Le Bal d’enfants (Adolphe D’ENNERY - DUMANOIR)
Comédie-vaudeville en un acte.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Gymnase-Dramatique, le 24 janvier 1845.
Personnages
MONSIEUR DESJARDINS.
CLÉMENCE, sa fille
MONSIEUR CHAUVINET, prétendu de Clémence
MONSIEUR SÉNÉCHAL
ERNESTINE, sa femme
TOTO BRIANÇON, lieutenant de cavalerie
EDGAR, jeune homme de 16 ans
CHARLOT, fils de Desjardins, 6 ans
NINI, sa petite sœur, 3 ans
BIBI, fils de Sénéchal, 6 ans
ENFANTS DES DEUX SEXES, en costumes variés
La scène se passe chez Desjardins...
Un salon, éclairé et décoré pour un bal, communiquant au fond, par trois grandes portes, à un second salon. Portes latérales au deuxième plan. Au premier plan, à droite et à gauche, deux petites portes perdues dans la tapisserie. À gauche, sur le devant, un canapé. Plusieurs guéridons couverts de tapis.
Scène première
CLÉMENCE, DEUX DOMESTIQUES
L’un des domestiques allume le lustre, dans le deuxième salon ; l’autre sort de la porte à gauche, portant des instruments de musique.
CLÉMENCE, entrant par la porte à droite.
Comment ! le lustre n’est pas encore allumé ?... Voyons, Joseph, dépêchez-vous...
Au deuxième domestique, qui entre.
Ah ! Gervais... ces instruments de musique dans le salon, où l’on dan sera...
TOUS DEUX.
Oui, Mademoiselle.
Joseph sort au fond à gauche, et revient aussitôt.
CLÉMENCE.
Ah ! c’est à moi qu’il faut obéir ce soir !... Maman est encore à table, avec M. Chauvinet et nos autres invités... C’est moi qui ai la haute direction du bal...
À Gervais.
Le glacier ?... le pâtissier ?...
JOSEPH.
Ils sont arrivés, Mademoiselle.
CLÉMENCE, à Gervais.
J’oubliais... Le garde municipal ?
GERVAIS.
Il est en bas.
CLÉMENCE.
En grand uniforme ?... Oui ?...
À part.
Maman y tient beaucoup... Ça fait bien... ça orne... la porte cochère... Ah ! Joseph !... dites à Marceline d’achever promptement la toilette de ma petite sœur... et de mon frère Charlot... Ce sont les grands personnages de la fête !... Allez, dépêchez-vous.
Seule.
Mon pauvre petit Charlot, qui pleurait de si bon cœur, parce qu’on n’a pas voulu le faire diner à table... Il a été bien vite consolé, en voyant son beau costume de...
Bruit de voiture.
Une voiture, qui entre dans la cour ?... Déjà du monde !...
Allant au fond.
Tiens !... c’est une chaise de poste !... un monsieur en descend !...
Écoutant.
Eh ! mais !... c’est mon père !... Lui !... que nous n’al tendions que dans quelques...
Scène II
DESJARDINS, CLÉMENCE
DESJARDINS, entrant et avec colère.
Qu’est-ce que c’est que ça ?... qu’est-ce que ça signifie ?... Gervais... Joseph !...
CLÉMENCE, courant à lui pour l’embrasser.
Papa !...
DESJARDINS, brusquement.
Qu’est-ce que ça signifie ?... réponds !... Je l’embrasserai après...
Changeant de ton.
Non, avant... Ma chère Clémence !...
CLÉMENCE.
Mais qu’avez-vous donc, papa ?
DESJARDINS.
J’ai... j’ai que je reviens du Berry... qu’en descendant de voiture, je mets le pied sur un lampion, que j’éteins, et qui manque de me faire tomber... Je m’accroche à quelque chose... c’était le sabre d’un garde municipal... Je monte... qu’est-ce que je vois sur l’escalier... Un tapis, des arbustes, et mon concierge en grande te nue, au milieu des fleurs !... J’entre... des banquettes, des lustres allumés... Enfin, tous les symptômes alarmants d’un bal !...
CLÉMENCE,
Mais aussi, mon papa...
DESJARDINS.
Je sais ce que tu vas me dire !... Ce n’est pas à toi que j’en veux, mon enfant... c’est å ta mère... Abuser de mon absence ! d’un voyage que je fais dans le Berry... pour toi, pour ton mariage !...
CLÉMENCE.
Mais, papa, laisse-moi au moins t’expliquer...
DESJARDINS.
Je sais ce que tu vas me dire !... que ça te fera bien plaisir de danser, n’est-ce pas ?... à moi aussi... chez les autres, tant que tu voudras... mais ici !... un bal chez moi !...
CLÉMENCE, souriant.
Oui, mon papa, nous connaissons votre antipathie... Mais, puisque...
DESJARDINS.
Je sais ce que tu vas me dire !... Que j’exagère ?... Eh bien ! non... Je soutiens que tout bal est un foyer d’intrigues, de propos, de scandale !...
Clémence veut parler.
On y fait des mariages ?... erreur... pour un de conclu, trois de cassés... et les maris qui en proviennent !... les malheureux !... n’est-ce pas le bal qui, plus tard, les...
À part.
les complète ?... Sur quatre, le bal en complète au moins trois !... C’est de la statistique !...
Haut.
Et sans me consulter, sans me prévenir, ta mère s’avise de donner...
CLÉMENCE.
Un bal d’enfants !
DESJARDINS.
Hein ?... Un bal...
CLÉMENCE.
D’enfants !
DESJARDINS, joyeux.
Que ne le disais-tu donc plus tôt ?
CLÉMENCE.
Vous ne me laissez pas parler...
Lui présentant une lettre d’invitation.
Tenez, mon papa, lisez.
DESJARDINS, lisant.
« Monsieur Charlot et Mademoiselle Nini Desjardins ont l’honneur... »
Riant.
Comment ! c’est Charlot et c’est Nini... ce sont mes deux enfants...
CLÉMENCE.
Qui donnent le bal... Certainement.
DESJARDINS.
C’est charmant !
Continuant.
« ...Ont l’honneur d’inviter M. Bibi Sénéchal... » – Ah ! le petit Sénéchal... c’est fort drôle !... « à passer la soirée chez eux, le... » et cætera... »
CLÉMENCE.
