Amoureuse (Georges de PORTO-RICHE)

Comédie en trois actes.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Odéon, le 25 avril 1891.

 

Personnages

 

ÉTIENNE FÉRIAUD

PASCAL DELANNOY

GERMAINE FÉRIAUD

CATHERINE VILLIERS

MADAME DE CHAZAL

MADAME HENRIET

MADELEINE

 

De nos jours, à Paris.

 

 

ACTE I

 

Chez Étienne Fériaud. Un cabinet de travail en désordre. Livres, papiers épars, etc. Une lampe allumée sur un bureau.

 

 

Scène première

 

MADELEINE, PASCAL

 

PASCAL, entrant le chapeau sur la tête.

Monsieur est rentré ?

MADELEINE, disposant sur une petite table un plateau chargé d’une bouteille et de plusieurs verres.

Pas encore.

PASCAL.

Et madame ?

MADELEINE.

Madame est là.

PASCAL.

Seule ?

MADELEINE.

Avec madame de Vitry.

PASCAL, d’un ton bourru.

Toujours du monde.

MADELEINE.

Mais, monsieur, c’est jeudi, le jour de madame.

PASCAL, ôtant son chapeau.

Je n’entre pas. Arrangez-moi le feu, Madeleine.

MADELEINE.

Je viens de mettre une bûche.

PASCAL.

Mettez-en une deuxième.

MADELEINE, tisonnant.

Monsieur est difficile, pour un artiste.

PASCAL.

Les pauvres ont plus besoin de confortable que les autres, ma fille. Et maintenant, ouvrez cette fenêtre, ça sent le tabac.

MADELEINE.

Bien, monsieur.

Pascal prend un journal et s’installe dans un fauteuil, au coin du feu.

PASCAL, lisant.

« Madame G... »

S’interrompant.

Encore un mari qui vient de surprendre sa femme... Madame G... Je parie que c’est madame Crozat... Pauvre petite femme !

MADELEINE.

Monsieur ne désire pas autre chose ?

PASCAL.

Si. Qu’est-ce qu’il y a dans cette bouteille ?

MADELEINE.

Du malaga.

PASCAL.

Mon malaga ?

MADELEINE.

Oui, monsieur.

PASCAL.

Voilà mon affaire,

Se versant à boire.

Le seul vin qui soit buvable ici.

MADELEINE.

Oh ! monsieur.

PASCAL, à brûle-pourpoint.

Comment va votre amant, Madeleine ?

MADELEINE.

Mais je n’ai pas d’amant !

PASCAL.

Une jolie fille-comme vous ?

MADELEINE.

Non, monsieur.

PASCAL.

Quel âge avez-vous ?

MADELEINE.

Vingt-deux ans.

PASCAL.

Six ans de perdus !

MADELEINE.

Si j’avais quelqu’un, je serais moins gaie.

PASCAL.

Mais vous seriez tout de même plus contente.

MADELEINE.

Je connais un peintre qui me dit souvent de ces bêtises-là.

PASCAL, vivement.

Un peintre ?...

MADELEINE.

Un peintre qui travaille en face, chez le vitrier.

PASCAL.

Très flatté.

Une pause.

Est-ce que M. Fériaud part ce soir ?

MADELEINE.

Le docteur part tout à l’heure.

PASCAL.

La maison ne sera pas drôle. Je vais bien m’ennuyer.

 

 

Scène II

 

PASCAL, GERMAINE

 

GERMAINE, sur le seuil de la porte, tendrement.

Tu es là ?

PASCAL, sans bouger de son fauteuil.

Non, madame, il n’est pas là.

GERMAINE.

Tiens, c’est vous, Pascal !

PASCAL.

J’attends Étienne.

GERMAINE.

Pourquoi n’êtes-vous pas entré chez moi ?

PASCAL.

Vous aviez des gens ennuyeux.

GERMAINE.

Vous m’auriez aidée à les recevoir.

PASCAL.

Me déranger ? Jamais de la vie.

GERMAINE.

Je me sauve. Allons, égoïste, venez avec moi.

PASCAL.

Voyons, ma petite Germaine, vous n’y songez pas. Regardez comme je suis bien installé.

GERMAINE, prête à sortir.

Gros chat.

PASCAL.

Ah ! ne m’abandonnez pas, je vais être tout seul à présent.

GERMAINE.

J’ai peur qu’on ne sonne.

PASCAL.

Restez.

GERMAINE.

Non.

PASCAL.

Quand votre mari rentrera, j’empêcherai qu’on vous avertisse.

GERMAINE.

Ça m’est bien égal, je le guette.

PASCAL.

À quelle heure s’en va-t-il ?

GERMAINE, prenant une chaise et venant s’asseoir tout près de lui.

À huit heures, mon bon Pascal.

PASCAL.

Tiens, vous vous asseyez.

GERMAINE.

Croyez-vous, hein ? Il part ce soir pour l’Italie. Il va présider la Délégation française au congrès médical.

PASCAL.

Singulière idée, nous lâcher ainsi !

GERMAINE.

Depuis huit ans que nous sommes mariés, c’est la première fois que nous nous quittons.

PASCAL.

Depuis quinze ans, je ne suis pas resté un seul jour sans le voir.

GERMAINE.

Il paraît que ce voyage est nécessaire à ses travaux.

PASCAL.

Qu’est-ce que ça peut nous faire, ses travaux ?

GERMAINE.

Pauvre garçon, je le persécute, je le tourmente. Il n’est pas fâché de prendre un peu de liberté.

PASCAL.

Entre nous, ma chère, vous devenez insupportable.

GERMAINE.

Je le sais bien. Que voulez-vous ? Les pendules d’une maison ne sont pas toutes réglées sur la même heure ; quand l’une avance, l’autre retarde.

PASCAL.

Et elles ne sonnent jamais en même temps.

GERMAINE.

Quelle force de ne pas aimer son mari ! Si je n’adorais pas le mien, les choses iraient beaucoup mieux.

PASCAL.

Le fait est que tout va de travers chez vous. On se dispute, on mange mal... Si ça continue, je ne fiche plus les pieds ici.

GERMAINE.

Vous chercherez une maison plus tranquille.

PASCAL.

Je plaisante. Je suis trop vieux pour changer mes habitudes.

GERMAINE.

Faites comme votre ami, voyagez.

PASCAL.

Mes chagrins me retiennent à Paris.

GERMAINE.

Votre écuyère, toujours ?

PASCAL.

Encore.

GERMAINE.

Et vous ne travaillez pas ?

PASCAL.

Ma foi, non.

GERMAINE.

Quel dommage ! J’ai vu hier le directeur de la Revue illustrée. Il n’est pas content, vous savez ?

PASCAL.

Un directeur qui rage, c’est toujours amusant.

GERMAINE.

Il attend vos dessins depuis un mois.

PASCAL.

Il a eu tort de me les payer d’avance.

GERMAINE.

Mauricette est une maîtresse, cher ?

PASCAL.

Pas encore, elle est si jeune.

GERMAINE.

Sérieusement Pascal, pour votre dignité, vous devriez rompre avec cette femme.

PASCAL.

Je ne fais que ça.

GERMAINE.

Vous ne l’aimez pas, elle vous trompe, et vous souffrez comme si vous l’aimiez.

PASCAL.

Elle me martyrise, elle ne me trompe pas.

GERMAINE.

Naïf.

PASCAL.

L’amour est aveugle.

GERMAINE.

Vous en voyez pourtant de toutes les couleurs.

PASCAL.

J’en conviens.

GERMAINE.

Si vous étiez raisonnable, vous m’écouteriez...

PASCAL.

Et j’épouserais madame Brissot.

GERMAINE.

Pourquoi pas ?

PASCAL.

Une femme divorcée ? Un livre déjà lu !

GERMAINE.

Mais pas épuisé.

PASCAL.

Vous y tenez beaucoup ?

GERMAINE.

Dame, mon ami, cinquante mille francs de rente.

PASCAL.

Vous n’êtes pas honteuse de parler ainsi, vous qui avez fait un mariage d’amour ?

GERMAINE.

On peut aimer madame Brissot.

PASCAL.

Trop maigre.

GERMAINE.

Eh ! les maigres, c’est quelquefois dangereux.

PASCAL.

Comme les arêtes. Je refuse. D’abord, elle est assommante avec sa dévotion, votre madame Brissot. Oh ! les femmes qui s’occupent du bon Dieu, je...

GERMAINE.

Vous les envoyez au diable.

PASCAL.

Si Dieu s’occupait d’elles, passe encore, je comprendrais, mais...

GERMAINE.

Allons, ne commencez pas à dire du mal de Dieu, c’est démodé.

PASCAL.

Soit, disons du bien de lui. Puisqu’il n’est pas là, c’est plus généreux.

GERMAINE.

Ma foi, c’est le seul absent qu’on épargne.

PASCAL.

Parce qu’on ne l’a jamais vu.

GERMAINE.

Taisez-vous, vous parlez comme un conseiller municipal.

 

 

Scène III

 

PASCAL, GERMAINE, ÉTIENNE, puis MADELEINE

 

PASCAL.

Enfin !

GERMAINE.

Le voilà !

ÉTIENNE.

Ah ! mes amis, que je suis fatigué !

PASCAL.

Naturellement. Il est toujours fatigué quand il rentre, et jamais quand il sort.

GERMAINE, à Étienne.

Attrape !

PASCAL.

Donne-nous des explications. Pourquoi cette longue absence ?

GERMAINE.

Oui, d’où viens-tu ?

ÉTIENNE.

Je sors de l’Académie.

PASCAL.

Ce n’est pas vrai.

GERMAINE.

Il n’y a pas eu séance aujourd’hui.

ÉTIENNE, se versant à boire.

Je présidais une commission.

GERMAINE.

Je te crois, moi.

PASCAL.

Ah ! ne bois pas mon vin.

ÉTIENNE.

Je suis en retard parce que je suis revenu à pied.

GERMAINE.

Un amoureux aurait pris une voiture...

ÉTIENNE.

J’ai voulu prendre le tramway.

PASCAL.

C’est d’un ami.

ÉTIENNE.

Mais il fallait attendre trop longtemps, j’ai perdu patience.

PASCAL.

Et tu as fait une bonne marche hygiénique, je te pardonne.

ÉTIENNE, sortant de sa poche un numéro de tramway.

Ce numéro que j’ai négligé de rendre atteste ma sincérité : 53 !

Il le remet dans sa poche.

PASCAL.

Alors, c’est décidé, tu vas représenter la France à un congrès ?

ÉTIENNE.

Je pars pour Florence tout à l’heure.

PASCAL.

Tu oseras revoir l’Italie sans moi ?

ÉTIENNE.

Viens, je voyage avec Marcotte et sa maîtresse.

PASCAL.

La petite Janin ?

GERMAINE, avec humeur.

L’amie de mademoiselle Villiers ; un ménage que tu voyais beaucoup autrefois ?

ÉTIENNE.

Justement.

PASCAL.

Tu me tentes, j’ai envie de t’accompagner ; mais, je réfléchis, Germaine va être tout à fait seule.

GERMAINE.

Si tu m’emmenais ?

ÉTIENNE.

Tu es folle.

PASCAL.

Nous ne sommes pas forcés de monter dans le wagon des Marcotte.

ÉTIENNE, désignant Germaine.

Si je l’emmène là-bas je n’aurai pas le temps de la voir.

PASCAL.

Je la verrai, moi.

ÉTIENNE.

Je reviens dans huit jours.

GERMAINE.

N’insistez pas.

PASCAL.

Alors, je reste aussi.

ÉTIENNE.

Ce n’est pas gentil de vous abandonner ; mais vous en conviendrez, je n’ai pas le droit de décliner celte mission.

S’animant.

Une mission qui va me permettre de défendre mes idées. Grâce à ce congrès, la prophylaxie des maladies contagieuses...

PASCAL.

Ah ! tu ne vas pas nous faire une conférence !

GERMAINE.

Tu exposeras tes théories à mademoiselle Janin, en wagon.

ÉTIENNE.

Elle s’y intéressera peut-être plus que toi.

PASCAL.

Parbleu, tu n’es pas son mari.

ÉTIENNE.

Soit, ne parlons pas de mes affaires.

GERMAINE.

Allons, ne prends pas ton air fâché.

PASCAL.

On sait bien que tu n’es pas le premier venu.

GERMAINE.

Ne riez pas, ses travaux ont servi à quelque chose.

ÉTIENNE.

Peut-être.

PASCAL.

Allons donc. Les découvertes de la médecine ressemblent à celles de l’artillerie. Elles enseignent à tuer l’homme plus vite, voilà tout.

GERMAINE.

Moins il y en a...

PASCAL, désignant Étienne.

Pourvu qu’il en reste un.

ÉTIENNE, avec humeur.

Ah ! cette lampe qui file.

Il remonte la lampe.

GERMAINE.

Vous dînez avec nous, Pascal ?

PASCAL.

Ça dépend, si le dîner est bon.

ÉTIENNE.

C’est moi qui ai commandé.

PASCAL.

Tu me rassures.

ÉTIENNE.

Je fais le menu à présent. Tu as un caneton et une salade russe.

PASCAL.

Seulement ?

ÉTIENNE.

Oui.

PASCAL.

Ajoute des écrevisses pour ta femme.

ÉTIENNE.

Elle n’en a pas besoin.

GERMAINE, à Pascal.

Vous !...

À Étienne.

Es-tu passé chez Doucet ?

ÉTIENNE.

Ta robe sera prête demain.

GERMAINE.

Tu n’as pas oublié, merci.

ÉTIENNE.

À propos...

GERMAINE.

Qu’est-ce que tu cherches dans ta poche ? un cadeau ?

ÉTIENNE.

Tu devines.

Il donne un petit écrin à Germaine.

GERMAINE.

Une bague !

PASCAL.

Voyons.

GERMAINE.

Oh ! qu’elle est jolie !

PASCAL, grognon.

Je ne trouve pas, le diamant est trop petit.

ÉTIENNE.

Tu es contente ?

PASCAL.

On ne m’apporte jamais rien à moi.

GERMAINE.

Il faut que je t’embrasse.

ÉTIENNE.

Eh bien ! embrasse-moi vite.

GERMAINE, avec amour.

Est-ce qu’on peut s’embrasser vite ?

PASCAL.

Je me retourne.

GERMAINE.

Inutile.

PASCAL, à Étienne.

Tu ne perdras rien pour attendre.

GERMAINE.

Alors, tu m’aimes un peu ?

ÉTIENNE.

Tu le sais bien.

PASCAL.

Ah ! mes enfants, ayez pitié de moi, je suis tout seul.

ÉTIENNE.

Comme tu es décolletée !

GERMAINE.

Est-ce un reproche ?

ÉTIENNE, séduit.

Oui et non. Me voilà charmé malgré moi, troublé tout à coup ; et j’ai de si graves préoccupations en ce moment que j’aurais préféré... ne pas penser à autre chose.

Madeleine entre avec des lettres sur un plateau.

GERMAINE.

Des lettres !

ÉTIENNE, à Madeleine.

Donnez.

GERMAINE, rendant à Étienne une lettre qu’elle vient de prendre.

Oh ! Je n’allais pas l’ouvrir.

ÉTIENNE.

Tu la sentais.

GERMAINE.

C’est différent.

PASCAL.

C’est tout comme. Un parfum, c’est un petit nom.

Madeleine sort.

ÉTIENNE, assis à son bureau, dépouillant son courrier.

Des demandes de consultations, mais je ne fais pas de clientèle... la Revue d’Edimbourg... Un article de Mackensie sur la diphtérie et la méthode de Gaucher... Tiens, mon nom, plusieurs fois... Tu ne sais pas l’anglais, Pascal ?

PASCAL.

Je ne sais même pas le russe.

ÉTIENNE.

Plus tard... Une facture de Reboux, deux cent dix francs.

GERMAINE.

Mon chapeau noir.

ÉTIENNE, à Germaine, lui tendant la facture.

Tiens.

GERMAINE, refusant.

Tu feras payer.

ÉTIENNE.

Soit, je m’en charge.

PASCAL.

Vraiment, il est trop bon, ma petite Germaine, ces choses-là vous regardent. De quoi donc vous occupez-vous toute la journée ?

ÉTIENNE.

Ma femme, elle s’occupe de son mari ; et moi, je m’occupe du reste.

GERMAINE.

Oh ! que tu es gentil, quand tu rages, je t’adore.

ÉTIENNE.

Le métier commence à me lasser.

PASCAL.

Allons, ne gronde pas encore.

GERMAINE.

Tu es meilleur que tu ne crois, tu sais.

PASCAL.

Nous t’avons vu à l’œuvre pendant sa fièvre typhoïde.

GERMAINE.

Pauvre ami, vous rappelez-vous ? Il a passé vingt nuits à mon chevet.

ÉTIENNE.

Tu m’empêches de lire, tais-toi.

GERMAINE.

Je voudrais parler.

ÉTIENNE.

Où demeure Parigot ?

PASCAL.

Rue de la Sorbonne.

GERMAINE.

Non, il a déménagé.

ÉTIENNE.

Diable, il faut que je réponde tout de suite.

PASCAL.

Cherche dans le Tout-Paris.

ÉTIENNE, agacé.

Où est-il ?

GERMAINE.

Là.

PASCAL.

Non.

ÉTIENNE.

Tiens, ta voilette, toujours des épingles sur mon bureau.

GERMAINE.

Si tu étais garçon, tu ne t’en plaindrais pas.

ÉTIENNE.

Je ne trouve pas. On ne trouve rien dans cette maison.

PASCAL.

Excepté de la poussière.

ÉTIENNE.

J’écrirai plus tard. Quel pillage ! j’aurais besoin d’un secrétaire pour mettre de l’ordre ici. Il m’aurait fallu une sœur ou quelque tante de province, un peu agaçante, mais qui aurait circulé dans l’appartement et rangé mes affaires. Je n’ai pas même une belle-mère !

Madeleine rentre avec un paquet.

PASCAL, à Madeleine.

Quoi encore ?

MADELEINE.

Des livres pour madame.

GERMAINE, ouvrant le paquet.

Un Cœur de femme...

ÉTIENNE.

Notre Cœur.

PASCAL.

Leur Cœur.

GERMAINE.

Trois Cœurs.

Madeleine sort.

ÉTIENNE.

Bourget, Maupassant...

GERMAINE.

Lavedan, Rod.

PASCAL.

Des histoires d’amour.

ÉTIENNE.

De l’adultère.

GERMAINE.

Des chagrins de femme.

ÉTIENNE.

Voilà ses lectures.

GERMAINE.

Je lis ce que je comprends le mieux.

ÉTIENNE.

Mais trompe-moi donc une bonne fois, puisque tu es si curieuse !

PASCAL.

Patience.

GERMAINE.

Il ne faut jurer de rien. Ta vie de garçon est terminée, la mienne commence.

ÉTIENNE.

Ta vie de garçon ?

