de 1682[27] ; soit que Thierry, par un surcroît des mêmes scrupules qui lui avaient fait refuser de les imprimer, ait fini lui-même par les jeter au feu.

Barbin, son associé[28], si docile tout à l’heure, et qui eut aussi en mains des papiers provenant de Molière, puisqu’il publia dans un de ses Recueils deux des lettres de la correspondance de Chapelle avec lui[29], n’eût pas été homme à l’arrêter dans cet auto-da-fé.

Assez scrupuleux dé lui-même, il fut obligé de le devenir encore plus, quand, peu d’années après, sa maison, qui avait beaucoup baissé, dut, pour se tirer d’affaire, passer aux mains des Jésuites « surintendants de notre librairie, » comme les appelait encore Grosley, en 1774[30].

« Le P. de Vitry, jésuite au collège de Paris, dit M. de Trallage, sous la date de 1690[31], est le maître du fonds du sieur Barbin. Il a les clés du magasin, et c’est avec lui que les libraires négocient. »

Qui sait si, dans une de ces négociations avec Thierry, le bon père n’imposa pas, comme condition du marché, l’anéantissement de la traduction du poème impie, et du même coup la destruction d’autres papiers qui pouvaient lui rester de la vente faite par la veuve de Molière[32] ?

Quelle belle revanche du Tartuffe !

Quoi qu’il en soit, les fragments du Lucrèce, en vers libres[33] ; ont disparu ; il n’en subsiste que la charmante imitation qui est la perle du rôle d’Éliante au deuxième acte du Misanthrope[34].

Les autres œuvres inédites ont eu le même sort, et, pour donner du Molière inconnu, l’on en est réduit, comme nous, aux pauvres petites bribes qu’on trouvera plus loin, et dont nous allons d’avance expliquer et justifier, s’il se peut, la moisson[35].

 

 

NOTICE DES FRAGMENTS

 

I

 

« Iris, que prétendez-vous faire ? »

(Scène I, p. 49.)

 

Ce madrigal est une des trois pièces de poésie dont j’ai déjà parlé, achetées manuscrites chez le libraire d’Avignon, M. Sauvet, par M. le marquis Henri de La Garde, et publiées par Joseph d’Ortigues dans le Journal des Débats du 4 mai 1859, où personne ne les a encore reprises.

Elles faisaient partie de différents papiers provenant d’une famille alliée à celle du comte de Modène, qui fut ; comme on sait, l’amant de Madeleine Béjard, et peut-être le père de la femme de Molière.

J. d’Ortigues, après s’être expliqué sur cette provenance, prouve, sans réplique possible, que ces vers à Iris et une autre petite pièce du même genre qui viendra plus loin, ne peuvent avoir que Molière pour auteur. Il ne fait que reproduire ainsi l’opinion du contemporain qui les transcrivit : « Notons bien ce point-ci, dit-il, ces deux madrigaux sont formellement attribués À Molière par le copiste. »

Voici le titre de celui que nous donnons le premier, dans l’ordre même de la copie : « À Iris qui l’avoit (Molière) obligé de faire une déclaration, et qui n’avoit point fait de response à deux de ses lettres. »

Il n’est pas indifférent, je crois, de retrouver ainsi quelques vers amoureux du poète, qui put dire comme Shakespeare : « Mon péché c’est l’amour, » et dont l’expiation fut d’être obligé de n’en jouer que la comédie, lorsqu’il en avait le drame au fond du cœur.

 

 

II

 

« Sans trop parler aisément je m’explique. »

(Scène I, p. 50.)

 

Ces vers sont du temps où Molière courait encorda province. Ils se trouvent dans la huitième et dernière entrée « du Ballet des Incompatibles » qu’il fit danser à Montpellier, en 1634, devant le prince de Conti, par les gens de sa troupe, mêlés aux plus nobles seigneurs du Languedoc et du Comtat. Il y figurait lui-même, d’abord dans le rôle qui lui appartenait si bien, celui du poète ; puis dans un ou deux autres, et il y disait, avec une sorte d’ironie, pour qu’on n’attribuât bien qu’à lui cette pièce assez faible auprès de ce qu’il écrivit plus tard :

« Je fais d’aussi beaux vers que ceux que je récite... »

Voici le titré exact de ce Ballet, tout à fait dans le goût du temps, et ni pire ni meilleur, sauf quelques vers, que les pièces du même genre que Molière tua si bien plus tard en faisant autrement et mieux[36] : Ballet des Incompatibles, à huit entrées, dansé à Montpellier devant Monseigneur le prince et Madame la princesse de Conti, Montpellier, Daniel Pech, imprimeur du Roi et de la Ville, 1655, in-4°de neuf feuillets non chiffrés.

Le duc de la Vallière en possédait un exemplaire, qui fut catalogué dans son ouvrage : Ballets, opéras, et autres ouvrages lyriques par ordre chronologique (Paris, J.-B. Bauche, 1760, in-8°, p. 70), et qui, à l’époque de la vente de ses livres, en 1783, passa comme tous les autres, dont l’ensemble ne formait pas moins de 78 portefeuilles, à la bibliothèque du Roi, où notre ami P. Lacroix en prit copie.

C’est dans le Siècle qu’il le réimprima pour la première fois, le 16 février 1851, à la fin du dernier des trois articles qu’il avait publiés sous ce titre : Découverte d’une pièce inconnue de Molière, et dont il lit plus tard un fort curieux petit volume de la collection Schnée à Bruxelles : La Jeunesse de Molière, suivie du Ballet des Incompatibles, 1858, in-18. Les vers donnés ici se trouvent à la p. 208.

Les nouveaux éditeurs de Molière n’ont pas encore – je ne sais pourquoi – réuni le Ballet des Incompatibles aux Œuvres de Molière.

M. L. Moland s’est contenté d’en donner des fragments dans le t. I, p. LXIX de son édition, si excellente d’ailleurs, et la meilleure même que nous ayons jusqu’à présent. Il y revient, au t. VII, p. 530, dans la Bibliographie, et il regrette de n’avoir pas eu « le livret original entre les mains. »

Nous avons été plus heureux, et nous pouvons, par conséquent, le tranquilliser sur l’authenticité dont il semblerait douter.

 

 

III

 

« Je ne sais si le mariage, etc. »

(Scène I, p. 51.)

 

Ce fragment, le plus court de tous ceux que nous donnons, est aussi le moins authentique. Nous prenons sur nous seul de l’attribuera Molière, mais avec d’assez bonnes preuves, comme on en va juger.

Il fait, comme le précédent, partie d’un ballet. Il se trouve dans la quatrième entrée du Ballet de l’Oracle de la Sybille de Pansoust, dansé au Palais-Royal et à l’Hostel de Luxembourg, Paris, Jean Beslin, 1645, in-4°, sous ce titre : « PANURGE, avec deux de ses compagnons consultant les docteurs s’il se doit marier ou non. »

M. Victor Fournel, dans son excellente publication : Les Contemporains de Molière[37], a réimprimé ce Ballet, assez rare, mais déjà connu toutefois[38] : « Voici, dit-il, un des ballets de la Cour de Gaston, puisque nous sommes avertis par le titre même qu’il fut dansé à l’Hôtel du Luxembourg. » Or, en 1645, ou plutôt en 1644 – car les livrets de Ballets, comme on l’a vu par le précédent, ne s’imprimaient souvent qu’un an après la représentation – quels étaient les comédiens patronnés par Gaston, frère du feu Roi, et portant, à cause de ce patronage, le titre de Comédiens « entretenus par son Altesse Royale[39] ?» C’étaient les comédiens de l’Illustre Théâtre, dont Molière était le directeur et l’auteur.

N’est-il pas très naturel de supposer que Molière eut part, comme acteur et comme auteur, aux ballets dansés chez Gaston, puisqu’il était le chef des comédiens de Gaston[40] ?

Celui de la Sybille de Pansoust me semble être de lui plus que tout autre ; d’abord, parce que le sujet en est pris du livre de Rabelais[41], un de ceux qu’il imita toujours le plus volontiers ; ensuite, parce que la scène même de Panurge « consultant les Docteurs, » que nous reproduisons ici, se retrouve, suivant l’habitude qu’avait Molière de refondre ses premières œuvres dans celles qu’il fit plus tard, à l’acte II du Mariage forcé, après que Sganarelle s’est dit, regardant les logis des Docteurs Pancrace et Marphurius : « Il faut que je consulte un peu ces gens-là sur l’incertitude où je suis. »

Dans l’Oracle de la Sybille de Pansoust, à la seizième entrée, surviennent trois égrillardes « cherchant la bonne fortune, » et disant :

Nous avons les yeux assez doux
Et ne manquons point de mérite ;
Mais la plus sévère de nous
N’est pas autrement hypocrite.
Nous n’affectons point de sçavoir
Les lois d’honneur ni de devoir,
Mais malheureuses que nous sommes,
On se plaint de nous à loisir
Et cependant il est peu d’hommes
À qui nous n’ayons fait plaisir.

Ces gaillardes s’appellent là des « Dorimènes, » nom qui se retrouve aussi dans le Mariage forcé : c’est celui de l’aventurière pour qui Sganarelle a si fort martel en tête.

 

 

IV

 

« Fuyez bien loin, gens à double visage ! »

(Scène I, p. 52.)

 

Ces trois strophes font aussi partie du Ballet des Incompatibles ; la première est au commencement de la deuxième entrée : « La Dissimulation et deux Ivrognes[42]. » La deuxième :

Plutôt s’accorderaient la lumière et la nuit...

sert de prélude à la sixième entrée : « La Sobriété et quatre Suisses[43]. » La troisième :

Philosophes fameux, etc.

compose à clic seule toute la sixième entrée : « L’Argent, un Peintre, un Poète (représenté par Molière lui-même) et un Alchimiste[44]. »

On remarquera dans la première strophe ces vers contre les hypocrites :

Fuyez bien loin, gens à double visage
Dont le penser est contraire au langage
Et qui trompez, comme les faux écus.

Molière, qui ne manquait jamais de reprendre son bien où il l’avait placé, a remis cette idée des faux dévots comparés à de faux écus, dans la scène VI de l’acte Ier de Tartuffe :

Hé quoi ! vous ne ferez nulle distinction
Entre l’hypocrisie et la dévotion :
Vous les voulez traiter d’un semblable langage,
Et rendre même honneur au masque qu’au visage ;
Égaler l’artifice à la sincérité,
Confondre l’apparence avec la vérité,
Estimer le fantôme autant que la personne
Et la fausse monnoie a l’égal Je la bonne !

 

 

V

 

« Voilà justement notre homme qui rumine. »

(Scène IV, p. 61.)

 

Ce fragment n’est autre chose que le commencement de la huitième scène de l’acte II des Fourberies de Scapin, telle que Molière l’avait écrite d’abord, lorsque, étant en Languedoc, il fit jouer une première version de cette comédie. Elle ne fut pas imprimée alors. Comme l’Étourdi et le Dépit amoureux, essayés aussi en province, avant que Molière les apportât à Paris, elle resta manuscrite. Mais il en courut des copies, soit qu’il l’eût communiquée, soit par suite d’une indiscrétion de quelqu’un de sa troupe, soit encore, ce qui n’était pas rare, qu’un spectateur assidu à toutes les représentations eût fait un assez grand effort de mémoire pour retenir la pièce tout entière et pouvoir la recopier[45].

On sait qu’un certain Neuvilaine fit un pareil tour de force pour la comédie de Sganarelle, qu’il put ainsi publier le premier, sans la permission de Molière.

Que ce soit de cette façon ou d’une autre, il est incontestable qu’une copie, au moins, fut faite alors et courut le Languedoc. On l’a retrouvée à Toulouse, au mois de septembre 1864, à la vente des livres du marquis de Bournazel.

La pièce ne porte pas sur ce manuscrit le titre qui l’a fait connaître. Elle s’appelle Joguenet ou les Vieillards dupés. Ce Joguenet, c’est Scapin, et tous les noms sont changés de même. Est-ce du fait de Molière lui-même, ou n’est-ce que l’expédient d’un plagiaire qui, pour s’attribuer la pièce, a cru la rendre méconnaissable en débaptisant les personnages ? C’est ce que je ne puis, pour le moment, décider. Mon ami Paul Lacroix sera, j’espère, plus heureux, lorsqu’il publiera prochainement ces trois actes, comme il le promet, et comme il en a seul le droit, puisque la découverte lui est due.

Le premier, trois mois après la vente du marquis de Bournazel, il eut connaissance du curieux manuscrit, et il s’empressa de donner à la Revue des Provinces, que je dirigeais alors, la primeur de cette trouvaille, en y publiant tout le troisième acte, le seul qui, dans la version inédite, soit complètement différent du texte imprimé. La scène du sac, entre autres, n’est pas la même. Boileau, si Molière l’eût gardée telle qu’il l’avait d’abord écrite là, n’aurait pu faire ces fameux vers :

Dans le sac ridicule où Scapin l’enveloppe[46],
Je ne reconnais plus l’auteur du Misanthrope.

Le sac n’y paraît pas.

La publication de ce Joguenet, prototype de Scapin, sera fort intéressante, en ce qu’on y verra comment Molière s’amendait, se corrigeait, et cela, presque toujours en coupant et accourcissant. Le système de Scribe : « Tout ce qu’on coupe n’est pas sifflé, » était déjà le sien. Il n’y a pas de scène de ce premier Scapin, où il n’ait coupé au moins vingt ou trente lignes. Il ne suivait sur ce point, comme sur bien d autres, l’avis de personne[47] : l’impression du public, qu’il regardait écouter, était son seul guide.

« M. Despréaux, écrit Brossette, dans une lettre encore inédite, au président Bouhier[48], m’a dit plus d’une fois que quand Molière avoit fait une pièce, il en corrigeoit les défauts sur l’effet qu’il voyoit qu’elle produisoit sur le théâtre, et qu’ensuite il la faisoit imprimer[49]. »

Ce qu’il coupait ainsi n’était pas toujours perdu. Il était soigneux de tout, même de ses rognures. Ainsi ce qu’il ôta, lorsqu’il fit Scapin, delà scène de Joguenet, telle que nous la donnons ici : « Tout est renversé aujourd’hui, » se retrouve dans le Mariage forcé, rôle de Pancrace, acte II, scène 2.

 

 

VI

 

« Monsieur Guzman, je suis le votre... »

(Scène IV, p. 63.)

 

Cette petite scène est le dernier des trois fragments de Molière, qui n’ont pas été repris par les éditeurs, dans la comédie de Champmeslé, comme nous l’avons dit p. 8 de l’Introduction. Après l’avoir retrouvée où elle n’aurait pas dû rester enfouie si longtemps, nous la publiâmes dans la Revue des Provinces du 15 octobre 1865, p. 143, et peu de jours après, notre maître, Jules Janin voulut bien en consacrer l’authenticité dans son feuilleton des Débats, où il la reproduisit[50].

 

 

VII

 

« Au penchant qui vous engage. »

(Scène V, p. 69.)

 

Cette chanson, assez gaillarde, n’a pas moins de douze couplets. Elle fut trouvée dans un manuscrit acheté en 1852, à la vente des livres du roi Louis-Philippe, par M. le baron de Stassart. Elle s’y trouvait au milieu de poésies autographes de la fameuse mademoiselle de La Force, qui l’y avait transcrite elle même, et qui» en l’attribuant à Molière, savait fort bien qu’elle la restituait à qui de droit.

Personne mieux que cette ancienne amie de La Fontaine n’était au fait des choses littéraires de son temps, surtout pour ce qui touchait Molière et sa société. On lit sur le titre : « Chanson écrite par feu Molière, sur l’air : Je suis épris d’une brune qui tient mon âme en langueur. » M. Arthur Dinaux la publia le premier dans le Bulletin du Bibliophile, 1853-1854, p. 365-368, et nous l’avons citée ensuite dans notre notice sur Molière du Recueil des Poètes français de M. Crépet.

M. L. Moland s’est contenté de l’indiquer, t. VII, p. 379-380 de son édition. Il craignait d’attribuer à Molière, le poète comique, ce qui pouvait appartenir au musicien-poète, qui dans le même temps avait le même nom. Il aurait peut-être dû réfléchir qu’ici la confusion n’est guère possible : Molière, le poète-musicien, ne faisait des chansons que pour les mettre en musique lui-même, et se gardait bien par conséquent des airs populaires. Or, celle-ci est faite sur l’un des plus connus. Elle ne peut donc être du musicien Molière, mais bien de Molière le poète, amoureux des vieilles chansons, comme son Alceste, et toujours prêt à reprendre leurs refrains[51], à moins qu’un musicien ne le priât de lui faire des couplets « à mettre en chant, » comme D’Assoucy par exemple, pour lequel il griffonna, étant à Béziers, ce couplet assez pauvre, digne ainsi par avance de la musique qui l’attendait :

Loin de moi, loin de moi tristesse,
Sanglots, larmes, soupirs !
Je revois la princesse
Qui fait tous mes désirs.
Ô célestes plaisirs,
Doux transports d’allégresse !
Viens, mort, quand tu voudras
Me donner le trépas,
J’ai revu ma princesse[52].

 

 

VIII

 

« Le grand métier de Mars...

Ah ! si comme de vous, il dépendait de moi. »

(Scène V, p. 70, 72.)

 

Ces deux fragments font partie de la même pièce, en huit stances, dont voici le titre : « Sur les Conquettes du Roy en 1667, Stances irrégulières. » Je l’ai publiée le premier, d’après une indication de mon ami P. Lacroix, dans la Revue des Provinces du 15 mai 1864, p. 344-345, sans faire alors mention de la source, par crainte, que quelque emprunteur ne se vantât de l’y avoir aussi découverte. Je serai aujourd’hui moins discret. Ces stances, qui semblent avoir eu beaucoup de succès dans leur temps, se trouvent d’abord dans le recueil manuscrit de la bibliothèque Sainte-Geneviève Yf. ; et dans un autre de la bibliothèque Impériale, Supplém. franc., n° 686, p. 38.

Le nom de Molière, à la fin de cette seconde copie, se trouve écrit Molièr, orthographe qu’on lui donnait souvent, Loret, par exemple, l’écrit presque toujours ainsi[53], et c’est même sous cette forme qu’il figure dans le privilège de la comédie de l’Estourdy[54].

 

 

IX

 

« Me promenant jeudy, etc. »

(Scène V, p. 73.)

 

Ce fragment est détaché avec de très légères modifications, qui étaient indispensables, de la pièce principale publiée par J. D’Ortigues dans les Débats du 4 mai 1859. Elle n’a pas de titre : on lit seulement en tête : « Lundy matin, vers irréguliers. »

J’ai vu cette pièce entre les mains de son heureux commentateur, et après l’avoir bien examinée, bien lue et relue, je n’ai pas douté un instant qu’elle ne fut de Molière.

Si la grâce amoureuse qu’il mit dans Amphitryon et dans Psyché s’y retrouve à l’endroit que je donne ici, la passion brûlante du Misanthrope ne s’y fait pas moins sentir dans le passage suivant que j’aurais pu joindre à l’autre, si je n’avais craint de faire longueur même avec des vers de Molière :

Mon esprit fut troublé de mille objets fascheux ;
Je fis mille desseins, mille vœux, mille plaintes,
J’eus mille soupçons, mille craintes,
Et perdis tout espoir d’être jamais heureux.
Enfin dans les transports de mon âme insensée,
D’amour et de douleur esgallement blessée,
J’allay m’imaginer pour comble de mes maux,
Que l’ingratte resvoit à deux de mes rivaux.
Ce fut pour lors que dans ma rage
Je pensay, je dis et je fis
Tout ce qu’on peut penser, dire et faire de pis
Contre ce qu’on hayt davantage ;
Et ne connoissant plus ni respect ni devoir,
Je fis mille sermens de ne la jamais voir ;
Mais que ce mouvement d’une fureur extresme
Dura peu de moments ! qu’il fut tôt appaisé !
Hélas ! et qu’il est mal aisé
De hayr longtemps ce qu’on ayme...

Au bas se trouvent ces trois lettres P. A. B.

J. D’Ortigues, qui n’y pouvait voir une signature, car il n’est pas, que nous sachions, un seul poète du temps dont les noms et prénoms puissent justifier ces initiales, en donna cette traduction plus que vraisemblable : « P. A. B. : pour Armande Béjard. »

Il fut aussi d’avis que la pièce manuscrite qu’il avait en main était un autographe de Molière, et quelques-uns des plus habiles experts en écriture littéraire, notamment M. Paulin Paris, partagèrent franchement cette opinion.

 

 

X

 

« Pour vous répondre sur la connaissance parfaite que vous dites que

j’ai du cœur de l’homme. »

(Scène VI, p. 75.)

 

Ce que nous donnons ici, comme étant une lettre de Molière à Chapelle, est un fragment de la conversation que l’auteur de La Fameuse Comédienne, ou Histoire de la Guérin auparavant femme et veuve de Molière[55], prête au grand homme s’entretenant avec son ami. Bayle fut frappé le premier de l’intérêt de ce passage et le cita in extenso, dans l’article Poquelin de son dictionnaire, et fit bien, quoi qu’en ait dit J.-B. Rousseau[56].

M. Sainte-Beuve lui donna raison, en reprenant lui aussi tout le morceau si curieux, dit-il, comme fond et couleur[57]. Plus tard, encouragé par ces bons juges, je m’en occupai aussi, et à force d’examiner les pensées et la forme, je me fis l’opinion émise d’abord dans mon Roman de Molière, et qui reparait ici : Je conclus que ce passage où Molière est tout entier, où son cœur parle si bien, en un style si différent du reste du livre, et tout à fait digne de lui, ne doit pas être l’écho d’un entretien impossible à saisir, mais le débris d’une de ses lettres tombée entre les mains de l’auteur de la Fameuse Comédienne, qui se sera contenté de la découper et de la mettre en scène.