Continuez.
DESJARDINS.
« Les enfants au-dessus de seize ans, et au dessous de trois mois ne danseront pas. »
Enchanté.
Ah... à la bonne heure !... voilà un bal inoffensif, un raout sans danger !...
À lui-même.
Les maris n’y risquent rien... Il n’y aura guère que les meubles de compromis...
Haut.
Et puis, c’est bon genre... c’est faubourg Saint Honoré... et je ne vois pas pourquoi un ancien manufacturier, retiré des allaires, ne se permettrait pas...
CLÉMENCE.
C’est juste ce que disait Maman à ma maîtresse de pension !...
DESJARDINS.
Ah ! mais, à propos, ta pension... dont les règlements sont si sévères !...
CLÉMENCE, soupirant.
Hélas ! c’est ce qui nous désole, ma sœur et moi... Il faudra y rentrer ce soir, à onze heures...
DESJARDINS, lui prenant le bras.
Pour en sortir bientôt, mon enfant... et cette fois, ce sera pour un bal de noces...
Confidentiellement.
Car je rapporte du Berry d’excellentes nouvelles... des renseignements fort satisfaisants, sur la fortune et la famille de ton futur... De bonnes fermes, en plein rapport... et de vieilles tantes, très avancées... qui seront bientôt aussi... en plein rapport...
La regardant.
Eh bien ?... ça ne te fait pas plaisir ?...
CLÉMENCE, d’un air triste.
Ah ! c’est que, mon papa... pendant que vous examiniez les fermes de M. Chauvinet j’ai vu, moi, M. Chauvinet lui-même... qui a dîné avec nous... et...
Soupirant.
ce n’est pas le beau côté de mon mariage.
DESJARDINS.
Allons donc !... Il n’est pas laid, ce garçon ?...
CLÉMENCE, hésitant.
Oh ! si, mon papa... il l’est un peu.
DESJARDINS.
Mais, en revanche, il n’est pas bête !
CLÉMENCE, vivement.
Oh ! si, mon papa... il l’est beaucoup.
Desjardins veut parler.
Je ne me connais pas en mari, moi... mais il me semble que celui-là ne me convient pas.
DESJARDINS
Laisse donc !... Puisque c’est un mariage de convenance... il te convient... Je suis sûr qu’il te...
CLÉMENCE.
Chut !... le voici !...
DESJARDINS, bas.
Tais-toi !... il est inutile qu’il connaisse ton opinion.
Scène III
DESJARDINS, CLÉMENCE, CHAUVINET
CHAUVINET, venant de la gauche, à la cantonade.
Reposez-vous sur moi, Madame... Je vais donner des ordres pour...
Voyant Desjardins, qui lui tend les bras.
Ah ! bah ! M. Desjardins !... de retour ?. déjà ?...
DESJARDINS, souriant.
Ah ! mon gendre... voilà un mot...
CLÉMENCE, bas et vivement.
Vous voyez bien !...
DESJARDINS, bas.
C’est un lapsus.
CHAUVINET.
Quelle aimable surprise !... Vous arrivez comme Mars en... en carnaval !...
Il rit bruyamment.
Ha ! ha ! ha !...
Regardant Clémence, restée sérieuse. À part.
Elle ne comprend pas le mot.
DESJARDINS.
Ah ! oui, pour le bal... Et j’ai encore ma redingote de voyage !... Vite...
Il va pour ôter son pardessus.
CHAUVINET, le prenant à part.
Pardon...
DESJARDINS, qui a déjà retiré une manche.
Permettez... J’allais déposer ma...
CHAUVINET, le retenant.
Pardon...
DESJARDINS, à part, en regardant Chauvinet et en montrant son pardessus, retiré à moitié.
Ma fille a raison... il l’est un peu.
CHAUVINET, bas.
Je suis très content... Avant le dîner, j’ai fait ma cour pendant environ trois quarts d’heure... Elle a beaucoup ri... Je suis très content !
DESJARDINS, à part.
Ma fille a raison... il l’est beaucoup... Mais il a de si vieilles tantes dans le Berry !...
Il va déposer son pardessus, que Joseph emporte plus tard.
CHAUVINET, qui causait avec Clémence.
Eh ! mais, nos jeunes invités n’arrivent pas... Il me tarde de voir, de connaître mon petit futur beau-frère.
DESJARDINS.
Charlot ?... Comment ! Chauvinet, vous ne connaissez pas encore Charlot ?
CHAUVINET.
Mon Dieu, non... Quel sera le costume de Charlot, Mademoiselle ?
DESJARDINS.
Ah ! ah ! il aura un...
CLÉMENCE.
Il sera en Postillon de Lonjumeau.
CHAUVINET.
Oh ! qu’il s’ra beau ! qu’il s’ra beau ! qu’il s’ra beau !
DESJARDINS.
En Postillon de Lonjumeau ?...
CHAUVINET.
En Postillon de Lonjumeau... Je suis en chanté d’être prévenu... Je reconnaîtrai d’au tant mieux mon jeune beau-frère... qu’il sera déguisé.
À part.
Et j’ai des projets sur ce petit.
DESJARDINS, gaiement.
Et moi, je regrette d’arriver inopinément du Berry... je me serais mis en débardeur...
CHAUVINET.
Ah ! bah !
Scène IV
DESJARDINS, CLÉMENCE, CHAUVINET, JOSEPH, ENFANTS, INVITÉS
Musique à l’orchestre.
JOSEPH, annonçant.
M. Jules Thomassin !
DESJARDINS, riant.
Comment ! le petit Thomassin vient comme ça tout seul ?... c’est charm...
Un enfant, en costume de sauvage, entre, conduit par un monsieur et une dame âgés.
Ah !... madame...
Bas à sa fille, pendant que Chauvinet salue les Thomassin.
Dis donc... voilà deux invités qui portent plus de seize ans !
CLÉMENCE, bas.
Jules ne pouvait pas venir sans son père et sa mère.
DESJARDINS.
Ah ! c’est juste !
JOSEPH, annonçant.
Mlle Félicie Deschamps !
Une petite fille, déguisée en bergère, entre, conduite par trois dames.
DESJARDINS, saluant, tout étonné.
Mesdemoiselles...
Bas à sa fille.