PASCAL.

Sans doute, tu es le premier amant.

ÉTIENNE.

Et le dernier.

GERMAINE.

Je le souhaite de tout mon cœur.

ÉTIENNE.

Tu n’en es pas sûre ?

PASCAL.

Prends garde, mon cher, tu es féroce quelquefois Une folie est bientôt faite.

ÉTIENNE.

Une honnête femme réfléchit.

GERMAINE.

Espérons-le.

PASCAL.

Bah ! un déshonneur, c’est comme un deuil, on vous confectionne ça dans les vingt-quatre heures.

ÉTIENNE.

Si jamais tu trompes ton mari, choisis bien, mon amour, car nous sommes tous des canailles.

PASCAL.

Excepté moi.

ÉTIENNE.

Oui, tu es un brave homme, toi.

GERMAINE.

Aussi, vous n’avez aucune chance.

PASCAL.

Et pourquoi n’ai-je aucune chance ? Je me révolte à la fin. Tenez, vous avez peut-être été maladroite en refusant de m’épouser, il y a neuf ans.

GERMAINE.

Il ne fallait pas charger Étienne de votre demande.

ÉTIENNE.

Je me suis loyalement acquitté de la commission.

GERMAINE.

Il a beaucoup insisté.

PASCAL.

Un peu plus, et mon bonheur était fait.

GERMAINE.

Un peu plus, j’étais votre femme et

S’adressant à Étienne.

je devenais ta maîtresse.

PASCAL.

Ce sera peut-être le contraire.

GERMAINE.

Jamais, mon bon Pascal.

ÉTIENNE, en plaisantant, à Pascal.

Qui sait ?... malgré tes histoires, au fond, tu n’aimes que ma femme.

PASCAL.

Hélas !

ÉTIENNE.

Et si je la rends trop malheureuse, tu la consoleras.

PASCAL.

Tu crois ? chic !

ÉTIENNE.

Un jour, nous nous séparerons, ma chérie, tu me quitteras, j’en ai le pressentiment.

GERMAINE.

Te quitter ? Oh ! ça jamais, n’y compte pas, mon ami, ne caresse pas ce fol espoir, ce n’est pas la peine ; quoi que je fasse, quoi que tu fasses, je resterai là, dans ton existence, dans ta maison, à tes côtés, toujours, quand même, comme un petit crampon.

PASCAL.

Gramponnette !

ÉTIENNE.

Tu es terrible.

GERMAINE.

Éternellement, nous vivrons ensemble.

PASCAL.

Et on t’enterrera avec elle.

ÉTIENNE.

Ah ! ça non, par exemple, je veux être seul là-bas.

GERMAINE.

Pourtant, là-bas je ne te gênerais pas beaucoup.

ÉTIENNE.

Non, je ne veux pas.

PASCAL.

Eh bien, pars le premier, elle verra après.

ÉTIENNE.

Ça ne sera pas long, mes amis, je vieillis... heureusement.

PASCAL.

Heureusement ?

ÉTIENNE, avec amertume.

Oui, j’attends impatiemment la vieillesse, j’attends l’âge où le cœur est apaisé. Quelle joie de vieillir !

GERMAINE.

Quelle joie d’avoir des cheveux blancs !

PASCAL.

Ou de n’en plus avoir du tout.

ÉTIENNE.

Je me vois au coin du feu, raisonnable, assagi, dédaigné, à côté de mes livres, à côté de ma femme et de mon fils, car il faut bien espérer qu’un jour ou l’autre...

PASCAL.

Un enfant ? Tu peux demander ça à un ami.

ÉTIENNE.

Ah ! quelle ivresse de sentir son cerveau libre. Le bon temps ! des amoureux pourront passer sous mes fenêtres, je ne les suivrai pas d’un œil d’envie. Non, je me frotterai les mains en songeant à leurs tourments, à leurs agitations, à leurs jours gaspillés, à toutes ces heures volées au devoir, au travail, à la pensée. Ce sera le bonheur. Alors j’aurai soixante ans.

GERMAINE.

Oui, mais tu n’en as que quarante-trois.

PASCAL.

Et tu es solide.

GERMAINE.

Encore vingt ans d’amour, mon pauvre ami. Du courage.

ÉTIENNE.

Pardonne-moi, je dis des choses que je ne pense pas.

PASCAL, bas à Étienne.

Tu la blesses, mon cher.

ÉTIENNE.

Si seulement elle pouvait rester fâchée huit jours !

PASCAL.

Tu ne le voudrais pas.

MADELEINE, entrant.

Madame de Chazal et madame Henriet sont chez madame.

GERMAINE.

J’y vais.

Madeleine sort.

PASCAL.

Deux femmes du monde.

GERMAINE.

Deux dindes, qui ne viennent pas pour moi, mais pour mon mari.

PASCAL.

L’habitude de la maison.

GERMAINE.

Tu n’as pas encore de cheveux blancs.

PASCAL.

Elles voudraient vous le prendre ?

GERMAINE.

Elles me l’ont peut-être déjà pris.

ÉTIENNE.

Voyons, Germaine.

GERMAINE.

Ah ! Je n’ai pas d’illusions sur mes amies, moi, je sais ce qu’elles cherchent.

PASCAL.

Et il vous reproche de ne pas voir de femmes.

GERMAINE, prête à sortir.

Dame, je le prive d’occasions.

ÉTIENNE, agacé.

Tu es injuste.

GERMAINE.

Il y en a une qui a été volée tout à l’heure. Sous prétexte de lui demander un conseil important, elle a insisté pour entrer dans son cabinet. Je lui ai ouvert la porte ; mais, attrape, l’homme d’amour était sorti.

ÉTIENNE.

Qui ça ?

GERMAINE.

La petite Chailly.

PASCAL.

Cette veuve, dont le mari est mort le soir même de son mariage ?

GERMAINE.

Heureux mari !

ÉTIENNE.

Au fait, j’oubliais, ne compte pas sur ton coiffeur demain matin.

GERMAINE.

Pourquoi ?

ÉTIENNE.

Il ne viendra pas, il s’est pendu.

GERMAINE.

Pendu !

PASCAL.

Dans sa vitrine ?

ÉTIENNE.

Sa femme le trompait.

GERMAINE.

Pauvre diable !... Ce n’est pas toi qui te pendrais, hein ?

ÉTIENNE.

Qui sait ?

GERMAINE, avec reproche.

Oh ! la ficelle casserait.

ÉTIENNE.

Mon Dieu, mon Dieu !...

GERMAINE.

Je les expédie, et je reviens.

PASCAL.

Nous ne sommes pas inquiets.

 

 

Scène IV

 

ÉTIENNE, PASCAL

 

ÉTIENNE.

Tu permets que j’écrive un mot ?

PASCAL.

Tu es joliment grincheux, ce soir.

ÉTIENN’E, écrivant.

Je suis de mauvaise humeur.

PASCAL.

Ça se voit. Qu’est-ce qui se passe ?

ÉTIENNE.

Rien, toujours la même chose.

PASCAL, dessinant.

Tiens, tu as le nez plus long que d’habitude. Tu es comme les enfants toi quand tu es méchant, tu es laid.

ÉTIENNE.

Tu fais ma charge ?

PASCAL.

Et ça ne te coûtera pas un sou et pourtant, c’est demain le terme.

ÉTIENNE.

Si tu as besoin d’argent...

PASCAL.

Je n’emprunte jamais, moi, je suis trop ingrat. Je ne pourrais pas pardonner à un ami qui m’aurait rendu service.

ÉTIENNE.

Adresse-toi à un ennemi alors.

PASCAL.

C’est moins coûteux.

ÉTIENNE.

Nous sommes seuls, voyons, ne pose pas pour le cynique.

Un silence.

À propos.as-tu vu qu’une de les aquarelles s’était vendue deux mille francs ?

PASCAL.

Pas possible ?

ÉTIENNE.

Hier, à la vente Montigny. J’ai lu ça dans un journal du matin.

PASCAL.

Deux mille francs, une aquarelle de moi ? Mon Dieu ! que les gens sont bêtes.

ÉTIENNE.

Pas si bêtes que ça.

PASCAL.

Le jour n’est pas venu où les marchands m’offriront ce prix-là.

ÉTIENNE.

Travaille, il viendra bientôt.

PASCAL.

Ce jour-là, au moins, j’aurai le droit d’être paresseux.

ÉTIENNE.

Tu feras la fête.

PASCAL.

Je ferai une trentaine de dessins par an, pas davantage.

ÉTIENNE.

Et puis ?

PASCAL.

Une fois ma vie assurée, je m’occuperai de mes plaisirs.

ÉTIENNE.

Dire que si tu n’avais pas de talent, tu serais probablement un travailleur !

PASCAL.

Alors, je me félicite d’en avoir un peu.

ÉTIENNE.

Tu en as beaucoup, mon cher.

PASCAL.

Tu te trompes, je me connais. Sais-tu ce que me suggère ma conscience d’artiste ? De me croiser les bras, tout simplement. Voilà le vrai moyen d’éviter les croûtes, car je suis médiocre comme le voisin, comme un tas de gens, médiocre comme toi. Seulement je suis plus modeste.

ÉTIENNE.

Merci.

PASCAL.

Du talent, tout le monde en a aujourd’hui, ça devient insupportable.

ÉTIENNE.

Tu n’as donc aucune ambition ?

PASCAL.

Aucune, et je songe avec épouvante au musée de peinture de province où je serai probablement enseveli un jour ou l’autre, car voilà la gloire qui m’attend.

ÉTIENNE.

Tiens, décidément, tu n’aimes pas ton art.

PASCAL.

Je lui préfère l’amour et l’amitié.

ÉTIENNE.

Les amis nous lâchent et les femmes nous trompent.

PASCAL.

Attends un peu.

ÉTIENNE.

Pour ma part, je ne suis complètement heureux qu’à cette table de travail.

PASCAL.

Aujourd’hui, parce que tu es rassasié.

ÉTIENNE.

Parce que je vaux davantage. PASCAL. Tu te crois en progrès ?

ÉTIENNE.

J’ai commencé par l’amour, je finis par la science.

PASCAL.

Fâcheux pour ta femme.

ÉTIENNE.

Nous nous sommes peut-être rencontrés trop tard.

PASCAL.

Le bonheur de l’humanité d’abord, le sien ensuite, n’est-ce pas ?

ÉTIENNE.

Si je suis utile, son devoir est de s’incliner.

PASCAL.

Égoïste.

ÉTIENNE.

Sais-tu bien que mes recherches sur la diphtérie pourraient sauver des milliers d’êtres ?

PASCAL.

Elles n’ont pas encore abouti, ne t’enflamme pas.

ÉTIENNE.

Elles aboutiront.

PASCAL.

Eh bien, après ? la belle affaire ! Quand vous guérissez une maladie, Dieu nous en envoie une autre. Il semble qu’il faille toujours ici-bas le même nombre de fléaux. Autant garder ceux qu’on connaît. Et puis, à quoi bon ? Il y aura éternellement des pauvres et des riches, des coquins qui ont de la chance et de braves gens qui n’en ont pas. Tu peux t’enfermer et travailler, tu peux avoir du génie, tu ne changeras pas le train des choses. Rien ne vaut la peine de rien.

ÉTIENNE.

C’est la lâcheté que tu prêches là, l’inutilité de l’effort. Si nos pères avaient raisonné comme toi, la terre serait encore inhabitable et les hommes iraient tout nus.

PASCAL.

Les femmes aussi.

ÉTIENNE.

Nous marcherions à quatre pattes, mon bon ami.

PASCAL.

Ça m’amuserait peut-être beaucoup.

ÉTIENNE.

Tu peins des arbres, mais tes aïeux y grimpaient.

PASCAL.

Je serais bien embarrassé d’en faire autant.

ÉTIENNE.

Ce sont ceux que tu blagues, ce sont les savants, les artistes, et les poètes qui ont amélioré ce monde imparfait. Ce sont eux qui l’ont rendu plus supportable, moins incommode aux jouisseurs et aux meurt de faim. Ils ont sans doute été de mauvais maris, des amis médiocres, des fils révoltés. Qu’est-ce que ça fait ? Leurs travaux et leurs rêveries ont semé du bonheur, de la justice et de la beauté sur la terre. Ils n’ont pas aimé, ces égoïstes, mais ils ont créé de l’amour pour ceux qui sont venus.

PASCAL.

Eh bien, continuez, mes amis, supprimez la souffrance et la haine, je ne demande pas mieux, après tout.

ÉTIENNE.

Nous y arriverons.

PASCAL.

Dans six semaines ?

ÉTIENNE.

Dans quelques siècles. Nous avons déjà reculé les limites de la vie.

PASCAL.

Quelle cruauté !... Qui sait ? Avec un peu de chance, vous finirez peut-être aussi par supprimer la mort.

ÉTIENNE.

Vaincre la mort ? Eh ! mon cher, nous sommes si lancés.

PASCAL.

Je voudrais bien vivre dans ce temps-là.

ÉTIENNE.

Tu n’es pas marié, toi.

PASCAL.

À quoi bon, d’ailleurs ? Vous ne feriez pas la jeunesse plus longue.

ÉTIENNE.

Amoureux, va.

 

 

Scène V

 

ÉTIENNE, PASCAL, GERMAINE, MADAME DE CHAZAL, MADAME HENRIET

 

MADAME HENRIET.

On peut vous serrer la main ?

MADAME DE CHAZAL.

On peut vous souhaiter un bon voyage ?

ÉTIENNE.

Je crois bien.

MADAME DE CHAZAL, à Pascal.

Tiens, monsieur Delannoy ?

PASCAL, s’inclinant.

Lui-même.

GERMAINE, à Étienne, s’approchant de son bureau.

Tu écrivais ?

ÉTIENNE.

Regarde.

GERMAINE.

Je t’agace.

ÉTIENNE.

Non.

MADAME DE CHAZAL, à Pascal.

On dit que vous épousez madame Brissot, est-ce vrai ?

PASCAL.

Ça m’étonnerait. D’abord, moi, je suis l’ennemi personnel du mariage.

GERMAINE.

Voulez-vous bien vous taire !

PASCAL.

Le mariage est une institution surannée qui a eu un commencement et qui aura une fin.

ÉTIENNE, gaiement.

Ne prends pas un pareil engagement...

PASCAL.

Un engagement aussi immoral, car on ne doit prendre, que ceux qu’on peut tenir, et personne n’est sûr de pouvoir tenir celui-là.

MADAME HENRIET, à Pascal.

En attendant, ce soir chez les Février on annonçait vos fiançailles.

GERMAINE, s’attendrissant.

Ah ! les fiançailles !...

ÉTIENNE.

Le meilleur moment du mariage.

GERMAINE.

Moi, je trouve que le meilleur moment c’est...

PASCAL.

C’est après.

GERMAINE.

Je n’osais pas le dire.

MADAME HENRIET, à Étienne.

Voilà qui fait votre éloge.

MADAME DE CHAZAL.

À quarante ans passés. 

PASCAL.

Il est de la territoriale, mais on le maintient sous les drapeaux.

ÉTIENNE, consterné.

Je n’ai pas de chance, moi, elles m’aiment toutes.

MADAME DE CHAZAL.

Quand on fait le charme de tant de monde, on risque de ne faire le bonheur de personne.

PASCAL, gouailleur.

Et pourtant, regardez-moi cet homme-là, il n’est pas beau.

MADAME HENRIET.

Il est fané.

MADAME DE CHAZAL.

Il s’habille mal.

ÉTIENNE.

Je me néglige exprès.

GERMAINE.

N’importe, rien ne nous décourage.

MADAME DE CHAZAL.

Vos amis doivent vous détester, hein ?

ÉTIENNE.

De bon cœur.

PASCAL.

A-t-il des cheveux, l’animal !

ÉTIENNE.

Ce qu’ils m’ont fait d’ennemis !

PASCAL.

Je connais un chauve qui te déchire partout.

ÉTIENNE.

Un vieux camarade ? ce grand raté de ?... Son âme est aussi aride que son crâne.

GERMAINE, à Pascal.

Gentil tout de même, mon Étienne ?

PASCAL, furieux.

Quand nous sortons ensemble, c’est toujours moi qui fais de l’œil, mais c’est lui qu’on regarde.

MADAME HENRIET.

Pauvre Pascal !

GERMAINE, à Étienne.

Est-ce qu’elles t’arrêtent dans la rue ?

PASCAL.

Non, mais elles le suivent.

ÉTIENNE.

Blagueur.

PASCAL.

On t’a suivi deux fois cet hiver, je l’ai constaté.

MADAME HENRIET.

C’est trop fort.

MADAME DE CHAZAL.

On le suit.

PASCAL.

Comme une femme.

GERMAINE.

Comme une cocotte.

ÉTIENNE.

Hélas ! parfois je me demande si je n’en suis pas une.

GERMAINE.

Heureusement que tu n’es pas vénal.

ÉTIENNE, gaiement.

Ah ! mes amis, j’aurais pu gagner des millions.

GERMAINE, à madame Henriet, en lui offrant des bonbons.

Voulez-vous un bonbon ?

Germaine, madame Henriet et Pascal remontent la scène.

MADAME DE CHAZAL, à Étienne.

Vous avez l’air désolé de plaire aux femmes.

ÉTIENNE.

Désolé, c’est le mot.

MADAME DE CHAZAL.

Trop de bonnes fortunes ?

ÉTIENNE, gamin.

Trop de commandes.

MADAME DE CHAZAL.

Tant pis.

ÉTIENNE, reculant.

Oui, j’ai beaucoup à faire en ce moment, je suis très occupé.

MADAME DE CHAZAL.

Vous rappelez-vous le petit entresol où nous nous rencontrâmes tout un hiver... avant votre mariage ?

ÉTIENNE.

Il y a quinze ans ?

MADAME-DE CHAZAL.

Pas si longtemps.

ÉTIENNE.

Permettez, vous êtes entre...

MADAME DE CHAZAL.

Quel cynisme !

ÉTIENNE.

Une dame du Havre vous succéda.

MADAME DE CHAZAL.

Dans le même entresol ?

ÉTIENNE.

Pouah !

MADAME DE CHAZAL.

Je suis passée hier devant la maison, il est libre.

ÉTIENNE.

Il a de la veine.

MADAME DE CHAZAL.

Si nous le reprenions ?

ÉTIENNE.

Je pars.

MADAME DE CHAZAL.

À votre retour ?

ÉTIENNE.

Ah ! ma chère, je vous le répète, je suis très occupé.

MADAME DE CHAZAL.

Surmené ?

ÉTIENNE.

Et vraiment, là, je vous connais, vous ne seriez pas contente.

MADAME DE CHAZAL.

Surmené ! Doit-on le dire ?

ÉTIENNE.

Oh oui ! je vous en prie, dites-le... pour qu’on me laisse tranquille.

MADAME DE CHAZAL.

Si Germaine savait comme ça vous ennuie, elle serait moins jalouse.