Cette opinion eut du succès ; M. Eudore Soulié, qui a tant d’autorité pour tout ce qui se rapporte à Molière, m’écrivit pour s’y associer, et M. Gaston Paris, dans un article excellent et fort peu favorable aux hypothèses, l’approuva sans presque faire de réserve : « Il faut noter, dit-il, une conjecture acceptable de M. Édouard Fournier : le méprisable écrit cité plus haut (La Fameuse Comédienne) rapporte une conversation entre Molière et Chapelle, où le premier parle presque seul et expose longuement à son ami l’état de son cœur... en des termes assez différents du reste de l’ouvrage, et qui rappellent les scènes où Molière analyse aussi l’amour. M. Fournier suppose que ce morceau est simplement une lettre de Molière à Chapelle : on peut, il me semble, regarder comme assez vraisemblable cette supposition, qui donnerait une grande valeur au passage dont il s’agit[58]. »

Relisant l’autre jour une lettre de Chapelle à Molière, je me suis confirmé encore plus dans mon sentiment. On y voit que la correspondance entre les deux amis, souvent éloignés l’un de l’autre, était assez active et roulait presque toujours sur les chagrins de Molière : et Je vous souhaite de tout mon cœur en repos et dans ce pays, lui écrit Chapelle. J’y contribuerois de tout mon possible à faire passer votre chagrin, et je vous ferois assurément connoître que vous avez en moi une personne qui tâchera toujours à le dissiper ou tout au moins à le partager[59]. »

 

 

XI

 

« L’amour, charmante Iris, ne souffre point de maître. »

(Scène VIII, p. 80.)

 

Ce madrigal est le second des morceaux publiés par J. d’Ortigues, dans le Journal des Débats (4 mai 1839). « Cela, dit-il, après l’avoir transcrit, ne vous semble-t-il pas, pour l’allure, un feuillet détaché de l’Amphitryon ? Le vers : Voilà le bel enfant, etc. est un trait délicieux. » Il a raison. Cette idée de rapprocher le style des trois petites pièces qu’il publia le premier, avec celui du l’Amphitryon, lui revient souvent dans son commentaire. Il y insiste surtout, et fort judicieusement, pour la plus importante : Me promenant jeudy, etc.[60]. « En comparant, dit-il dans un deuxième article[61], notre Épître avec les comédies de Molière, particulièrement avec l’Amphitryon, écrit, comme elle, en vers irréguliers, je ne puis m’empêcher de dire que c’est bien là le jet de la période de Molière, l’allure de sa phrase, le souffle et le mouvement dont sont animées ses tirades amoureuses, le flot abondant qui se meut et ondula, librement ‘ans le grand courant de son style, et que c’est là enfin le moule large et flexible dans lequel il jette sa pensée. »

 

 

XII

 

« Bonjour, ma mie. »

(Scène X, p. 84.)

 

Cette scène, qui ne se trouve dans aucune des éditions françaises, anciennes ou modernes, des Œuvres de Molière, a été donnée comme étant positivement de lui, à la fin de l’édition, rarissime en France, qui fut publiée dans les dernières années du XVIIe siècle, en Allemagne, sous ce titre, d’une étrangeté si flatteuse pour le grand homme : Histrio Gallicus, comico-satiricus sine exemplo ; ou les Comédies de M. Molière, comédien incomparable du Roy de France. Nuremberg, Jean Daniel Fauber, 1695-1696, 4 t. en 2 vol. in-12.

Elle commence à la page 333 du tome IV.

Averti par une note du Catalogue de la bibliothèque de Pont-de-Veyle, qui fut vendue en même temps que celle de M. de Soleinne, et dans laquelle se trouvait un exemplaire de cette édition introuvable, je n’épargnai rien pour mettre la main sur ce précieux livre, où, disait la note, une scène de Molière inconnue était enfouie. Je n’y parvins qu’au bout de dix ans. Quand parut mon Roman de Molière, l’insaisissable édition m’échappait encore, et je n’en pus parler que très imparfaitement[62]. Enfin, il y a deux ans, le livre passa en vente, je pus le voir, et copier la scène.

Aucune explication ne l’accompagne. Rien n’indique de quelle pièce inconnue elle a été tirée, ni pourquoi elle ne fut pas jointe aux éditions françaises qui précédèrent ou qui suivirent de près la mort de Molière.

Ce doit être, selon moi, comme la scène de Guzman, dont nous avons parlé plus haut[63], un fragment de farce. Molière aimait à mettre en scène des docteurs et leur monde. La femme du Docteur qui est ici me ferait penser que ce fragment vient du Docteur amoureux, du Docteur pédant, ou des Docteurs rivaux.

Les attaques assez vives qui s’y trouvent contre les partisans, auront peut-être été cause que Molière supprima cette scène de son répertoire et de ses éditions. Nulle part, dans ce que l’on connaît de lui, il n’a pris à parti les financiers. M. Herpin, de la Comtesse d’Escarbagnas, qu’il ridiculise, n’est pas à proprement parler un homme de finance, quoi qu’en ait dit Cailhava[64] : il est receveur des tailles, et ses fonctions toutes publiques ne pouvaient se confondre avec la position faite aux partisans, gens des fermes ou des sous-fermes générales, qui furent, un peu pi tard, les traitants de Turcaret.

Molière, c’est une opinion répandue, ne ménagea ces puissances de l’argent que sur une recommandation pressante de Colbert : « C’est une chose remarquable, dit Chamfort[65], que Molière, qui n’épargnait rien, n’a pas lancé un seul trait contre les gens de finance. On dit que Molière et lés auteurs comiques du temps curent des ordres de Colbert. »

Lémontey reprend cette tradition, et l’autorise de son témoignage plus sérieux d’historien : « Molière, dit-il[66], n’attaqua jamais les financiers. On croit que ce fui par ordre de Colbert. Ce grand ministre pensa qu’il y aurait de l’inconséquence à diffamer des hommes dont la probité est tout à la fois si difficile et si précieuse. »

Molière se soumit, mais n’en pensa ni n’en travailla pas moins. Quelques scènes, comme celle-ci, où les hommes d’argent et leurs commis étalent piqués au vif dans leur importance ou leur libertinage, furent jouées par lui, le soir après souper, « au bout de la table, » comme c’était l’usage, et comme on le lui reproche dans une des comédies-pamphlets de Montfleury[67].

On en prit copie, attendant, pour les rendre publiques, la mort du ministre, trop ami des partisans.

Il mourut le 6 septembre 1683. Quelques mois après, le 5 mars 1684, les comédiens italiens qui prenaient leur bien où ils le trouvaient, et qui, suivant la législation du temps, pouvaient emprunter aux œuvres de Molière tout ce qui n’en était pas imprimé, firent jouer sur leur théâtre la scène de la Fille de Chambre. C’est ainsi qu’ils appelaient celle que nous donnons ici.

Ils l’avaient intercalée dans le premier acte de leur farce : Arlequin, empereur dans la Lune[68]. De qui la tenaient-ils ? Sans doute de Dominique qui y jouait la soubrette, avec le masque d’Arlequin.

On sait qu’il avait été en relation d’amitié avec Molière. Peut-être la lui avait-il entendu réciter à lui-même à l’un de ces soupers du samedi, chez le peintre Vario, où ils se rencontrèrent si souvent pendant l’hiver de 1671[69].

Si maintenant on vient nous dire qu’un des auteurs de la Comédie Italienne a fait cette scène, et que l’édition de Nuremberg, qui l’attribue formellement à Molière, ne prouve rien, je soutiendrai fort et ferme qu’alors personne, aux Italiens pas plus qu’au Théâtre-Français, n’aurait été capable de l’écrire telle qu’elle est : Regnard courait encore le monde en 1684, Dancourt tâchait d’être avocat, Palaprat n’était pas de retour à Paris, et Dufresny attendait Regnard pour travailler à la Comédie Italienne.

Quant à M. de Fantouville ou Fatouville, à qui l’on prête la pièce dans les anciens livres sur le théâtre[70], on sait que c’était un homme de Palais, prodigieusement riche, qui prenait de toutes mains l’esprit de ce qu’on appelait ses pièces[71], surtout quand c’était, comme ici, de l’esprit de Molière.

 

 

VALISE DE MOLIÈRE

 

 

Personnages

 

MOLIÈRE

DU CROISY, comédien dans la troupe de Molière

LA THORILLIÈRE, comédien dans la même troupe

CORMIER, directeur d’une troupe de comédiens de campagne

BARON, jeune comédien de dix-sept ans, dans la troupe de Cormier

BEAUVAL, comédien dans la même troupe

JEANNE BOURGUIGNON, soubrette du même théâtre

 

La scène se passe dans une salle d’auberge, près du Raincy, dans la forêt de Bondy.

 

 

Scène première

 

BARON, BEAUVAL, JEANNE BOURGUIGNON

 

BARON, écoutant à la porte de gauche.

Il est toujours avec les deux inconnus qui sont arrivés tout à l’heure. Que disent-ils ? Je les entends à peine, et ne les vois pas du tout.

JEANNE, qui lit un manuscrit.

De qui parles-tu, Baron ?

BARON.

De Monsieur Cormier, notre directeur, et des deux personnes qui sont avec lui depuis un instant.

JEANNE.

Tu devrais plutôt, petit curieux, apprendre un peu du grimoire qu’il vient de nous mettre en main, et où je ne vois goutte.

BARON, écoutant toujours à la porte.

Il me semble qu’il dit du bien de quelqu’un...

BEAUVAL, vivement.

De moi ?

JEANNE.

En ce cas, ce sera bientôt fait. Allez ! allez ! c’est plutôt de lui-même.

BARON.

Justement !

JEANNE.

Alors, nous ne sommes pas au bout : il en aura pour une bonne heure. Il ne s’essouffle jamais qu’à parler de son mérite.

BARON.

Ou du génie de Molière !

JEANNE.

C’est vrai, et je me suis toujours demandé pourquoi.

BARON.

Et vraiment, parce qu’il l’admire, et.il a raison.

À part.

C’est pour cela que je reste avec lui. Ah ! mon cher maître ! Ah ! mon cher monsieur Molière, pourquoi vous ai-je quitté ?

JEANNE.

Ah ! çà, vous autres, est-ce que vous trouvez d’un joli stylé, comme il dit, ces brimborions de papier, qu’il veut que nous nous logions dans la mémoire ?

BARON.

Certainement ! J’ai là, pour mon compte, des vers charmants à apprendre.

À part.

D’où lui viennent-ils ? Je ne sais, mais bien sur j’ai vu cette écriture-là quelque part.

JEANNE.

Et de quoi parlent-ils, ces vers charmants ?

BARON.

D’amour, comme tous ceux de ce temps-ci.

BEAUVAL, tendrement.

Oh ! l’amour ! l’amour !

JEANNE.

N’en dites donc plus rien, c’est bien assez de m’avoir fatiguée du vôtre.

BARON, récitant.

« Iris, que prétendez-vous faire ? 
« Était-ce par malice, était-ce par pitié. 
« Quand vous avez voulu que ma tendre amitié
« De l’Amour prît le caractère ? 
« Eh bien ! vous avez su le secret de mon cœur, 
« Je vous ai fait l’aveu de ma triste langueur : 
« Mais après tout, Iris, de cette obéissance
« Quel enfin doit être le fruit ? 
« M’auriez-vous ordonné de faire tant de bruit
« Pour demeurer dans le silence ? »

JEANNE, vivement.

Tiens ! Le silence t il y en a aussi dans mon rôle.

BEAUVAL.

Et dans le mien !

Majestueusement.

Le Dieu du Silence !

JEANNE.

Est-ce vous qui le jouez ?

BEAUVAL.

Je crois que oui...

JEANNE.

Alors, Commencez... taisez-vous.

Reprenant son manuscrit.

Eh ! mais Baron n’a peut-être pas tort, on peut faire valoir ces vers-là. Oui, en y mettant un peu de coquetterie...

Elle lit.

« Sans trop parler aisément je m’explique, 
« Ce que j’ai clans l’esprit, on l’apprend de mes yeux,
« Ils disent mes secrets à tous les envieux 
« Par un air tantôt gai, tantôt mélancolique ;
« Ils ne manquent jamais un cœur,
« Et leur feu se rendrait vainqueur
« De la plus froide indifférence. 
« Qui ne m’en conte pas est mis au rang des sots,
« Et le Dieu même du Silence 
« Ne saurait s’empêcher de m’en dire deux mots. »

BEAUVAL, vivement.

Deux mots, vous voyez bien, deux mots, j’ai le droit de les dire...

JEANNE, qui a compté sur les doigts.

Assez ! vous en avez déjà dit une douzaine au moins.

BEAUVAL.

Allons ! Mademoiselle Bourguignon, vous ne voulez même pas me laisser dans le doute où se trouvait un monsieur Panurge, que je ne connais pas, mais que je rencontre ici en conversation avec deux docteurs, et qui leur dit, allant de l’un à l’autre : Dois-je épouser ? Ne le dois-je pas ?

JEANNE.

S’il s’agissait de vous et de moi, la réponse ne serait pas malaisée : Nescio vos !

BEAUVAL.

Que vous êtes dure au pauvre monde !

JEANNE,

Soyez plus avenant, ayez plus d’esprit – mais pas trop, – jouez mieux surtout, et...

BEAUVAL.

Vous consentiriez ?

JEANNE.

Qui sait ?... Tout arrive ! voyons en attendant ce que dit votre M. Panurge.

BEAUVAL, récitant.

« Je ne sais si le mariage
« Est le parti qu’il me faudrait.
« Les uns l’appellent une cage,
« D’autres le nomment tout à droit
« Le grand chemin du Cocuage :
« – Il n’est rien tel que le ménage, »
« Dit l’un ; – l’autre : « Romps-toi le cou,
« Plutôt que d’entrer en servage. »
« À votre avis, serais-je fou ?
« À votre avis, serais-je sage ? »

BARON.

Eh bien ! mais, Jeanne, il n’a pas trop mal dit ces vers-là.

JEANNE.

Il était si bien le personnage !

BEAUVAL.

Je serai encore bien mieux celui-ci : Un peintre ivrogne.

JEANNE.

Ivrogne ! il ne vous manquait plus que ce défaut-là.

BEAUVAL.

Ah ! ce n’est pas moi, c’est le rôle...

JEANNE.

Allons ! trébuchez un peu ces vers-là... 

BEAUVAL.

Il est dans une compagnie mêlée : poètes, alchimistes, dévots.

JEANNE.

Singulière société ! et il dit ?

BEAUVAL.

« Fuyez bien loin, gens à double visage,
« Dont le penser est contraire au langage,
« Et qui trompez comme de faux écus : 
« On sait bien entre nous foire la différence,
« Car, dans la cour du bon prince Bacchus, 
« Le meilleur courtisan y dit tout ce qu’il pense.

« Plutôt s’accorderaient la lumière et la nuit,
« Plutôt seraient unis le silence et le bruit,
« Le ciel plus aisément se joindrait à la terre ;
« Et le mensonge avec la vérité, 
« La paix s’accorderait plutôt avec la guerre
« Que nous et la sobriété.

« Philosophes fameux, qui, d’une ardeur si pure,
« De ce vaste univers recherchez les secrets,
« Demeurez tous d’accord : qu’avec notre peinture, 
« Vos vers ingénieux et vos divins creusets
« S’il est du vide en la nature,
« Il faut qu’il soit en nos goussets. »

BARON, qui est retourné à la porte pour écouter.

Cette fois, voilà quelqu’un !

JEANNE.

Et comme il ne faut pas qu’on nous trouve à baguenauder, quand le bagage n’est pas encore défait, décampons !

Ils sortent vivement en emportant les malles.

 

 

Scène II

 

DU CROISY, LA THORILLIÈRE

 

DU CROISY, à la cantonade.

Oui, monsieur le directeur, soyez sûrs de notre zèle.

LA THORILLIÈRE, de même.

Nous ne perdrons pas un instant pour apprendre les rôles que vous voulez bien nous confier...

DU CROISY, mettant dans sa poche le papier qu’il tient, et riant.

Qu’il y compte !...

LA THORILLIÈRE, faisant de même.

N’importe ! c’est un singulier homme...

DU CROISY, riant encore.

Et il n’est pas mal venu pour nous distraire un peu de notre aventure...

Ils rient ensemble.

 

 

Scène III

 

DU CROISY, LA THORILLIÈRE, MOLIÈRE

 

MOLIÈRE.

À merveille, monsieur du Croisy, à merveille, monsieur de la Thorillière ! Je vois que vous vous consolez gaiement pour moi.

LA THORILLIÈRE.

Croyez...

MOLIÈRE.

Que ce qui vous amuse est plaisant, je n’en doute point. Que n’en puis-je dire autant de ce qui m’arrive !

DU CROISY.

N’auriez-vous rien retrouvé ?

MOLIÈRE.

Rien !

LA THORILLIÈRE.

Au moins êtes-vous sur la trace des voleurs ?

MOLIÈRE.

Pas davantage. D’abord, grâce aux gens de M. le Prince que j’allai éveiller au Raincy, et qui furent bientôt sur pied pour faire une battue dans le bois, je pus saisir une piste et la suivre d’auberge en auberge ; mais à la dernière, d’où les drôles sortaient à peine, j’appris de l’hôtelier qu’ils étaient venus chez lui les mains vides. Leur chef pourtant, qui n’est autre que l’Intriguet...

DU CROISY.

L’Intriguet !

MOLIÈRE.

Lui-même, plus adroit que les gens de sa bande, avait pris ma valise et l’emportait, quand l’arrivée d’une charrette ou cinq à six personnes menaient grand bruit de rires et de voix lui donna à craindre que ce ne fût pour nous un renfort, et lui fit lâcher prise pour décamper plus vite. – Où reprendre à présent ce qu’il m’a volé ? Ma comédie de l’Imposteur, mon Tartuffe, le seul manuscrit que j’en eusse encore !

LA THORILLIÈRE.

Perdu !

MOLIÈRE.

Oui, comprenez-vous, perdu !

DU CROISY.

La perte est cruelle.

LA THORILLIÈRE.

Irréparable.

MOLIÈRE.

Sans compter le reste : des riens, sans doute, indifférents pour d’autres, précieux pour moi : souvenirs de jeunesse, ébauches, commencements d’idées, surprises et griffonnées à leur premier murmure : ombres hier, œuvres demain peut-être ; tout était là.

LA THORILLIÈRE.

Mais votre femme ?...

MOLIÈRE.

Ma femme ! Armande ! croyez-vous qu’elle cherche le secret de mes pensées, de mes travaux !

À part.

Elle n’a que celui de ma faiblesse, et c’est trop déjà !

Haut.

Que croyez-vous qu’elle fasse, à cette heure ? S’est-elle mise, pour la moindre part, dans mes inquiétudes ? Elle s’est fait tranquillement conduire au château. La plus belle chambre, parmi celles qu’on nous réservait, lui a été donnée ; et d’ici vous pouvez la voir, y étalant ses grands airs et sa langueur, en répétant, par morceaux choisis, ses meilleurs rôles de coquette à l’aimable cour, dont l’entourent déjà tous les jeunes seigneurs de la maison !

Après un soupir.

Tenez, mes amis, voici le moment de me faire un peu rire avec votre histoire.

DU CROISY.

Comme nous arrivions ici pour vous attendre, nous entendîmes crier, chanter, se quereller dans la chambre d’auprès.

MOLIÈRE.

Était-ce encore, par aventure, des comédiens en voyage ?

DU CROISY.

Vous avez deviné : des comédiens de campagne... en campagne, heureux pour le moment, et fêtant, à leur façon, quelque aubaine imprévue.

MOLIÈRE.

Laquelle ?

DU CROISY.

Nous ne nous en sommes que médiocrement inquiétés... Pour nous distraire et retrouver au moins dans notre mémoire nos rôles, perdus autrement, nous nous amusions, entre nous, à répéter une scène ou deux, lorsqu’entra le chef de la troupe. Nous voyant en exercice de comédie, persuadé que c’était faute d’emploi, et que nous nous délections de nos rôles, comme le pâtissier, qui, faute de pratique, mangerait ses gâteaux, il le prit, avec nous, sur un ton de hauteur protectrice.

MOLIÈRE.

Il vous offrit peut-être un engagement ?

DU CROISY.

Par charité.

MOLIÈRE.

Et vous avez accepté ?

LA THORILLIÈRE.

Par plaisanterie.

MOLIÈRE.

Allons ! si les rôles n’y sont pas, la comédie au moins s’y trouve déjà.

DU CROISY.

Il n’a point tari sur le mérite de ses acteurs, peu nombreux, il l’avoue, car ils ne sont que quatre, lui compris, mais incomparables.

MOLIÈRE.

Lui compris encore.

LA THORILLIÈRE.

À lui seul, il fait nombre : ni plus ni moins que vous, et par imitation, je crois, car il vous admire fort...

MOLIÈRE, surpris.

Ah !... de la part d’un rival, c’est précieux et rare...

LA THORILLIÈRE.

Il est tout à la fois acteur, directeur, auteur...

MOLIÈRE.

Il fait des pièces ?...

DU CROISY.

Des chefs-d’œuvre.

MOLIÈRE.

Hé ! mais, voilà notre fait. Nous irons chez lui à la provision.

LA THORILLIÈRE.

« Pour moi, – c’est lui qui parle, – l’arrangement d’une idée en comédie n’est qu’un jeu. D’autres ont le beau langage, moi j’ai l’arrangement, la mise en œuvre, la disposition.

DU CROISY.

« Il n’est pas plus malaisé – ajoute-t-il – d’extraire une pièce d’un sujet donné, que d’extirper une dent d’une mâchoire. »

MOLIÈRE.

Sa métaphore le dénonce ; s’il a dit cela, je le reconnais, c’est Cormier.

LA THORILLIÈRE.

L’arracheur de dents du Pont-Neuf ?

MOLIÈRE.

Lui-même, qui, s’étant cru comédien, pour avoir joué, avec son négrillon du Maroc, quelques parades eu plein vent, court, depuis quelques années, le pays avec une troupe...

DU CROISY.