Dis donc... trois pour une, cette fois-ci !
CLÉMENCE, bas.
Il faut bien que ses grandes sœurs l’accompagnent.
DESJARDINS.
Ah ! c’est juste !
Clémence va saluer les trois demoiselles.
JOSEPH, annonçant.
M. Alfred Gervaux !
Un petit garçon, en costume de malin, entre, suivi de quatre jeunes gens.
DESJARDINS, bas.
Ah bah !... quatre !... nous augmentons !
CHAUVINET, bas.
Puisque ce sont ses cousins !... Et puis, ce sont quatre quarts d’agent-de-change... à la rigueur, ça ne fait qu’un.
DESJARDINS.
C’est très juste...
À part.
Chauvinet est moins bête que tout à l’heure... il gagne, il gagne.
JOSEPH, annonçant.
Mlle Lolotte Desvarennes !
Une nourrice entre, portant une petite fille.
LA NOURRICE.
Messieurs, Mesdames et la compagnie...
DESJARDINS.
Ah ! pour le coup, c’est trop fort !...
Bas à sa fille.
Un bonnet normand dans mon salon !... pourquoi as-tu invité ce bonnet ?...
CLÉMENCE, bas.
Puisque c’est la nourrice !... c’était indispensable...
CHAUVINET, de même.
Pour l’enfant... On ne peut pas lui remplacer ça par du punch.
DESJARDINS.
C’est on ne peut plus juste !...
À part, avec admiration.
Chauvinet n’est plus reconnaissable !... il est plein de moyens !
CHAUVINET, saluant l’enfant ce nourrice, en faisant signe à Desjardins.
Mlle Lolotte veut-elle me faire l’honneur de danser avec moi la première...
DESJARDINS, riant aux éclats.
Ha ! ha ! ha ! ha !... Mais Chauvinet est charmant !
NINI, accourant.
Papa, Papa !... voilà toute ma société !
Entrée générale d’enfants, accompagnés de leurs parents, et ayant tous des costumes de différents caractères.
CHŒUR.
Air : de M. Hormille.
Nous accourons à la fête !
Quel plaisir pour nous s’apprête !
En ces lieux, jusqu’au jour,
Chantons, dansons, tour-à-tour !
DESJARDINS,
Liberté complète !
Les rois de la fête,
Mes enfants, c’est nous :
Sautez, dansez, comme des fous !
Voilà le bel âge !
Gaieté sans nuage !
Et les jours heureux
N’ont pas de lendemain pour eux.
REPRISE.
Nous accourons, etc.
JOSEPH, annonçant.
M. et Mme Sénéchal !...
Scène V
LES MÊMES, SÉNÉCHAL, ERNESTINE
DESJARDINS.
Eh ! c’est ce cher ami !... Madame, je vous présente mes hommages...
ERNESTINE, gaiement.
Bonsoir, M. Desjardins... bonsoir, ma bonne Clémence...
CHAUVINET, à Ernestine.
Madame, j’ai bien l’honneur...
ERNESTINE.
M. Chauvinet !... ton futur !...
Bas à Clémence.
Un jeune homme charmant...
Chauvinet salue. À part.
Grand imbécile !... qui pouvait épouser ma belle-fille...
DESJARDINS.
Ah ! ça, et ton fils, Sénéchal ?... est-ce que tu ne nous l’amènes pas ?
ERNESTINE.
Si fait... mais il nous a quittés, pour courir montrer son costume à son petit camarade Charlot.
CHAUVINET.
Ah ! ah !... et quel costume ?...
SÉNÉCHAL, avec emphase.
Celui de boyard russe.
CHAUVINET.
Boyard ?...
SÉNÉCHAL.
Ça veut dire, dans ce pays froid, préfet de département.
ERNESTINE, regardant autour d’elle.
Sont-ils gentils, ces petits !... je veux les embrasser tous !
SÉNÉCHAL.
Va, Ernestine, va, ne te gêne pas... je m’y prête... Dans une quinzaine d’années, par exemple, j’y verrai quelque inconvénient...
DESJARDINS, riant.
Jaloux !... Othello !
SÉNÉCHAL.
Jaloux, moi ?... fi donc... Seulement, quand un jeune homme regarde ma femme... ou parle à ma femme... ou pense à ma femme... il me vient aussitôt l’idée de le tuer raide.
DESJARDINS.
Voilà bien la rudesse militaire !...
À Chauvinet.
Monsieur est fabricant de plumets pour la garde nationale...
ERNESTINE, à Clémence.
Comme il est gentil !...
Bas.
Il faut lâcher de mieux apprivoiser le tien, ma chère... Il suffit que le moindre petit jeune homme ait les yeux sur moi, pour...
Haut et vivement.
Et M. Edgar ?... est-ce que vous n’avez pas invité M. Edgar ?...
SÉNÉCHAL, se rapprochant, avec inquiétude.
Plaît-il ?... qu’est-ce que c’est que ça, M. Edgar ?...
ERNESTINE.
Vous ne le connaissez pas... le jeune frère d’une amie de pension à moi...
À Desjardins.
Il est de l’âge requis... seize ans à peine.
CLÉMENCE.
Aussi, nous comptons sur lui.
SÉNÉCHAL, à Desjardins.
Seize ans ?... vous avez été jusque là ?... Je me défie beaucoup de ces sortes de mineurs.
ERNESTINE.
Quel âge faut-il donc pour vous rassurer ?... Je gage que M. Sénéchal ne serait pas tranquille, s’il me voyait prendre sur mes genoux... votre fils Charlot, par exemple... ou le petit Toto Briançon.
CLÉMENCE, se rapprochant vivement.
M. Toto !...
SÉNÉCHAL, avec explosion.
Je le crois bien, ventrebleu !... Un lieutenant de hussards !... vingt-neuf ans d’âge, et quinze centimètres de moustache !...
ERNESTINE, riant.
Mais non !... l’autre !...
DESJARDINS, de même.
Madame parle du petit... Toto deus.
CLÉMENCE, se remettant.
Ah !
DESJARDINS, riant toujours.
Vous ne savez donc pas ?...
SÉNÉCHAL, l’interrompant.
Quoi ?... que M. Toto était un mauvais sujet... un bandit...
CLÉMENCE.
M. Toto ?... par exemple !...
CHAUVINET, la regardant.