ÉTIENNE.

Je me moque de vous et des autres. Tout cela, ce sont des fanfaronnades. En réalité, je travaille et je suis Adèle à ma femme.

MADAME DE CHAZAL.

Vous lui êtes fidèle, mais vous n’êtes pas fâché de laisser supposer le contraire.

ÉTIENNE.

Je suis si vaniteux.

MADAME DE CHAZAL.

L’aimez-vous seulement ?

ÉTIENNE.

Vous me posez là une question qu’elle m’adressait tout à l’heure, et qu’elle m’adressera probablement avant cinq minutes.

MADAME DE CHAZAL.

Fat.

ÉTIENNE.

Parions.

GERMAINE, s’avançant.

De quoi riez-vous dans ce coin ? Vous dites du mal de moi, je suis sûre.

MADAME DE CHAZAL.

Non.

ÉTIENNE.

Non, mon amour.

GERMAINE, tendrement.

Tu m’aimes ?

ÉTIENNE.

J’ai gagné.

GERMAINE.

Que signifie cette plaisanterie ?

ÉTIENNE.

J’avais parié avec madame de Chazal que tu me poserais cette question avant cinq minutes.

Madame de Chazal se rapproche de madame Henriet et de Pascal.

GERMAINE, à Étienne.

Tu te moques de moi, tu as raison, je suis ridicule.

ÉTIENNE.

Voyons, grande enfant, je m’amuse.

GERMAINE, tristement.

Étrange manie des femmes qui veulent à tout prix vous arracher une bonne réponse, quand elles savent que cette réponse sera mensongère.

ÉTIENNE, plaisantant.

Réconcilions-nous, mon petit ordinaire.

GERMAINE.

Si je suis ton ordinaire, je serai l’extraordinaire de quelqu’un.

ÉTIENNE.

Germaine !... 

GERMAINE, gaiement.

Une femme n’est complète que lorsqu’elle a inspiré tous les sentiments.

Germaine se rapproche de Pascal et de madame de Chazal.

MADAME DE CHAZAL, à madame Henriet.

Six heures ! je dîne en ville, sauvons-nous. À peine si j’ai le temps de me déshabiller.

PASCAL.

Est-ce que ça vous coûte beaucoup ?

MADAME DE CHAZAL.

Au contraire.

MADAME HENRIET, à Étienne.

Adieu, gascon.

ÉTIENNE.

Pourquoi gascon ?

MADAME HENRIET.

Parce que vous oubliez vos promesses.

ÉTIENNE.

Moi ?

MADAME HENRIET.

Vous m’aviez promis de m’écrire.

ÉTIENNE.

Ah ! oui, pour vous donner une heure.

MADAME HENRIET.

Pardon, deux heures.

ÉTIENNE.

Soit.

MADAME HENRIET.

J’attends toujours votre lettre.

ÉTIENNE.

J’ai pensé à vous, et en voici la preuve.

MADAME HENRIET.

Votre femme nous regarde.

ÉTIENNE, gravement.

Tenez.

Il lui glisse dans la main son numéro de tramway.

MADAME HENRIET, suffoquée.

53... un numéro !

ÉTIENNE.

À mon retour, je pourrai peut-être vous en donner un meilleur.

MADAME HENRIET.

Mal élevé.

ÉTIENNE, éclatant de rire.

Pardonnez-moi, je suis amoureux de ma femme.

MADAME HENRIET.

Quel châtiment pour un libertin !

PASCAL, à madame de Chazal.

Alors, vous ne voulez pas de moi.

MADAME DE CHAZAL.

Non.

PASCAL.

Que faut-il donc pour vous décider ?

MADAME DE CHAZAL.

Beaucoup de choses.

MADAME HENRIET.

La croix et la bannière.

PASCAL.

La bannière surtout.

MADAME DE CHAZAL.

Bohème !

À Étienne.

Bon voyage, docteur.

ÉTIENNE.

Merci.

MADAME HENRIET.

À bientôt.

GERMAINE.

Adieu.

PASCAL.

Je les fourre en voiture.

 

 

Scène VI

 

GERMAINE, ÉTIENNE

 

GERMAINE.

Enfin, nous sommes seuls. Tu ne vas plus me tourmenter.

ÉTIENNE.

Tu m’en veux encore ?

GERMAINE.

Non.

ÉTIENNE, fermant la porte.

À la bonne heure.

GERMAINE.

Quelle chance ! Tous les deux.

ÉTIENNE.

Oui.

GERMAINE.

Tu as raison, ferme la porte.

ÉTIENNE.

Je ne l’ai pas fermée tout à fait, je t’avertis.

GERMAINE.

Oh ! ce n’est jamais toi qui mets les verrous.

ÉTIENNE.

Impatiente.

GERMAINE, gamine.

Au moins, laisse-moi t’embrasser. Oh ! ne crains rien, je ne serrerai pas trop fort. Je t’embrasserai tendrement, sans mauvaise pensée, à ta façon.

ÉTIENNE.

Embrasse-moi comme tu veux.

GERMAINE.

Comme je veux ?

ÉTIENNE.

Ton amoureux le permet.

GERMAINE.

Oui, mais mon mari le défend.

Elle lui donne un baiser.

ÉTIENNE.

Assez.

GERMAINE.

Encore un...

ÉTIENNE.

Je suis pressé.

GERMAINE.

Ça ne prendra pas de temps.

ÉTIENNE.

Le dernier, alors.

GERMAINE.

Parole.

Elle l’embrasse encore.

ÉTIENNE.

Ah ! Tu me fais sauter. La mâtine ! Elle connaît tous les trucs.

GERMAINE.

J’en aurais inventé.

ÉTIENNE, plaisantant.

Veux-tu bien te taire, impudique ! Si un journaliste nous entendait...

GERMAINE.

Les gens pervertis sont toujours scandalisés. À ton tour.

ÉTIENNE, l’embrassant.

Voilà.

GERMAINE.

Déjà fini ?

ÉTIENNE.

Oui.

GERMAINE.

Un seulement ?

ÉTIENNE.

Un de plus serait dangereux.

GERMAINE.

Eh bien ?...

ÉTIENNE.

Changeons de conversation.

GERMAINE.

Puisque tu vas partir, il n’y a pas de danger.

ÉTIENNE.

Tout à l’heure.

GERMAINE.

Un seul ? enfin ! C’est toujours ça. Parle à présent, raconte.

ÉTIENNE.

Quoi ?

GERMAINE.

Ta journée.

ÉTIENNE.

Mais je n’ai rien à raconter.

GERMAINE, tendrement.

Raconte tout de même, allons, mens-moi un peu. Tu ne me fais plus de tes chers mensonges.

ÉTIENNE.

Je t’ai tout dit, je te le jure.

Il se lève.

GERMAINE, le forçant à se rasseoir.

Oh ! ne bouge pas, je t’en prie. Il y a un siècle que je ne t’ai vu.

ÉTIENNE.

Voyons, je suis sorti à deux heures et demie.

GERMAINE.

Deux heures.

ÉTIENNE.

Il n’est que six heures.

GERMAINE.

Six heures un quart.

ÉTIENNE.

Diable, je vais manquer mon train.

GERMAINE.

La pendule avance.

ÉTIENNE.

Quelle enfant ! Personne ne croirait que tu es mariée depuis huit ans.

GERMAINE.

Ça t’étonne, hein ? que je t’aime depuis si longtemps. Oh ! je suis contente de te voir. On ne dirait jamais que je vis avec toi, n’est-ce pas ?

ÉTIENNE.

Le fait est...

GERMAINE.

As-tu remarqué comme je suis gaie quand tu n’es pas méchant ?

ÉTIENNE, fat.

C’est vrai.

GERMAINE, avec admiration.

Sais-tu de quoi tu as l’air ? D’une jolie femme à qui l’on vient de faire un compliment.

ÉTIENNE.

Passe-moi les allumettes.

GERMAINE.

Est-il gentil de me demander quelque chose ! Qu’est-ce qu’il te faut maintenant ? Je voudrais te servir.

ÉTIENNE, allumant une cigarette.

Mets-toi là et ne parle plus.

GERMAINE.

Oh ! ne regarde pas tes papiers, tu travailleras en voyage.

ÉTIENNE.

Tu as raison. D’ailleurs, je ne suis pas en train, ce soir.

GERMAINE.

Et tu tousses.

ÉTIENNE.

Il fait froid dans cette chambre.

GERMAINE.

Avec un feu pareil ? Tu plaisantes, on étouffe ici.

ÉTIENNE.

Je suis tout frissonnant, si je me chauffais.

GERMAINE.

C’est ça, chauffons-nous. Ensemble, c’est si amusant !

ÉTIENNE.

Oui, chauffons-nous.

Ils s’approchent du feu.

GERMAINE.

En effet, tu as l’air fatigué ce soir. Tu ne te sens pas malade, au moins ?

ÉTIENNE.

Quelle idée !

GERMAINE.

Il faut faire un peu plus attention à ta santé, Étienne, je te trouve imprudent.

ÉTIENNE.

Imprudent ?

GERMAINE.

Ainsi, tu as sur toi un costume trop léger.

ÉTIENNE.

Tu te trompes, je suis assez couvert.

GERMAINE.

Pas pour le mois de mars.

ÉTIENNE, bâillant.

Rassure-toi, je me porte à merveille.

GERMAINE.

En attendant, tu bâilles, tu as des crampes d’estomac.

ÉTIENNE.

Je bâille parce que c’est l’heure du dîner, j’ai faim.

GERMAINE.

Tu as beau dire, tu es plus pâle que d’habitude.

ÉTIENNE.

Laissons ma santé tranquille.

GERMAINE.

Après tout, ta pâleur s’explique ; tu as beaucoup travaillé ces temps-ci.

ÉTIENNE.

C’est une erreur. Tu sais bien que non. Pauvre travail, n’en parlons pas, je te gronderais : heureusement que nous sommes riches ! Allons, avoue-le, ça te fait un peu honte de me voir si changé ?

GERMAINE.

Ça m’ennuie tout simplement.

ÉTIENNE.

Je ne mène pas la vie que je devrais mener : je me couche trop tard, je me lève trop tôt. Voilà l’explication de ma mauvaise mine. Tu n’as pas besoin d’en chercher une autre pour apaiser tes remords.

GERMAINE.

Tu crois ?

ÉTIENNE.

Qui ne serait fourbu à ma place ? Nous dînons en ville, nous sortons, nous soupons, nous nous agitons sans cesse. Hier, il était trois heures quand nous sommes rentrés... et naturellement...

GERMAINE.

Dire que tous les lendemains c’est la même chose ! Il faut toujours que tu mêles des regrets aux moindres joies. Que veux-tu ? on n’est pas parfaite. Je ne peux pourtant pas être triste, quand... Si je le disais, je mentirais. Et puis quelle erreur de s’imaginer que les heures les plus douces sont fatalement les plus nuisibles ! Je ne suis pas de cet avis-là.

ÉTIENNE.

Parbleu.

GERMAINE.

Dans tous les cas, hier, c’est toi qui m’as proposé de sortir.

ÉTIENNE.

Je le reconnais.

GERMAINE.

Enfin.

ÉTIENNE.

Il est vrai que nous venions de nous disputer. Ôte la dispute, il n’y aurait pas eu de réconciliation.

GERMAINE.

Avec ça.

ÉTIENNE.

Puis, tu avais justement cette robe qui te rend si jolie et chaque fois que tu la mets, j’ai remarqué...

GERMAINE.

Quoi ?

ÉTIENNE.

Que tu faisais de moi tout ce que tu voulais

GERMAINE.

Allons donc.

ÉTIENNE.

Aussi, tu la mets constamment.

GERMAINE.

Par reconnaissance.

ÉTIENNE.

Je t’en prie, Germaine, habille-toi autrement ; quand tu es comme ça, je perds la tête.

GERMAINE.

Malheureusement tu la retrouves.

ÉTIENNE.

Trop tard.

GERMAINE.

Le matin.

ÉTIENNE.

Il faut bien que le jour arrive.

GERMAINE, avec mélancolie.

Ah ! le jour, c’est mon ennemi. Dès qu’il paraît, tu recouvres ta raison, ton intelligence, ta cruauté, tu accueilles tout ce qui est contre moi, tout ce qui condamne mon amour, tu te reprends. Mon pouvoir cesse avec le jour, mon prestige s’évanouit et alors je n’ai plus en face de moi qu’un étranger, un homme que je ne suis pas sûre de reconquérir. Ah ! pourquoi cette minute charmante où je suis si réellement la moitié de toi-même s’envole-t-elle ? Comment les esprits ont-ils des pensées différentes quand les corps ont des sensations semblables ! Hélas ! on est deux êtres après cela, deux êtres séparés et quelquefois deux adversaires. Quelle bêtise !

ÉTIENNE.

Peut-être, ma chérie, que si nous faisions deux chambres...

GERMAINE.

Deux chambres ? Non, je préfère que tu me détestes en te réveillant, je veux dormir là sur ton cœur, comme un enfant, toute ma vie. J’ai bien réfléchi et je n’ai pas trouvé de meilleur moyen d’être heureuse. Si tu m’ôtais ces nuits-là, que nous resterait-il ?

ÉTIENNE, fat.

Alors, quand tu t’endors sur cette épaule, tu es contente ?

GERMAINE.

Non.

ÉTIENNE.

Menteuse.

GERMAINE.

Tais-toi, tu parles toujours du bonheur que tu donnes et jamais de celui que tu reçois. Et pourtant, imbécile, si tu m’aimais comme je t’aime, tu ne sais pas la joie que tu aurais. Va, je ne changerais pas mon sort contre le tien, malgré toutes les misères que tu me fais.

ÉTIENNE, attendri.

Je suis très méchant, n’est-ce pas ?

GERMAINE.

Assez.

ÉTIENNE.

Je te froisse, je t’humilie ?

GERMAINE.

Souvent.

ÉTIENNE.

Pauvre petite !

GERMAINE.

Tu le vois, je ne suis pas fière. Dès que tu es bon, je me plains

ÉTIENNE.

Tu as raison, plains-toi.

GERMAINE.

Quand je suis sûre de ta tendresse, je n’ai plus besoin de dignité.

ÉTIENNE.

Parle, tu m’enchantes.

GERMAINE.

Je te plais ?

ÉTIENNE.

Si tu n’avais pas souffert, que de choses charmantes n’auraient pas été dites !

GERMAINE.

C’est égal, ne m’en fais pas trop dire. Qui sait ? le bonheur m’inspirerait peut-être aussi bien.

ÉTIENNE.

Le bonheur, mais tu l’auras quand tu voudras.

GERMAINE.

Quand je te laisserai tranquille.

ÉTIENNE.

Quand tu consentiras à être moins romanesque. Généralement on n’aime pas tant que ça son mari.

GERMAINE.

Mon seul tort est d’éprouver pour le mien les mêmes sentiments que toutes mes amies ont pour lui. Quel malheur que je sois ta femme !

ÉTIENNE.

Oui, c’est dommage.

GERMAINE.

Après tout, sois juste, ce n’est pas un crime d’être légitime, c’est un accident. Tu ne m’aurais pas épousée que j’aurais peut-être été la plus jolie aventure de ta vie.

ÉTIENNE.

Mais tu es la plus flatteuse de mes bonnes fortunes.

GERMAINE.

Je suis ta vertu, mais j’aurais pu être ton vice, tout aussi bien qu’une autre. D’abord, tu es un amant, toi, tu n’es pas un mari. Ton rôle ici-bas, c’est d’être un amoureux, l’éternel amoureux.

ÉTIENNE, résigné.

Delaunay !

GERMAINE.

Tu voudrais changer d’emploi parce que tu as quarante-trois ans. Impossible ! Toute ta vie tu aimeras ou tu seras aimé. On n’échappe pas à sa destinée.

ÉTIENNE.

C’est effrayant.

GERMAINE.

Aussi, si tu avais un peu de bon sens, au lieu de te dérober à mon amour les trois quarts du temps, tu le subirais avec philosophie. À ta place, je me dirais : puisque le Ciel m’a condamné à l’adoration de toutes les femmes, eh bien, laissons-la faire, autant elle qu’une autre, en somme ; elle est gentille.

ÉTIENNE.

Et les jours où l’on n’est pas en train, où l’on travaille, où l’on est de mauvaise humeur ?

GERMAINE.

Ça ne fait rien, ces jours-là, on s’interrompt, on sourit, et on pense tout bas : elle va bien m’ennuyer, mais elle sera si contente !

ÉTIENNE.

Eh bien ! aime-moi tout de même.

GERMAINE.

Tant que je veux ?

ÉTIENNE.

Oui, mais pas plus.

GERMAINE.

Oh ! tu as déjà le trac.

ÉTIENNE.

Est-ce que tu crois que cette passion durera toujours ?

GERMAINE.

J’en ai peur.

ÉTIENNE.

Alors, jusqu’à la fin de tes jours, ton mari sera ton unique préoccupation ?

GERMAINE.

Même vieille, en cheveux blancs, je n’aurai que ce souci-là. Résigne-toi, mon pauvre ami. Je t’ai dans le sang.

ÉTIENNE, éclatant.

Tiens, je t’adore.

GERMAINE.

Oh ! répète-le. Si tu le sais, moi, je ne le sais pas.

ÉTIENNE.

Je t’adore, je t’adore.

GERMAINE.

Plus que la raison, plus que le travail ?

ÉTIENNE.

Plus que la science.

GERMAINE.

Plus que le congrès de Florence ?

ÉTIENNE.

Je m’en moque un peu, du congrès, et je n’irai pas.

GERMAINE.

Ah ! pas de bêtises, tu partiras, c’est convenu.

ÉTIENNE.

Je reste avec toi.

GERMAINE.

Je ne veux pas. Va t’apprêter. Puisque tu m’aimes, je n’aurai pas de chagrin. Assez d’enfantillages.

ÉTIENNE.

Nous ne nous sommes jamais quittés, ne commençons pas.

GERMAINE.

Voyons, Étienne, tu n’es pas sérieux ; ton devoir est de t’en aller, tu le sais bien.

ÉTIENNE.

Mon devoir, voilà qui m’est égal !

GERMAINE.

D’ailleurs, il est trop tard, tu as accepté cette mission, il faut que tu partes.

ÉTIENNE.

Je l’ai acceptée, oui, mais à moitié, pas tout à fait.

GERMAINE.

Quel menteur !

ÉTIENNE.

Je me suis réservé le droit de refuser au dernier moment. Parole.

GERMAINE.

Tu ne m’avais pas dit ça.

ÉTIENNE.

J’ai oublié. Je vais écrire au ministre.

GERMAINE.

Réfléchis, un autre sera désignée ta place ?

ÉTIENNE.

J’en serai enchanté.

GERMAINE.

Ne fais pas cela.

ÉTIENNE, prenant la plume.

Laisse-moi.

GERMAINE.