Une bande, qu’il appelle noblement sa compagnie... J’y songe, c’est lui, ce me semble, que vous avez rencontré en Languedoc, au château de la Grange, chez le prince de Conti...

MOLIÈRE.

Justement ! mais sans avoir même le plaisir de l’apercevoir. Il suffit qu’on nous annonçât, moi et les miens, dont vous n’étiez encore ni l’un ni l’autre, pour qu’il reçût congé : nous entrâmes par une porte, pendant qu’il sortait par l’autre...

LA THORILLIÈRE.

Et c’est un pareil charlatan qui s’est permis de nous faire des offres et de nous donner des rôles...

Fouillant dans sa poche.

Au diable ses paperasses !

DU CROISY.

Je ne veux même pas qu’il puisse en envelopper ses fioles.

LA THORILLIÈRE.

Ni se vanter que nous les ayons lues...

MOLIÈRE.

C’est un tort... Lisons, il est toujours bon de lire, et toujours temps de déchirer...

Après avoir jeté les yeux sur les papiers qu’il leur prend.

Eh bien ! mes amis, vous eussiez fait de belles affaires... Voyez !

LA THORILLIÈRE.

Votre écriture !

MOLIÈRE.

Deux fragments de mes farces, que vous avez jouées vingt fois... – C’est Cormier qui était, avec sa troupe, dans la charrette bruyante.

DU CROISY.

C’est Cormier qui a fait peur aux bandits.

LA THORILLIÈRE.

C’est Cormier qui a ramassé la valise.

MOLIÈRE.

C’est Cormier qui a mes manuscrits.

DU CROISY.

Il les rendra...

LA THORILLIÈRE.

Et à l’instant !... Je vais lui parler de près.

MOLIÈRE.

Tout beau, la Thorillière ! vous y allez comme un ancien capitaine aux dragons du Roi. Couper les oreilles à messire Cormier ne serait ni un bien noble exploit, ni une bien belle besogne, quoiqu’il y ait de la marge, et, pendant ce temps, les autres décamperaient avec la proie. Mieux vaut moins de bruit, et tout mener en douceur. Laissez-moi faire.

DU CROISY.

Il vient, je crois.

MOLIÈRE.

Il ne sait pas vos noms ?

LA THORILLIÈRE.

Dieu merci !

MOLIÈRE.

Gardez-vous de prononcer le mien. Pour bien faire, traitez-moi comme un ancien camarade, l’orateur de la troupe, celui qui dirige vos répétitions ; et tenez, récitez-moi une des scènes qu’il vous a données : celle-ci, que je dois refaire pour un Scapin, dont j’ai l’idée. Vous, du Croisy, vous êtes Joguenet, vous, la Thorillière, vous jouez le vieil Alcantor. Allez !

 

 

Scène IV

 

DU CROISY, LA THORILLIÈRE, MOLIÈRE, CORMIER

 

CORMIER, entrant, sans voir Molière.

Très bien ! déjà sous les armes, c’est à merveille !

LA THORILLIÈRE.

Silence donc.

DU CROISY.

N’interrompez pas.

DU CROISY, jouant Joguenet.

« Voilà justement notre homme qui rumine, et qui apparemment ne songe qu’à l’affaire de son fils, qu’il a tort en tête, il me semble.

LA THORILLIÈRE, jouant Alcantor.

« Tout est renversé aujourd’hui, et le monde est tombé dans une corruption générale : une licence épouvantable règne partout, et les magistrats qui sont établis pour maintenir l’ordre dans cet État devraient rougir de honte, en souffrant un scandale aussi intolérable que celui-là : oui, c’est une chose horrible, et qui crie vengeance au Ciel, que d’endurer que des fils de famille soient mariés par force, contre les lois, et au mépris des parents.

DU CROISY.

« Monsieur, votre serviteur.

LA THORILLIÈRE.

« Bonjour, Joguenet.

Se parlant.

Mon fils avoir si peu de conduite et de considération ! s’aller jeter dans un engagement comme celui-là sans mon consentement ! Ah ! ah ! jeunesse impertinente ! Vous n’en êtes pas où vous pensez. J’ai déjà pris, mes avis sur ce sujet, et nous verrons après.

DU CROISY.

« Vous rêvez à l’affaire de votre fils.

LA THORILLIÈRE.

« Je t’avoue que cela me donne un furieux chagrin. Il serait bien fâcheux qu’on me fît des héritiers malgré moi. »

CORMIER.

Pas mal ! Pas mal ! très bien, même !

MOLIÈRE.

N’est-ce pas, Monsieur ?

CORMIER, surpris, à part.

D’où sort cet homme-là ?

MOLIÈRE.

Je voudrais peut-être quelque chose de plus assuré dans le geste, de plus vif dans la voix...

CORMIER, à part.

Il parle bien, mais quel est-il ?

MOLIÈRE.

La scène du Juge et de Guzman ira mieux. Allons, mes amis.

CORMIER, à part.

Ah ! il est leur ami...

MOLIÈRE.

Attaquez.

CORMIER, l’imitant.

Oui, attaquez, attaquez.

LA THORILLIÈRE.

« Monsieur Guzman, je suis le vôtre, comment vous va ?

DU CROISY.

« Fort bien, monsieur, je vous cherchais.

LA THORILLIÈRE.

« Qu’y a-t-il pour votre service ? Vous êtes un brave homme, vous, et de toute votre bande, vous êtes celui que j’aime le mieux.

DU CROISY.

« Monsieur, je vous suis obligé, et aussi, en récompense, je vous viens avertir de quelque chose qui vous touche.

LA THORILLIÈRE.

« Moi !

DU CROISY.

« Vous-même.

LA THORILLIÈRE.

« Et qu’est-ce que ce serait ?

DU CROISY.

« Eh ! ce n’est qu’une bagatelle, mais il est toujours bon d’y prendre garde.

LA THORILLIÈRE.

« Dites-moi, je vous prie, ce que c’est.

DU CROISY.

« C’est qu’on veut vous tuer.

LA THORILLIÈRE.

« Me tuer ?

DU CROISY.

« Mais cela ne sera rien : c’est un drôle, qui prend avec trop de chaleur les intérêts de mon maître contre vous, touchant votre fille ; mais je lui ai bien dit son fait. Ce n’est pas qu’il ne soit méchant comme un diable, et, quand il a résolu quelque chose, il faut que cela soit ; mais je lui ai bien juré que s’il mésarrivait de votre personne, je saurais bien vous en venger tôt ou tard : c’est pourquoi vous n’avez que faire de craindre.

LA THORILLIÈRE.

« Eh ! oui da, mais s’il m’allait tuer sans vous avertir, je ne laisserais pas que d’être mort. »

CORMIER.

Ah ! très bien ! très bien !

MOLIÈRE.

Oui, c’est un peu mieux.

DU CROISY, bas à Molière.

Ah ! çà, mais vous ne nous flattez guère.

MOLIÈRE, de même.

C’est pour vous déguiser...

CORMIER.

Ce que j’admire surtout, c’est la mémoire. Il n’y a pas un quart d’heure que j’ai donné ces rôles, et les voilà sus déjà.

MOLIÈRE.

C’est merveilleux, mais je n’en suis pas surpris, on n’en fait pas d’autre en notre troupe : il faut vous dire que nous sommes, ou plutôt que nous étions de la même : ces messieurs en qualité de comédiens, moi à titre d’acteur aussi et, par surcroît, de lecteur, correcteur.

CORMIER.

J’entends, ce qu’est La Roque au théâtre du Marais... Eh ! mais alors vous êtes mon homme.

MOLIÈRE.

Comment !

DU CROISY, lui parlant bas.

Il va vous engager aussi.

MOLIÈRE, de même.

C’est ce qu’il faut.

CORMIER.

J’ai, pour le moment, un choix à faire dans un vieux fonds d’esprit...

MOLIÈRE.

Qui vous est arrivé récemment.

CORMIER.

Comment l’avez-vous su ?

MOLIÈRE.

Par les gens de l’auberge, qui le savaient de quelqu’un des vôtres...

CORMIER.

De quelqu’une plutôt, de cette Bourguignon, j’en jurerais, la bavarde ! Bref ! c’est vrai, et j’aurais besoin qu’on m’aidât à me reconnaître dans tout cet esprit-là, oh je me perds un peu.

MOLIÈRE.

Faute d’habitude.

CORMIER.

Comme vous dites ; or, vous me plaisez, mais quel serait votre prix ?

MOLIÈRE.

Oh ! je suis de loisir : rien.

CORMIER.

Vous me plaisez de plus en plus. Topez donc là ! je vous engage, et à l’œuvre !

À Du Croisy et à la Thorillière.

Messieurs, vous trouverez tout près les gens de ma compagnie : chargez-vous en pour les styler un peu, et mettez-les à la raison... si vous pouvez.

Du Croisy et la Thorillière sortent en riant.

 

 

Scène V

 

MOLIÈRE, CORMIER

 

CORMIER, continuant.

Ah ! qu’ils me donnent de fil à retordre !

À Molière.

Figurez-vous, Monsieur, que Beauval veut épouser, la Bourguignon refuse, et là dessus, à toute heure, un bruit qui, je crois, ne finira pas !...

MOLIÈRE.

Surtout s’ils se marient, et ils n’y manqueront pas, ne fût-ce que pour bien mettre la dispute en règle. –

Vivement et lui parlant à l’oreille.

Où est la valise ?

CORMIER.

Tiens ! Vous savez aussi ?

MOLIÈRE.

Sans doute, et que c’est celle de Molière...

CORMIER.

Oh ! voilà qui est plus fort !

MOLIÈRE.

Bien simple pourtant. J’ai reconnu tout d’abord les fragments de scène que ces messieurs viennent de jouer : c’étaient morceaux de son répertoire de farces, pendant qu’il courait le Languedoc, où je l’ai beaucoup vu.

CORMIER, avec un soupir.

Ah ! oui, du côté de Pézenas, n’est-ce pas ? Je m’en souviens.

MOLIÈRE, à part.

C’est bien mon homme.

CORMIER.

Il m’a joué un tour

MOLIÈRE.

Et vous voulez une revanche.

CORMIER.

N’est-ce pas juste ?

MOLIÈRE.

Oui, si elle est bonne.

CORMIER.

Il a pris ma place, un jour, chez le prince de Conti...

MOLIÈRE.

Et vous voulez prendre la sienne chez le prince de Condé.

CORMIER.

Ainsi, ma petite vengeance ne sortira pas de la famille. L’occasion est admirable. Il y a au Raincy le plus beau, le plus noble monde. Ce sera magnifique, nous arriverons, et comme il ne pourra être là...

MOLIÈRE.

Puisque vous tenez son esprit

CORMIER.

On nous accueillera, nous jouerons...

MOLIÈRE.

Et vous triompherez ! Mais que jouerez-vous ?

CORMIER.

C’est déjà prêt, ou peu s’en faut.

MOLIÈRE.

Mais encore ?

CORMIER.

Vous le saurez... Voyons d’abord ce que nous avons là.

MOLIÈRE, à part.

Il me fait bouillir.

CORMIER, apportant la valise.

Examinons !

MOLIÈRE, y plongeant vivement la main.

Ah !

CORMIER.

Comme vous y allez !

MOLIÈRE.

J’ai hâte de connaître...

Effrayé.

mais il n’y a là que des paperasses, des feuilles volantes ! Pas un cahier complet, pas un manuscrit.

CORMIER.

Il y en avait un, je l’ai mis de côté...

Montrant sa poche.

je le tiens là.

MOLIÈRE, y portant vivement la main.

Voyons...

CORMIER, se boutonnant.

Il n’en sortira qu’à son heure.

MOLIÈRE, à part.

N’importe ! Il n’est pas perdu !

CORMIER.

Pour cette fois, j’ai pensé qu’il suffirait de quelques fragments assortis, que je nouerai ensemble par un lien... agréable.

MOLIÈRE.

De votre façon ?

CORMIER.

Oui, quand le choix sera bien fait. Il me manque encore quelques madrigaux, quelques couplets pour donner Un peu de ragoût.

Après avoir fouillé dans la valise.

Ah ! voici justement une chanson qui n’a pas, ce me semble, trop mauvaise tournure : Sur l’air de lon lan la landerirette. C’est gaillard !

Il chante.

« Au penchant qui nous engage 
« Pourquoi vouloir résister ? 
« Du gai printemps de son âge, 
« Ne doit-on pas profiter :

« Eh ! lon lan la landerirette,
« Eh ! lon lan la !

« De pitié votre âme atteinte 
« S’attendrit à mes discours, 
« Mais que me sert votre plainte,
« Si vous refusez toujours ?

« Eh ! lon lan la landerirette 
« Eh ! lon lan la !

« Pendant une nuit paisible
« En vain je me crois heureux,
« Le songe le plus sensible
« Ne peut soulager mes feux.

« Eh ! lon lan la landerirette 
« Eh ! lon lan la !

« Qu’un bonheur plus véritable 
« Comble enfin tous mes plaisirs : 
« La nuit la plus favorable 
« Laisse encor trop de désirs.

« Eh ! lon lan la landerirette 
« Eh ! lon lan la !

N’est-ce pas joli ?

MOLIÈRE.

Oh ! une simple brunette, comme Benserade en a tant fait, ces choses-là se chantent à la douzaine...

Avec intention.

sur le Pont-Neuf.

CORMIER.

Hein ! Vous dites...

MOLIÈRE, à part.

L’arracheur de dents se réveille.

Haut.

Je dis que sur le Pont-Neuf... vous devez le connaître ?

CORMIER.

Un peu, comme tout le monde, mais nous n’y sommes pas.

Prenant un autre papier.

Eh ! tenez, voici d’autres vers, qui ont aussi assez bonne mine.

Récitant avec emphase.

Le grand métier de Mars...

MOLIÈRE.

Je me les rappelle.

CORMIER.

Comment ?

MOLIÈRE.

N’ont-ils pas couru Paris, et toute la France, l’été dernier, quand chacun dut faire, pour célébrer les conquêtes du Roi, de si beaux feux de joie en pleine canicule ?

CORMIER.

Il m’en coûta bien, pour mon compte, dix ou douze fagots au moins, flambés devant ma porte.

MOLIÈRE.

Ces vers-là firent grand bruit, mais n’en valent pas mieux.

CORMIER, indigné.

Par exemple !... Molière, Monsieur, ne fait rien que de supérieur... Je lui en veux, mais je l’admire.

MOLIÈRE, à part.

Il a du bon ! J’aime assez à voir comment on me juge.

CORMIER.

Non ! jamais ce grand esprit n’a rien composé de mauvais.

MOLIÈRE.

Pardonnez-moi : quand il lui faut écrire suivant la mode du temps pour amuser les Turlupins de cour, il n’a pas meilleur goût qu’un autre.

CORMIER, indigne.

Ah !... Vous allez voir :

Lisant.

AU ROI.

« Le grand métier de Mars est ce qui peut vous plaire, 
« Mais chacun songe à son affaire,
« Et cependant que vous allez 
« Exercer, comme un autre Hercule, 
« La noble ardeur dont vous brûlez, 
« Moi je songe au bois que je brûle. »

N’est-ce pas délicat ?

MOLIÈRE.

Heu ! heu ! Une misérable pointe !

CORMIER.

Vous êtes difficile, et Molière, j’en suis sûr...

MOLIÈRE.

Serait de mon avis.

CORMIER.

Quel homme ! Mais la fin, la fin.

MOLIÈRE, l’interrompant quand il va lire.

Eh ! nous la savons la fin.

Récitant avec chaleur.

« Ah ! si comme de vous, il dépendait de moi
« De faire une nouvelle loi, 
« J’ordonnerais qu’après la prise d’une place, 
« Au lieu de tant de feux en été superflus,
« On en boirait six coups de plus
« Et qu’on les boirait à la glace. »

CORMIER.

Eh bien !

MOLIÈRE.

C’est un peu mieux, mais voyons autre chose.

CORMIER.

Des vers d’amour ! Il les fait à ravir. Il en a le génie.

MOLIÈRE, à part.

La douleur !

CORMIER.

En voici, voyons-les.

MOLIÈRE, à part.

Ah ! oui, la Matinée d’Auteuil.

Il lit.

« Me promenant jeudi, sur le bord de la Seine,
« Si matin que l’astre du jour
« Ne paraissait encore qu’à peine
« Sur les collines d’alentour,
« Je pensais que Sylvie était encor couchée, 
« La tête sur la main négligemment penchée
« Rêvant dans un demi-sommeil, 
« Un des bras hors du lit, la gorge demi-nue,
« Et de tant d’attraits revêtue 
« Que l’Aurore en a moins au lever du soleil.

« Que de brûlants désirs, que d’Amour, que de flamme,
« Cette charmante idée alluma dans mon âme !
« Hélas ! que ne pensai-je, et que ne dis-je pas !
« Je me mis à genoux, j’adorai ses appas,
« J’admirai de son teint les œillets et les roses,
« Et cet air enjoué, qui la pare si bien ;
« Et puis je m étonnai que de si belles choses
« Fussent cause d’un mal si cruel que le mien. »

CORMIER.

Ah ! quelle âme ! j’en suis tout ému, et vous aussi, ce me semble...

MOLIÈRE.

Moi ! non.

À part.

N’importe ! Je n’aime pas à remuer ces cendres, le brasier est toujours dessous...

CORMIER, comme s’il écoutait toujours avec ravissement.

Après...

MOLIÈRE, à part et tout troublé, après avoir regardé le papier.

Ah ! la copie de ma lettre à Chapelle sur Armande.

CORMIER.

Qu’avez-vous donc ?

MOLIÈRE, troublé.

Rien !

Se remettant.

Il me semblait entendre du bruit... Vous-même n’entendez-vous pas ?

CORMIER.

Non...

MOLIÈRE, avec impatience, le poussant vers la porte.

Mais si, mais si, c’est votre Beauval et votre Bourguignon, allez ! allez !

CORMIER, s’éloignant.

Quel diable d’homme ! il fait de moi, son Directeur, tout ce qu’il veut !

Il sort.

 

 

Scène VI

 

MOLIÈRE

 

Enfin je suis seul. – J’avais mis tout mon cœur dans cette lettre, tout mon chagrin, tout mon désespoir. Quand je les y retrouve, il me faudrait le désert d’Alceste ! – Chapelle, excellent ami ! il m’avait longuement parlé de ma femme, s’étonnant de me voir si sensible avec tant d’expérience, et je lui écrivais : « Pour vous répondre sur la connaissance parfaite que vous dites que j’ai du cœur de l’homme, par les portraits que j’en expose tous les jours au public, je demeurerai d’accord que je me suis étudié le plus que j’ai pu à connaître leur faible, mais si ma science m’a appris qu’on pouvait fuir le péril, mon expérience ne m’a que trop fait voir qu’il était impossible de l’éviter. » Ensuite, je lui disais tout ce que j’ai souffert : ma tendresse, mes soins pour cette enfant, que j’avais prise, on peut le dire, au berceau, comme Agnès, « espérant que l’innocence de mon choix me répondrait de mon bonheur ; » notre mariage, où ma passion ne fit que s’accroître en même temps que s’augmentait son indifférence... puis le reste : ses torts et mes pardons, toujours prêts, presque impatients dans leur indulgence, et courant pour ainsi dire au devant de ses fautes.

Il lit.

« Mes bontés ne l’ont point changée... Si vous saviez ce que je souffre, vous auriez pitié de moi, ma passion est venue à un tel point qu’elle va jusqu’à entrer avec compassion dans ses intérêts, et, quand je considère combien il m’est impossible de vaincre ce que je sens pour elle, je me dis en même temps qu’elle a peut-être la même difficulté à détruire le penchant qu’elle a d’être coquette, et je me trouve plus de disposition à la plaindre qu’à la blâmer... Vous me direz sans doute qu’il faut être poète pour aimer de cette manière ; mais pour moi, je crois qu’il n’y a qu’une sorte d’amour, et que les gens qui n’ont point senti de semblables délicatesses n’ont jamais aimé véritablement... Toutes les choses du monde ont du rapport avec elle dans mon cœur. Mon idée en effet en est si fort occupée que je ne sais rien en son absence qui me puisse divertir. Quand je la vois, une émotion et des transports, qu’on peut sentir, mais qu’on ne saurait exprimer, m’ôtent l’usage de la réflexion. Je n’ai plus d’yeux pour ses défauts ; il m’en reste seulement pour ce qu’elle a d’aimable. N’est-ce pas le dernier point de la folie, et n’admirez vous pas que tout ce que j’ai de raison ne serve qu’à me faire connaître ma faiblesse, sans en pouvoir triompher ! »

Avec un profond soupir.

Ah ! Armande ! Armande !

Il reste accablé.

 

 

Scène VII

 

MOLIÈRE, BARON

 

BARON, accourant.

Mon maître !

MOLIÈRE.

Baron ! cher enfant !

BARON.

Mon père !

MOLIÈRE.

Toi ici !

BARON.

M, de la Thorillière et M. du Croisy, que je venais voir, m’ont dit, tout à l’heure, bien discrètement, en me prenant à part, que vous étiez dans cette maison, et j’accours.

MOLIÈRE.

D’où vient que tu t’y trouves toi-même ?

BARON.

J’y suis avec mes nouveaux camarades.

MOLIÈRE.

Tu es avec eux ! C’est de cette bande que tu t’es mis lorsque tu m’as quitté, ingrat !

BARON, avec reproche.

Oh ! ingrat ?

MOLIÈRE.

Non, j’ai tort, j’ai tort. Si tu partis, la faute n’en fut pas à toi, mais à elle, toujours à elle ! Il n’y eut pas ingratitude de ta part, je le sais à présent, mais malheur et chagrin, comme pour moi. Elle voyait l’affection que je te portais, en trouvant dans ta jeune amitié celle que j’espérais d’un fils trop tôt perdu, et elle en éprouva ce sentiment des femmes sans cœur, cette jalousie avide, qui veut, de tous, toutes les tendresses, pour n’en rendre aucune à personne. Il me fallut perdre avec toi ma seule consolation. Que te voilà grand ! Le talent a-t-il suivi la taille ? A-t-il grandi de même ?