Plaît-il ?...
SÉNÉCHAL, continuant.
Que son père a déshérité, chassé... à qui toutes les maisons ont été fermées... la mienne... la vôtre, Desjardins...
DESJARDINS.
Oui, certes...
CLÉMENCE, à part.
Hélas !
DESJARDINS.
Mais...
SÉNÉCHAL, poursuivant.
Et qui s’est engagé dans la cavalerie... où il a débuté par manger son cheval !...
DESJARDINS.
Ah ! bah !...
SÉNÉCHAL.
C’est un mot de troupier... pour dire qu’il l’a vendu, afin de manger autre chose... de meilleur.
DESJARDINS, riant.
À la bonne heure... Mais il ne s’agit pas de celui-là... Ignorez-vous que mon ami Briançon a reporté toute sa tendresse sur son second fils... qui a quatre ans et pas de moustaches... à qui il a donné tout ce dont il dépouillait l’aîné... y compris le surnom de Toto... qui est de tradition dans la famille !
SÉNÉCHAL, se remettant.
Ah ! bien, bien !... Ernestine, je te permets la familiarité de Toto deuxième...
Aux autres.
Ce qui m’a fait peur, c’est que le régiment de ce vaurien... l’autre !... étant depuis quelques jours à Paris...
CLÉMENCE, vivement.
M. Toto est à Paris ?
CHAUVINET, à part.
Ah ! mais, ma future s’inquiète beaucoup de ce... Toto !
DESJARDINS, à Sénéchal.
Soyez tranquille... vous ne le trouverez pas chez moi.
CLÉMENCE, à part.
Je ne le reverrai jamais !
Elle essuie une larme.
DESJARDINS.
Et je ne sais même si nous aurons son frère... car il se fait tard... et ces enfants s’impatientent.
CHAUVINET, remettant ses gants.
C’est vrai !
À Clémence.
Mademoiselle...
À part.
Je vais la faire causer hussard...
Haut.
Mademoiselle veut-elle bien m’accepter pour cavalier ?
CLÉMENCE.
Oh ! impossible, Monsieur... on ne danse pas au-dessus de seize ans, et j’en ai dix-sept.
SÉNÉCHAL.
En ce cas, Chauvinet, organisons un whist ou un lansquenet.
DESJARDINS.
Le lansquenet, dans un bal d’enfants !... je m’y oppose !... Je ne permets que le loto, le corbillon et pigeon vole.
CLÉMENCE, près de la porte à gauche.
Justement... les jeux sont disposés dans le cabinet de papa...
CHAUVINET, riant.
Soit... nous jouerons à pigeon vole.
SÉNÉCHAL, bas à Chauvinet.
A un louis.
CHAUVINET.
Comment ça ?...
SÉNÉCHAL, bas.
Oui, chaque fois qu’on se trompera... Un louis... Mouton vole... un louis !... maison vole... un louis !...
CHAUVINET.
Bon, bon, je saisis... ça me va.
TOUS.
Air : Mazurka de Burgmuller.
Il faut que dans ce bal joyeux,
Où doit danser l’innocence,
L’on ne rencontre que les jeux
De l’enfance.
L’orchestre continue, piano.
CLÉMENCE.
Messieurs, si vous voulez me suivre...
SÉNÉCHAL, bas à sa femme.
Ernestine... défiez-vous d’Edgar !
À part.
Chauvinet n’épouse pas ma fille... je vais pratiquer sur sa bourse... une razzia !
Reprise du chœur.
Ils sortent à gauche, conduits par Clémence.
Scène VI
DESJARDINS, ERNESTINE, JOSEPH, puis EDGAR, ensuite, NINI et CHARLOT
JOSEPH, annonçant.
M. Edgar Dubreuil !
ERNESTINE.
Ah ! quel bonheur !
EDGAR, saluant cavalièrement Desjardins, sans voir Ernestine.
Monsieur...
ERNESTINE, courant lui prendre les mains.
Ah ! M. Edgar !...
EDGAR, à part, ému.
C’est elle !...
Il demeure immobile.
NINI, entrant avec Charlot.
Papa... vois donc mon frère, comme il est beau !...
DESJARDINS, l’embrassant.
Ah !... mon Charlot !... mon fils !...
ERNESTINE, à Edgar.
Que c’est gentil à vous d’être venu !...
DESJARDINS, à Ernestine, gaiement.
Prenez-garde !... si votre mari...
ERNESTINE.
Allons donc !... Un enfant... seize ans à peine... est-ce que ça peut compter pour un danger ?... N’est-il pas vrai, M. Edgar ?
EDGAR, embarrassé.
Madame...
À part, avec colère.
Voilà !... parce qu’on m’invite à un bal d’enfants... elle me traite comme un écolier !... sans conséquence !... Ah ! morbleu ! nous verrons !
PLUSIEURS ENFANTS, l’entourant.
Bonsoir, Edgar !... bonsoir, Edgar !
EDGAR, les repoussant avec dédain.
C’est bon... c’est bon.
DESJARDINS, à Edgar.
Vous arrivez, pour mettre le bal en train.
EDGAR, très froidement.
Ne comptez pas sur moi, Monsieur... je ne danse plus.
DESJARDINS.
Ah ! bah !
ERNESTINE.
Vraiment ?... Quel dommage !
DESJARDINS.
C’est-à-dire... que vous ne dansez pas encore ?
EDGAR, sans l’écouter.
Mais j’aime à voir sauter... les enfants... Leurs jeux font oublier...
Regardant Ernestine.
bien des chagrins.
DESJARDINS.
Des...
Il se détourne pour rire.
ERNESTINE, à part.
Tiens ! il m’a regardée !...
JOSEPH, annonçant.
M. Toto Briançon !
TOUS LES ENFANTS, avec joie.
Ah !...
Ils courent au-devant de lui.
Scène VII
DESJARDINS, ERNESTINE, JOSEPH, EDGAR, NINI, CHARLOT, TOTO, en uniforme de lieutenant de hussards
DESJARDINS, allant au-devant de lui, en se baissant.
Ah ! ce cher petit To...
Levant la tête, voyant le hussard et reculant.
Ciel !
Tous les enfants reculent également, frappés de surprise.
ERNESTINE.
C’est l’autre !