Ah ! ne sois pas si bon, tu vas me détester dans une heure.

 

 

Scène VII

 

GERMAINE, ÉTIENNE, MADELEINE

 

MADELEINE.

Le comte d’Hérivault est là, madame.

ÉTIENNE.

Le comte d’Hérivault ?

MADELEINE.

Ce petit monsieur qui a l’air si triste.

GERMAINE.

Un de mes amoureux. J’y vais.

ÉTIENNE, lui tendant une lettre.

Madeleine, prenez une voiture et portez cette lettre rue de Grenelle, c’est pressé.

MADELEINE.

Bien, monsieur.

 

 

Scène VIII

 

GERMAINE, ÉTIENNE

 

GERMAINE.

Tu ne seras pas furieux, tu ne me reprocheras rien ?

ÉTIENNE.

Non. Je te le promets, rassure-toi.

GERMAINE.

Tant pis d’ailleurs, ce que tu penses est un détail. Tu restes, je t’ai, c’est le principal.

ÉTIENNE.

Nous passerons la soirée ensemble, et nous serons très heureux, tu verras.

GERMAINE, prête à sortir.

Merci.

Revenant sur ses pas.

Est-ce que nous allons à Lohengrin ?

ÉTIENNE.

Je n’y tiens pas, et toi ?

GERMAINE.

C’est la première, tu sais ? Ces deux amphithéâtres vont être perdus.

ÉTIENNE.

Donne-les à quelqu’un. Ne sortons pas, voyons. Ça vaut mieux.

GERMAINE.

Mais tu es tout à fait gentil, ce soir.

ÉTIENNE.

Que veux-tu ? Je ne peux pas t’aimer autrement que d’amour.

GERMAINE, gaiement.

Quel malheur, hein ?

ÉTIENNE, seul, gravement.

Oui, quel malheur !

 

 

ACTE II

 

Même décor. Sur le bureau d’Étienne une bougie brûle, à demi-consumée.

 

 

Scène première

 

ÉTIENNE, GERMAINE

 

ÉTIENNE, assis à son bureau, seul, l’air préoccupé, étudiant l’indicateur.

Alexandrie, Florence, huit heures moins cinq... j’avais encore le temps... Bah ! N’y pensons plus, puisque Moriceau part à ma place... Moriceau ! un heureux choix !... Oh ! les femmes !

GERMAINE, sur le seuil de la porte, tendrement.

Comment ! Tu es seul, et tu ne me le fais pas dire ?

ÉTIENNE, à part.

Ah ! maintenant, il faut que je m’occupe de son petit cœur.

À Germaine.

Que cherches-tu ?

GERMAINE, dérangeant les papiers d’Étienne.

Mes livres... Ah ! les voici.

ÉTIENNE.

Prends garde, tu vas renverser l’encrier.

GERMAINE.

Tu permets que je m’installe à côté de toi ?

ÉTIENNE.

Comme tu voudras.

GERMAINE.

Où donc est mon coupe-papier ?

ÉTIENNE.

Je n’y ai pas touché.

GERMAINE, lui arrachant son coupe-papier des mains.

Je prends le tien. Enlève ce dictionnaire qui me gène.

ÉTIENNE.

Es-tu à ton aise ?

GERMAINE, s’asseyant tout près de lui.

Je suis très bien à présent, merci. Je suis très contente.

ÉTIENNE.

Allons, tant mieux.

GERMAINE.

Et toi ?

ÉTIENNE.

Puisque tu es contente, je suis content.

GERMAINE.

J’ai dit à Madeleine de nous servir ici. Nous dînerons sur cette petite table, comme avant-hier. Ça ne le déplaît pas ?

ÉTIENNE.

Au contraire.

GERMAINE.

Et nous donnerons congé aux domestiques.

ÉTIENNE.

Entendu.

GERMAINE.

Tu te mettras là, le dos au feu. Si Pascal s’invite, ne lui cède pas ta place. Je m’en prive pour toi, mais pas pour lui.

ÉTIENNE.

Oh ! nous ne le reverrons pas aujourd’hui.

GERMAINE.

Il reviendra, à coup sûr.

ÉTIENNE.

Pour me serrer la main avant mon départ.

GERMAINE.

À moins que sa maîtresse le garde.

ÉTIENNE.

Par extraordinaire.

GERMAINE.

Peu probable.

ÉTIENNE.

Pauvre garçon !

GERMAINE.

Ses amours vont mal, il traverse une crise.

ÉTIENNE.

Et il ne travaille pas.

Un silence. Germaine feuillette un roman, Étienne écrit.

GERMAINE.

Ce monsieur que j’ai aperçu tout à l’heure venait du ministère, n’est-ce pas ?

ÉTIENNE.

Oui.

GERMAINE.

Il ne t’a pas apporté de nouvelles désagréables ?

ÉTIENNE.

Non.

GERMAINE.

Tu ne regrettes rien, alors ?

ÉTIENNE.

Rien.

GERMAINE.

Tu as bien raison, va ! D’abord, cette nuit, tu auras moins froid qu’en chemin de fer.

ÉTIENNE.

Sans doute.

GERMAINE.

Demain matin, tu ne seras pas couvert de poussière.

ÉTIENNE.

Probablement.

GERMAINE.

Tu ne seras pas vilain.

ÉTIENNE.

Ça !...

GERMAINE.

Tu te réveilleras dispos, de bonne humeur.

ÉTIENNE, incrédule.

Tu crois ?

GERMAINE.

Sais-tu combien de temps il faut pour aller à Florence ? Trente-deux heures, mon chéri.

ÉTIENNE.

J’ai fait des voyages plus longs.

GERMAINE.

C’est égal, trente-deux heures de chemin de fer, ça fatigue.

ÉTIENNE.

Pas toujours, quelquefois ça repose. Moi, je dors parfaitement en wagon.

GERMAINE, vivement.

Tiens, tu aurais dû partir ce soir, mon ami.

ÉTIENNE, avec colère.

Pourquoi me dis-tu ça ?

GERMAINE.

Pour rien.

ÉTIENNE.

Voyons, puisque je n’ai pas de regret, ne m’en donne pas.

GERMAINE.

Tu en as, je te connais.

ÉTIENNE.

Tu te trompes.

GERMAINE.

Tu ne te vois pas, mon cher, tu as l’air d’un condamné.

ÉTIENNE.

Tu t’occupes toujours de mon visage !

GERMAINE.

Sois loyal, tu m’en veux depuis que tu as renoncé à ce voyage.

ÉTIENNE.

Pas du tout ! Je te répète que tu te trompes. Je suis très heureux de t’avoir fait ce petit sacrifice.

GERMAINE.

Voilà une bonne pensée qui ressemble diablement à un reproche.

ÉTIENNE.

Un reproche ! Quel reproche ? Franchement, ce serait un peu fort de t’accuser. Ne m’as-tu pas supplié de partir ? Sois tranquille, je ne l’ai pas encore oublié, je ne l’oublierai pas. Si maintenant j’éprouve un regret quelconque, eh bien, tant pis pour moi ! Je n’ai à m’en prendre qu’à moi-même, tu n’es responsable de rien. Je suis le seul coupable.

GERMAINE.

Oh ! le premier mouvement !

ÉTIENNE.

Évidemment, en examinant de prés les choses, j’aurais peut-être mieux fait de t’écouter, mon Dieu, je ne dis pas non. Un savant doit défendre ses idées quand il en a l’occasion... J’ai manqué à mon devoir, c’est clair.

GERMAINE.

Très clair.

ÉTIENNE.

Encore si je pouvais revenir sur ma détermination !

GERMAINE.

Pourquoi pas ?

ÉTIENNE.

Il n’est plus temps.

GERMAINE.

Qu’en sais-tu ?

ÉTIENNE.

Je le sais.

GERMAINE.

Voyons, ne te désole pas. À quelle heure ce train ?

ÉTIENNE.

Huit heures moins cinq.

GERMAINE.

Mais non, plus tard que ça. Consultons l’indicateur.

ÉTIENNE.

Je viens de le consulter.

GERMAINE.

Ah !

ÉTIENNE.

Et d’ailleurs, à quoi bon ? Moriceau vient d’être désigné à ma place.

GERMAINE.

Le docteur Moriceau ? qui te l’a dit ?

ÉTIENNE.

Ce jeune homme qui est venu il y a un instant.

GERMAINE.

Moriceau ? Comment a-t-il été nommé si vite ?

ÉTIENNE.

Il se trouvait par hasard au ministère quand on a remis ma lettre.

GERMAINE.

Il traîne toujours chez les ministres, celui-là.

ÉTIENNE.

Il n’a pas raté l’occasion, lui.

GERMAINE.

Moriceau, un joli choix ! Voilà une nomination qui est faite pour diminuer tes regrets.

ÉTIENNE, vivement.

Le professeur Moriceau est un homme éminent, et je suis sûr qu’il réussira là-bas.

GERMAINE.

Alors, gare à moi.

Un silence.

ÉTIENNE.

Vois-tu, ma chère enfant, tu n’es pas raisonnable.

GERMAINE.

Moi ?

ÉTIENNE.

Prends-y garde, tu m’aimes un peu trop, ça me déconcerte, ça trouble la netteté de mon jugement.

GERMAINE.

Nous y voilà.

ÉTIENNE.

Tes avis sont excellents, parbleu ! et je suis le premier à le reconnaître, mais tu t’arranges toujours de façon à ce que je n’en puisse profiter ; sans que je m’en aperçoive, malgré moi, tu me fais changer d’idée.

GERMAINE.

Quelle accusation !

ÉTIENNE.

Tu me mets dans un état d’esprit contraire aux conseils que tu me donnes, et favorable aux souhaits intimes que tu n’oses jamais formuler.

GERMAINE.

Je te roule.

ÉTIENNE.

Non. Seulement tu m’enveloppes de câlineries, de gentillesses ; tu m’enjôles.

GERMAINE.

Soyez donc sincère !

ÉTIENNE.

Je suis faible, je m’attendris et alors je prends des résolutions maladroites, nuisibles à mes intérêts. Ce qui arrive aujourd’hui est déjà arrivé et arrivera encore... Oh ! je ne t’en veux pas, je constate.

GERMAINE.

Tout simplement.

ÉTIENNE.

D’ailleurs, c’est comme un fait exprès, je l’ai remarqué et tout le monde avec moi : chaque fois qu’on m’offre une chose qui pourrait m’être utile ou agréable, je suis obligé de la refuser parce qu’elle léserait ton amour. Tu as beaucoup d’affection pour ton mari, je n’en disconviens pas, mais tu serais son ennemie que tu n’agirais pas autrement... On dirait que tu obéis à un plan.

GERMAINE.

Je n’ai pas de plan, mon ami, je ne te comprends pas.

ÉTIENNE.

Alors si tu n’as pas de plan, c’est plus grave. Dans ce cas, il n’y a rien à faire.

GERMAINE.

Arrête-toi, tu vas être méchant.

ÉTIENNE.

Comme tu aimes peu la vérité !

GERMAINE.

Soit, continue, puisque tu tiens à me tourmenter, mais cette fois je n’aurai pas de chagrin, je t’avertis.

ÉTIENNE, furieux.

Et pourquoi n’en aurais-tu pas ? quand tu me vois contrarié par ta faute ?

GERMAINE.

Par ma faute ? Au fait, oui... j’aurais dû avoir la volonté que tu n’as pas eue.

ÉTIENNE.

Certainement.

GERMAINE.

Punis-moi de ta faiblesse.

ÉTIENNE.

J’exagère, je me contredis, j’ai l’air injuste, comme toujours ; mais au fond, tu sais bien que j’ai raison.

GERMAINE.

C’est possible. Mais comme tu es peu généreux, mon ami !... Es-tu assez content de me découvrir des torts ! Quelle joie tu éprouves, quand tu crois tenir un véritable grief ! Ah ! Tu saisis avec empressement toutes les occasions de m’en vouloir. Je te le disais bien, que tu me détesterais dans une heure.

Elle se dirige vers la porte.

ÉTIENNE.

Tu t’en vas ?

GERMAINE.

Je ne tiens pas à me disputer.

ÉTIENNE.

Tu t’en vas pour ne pas entendre de choses désagréables, n’est-ce pas ?

GERMAINE.

Dame !

ÉTIENNE.

Tu te sauves, selon ton habitude, au lieu de répondre. Voilà tes arguments.

GERMAINE.

Je n’ai pas ta présence d’esprit.

ÉTIENNE, prenant son chapeau.

Tu peux rester là, je sors.

GERMAINE.

Tu sors ?

ÉTIENNE.

Oui, je te cède la place, je t’abandonne mon cabinet.

GERMAINE.

Tu ne dînes pas ici ?

ÉTIENNE, le chapeau sur la tête.

Je reviens dans un quart d’heure.

GERMAINE.

À ton aise, je ne t’empêche pas de sortir.

ÉTIENNE.

Tu ne me demandes pas où je vais ? Quel miracle !

GERMAINE.

Je m’en moque un peu.

ÉTIENNE.

J’ai mal à la tête ; je vais fumer un cigare dans la rue. C’est permis, je suppose ?

GERMAINE.

Fumes-en deux, si tu veux.

ÉTIENNE.

Tu n’as pas besoin d’avoir des larmes dans les yeux pour ça.

GERMAINE, pleurant.

Laisse-moi tranquille.

ÉTIENNE.

Tu désires que je parte tristement ? Eh bien, c’est fait.

Il ôte son chapeau.

GERMAINE.

Oh ! ne te rassied pas, je t’en supplie.

ÉTIENNE.

J’ai changé d’idée.

GERMAINE.

Va t’en, reprends ton chapeau, tu ne restes que pour me torturer.

ÉTIENNE.

On ne peut jamais se plaindre, avec toi ; tout de suite tu as de la peine.

GERMAINE.

Qu’est-ce que ça peut te faire, ma peine ?

ÉTIENNE.

Ça me gêne.

GERMAINE.

Ah ! ta bonté ne dure pas longtemps... Toujours la même histoire ! Ça commence par de la pitié, puis c’est de la contrainte, et finalement de l’exaspération... Tu n’as pas honte d’être aussi méchant après avoir été aussi caressant tout à l’heure ? Tu as la mémoire courte, toi.

ÉTIENNE.

Que veux-tu ? Les heures se suivent et ne se ressemblent pas. Il faut bien de temps en temps changer de conversation. La vie serait trop monotone autrement.

GERMAINE.

Tu as raison, on ne peut pas toujours parler d’amour.

ÉTIENNE.

Aimons-nous, je ne demande pas mieux, mais n’en parlons plus, sacré nom d’un chien ! Il n’y a pas que l’amour au monde, il y a le travail, la famille, les enfants...

GERMAINE, stupéfaite.

Un enfant ? Mais donne-m’en un !

ÉTIENNE.

Un enfant, ça se soigne, ça se veille.

GERMAINE.

Je suis trop ta maîtresse pour être une bonne mère, c’est là ce que tu veux dire ?

ÉTIENNE.

Ah ! félicitons-nous de n’avoir pas d’enfant. Tu es une brave fille et tu ferais ton devoir, j’en suis certain, seulement...

GERMAINE.

Seulement ?

ÉTIENNE.

Malgré toi, tu en voudrais peut-être au pauvre petit qui serait là, de te rogner ta part de bonheur.

GERMAINE.

Au pauvre petit ?

ÉTIENNE.

Oui, au pauvre petit !

GERMAINE.

Attends qu’il y soit, au moins, pour m’accuser !

ÉTIENNE.

Va, tout est pour le mieux.

GERMAINE, avec rage.

Ah ! quelle misère d’aimer !

ÉTIENNE.

Ah ! quel supplice d’être aimé !

 

 

Scène II

 

ÉTIENNE, GERMAINE, PASCAL

 

PASCAL, brusquement.

Ah ! mes amis, que l’amour est ennuyeux !

ÉTIENNE.

Comme tu es fait ! Ta cravate est toute de travers.

PASCAL.

Je viens de me disputer avec Mauricette.

ÉTIENNE.

Encore ?

PASCAL.

Mais, cette fois, je lui ai flanqué une de ces raclées...

ÉTIENNE, ravi.

À la bonne heure !

GERMAINE, à Étienne.

Ça te soulage !

PASCAL.

Vous nous laissez, Germaine ?

GERMAINE, se dirigeant vers la porte.

Causez de vos chagrins avec mon mari, ce soir il est plus en état de vous comprendre que moi.

ÉTIENNE, la regardant sortir.

Ouf !

 

 

Scène III

 

ÉTIENNE, PASCAL, puis MADELEINE

 

PASCAL.

Elle me trompe, j’en ai la preuve.

ÉTIENNE.

Ah !

PASCAL.

Je ne me raccommoderai pas. D’abord, elle refuserait... Tiens, ne pars que demain et je t’accompagne en Italie.

ÉTIENNE.

Je ne pars plus, mon cher.

PASCAL.

Pourquoi ?

ÉTIENNE.

Une affaire imprévue.

PASCAL.

Quelle affaire ?

ÉTIENNE.

Tu tiens à le savoir ? J’ai renoncé à ce voyage par amour pour ma femme, là !

PASCAL.

Il appelle ça une affaire imprévue ! Que vais-je devenir alors ? Je suis un homme malheureux, Étienne, il faut me consoler.

ÉTIENNE.

J’en connais d’aussi à plaindre que toi.

PASCAL.

Tu as encore fait une scène à ta femme !

ÉTIENNE.

Tu es malheureux, mais tu peux t’enfermer chez toi et pleurer toute la journée. Tu es libre, toi !

PASCAL.

Très libre.

ÉTIENNE, s’animant.

Libre ! comprends-tu bien ce mot divin ? Tu peux aller, venir, monter, descendre selon ton bon plaisir.

PASCAL.

Hélas !

ÉTIENNE.

Tu n’as pas encore perdu le droit d’être seul ! Ta maîtresse, ta coquine de maîtresse te trompe, te joue des tours, qu’importe ! Elle n’est pas jalouse, obsédante et questionneuse.

PASCAL.

Je voudrais bien.

ÉTIENNE, s’animant de plus en plus.

Elle ne te demande pas où tu vas quand tu sors, ni d’où tu viens quand tu rentres ; si tu dis : j’ai froid, elle ne te répond pas : chauffons-nous.

PASCAL.

Elle ne me dit même pas : chauffe-toi.

ÉTIENNE.

Elle ne se penche pas sur ton épaule, quand tu écris une lettre, elle ne rôde pas autour de toi, lorsque tu parles à une femme. Dans les minutes graves où il faut vouloir, elle n’anéantit pas ta volonté ; elle n’opère point par de petites phrases vagues, insinuantes, qui n’ont l’air de rien, mais qui se glissent dans l’esprit et entament le courage.

PASCAL.

Oh ! je peux entrer dans la cage de Bidel, elle me laissera faire.

ÉTIENNE.