BARON.

On le dit, mais je n’ai pas là beaucoup de mérite. Je reçus de vous autrefois de si précieuses leçons ! Je n’ai qu’à me souvenir.

MOLIÈRE.

Cher enfant ! Tu ne me quitteras plus.

BARON.

Bien sûr ?

MOLIÈRE.

Oui, je te reprends ; j’aurai cette fois le courage de mon cœur, même contre elle.

BARON.

Que je vais être heureux !

MOLIÈRE.

Tu ne l’étais donc pas chez Cormier ?

BARON.

Pas tous les jours, par hasard seulement : du bonheur cahoté...

MOLIÈRE.

En mauvaise charrette, sur de mauvais chemins, toujours courant et n’arrivant guère.

BARON.

Monsieur Cormier, qui, au fond, est bon homme, faisait tout ce qu’il pouvait. N’avions-nous pas eu le soir une bonne recette, il s’échappait le lendemain de bonne heure, et s’en allait, en cachette, arracher quelques dents par la ville... On en déjeunait...

MOLIÈRE.

Ainsi, jouant la tragédie d’un côté, de l’autre travaillant les mâchoires...

BARON.

C’est-à-dire faisant partout crier un peu... Il nous a conduits de Mâcon jusqu’à cet endroit... Je vois que c’était arriver à bon gîte... Mais je vous quitte, si notre directeur...

MOLIÈRE.

Reste, au contraire... Je crois l’entendre qui revient ; chut ! ne me nomme pas encore.

 

 

Scène VIII

 

MOLIÈRE, BARON, CORMIER

 

MOLIÈRE.

Mes compliments, Monsieur Cormier, je suis ravi de cet enfant.

CORMIER.

Ah ! ah ! vous voilà pris, ce n’est pas mon élève, c’est le disciple chéri de Molière... vous avez applaudi un de ses ouvrages.

MOLIÈRE.

Je me rends... quoique...

CORMIER.

Encore !...

À Baron.

Petit, pour convaincre cet opiniâtre, récite-lui quelques vers, et du maître, entends-tu, du grand maître ! Choisis ceux que je t’ai donnés ce matin. Ce n’est qu’un madrigal, mais d’un joli tour, je crois, et...

MOLIÈRE.

Nous verrons bien...

BARON, récitant.

« L’Amour, charmante Iris, ne souffre point de maître, 
« C’est un enfant gâté qu’on a peine à connaître :

« Il gronde sans savoir pourquoi,
« La douceur quelquefois l’irrite. 
« Il met à bout la plus sage conduite, 
« Et l’on n’ose pourtant le laisser sur sa foi.
« Il veut tout ce qu’on lui refuse,
« Il néglige tout ce qu’il a :
« Un rien après l’amusera. 
« Toujours prêt à payer d’une mauvaise excuse, 
« On hasarde beaucoup de jouer avec lui ;
« Il ne garde aucune mesure ;
« Et c’est un grand coup d’aventure 
« S’il est encor demain ce qu’il est aujourd’hui.

« Voilà le bel enfant que vous avez fait naître,
« Cependant, tel qu’il est, il mérite vos soins, 
« Je veux bien vous aider à lui conserver l’être, 
« Pourvu que vous vouliez, sans mais, car, si, peut-être,
« À frais communs fournir à ses besoins. »

MOLIÈRE.

Fort bien dit.

CORMIER.

Oui, mais les vers...

MOLIÈRE.

J’en suis assez content.

CORMIER.

C’est heureux !

 

 

Scène IX

 

MOLIÈRE, BARON, CORMIER, DU CROISY, LA THORILLIÈRE

 

LA THORILLIÈRE.

Place ! place !

MOLIÈRE.

Qu’est-ce donc ?

CORMIER.

Une surprise ! Pour que vous jugiez de mes gens, j’ai fait habiller Beauval et la Bourguignon, et ils viennent vous jouer une scène.

MOLIÈRE.

Laquelle ?

CORMIER.

Celle d’une fille de chambre voulant entrer en service...

MOLIÈRE.

Chez la femme d’un docteur, je la connais...

CORMIER, impatienté.

Ah ! vous connaissez donc tout !...

LA THORILLIÈRE.

Beauval joue là doctoresse...

MOLIÈRE.

Comme Hubert, madame d’Escarbagnas au Palais-Royal.

À part.

Il pourra me servir pour madame Pernelle.

DU CROISY.

La Bourguignon fait la fille de chambre.

CORMIER.

Qu’ils entrent !

Baron va leur ouvrir la porte du fond.

 

 

Scène X

 

MOLIÈRE, BARON, CORMIER, DU CROISY, LA THORILLIÈRE, BEAUVAL, JEANNE BOURGUIGNON

 

CORMIER, continuant.

Et surtout, pas de préambule. Ça ne pourrait être qu’une dispute.

BEAUVAL, en femme de docteur.

« Bonjour, ma mie.

JEANNE, en fille de chambre.

« On m’a dit, madame, que vous aviez besoin d’une femme de chambre, je venais vous offrir mes services, et savoir si je vous serais agréable.

BEAUVAL.

« D’où sortez-vous, ma mie ?

JEANNE.

« Pour le présent, madame, je sors de chez la femme d’un partisan, qui est la maîtresse du monde la plus difficile à servir. Elle allait toutes les semaines deux ou trois fois aux étuves, et son mari n’a jamais eu le crédit de lui faire ôter ses gants quand elle se couche.

BEAUVAL.

« Comment donc as-tu pu te décider à quitter une femme si propre ?

JEANNE.

« À vous dire vrai, j’en ai bien du regret, mais comme on voulait m’assujettir à blanchir trois grands gars de commis, qui étaient chez nous, et qui, sous prétexte de me demander leur linge, venaient toujours batifoler autour de moi ; – vous savez, madame, qu’on n’a rien de si cher que l’honneur, – à c’t’heure, ces friponniers-là me tenaient certains propos ; enfin, tant y a, pour bien des raisons, j’en ai voulu sortir.

BEAUVAL.

« N’est-ce pas aussi que les commis t’ont voulu mettre dans leurs intérêts ?

JEANNE.

« Des commis ! Madame, des commis ! Vous direz tout ce qu’il vous plaira, mais une jeune fille comme moi n’est pas un gibier à commis. Si j’avais voulu prêter l’oreille aux sornettes, il hantait peut-être chez nous d’aussi beau monde qu’en aucune maison de Paris. Mais, grâce au ciel ! les hommes ne m’ont jamais tentée.

BEAUVAL.

« Mais dis-moi, ma bonne, n’as-tu jamais servi des gens de qualité ?

JEANNE.

« Est-il gens de plus grande qualité que les parti sans ?

BEAUVAL.

« Je ne dis pas que non, mais je te demande si tu n’as pas servi des gens de la cour ?

JEANNE.

« Qu’entendez-vous, madame, par gens de la cour ?

BEAUVAL.

« J’entends des comtesses, des marquises, des duchesses.

JEANNE.

« Oh ! si ce n’est que cela, je n’ai jamais fait d’autre métier en toute ma vie. J’ai servi aussi un commandeur, dont j’étais femme de chambre. C’était une bonne condition celle-là, si elle avait duré.

BEAUVAL.

« Femme de chambre d’un commandeur ! Voici bien autre chose.

JEANNE.

« Et pourquoi non, madame ; les dames ont bien des valets de chambre !

BEAUVAL.

« Elle a raison ! cette fille-là me plaît fort. Dis-moi, ma mie, ne sais-tu pas blanchir ?

JEANNE.

« Oui, madame, je coiffe, je blanchis je brode un peu, je fais de la pâte pour les mains, je sais faire des jupes, je donne le bon air aux manteaux, je donne aussi fort bien les remèdes ; enfin, je puis me vanter de savoir faire aussi adroitement qu’une autre, tout ce qu’il y aura à faire auprès d’une jolie femme, comme vous, madame.

BEAUVAL.

« Mais ne sais-tu pas aussi, là, taire un peu de pommade pour le visage ?

JEANNE.

« Bon ! c’est où je triomphe, et la comtesse, que j’ai servie, vous en dirait bien des nouvelles. Trois mois après que je l’eus quittée, elle était vieille de vingt-quatre ans. Je lui ai usé plus de deux cents pots de pommade sur son corps : et à la fin, je lui ai rendu le cuir aussi uni qu’une glace. Si j’avais l’honneur de vous panser seulement quinze jours, votre mari ne vous reconnaîtrait plus. Vraiment ! vraiment ! j’ai remis sur pied des teints bien plus endiablés que le vôtre. Pour faire quelque chose de bien, il faudra recrépir ce visage-là d’un bout à l’autre. Après cela vous charmerez tout Paris.

BEAUVAL.

« La folle ! Allez, vous demeurez à mon service. »

JEANNE.

Ouf ! c’est fini ! Eh bien ! est-ce assez joliment troussé ? Êtes-vous contents de moi, vous autres ?

MOLIÈRE.

Certes, mais Beauval aussi n’a pas mal joué.

JEANNE.

Lui ! Par exemple !

BEAUVAL, à Jeanne, lui montrant Molière.

Tu l’entends !

JEANNE.

C’est un intrus ! il ne sait rien de rien. Est-ce qu’on le connaît, est-ce qu’il s’y connaît ?

MOLIÈRE.

Maintenant il faut conclure, n’est-ce pas, Messieurs, il est temps...

CORMIER.

Oui, c’est mon avis.

MOLIÈRE.

Je pense donc que l’espèce de défilé que nous venons de voir, que l’olla podrida dont on vient de nous régaler, et qui s’est faite comme ces ignorants d’apothicaires font leur thériaque, est...

CORMIER.

D’un ragoût...

MOLIÈRE.

Détestable ! Il faut donc y renoncer, et revenir à une vraie comédie, à la pièce, par exemple, qui est en réserve dans la poche de notre Directeur.

DU CROISY, se mettant à droite de Cormier.

C’est mon sentiment.

CORMIER.

Vous croyez ?

LA THORILLIÈRE, de même à gauche.

J’en suis sûr.

DU CROISY.

N’hésitez pas.

LA THORILLIÈRE,

Vous pouvez nous en croire.

MOLIÈRE.

Ce sera prudent.

La Thorillière lui ayant passé la pièce enfin donnée par Cormier.

Je la tiens ! La Thorillière !... Du Croisy ! nous jouerons, demain, le Tartuffe au Raincy.

CORMIER.

C’était Molière !

JEANNE.

Comment ! C’était vous !

Montrant Beauval.

Et vous l’avez trouvé bon... Je l’épouse !

MOLIÈRE.

Et comme vous êtes, chacun à votre manière, excellents tous les deux, je vous engage.

CORMIER, stupéfait.

Vous les... ?

MOLIÈRE.

Et je reprends Baron.

CORMIER, atterré,

Eh bien, me voilà sans troupe, sans pièce, sans emploi !

MOLIÈRE.

Je n’en ai qu’un à votre service... Celui de moucheur de chandelles.

CORMIER, indigné.

Ah !

Soumis.

J’accepte.

À Molière.

Comment vous aurais-je reconnu ? Vous êtes Molière, et vous disiez du mal des vers de Molière. Ce n’est pas là, ce me semble, l’habitude des auteurs.

DU CROISY.

C’est la sienne.

LA THORILLIÈRE.

Son ami Despréaux n’a-t-il pas fait pour lui ce vers déjà célèbre :

Il plaît à tout le monde, et ne saurait se plaire.

 

 

NOTES

 

 

Page 45.

La Valise de Molière.

 

Il y en avait déjà, dans son histoire, une qui est fort célèbre ; c’est celle qu’il perdit en allant de Gignac à Pézenas, et dont tout le monde a lu l’aventure racontée par M. Taschereau[72], d’après une note du médecin Astruc, l’heureux possesseur du fameux fauteuil de Pézenas[73].

 

 

Page 47.

« De qui parles-tu, Baron ? – De M, Cormier, notre directeur. »

 

Ce Cormier est entré dans l’histoire de Molière, depuis que la publication des Mémoires de Cosnac[74] nous a fait connaître leur rencontre à la Grange-des-Prés, en Languedoc, chez le prince de Conti. On ne savait au juste ce que pouvait être ce directeur de campagne, qui faillit un instant être préféré à Molière. Je pensai qu’il n’était autre que l’opérateur du même nom, qui avait ses tréteaux sur le Pont-Neuf, et qui, de temps en temps, devait, comme Mondor et ses pareils, courir la province avec des comédiens[75]. Mon opinion a été adoptée par les plus compétents. M. Victor Fournel, qui l’avait d’abord repoussée, a fini par la partager dans son curieux livre sur les Spectacles populaires[76].

 

 

Page 47.

« Tu devrais plutôt, petit curieux... »

 

Baron, quand Molière le reprit, en 1670, comme on le verra plus loin, n’avait pas encore tout à fait dix-sept ans. Il était né le 8 octobre 1653, date que M. Jal croit avoir retrouvée le premier[77], mais qui était déjà inscrite – moins le quantième – sur le buste du grand comédien au Théâtre-Français. Elle se rapporte au mieux avec ce que dit Loret, dans sa Muse historique[78], à propos des représentations données en février 1666, sur le théâtre de Molière, par la Troupe Dauphine, dont Baron faisait alors partie : il charma, dit-il,

Quoi qu’il n’ait que douze ans à peine ;

il en avait douze et cinq mois. Baron eut entre autres coquetteries de bel acteur celle de cacher son âge : « Il étoit, lisons-nous dans les Mémoires mss. de Florimond, qui sont à la Bibliothèque de la Ville[79], extrêmement délicat là-dessus ; il se fâchoit avec ses meilleurs amis qui vouloient le pénétrer. Mais, par plusieurs époques, et par le témoignage du feu sieur Descoteaux, son ami d’enfance, mort âgé de 83 ans, on juge que Baron pouvoit en avoir environ 82. » À cacher son âge pour sembler plus jeune, il n’avait gagné qu’une chose : on le vieillissait ! Quand il mourut, le 22 décembre 1729, Il n’avait pas 82 ans, comme vient de le dire Florimond, mais 76 seulement.

 

 

Page 50.

« Le doute où se trouvait un M. Panurge... »

 

Panurge fut de bonne heure un personnage de théâtre. Peut-être même le fut-il avant que Rabelais ne l’eût mis dans son livre. Nous trouvons, en effet, dans une vieille pièce italienne du XVIe siècle, la Fantasia, un valet du même nom : PANURGO, servo[80].

La scène de Panurge et des docteurs, que Molière reprit pour Sganarelle, était elle-même un emprunt fait par Rabelais : « Rabelais, dit Estienne Pasquier[81], qui avoit plus de jugement et de doctrine que tous ceux qui escrivirent en nostre langue de son temps, » se moqua de Crétin, qu’il mit sous le nom de Raminagrobis, et à qui il prit le rondeau :

Prenez-la, ne la prenez pas,

que l’on crut d’abord « de sa boutique, comme d’un mocqueur qu’il estoit, » mais qui se trouvât ère un rondeau adressé « à Cristofle de Refuge, qui lui avoit demandé conseil de se marier. »

 

 

Page 51.

« Le grand chemin du Cocuage... »

 

Ce mot fut de bonne heure dans le répertoire de Molière. Scarron le lui légua, en 1660, par son Testament burlesque, sans se douter que ce qui n’était qu’un mot dans l’Œuvre du grand homme serait une triste réalité dans sa vie[82].

Une pièce du même temps, et, je crois, du même théâtre que la Sybille de Pansoust[83], car elle fut jouée aussi chez Gaston, la Boutade des Comédiens, renferme une scène de Cocu fort plaisante, à laquelle Molière aurait aussi fort bien pu mettre la main[84].

Nous avons vu plus haut[85] qu’il avait fait « un trio de cocus, » pour remplacer un intermède de Sganarelle, où il ne pouvait être mieux placé, on connaît en effet le sous-titre de la pièce : « le Cocu imaginaire. »

Jusqu’à la fin du règne de Louis XV, ces mots passèrent sans faire scandale. En 1773 seulement, ils furent supprimés pour une représentation à Fontainebleau[86]. Mme du Barry se révoltait de ce qu’avait supporté Mme de Maintenon !

 

 

Page 54.

« À merveille, M. du Croisy, à merveille, M. de la Thorillière ! »

 

On sait que ce furent deux des principaux comédiens de la troupe de Molière. Il avait pris Du Croisy, en 1658, dans une troupe de province, dont il était le chef. Molière le forma et en fit un de ses meilleurs sujets[87]. Après avoir joué Tartuffe d’original, il vécut et mourut en vrai dévot : « Quelque temps après la mort de Molière, estant goutteux, dit M. de Trallage dans une de ses Notes manuscrites, il se retira à Constans-Sainte-Honorine, qui est un bourg près de Paris, où il avoit une maison. Ses amis l’y allèrent voir, et il y vescut en fort honneste homme, se faisant aimer de tout le monde, et entr’autres du curé, qui le regardoit comme un de ses meilleurs paroissiens ; il y mourut, et le curé en fut si touché, qu’il n’eut pas le courage de l’enterrer, et qu’il pria un autre curé de ses amis de faire les cérémonies À sa place, à ce que m’a dit M. Guillet de Saint-Georges, en octobre 1695. Il avoit une fille, qui a épousé le fils du sieur Poisson. Elle s’est retirée aussi de la troupe, elle avoit quelquefois de la peine à éviter les sifflets du parterre. »

Le jour où elle voulut, pour la première fois, remplacer Mlle Debrie dans le rôle d’Agnès que celle-ci avait créé sous l’œil du maître, fut un de ces jours périlleux pour la fille de Du Croisy. Le public l’empêcha de continuer, et força en même temps Mlle Debrie de reprendre le rôle sur-le-champ[88].

Si Mlle Du Croisy, plus tard femme de Poisson, le second, fut assez peu estimée comme actrice, elle eut sa valeur comme historienne du théâtre. Personne n’en possédait de meilleurs et de plus lointains souvenirs. Née l’année même de l’entrée de son père dans la troupe de Molière, ayant joué par le choix même du grand homme le rôle d’une des Grâces dans Psyché, à l’âge de quatorze ans ; reçue dans la troupe, l’année de la mort de Molière, elle savait sur lui et sa vie tout ce qu’on en pouvait dire. Malheureusement, elle l’écrivit moins qu’elle ne le conta, et tout ou presque tout s’en alla en ces causeries. Il n’en est resté qu’une lettre assez curieuse, signée d’elle, sur Molière et les acteurs ses contemporains.

Cette lettre, où se trouve le meilleur portrait écrit qu’on ait de Molière, parut dans le Mercure du mois de mai 1740[89]. Madame Poisson avait alors quatre-vingt-un ans, et devait en vivre encore seize, car elle ne mourut que le 22 décembre 1757, à quatre-vingt-dix-huit ans. Il est bien regrettable que ceux à qui elle dut, pendant un si longtemps, répéter et même radoter ses souvenirs, n’en aient rien écrit. Un autre acteur du même temps, qui avait joué avec elle, et qui mourut plus vieux encore, porta la tradition directe de Molière jusqu’à une époque plus voisine de nous et presque contemporaine de la Révolution. Il s’appelait Fierville. Quand il mourut, en 1777, il avait cent six ans. Il était né, par conséquent, en 1671, deux années avant la mort de Molière, et avait pu savoir sur lui par ses anciens camarades et ses élèves, une foule d’anecdotes. Il les contait volontiers, en ajoutant certains traits sur sa manière de jouer ses pièces ; personne n’en a pris note. Noverre se contenta de dire dans la dernière édition de ses Lettres sur la Danse : « Ce Fierville me dévoila une foule de beautés que les autres acteurs m’avoient dérobées. »

La Thorillière, par qui la tradition de Molière aurait pu aussi fort bien se perpétuer, car il laissa trois enfants, tous au théâtre[90], avait été capitaine de cavalerie avant de se faire comédien. Il porta dans sa profession la belle prestance de son ancien état. Il jouait surtout fort bien les rois. On conserve, à la Comédie-Française, trois registres tenus par La Thorillière qui sont, pour l’histoire de la troupe, souvent aussi curieux que celui de Lagrange, et surtout excellents pour le compléter.

 

 

 

Page 54.

« Au moins êtes-vous sur la trace des voleurs ? »

 

Molière eut un soir, du côté du bois de Boulogne, une rencontre avec de prétendus voleurs. Si Chapelle ne l’eût accompagné, il n’aurait pas été beaucoup plus brave qu’Horace en pareil danger.

L’anecdote ne se trouve, je crois, que dans le manuscrit des Particularités et Notes du président Bouhier[91]. « Molière et Chapelle, revenant un soir d’Auteuil, où ils avoient soupe avec quelques-uns de leurs amis, rencontrèrent quelques cavaliers d’assez mauvaise mine que Molière, – lequel estoit fort timide de son naturel, – prit pour des voleurs, en sorte qu’il trembloit de peur, Mais Chapelle qui estoit plus hardi, ou feignoit de l’estre : « Va, va, lui dit-il, mon ami, ils ne sont pas si meschants que tu crois, j’en viens de voir un, qui, en bâillant, a fait un signe de croix sur sa bouche[92]. »

 

 

 

Page 55.

« Le chef de la bande, qui n’était autre que l’Intriguet. »

 

Intriguet ou l’Intriguet était un fameux voleur de ce temps-là ; il ne fut oublié que pour Cartouche, qui absorba sa réputation dans la sienne.

On peut lire ses prouesses dans le curieux petit livre : Heures perdues et divertissantes du chevalier de...[93].

Molière ne pensait-il pas à l’Intriguet, quand il fait dire à un vieux bourgeois babillard, dans la première entrée du dernier ballet du Bourgeois Gentilhomme, ces vers qu’on n’a pas encore expliqués :

Et cela sans doute est laid,
Que notre fille...
Si proprement s’habille
Pour être placée au sommet
De la salle où l’on met
Les gens de l’entriguet.