EDGAR, à part.
Le lieutenant !
TOTO, avec effusion.
M. Desjardins !... ah ! M. Desjardins !... je vous remercie mille et mille fois de votre aimable invitation !... Comment se porte Mlle Clémence ?
DESJARDINS, interdit et balbutiant.
Pardon... je... Non... je veux dire que...
TOTO.
Je vous comprends parfaitement... Vous avez saisi cette occasion de fêter mon retour à Paris et ma réintégration dans l’estime paternelle... On m’avait calomnié, diffamé, M. Desjardins... J’ai prouvé à ma famille que l’anecdote du cheval était apocryphe... comme toutes autres ayant circulé sur mon compte... mon père m’a rouvert ses bras, sa maison et sa bourse... je m’y suis précipité...
S’expliquant.
dans ses bras !... Mais je m’attendais si peu à cette lettre d’invitation, qui... dont...
Ne pouvant finir sa phrase.
Comment se porte Mlle Clémence ?
DESJARDINS.
Précisément, Monsieur, parlons de cette invitation... Je vais vous expliquer... Il faut vous dire que...
TOTO.
Je vous comprends parfaitement... Vous avez craint un quiproquo ?... Rassurez-vous, c’est à moi qu’elle est parvenue... Un portier inintelligent aurait pu la remettre à mon jeune frère, également Toto... mon concierge, après avoir consulté un homme de lettres... le facteur... n’a pas hésité une minute entre Toto housard et Toto moutard... Comment se porte Mlle Clémence ?
DESJARDINS.
Mais, Monsieur !...
Toto se tourne vers Ernestine, qui lui indique la porte par laquelle Clémence est sortie.
DESJARDINS, allant à Ernestine.
C’est que je ne peux pas le renvoyer !...
ERNESTINE.
Il est invité !
DESJARDINS, se retournant et ne voyant plus Toto, qui a gagné la porte à gauche.
Eh ! bien ?... eh ! bien ?... M. Toto !...
TOTO, revenant.
Je cherchais Mlle Clémence.
DESJARDINS.
Si cependant cela vous avait dérangé...
TOTO.
Rien ne me dérange.
DESJARDINS.
C’est qu’au régiment, dit-on, vous vous couchez de bonne heure...
TOTO.
Au régiment, oui... mais au bal... je reste toujours le dernier... je ne m’en vais jamais qu’après le souper.
DESJARDINS, vivement.
Il n’y en aura pas !
Désappointement des enfants.
TOTO.
Je vous connais, M. Desjardins... c’est une surprise que vous nous ménagez... le souper sera exquis.
Joie des enfants.
DESJARDINS.
Mais il n’y en aura pas !... c’est un bal d’enfants, Monsieur !... lisez donc la lettre d’invitation.
TOTO, avec résignation.
Eh bien ! M. Desjardins, je partagerai leurs friandises... Eh ! mon Dieu ! j’ai été convié à un repas, encore plus incompatible avec mes habitudes gastronomiques.
ERNESTINE, avec curiosité.
À votre régiment ?...
TOTO, saluant.
Non, Madame, à Paris... dans une soirée dansante... C’est mon diable de nom qui m’a joué ce tour-là...
Desjardins se rapproche.
Figurez-vous qu’une comtesse hongroise donnait un bal... de petits chiens.
DESJARDINS.
Un bal de ?...
ERNESTINE, riant.
En effet, il y en a eu un l’hiver dernier !
TOTO.
Le King-Charles de la comtesse avait invité tous les carlins et épagneuls de sa connaissance... entr’autres, un jeune barbet appelé Toto, qui habitait la même maison que moi... Mon Dieu, oui, cet animal avait le double honneur d’être mon homonyme et mon colocataire... On m’a remis, par erreur, la lettre adressée à ce monsieur, je suis allé au bal, et je me suis trouvé dans ce raout... de caniches.
ERNESTINE, riant.
Vous avez dû être furieux !
TOTO.
Du tout !... j’ai été assez content de ces messieurs... Ils avaient, en entrant, déposé dans l’antichambre leurs paletots écossais... comme des petits lions... Après quoi, ils se sont livrés à la polka, à la mazurka... et les Munito de la compagnie ont fait leur partie de dominos... Puis, on leur a servi la pâtée, à laquelle ma lettre me donnait des droits... dont je n’ai pas abusé... Mais eux !... ah ! les enragés !... Jusque-là, ils avaient été très sages... mais après le repas, ils se sont bien mal comportés.
TOUS LES ENFANTS, qui l’entouraient.
Ha ! ha ! ha !
TOTO, les saluant.
Messieurs... je vous présente mes devoirs.
On entend un air de polka.
DESJARDINS.
Eh ! mais, j’entends l’orchestre !...
TOTO.
Vivat !...
DESJARDINS, sèchement.
Monsieur... au dessus de seize ans, on ne danse pas...
Aux enfants.
Venez, mes petits amis, venez...
À Ernestine.
Madame, prenez mon bras...
À Toto.
Au dessus de seize ans, Monsieur !
TOTO.
Ah ! j’en ai dix-neuf...
CHŒUR.
Air : Polka de M. Hormille.
C’est la danse
Qui commence !
C’est du bal
Le signal !
Quelle ivresse !
Qu’on s’empresse
De courir
Au plaisir.
TOTO, à part.
Ô mon frère !
Je veux faire
Honneur à ton rang...
Changeant à l’instant
De régiment
Et d’âge,
Je m’engage
Dans les enfants :
Je n’ai que cinq ans !
REPRISE.
C’est la danse, etc.
Toto s’oubliant, danse sur la ritournelle.
DESJARDINS, se retournant au moment de sortir, et criant.
Au dessus de seize ans, Monsieur !...
Toto s’arrête.
Desjardins, Ernestine et tous les enfants sortent au fond, à gauche.
Scène VIII
TOTO, EDGAR
TOTO, à part, pendant qu’Edgar, qui a remonté, suit des yeux Ernestine.
Merci, mon frère Toto !... Me voilà, en qualité d’enfant, chez les Desjardins, qui m’avaient exilé en qualité d’homme !... près de Clémence, qui doit m’aimer toujours !... Mais où est-elle donc ?...
Il se retourne et se trouve en face d’Edgar, qui lui tend la main.
EDGAR.