En revanche, si tu es un peu plus tendre qu’à l’ordinaire, elle ne se précipite pas dans tes bras aussi frémissante qu’au premier rendez-vous.

PASCAL.

Je ne l’ai jamais vue frémissante.

ÉTIENNE.

Et si, par hasard, tu dînes dehors sans elle, tu ne la retrouves pas à minuit, éveillée dans son lit, le visage immobile, mais la voix altérée et l’œil plein de jalousie.

PASCAL.

Veinard !

ÉTIENNE.

Tiens ! ne parlons pas de l’amour, je le maudis, je le hais. Tu te plains d’être trompé ? Ah ! mon cher, par moments, moi, je rêve de l’être.

PASCAL.

Je le suis, mais ne l’est pas qui veut, tu sais.

ÉTIENNE, agitant une petite glace qu’il a prise sur la table.

Ne ris pas, tout cela est triste, horriblement triste.

Avec rage.

Et je tiens l’existence de cette femme dans mes mains ! Je lui suis nécessaire comme l’air, comme la lumière. As-tu remarqué sa bonne mine quand je reste à la maison ? Ma présence est non seulement indispensable à son bonheur, mais encore à sa vie. Je l’abandonnerais que je serais un misérable.

PASCAL, gouailleur.

Quelle responsabilité !

ÉTIENNE.

Ah ! la bonté !...

PASCAL.

Ne brise pas ce miroir, ça porte malheur, et puis j’y tiens. C’est Catherine Villiers qui te l’a donné, il y a dix ans, quand tu étais beau, et il me rappelle ta vie de garçon.

ÉTIENNE.

Hein ? J’étais plus gai dans ce temps-là.

PASCAL.

Probablement parce que ta maîtresse t’aimait moins que ta femme...

ÉTIENNE.

Ou savait mieux m’aimer. Elle avait compris que j’étais déjà fatigué des complications, et que l’heure de la sagesse avait sonné. Son intelligence faisait mon travail joyeux. J’étais un bon garçon alors... La délicieuse camarade !

PASCAL.

Oui, mais quelle mauvaise actrice.

ÉTIENNE.

Nous vivions ensemble et pourtant nous étions d’accord. Il n’y a pas à dire, j’avais la paix.

PASCAL.

La paix conjugale.

ÉTIENNE.

Dire que si elle n’avait pas été une amie parfaite je n’aurais peut-être jamais songé au mariage. Loyauté, calme, bon sens, elle avait tout.

PASCAL.

Si bien qu’un jour tu t’aperçus que quelque chose lui manquait.

ÉTIENNE.

Peu à peu, je me mis à lui en vouloir tout bas des amants qu’elle avait eus, et à côté d’elle j’en vins à rêver d’une épouse irréprochable.

À lui-même.

Stupide !

PASCAL.

Tu avais fait ton noviciat, tu pensas à prononcer tes vœux.

ÉTIENNE.

Le reste, tu le sais, puisque tu en as souffert.

PASCAL.

C’est alors que je m’épris bêtement d’une jeune fille et que tu consentis à demander sa main pour moi.

ÉTIENNE.

Je me souviens encore du premier entretien chez sa mère. J’eus le pressentiment de mes tristesses futures. Je vois son embarras. Moi-même, en présence de cette créature inquiète, je fus troublé. Je sentis que j’allais être faible pour toujours.

PASCAL.

Elle t’aima aussitôt.

ÉTIENNE.

Tout mon être, engourdi par trois années d’existence bourgeoise, se réveilla brusquement, et avec ta permission je me mariai, étonné d’un bonheur que je n’avais pas souhaité.

PASCAL.

Tu voulus faire un acte de sagesse et tu obéis à un entraînement.

ÉTIENNE.

La maîtresse avait été la vie régulière, la femme devint la vie irrégulière. En rompant avec une actrice, je renonçais à la raison et à la tranquillité. En épousant une jeune fille, je tombais dans le roman.

PASCAL.

Ce n’était pas de chance.

ÉTIENNE.

Passe encore, si j’étais resté aussi amoureux qu’elle ! Malheureusement un beau matin je rouvris mes livres.

PASCAL.

Et ce jour-là Germaine eut tort.

ÉTIENNE.

Moi, je n’en étais pas à mon premier amour. J’avais déjà aimé.

PASCAL.

Catherine Villiers ?

ÉTIENNE.

Pas elle, tu sais bien, une autre.

PASCAL.

Avant.

ÉTIENNE.

C’est triste à constater, mais au bout de six mois de mariage, j’avais soif, impérieusement soif de travail et de liberté.

PASCAL.

Et après huit années de vie commune ta femme t’aime encore éperdument.

ÉTIENNE.

Oh ! là, là !

PASCAL.

Il y a des maisons où l’on n’allume le fourneau qu’à l’heure du dîner, et il y en a d’autres où il brûle toute la journée.

ÉTIENNE.

Hélas !

PASCAL, regardant avec inquiétude du côté de la porte.

Prends garde !... si...

ÉTIENNE.

Rassure-toi, elle n’entend pas, ou elle fera comme si elle n’avait pas entendu. L’être qui nous aime n’est pas toujours si pressé de connaître le fond des choses. C’est un détail, pourvu qu’on soit là, pourvu qu’il vous possède. On peut mourir d’ennui à ses côtés, on peut exécrer ses caresses, il ne s’en aperçoit pas, il ne veut pas s’en apercevoir : sa discrétion calculée est aussi odieuse que sa curiosité.

PASCAL.

Allons, ne sois pas si nerveux, tu te fais plus féroce que tu n’es, elle te plaît tout de même.

ÉTIENNE.

Oui, quelquefois.

PASCAL.

Poseur ! Je t’ai vu emballé, très emballé.

ÉTIENNE.

Quelquefois.

PASCAL.

Dans tous les cas, tu en as souvent l’air.

ÉTIENNE.

J’en ai l’air, vieille habitude.

PASCAL.

Eh bien, tu as tort de la garder. Et, il faut que je te le dise, par parenthèse. De ta vie de libertin, tu as conservé avec ta femme, aussi bien qu’avec les autres, des allures, des façons, des coquetteries, des coquineries qui appellent, qui provoquent l’amour, et à sa suite la jalousie... Rends-toi compte, mon cher, ta tendresse capricieuse ressemble souvent à de la passion. Malgré tous ses froissements, malgré toutes tes suppositions, Germaine s’imagine, et est en droit de s’imaginer que tu l’aimes. Ce qui vous reste de bonheur repose sur un malentendu ; si jamais tu le dissipes, tu seras cause d’un désastre.

ÉTIENNE.

Peut-être bien.

PASCAL, prenant son chapeau.

Pauvre petite !

Madeleine entre, portant le dîner sur un plateau. Elle dresse le couvert sur une petite table, pendant qu’Étienne et Pascal achèvent leur conversation.

ÉTIENNE.

Tu pars ?

PASCAL.

Vous allez dîner ?

ÉTIENNE.

Je ne t’ai pas seulement parlé de tes chagrins, pardonne-moi.

PASCAL.

Mes chagrins ont moins d’importance que les vôtres.

ÉTIENNE.

Où vas-tu ? Chez Mauricette ?

PASCAL.

Pour changer.

ÉTIENNE.

Ça devait être, puisque vous aviez rompu.

PASCAL.

Et pourtant ce n’est pas la maîtresse idéale.

ÉTIENNE.

La maîtresse idéale est celle qu’on peut quitter.

MADELEINE, interrompant et remettant une carte à Étienne.

Cette dame n’a qu’un mot à dire à monsieur.

ÉTIENNE, à part, lisant.

Catherine Villiers !

À Madeleine.

Faites entrer.

Madeleine sort. Étienne passe la carte à Pascal.

PASCAL.

Catherine ? Tiens !

ÉTIENNE.

Que peut-elle me vouloir à cette heure-ci ?

PASCAL.

Une somnambule lui aura peut-être dit que tu étais triste et elle vient pour te consoler.

ÉTIENNE.

Reste.

 

 

Scène IV

 

ÉTIENNE, PASCAL, CATHERINE VILLIERS

 

ÉTIENNE.

Vous arrivez à propos, je parlais de vous.

CATHERINE, un petit sac à la main.

On dit toujours ça, même au bout de dix ans.

PASCAL.

Sa parole d’honneur, c’est vrai. Nous causions de nos amours et nous nous attendrissions l’un et l’autre, moi sur lui, et lui... sur lui.

ÉTIENNE.

Je disais que vos qualités charmantes m’avaient logiquement conduit au mariage.

CATHERINE.

Voilà des qualités qui ne m’auront pas porté bonheur.

PASCAL.

Il ne vous aurait pas connue qu’il serait encore garçon.

CATHERINE, à Étienne.

Ma foi, entre vous deux, là, je pourrais me figurer que vous l’êtes encore.

PASCAL, gaiement.

Ensemble !

ÉTIENNE.

Tous les trois

CATHERINE.

Comme dans le temps.

ÉTIENNE.

C’est drôle.

PASCAL, à Étienne.

Débauché !

CATHERINE.

Ça me fait tout de même quelque chose de me voir dans cette maison.

ÉTIENNE.

Vous y êtes déjà venue pourtant.

PASCAL.

Tiens, tiens !

ÉTIENNE.

Oh ! une fois l’année dernière.

CATHERINE.

Et je n’ai pas l’intention d’en prendre l’habitude.

ÉTIENNE.

Je connais Catherine. Pour sonner à ma porte à sept heures du soir, il faut qu’elle ait une raison sérieuse.

CATHERINE.

Très bien.

ÉTIENNE.

Asseyez-vous et parlez.

CATHERINE, éteignant la bougie placée sur le bureau.

Vous permettez ?... La bobèche va casser.

ÉTIENNE.

Hein ? quelle épouse elle aurait faite !

PASCAL.

Quel trésor dans une famille !

ÉTIENNE.

Maintenant, allez, je vous écoute.

CATHERINE.

C’est le médecin que je viens voir.

PASCAL.

Il ne pratique pas, vous le savez bien.

ÉTIENNE.

Ne faites pas attention à lui.

PASCAL.

Suis-je de trop ?

CATHERINE.

Oh ! mon Dieu, pas pour ça.

ÉTIENNE.

Dites.

CATHERINE.

J’ai déjeuné aujourd’hui avec les Marcotte et j’ai appris que vous partiez ce soir pour Florence.

ÉTIENNE.

Je ne pars plus.

CATHERINE.

Tant pis.

ÉTIENNE.

Pourquoi ?

CATHERINE.

Je venais vous demander un service.

ÉTIENNE.

Lequel ?

CATHERINE.

J’ai là-bas, à Pise, un ami malade.

ÉTIENNE.

Hum !

CATHERINE.

Très malade, et qui aurait besoin de vous.

PASCAL.

Qui ça donc ?

CATHERINE.

Maintenant nous sommes de vieux camarades, n’est-ce pas ? Étienne. Je peux le nommer.

ÉTIENNE.

Carrington ?

CATHERINE.

Oui.

PASCAL.

Toujours le même alors ?

CATHERINE.

Depuis huit ans.

PASCAL.

Nom de nom !

ÉTIENNE.

Tais-toi donc !... Eh bien, le docteur Moriceau part à ma place... Voulez-vous un mot pour lui ?

CATHERINE.

Donnez toujours.

ÉTIENNE.

Comme cette petite jaquette vous va bien !

CATHERINE.

Ça sort d’une maison anglaise.

ÉTIENNE.

Elle vous accuse, et ne vous condamne pas.

PASCAL.

Vous avez toujours vingt-cinq ans, vous !

ÉTIENNE, s’asseyant pour écrire.

Étonnante, pas une ride.

PASCAL.

Vous n’avez pas bougé.

CATHERINE.

La raison, l’hygiène, pas d’émotions inutiles. On ne vieillit pas lorsque...

PASCAL.

Lorsqu’on est née très vieille.

CATHERINE.

Toujours galant.

PASCAL.

Et le théâtre ? On n’a pas vu votre nom sur l’affiche cet hiver.

CATHERINE.

Je passe tout mon temps en Italie.

PASCAL.

Alors vous n’êtes plus dans le mouvement ?

CATHERINE.

Je suis garde-malade.

PASCAL.

Ça ne vous ennuie pas de vivre avec un monsieur, nuit et jour ?

CATHERINE.

Je ne peux vivre que maritalement.

ÉTIENNE.

Allez-vous à la première de Lohengrin, ce soir ?

CATHERINE.

Non, mais j’étais hier à la répétition.

ÉTIENNE.

Eh bien ?

CATHERINE.

Gros succès.

ÉTIENNE, se levant.

Dans ce cas, je ne vous offre pas mes places.

CATHERINE.

Gardez-les, j’ai vu la pièce.

ÉTIENNE, lui remettant une lettre.

Voici, ma chère amie. Quand repartez-vous ?

CATHERINE.

Demain ou après demain.

ÉTIENNE.

Moriceau sera à Florence avant vous. On vous dira chez lui à quel hôtel il descend là-bas.

CATHERINE, mettant la lettre dans son petit sac.

Entendu, et merci.

PASCAL.

Vous laissez tomber quelque chose.

CATHERINE.

Ah ! mes clés.

ÉTIENNE.

Diable, quel trousseau !

PASCAL, à Catherine, lui rendant ses clés.

Vous, vous devez serrer le sucre.

CATHERINE.

Vous, vous en cassez trop.

À Étienne.

Vous travaillez toujours beaucoup ?

ÉTIENNE.

Moins qu’autrefois.

PASCAL, à Catherine, gouailleur.

Hein ? Los petites orgies de la rue La Bruyère !

CATHERINE.

Au troisième.

PASCAL.

Jusqu’à dix heures du soir.

ÉTIENNE.

Elles avaient du bon.

PASCAL.

Acajou et travail !... Il écrivait et vous cousiez.

ÉTIENNE.

C’était l’habitude.

PASCAL.

Je vous ai vu lui tailler des chemises de flanelle.

CATHERINE.

Ne me faites pas gros cœur.

ÉTIENNE, mélancoliquement.

Mes chemises sont en soie à présent.

PASCAL.

Je vous laisse.

CATHERINE.

Inutile.

PASCAL, prêt à sortir.

Ta femme m’attend, je crois. Maintenant, que vous n’avez plus rien à vous dire, vous devez avoir à causer ensemble.

CATHERINE.

Au revoir, Pascal.

PASCAL, s’arrêtant.

Je m’en vais.

CATHERINE.

Comme dans le temps.

ÉTIENNE.

C’est drôle.

PASCAL, se retournant sur le seuil.

Pas de bêtises !

 

 

Scène V

 

CATHERINE, ÉTIENNE

 

ÉTIENNE.

Restez un peu.

CATHERINE, prête à sortir.

Vous allez vous mettre à table, je vous dérange.

ÉTIENNE.

Non. Ici on dîne à toute heure.

CATHERINE.

Mauvais pour l’estomac.

ÉTIENNE.

J’ai perdu mes bonnes habitudes.

CATHERINE.

Vous rappelez-vous au moment de votre mariage ? Je vous avais remis un petit programme d’hygiène et de sagesse.

ÉTIENNE.

Si je me souviens ? Mais je le garde précieusement dans un tiroir, ce règlement écrit de votre main. Tout y est prévu, heures de travail, marches, repas...

CATHERINE.

Intérêts.

ÉTIENNE.

Plaisirs.

CATHERINE.

Vous l’avez gardé, mais vous ne l’avez pas observé.

ÉTIENNE.

Hélas ! ce ne sont pas des sages qui habitent cette maison.

CATHERINE, jetant un coup d’œil sur le couvert préparé.

Il suffit de lever les yeux pour s’en convaincre. Est-ce que vous dînez souvent de cette façon ?

ÉTIENNE.

Très souvent.

CATHERINE.

Ah !

ÉTIENNE.

Ces excentricités ne vous tenteraient pas, vous, hein ?

CATHERINE.

Une fois par hasard je ne dis pas ; mais au fond, je l’avoue, je préfère la salle à manger, avec sa table ronde, confortable, bien éclairée.

ÉTIENNE.

Eh bien, moi aussi, ma chère enfant.

CATHERINE.

Je suis bourgeoise, il me faut la suspension.

ÉTIENNE.

Je vois encore votre couvert sous le grand abat-jour de porcelaine, votre rond de serviette en vermeil et, tout à côté de votre verre, de petites boîtes de pharmacie, car la santé a toujours tenu une place importante dans votre existence. Vous guettiez les fortifiants à la quatrième page des journaux et, le soir, vous me disiez, en lisant les annonces : docteur, on pourrait essayer de celui-là ?

CATHERINE.

Gouailleur !

ÉTIENNE, affectueux.

Le bon temps.

CATHERINE, s’écartant de la table.

C’est égal, votre dîner me tente, je change de place. Ce guéridon dressé dans un coin, ce paravent qui l’enveloppe amoureusement, ce Champagne, ces fleurs, tout cela éveille des idées de polissonneries, de libertinage, et me rappelle mes débuts dans la vie.

ÉTIENNE.

Avec un autre que moi.

CATHERINE.

Du caviar, une salade russe ! Je ne connaissais pas cet homme-là. Décidément, mon cher, il y a dix ans, vous étiez plus raisonnable.

ÉTIENNE.

Il y a dix ans, j’étais moins jeune.

CATHERINE.

Quel ton lugubre !

Un silence.

Est-ce que ?...

ÉTIENNE, vivement.

Je suis heureux, mais je suis tourmenté, ahuri, je perds mon temps, je... enfin, vous comprenez... Avec vous au moins...

CATHERINE.

Avec moi vous dormiez ?

ÉTIENNE.

Avec vous je n’avais pas besoin d’être amoureux.

CATHERINE.

Voilà ce que c’est.

Un silence.

Que voulez-vous ? Nous avions vécu l’un et l’autre avant de nous connaître, et votre femme ignorait tout, lorsque vous l’avez rencontrée. Nous avons eu notre part, il est bien juste qu’elle ait la sienne.

ÉTIENNE.

Je n’en vois pas la nécessité.

CATHERINE.

Au revoir, et pas trop de regret.

ÉTIENNE, lui tendant son sac.

Vous oubliez votre petit sac.

CATHERINE.

Ah ! vous m’avez fait peur.

ÉTIENNE.

Ça contient des choses précieuses ?

CATHERINE.

Je l’avais pris tantôt, pour aller chez mon agent.

ÉTIENNE.

Vous avez donc un agent de change à présent ?

CATHERINE.

J’en ai même deux.

ÉTIENNE.

C’est plus prudent.

CATHERINE.

Dame !

 

 

Scène VI

 

GERMAINE, ÉTIENNE

 

GERMAINE, gamine.

Je peux revenir ?

ÉTIENNE.

Pourquoi pas ?

GERMAINE.

Est-ce un homme bon ou un homme méchant que je vais retrouver ?

ÉTIENNE.

C’est selon.

GERMAINE.

Oh ! oh ! ça gronde déjà.

ÉTIENNE.

Mettons-nous à table.