Ne voulait-il pas dire les gens de l’Intriguet, c’est-à-dire les voleurs ?

Une autre explication serait encore possible. Lantriguet, ou mieux Lantriquet, est le nom bas-breton de Tréguier :

... Il est vers Lantriquet,
Entre Kertronquedic et Kerlonvilacquet[94].

Les « gens de Lantriquet » seraient alors les gens de Tréguier. Comment Molière pouvait-il faire parler à un bourgeois de Paris de ces gens-là, qui ne devaient guère encombrer le paradis de son théâtre ? Je ne sais, mais peut-être faut-il voir dans cette entrée de ballet le débris d’une scène pareille, qu’il aurait faite, dans sa jeunesse, lorsqu’il était en Bretagne, par exemple à Nantes, où l’on sait qu’il alla, et où les Bas-Bretons de Lantriquet étaient bien autrement connus qu’à Paris ?

Cette manière de faire double emploi d’une scène était assez dans ses habitudes : celle même dont nous parlons ne lui servit-elle pas pour sa pastorale les Festes de l’Amour et de Bacchus, qu’il fit avec Quinault et Lulli au mois de juin 1672 ; elle en est le prologue.

 

 

 

Page 56.

« Ses grands airs et sa langueur... »

 

La femme de Molière avait, dans sa coquetterie, une affectation de langueur, que son mari n’oublia pas quand il la peignit si bien, en faisant le portrait de la Lucile du Bourgeois Gentilhomme[95], où tout le monde la reconnut :

« COVIELLE : Elle affecte une nonchalance dans son parler et dans ses actions.

« CLÉONTE : Il est vrai, mais elle a grâce à tout cela, et ses manières sont engageantes, ont je ne sais quel charme à s’insinuer dans les cœurs ! »

 

 

Page 58.

« Pour avoir joué, avec son négrillon du Maroc, quelques parades en plein vent. »

 

Chaque opérateur avait son nègre, son Marocain, faux ou vrai, de plus ou moins bon teint, qui lui donnait la réplique, et à qui l’on finit par prêter tout un répertoire, comme à Tabarin lui-même. M. de La Vallière possédait[96] en plaquette rarissime : Le Théâtre des Farces de Maroquin, avec son testament drolifique, in-12.

 

 

 

Page 58.

« Lui-même qui court depuis quelques années le pays avec sa troupe... – Une bande qu’il appelle noblement sa compagnie. »

 

Ce fut une grosse affaire au XVIIe siècle parmi les comédiens, surtout parmi ceux qui se croyaient les premiers de tous, MM. de l’hôtel de Bourgogne, de savoir s’il fallait dire compagnie, troupe ou bande de comédiens. MM. de l’Hôtel tenaient pour compagnie et repoussaient bande avec indignation} on coupa le différend, en choisissant le mot intermédiaire troupe, qui est resté.

MARIN.

Monsieur, on vous demande,
C’est un comédien.

LE BARON,

Parbleu, voicy la Bande.

LE MARQUIS.

Dites Troupe : l’on dit bande d’Égyptiens ;
Et bande offenserait tous les comédiens[97].

 

 

 

Page 60.

« Vous, Du Croisy, vous êtes Joguenet... »

 

Ce nom de Joguenet devait être un nom de farce, comme celui du Joquesus, dont il est parlé dans le Monologue des Perruques, de Coquillart, et comme celui de Jocrisse, avec lequel sa première syllabe lui donne aussi un air de parenté, et qui courait déjà les ballets burlesques, au commencement du XVIIe siècle[98].

Notre ami P. Lacroix nous demande s’il n’y aurait pas dans ce nom Joguenet ou Joguenez (jouant du nez), une allusion à certaines farces où Molière aurait amusé, après boire, « en jouant de son nez, » comme il est dit dans la Satyre des Satyres de l’abbé Cotin. Je le pense d’autant moins, que le passage en question de la satire contre Boileau : 

Son Turlupin l’assiste, et jouant de son nez.
Chez le sot campagnard gagne de bons dînés[99]

ne s’applique pas à Molière, comme on l’a dit et répété, même dans les meilleurs livres sur sa Vie[100], mais au frère même de Boileau, à Puymorin, qui possédait, à un degré très comique, ce talent «de jouer du nez, » que Molière n’avait pas, que je sache, et dont, en tout cas, il n’eût pas fait parade aux desserts. Puymorin, disait une chanson du temps[101],

Puymorin, le héros des quays,
Depuis chez luy jusqu’au marais,
Fait résonner son nez si juste[102],
Que sans les satiriques traits
De ses frères au sang aduste
Toute la ville à communs frais,
À moins que d’être plus injuste
Qu’envers Nazon ne fut Auguste,
Luy devroit ériger un buste.

Dans la Bastonnade, virelay satirique contre Boileau, encore inédit[103], on lit, à propos de Puymorin :

Là ce valet d’empirique,
Son impertinent jumeau,
Affourché sur un tréteau,
S’emplit comme une barrique
Et vomit dans le caveau ;
Puis, pour plaire au damoiseau,
Montant sur un escabeau,
Et ceint d’un grand devanteau,
Et d’un torchon en fronteau,
Il fait l’orgue du museau.

 

 

Page 64.

« ...Ce qu’est La Roque au théâtre du Marais. »

 

Nous avons assez longuement parlé de ce comédien lettré qui encouragea Corneille pour son Polyeucte, qu’on repoussait, et qui fut l’un des premiers guides de Racine, dans nos notes sur le Théâtre françois de Chapuzeau, Bruxelles, 1867, in-18, p. 142, 162 ; nous nous contenterons d’y renvoyer.

 

 

Page 66.

« Et là dessus, à toute heure, un bruit qui, je crois, ne finira pas, –  Surtout s’ils se marient. »

 

Molière ne savait que trop ce que le mariage ajoute de désaccords aux mésintelligences entre amoureux : il se maria cependant, oubliant qu’il avait fait dire, bien peu de temps auparavant, à la Done Elvire de son Don Garcie[104] :

L’hymen ne peut nous joindre et j’abhorre des nœuds,
Qui deviendraient sans doute un enfer pour tous deux.

 

 

Page 70.

« Une simple brunette, comme Benserade en a tant fait... »

 

Molière et Benserade s’aimaient peu, d’instinct ; quand ils se rapprochèrent, par ordre, pour faire chacun une part du Ballet des Muses[105], ils s’aimèrent encore moins. Benserade s’indigna qu’on l’eût mis dans la compagnie d’un autre, pour un de ces ballets de cour que jusqu’alors il avait réglés seul.

Il fit toutefois, le roi ordonnant, contre fortune bon cœur, et glissa même, pour bien montrer qu’aucun voisinage ne lui portait ombrage, l’éloge de son rival, en un quatrain flatteur, qui se terminait par ce vers :

Mais il est dangereux avec lui d’être un fat,

dont un peu plus tard il connut à ses propres dépens toute la justesse.

En 1670, le roi voulut que Molière lui fît une nouvelle comédie-ballet pour les fêtes de Versailles, et cette fois il le demanda seul, sans aucun mélange de Benserade. Celui-ci, tout en rage, ne manqua pas à la fête, guettant les vers dont il pourrait rire et amuser les autres. Les Amants magnifiques furent la comédie demandée à Molière. À la 5e scène de la IIIe entrée, des Satyres chantaient en chœur :

Et tracez sur les herbettes
L’image de nos chansons.

Benserade, en sortant, fredonna tout haut cette parodie :

Et tracez sur les herbettes
L’image de nos chaussons ;

on en plaisanta beaucoup. Molière, qui le sut, jura d’avoir une revanche.

La pièce avait paru froide ; le roi n’y était pas assez chanté, par lui-même, et parles autres : Molière n’avait point pour cela le style qui convient. Afin de se tirer d’affaire, il prit, pour ce qu’il ajouta la seconde fois, celui de Benserade.

Quelques couplets qu’il arrangea dans sa manière, pour le premier intermède, où le roi représentait Neptune :

Le ciel entre les dieux les plus considérés
Me donne pour partage un rang considérable ;...

et pour le sixième et dernier, où il jouait le Soleil :

Je suis la source des clartés...

eurent un succès immense à la fête qui suivit. Les courtisans crurent que Benserade avait été rappelé pour rendre le ton et l’accent à ce ballet sans couleur, et ils le complimentèrent à outrance de ce retour que les vers récités par le roi avaient trahi.

Il se laissa congratuler, sans presque se défendre, jusqu’à ce que Molière, ayant déclaré bien haut qu’il n’y avait pas dans les six intermèdes des Amants magnifiques un seul vers qu’il n’eût fait tout seul, Benserade en fut pour ses frais de vanité et sa courte honte[106].

Parmi les ballets qu’il avait écrits, il en est un que je ne veux pas oublier, à cause d’une particularité bonne à noter pour le commentaire d’un passage de Molière ; ce ballet est celui de Cassandre, dansé le 26 février 1651. On y voit, entre autres personnages, Gombaut et Macée, ces héros de tapisserie, si fameux avec leurs amours, depuis le mémoire de La Flèche dans l’Avare. Voici ce qu’ils disent :

Afin de faire honneur à la galanterie
De la jeune Cassandre et de son grand héros,
Nous venons de sortir d’une tapisserie
Où nous estions fort en repos[107].

On sait qu’il y a quatre ou cinq ans cette tapisserie a fort occupé les érudits. M. Achille Jubinal, qui en avait retrouvé un exemplaire – c’est le mot – qu’il croyait unique, donna l’éveil par une curieuse lettre publiée dans l’Indépendance Belge du 20 février 1863. On répondit de plusieurs endroits que d’autres tapisseries toutes pareilles existaient ailleurs ; M. H. Gariel écrivit une brochure, avec planche, pour décrire celle qui existe à Grenoble[108], et dernièrement le musée de Saint-Lô avait envoyé à l’Exposition universelle, où tout le monde a pu les voir dans la section de l’Histoire du Travail[109] : « trois panneaux d’une tenture composée de huit pièces, les amours de Gombaut et Macée. »

 

 

Page 71.

« Les Turlupins de Cour... »

 

Pour savoir ce qu’étaient les mauvais plaisants, faiseurs de pointes, qu’on appelait ainsi, il ne faut que se rappeler ce que dit Élise sur les turlupinades du marquis, dans I[110], et ces vers de Boileau dans l’Art poétique[111] :

Toutefois à la Cour les Turlupins restèrent,
Insipides plaisants, bouffons infortunés,
D’un jeu de mots grossier partisans surannés.

 

 

Page 71.

« Quand chacun dut faire, pour célébrer les conquêtes du roi, des beaux feux de joie, en pleine canicule. »

 

Ces feux de joie étaient d’usage, quand il arrivait quelque chose d’heureux pour la politique conquérante du roi, ou même seulement pour sa santé. C’est ainsi qu’en 1663 tout bon Parisien brûla quelques douzaines de fagots devant sa maison, pour se réjouir de ce que S. M. avait échappé au danger d’une rougeole assez pernicieuse. Il en est question dans une lettre fort intéressante au comte de Saint-Aignan[112], trouvée par M. Ludovic Lalanne, à la bibliothèque de l’Institut (collection Godefroy), et portant au verso du dernier feuillet cette notule curieuse, qui l’engagea tout aussitôt à la publier : on attribue cette pièce à Marigny ou... à MOLIÈRE.

Cette dernière attribution que rien ne dément dans la pièce, et qu’au contraire la fin semble tout à fait justifier, nous fait un devoir de publier ici cette lettre, un peu longue si elle est du chansonnier Marigny, trop courte si elle est de Molière :

« Il est certain, Monsieur, que les feux de joie que l’on a faits à Paris pour la santé du Roy ont rassuré les peuples que le danger de sa maladie a jetés dans une consternation qui ne se peut exprimer. Mais cette tendresse que les François ont naturellement pour leur prince ne sera point satisfaite que par le retour de Sa Majesté, et si l’on n’étoit assuré qu’il ne diffère plus que pour reprendre ses forces, Paris porteroit beaucoup d’envie à Versailles.

« Je vous avoue, Monsieur, qu’il est mal aisé de choisir un séjour plus propre pour se délasser des travaux de la royauté, et que l’on ne peut descendre du trône dans un lieu plus commode pour y goûter les plaisirs d’une vie douce et tranquille. Cette maison, qui, du temps du feu roy, n’étoit qu’un rendez-vous de chasse, maintenant est appelée Il buen retiro de la felicitad. Fontainebleau, Saint-Germain et les autres maisons royales, dans la magnificence desquelles on peut remarquer les efforts de l’architecture, font confesser à ceux qui en admirent la grandeur, que de semblables bâtiments ne peuvent être habités que par le plus grand roy du monde. Mais en l’état qu’est Versailles, le plus grand roy de la terre y trouve la même satisfaction qui se rencontre dans ces vastes et superbes bâtiments, et des embarras qui sont presque toujours inséparables de la grandeur :

« Cependant qu’il n’étoit que Roy
« Et que ses invincibles armes
« Ne savoient que donner d’invincibles alarmes
« À ces fiers ennemis, qu’il rangeoit sous sa loy,
« Lorsqu’il ne s’appliquoit qu’à rendre par la guerre
« La France formidable au reste de la terre,
« Le seul financier, bien en paix,
« De nos nécessités bâtissoit des palais ;
« Et passant près du Louvre, à peine de la rue
« Voyoit-on sur ses murs une chétive grue.
« Il n’en est pas de même désormais ;
« Car depuis que la paix a calmé la tempête,
« Et que le roy s’est mis en tête
« De joindre à sa qualité
« De Majesté
« Celle de la surintendance,
« Il acquière, il bâtit, il fait belle dépense,
« Et de cent et cent quartiers,
« À tous moments on découvre
« Et cent et de cent ouvriers
« Qui vont travailler au Louvre,
« Du partisan déchu quittant les ateliers ;
« Et Versailles aujourd’hui peut plaire aux financiers.
« D’où je tire ma conséquence
« Qu’on doit croire infailliblement
« Que quiconque veut en France
« S’accommoder promptement
« Et vivre dans l’abondance,
« Il n’a qu’à tacher seulement
« À se rendre, s’il peut, maître de la finance.

« Je m’imagine, Monsieur, que vous me faites bien la justice de croire que ce n’a pas été la curiosité des beautés de Versailles qui m’a fait y aller, mais le zèle de savoir l’état de la santé de S. M. pour laquelle personne ne fera jamais de vœux plus ardents que moi, qui me tiendrois le plus heureux du monde, si, lorsque S. M. eut la bonté de me permettre, comme aux autres, de la voir en l’état qu’elle étoit, elle avoit remarqué sur mon visage les différents effets de la crainte et de la douleur que m’avoit causées son mal, et le désespoir que j’avois de sa guérison. Mais, Monsieur, peut-on assez louer la force de l’esprit de S. M. qui n’a pas voulu suspendre un moment l’application qu’elle a pour le bien de l’État qu’elle préfère à sa propre santé ? Je pourrois en ce lieu faire de belles réflexions sur cette belle et inimitable conduite de S. M, mais, Monsieur, il me suffira de vous dire seulement que

« Il est des rois à qui pour leurs affaires
« Les soins d’un tiers sont nécessaires.
« Ils s’en reposent sur autrui ;
« Mais le notre entend bien les siennes,
« Et je m’en fierois bien à lui
« S’il vouloit prendre soin des miennes.

« Et con questo, illustrissimo conte, mio Signore, baccio le mani a vostra Signoria illustrissima, vous conjurant de ne prêcher autre chose, au lieu où vous êtes, sinon que le roi retourne promptement à Paris, et qu’il ménage sa santé si précieuse et si nécessaire au salut de l’État.

« Et vous pouvez en vérité
« Raconter à Sa Majesté,
« Et lui dire en toute assurance
« Qu’il n’est pas le seul aujourd’hui
« Qui se trouve fort mal en France
« Pour en avoir trop pris sur lui[113]. »

Ces derniers mots conviendraient bien à Molière, qui tout à la fois directeur, auteur, acteur, s’était mis tant de choses sur les bras.

 

 

Page 73.

« La matinée d’Auteuil. »

 

Tout le monde savait que Molière avait une maison de campagne à Auteuil, mais ce qu’on ignorait avant les savantes et si heureuses Recherches de M. Eudore Soulié, c’est qu’il n’avait là qu’un assez modeste établissement, dans une maison dont il était simplement le locataire[114], et qu’il lui eût été impossible d’y donner des repas, comme le fameux souper d’Auteuil, dont on a trop parlé.

Un récit de cette aventure, resté inédit jusqu’à présent, va nous donner raison ; on y verra que si le souper eut lieu, avec les circonstances déjà connues, ce ne fut pas dans la maison même de Molière. Ce récit est de l’abbé de Choisy, toujours bien renseigné sur les anecdotes de son temps :

« Chapelle et trois ou quatre de ses amis, dit-il[115], après avoir esté six heures à table dans une maison d’Auteuil, se mirent à raisonner philosophie, et conclurent que la vie étant pleine de misères, ils feroient bien de se noïer pour finir l’affaire. Ils partent aussitôt et prennent le chemin de la rivière.

« Molière, qui estoit avec sa femme dans une maison voisine, averti par quelque valet : « Mes amis, leur dit-il, j’en veux estre ; vous avez raison, allons, je me veux jetter le premier. » Il avance deux pas, et puis leur dit : « Mais j’y songe, voulons-nous mourir, comme des coquins, la nuit ? Non, non, rendons notre mort célèbre, et noïons-nous demain en plein soleil. Caton, Brutus, tous ces messieurs-là ne nous viennent pas à la jarretière. » Il persuada les ivrognes et les ramena chez eux, où le sommeil leur rendit la raison...

«  Chapelle, dans un accès d’ivresse, s’estoit donné un coup de couteau à la gorge, et en portoit la cicatrice. Quelqu’un luy demanda un jour qui luy avoit fait cette balafre : « Hélas ! monsieur, luy répondit-il, c’est un fol. »

 

 

Page 73.

« Et cet air enjoué qui la pare si bien. »

 

Ce vers peut parfaitement convenir à Armande, qui savait mêler dans sa physionomie, toute de caprice, la langueur avec l’enjouement, et faire de tout cela l’ensemble le plus piquant : « Sans être belle, a dit Grandval le père, dans une note reprise par Cizeron-Rival[116], elle étoit piquante, et capable d’inspirer une grande passion. »

 

 

Page 78.

« Si tu partis, la faute n’en fut pas à toi, mais à elle. »

 

Nous avons déjà parlé dans le Roman de Molière[117], des circonstances qui éloignèrent Baron dé sa maison et de son théâtre, pendant quatre ans, de 1666 à 1670 ; nous n’y reviendrons pas.

 

 

Page 78.

« En trouvant dans ta jeune amitié celle que j’espérais d’un fils trop tôt perdu. »

 

À l’époque dont nous parlons, Molière avait perdu Louis, son premier fils, né le 19 janvier 1664, et mort le 11 novembre suivant. M. Soulié[118] est le premier qui publia cette date, importante pour la biographie de Molière. M. Taschereau n’avait pu que dire[119] : « Cet enfant mourut avant son père. »

 

 

Page 78.

Je reçus de vous de si précieuses leçons. »

 

Il est parlé, dans la Fameuse Comédienne[120], des soins que Molière avait pris de l’éducation de Baron : « Il tenoit Baron chez lui comme son enfant, n’épargnant rien pour le faire paroistre, et cultivant avec des soins extrêmes les dispositions qu’il avoit à devenir bon comédien. » À la mort de Molière, il quitta la troupe et alla porter au théâtre rival, celui de l’Hôtel de Bourgogne, le talent qu’il devait au maître : «Aussitôt qu’il (Molière) fut expiré, lit-on clans le même petit livre[121], La Thorillière, Beauval, sa femme et Baron, voyant qu’ils avoient perdu leur meilleur appui, quittèrent le Palais-Royal pour aller à l’Hôtel de Bourgogne. »

Le théâtre de la veuve souffrit beaucoup de ce quadruple départ. En 1677, il en était encore bien malade : Je ne saurais, écrit à cette date Mme Deshoulières dans sa lettre en chansons[122],

Je ne saurois vous dire rien
Ni du théâtre Italien,
Ni de celui de la Molière ;
Ils sont, selon moi, but à but,
Et pour gens à grand caractère,
Hors de l’Hôtel point de salut.

En 1680, quand les deux théâtres n’en firent plus qu’un seul, dans la salle de la rue Mazarine, le succès y vint avec Baron. Il excellait surtout dans les rôles qu’il avait vus jouer à Molière, et qu’il jouait avec un ait d’une simplicité parfaite « sans déclamer jamais, » dit Collé, qui l’avait entendu dans sa jeunesse. C’étaient entre autres le Misanthrope, Arnolphe, etc.

À sa mort, le public, se défiant des acteurs qui les reprendraient, sans avoir, comme lui, la tradition directe du maître, négligea tout ce répertoire : « Si les pièces de Molière, écrivait J.-B. Rousseau, le 10 août 1739, sont aujourd’hui peu courues, cela ne peut venir que de la négligence des acteurs à les représenter. Souvenez-vous de l’affluence du monde qui accourut à l’École des femmes quand Baron représentoit le rôle d’Arnolphe[123]

 

 

Page 78.

« Du bonheur cahoté... – En mauvaise charrette, sur de mauvais chemins... »

 

Molière, dans ses courses à travers le Languedoc, avait connu ces cahots de la vie du comédien en charrette. Même lorsqu’il allait jouer chez le prince de Conti, S. A. ne lui procurait pas d’autre équipage. M. de Poitevin de Saint-Cristol, dans une lettre à Cailhava, citée par celui-ci dans ses Études sur Molière[124], et qu’on n’a pas assez reprise, parle d’un ordre de ce genre donné par le prince pour voiturer Molière et ses gens : « La lettre du prince de Conti aux consuls le Pézenas, dit-il, ne contient rien de bien remarquable. Elle leur ordonne d’envoyer des charrettes à Marseillan, pour transporter de là à La Grange-des-Prais (sic) Molière et sa troupe. Je n’ai pu m’en procurer la lecture, elle a été enlevée dans ces derniers temps des archives de la commune, et l’on ne sait ce qu’elle est devenue... La seule chose relative à Molière, consignée dans les archives de Marseillan, ajoute-t-il plus loin, c’est qu’il fut établi une imposition sur les habitants de ce bourg, pour indemniser Molière, qui étoit allé avec sa troupe y jouer la comédie. »

 

 

Page 79.