Comment ! M. Toto, vous ne m’avez pas reconnu ?... Regardez-moi bien.
TOTO.
Attendez donc !... de bougez pas !... ça me revient !... Eh oui ! Edgar Dubreuil !... le petit Edgar, que j’ai connu haut comme ça !
Il baisse sa main.
EDGAR, piqué.
Lieutenant !...
TOTO.
Hein ?... ça vous fâche ?... vous ne voulez pas avoir été petit ?... Excusez... je voulais dire :
Élevant sa main.
haut comme ça !... tambour major de naissance...
À part.
Cette prétention !...
EDGAR, lui tendant cavalièrement la main.
Je suis enchanté, Lieutenant, de vous rencontrer ici... Au moins, je ne serai pas le seul homme qu’on aura invité à ce bal d’enfants.
TOTO, à part.
Oh ! ce fragment d’homme !...
Haut.
Ah ! ce n’est pas comme enfant qu’on vous a...
EDGAR, fièrement.
Lieutenant !... j’ai vingt-deux ans.
TOTO, gravement.
Touchez-là... jeune majeur.
EDGAR, se jetant sur le canapé et s’étalant avec affectation.
Vous êtes arrivé tard, mon cher... moi aussi... Cela vient de ce qu’après mon dîner, j’ai l’habitude de fumer trois ou quatre cigares...
TOTO.
Ah ! oui ?... des gros ?... des 25 centimes ?...
EDGAR.
Non, des Panatelas... C’est une vieille habitude.
TOTO, à part.
Tu vas te taire !...
EDGAR.
Puis, après, je suis allé passer une heure chez...
Après avoir regardé autour de lui.
chez la petite Clorentine.
TOTO, s’appuyant sur le dossier du canapé.
De l’Opéra ?...
EDGAR.
Non, mon bon... des Délassements-Comiques...
Riant.
C’est un de mes... délassements.
TOTO.
Combien en avez-vous donc comme ça... mon bien bon ?
EDGAR.
Oh ! il n’y a pas de quoi être fat... je n’en ai que trois.
TOTO, à part.
Ça ne va pas finir ?...
Haut.
Ah ! vous en avez trois ?... presque autant que de Panatelas.
EDGAR.
Mais ça revient plus cher...
TOTO, à part.
A-t-il un aplomb, ce bambin-là !
EDGARD.
Et puis, les jalousies... les caprices... c’est assommant, mon cher... L’une aime les mous taches, l’autre les favoris... ma foi, pour mettre tout le monde d’accord...
Se levant.
je ne porte plus rien de tout ça.
TOTO.
Vous avez fini par renoncer à la barbe ?
EDGAR.
Tout-à-fait.
TOTO.
Vous avez pris le bon parti.
À part.
Je suis sûr qu’il se frotte avec la graisse de tous les animaux possibles !
EDGAR, venant s’appuyer familièrement sur son épaule.
Mais je crois que je vais bientôt donner congé...
TOTO.
Aux trois petites ?... ça leur fera bien de la peine.
EDGAR, avec fatuité.
Je sais bien... je sais bien...
TOTO, à part.
Tu ne vas pas encore finir ?...
EDGAR, avec feu.
Ah ! c’est que, voyez-vous, Lieutenant, il y a là un amour vrai... profond !...
TOTO.
Oh ! oh !... Contez-moi donc ça !
EDGAR.
Pour une femme... adorable !...
TOTO.
Elles sont toutes adorables... Allez.
EDGAR, confidentiellement.
Qui est ici... au bal...
TOTO.
Bah !
EDGAR.
Avec son mari...
TOTO.
Bon !...
Ernestine traverse le deuxième salon, conduisant deux enfants.
Son nom ?
EDGAR, vivement.
Oh ! jamais vous ne le saurez !... jamais un mot de ma bouche, un geste, un regard, ne trahiront...
Apercevant tout-à-coup Ernestine.
Ciel la voici !
TOTO, regardant.
Celle-là ?... Je vous félicite de votre discrétion.
EDGARD, vivement, en le poussant vers la droite.
Oh ! je n’ai rien dit !... vous ne savez rien !
TOTO, bas, en s’éloignant.
Rien du tout... Je vous laisse avec elle... allez, ferme !... Le huitième housards bénit vos amours !...
Il s’esquive discrètement par la petite porte à droite et disparaît.
Scène IX
EDGAR, ERNESTINE, puis TOTO
EDGAR, demeurant immobile.
Ah ! mon Dieu !... comme le cœur me bat !...
ERNESTINE, qui a fait sortir les deux enfants à gauche, se retournant.
Vous ici, M. Edgar ?... Comment ! tout seul, dans ce salon ?
EDGAR, tremblant.
Oui, Madame... oui... je...
À part.
Maintenant, que je suis seul avec elle... adieu tout mon courage !
ERNESTINE, le regardant.
Qu’avez-vous donc ?... On dirait que vous souffrez !
EDGAR.
Moi, Madame ?... pas da tout.
TOTO, entr’ouvrant avec précaution la petite porte et se mettant aux aguets. À demi-voix.
Je suis curieux de voir l’effet de ma bénédiction.
ERNESTINE.
Mais si fait... vous avez quelque chose... Eh ! tenez, vous voilà comme à ce bal du mois passé, où vous vous êtes presque évanoui !...
EDGAR, s’enhardissant.
Oh ! Madame, c’était bien différent... Ce jour-là...
S’arrêtant.
Vous allez vous moquer de moi ?
ERNESTINE.
Non.
TOTO, à part.
Moi, si !...
EDGAR.
Ce jour-là, j’avais essayé de... de fumer mon premier cigare...
D’un ton piteux.
Et mon dernier aussi, je vous jure !...
TOTO, à part, étonné.
Et il dit que ce soir il a consumé quatre panatelas !...
EDGAR.
Ça m’avait fait un mal !... ah !...
ERNESTINE, à part.
Pauvre enfant !...
Haut, tout en s’asseyant sur le canapé.
Aussi, pourquoi vouloir prendre de ces habitudes-là, à votre âge ?... Vous n’avez que seize ans, n’est-ce pas ?...
EDGAR.
Moins huit jours, Madame.
TOTO, à part.
Et tout à l’heure, il avait vingt-deux ans !... Il rajeunit.