GERMAINE.

Demande pardon avant.

Elle tend le cou, il y dépose un baiser du bout des lèvres.

Pas fameux ; je pardonne tout de même.

ÉTIENNE, se mettant à table.

Qu’as-tu fait de Pascal ?

GERMAINE.

Rien. Il est parti depuis longtemps ; il n’est resté qu’une minute avec moi.

Elle s’assied.

ÉTIENNE.

Il est allé se réconcilier.

GERMAINE.

Passe-moi le caviar.

ÉTIENNE, grognon.

Il n’y a pas de potage ?

GERMAINE.

C’est toi qui as commandé.

ÉTIENNE.

Pascal t’a dit le nom de la personne qui était là ?

GERMAINE.

Mademoiselle Villiers.

ÉTIENNE.

Son ami Carrington est à Pise, entrain de mourir, et elle venait me demander de pousser jusque-là quand je serai à Florence.

GERMAINE.

Elle savait donc que tu partais ?

ÉTIENNE.

Elle a déjeuné ce matin avec les Marcotte.

GERMAINE.

Quel besoin de s’adresser à toi ! Elle a de l’aplomb, celle-là.

ÉTIENNE.

Voyons, je suis médecin, j’allais là-bas ; puis, après dix ans !... Catherine Villiers n’est plus une jeune femme.

GERMAINE.

Elle exerce encore.

ÉTIENNE.

Si peu !

GERMAINE.

Est-ce qu’elle a toujours sa figure bourgeoise ?

ÉTIENNE.

Toujours son teint clair et ses cheveux lisses.

GERMAINE.

On ne croirait jamais que c’est une femme de théâtre.

ÉTIENNE.

Ma foi, tu as plus l’air d’une actrice qu’elle.

GERMAINE.

Ce que ça doit reluire dans son appartement !

ÉTIENNE.

La maison était bien tenue.

GERMAINE.

Et les tiroirs bien rangés, hein ?

ÉTIENNE.

Que veux-tu ? moi, j’aime l’ordre.

GERMAINE.

Je vois d’ici son armoire à glace : des piles de linge, de linge blanc.

ÉTIENNE.

Avec des paquets de lavande.

GERMAINE.

C’est bien ça.

ÉTIENNE.

Donne-moi du pain, méchante.

GERMAINE.

Un peu de Champagne, vieux mari.

Une pause.

Lord Carrington est riche, n’est-ce pas ?

ÉTIENNE.

Millionnaire. Et ce ne sont pas les toilettes de sa maîtresse qui le ruineront. Elle est d’une simplicité...

GERMAINE.

Je coûte plus cher.

ÉTIENNE.

Elle avait sur elle une robe de deux sous.

GERMAINE.

Mon petit, quand on est avec un millionnaire, on n’achète pas de robes, on achète des titres.

ÉTIENNE.

Oh ! cette salade est trop poivrée.

GERMAINE.

Trop ! tu n’as jamais que ce mot-là sur les lèvres... Qu’est-ce qu’elle t’a encore raconté d’ennuyeux ?

ÉTIENNE.

Rien. Ah ! si, elle était hier à la répétition de Lohengrin.

GERMAINE.

Ça a bien marché ?

ÉTIENNE.

À merveille.

GERMAINE.

Ah !...

ÉTIENNE.

La première sera superbe et je suis enchanté d’y aller. Dînons vite.

GERMAINE.

Mais, mon pauvre ami, nous n’y allons pas.

Elle se met à rire.

ÉTIENNE.

Pourquoi donc ?

GERMAINE.

Parce que j’ai... Tuas donc oublié ?

ÉTIENNE.

Quoi ?

GERMAINE.

J’ai donné les places.

ÉTIENNE, avec colère.

En voilà une idée !

GERMAINE.

C’était convenu, tu me l’avais dit.

ÉTIENNE.

J’ai dit cela en l’air... Quelle précipitation ! Et à qui les as-tu données ?

GERMAINE.

Au comte d’Hérivault.

ÉTIENNE.

À ce petit idiot ?

GERMAINE.

Oui, quand il est venu, tout à l’heure.

ÉTIENNE.

Comme ça, tout de suite... En vérité, il eût mieux valu en faire profiter quelqu’un de plus intelligent. Justement, mademoiselle Villiers n’avait pas de place ; si j’avais tenu à rester chez moi ce soir, je lui aurais offert les miennes.

GERMAINE.

C’est pourtant la dernière personne à laquelle tu pouvais les offrir.

ÉTIENNE.

Ça va de soi ; et je ne l’aurais pas fait. D’ailleurs, la question n’est pas là. Ah ! quel dommage ! Je n’ai pas de chance aujourd’hui.

GERMAINE.

Si je m’attendais à ce regret !... Comment prévoir que tu serais aussi vexé ?

ÉTIENNE, stupidement.

J’ai bien le droit d’aimer la musique !

GERMAINE.

Nous avions décidé de ne pas sortir.

ÉTIENNE.

Ce n’est pas une raison, on ne se presse pas tant.

GERMAINE.

Tu m’avais promis ta soirée.

ÉTIENNE.

On laisse aux gens la possibilité de changer d’idée. Ah ! tu ne perds pas de temps, toi, sapristi ! Toujours la même, et par-dessus le marché, tu me ris aunez, tu te moques de moi.

GERMAINE.

Tu fais une si drôle de tête aussi !

ÉTIENNE.

Je suis coffré, n’est-ce pas ? Ça t’amuse. Soit ! Nous. passerons la soirée ensemble. Ah ! quelle vie !

GERMAINE.

Tu recommences, tu veux encore me faire souffrir.

ÉTIENNE.

Et moi, crois-tu donc que je ne souffre pas ? Je suis méchant, j’en conviens, mais je suis malheureux.

GERMAINE.

Tu es malheureux ? C’est trop fort, que t’ai-je fait.

ÉTIENNE.

Tiens, ne me force pas à parler.

GERMAINE.

Explique-toi, tu m’ennuies à la fin. Qu’est-ce qu’il y a ?

ÉTIENNE, se levant avec colère et jetant sa serviette sur la table.

Il y a que j’en ai assez, que je suis à bout et que je me révolte. Oui, je suis las de ta tendresse absorbante, exagérée, de ton despotisme d’être faible, de tes persécutions sentimentales. J’étouffe moralement et matériellement, je veux être libre.

GERMAINE.

Tu es libre.

ÉTIENNE, avec haine, avec emportement.

Non, car je ne suis jamais ma fantaisie, car si je fais quelquefois ce que je veux, je ne fais jamais ce qui me plaît, ce que je rêve de faire. Ma liberté, je ne l’ai pas, je la prends, je la vole. Je ne la tiens même pas de ton consentement, mais de mon égoïsme et de ma cruauté. Hélas ! j’ai toujours l’air coupable quand je suis content. Mes plaisirs ressemblent à de mauvaises actions. Sois franche, ta jalousie s’accommode mal de mes accès d’indépendance, et je les expie chaque fois par tes larmes, tes transports et tes récriminations.

GERMAINE, se levant à son tour.

Tais-toi, c’est atroce. Je sais ce que tu vas dire, ne continue pas.

ÉTIENNE.

Quand je pense que j’en suis réduit à écrire mes lettres dans un café pour ne pas être questionné ; que j’en arrive à descendre dans la rue sans motif, sans but, pour me soustraire à ta tyrannie, par instinct de conservation ! Dieu me préserve de tomber malade, je serais ton prisonnier ! Jamais je n’ai vu une liaison pareille. Ma vie se passe à vouloir t’échapper, la tienne à vouloir me prendre. Que t’importent mes ambitions et mes rêves, tu n’y comprends rien. Quand puis-je travailler ici ? Toutes nos heures sont dévorées par des disputes et des réconciliations. Et pourtant mes mensonges écartent bien des tempêtes.

GERMAINE.

Tes mensonges ?

ÉTIENNE.

Oui, je mens souvent, je dissimule, j’altère un tas de choses.

GERMAINE.

Pour avoir la paix ?

ÉTIENNE.

C’est ta faute. Grâce à ta nature soupçonneuse, le mensonge est maintenant installé dans mon existence, et cela de telle façon que, si demain je prenais une maîtresse, je n’aurais rien à changer à mes habitudes.

GERMAINE.

Ah ! Tu es le plus malheureux des hommes, je le reconnais, mais quand on est aussi lâche, on n’est pas à plaindre.

ÉTIENNE.

Insulte-moi, si tu veux. Cette fois, tu n’exploiteras pas ma colère, je t’en préviens ; tu ne réussiras pas à en tirer un repentir caressant, une heure de lâcheté amoureuse. Au surplus, mon emportement est un détail et toutes tes larmes ne changeront pas les choses ; ce qui est grave, ce n’est pas ce que je dis, c’est ce qui est.

GERMAINE.

Oui, c’est ce qui est.

ÉTIENNE.

Je suis ton mari, tu es ma femme, je devrais m’incliner. Je n’aurai jamais le courage de te quitter, n’est-ce pas ? Je me connais ; alors à quoi hon ? autant me résigner tout de suite. Je t’appartiens ; c’est ton droit d’espionner ma vie, de contrôler mes actions, d’épier mes gestes, de fouiller dans mon cerveau comme dans ces tiroirs. Tu peux, s’il te plaît, tant qu’il te plaît, m’interroger, m’approuver, me blâmer. Je n’ai qu’à courber la tête, car cette maison est la nôtre, ces meubles sont les tiens, mes livres sont à toi. Ma fortune, mon nom, mes amitiés, mes haines, tout cela est à nous deux ici, je n’ai plus rien à moi seul, rien ! C’est ton droit d’interrompre ma tâche, de t’asseoir à ma table de travail, de me traquer de chambre en chambre, de m’imposer ta présence, ta conversation et tes épanchements, c’est ton droit !

GERMAINE.

Ce n’est pas une question de droit, mon ami, c’est une question d’amour.

ÉTIENNE.

Eh ! je n’en suis pas moins ta victime, ta victime depuis huit ans.

GERMAINE.

Depuis huit ans ?

ÉTIENNE.

Oui, et mon supplice n’est pas fini.

GERMAINE.

Quelle trahison !

ÉTIENNE.

Longtemps encore, il nous faudra accomplir côte à côte tous les actes de la vie quotidienne, jusqu’aux plus grotesques, mêler nos habitudes, nos intérêts et nos déceptions Nous sommes condamnés l’un à l’autre et nous parlerons d’amour éternellement, tous les jours.

GERMAINE.

Et tous les soirs.

ÉTIENNE.

Ah ! que m’importe la nuit ! J’aime encore mieux donner mon corps que ma pensée.

GERMAINE.

Tu ne renies pas ces heures-là, c’est étonnant.

ÉTIENNE.

Je les bénirais peut-être, ces heures, si tu n’étais pas toujours la première à les souhaiter.

GERMAINE.

Tu mens.

ÉTIENNE.

Si tu n’en diminuais pas le prix par la hâte de tes consentements, si tu laissais quelquefois mon désir rôder autour de toi.

GERMAINE.

Je te défends de poursuivre.

ÉTIENNE.

Ah ! tu as raison. Tu n’es pas fière.

GERMAINE.

Tu mens, ce que tu dis est un mensonge abominable. Ce n’est pas mon désir qui mendie, c’est le tien. Oui, c’est toi qui...

ÉTIENNE.

Parce que tu es triste, parce que je suis vaincu.

GERMAINE.

Parce que tu es bon ?

ÉTIENNE.

Oui, le plus souvent ma tendresse est une capitulation.

GERMAINE, éclatant.

Mais, misérable ! tu savais que je t’aimais, il ne fallait pas m’épouser.

ÉTIENNE.

J’ai eu tort.

GERMAINE, avec douleur, avec indignation.

Tu avais plus de trente ans, j’en avais vingt. On réfléchit, surtout quand on doit être aussi implacable. Je t’ai dit que je t’adorais, pourquoi m’as-tu prise ? Pourquoi as-tu été bon et faible ? Pourquoi m’as-tu laissée croire à ton amour ? Pourquoi m’as-tu menti, trompée ? Pourquoi n’as-tu pas été cruel tout de suite ? Pourquoi as-tu si longtemps attendu pour m’apprendre la vérité ?

ÉTIENNE.

J’ai eu tort.

GERMAINE.

Mais voilà. Tu n’es qu’un vaniteux au fond, un homme à femmes. Tu voulais être aimé.

ÉTIENNE.

Oui, mais pas tant que ça !

GERMAINE.

Je t’ai donné plus que tu ne demandais ?

ÉTIENNE.

Justement.

GERMAINE.

Pauvre homme ! Je t’aime trop et tu ne m’aimes pas assez, voilà mon crime.

ÉTIENNE.

Voilà notre misère.

GERMAINE.

Peu importe ! Cet amour dont tu ne veux plus aujourd’hui, cet amour que tu salis, puisque tu l’as encouragé et partagé, tu as perdu le droit de me le reprocher.

ÉTIENNE.

J’en conviens.

GERMAINE.

Et d’ailleurs, en admettant que tu ne l’aies ni encouragé ni partagé, de quoi donc suis-je si coupable ? Alors, parce que je suis ta femme, je ne dois pas t’aimer ? Parce que je t’ai apporté la pudeur, la jeunesse et le dévouement, parce que je n’ai pas traîné dans les bras de dix hommes avant de te rencontrer, il m’est défendu de te parler d’amour ? Ce que vous réclamez, ce que vous implorez de la dernière des filles, vous le refusez de nous autres. Mais je n’en suis pas moins désirable parce que je n’appartiens qu’à toi, je ne vaux pas moins parce que je t’aime davantage !

ÉTIENNE.

Tu as raison, tu as raison.

GERMAINE.

Hélas ! on devrait dire aux jeunes filles que l’amour et le mariage sont deux choses différentes, quine vont pas ensemble. Elles choisiraient avant, ou elles feraient comme vous, elles aimeraient d’abord et se marieraient ensuite. Tu m’as prise, n’est-ce pas ? pour tenir ta maison, surveiller les domestiques et apaiser tes sens à l’occasion. Je suis une manière de servante ici. Ah ! Tu comprends l’amour à l’état d’aventure, de plaisir, comme un sentiment de luxe ; mais dans le mariage, dans cette vie pacifique où on se soigne, où on calcule, où on s’occupe de sa fortune et de sa carrière, tu le considères comme une chose déplacée, insupportable et, si tu l’osais, tu dirais impudique. Mais, mon pauvre ami, sache le bien, si j’avais dû faire un mariage de raison, je ne t’aurais jamais épousé.

ÉTIENNE.

Et pourquoi donc ?

GERMAINE.

J’aurais trouvé mieux, et facilement. Ma fortune, mon nom, mon âge, me permettaient de choisir et d’attendre. J’ai refusé des hommes plus riches, plus chics et plus célèbres que toi.

ÉTIENNE.

C’est dommage.

GERMAINE.

Tu n’as jamais été un savant pour moi, tu es l’homme que j’aime.

ÉTIENNE.

Je reconnais bien là ton égoïsme.

GERMAINE.

Un mariage de raison avec toi ? Tu n’y songes pas. Si c’est là ce que tu me proposes aujourd’hui, il est trop tard, mon petit.

ÉTIENNE.

Tant pis pour nous alors.

GERMAINE.

Il est trop tard, car depuis huit ans, mensongère ou non, ma vie a été une vie d’amour. Un mariage de raison ? La belle existence que tu m’offres ! Parbleu, ça ferait ton affaire. Je nous vois tous les deux : nuit et jour tu t’enfermerais dans cette chambre avec tes paperasses, et moi, je serais seule ou je cultiverais des amitiés utiles. Nous serions pareils aux autres. Nous parlerions d’argent, de santé ; au besoin je ne t’aimerais pas, mais j’accepterais tes caresses ; sans avoir l’amour pour nous absoudre, nous serions attachés, liés physiquement et moralement jusqu’à la mort. Tu serais cet homme et je serais cette femme ? Allons donc ! c’est répugnant ; et je plains deux êtres qui vivent ensemble de la sorte. Ce ne sont pas deux amis qui se soutiennent, ce sont deux associés qui intriguent.

ÉTIENNE.

Pas toujours, tu exagères.

GERMAINE.

Pour ma part, je te le répète, je repousse cette union misérable, et je reste ce que je suis, amoureuse et romanesque. Je m’estime davantage avec les défauts que tu condamnes qu’avec les qualités que tu demandes.

ÉTIENNE.

Orgueilleuse !

GERMAINE.

Je t’obsède, je t’accapare, je trouble à chaque instant ta pensée, j’en conviens. Je suis tyrannique, jalouse, exaspérante, je le reconnais. Toute mon intelligence est d’accord avec toi, mais mon cœur et mon corps protestent, t’accusent, te trouvent injuste. La souffrance est plus forte que tous les raisonnements, vois-tu. Puis, qu’est-ce que la gaucherie de mon amour à côté de la pauvreté du tien ? Ne suis-je pas une amie bonne et fidèle ? Ne t’ai-je pas consolé aux heures de découragement ? Serais-je aussi défiante, aussi importune, si tu ne prenais pas plaisir à entretenir mes inquiétudes par ta coquetterie ou ton indifférence ? Serais-je aussi ridicule, si tu ne me froissais pas publiquement par tes sarcasmes continuels ? Sois meilleur et je ne prêterai pas à rire. Apprends-moi à t’aimer, puisque je ne sais pas. Rassure-moi, traite-moi en camarade, ne sois pas toujours si absorbé, donne-moi du temps comme aux enfants et, tu verras, je serai modérée, intelligente, pratique même. La vie de tous les jours te pèsera moins, je respecterai ton travail et tu seras peut-être heureux... Moi qui croyais que tu l’étais !

Elle fond en larmes ; un silence.

ÉTIENNE.

Ne pleure pas, voyons.

GERMAINE.

Je me disais, il ne m’aime pas autant que je l’aime, mais il éprouve quelque douceur à m’avoir auprès de lui. Je me suis trompée. Tu te tais ? Mais réponds-moi donc quelque chose ?

ÉTIENNE.

Que veux-tu que je te réponde ? Tout ce que tu dis est juste et je te plains profondément. Mais j’ai quarante-trois ans, je ne suis pas un homme qui te hait, je suis un homme qui défend son travail. Tu auras beau faire, on aime comme on peut. Que diable, on n’a pas toujours de l’exaltation sur soi !

GERMAINE.

Tu ne penses pas ces choses, ce n’est pas possible, tu ne les penses pas. Ou alors, dis-moi la vérité, tu aimes une autre femme.

ÉTIENNE, levant les bras au ciel.

Ah ! grand Dieu, non !

GERMAINE.

Ainsi, je dois te croire, tu ne m’aimes plus, tu ne m’as jamais aimée ? Mon bonheur reposait sur un malentendu, j’étais dupe... Quelle effroyable révélation !

ÉTIENNE.

Voyons.

GERMAINE.