« Il nous a conduits de Mâcon jusqu’à cet endroit... »

 

C’est en effet dans une troupe qui avait joué à Mâcon et dont Beauval et Jeanne Bourguignon faisaient aussi partie, que Molière reprit Baron, qui dès lors ne le quitta plus[125].

 

 

Page 82.

« La scène d’une fille de chambre, qui veut entrer en service... – Chez la femme d’un docteur. »

 

C’est-à-dire chez la femme d’un médecin. Molière et sa femme avaient eu maille à partir avec une doctoresse de cette sorte, dont le mari était leur propriétaire, et le bruit courut que ses attaques contre les médecins dataient de cette querelle. Quand l’Allemand Nemeitz vint à Paris, en 1722, l’anecdote n’était pas oubliée. « On dit, écrit-il[126], que la haine de Molière contre les médecins vient de ce que sa femme ne put s’accorder avec une doctoresse, dans la maison de qui ils logeoient[127]. La dame la fit déguerpir, mais la Molière lui rendit la pareille ; une fois qu’elle étoit à la comédie, elle la fit renvoyer[128]. »

 

 

Page 83.

« Comme Hubert, Madame d’Escarbagnas au Palais-Royal. »

 

Nous empiétons un peu sur le temps en parlant ici de la Comtesse d’Escarbagnas, qui ne fut jouée que plus tard, en 1672. – C’est en effet Hubert qui joua le rôle[129].

 

 

Page 83.

« Il pourra me servir pour Madame Pernelle. »

 

Ce rôle, essayé par Molière à Versailles avant que le Tartuffe ne fût complet[130], fut joué définitivement par Béjard le cadet[131].

 

Page 86.

« Je donne aussi fort bien les remèdes... »

 

Voilà qui sent bien son auteur du Malade imaginaire. Je crois que dans la scène même de Molière, il devait y avoir un synonyme plus franc et qu’on devine, mais quand elle fut imprimée, en 1695, on était revenu de tant de franchise, et remède avait prévalu. Mirabeau, qu’on n’attendait guère ici, va nous dire comment, par un passage de cet étrange livre, l’Erotika-Biblion, qui doit moins compter parmi ses œuvres que parmi les débauches de sa jeunesse : « Les jésuites, qui savaient que le mot ignoble de lavement avait succédé à celui de clystère, employèrent leur crédit auprès de Louis XIV, pour obtenir que le mot lavement fût mis au nombre des mots déshonnêtes. L’abbé de Saint-Cyran reprocha au P. Garasse de l’avoir employé. « Je ne m’en suis servi que comme synonyme de gargarisme, » répondit-il. Ce sont les apothicaires qui l’ont employé à une chose plus basse. Enfin, il fût arrêté qu’on substituerait le mot remède au mot lavement. Le Roi lui-même, d’après les observations du P. Letellier, ne dit plus : « Donnez-moi mon lavement, « mais » donnez-moi mon remède. » L’Académie eut l’ordre d’insérer dans son dictionnaire le mot remède, avec la nouvelle acception... Digne objet d’une intrigue de cour ! »

 

 

Page 86.

« Ne sais-tu pas aussi, là, faire un peu de pommade pour le visage. »

 

C’est la pommade des Précieuses ridicules, qui faisait tant gronder Gorgibus[132] : « Ces pendardes là avec leur pommade ont, je pense, envie de me ruiner. Je ne vois partout que blanc d’œuf, lait virginal, et mille autres brimborions que je ne connais point. Elles ont usé, depuis que nous sommes ici, le lard d’une douzaine de cochons pour le moins, et quatre valets vivroient tous les jours des pieds de mouton qu’elles emploient. » – « Il est bien nécessaire, leur dit-il à elles-mêmes un instant après, de faire tant de dépense pour vous graisser le museau ! »

L’abbé de Choisy, dans son étrange Histoire de la comtesse des Barres, parle aussi de ces pommades : « Elle avoit eu, dit-il de la Comtesse du Tronc, un très grand soin de son col, qu’elle frottoit tous les jours avec de l’eau de veau et de la pommade de pieds de mouton, ce qui rend la peau douce et blanche[133]. »

 

 

Page 87.

« Comme ces ignorants d’apothicaires font leur thériaque... »

 

La thériaque se faisait avec le résidu de toutes les officines. Ce n’était une panacée, un remède universel, que parce qu’il y entrait de tous les remèdes, ou peu s’en faut. Sa fabrication était l’œuvre solennelle de tous les apothicaires réunis en séance particulière, une fois par an[134].

Molière n’aimait pas les apothicaires beaucoup plus que les médecins. Il leur a fait la même part de ridicule dans sa comédie du Malade et dans la Cérémonie qui la suit[135].

Son M. Fleurant, auquel me faisait penser dernièrement un mémoire... d’apothicaire[136] du dernier siècle portant cet article : « Pour un lavement posé et mis en place : quinze sols, » n’a qu’à se nommer pour être comique.

On sait l’anecdote sur ce personnage, dont le nom prédestiné[137] aurait été celui d’un véritable apothicaire, rencontré par Molière à Lyon, pendant le séjour qu’il y fit en 1654[138].

M. Taschereau[139], qui tenait cette histoire de M. Beuchot, à qui un descendant du vrai Fleurant l’avait contée, en doute un peu, à tort ou à raison. Ce que j’en puis dire, c’est qu’il y eut longtemps des Fleurant à Lyon, et que, dans le nombre, quelques-uns furent des savants en physique ou en chimie, ce qui indiquerait volontiers parmi les ancêtres de la famille des médecins ou des apothicaires.

Le lyonnais qui fit, sur la place Bellecourt, avec sa compatriote Mme Tille, la première ascension dans la montgolfière le Gustave, dont il vint, le 30 juin 1784, rendre compte lui-même à l’Académie des sciences, s’appelait M. Fleurant[140].

Ce nom véritable, donné à un personnage de comédie, exerçant le même état que l’individu même, n’est pas chose surprenante cette époque des personnalités excessives sur le théâtre. N’avait-on pas eu la fameuse parodie du Chapelain décoiffé, jouée publiquement en province, devant la plus sérieuse assemblée[141] ? Molière, à qui, de même qu’aux acteurs de sa troupe, l’usage du masque fut longtemps familier, n’avait-il pas joué le Mascarille des Précieuses avec un masque à la ressemblance d’un marquis ridicule[142], et fait représenter les docteurs de l’Amour médecin par des comédiens masqués de même ? « Tout Paris, écrit Gui-Patin le 25 septembre 1665[143], » – trois jours après la première représentation, – va en foule voir représenter les médecins de la cour et principalement Esprit et Guénault, avec des masques faits tout exprès[144]. »

Molière, qui n’avait guère foi aux consultations des médecins n’avait pas plus confiance aux drogues des apothicaires. Les remèdes que pouvaient lui procurer ses amis lui agréaient davantage.

On découvrit, il y a deux ans, rue du Roi-de-Sicile, dans une liasse de vieux papiers provenant de je ne sais quelle succession, trois billets signés Molière, qui peuvent être authentiques, et dont les deux plus intéressants sont : le premier, une requête du poète malade à un de ses amis, pour un remède ; l’autre, une invitation à venir jouer une potion au tric-trac.

Pour ne pas être plus défiant que le Journal des Débats, qui a publié ces billets[145], voici ceux dont je parle :

« A Mons. Haguenau, au Marais.
« Monsieur mon amy,
« Envoyez-moy, je vous prie, trois onces de votre excellente conserve à la rose, à cause d’une violente coqueluche qui m’est survenue hier dans le Malade imaginaire.

« J.-B. P. MOLIÈRE. »

« Monsieur mon amy,
« Comme je dois être seul demain soir, faites-moi l’amitié de « venir jouer céans deux laits de poule au tric-trac.

« J.-B. P. MOLIÈRE. »

 

 

Page 88.

« Comme vous êtes excellents tous les deux, je vous engage. »

 

Molière prit, en effet. Beauval et Jeanne Bourguignon dans la troupe où il avait retrouvé Baron[146]. J’ai seulement imaginé de ne les marier qu’à ce moment-là, tandis qu’en réalité leur mariage, dont les circonstances curieuses ont été racontées partout[147], datait de quelques années déjà. Ils avaient même trois enfants, quand ils entrèrent dans la troupe de Molière[148] ; ils en eurent bien d’autres. De ce que la Beauval fut très féconde, on lui fit une fécondité prodigieuse : Lemazurier lui prête vingt-huit enfants ; Aimé Martin se rabat à vingt-quatre ; mais M. Jal ne lui en compte que dix. Je crois que la vérité est entre les deux chiffres. Selon moi, la Beauval eut au moins seize enfants, et voici sur quoi je me fonde : le 9 janvier 1678, Laurent, dans sa rarissime Galette en vers, parle du baptême de l’un des enfants de la Beauval, dont S. A. R. le duc d’Orléans avait daigné être le parrain, et il constate, en passant, que cet enfant était le treizième qu’elle avait eu. Or, après cette naissance, qui, par parenthèse, avait échappé à M. Jal dans ses recherches sur les Registres des paroisses, il y en eut, comme il le prouve, trois autres encore dans ce fécond mariage : celle d’une fille, Louise, le 2 juin 1679 ; celle d’un fils, Pierre-César, le 15 février 1687, et celle enfin d’un dernier fils, le 23 juillet 1689. La Beauval eut donc seize enfants au moins, et comme M. Jal, qui ne vit pas l’acte de 1678, a pu fort bien en laisser aussi échapper d’autres, je penserais volontiers qu’elle alla jusqu’à la vingtaine, peut-être même jusqu’aux deux douzaines, suivant le compte d’Aimé Martin.

Je suis entré dans tant de détails sur cette fécondité, parce qu’en de telles proportions elle est un fait rare chez les comédiennes, mariées ou non, et parce que l’embarras qui en résulta souvent pour la Beauval faillit être cause qu’étant acceptée par Molière, elle ne le fût pas d’abord par le Roi.

Elle était enceinte quand, sur la proposition de Molière, Sa Majesté lui donna l’ordre, aii.ai qu’à son mari, de quitter la troupe qui jouait à Mâcon, pour venir à Paris[149].

Molière lui destina tout d’abord, dans le Bourgeois Gentilhomme, qu’il achevait alors, le rôle de Nicole, dont la Béjard, qui lui avait joué Dorine l’année d’auparavant, ne pouvait se charger faute de jeunesse et de force. Elle mourut épuisée un peu plus d’un an après.

Comme essai du talent de la Beauval sur le public, Molière la fit jouer sur son théâtre, avant de l’aventurer sur celui de la cour : elle réussit[150]. À Chambord, où la troupe alla bientôt pour des représentations que la première du Bourgeois Gentilhomme devait couronner, le succès de l’actrice fut moindre : alourdie, épaissie par sa grossesse, elle ne plut pas au Roi qui aimait, avant tout, l’élégance. Si Molière n’eût tenu bon, la pauvre Beauval eût été renvoyée avant de jouer le rôle de Nicole. File le joua, et fut si parfaite que Sa Majesté voulut bien dire à Molière : « J’accepte votre actrice. »

C’était le 15 octobre 1670 : un mois juste près, jour pour jour, revenue à Paris, elle accouchait d’une fille, dont Molière, pour lui prouver sa satisfaction, consentait à être le parrain, avec Mlle Debrie, près de laquelle les coquetteries de sa femme, plus flagrantes que jamais à Chambord, l’avaient forcé de chercher des consolations, et qui donna, comme marraine, à l’enfant, son prénom de Catherine.

Ce ne fut pas la seule preuve d’amitié de Molière pour la Beauval ; parrain d’une de ses filles en 1670, il fut son compère trois ans après. Le 10 février 1673, il tint avec elle sur les fonts de l’église Saint-Sauveur la fille de Beauchamp, comédien de la troupe du duc de Savoie[151]. Il y avait, dans le choix que Molière faisait de cette commère, un nouveau remerciement pour la Beauval et pour les siens. La veille même, avait eu lieu la représentation du Malade imaginaire : la Beauval avait joué Toinette de façon à ravir tout le monde, même l’auteur ; Beauval, qui excellait dans les naïfs, n’avait pas été moins applaudi dans le rôle de Thomas Diafoirus, et leur fille aînée, alors âgée de huit ans, s’était elle-même tirée non moins heureusement de celui de la petite fille, dont le nom, Louison, était un souvenir du sien, Louise

Molière, qui jouait le Malade, n’alla pas au-delà de la troisième représentation. Huit jours juste après la première, il mourut, comme on sait, laissant tout le monde inconsolable, excepté sa veuve : « Il est vrai, écrivit, quatorze jours après, le comte de Limoges à Bussy-Rabutin, que la perte de Molière est irréparable : je crois que personne n’en sera moins affligé que sa femme ; elle a joué la Comédie hier[152]. «  À quoi Bussy répondit : « La femme de Molière ne se contraint pas trop de monter sur le théâtre treize jours après la mort de son mari[153]. Elle peut jouer la comédie à l’égard du public : mais sur le sujet du pauvre défunt, elle ne la joue guère ; à ce que je vois, son deuil ne lui coûtera pas beaucoup. »

 

 

Page 88.

« Nous jouerons demain le Tartuffe au Raincy. »

 

C’est en effet au château du Raincy, où la princesse Anne de Gonzague avait succédé, comme propriétaire, à l’intendant des finances Bordier, que le Tartuffe complet fut joué pour la première fois. Je n’ai fait qu’anticiper sur la date de cette représentation, qui ne concorda pas – il s’en faut de cinq ans – avec le retour de Baron et l’entrée des Beauval dans la troupe de Molière.

La pièce, n’ayant encore que trois actes, avait été essayée devant le roi, à Versailles, au mois de mai 1664, à la fin de la sixième journée des Plaisirs de l’île enchantée.

« May (1664). – Le lundy 12 au soir, le roy fit représenter à la Mesnagerie, dans le double salon, par la troupe de Molière, les trois premiers actes du Tartuffe. » Voilà ce que dit dans le manuscrit de son Journal du Théâtre françois[154], à la Bibliothèque Impériale, le chevalier de Mouhy, d’après le second registre de Molière, qu’il avait entre les mains.il y a cent ans.et qui a disparu.

C’est la mention la plus curieuse et, quoique bien courte, la plus étendue[155], qu’on ait de ce premier essai du Tartuffe. Quoiqu’incomplet, il effraya, et Molière eut ordre de ne pas poursuivre. Quelques mois après, pourtant, le roi revint sur cette décision ; il voulut une nouvelle épreuve, plus à bas bruit, sur terrain neutre, mais devant sa mère, autour de qui s’était groupée la cabale dirigée par l’abbé Roquette qui, pour cause d’allusions personnelles, se montrait le plus hostile à ce que l’on connaissait de l’œuvre commencée. Villers-Cotterêts, propriété de Monsieur, fut le château choisi pour cette seconde épreuve, dont on n’avait pas jusqu’ici apprécié l’importance, parce qu’on ignorait qu’elle s’était faite par ordre du roi, devant lui et devant les reines, sa mère et sa femme. C’est encore le chevalier de Mouhy[156] qui va nous en parler, et toujours sans doute d’après ce qu’il appelle le second registre de Molière : « 24 septembre (1664). – Les comédiens du Palais-Royal se rendirent par ordre du roy à Villers-Cottrets où ils jouèrent devant Monsieur, en présence du Roy et des Reines les trois premiers actes de Tartuffe[157]. »

L’épreuve ne satisfit pas, à ce qu’il semble, car la pièce ne reparut plus dans les spectacles de la cour. Trois semaines après Molière, mandé à Versailles, ne la joua pas. Il continuait toutefois d’y travailler, et si bien que le mois suivant il put en donner une représentation complète.

Condé, qui alors continuait la Fronde par l’irréligion, l’avait encouragé pour cet achèvement de l’œuvre anti-dévote. Il en eut la primeur, non pas à Paris, ni dans un de ses châteaux, de peur de se mettre ainsi en trop flagrante opposition avec la cour et la reine-mère, mais chez sa bonne amie, Anne de Gonzague[158], dont la maison était son terrain neutre, à lui.

Sous la date du 29 novembre 1664, Lagrange mentionne le voyage de la troupe au Raincy : « maison de plaisance, dit-il, de madame la Princesse Palatine ; » puis il ajoute que « par ordre de Monseigneur le prince de Condé, on y joua le Tartuffe en cinq actes. »

L’année d’après, dans le même mois, au même lieu, pareille représentation encore ; Tartuffe, proscrit partout, reparut au Raincy, par ordre de M. le Prince, dit Lagrange, « chez madame la Princesse Palatine. »

Cette persistance d’Anne de Gonzague à se faire hospitalière pour la comédie maudite ne devait pas échapper à Bossuet.

Lorsqu’il fit son oraison funèbre, il lui en tint compte, par quelques mots d’un blâme assez amer, au milieu des plus éclatants éloges. Il rappela qu’après un certain temps passé dans la retraite « à régler sa conscience et ses affaires, » elle revint dans le monde « où sa piété se dissipa encore une fois, » et il ajoute : « Peu s’en faut qu’elle ne s’emporte jusqu’à la dérision, qui est le dernier excès, et comme le triomphe de l’orgueil, et qu’elle ne se trouve parmi ces moqueurs dont le jugement est si proche, selon la parole du Sage, patata sunt derisoribus judicia. »

Il y a là, soyons-en sûrs, un souvenir des représentations du Tartuffe au Raincy.

Je conseille donc à quiconque voudra faire un commentaire des Oraisons funèbres de Bossuet, d’indiquer en note à cet endroit les passages que j’ai cités du registre de Lagrange. Ce sera la première fois peut-être que les œuvres d’un évêque s’éclairciront par les révélations d’un comédien.

 

 

Page 89.

« Vous êtes Molière, et vous disiez du mal des vers de Molière. »

 

Le talent de critique était très vif et très éclairé chez Molière ; on le sent à la perfection de ses œuvres, qui vient du soin qu’il mettait à se censurer et se corriger lui-même. Il ne répugnait pas aux conseils, surtout, comme on sait, à ceux de Boileau, et dans l’occasion, il ne craignit pas d’aller braver en personne les satires publiques de ses pièces, sans doute parce que, sous de méchantes attaques, il espérait trouver quelques bons avis et en profiter.

« Molière, lit-on dans le Carpenteriana[159], où le mot n’a jamais été exactement repris, Molière disoit que le mépris étoit une pilule qu’on pouvoit bien avaler, mais qu’on ne pouvoit guère la mâcher sans faire la grimace. »

La critique lui était une pilule de même sorte, mais qu’il avalait de meilleure grâce, espérant la trouver saine sous son amertume. C’est pour cela, je crois, plutôt que par bravade, qu’il s’alla voir jouer à l’Hôtel de Bourgogne dans la comédie de Boursault, le Portrait du peintre.

Quand, dans l’Impromptu de Versailles[160], il fait dire sur lui-même, à Brécourt, le marquis de bon sens : « Je te promets, marquis, qu’il fait dessein d’aller sur le théâtre, rire avec tous les autres du portrait qu’on a fait de lui ; » Molière parle de ce qu’il fit en effet ou plutôt de ce qu’il avait déjà fait.

De Villiers, dans sa pièce la Vengeance des marquis[161], s’étend par quelques phrases malveillantes sur cette curieuse scène où l’on vit Molière se regardant moquer publiquement en spectateur impassible ; mais nulle part elle n’est mieux racontée que dans une comédie vie Chevalier, les Amours de Calotin[162], jouée sur le terrain neutre du théâtre du Marais, le seul où l’on pût être bon juge, c’est-à-dire impartial, pour cette lutte des deux autres.

Voici ce passage qui n’a, je crois, été reproduit dans aucun des livres sur Molière, bien que sa place y fût toute marquée :

 

LE COMTE.

Mais avant qu’on commence ici la comédie,
Il faut que je te conte une histoire jolie,
Dont Molière a causé la conversation,
Et digne asseurément de ton attention.
Dernièrement estant à la contre-critique
Je reçus là, marquis, un plaisir angélique.
Comme de nostre peintre on faisoit le portrait,
Et que l’on le croyoit tirer là trait pour trait,
Tu scauras que luy mesme en cette conjoncture
Estoit présent alors que l’on fit sa peinture ;
De sorte que ce fut un charme sans égal
De voir et la copie et son original.
On prit par tous endroits son École des femmes,
Où, pour la critiquer quelqu’une de ces dames,
Alla dans le moment appliquer tout son choix
À l’endroit de la soupe où l’on trempe les doigts ;
Puis de là, ces messieurs, d’une satyre extrême,
Donnèrent, en suivant, dans la tarte à la crème ;
Et le plus enjoué qu’ils drapèrent après,
Ce fut celuy du Le, ce charmant Le d’Agnès.
Quoy, n’est-ce pas malice à nulle autre seconde,
D’oser blasmer ce Le, ce délice du monde ?
Ce n’est pas tout encore, ils blasmèrent l’autheur
Des puces, dont il a resveillé l’auditeur,
Et de cette façon dont Alain et Georgette
S’appellent l’un et l’autre et que drapa le poète.
Ce qui fut plus plaisant, c’est qu’un certain d’entre eux
Dit que la pièce estoit un poème sérieux ;
Que, bien loin que ce fut une pièce comique,
Qu’il ne s’en pouvoit voir aucune, plus tragique.
Les autres de ce poinct ne restant pas d’accord,
Il leur dit là dessus : le petit chat est mort,
Et soustient hautement que c’estoit tragédie,
Puisque le petit chat avoit perdu la vie.
Ayant de nostre peintre attaqué la vertu,
Quelqu’un luy demanda, « Molière, qu’en dis-tu ? »
Luy respondit d’abord, de son ton agréable :
« Admirable ! morbleu ! du dernier admirable !
« Et je me trouve là tellement bien tiré.
« Qu’avant qu’il soit huit jours, certes, j’y répondray. »

LE BARON.