ERNESTINE, avec intérêt.
Mais, ce soir, qu’est-ce donc qui vous trouble ?...
EDGAR.
Oh ! ce soir, Madame... c’est quelque chose de plus grave... Mais je n’oserai jamais...
TOTO, à part.
Qu’a-t-il donc fait de son aplomb ?...
ERNESTINE, à part.
Tiens !
EDGAR.
Je suis si trouble... C’est la première fois que je parle... seul... sans témoin... à... à une femme...
ERNESTINE.
Vrai ?...
TOTO, à part.
Eh bien ?... et ses trois délassements comiques ?
ERNESTINE, le pressant.
Enfin, voyons, dites-moi...
EDGAR.
Ce soir, Madame...ce qui me trouble !... ce qui me fait pâlir et trembler... c’est...
ERNESTINE.
C’est ?
TOTO, à part.
C’est, cher ami ?...
EDGAR.
C’est de l’amour !
TOTO, à part.
Il l’a lâché !
ERNESTINE, se levant tout-à-coup.
De... de l’amour ?...
EDGAR, s’animant et s’avançant vers elle.
Oui, Madame, une passion qui me brûle, me dévore, me consume !....
TOTO, à part.
Le voilà parti !
ERNESTINE, un peu effrayée.
M. Edgar !... vous n’avez que seize ans, n’est-ce pas ?
TOTO, à part.
Moins huit jours !
EDGAR.
Mais cette passion, Madame, c’est un crime !... car j’aime... une femme mariée !
ERNESTINE.
Plaît-il ?
TOTO, à part.
Il appelle ça un crime !...
ERNESTINE.
Une femme mariée !... Apprenez, Monsieur, que tous les maris sont respectables !... tous !...
À part.
Le mien compris !...
Haut, et avec plus de douceur.
Voyons, renoncez à ces idées-là... Ou je dirai tout à votre sœur... qui vous grondera...
EDGAR, à part, avec colère.
Me gronder !... Encore un mot...
ERNESTINE.
Votre sœur, ma bonne Clotilde, qui vous aime tant... et à qui vous ressemblez !...
EDGAR, joyeux.
Vrai ?
ERNESTINE, lui prenant les deux mains et le regardant.
Car c’est étonnant !... les mêmes traits, la même physionomie !...
EDGAR.
Vous trouvez ?...
ERNESTINE.
C’est elle enfin...
TOTO, à part.
Moins une robe.
ERNESTINE.
Ce qui m’a fait venir parfois l’idée la plus folle !...
EDGAR, vivement.
Laquelle donc ?...
TOTO, à part, en sortant sans bruit du cabinet où il était caché.
Une idée folle ?... Ah ! pauvre mari, qu’est-ce que ça peut-être ?
Il disparaît un instant par la deuxième porte à droite.
ERNESTINE.
Eh mais ! nous sommes à un bal travesti !... excellente occasion !...
À part.
Et puis, si la femme qu’il aime est ici... je l’en détourne, j’empêche un entretien... je sauve peut-être un mari !... c’est moral.
EDGAR, avec joie.
Eh bien ! Madame ?... Cette idée ?
ERNETINE, très gaiement.
C’est de vous habiller... en jeune fille !
Elle court vers la petite porte à gauche.
TOTO, à part, reparaissant et gagnant le fond, å pas de loup.
Ah ! bah !
EDGAR, piqué.
Moi ?... Vous disiez bien, Madame... C’est une folie...
ERNESTINE, revenant à lui.
Est-il arriéré ! Charmante !... comme toutes les folies... Eh ! tenez...
Indiquant la petite porte à gauche.
Madame Desjardins nous prêtera son boudoir...
Vivement.
Elle y restera avec nous !... Vous aurez ainsi deux femmes de chambre, Monsieur... Vous acceptez ?... oui ?... c’est convenu... Oh ! que ce sera amusant !... Je cours choisir la plus jolie robe, le plus joli bonnet de Clémence...
S’arrêtant et hésitant.
Vous n’avez que seize ans, n’est-ce pas ?
TOTO, au fond, s’oubliant.
Moins huit jours !
ERNESTINE.
Ciel !... quelqu’un !
EDGAR.
Le lieutenant !
ERNESTINE, à part.
L’indiscret !...
Regardant Edgar.
Il sera joli comme sa sœur !
Elle sort à gauche.
Scène X
TOTO, EDGAR
TOTO, éclatant.
Bravo !... bravissime !
EDGAR, furieux.
Quoi !... vous étiez-là ?... Vous avez entendu...
TOTO, le calmant.
Rien que la fin... Je suis arrivé au dénouement... à la robe et au bonnet de Clémence.
EDGAR, marchant avec dépit.
Ah ! Lieutenant !... Ce n’est pas à vous qu’on ferait une pareille injure !...
TOTO.
Plaît-il ?... Comment dites-vous ?
EDGAR.
Une proposition aussi humiliante !...
TOTO, soupirant.
Hélas ! non... je n’ai pas de chance...
EDGAR, s’arrêtant tout-à-coup.
Comment ?
TOTO.
Jamais on n’a eu pour moi cette attention délicate... Il est vrai que vous êtes plus mince que moi... Heureux les minces, dans ce bas monde !
EDGAR, étonné.
Quoi ! si une femme vous proposait, comme à moi... vous accepteriez ?...
TOTO.
Avec transport !... avec enthousiasme !... Vous ne voyez donc pas, jeune aveugle, tout ce qu’il y a de gentil dans cette scène de boudoir !... Demandez plutôt à Chérubin... et à cet espagnol d’Almaviva !... a-t-il eu de l’agrément !...
Vivement.
Pas Almaviva !... le petit !
EDGAR, avec transport.
Oui, au fait !... vous avez raison !... je comprends... je devine !...
On entend les cris des enfants.
EDGAR.
Que le diable emporte les enfants !...
TOTO.
Leurs cris vous importunent, pas vrai ?... Et puis, le boudoir... Va donc, jeune France !...
Ensemble.
Air : Quadrille de Don César. (1re figure.)
TOTO.
De ce premier rendez-vous,
Si terrible, mais si doux,
L’heure s’approche pour vous :
Guerre à Messieurs les époux !
EDGAR.
C’est mon premier rendez-vous !