De la pitié, des semblants d’amour, voilà tout ce que j’ai eu de toi, même dans les premiers temps.

ÉTIENNE.

Je ne dis pas cela.

GERMAINE.

Tu vois bien que j’ai raison de ne pas te croire !

ÉTIENNE.

Je t’en prie.

GERMAINE.

Tu te trompes peut-être sur toi-même ? Réfléchis...Tu m’aimes peut-être encore un peu ?

ÉTIENNE.

Est-ce que je sais ?

GERMAINE.

Oui ou non, est-ce que tout est fini ?

ÉTIENNE, durement.

Et quand cela serait ?

GERMAINE.

Tu peux faire une supposition pareille ?

ÉTIENNE.

Admettons que j’aie changé, admettons que je ne sois plus le même homme. Malgré ta jeunesse, ta beauté, tu droiture, toutes tes qualités, admettons qu’au bout de huit ans de mariage j’en sois arrivé à l’indifférence complète, absolue... Eh bien, après ?

GERMAINE.

Après ?

ÉTIENNE.

Quel serait mon crime ? Je ne suis pas responsable de mes sentiments. Je te dois compte de mes actes, non pas de mes pensées ; ce qui se passe en mon cœur ne te regarde pas, ça ne regarde personne. J’étais absurde tout à l’heure, en disant le contraire. Mon cerveau m’appartient, mon cerveau est à moi !

GERMAINE.

C’est juste, je m’incline. Mais puisque je t’ai perdu, puisque le mensonge dans lequel j’ai vécu ne peut pas continuer, puisque l’illusion est détruite, ma vie est finie. Je n’ai plus de raison d’être à présent, autant me tuer.

ÉTIENNE.

Tu es folle.

GERMAINE.

Oui.

ÉTIENNE.

Te tuer ?

GERMAINE.

Oui, je me tuerai.

ÉTIENNE, avec ironie.

Pour ça ?

GERMAINE.

Pour ça.

ÉTIENNE.

C’est trop fort ! Ne peux-tu te contenter de la part de toutes les femmes ? Nous sommes dans le mariage, restons-y.

GERMAINE.

J’ai eu plus qu’une autre ou j’ai cru avoir plus qu’une autre, je ne veux pas moins.

ÉTIENNE.

Mais si tu te tuais, on dirait !...

GERMAINE.

Je te jouerais un mauvais tour, n’est-ce pas ?

ÉTIENNE.

Tu peux bien te supprimer sans te tuer.

GERMAINE.

Rester dans la maison sans souffrir ni penser ? Étouffer mon cœur pour ta commodité ? Hélas ! je ne peux pas. J’aime mieux être morte.

ÉTIENNE.

Te tuer ! Au fait, c’est logique. La manie de l’amour devait bien te conduire là. Il ne te manquait plus que de finir en héroïne de roman. Tu es complète.

GERMAINE, avec mépris, avec emportement.

Tiens, tu ne vaux pas la peine que je me tue pour toi. Rassure-toi, mon ami, je ne troublerai pas ton existence par un souvenir embarrassant, et désormais, je le jure, tu ne sauras plus mes chagrins.

ÉTIENNE.

Tant mieux.

GERMAINE.

Tu es le plus fort aujourd’hui, parce que tu es le moins épris, mais prends garde, la vie a ses revanches. Un jour je peux mettre quelque chose d’irréparable entre nous, et ce jour-là, c’est toi qui seras malheureux et ridicule.

ÉTIENNE, haussant les épaules.

Ce jour-là...

GERMAINE.

Tu ne resteras pas longtemps ma victime, je te le promets... Ah ! je te gêne ! Eh bien, un homme te débarrassera de moi.

ÉTIENNE.

Tu me menaces ?

GERMAINE.

Oui, je te menace.

ÉTIENNE.

Alors, tu me poses ce dilemme : ou tu seras fou d’amour ou tu seras trompé... Je suis désolé, ma chère enfant, mais je n’ai pas le choix.

GERMAINE.

Tais-toi, Étienne, ne me délie pas. Tu ne me connais pas bien... Je suis capable d’une folie !

ÉTIENNE, prenant son chapeau.

À ton aise ! En attendant je vais dîner dehors.

GERMAINE, avec désespoir.

Étienne !

ÉTIENNE, le chapeau sur la tête.

Bonsoir. Ce n’est pas le tout de vouloir tromper son mari, ma petite, encore faut-il en avoir envie.

GERMAINE.

Prends garde !

 

 

Scène VII

 

GERMAINE, ÉTIENNE, PASCAL

 

ÉTIENNE, exaspéré, à Pascal.

Tiens, mon cher, tu arrives à propos. Puisque tu adores ma femme, console-la. Moi, j’en ai assez, je te la donne.

PASCAL.

Est-ce que tu deviens fou ? Que signifie cette extravagance ?

ÉTIENNE, sortant violemment.

Bonsoir.

 

 

Scène VIII

 

GERMAINE, PASCAL

 

GERMAINE, avec indignation, avec désespoir.

Ah ! le misérable ! l’imbécile ! la brute !

PASCAL.

En voilà un qui ne l’aurait pas volé, par exemple !

GERMAINE.

Quel dommage que d’être trompé ne soit pas une peine plus grande ! Il m’offre à vous, mon cher, profitez de sa générosité.

PASCAL.

Moi, votre amant ?

GERMAINE.

Si ce n’est pas vous, ce sera un autre, je vous le garantis.

PASCAL.

Allons, Germaine, calmez-vous et ne me tentez pas.

GERMAINE.

Je le tromperai ! Je le tromperai ! Je le tromperai !

PASCAL.

Mon Dieu ! si vous devez faire une bêtise...

GERMAINE.

Le misérable !...

PASCAL.

Il vaut peut-être mieux que ce soit moi...

GERMAINE.

Le misérable !...

PASCAL.

Qui sois dépositaire du déshonneur de la maison.

GERMAINE.

Ne riez pas, mon cher Pascal, c’est plus sérieux que vous ne pensez.

PASCAL.

Ah ! taisez-vous, je vous aime peut-être encore.

GERMAINE, affolée.

Que m’importe !

 

 

ACTE III

 

Même décor. Un peu plus d’ordre.

 

 

Scène première

 

ÉTIENNE, PASCAL, MADELEINE

 

Étienne à son bureau, Pascal debout près de la cheminée ; Madeleine en train de disposer sur une table un plateau chargé d’une bouteille et de plusieurs verres. Un long silence.

MADELEINE, à Pascal.

Faut-il mettre une bûche ?

PASCAL, préoccupé.

Il y a assez de feu, merci.

MADELEINE, tisonnant.

Monsieur n’est plus si frileux.

PASCAL.

On change.

MADELEINE.

J’en sais quelque chose.

PASCAL.

À propos, et votre peintre, qu’en faites-vous ?

MADELEINE.

Je n’ose pas le dire.

PASCAL.

Prenez garde, votre taille est jolie, ne l’abîmez pas.

MADELEINE.

Bah ! ça ferait un petit soldat de plus.

PASCAL.

Ou une cocotte...

ÉTIENNE, à part.

Tout l’avenir.

Madeleine sort. Un long silence.

 

 

Scène II

 

ÉTIENNE, PASCAL

 

ÉTIENNE, cessant d’écrire.

Non, décidément je ne suis pas en train aujourd’hui.

À Pascal.

C’est ton dernier mot ? Pourquoi ne parles-tu pas ?

PASCAL.

Je me chauffe en attendant Germaine.

ÉTIENNE, se levant.

Tu fais le rapin avec ma bonne et tu ne trouves rien à me dire ?

PASCAL.

Tu travailles.

ÉTIENNE.

D’habitude, tu es gentil, tu m’en empêches.

PASCAL.

Ça dépend des jours.

ÉTIENNE, allant à lui.

Oh ! Tu es bien grave.

PASCAL, dissimulant.

Moi ? Pas du tout.

ÉTIENNE, jaloux.

Qu’est-ce que tu as ?

PASCAL.

Rien.

ÉTIENNE.

Mauricette ?

PASCAL.

Oui, Mauricette.

ÉTIENNE.

Parole ?

PASCAL, gêné.

Tu es bête.

ÉTIENNE, se versant à boire.

En veux-tu ?

PASCAL, refusant.

Merci.

ÉTIENNE.

C’est ton malaga ?

PASCAL.

Je le reconnais.

ÉTIENNE.

Tu n’en prends pas ?

PASCAL.

Je ne l’aime plus.

ÉTIENNE.

Tu as tort. Il est meilleur depuis qu’il est dépouillé.

PASCAL.

Beaucoup de gens sont comme ça.

Un silence.

Tu te remets au travail ?

ÉTIENNE, s’asseyant.

Je suis en retard.

PASCAL.

Que fais-tu ?

ÉTIENNE.

Je finis mon article pour les Archives.

PASCAL.

Ça marche ?

ÉTIENNE, écrivant.

À peu près.

 

 

Scène III

 

ÉTIENNE, PASCAL, GERMAINE, puis MADELEINE

 

GERMAINE, à Pascal.

Vous m’attendiez ?

PASCAL.

Cinq heures, vous voyez, je suis exact germaine.

GERMAINE.

C’est une qualité que vous ne perdrez jamais, vous.

PASCAL.

Avec qui étiez-vous ?

GERMAINE.

Avec monsieur et madame Crozat.

PASCAL.

Ils sont donc réconciliés ?

GERMAINE.

Le mari a pardonné.

ÉTIENNE, écrivant.

Drôle d’époque ! Toutes les femmes qu’on rencontre sont des femmes pardonnées.

PASCAL.

Quel âge a Crozat ?

ÉTIENNE.

Soixante-sept ans.

GERMAINE.

L’âge de bon papa.

PASCAL.

Il embrasse sur le front.

ÉTIENNE, jaloux.

Un homme jeune serait moins accommodant.

PASCAL.

Excepté s’il aimait sa femme, s’il ne pouvait pas s’en passer.

ÉTIENNE, continuant à écrire.

On se passe de tout, avec un peu de raison.

Un silence.

PASCAL, à Germaine.

Vous venez ?

ÉTIENNE.

Où allez-vous ?

PASCAL.

Au Cercle.

GERMAINE.

Je ne sais pas si je vais sortir.

PASCAL.

Vous changez d’idée ?

GERMAINE, ôtant son manteau.

Ma foi...

PASCAL, découragé.

On ne peut jamais compter sur elle.

ÉTIENNE.

Pauvre Pascal !

Madeleine entre.

MADELEINE.

Monsieur pourrait-il venir un instant ?

ÉTIENNE.

Qu’est-ce qu’il y a ?

MADELEINE.

Le tapissier demande où il faut accrocher les tableaux dans la chambre de monsieur ?

ÉTIENNE.

Si tu te chargeais de ça, Germaine ?

GERMAINE, prenant un livre et s’asseyant.

Oh ! je suis plus sûre de ton goût que du mien.

ÉTIENNE, à Madeleine.

J’y vais.

À Pascal.

Nous avons chacun notre chambre depuis l’autre jour.

GERMAINE.

Excellent pour le cerveau.

ÉTIENNE, à Pascal.

Elle me boude.

PASCAL, à part.

Je ne suis pas encore trompé.

ÉTIENNE, à Madeleine.

Ces lettres pour la poste.

MADELEINE.

Bien, monsieur.

ÉTIENNE.

Et remettez de l’encre dans cet encrier.

MADELEINE, à part.

Ils le font remplir pour se le jeter à la tête.

GERMAINE, à Madeleine qui veut emporter son manteau.

Laissez mon manteau là. Madeleine sort, Étienne se lève et se dirige vers la porte.

ÉTIENNE, à Germaine, revenant sur ses pas.

Si tu sors, ne rentre pas trop tard ; nous dînons ce soir chez les Henriet.

GERMAINE.

Vas-y sans moi, veux-tu ? je passerai ma soirée au coin du feu.

PASCAL.

Je viendrai vous tenir compagnie.

GERMAINE.

Inutile.

ÉTIENNE, à Germaine.

Ça ne t’attristera pas que je t’abandonne ?

GERMAINE.

J’aurai juste le chagrin qu’il faut.

ÉTIENNE, avec ironie.

Quelle résignation ! En vérité, je ne te reconnais plus depuis huit jours.

GERMAINE.

Tu verras, dans quelque temps je serai parfaite.

ÉTIENNE.

Oh ! Tu n’es pas loin de la perfection. Tu as toute ? sortes de qualités maintenant.

PASCAL, à part.

Je ne le lui fais pas dire.

ÉTIENNE.

Je peux sortir, je peux rentrer, tu ne m’accables plus de questions ; tu ne contrôles plus mes actes.

GERMAINE.

Tu es libre.

ÉTIENNE.

Est-ce rancune ou sagesse ?

GERMAINE.

Cherche.

ÉTIENNE.

Je travaille à présent, la maison est tranquille.

GERMAINE.

J’apprends à t’aimer.

ÉTIENNE, jaloux et fat.

C’est Pascal, ton professeur ?

GERMAINE.

Il m’a donné quelques conseils.

ÉTIENNE, à Pascal.

Tous mes compliments.

GERMAINE.

Il n’y a pas de quoi.

ÉTIENNE.

Je te demande pardon.

PASCAL, s’interposant.

Voyons, mon cher.

ÉTIENNE, à Pascal.

Je ne ris pas, en t’occupant d’elle tu me rends un véritable service.

GERMAINE.

Et c’est lui qui t’est reconnaissant.

ÉTIENNE, prêt à sortir.

Je reviens. Jouez à l’adultère, puisque ça vous amuse.

GERMAINE.

Merci de la permission.

PASCAL, bas à Germaine.

Prenez garde, il est jaloux.

GERMAINE.

Vous ne le connaissez pas. Quoi que nous fassions, sa fatuité sera toujours plus grande que notre imprudence.

ÉTIENNE, sur le seuil de la porte, à part, soupçonneux.

Est-ce que par hasard ?...

Naissant les épaules.

Bah ! J’examinerai ça plus tard.

 

 

Scène IV

 

PASCAL, GERMAINE

 

PASCAL.

Voulez-vous être bien gentille ?

GERMAINE.

Ça dépend.

PASCAL.

Laissez ce volume qui ne vous intéresse pas, remettez votre chapeau et venez avec moi à l’Épatant.

GERMAINE, sèchement.

Je vous ai déjà dit non.

PASCAL.

Vous avez tort, il y a un Bonnat superbe.

GERMAINE.

Je m’en moque un peu du Bonnat.

PASCAL.

Nous voyons toujours toutes les expositions ensemble. Pourquoi ne pas voir celle-là avec moi ?

GERMAINE.

Je ne suis pas d’humeur à regarder des tableaux, je vous assure.

PASCAL.

Moi non plus. Seulement j’aurais été content de marcher à côté de vous dans la rue, nous nous serions promenés un peu. Voilà huit jours que vous m’évitez. J’aurais raconté à ma vieille amie tous les chagrins que me fait...

GERMAINE, interrompant.

Votre nouvelle maîtresse ?...

PASCAL.

Ma maîtresse !

GERMAINE.

Allez, j’aurais préféré rester celle de mon mari, mais il n’a pas voulu de moi, lui.

PASCAL.

L’imbécile.

GERMAINE.

Partez, ne m’attendez pas. Je serais un triste compagnon aujourd’hui. D’ailleurs, j’aime mieux ne pas entendre vos confidences.

PASCAL.

Oh ! je n’avais pas d’arrière-pensée, je vous jure. Je suis trop fixé sur vos sentiments pour aborder certain sujet. Soyez tranquille, je n’aurais pas essayé de vous attendrir. Nous aurions causé amicalement, de bon cœur, comme dans le temps, comme avant.

GERMAINE.

Causons ici, alors.

PASCAL.

Ici ? Je ne pourrais pas.

GERMAINE.

Pourquoi ?

PASCAL.

J’ai honte à présent, je suis gêné. Tout me paraît compliqué, difficile, odieux. Les choses les plus simples me paraissent extraordinaires maintenant. Les meubles, les objets ont pris tout à coup un aspect différent, comme lorsqu’on a changé la lumière de place.

GERMAINE.

Hélas !

PASCAL.

Je ne me sens plus chez moi dans cette maison. Je n’ose plus m’asseoir à votre table. Je n’ose plus donner un ordre à un domestique.

GERMAINE.

Vos habitudes sont contrariées.

PASCAL.

Je n’ose plus venir en veston.

GERMAINE.

Votre vie est dérangée.

PASCAL.

Tout à l’heure, je gelais, je n’ai pas osé mettre une bûche dans le feu. Voilà des cigares que j’aime beaucoup, depuis un quart d’heure j’ai envie d’en fumer mi ; eh bien, je me garderais d’y toucher. Ce sont les cigares de votre mari à présent. Je pouvais tout prendre à ce garçon avant de lui avoir pris sa femme.

GERMAINE.

Le mieux est l’ennemi du bien.

PASCAL.

Si vous croyez que je n’ai pas de remords, vous vous trompez. J’en ai autant que vous, plus que vous peut-être. Je ris, je paie d’audace ; mais au fond je suis au supplice. Je me figure que tout ce que je dis est criminel. Ah ! je n’étais pas fait pour vivre dans le siècle où nous sommes.

GERMAINE.

Mon Dieu, si vous n’aviez pas vécu de mon temps...

PASCAL.

Ne raillez pas. Vous êtes toujours aussi malheureuse et notre intimité est détruite.

GERMAINE.

Bah !

PASCAL.

Nous étions si gais tous les trois, si camarades, si loyalement unis. Adieu nos bonnes soirées ! On se disputait quelquefois, mais ça marchait tout de même. Quels amis j’ai perdus !

GERMAINE.

Jamais je n’ai vu tant de cœur à un égoïste.

PASCAL.

Ah ! pourquoi votre folie m’a-t-elle gagné l’autre jour ! Pourquoi...

GERMAINE.

Ne me reprochez pas de vous avoir fait tomber.

PASCAL.

Orgueilleux que j’étais, j’ai cru que je pouvais vous consoler.

GERMAINE.

Comme si c’était possible.

PASCAL.

Me voilà bien avancé. Ce bonheur auquel je ne songeais plus depuis neuf ans, et qu’un désastre m’aura apporté, ce bonheur s’écroulera demain sans doute, et je n’en resterai pas moins amoureux de vous, éperdument amoureux. Beau résultat !

GERMAINE.

Soyez donc obligeant.

PASCAL.

Parions qu’avant trois jours votre porte me sera fermée.

GERMAINE.

Ça pourrait bien arriver.

PASCAL.

Oh ! ça arrivera. Votre calme ne présage rien de bon. Bientôt je recevrai un coup d’épée qui ne me tuera pas, malheureusement ; et tout sera fini entre nous trois. Nous nous en irons chacun d’un côté différent. Cette maison sera seule.

GERMAINE.

Il y aura les meubles.

PASCAL.

Que vais-je devenir si je ne peux plus vous voir tous les jours ? Je suis capable d’en mourir, vous savez ?