Mais l’on m’a dit à moy qu’il fit à quelques dames
La response qu’il faict à l’École des femmes,
Lorsqu’il n’en rioit pas assez à leur avis,
Il leur dit : « Moy, j’en ris, tout autant que je puis. »

LE COMTE.

Tu scauras que, depuis, cet illustre Molière
Les a tous ajustez de la bonne manière,
Et cet esprit en soy qui n’a rien que de haut
À sceu tailler beaucoup de besogne à Boursault.

Cette fin montre, comme nous l’avons dit, que Molière ne lit l’Impromptu de Versailles qu’après si visite à la pièce ennemie : avant de répondre, il avait voulu se bien renseigner sur l’attaque.

Sa riposte de l’Impromptu fut très vive Il ne s’en prit pas seulement à l’auteur qui l’avait critiqué, mais aux comédiens, trop facilement hospitaliers pour la critique : Montfleury, Beauchâteau et sa femme, Hauteroche, de Villiers, tous les plus fameux de l’Hôtel, hormis Floridor, qu’il respecta, furent par lui moqués d’importance dans toute l’emphase de leur déclamation tragique.

Ils ne tardèrent pas à le lui rendre sur la même note, et avec quelque avantage, car la tragédie était son côté faible.

Montfleury, dans l’Impromptu de l’hôtel de Condé[163], de Villiers dans la Vengeance des marquis[164], qui furent joués peu après, le malmenèrent fort, l’un et l’autre, dans le rôle tragique qu’il préférait, celui de César de la Mort de Pompée[165].

Molière alla-t-il encore se voir moquer : J’en doute ; mais la critique ne fut pas perdue. Il ne joui presque plus la tragédie[166].

Il ne répondit pas autrement à ces nouvelles attaques Il laissa Mignard, son ami, lui donner la seule revanche qu’il en ait eue : c’est l’admirable portrait acquis tout récemment (février 1868) par la Comédie-Française, de la succession du violon de l’Opéra, M. Vidal, au prix de 6 500 francs. Molière y est représenté, la couronne de laurier sur la tête, et le bâton de commandement à la main, dans ce même rôle de César, où on l’avait moqué[167].

Dans une circonstance pareille, où il avait eu aussi maille à partir avec Boursault, premier meneur de cette affaire de satires, Boileau se montra d’humeur moins accommodante que Molière.

Celui-ci s’était laissé jouer et même après s’était allé regarder jouer, ne voulant de revanche que par lui-même.

Boileau, se souvenant qu’il était fils de greffier, et que la main de justice a la poigne plus sûre que celle même d’un satirique, requit la protection des juges, dont il eut de tout temps les bonnes grâces : il fit interdire la représentation de la pièce, qui n’était qu’une légitime réponse à ses propres attaques.

Cette pièce en un acte où Boursault rendait dent pour dent au satirique, s’appelait, quand elle dut être représentée, la Critique des satyres de Monsieur Boileau. Les acteurs du Marais l’avaient acceptée, répétée et déjà même affichée, quand ordre vint d’enlever l’affiche et de suspendre toute préparation de représentation. Boursault n’eut d’autre recours que de publier sa comédie : il n’y manqua pas, et ne s’abstint pas non plus de faire, dans la préface, une vive allusion à l’interdit dont on l’avait frappé[168] :

« Monsieur Despréaux, y dit-il, méritoit bien d’être joué en présence de toute la Terre qu’il joue, et le Tribunal auguste où il a mandié les deffenses dont il s’est servy, et qui a coutume de se déclarer contre toutes sortes d’agresseurs, ne luy auroit pas esté si favorable, n’estoit qu’il en a surpris la religion... Ceux, ajoute-t-il, qui se donneront la peine de lire la pièce, que je mets au jour, verront bien que je n’y ai rien mis de diffamatoire contre son honneur, ny contre sa personne, comme il le suppose dans l’Arrest qui fait deffense aux comédiens de la représenter. »

Nous n’avons pas vu l’arrêt dont parle Boursault, et qui rendit l’interdiction définitive, mais nous avons eu en main un exemplaire de l’Extrait des registres du Parlement, imprimé gr. in-fol. pour être placardé sur les murs, par lequel, en attendant « l’arrêt à intervenir, » la défense demandée « sur requête » par le plaignant est expressément formulée.

Voici cette pièce, qui n’a jamais été réimprimée[169], et dont l’intérêt n’échappera certainement à personne :

Extrait les Registres du Parlement :

Veu par la Chambre des Vacations la Requeste présentée par Me Nicolas Boileau. Advocat en la Cour ; Contenant qu’il a appris par une Affiche qui a esté mise par tous les Carrefours de cette Ville de Paris que les Comédiens du Marais, jouans actuellement en la rue du Temple, dévoient représenter sur le Théâtre, Vendredy prochain, une Farce intitulée la Critique des Satyres de Monsieur Boileau, qui est une pièce diffamatoire contre l’honneur, la personne et les ouvrages du Suppliant ; ce qui est directement contraire aux Loix et Ordonnances du Royaume, et qui seroit d’une dangereuse conséquence, n’estant pas permis à des Farceurs et Comédiens de nommer les personnes connues et inconnues sur les théâtres : À ces causes, Requéroit estre fait deffense au nommé Rosidor[170], qui a annoncé la dite Farce, et autres Comédiens de la mesme Troupe et tous autres, d.-représenter sur leurs Théâtres, ny ailleurs, en quelque sorte et manière que ce soit, la dite pièce intitulée dans leurs Affiches la Critique des Satyres de Monsieur Boileau, ny l’afficher et annoncer de nouveau, à peine de punition corporelle et de deux mil livres d’amendes qui sera encourue, et en cas de contravention, en vertu de l’Arres, qui interviendra ; permis de faire informer contre les Autheurs vie la dite Affiche, et eux qui l’ont annoncée et affichée, et enjoint à tous Huissiers et Commissaires de tenir la main à l’exécution de l’Arrest qui interviendra, la dite Requeste signée du Suppliant, et de... son Procureur. Veu aussi la dite Affiche, et autres pièces attachées à icelle ; Conclusions du Procureur Général du Roy : oûy le rapport de Me Pierre de Brilhac, conseiller, tout considéré. LA DITE CHAMBRE a permis du Suppliant de faire informer par le premier Huissier de la Cour sur ce requis, des faits contenus en la dite Requeste, circonstances et dépendances, pour l’Information faite, rapportée et communiquée au Procureur Général du Roy, estre ordonné ce que de raison : Cependant fait inhibitions et deffenses au nommé Rosidor et autres Comédiens de la mesme Troupe et tous autres de représenter sur leur Théâtre ny ailleurs, en quelque manière que ce soit, la dite pièce intitulée la Critique des Satyres de Monsieur Boileau, ny l’afficher et annoncer de nouveau, à peine de punition corporelle et de deux mil livres d’amende, qui demeurera encourue en cas de contravention au présent Arrest, qui sera affiché partout où besoin sera. Fait en vacations, ce 22 octobre 1668.

Signé : ROBERT.

Le vingt-deuxième jour d’octobre mil six cent soixante huit environ les dix heures du matin, le présent arrest a esté par moy Huissier en Parlement soussigné, signifié et baillé copie, et fait les deffenses y mentionnées, aux Comédiens du Roy du Théâtre du Marais, en parlant pour eux tous à trois d’iceulx, nommez Verneuil, Chameslé et Rosimont, trouvés à la porte du Parterre de leur Théâtre, vieille rue du Temple, à ce qu’ils n’en ignorent.

Signé : PILIA VLT.

 

 

Page 89.

« Il plaît à tout le monde et ne saurait se plaire. »

 

Nous avons voulu finir parce vers de Boileau, l’un des seuls que Molière acceptât, de tous ceux si remplis de sympathie et d’éloges, qui composent la 2esatire, qui lui est adressée :

Un sot en écrivant fait tout avec plaisir :
Il n’a point dans ses vers l’embarras de choisir,
Et toujours amoureux de ce qu’il vient d’écrire.
Ravi d’étonnement, en soy mesme il s’admire
Mais un esprit sublime en vain veut s’eslever
À ce degré parfait qu’il tâche de trouver,
Et toujours mécontent de ce qu’il vient de faire,
Il plaist à tout le monde, et ne saurait se plaire.
Et tel, dont en tout lieu chacun vante l’esprit,
Voudroit, pour son repos, n’avoir jamais écrit[171].

« En cet endroit, lisons-nous dans le commentaire de Brosserie, parlant d’une lecture que Boileau lui en avait faite, Molière dit à notre auteur en lui serrant la main : « Voilà la plus belle vérité que vous ayez jamais dite. Je ne suis pas du nombre de ces esprits sublimes dont vous parlez ; mais, tel que je suis, je n’ai rien fait dans ma vie dont je sois véritablement content[172]. »


[1] M. Taschereau, dans la dernière édition, si perfectionnée, qu’il a publiée de son Histoire de Molière, nous donne la preuve qu’à la quinzième représentation, Don Juan fut interdit, et que, malgré le privilège obtenu, en date du 24 mai 1665, suivant le Registre de la Chambre syndicale des libraires, la pièce ne put être imprimée du vivant de Molière.

[2] V. une Note d’Auger, dans son Commentaire des Œuvres de Molière, t. III, p. 433.

[3] C’est de Serre, en 1734, qui, dans son édition in-4, dont Voltaire devait être d’abord chargé, publia le premier cette partie chantée du texte de la Pastorale comique.

[4] Elle le fut dans une autre circonstance : dernièrement, c’est grâce à une copie faite par un musicien, Philidor l’aîné, que M. Ludovic Celler a pu nous restituer toute une scène du Mariage forcé, celle du deuxième intermède, Sganarelle et le Magicien, dont le livret, publié en 1664, n’avait donné que les répliques. V. son joli volume : Le Mariage forcé, comédie-ballet en trois actes ou le ballet du Roi, 1867, in-12, p. 97, 105.

[5] De Mouhy, Abrégé de l’Histoire du théâtre français, 1780, in-8, t. I, p. 141.

[6] V. ses lettres des 12 et 17 sept, et du 21 déc. 1732.

[7] Ces deux farces ne furent publiées, pour la première fois, qu’en 1819, par Desoer, à petit nombre.

[8] P. Lacroix, Revue des provinces, 15 janvier 1865. p. 115.

[9] Cet amateur, dont il serait intéressant de faire l’histoire, collectionnait, soit à Paris, soit à Courbevoie, où il avait une fort belle maison, toutes les curiosités de la littérature, et, surtout, celles du théâtre, dont il s’était occupé pour son compte, ainsi qu’on le voit par la liste de ses pièces manuscrites dans le Catalogue de la bibliothèque de M. de Soleinne, n° 1800. Guyot de Pitaval, dans sa Bibliothèque de cour, t. VI, p. 30, parle de lui et de M. le marquis de Calvière, comme des plus ardents collectionneurs de nos vieux poètes : « Ils avaient chacun plus de 20 000 volumes. » C’est à M. de Bombarde que Querlon dut de pouvoir publier le premier le Commentaire de Malherbe sur Desportes, presque entier. V. son édit. de Malherbe, Barbou, 1757, p. 379.

[10] Catal. Soleinne, t. II, p. 47.

[11] V. le Roman de Molière, p. 137, 139.

[12] V. aux Mss de la Bibliothèque impériale les Portefeuilles de Vallant, t. XIII, p. 65.

[13] V. le n° du 21 juin 1828.

[14] V. l’Athenœum français, t. V, p. 255.

[15] V. l’Athenœum anglais du 10 janvier 1856.

[16] V. Bulletin du Biblioph. belge, 1860, p. 229, 230.

[17] C’est M. Alph. de Rothschild qui l’acheta.

[18] V. notre article : À propos du Don Juan de Molière, dans la Revue française du 20 mai 1858, p. 180.

[19] Elle fut imprimée dans l’édition de 1682, puis aussitôt supprimée, au moyen d’un des cartons dont M. de Trallage nous parlera plus loin. L’exemplaire non cartonné, qui fut enfin retrouvé, était celui même qui avait appartenu à M. de la Reynie. Le lieutenant de police gardait pour lui ce qu’il supprimait pour les autres. Cet exemplaire passa longtemps pour être unique. Un second fut acheté 25 fr. sur le quai, par M. Rochebillière, vendu 500 fr. par lui à M. Chaude, et adjugé tout dernièrement à la vente de celui-ci, moyennant 2 500 fr. !

[20] Œuvres, édit. Beuchot, t. XXXVIII, p. 318.

[21] V. Jal, Dict. critique, p. 728.

[22] L’opinion fut pourtant que Molière s’y reconnaissait à plusieurs fragments. Dangeau, Journal, 25 octobre 1698.

[23] V. La Vie de Molière, La Haye, 1725, in-12, t. I, p.8.

[24] Suivant lui, Molière aurait jeté au feu si traduction, par dépit de ce qu’un valet en avait pris des feuillets pour lui mettre sa perruque en papillotes. Vie de Molière, 1705, in-12, p. 311.

[25] Manuscrits de l’Arsenal, B. L. F. 366, paq. III, f. 226, Ve. – Nous devons la connaissance et la communication de cette pièce à l’obligeance infatigable de nôtre ami P. Lacroix.

[26] Ibid. p. 241.

[27] Catal. de la Biblioth. Soleinne, t. I, p. 303, 304, note.

[28] L’édit. de 1682 fut faite en tiers par Thierry, Barbin et Trabouillet.

[29] V. Œuvres de Chapelle, édit. St-Marc ; ln-12, p. 312.

[30] Londres, 1774, in-12, t. III, p. 127.

[31] Mss de Trallage, III, p. 245, Ve.

[32] J’ajouterai sur Thierry, que c’était un des mieux vus de la police, et qu’il s’en trouva bien en plus d’une circonstance (P. Clément, La Police sous Louis XIV, p. 408, aux Pièces justificatives). Il y avait peu de libraires aussi riches que lui (Boursault, Lettres, t. I, p. 134.). Les auteurs allaient causer volontiers dans sa boutique comme dans celle de Barbin (V. Œuvres de Boileau, édit. Saint Marc, t. I, p. 49).

[33] C’est pair l’abbé de Marolles, dans la préface de sa traduction de Lucrèce, de l’édit. de 1677, qu’on a su que les fragments de celle de Molière étaient en vers libres : « Il les avoit, dit-il, composés non pas de suite, mais selon les divers sujets tirés du livre de ce poète, lesquels luy avoient plu davantage el il les avoit faits de diverses mesures. Dans l’édition de 1659, l’abbé de Marolles, » avait déjà parlé du travail de Molière. « On m’a dit qu’un bel esprit en fait (de Lucrèce) une traduction en vers, dont j’ai vu deux outrais stances du commencement, qui m’ont paru fort justes et fort agréables. » On doit à M. J. Taschereau, dans sa dernière édition ne la Vie de Molière (Furne, 1863, in-8, p. 108-109), de connaître ces deux passages.

[34] C’est Longepierre, le premier, qui signala cette imitation du De naturâ rerum dans le Misanthrope, voir sa traduct. des Idylles de Théocrite, 1688, in-8, p. 327.

[35] Pour en finir avec les autographes de Molière, nous dirons qu’il existait encore, il y a cent ans, à la Comédie-Française, deux registres écrits de sa main, qui serviient.au chevalier de Mouhy pour son volumineux Journal du théâtre françois, conservé manuscrit à la Bibliothèque Impériale, et dont le second se trouvera cité plus loin dans nos dernières notes. Dans l’Inventaire dressé après la mort de Molière et publié par M. Soulié, il est parlé de tablettes sur lesquelles il semble qu’il écrivait tout, ses idées et ses dépenses (Recherches sur Molière, p. 292). Que sont-elles devenues ? qu’a-t-on fait aussi de ces cartes à jouer qu’il portait toujours en poche, pour écrire au vol avec un crayon ce qu’il entendait dire d’ingénieux ou d’agréable ? (V. Le Roman de Molière, p. 156.)

[36] « L’usage, lisons-nous dans le Mercure de mars 1688, étoit autrefois à la cour de faire un grand divertissement qui duroit tout le carnaval. C’étoit ordinairement un grand ballet en machines mêlé de récits, dont le tout ensemble formoit un sujet, comme par exemple le Ballet des Arts et le Ballet de la Nuit... Ensuite le fameux Molière introduisit les comédies mêlées d’entrées et de récits. Ces divertissements plurent encore davantage que n’avoient fait les ballets. »

[37] T. II, p. 263-276.

[38] M. de Soleinne en avait un exemplaire, V, le Catal. de sa bibliothèque, t. III, p. 94, et il se trouvait aussi chez Techener, quand il donna la Descript. bibliogr. des livres choisis de sa librairie, 1855, in-8, t. II, p. 394-395.

[39] Soulié, Recherches sur Molière, p. 39.

[40] Plus tard, quand Gaston n’eut plus de comédiens à lui, Montbrun Sous-Carrière, se chargea de ses ballets : « Ce soir (samedy 12 mars 1650, lit-on dans le journal inédit de Dubuisson-Aubenay, le ballet de Montbrun Sous-Carrière, où en 12 entrées plus ou moins sont dansées toutes les vieilles danses, bourrées, pavanes, voltes, etc. et conduit par une vielle et un violon masqués et habillés en ballet, fut dansé au palais d’Orléans (le Luxembourg) où déjà il avoit été dansé une fois. »

[41] Pantagruel, liv. III, ch. XVI et XXIII.

[42] Page 202 de l’édition donnée par M. P. Lacroix.

[43] Ibid. page 205.

[44] Ibid. page 199.

[45] V. sur ce singulier procédé une note du Catalogue Soleinne, tom. I, p. 201.

[46] On sait que dans les anciennes éditions de Boileau, on lit s’enveloppe. Daunou passe pour avoir donné le premier la variante préférée aujourd’hui : c’est une erreur, Jolly. dans ses Remarques sur Bayle, t. II, p. 634, rappelle que Leclerc l’avait déjà adoptée, et qu’il fît la correction sur son exemplaire. Brossette l’apprit, et voyant là une atteinte au texte sacré dont il s’était fait le gardien, il écrivit à Leclerc pour maintenir s’enveloppe. Leclerc tint bon pour l’enveloppe, alléguant ce que lui avait dit, dans sa première jeunesse, un homme « qui avait du bon sens. » Le mot était dur pour Brossette et pour tous ceux qui étaient de l’opinion contraire. C’est pourtant celle-ci que-Jolly, juge de la question, adopta. Il tint pour « Scapin s’enveloppe, » parce que, dit-il, Scapin est le personnage principal. J’ajouterai que, quoi qu’il en dise, la variante qu’il repoussait était préférée du temps même de Boileau. Sur un Manuscrit, qui date de 1710, à la Bibliothèque de l’Arsenal, B. L., n° 77 bis, in-8, dans une pièce intitulée : Blâme et Louange de Molière ; on lit :

Dans le sac ridicule où Scapin l’enveloppe.

[47] Boileau n’était pas toujours satisfait de cette indépendance de Molière, qui, pour ses pièces, croyait moins la critique que le public : « Je me souviens, écrit J.-B. Rousseau, dans sa lettre du 11 mai 1738, d’avoir ouï dire à M. Despréaux que Molière écoutoit tout le monde sur ses ouvrages, et qu’ensuite il n’en faisoit qu’à sa tête. »

[48] V. dans la Correspondance Bouhier (Biblioth. impér.) au nom de Brossette, et à la date du 15 avril 1733.

[49] On peut juger des changements que Molière faisait dans ses pièces, entre la représentation et l’impression, par la différence de sa comédie des Précieuses, telle qu’elle fut imprimée, avec le Récit (compte-rendu) que madame de Villedieu en donna le lendemain de la représentation. V. nosVariétés hist. et litt., t. IV, p. 290, 293, 295.

[50] Dans la pièce de Champmeslé, c est la scène II du 2e acte. V. Les Fragments de Molière, comédie, à Paris, chez Jean Ribou, sur le quay des Augustins, au-dessus de la grand’porte de l’église, à la descente du Pont-Neuf, à l’Image Saint-Louis, MDC.LXXXII, in-12, p. 38-40.

[51] Il en glissait partout, pour en faire l’éloge, comme dans le Misanthrope ; ou pour s’en amuser, comme dans le Bourgeois gentilhomme, où M. Jourdain est si plaisant avec son couplet : Je croyais Jeanneton, etc. M. Jourdain ne fredonne que le premier vers ; voici le couplet tout entier, d’après un recueil du temps :

Je croyois Jeanneton
Aussi douce que belle,
Je croyois Jeanneton
Plus douce qu’un mouton.
Hélas ! elle est cent fois
Mille fois plus cruelle
Que n’est le tigre au bois.
Ah ! ne consultez pas
Son visage infidèle,
Ah ! ne consultez pas
Ses beaux yeux pleins d’appas,
Hélas ! elle est cent fois, etc.

[52] Aventures de D’Assoucy, édit. Ad. Delahaye, p. XXIV, et 241.

[53] V. La Muze historique, 20 nov. 1660 ; 17 juillet et 19 nov. 1661.

[54] Catalogue Soleinne, t. I, p. 294.

[55] 1688, in-16, p. 25-29.

[56] V. une de ses Lettres, dans l’édit. Amar, t. V, p. 328.

[57] Critiques et Portraits littéraires, 1836, in-8, t. III, p. 192-198. M. Ste-Beuve rapproche très judicieusement plusieurs lignes de ce fragment de quelques vers du Misanthrope, où il retrouve la même passion.

[58] Revue de l’Instruction publique, 12 mai 1864, p. 91.

[59] Œuvres de Chapelle, édit. St-Marc, p. 184.

[60] V. le n° IX, p. 36.

[61] Journal des Débats, 6 mai 1859.

[62] P. 252, note.

[63] V. le n° VI, p. XXVIII.

[64] Études sur Molière, p. 299-311.

[65] Œuvres complètes, édit, Auguis, in-8, t. II, p. 45.

[66] Histoire de la Régence, t. I, p. 64.

[67] Impromptu de l’Hôtel de Condé, Sc. IV.

[68] Le Théâtre italien de Ghérardi, 1701, in-8,  t. I, p. 123. Je n’ai pu voir l’édition de 1695, publiée à Genève. Il paraîtrait, d’après une note du Catalogue des livres de M. de N., 1856, in-8, p. 28, n° 208, que la scène y figure sous le nom de Molière, comme dans l’Histrio Gallicus de Nuremberg.

[69] Palaprat, Œuvres, 1712, in-8, t. II, préface, p. 25.

[70] Anecdotes dramatiques, t. I, p. 98-99.

[71] V. les Mémoires de l’abbé Legendre, Paris, 1863, in-8, p. 11.

[72] Hist. de la vie et des ouvrages de Molière, édit. p. 17-18.

[73] V. Le Roman de Molière, p, 195.

[74] T. II, p. 127-128.

[75] V. nosVariétés histor. liittér., t. VII, p. 104.

[76] Paris, E. Dentu, 1863, in-18, p. 306.

[77] Dict, critique, p. 113.

[78] Lettre du 6 mars 1666.

[79] Dans la collection Beffara, t. XII, p. 3.

[80] Catal. de la Biblioth. Soleinne, t. IV, p. 70.

[81] Recherches de la France, liv. VII, ch. XII.

[82] Le Roman de Molière, p. 14.

[83] V. plus haut, p. 24-25.

[84] V. Techener, Descript. Bibliog. des livres de sa librairie, 1855, in-8, t. II, p. 396.

[85] P. 13.

[86] Anect. dramat. t. II, p, 340.

[87] De Mouhy, Hist. mss du Théâtre françois, t. II, p, 1079.

[88] D’Allainval, Lettre sur Baron et sur Mlle Lccouvreur, dans la collect. des Mém. sur l’art dramat., 2e livr. p. 217-218.

[89] P. 840.

[90] Deux filles, dont l’une épousa Baron, et l’autre Dancourt, et un fils qui devint l’idole du public, après avoir été sifflé au point que son père fut obligé de demander pardon pour lui. (Journal de Collé, t. I, p. 179.) Ce fils avait reçu de Molière même ses premières leçons. Il épousa la jolie Colombie des Italiens, et il en eut cinq filles, dont l’avant-dernière, mariée au sieur de la Creusette, ne mourut qu’en 1792. (Jal, Dict, critique, p. 744.)

[91] Biblioth. impér. F. Bouhier, n° 178, p. 59-60.

[92] Cette superstition se retrouve encore en Espagne ! « Lorsque le diable transporta Jésus-Christ sur la montagne, disent les vieilles femmes de la Manche, le fils de Dieu bâilla : ceci n’avait rien de surprenant chez un homme qui jeûnait depuis quarante jours, et qui avait l’estomac tiraillé par l’odeur du soufre de Belzébuth, autant que les oreilles fatiguées par sel bavardages. Jésus donc ayant bâillé, le diable fit un mouvement pour s’introduire par l’ouverture et c’en était fini du Sauveur, s’il n’eût fait précipitamment au travers de sa bouche un signe de croix – un signe de croix, notez bien, un signe de croix de Jésus ! – et ce signe de croix envoya le tentateur a cent pas. » Germond de Lavigne, traduct. de Don Paolo de Ségovie, 1843, in-8, p. 386, notes.

[93] Amsterdam, 1716, in-12, p. 60 et suiv.

[94] Boisrobert, la Belle Plaideuse, acte II, sc. III ; V. aussi le Ducatiana t. I, p. 205, et l’Ancien Théâtre français, édit. P. Jannet, t. II, p. 332.

[95] Acte III, sc. IX.

[96] V. le n° 3913, art. 37 de son Catalogue en 3 vol.

[97] Poisson, le Baron de la Crasse, 1662, in-12, sc. IV.

[98] V. nos Vanités histor. et litt., t. IV, p. 282, note.

[99] V. Despréaux ou la Satyre des Satyres, par Cotin, réimprimé dans les Variétés bibliographiques, de M. Édouard Tricotel, qui a eu tort de répéter (p. 369) qu’ici le Turlupin de Boileau c’est Molière.

[100] J. Taschereau, Hist. de la Vie et des Ouvrages de Molière, Fume, 1863, in-8°, p. 219.

[101] Chansonnier Maurepas, t. III, p. 101.

[102] Il est dit en note ! « Il contrefaisoit fort bien les orgues en se serrant le nez. »

[103] V. à la Biblioth. Imp. la Correspond. mss. de l’abbé Nicaise, t. I, p. 260. S’il fallait en croire le Courrier de Pluton, 1718, in-12, le virelay de la Bastonnade serait de Chapelain. V. le Bullet. du Bibliophile, déc. 1859, p. 836.

[104] Acte I, sc. I.

[105] Molière fit pour ce ballet la Pastorale comique, et Mélicerte. (V. la Gazette rimée, 11 déc. 1666.)

[106] Afin d’avoir toute ta vérité sur cette anecdote oui n’est nulle part exactement et complètement racontée, nous avons dû joindre ensemble le récit de Grimarest et celui de l’auteur de la Vie de Benserade, en tête de la première édition de ses Œuvres.

[107] Œuvres de Benserade, 1697, ln-12, t. II, p. 11.

[108] Tapisseries représentant les amours de Gombaut et Macée (avec une planche) par H. Gariel. Grenoble, 1863, in-8 de 16 pages.

[109] Catalogue de l’Histoire du travail, E. Dentu, 1867, p. 228, n* 3151.

[110] Scène I.

[111] Chant II, v. 130. V. aussi Boursault, le Portrait du Peintre, sc. VI.

[112] Correspondance littéraire, 25 février 1861, p. 182.

[113] Le comte, plus tard duc de Saint-Aignan fut, comme gentilhomme de la Chambre, organisateur des spectacles de la cour, en fréquentes relations avec Molière, et, quand celui-ci fut mort, avec les principaux de sa troupe ; la Revue rétrospective, 2e série, t. XI, p. 153, a publié une lettre de lui au comédien Lagrange, en 1683, pour la distribution des rôles dans la Marie Stuart, de Boursault, à laquelle il s’intéressait, et qui lui fut dédiée.

[114] Soulié, Recherches sur Molière, p. 91, 263, 285. – Cizeron-Rival, Récréations littéraires, p. 23. – Molière fut, en 1671, parrain à Auteuil, dont le curé était un janséniste de ses amis. L’acte de baptême, publié comme inédit, il y a deux mois (V. le Figaro du 8 janvier dernier), avait déjà été imprimé par M. Berriat St-Prix dans son édit. de Boileau, t. IV, p. 492 ; par nous dans le Roman de Molière, p. 145, et par M. Soulié, dans ses Recherches, p. 282-283.

[115] Ouvrages de M. l’abbé de Choisy, mss. de l’Arsenal, t, I, p. 222 Ve.

[116] Récréations historiques, p. 15.

[117] P. 98-100.

[118] Recherches sur Molière, p. 59.

[119] Hist. de la vie et des ouvrages de Molière, 3e édit. p. 237.

[120] Édit.de Francfort, 1688, in-32, p. 31.

[121] P. 41 ; V. aussi notre édit. du Théâtre français, de Chapuzeau, Bruxelles, 1867, in-12, p. 98, 160.

[122] Œuvres, 1767, in-12, t. I, p. 35.

[123] Lettres de J.-B. Rousseau sur différents sujets, 1750, in-12, t. I, p.248.

[124] Paris, 1802, in-8, p. 306-307.

[125] V. le Roman de Molière, p. 99-100. Molière, ce qu’on n’a pas encore dit, avait lui-même joué en Bourgogne. Voici ce que le savant bibliographe du Dauphiné M. A. Rochas nous écrivait ces jours derniers : « J’ai vu le nom de Molière dans quelques inventaires, notamment dans celui de des archives de la ville de Dijon, où il a donné des représentations. »

[126] Séjour de Paris, 1722, in-12, p. 93.

[127] Ce n’est pas la dernière maison qu’ils habitèrent ; on sait maintenant, en effet, que celle où mourut Molière, rue de Richelieu, n’avait pas un médecin pour propriétaire, mais M. Baudellet, tailleur et valet de chambre de la reine. V. Soulié, Recherches sur Molière, p. 77-78 et 258-259. – Si Molière eût vécu quelques années de plus sans quitter cette maison, ses différends de locataire eussent sans doute recommencé. Quand Baudellet fut mort, quelques années après, c’est son fils, un abbé, qui eut la maison : on devine quel propriétaire il eût été pour l’auteur du Tartuffe ! V. aux mss. de la Bibliothèque Impér. : État et Partition de la ville de Paris pour 1684, f. franç. n° 8603, t. II, p. 23, Ve. – Nous avons dit dans nos Notes sur Corneille, p. CLIII, que cette maison de la rue de Richelieu n’était pas celle qu’on croît, mais une autre, à cinquante pas de là, du même côté, sous le n° 42. Pour résumer ce qu’on a écrit sur la mort de Molière, rue de Richelieu, voici l’extrait inédit d’une gazette du temps, que M. P. Lacroix a retrouvé parmi les mss. de la Bibliothèque de l’Arsenal (B.L.F.156 bis, t. III, fol. 47 v°) : « Le sr Molière estant mort, et son curé faisant difficulté de l’enterrer, sa veuve fut se jeter aux pieds du Roy, qui la renvoya à M. l’Archevesque, lequel ayant assemblé les docteurs, et entendu les dépositions de deux témoins qui asseuroient que M. Molière avoit par deux fois demandé un prestre, a permis de l’enterrer, mais de nuict. Il est enterré dans le cimetière de Saint-Joseph, annexe de Saint-Eustache. »

[128] L’anecdote est racontée plus au long et autrement dans Elomire hypocondre, acte II, sc. II.

[129] V. sur ce comédien de Molière une note de Grandval le père dans l’Histoire du Théâtre françois des Frères Parfaict, t. XII, p. 473.

[130] V. le Roman de Molière, p. 109.

[131] Robinet, Gazette rimée, 23 fév. 1669.

[132] Scène IV.

[133] Cité par l’abbé d’Olivet, dans la Vie de Monsieur l’abbé de Choisy, 1742, in-8, p. 31.

[134] V. les Mémoires secrets, t. XXVI, p. 246.

[135] Cette Cérémonie, telle que la joua Molière, était beaucoup plus étendue qu’aujourd’hui. Elle fut publiée in extenso, deux ans avant la pièce même, qui ne parut qu’en 1675. Elle formait un petit livret de dix-sept pages, achevé d’imprimer à Rouen, le 24 mars 1673, six semaines après la mort de Molière. Ch. Magnin en fit l’objet d’un article de la Revue des Deux-Mondes, 1er juillet 1846, p. 172-181, d’après l’exemplaire peut-être unique, qui – ce qu’on n’a pas dit – lui avait été communiqué par M. P. Chéron, et qui porte le n° 5522 Yx, in-12,de la Biblioth. Imp. – De la publication de ce livret de 1673, où la Cérémonie se trouve si différente de ce qu’elle est restée dans les autres impressions, on pourrait conclure que le texte en fut pris au vol dans les premières représentations, comme cela arrivait souvent (V. plus haut p. 28), et que la Cérémonie jouée par Molière, avec tous ces développements, ne fut raccourcie qu’après sa mort. La pièce entière avait, de même, été retenue et publiée de mémoire. L’édition qui en fut faite l’année suivante, 1674, à Cologne, chez Jean Sambix, n’est pas née autrement. On pensait qu’étant une véritable contrefaçon, elle n’avait dû paraître qu’à l’étranger, lorsqu’il y a deux ans, il fut trouve, avec la même date de 1674, un exemplaire du même texte, publié à Paris chez Estienne Loyson (V. le Catal. 44 du libraire Baillieu, n° 4650). Cet exemplaire est jusqu’ici le seul connu. La veuve de Molière s’était sans doute fait accorder la suppression de cette édition subreptice, comme elle avait obtenu un ordre du Roi, en date du 7 janvier 1674, faisant défense « à quelques comédiens de campagne, » de jouer le Malade imaginaire « dont ils avoient surpris une copie. » C’est cette copie, faite de mémoire ou autrement, qui avait dû servir pour les éditions de Loyson et de Sambix. Le texte en est fort curieux, et il faut absolument y recourir pour savoir comment était la pièce, quand la jouait Molière. Les scènes septième et huitième du premier acte, et le troisième acte entier sont tout différents. L’ordre du Roi, obtenu par la veuve de Molière, a été publié dans la Correspondance administrative de Louis XIV, t. IV, p. 594-595. On en mit par tout Paris, des affiches dont la Biblioth.Imp. possède deux exemplaires.

[136] Je crois disait Marigny, à l’époque même de Molière, dans son poème du Pain Bénit :

Je crois qu’il est plus à propos
Pour bien sortir de cette affaire,
De régler tous les frais en gros,
Comme ceux d’un apothicaire ;
C’est-à-dire, en bonne amitié,
Retrancher la belle moitié.

[137] Parmi les pièces de différents auteurs, placées en tête du livre de Jean Bauhin Traictés des Animauls ayant aisles, 1593, in-8, je n’ai pu m’empêcher de remarquer, à cause du métier de l’auteur, maître Benoist Digne, Apothicaire du Roy, et en pensant à M. Fleurant, un sonnet où se trouve ce vers :

Car toujours verdoyant il fleuronne et flaironne.

[138] Le curieux travail de M. Brochaud, Origines du Théâtre de Lyon, 1865, in-8, donne de précieux renseignements sur les divers séjours de Molière en cette ville.

[139] Hist. de Molière, 3e édit., p. 177.

[140] Mém. secrets, 6 juillet 1784.

[141] Fléchier, les Grands Jours d’Auvergne, 2e édit. p. 127.

[142] V. ce que dit à ce sujet Ariste dans la Vengeance des marquis, par de Villiers (Vict. Fournel, les Contempor. de Molière, t. I, p. 327.) – Le nom même de Mascarille semblait impliquer le masque. Ce fut quelque temps le nom de théâtre donné à Molière. Peut-être est-ce pour cela surtout qu’il avait fait graver un masque sur son argenterie. (V. le Roman de Molière, p. 155 ; Jal, Dict. crit., p. 874.)

[143] Lettres de Gui-Patin. Édit. Reveillé-Parise, t. III, p. 556. Le roi lui-même avait autorisé Molière dans cette grande audace. Sept jours avant d’être joué à Paris, l’Amour médecin avait été joué devant lui à Versailles (Id. p. 555). Les Médecins ridiculisés étaient si bien le fond même de la pièce, qu’on ne lui donna pas d’abord d’autre titre. Elle est ainsi appelée dans le Registre de Lagrange, 29 nov. 1665, et dans le curieux livret, de Gabriel Gueret, la Promenade de Saint-Cloud, publiée dans les Mémoires de Bruys, t. Il, p. 212.

[144] Tous les ballets se dansaient avec des masques, dont les plus recherchés se vendaient sur le pont Notre-Dame : « M. Le Creux, marchand sur le pont Notre-Dame, lit-on dans le Livre commode des adresses pour 1691, p, 112, vend les masques fins pour les ballets du Roy. » En 1760, c’était un marchand du même nom qui faisait ceux de l’Opéra. (Lettres de Noverre, p. 200). – Les deux vieillards des Fourberies de Scapin, Argante et Géronte, se jouaient en masque. À là reprise même, en 1736, l’usage en fut conservé ; V. le Mercure, mai 1736, p. 991.

[145] 13 juillet 1866.

[146] V. le Roman de Molière, p. 100.

[147] V. par exemple la notice sur la troupe de Molière, dans le t. I de ses Œuvres. Édit. A. Martin, p. 122.

[148] Jal, Dict. crit. au mot Beauval.

[149] L’ordre du roi, que M. Jal crut publier le premier, avait déjà été reproduit par M. G. Depping dans le IVe volume de la Correspondance administrat. de Louis XIV, p. 591. J’ai trouvé dans les Mss. de Beffara, à l’Hôtel-de-Ville, t. XII, p. 478, le modèle d’un autre ordre du roi, vers 1657, pour « faire un comédien dans la troupe du Marais » : « Cher et bien-aimé, l’intelligence que vous avez pour le théâtre et la réputation qu’elle vous a donnée nous tait désirer que, incontinent cette lettre reçue, vous ne manquiez de nous venir trouver pour servir dans notre troupe des comédiens du Marais, en la place que nous vous avons destinée.

[150] Gazette rimée de Robinet, 27 sept. 1670.

[151] Jal, Dict. critique, p. 157.

[152] Cette lettre est du 2 mars ; ainsi, Molière étant mort le 17 février, Armande avait reparu dès le Ier mars. Le théâtre, qui avait besoin de jouer pour vivre, s’était rouvert le 24 février.

[153] Lettres de Bussy-Rabutin, Ire édit. t. IV, p. 36-38. Dans l’édit. si excellente de M. Lud. Lalanne, 1857, in-18, t. II, p, 228, on a mis par erreur d’impression, trois jours au lieu de treize.

[154] T. II, p. 1166.

[155] Le Registre de Lagrange est lui-même bien plus laconique : « 30 avril. La troupe part pour Versailles par ordre du roy et y reste jusqu’au 22 may ; on y représenta pendant trois jours les Plaisirs de Plsle enchantée, dont la princesse d’Élide fit une journée, qui fust le 6e de may ; plus les Fascheux, Mariage forcé, et trois actes de Tartuffe, qui estoient les trois premiers ; reçu 4000 fr. »

[156] Journal du Théâtre françois, t. II, p. 1175.

[157] V. le Registre de Lagrange, à la date du 13 octobre 1664.

[158] « La plus intime et confidente amie du prince de Condé, qu’elle servit plus utilement que personne, de sorte qu’ils marièrent ensemble leurs enfants. » Mém.de Saint-Simon ; édit. Hachette, in-12, t. XIII, p. 21.

[159] Paris, 1741, in-8, p. 46.

[160] Scène III.

[161] Scène IV. Vict. Fournel, les Contemporains de Molière, t. I, p 315-316.

[162] Paris, 1664, in-12, p. 12 (scène III).

[163] V. Fournel, les Contemporains de Molière, t. I, p. 248.

[164] Ibid. p. 321.

[165] Il l’avait joué dès les premiers temps de son installation à Paris. V. le Registre de Lagrange, pour la date du 16 may 1659.

[166] Fournel, t. I, p. 248.

[167] L’abbé de Monville (Vie de Mignard, 1730, in-12, n. 93-95), ne parle que d’un portrait de Molière peint par Mignard. Il y en’ eut au moins deux pourtant, M. Feuillet de Conches l’admet dans ses Apocryphes de la peinture (Revue des Deux-Monde, 19eannée, t. 1V, p. 621.) Celui que grava Nolin, en 1685, et qui représente Molière assis, en robe de chambre, un livre à la main, ne peut être confondu avec le portrait tout d’apparat dont nous parlons ; mais B. Audran peut s’être inspiré de celui-ci pour la gravure, évidemment arrangée, qu’il a faite de Molière, d’après Milliard. Cathelin, quoiqu’en arrangeant aussi, fut plus fidèle. Il prit du portrait de Molière en César toute la tête couronnée de lauriers. Il n’ôta que le costume romain, pensant que sa gravure, devant figurer au frontispice des œuvres du grand comique – elle est en tête de L’édition Bret, en 1773 – pouvait bien garder la couronne, mais devait dépouiller toute apparence de tragédie. Le portrait, quand Cathelin le grava, se trouvait chez, un certain M. Molinier, qui nous est resté inconnu, malgré nos rechercher. Le tenait de Dubois de Saint-Gelais, secrétaire de l’Académie de peinture, à qui Montaland, gendre de Molière, l’avait légué (Soulié, Recherches, p. 342), ou bien lui était il venu de madame de Feuquières, fille de Mignard, qui, en 1730, suivant Monville, possédait encore un portrait de Molière, peint par son père ? C’est ce que je ne puis dire. Il passa plus tard dans la famille Didot, d’où il sortit par une vente après décès, où l’acheta M. Vidal. La comédie a pu l’acquérir grâce à un avis empressé de M. Étienne Arago, et à l’initiative de M. Édouard Thierry.

[168] Boursault, en faisant imprimer sa pièce, lui ôta son premier titre pour lui donner celui qui est resté : la Satyre des satyres, comédie. Paris, Gabriel Quinet, 1669, in-12. Les exemplaires en sont très rares. Celui que possédait M. de Soleinne venait de la bibliothèque de madame de Verrue. C’est à Boursault lui-même qu’est due cette rareté ; s’étant réconcilié avec Boileau, il fit autant qu’il put disparaître les traces de sa comédie ; Boileau, de son côté, effaça son nom de ses satires. Quand ils furent morts l’un et l’autre, La Monnaye, qui n’avait plus rien à ménager, publia le petit acte de Boursault dans son Recueil de pièces choisies, La Haye, 1714, in-12, t. I, p. 357-415. C’est là que nous l’avons lu.

[169] M. Hallays-Dabot, qui la vit comme nous dans le fonds Dehmarre à la Bibliothèque Impériale, n’en a donné qu’un extrait insuffisant dans son Histoire de la censure théâtrale en France, Paris, E. Dentu, 1862, in-18, p. 34.

[170] V. sur ce comédien fort peu connu, une des notes que nous avons faites pour la réimpression du Théâtre français de Chapuzeau. À Bruxelles, 1867, in-12, p. 147-148.

[171] Boileau, Satire II, à Molière, vers 87-96.

[172] Œuvres de Boileau ; édit. Saint-Marc, t. I, p. 49.

PDF