GERMAINE.

Eh bien, vous mourrez, mon ami.

PASCAL.

Voilà tout ?

GERMAINE.

Ou vous épouserez madame Brissot.

PASCAL.

Elle n’a pas engraissé.

GERMAINE.

Réconciliez-vous avec Mauricette.

PASCAL.

Mais quand j’étais l’ami de Mauricette, je passais toutes mes journées ici. Tenez, vous avez eu tort de choisir un homme qui vous aimait pour vous venger de votre mari. Puisque votre faute ne devait pas avoir de lendemain, un indifférent aurait suffi.

GERMAINE.

Vous étiez là.

Un silence.

PASCAL, presque gaiement.

Alors, jamais, plus jamais ?

GERMAINE.

Non.

PASCAL.

Vous n’agissez pas bien.

GERMAINE.

Vous avez juré de m’égayer, vraiment.

PASCAL.

Oui, là, je veux vous égayer. Pourtant si vous m’écoutiez ?

GERMAINE.

Voyons...

PASCAL.

Ne réfléchissez pas. Faites comme l’autre jour, disputez-vous avant.

GERMAINE.

Soyons sérieux.

PASCAL.

Vous ne seriez pas plus coupable, allez.

GERMAINE.

Au contraire.

PASCAL.

Certainement, au contraire. En vous donnant à un pauvre diable qui passait, vous avez contracté un engagement envers lui. Pourquoi ne pas le tenir ? On ne comble pas un malheureux de tous les biens pour le jeter ensuite sur le pavé.

GERMAINE.

Quand on commence, il faut continuer.

PASCAL.

La charité le commande et l’opinion le conseille.

GERMAINE.

L’opinion !

PASCAL.

La répétition de certaines fautes en diminue la gravité.

GERMAINE.

Il y a même des crimes qui deviennent respectables à force de durer.

PASCAL.

On pardonne une liaison à une femme comme il faut, on ne lui pardonne pas...

GERMAINE, achevant.

Un caprice.

PASCAL.

On a raison.

GERMAINE.

Il n’est pas permis de manquer à ses devoirs accidentellement.

PASCAL.

Non, et sur ce point je partage l’avis de je ne sais plus quel officier carliste qui avait déserté sa cause. On lui reprochait devant moi la persistance de sa trahison : Mon cher, répondit-il avec indignation, quand un Espagnol trahit, c’est pour la vie.

GERMAINE.

Une Espagnole aurait répondu autrement.

 

 

Scène V

 

PASCAL, GERMAINE, ÉTIENNE

 

ÉTIENNE, jaloux et fat.

Ne vous dérangez pas, je vous en prie, continuez.

GERMAINE.

Tu ne serais peut-être pas content, si je continuais.

PASCAL.

Elle exagère.

ÉTIENNE, à Pascal.

Tu peux lui répéter que tu l’aimes, tu sais, je ne t’en empêche pas.

GERMAINE.

Il dit ces choses-là beaucoup mieux que je ne pensais.

ÉTIENNE.

Il est si sincère, ce bon Pascal.

PASCAL.

Hélas ! les gens sincères n’ont pas de chance.

GERMAINE.

Quelquefois.

ÉTIENNE.

Quelquefois ?

GERMAINE.

Ça dépend.

PASCAL, à part.

Diable !

ÉTIENNE, à Pascal.

Avec les femmes, il suffit d’arriver à temps, n’est-ce pas ?

GERMAINE.

C’est peut-être plus vrai que tu ne crois.

ÉTIENNE, avec colère, avec fatuité.

Non, mais pendant que tu y es, appelle-moi donc...

GERMAINE.

Comment ? Pas le mot de Molière, je suppose ?

ÉTIENNE.

Si, je voudrais me l’entendre dire. Ça me changerait.

GERMAINE, prête à éclater.

Eh bien, tu es !...

ÉTIENNE.

Allons, un peu de courage.

GERMAINE.

N’insiste pas, il vaut mieux que je me taise.

ÉTIENNE.

Parle donc. Tu brûles de me dire la vérité et moi, je suis curieux de la connaître.

PASCAL.

Cessons cette plaisanterie.

ÉTIENNE, à Pascal.

Elle a peur de me faire plaisir.

À Germaine.

Parle.

GERMAINE.

Je veux bien, mais pas devant lui.

ÉTIENNE, à Pascal.

Alors, va-t’en.

PASCAL, à Germaine.

Vous me renvoyez ?

GERMAINE.

Adieu.

ÉTIENNE.

C’est un congé, je crois ?

PASCAL.

Décidément je n’ai pas de chance. À tout à l’heure.

Un silence.

 

 

Scène VI

 

ÉTIENNE, GERMAINE

 

ÉTIENNE.

Tu peux parler maintenant.

GERMAINE.

Si tu veux.

Un silence,

ÉTIENNE, avec emportement.

Assez de réticences et d’ironie. Je veux savoir ce qu’il y a sous ton persiflage et sous l’embarras de cet homme.

GERMAINE.

Soit.

ÉTIENNE.

Voilà une heure que vous me bravez l’un et l’autre. Il est temps que la plaisanterie finisse. Je désire être fixé. Nous sommes seuls. La porte est fermée. Expliquons-nous et tout de suite.

GERMAINE, hésitante.

Eh bien !

ÉTIENNE.

Eh bien ?

Un silence.

Tu n’as pas peur, je suppose ?

GERMAINE.

Non.

ÉTIENNE, avec cruauté.

Si c’est devant mon chagrin que tu recules, tu t’abuses étrangement, car ta tendresse est la seule chose que je redoute.

GERMAINE, indignée.

Étienne !

ÉTIENNE.

Je me moque un peu de ta fidélité.

GERMAINE.

Étienne !

ÉTIENNE.

Je ne t’aime pas, tu le sais bien, je ne t’ai jamais aimée, pas même une heure, et depuis huit ans il t’a fallu de la bonne volonté pour ne pas comprendre à quel point tu m’étais importune.

GERMAINE, indignée.

Ah ! tu m’insultes encore !

ÉTIENNE.

Oui ou non, est-ce vrai ?

GERMAINE.

Eh bien oui, c’est vrai.

ÉTIENNE.

Avec lui ?

GERMAINE.

L’autre jour.

ÉTIENNE, avec un geste de menace.

Malheureuse !

GERMAINE.

Tu m’as offerte, eh bien, je me suis donnée. Ce n’est pas la peine de m’offrir encore, mon cher ami, c’est fait.

ÉTIENNE.

Tais-toi, tu mens, je ne veux pas te croire.

GERMAINE.

Tu as tort. Je t’ai trompé, entends-tu bien ? Je t’ai trompé. Oui, j’ai commis cette infamie, et je suis heureuse de l’avoir commise, et je suis heureuse de te le dire, et si c’était à recommencer, je recommencerais.

ÉTIENNE.

Tais-toi, tais-toi.

GERMAINE.

Non, je parlerai. C’est toi qui l’auras voulu. Tu sauras tout ce que j’ai sur le cœur.

ÉTIENNE.

Assez ou je te tue.

GERMAINE.

À quoi bon lever la main ? N’as-tu pas ce que tu souhaitais ? Puisque tu tenais tant à être débarrassé de moi, sois satisfait. Tu es libre.

ÉTIENNE.

Trompé, moi ?

GERMAINE.

Oui, toi, toi que j’ai adoré, toi que toutes les femmes ont aimé, tu es trahi comme un autre homme. Tu croyais que tu pourrais me faire souffrir éternellement et que jamais je n’aurais mon tour... Quelle erreur ! Tout se paie, tu le vois. Si j’ai été frappée dans mon amour, tu l’es dans ta vanité. Grâce à Dieu, te voilà ridicule.

ÉTIENNE.

Ridicule ?

GERMAINE.

Nous sommes quittes à présent.

ÉTIENNE.

Te tairas-tu ?

GERMAINE.

Ah ! l’autre soir, après tes insultes, tu es rentré paisiblement. Tu t’es endormi sur ce canapé sans t’inquiéter si j’étais morte ou non. Tu n’as pas osé franchir la porte de ma chambre, de peur d’une réconciliation, n’est-ce pas ? Eh bien, tu as manqué de perspicacité, mon cher, permets-moi de te le dire ; car ce soir-là, par extraordinaire, tu n’aurais pas eu à subir les tendresses de ta femme, et je t’aurais fait tout de suite la confession que je viens de te faire. Je n’aurais pas été condamnée à cette hypocrisie qui m’étouffe depuis huit jours et que tu as prise pour du tact et de la résignation. Ils sont tous les mêmes !

ÉTIENNE.

Tu as fini ?

GERMAINE.

Oui, j’ai fini. Tu peux me tuer maintenant. J’ai dit tout ce que j’avais à dire. J’attends. Va, quoi que tu fasses, tu ne pourras pas être plus cruel que tu ne l’as été.

Elle s’assied.

ÉTIENNE, durement.

Non, je ne te tuerai pas, je ne te rendrai pas ce service ; tu serais trop contente. Je m’en vais de la maison, tout simplement.

Il prend son chapeau.

GERMAINE.

Ah !

ÉTIENNE.

Je ne te verrai plus, je ne t’entendrai plus, voilà ma seule vengeance. J’avais une femme et un ami, je n’ai plus ni l’un ni l’autre ; mais j’oublierai, je travaillerai, je réaliserai les rêves que tu entraves, depuis huit ans par tes plaintes, tes déclamations, tout ton ergotage. J’ai assez perdu de temps avec toi. Adieu, ma servitude est finie, je suis libre maintenant. Tu as raison, je suis débarrassé de toi. Grâce à ton infamie, me voilà délivré.

GERMAINE.

Adieu.

ÉTIENNE.

Quoi qu’il advienne, si bas que tu descendes, je ne paierai jamais trop cher ma liberté. Cette liberté, sache-le, je la place au-dessus de mon bonheur, au-dessus de ma dignité.

GERMAINE.

Tu peux partir. En t’en allant, tu te venges moins lâchement que tu ne crois.

ÉTIENNE, allant à elle.

Ce n’est pas un mari outragé qui s’en va, c’est un amant qui lâche une maîtresse ennuyeuse. Tu ne peux pas savoir combien de fois j’ai maudit la pitié qui m’enchaînait ici. Dieu merci, à présent j’ai le droit de t’abandonner sans remords. Jamais je ne retrouverai une occasion pareille. Aucun devoir, aucune charité ne me commandent de vivre avec une coquine.

GERMAINE.

À ton aise.

ÉTIENNE, avec rage.

Car il n’y a qu’une coquine qui se donne à un passant parce qu’un l’en défie. Celle qui vous trompe parce qu’on l’y engage était capable de le faire sans qu’on l’y invitât. Ce n’était pas une honnête femme avant.

GERMAINE.

Des phrases.

ÉTIENNE.

On ne s’empare pas d’un mouvement de colère à moins d’être une gueuse. Personne n’a ce droit. On n’écoute pas un fou qui vous conseille de voler quand on a de la probité. Tu n’as pas besoin de te pavaner dans ta belle action. Cette action est abominable.

GERMAINE.

Je me suis perdue par désespoir.

ÉTIENNE.

Par cynisme.

GERMAINE.

Par indignation.

ÉTIENNE.

La gravité de mes torts n’excuse pas ta trahison. Le châtiment a dépassé l’offense.

GERMAINE.

Tant mieux.

ÉTIENNE.

Tu oses m’accuser ? Mais si méchant, si imparfait que j’aie pu être, je ne t’ai pas trahie, moi. Ce que je ne t’ai pas donné par égoïsme ou cruauté, ou par impuissance de cœur, je ne l’ai donné à aucune autre. Avec tout ton amour tu as commis une faute qu’une femme sans amour n’aurait jamais commise. Qu’aurais-tu fait de plus si tu ne m’avais pas aimé ?

GERMAINE.

Si je ne t’avais pas aimé, je n’aurais pas souffert, et je serais restée tranquille.

ÉTIENNE.

Cela eût mieux valu. Mais à quoi bon m’indigner si longtemps ? On n’a jamais été dans le mariage ici, ce n’est pas la peine que je parle en mari. Adieu. Je ne rentrerai dans cette maison que lorsque tu en seras sortie.

GERMAINE.

J’en sortirai bientôt.

ÉTIENNE.

J’y compte.

GERMAINE.

Ce ne sera pas long.

ÉTIENNE.

Je te délie de tout ce qui t’attache à moi. Fais ce que tu voudras.

GERMAINE.

Merci.

ÉTIENNE, sur le seuil de la porte.

Et en te quittant je garde le pouvoir de te faire souffrir, car je ne t’aime pas, je te le répète, et tu m’aimes.

GERMAINE, violemment.

Tu te trompes, je suis guérie, je ne t’aime plus. Tes insultes ont usé mon adoration et l’amour d’un autre a fait le reste.

ÉTIENNE.

Rejoins-le vite alors, car je l’aurai tué demain.

Il sort.

GERMAINE, avec amour.

Étienne !

Seule, fondant en larmes.

Je l’ai perdu maintenant, c’est fini.

Un long silence.

 

 

Scène VII

 

GERMAINE, PASCAL

 

PASCAL.

Vous pleurez ?

Germaine relève la tête.

Vous venez de tout lui dire, n’est-ce pas ? Cet homme vous a encore fait du mal.

GERMAINE, avec désespoir, avec mépris.

Je vous défends de l’accuser.

PASCAL.

Vous avez déjà oublié ses torts.

GERMAINE.

Ses torts ? Et envers vous en avait-il des torts ? Quel mal vous avait donc fait ce mauvais mari ? Pourquoi lui avez-vous pris sa femme ? De quel droit lui avez-vous volé son bien, vous, son ami, son vieux camarade, vous, le témoin de sa vie, le confident de tous ses secrets ? Qui sait s’il ne vous disait pas souvent qu’il m’aimait ? Il vous l’a dit sans doute, et vous me l’avez caché.

PASCAL.

Non.

GERMAINE, sanglotant.

Il fallait me le faire croire. Mais vous étiez trop jaloux de l’amour que j’avais pour lui. Vous vous en êtes bien gardé. Parbleu ? Vous guettiez patiemment l’heure de le dépouiller et d’assouvir toutes vos rancunes d’homme laid et d’amant éconduit.

PASCAL.

Je vous aimais.

GERMAINE.

Vous mentez.

PASCAL.

Je le jure.

GERMAINE, de même.

Dans tous les cas, je ne vous aimais pas, moi, et vous le saviez. Est-ce qu’un galant homme profite du désespoir d’une femme, surtout quand il l’aime ? Au lieu de faire de moi votre maîtresse, vous deviez me conseiller, me défendre, me ramener mon mari... Quand je pense !

Avec horreur.

Allez-vous en, je vous méprise, je vous déteste, je ne veux plus vous voir. Portez à d’autres vos lamentations, votre cynisme, votre amitié néfaste. C’est vous l’auteur de tous mes chagrins ; sans vous, je pourrais encore être heureuse ; sans vous il serait encore là. Allez-vous en, vous êtes un lâche. Vous êtes le seul ici qui n’ayez pas d’excuse, et si mon mari vous tue demain, vous n’aurez que ce que vous méritez. !

PASCAL, prêt à sortir.

Je ne me défendrai pas.

GERMAINE.

Je vous le conseille.

PASCAL, à part, sur le seuil de la porte.

Eh bien ! J’ai eu une bonne idée de revenir.

Pascal sort.

GERMAINE, seule, avec désespoir.

Moi aussi, je suis de trop dans cette maison. Moi aussi, il faut que j’en sorte ; et je sais bien comment...

Elle met son manteau et se précipite vers la porte.

 

 

Scène VIII

 

GERMAINE, ÉTIENNE

 

ÉTIENNE, lui barrant la route.

Où allez-vous ?

GERMAINE.

Qu’est-ce que cela peut vous faire ?

ÉTIENNE.

Je veux le savoir.

Elle met ses gants.

Vous allez vous tuer, je le devine.

GERMAINE, dissimulant.

Vous vous trompez, une femme qui va se tuer ne se gante pas aussi tranquillement.

ÉTIENNE.

Où allez-vous, alors ?

Elle continue à se ganter.

Répondez.

Elle fait quelques pas pour sortir, il lui barre la route.

Tout à l’heure, quand vous m’aurez répondu. Vous n’allez pas retrouver cet homme, j’imagine ?

GERMAINE.

La jalousie vous vient un peu tard vraiment.

ÉTIENNE.

Vous portez encore mon nom.

GERMAINE.

Vous m’avez chassée, je m’en vais.

ÉTIENNE.

Attendez que cet homme m’ait rendu raison.

GERMAINE.

Je ne vivrai pas cinq minutes de plus sous le même toit que vous.

ÉTIENNE, éclatant.

Dussé-je Renfermer, dussé-je t’écraser, tu n’iras pas rejoindre ce misérable. Cela, je te le défends.

Elle fait un mouvement pour sortir, il la saisit violemment par le bras ; elle pousse un cri. Honteux et attendri.

Ah ! je t’ai fait mal. Pardon.

GERMAINE, avec espoir.

Étienne !

Un silence.

ÉTIENNE, amèrement.

Ah ! pourquoi l’inquiétude et la jalousie m’ont-elles fait rouvrir cette porte ? Pourquoi t’ai-je empêchée de partir ? Par quelle horrible contradiction du cœur suis-je revenu ? Saurai-je m’en aller maintenant ? Hélas ! nous nous sommes déchirés comme deux ennemis, des mots irréparables ont été prononcés, je t’ai méconnue, tu m’as trompé, et je suis la. C’est à croire que nous sommes rivés l’un à l’autre par tout le mal que nous nous sommes fait, par toutes les infamies que nous nous sommes dites. Quel avilissement !

Il pleure.

GERMAINE, pleurant aussi.

Mon Dieu ! mon Dieu !

Un silence.

ÉTIENNE, avec honte.

Tu m’as menti, n’est-ce pas ? Tu n’allais pas le retrouver ?

GERMAINE.

Non.

ÉTIENNE.

Et tu m’aimes encore, tu n’as jamais cessé de m’aimer ? Ah ! réponds-moi, je t’en supplie, tu vois comme je suis lâche.

GERMAINE.

À quoi bon te répondre ? Ce que j’ai fait ne sera-t-il pas toujours entre nous ? Nous ne pouvons plus vivre ensemble maintenant.

ÉTIENNE, baissant la tête.

Peut-être.

GERMAINE.

Peut-être. Il n’y a donc pas de justice ?

ÉTIENNE, avec tendresse.

Heureusement.

GERMAINE, s’élançant vers la porte.

Tu es fou, il vaut mieux que je m’en aille.

ÉTIENNE, lui barrant la route.

Je ne veux pas.

GERMAINE.

Réfléchis, Étienne, tu seras malheureux.

ÉTIENNE, sans oser la regarder, sans se rapprocher d’elle.

Qu’est-ce que ça fait !

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