J’attends ce moment si doux,
Et je m’écrie, avec vous :
Guerre à Messieurs les époux !
TOTO, à demi-voix.
Beauté naïve, indulgente,
Attend là-bas vos seize ans...
Et moi, qui n’en ai que trente,
Je reste avec les enfants.
Reprise ensemble.
Edgar sort à gauche.
Scène XI
TOTO, TOUS LES ENFANTS
TOUS, chantant et dansant en rond, autour de Toto, pendant que Bibi et Charlot se disputent à gauche.
À mon beau château,
L’on y danse,
L’on y chante ;
À mon beau château...
TOTO.
Dansez autour de Toto !
Bonjour, les petits Chérubins... sont-ils jolis, tous ces jeunes bourgeois !...
À Charlot, qui mange.
Essuie ton menton, petit !
CHARLOT.
Je peux pas... j’ai perdu mon mouchoir,
TOTO, sur le canapé.
Avance à l’ordre, Postillon !... le 8e Housards va débarbouiller la poste aux chevaux...
Il le fait asseoir sur ses genoux.
BIBI, qui a grimpé sur le canapé, derrière Toto.
Dites donc, Monsieur, c’est-y un costume turc que vous avez ?
TOTO.
Turc ?... jamais !... c’est un costume indien.
Il prend aussi Bibi sur ses genoux.
CHARLOT.
Et ces moustaches-là, c’est-y à vous, Monsieur ?
ΤΟΤΟ.
C’est au gouvernement.
BIBI.
Ah !
CHARLOT, tenant un côté des moustaches.
Je veux en avoir des comme ça !
ΤΟΤΟ.
Il est ambitieux de bonne heure, cet enfant...
BIBI, tenant l’autre moustache.
Je voudrais avoir celle-là, moi, na !
Ils tirent les moustaches, chacun de son côté.
TOTO, se récriant.
Ah ! mais ! ah ! mais ! ah ! mais !...
Il éternue.
Atchi !...
CHARLOT, tout étonné.
Ça tient donc, Monsieur ?...
TOTO.
Eh ! certainement que ça tient !... nom d’une bombe !
BIBI.
Ah !... nom d’une bombe ?... c’est gentil, ce mot-là.
TOTO.
Il va l’implanter dans sa famille.
À Bibi.
Comment t’appelles-tu, toi ?...
BIBI.
Bibi Sénéchal.
TOTO, à Charlot.
Et toi ?...
CHARLOT.
Charlot Desjardins.
TOTO.
À propos, enfants, on se querellait, on se disputait en entrant ici... quel est le motif de l’affaire ?...
CHARLOT.
C’est Bibi qui veut me prendre mon costume.
TOTO.
Ah ! bah !
BIBI.
Oui... et il ne veut pas me le donner... est-il méchant !
TOTO, sévèrement.
Mais, Bibi... M. Bibi... vous ne connaissez donc, ni les lois de votre patrie, ni celles de l’honneur ?...
BIBI.
Je veux qu’il me donne son costume, moi... na !
TOTO.
Mais la justice et la décence s’y opposent !... tu serais trop habillé, et il ne le serait plus assez... Ah ! si vous changiez, je ne dis pas...
CHARLOT, sautant å terre.
Eh bien ! oui, changeons !...
BIBI, de même.
Changeons, ça y est !
Ils passent derrière le canapé.
TOTO.
Bravo !... Attendez une minute, je vais procéder à la métamorphose...
À lui même.
J’habille des marmots, je deviens bonne d’enfants... Dieu ! si feu mon colonel me voyait !...
Du haut des cieux, ta demeure dernière,
Mon colonel, tu serais peu content !...
Il passe aussi derrière le canapé et leur aide à changer de veste et de coiffure.
Scène XII
TOTO, TOUS LES ENFANTS, CLÉMENCE
CLÉMENCE, un plateau à la main et allant vers un groupe d’enfants, à droite.
Mes petits enfants, j’ai voulu vous servir moi-même... Tenez...
TOUS LES ENFANS, l’entourant.
Ah !... ah !... ah !...
CLÉMENCE.
Un à chacun !... prenez garde de vous faire mal... Là, maintenant à ceux-ci...
Elle s’approche du groupe formé par Charlot, Bibi, quelques autres et Toto.
TOTO, vivement.
Ah ! nom d’un Ah-del-Kader ! qu’ai-je vu ?
CLÉMENCE, avec joie.
M. Toto...
TOTO.
Mlle Clémence !...
CLÉMENCE.
Vous, au milieu de ces petits enfants !...
TOTO, montrant le plateau.
Vous, au milieu de ces petits gâteaux !
CLÉMENCE.
Ah ! je suis bien heureuse de vous revoir !...
TOTO.
Et moi donc, Seigneur, et moi donc !... la joie, le bonheur, l’émotion !... ça me suffoque, ça m’étouffe... j’ai besoin de prendre quelque chose... Tenez bien votre plateau...
Il l’embrasse.
CLÉMENCE, effrayée.
Mais, Monsieur, ce que vous faites là est très mal !...
TOTO.
Oh ! non, c’est très bon, très bon, très bon, je vous le jure !...
CHARLOT, s’approchant.
Ah ! mais, j’en ai pas eu, moi, Clémence.
BIBI.
Ni moi non plus !
PLUSIEURS AUTRES.
Ni moi non plus !
TOTO, prenant des gâteaux, qu’il leur distribue.
Tenez, mes petits agneaux... distribution gratuite et générale... le magasin des vivres est au pillage !
CHARLOT.
Nous allons faire la dinette !...
TOTO.
Oui, faisons-la tous, la dinette !...
Il embrasse Clémence.
Tenez bien votre plateau !
CLÉMENCE.
Mais, Monsieur !...
TOTO.
Je prends ma part de la dinette.
CLÉMENCE.
Mais laissez-moi donc vous parler !
TOTO.
Je vous écoute respectueusement.
CLÉMENCE.
D’abord, je vous croyais parti pour toujours ?
TOTO.
Pour toujours ?... jamais !
CLÉMENCE.
Et j’avais bien du chagrin, allez !...
TOTO.
Vous aviez du chagrin ?... du chagrin, à cause de moi ?...
S’attendrissant.
J’ai pu vous affliger, faire couler des larmes de ces deux beaux yeux !... Ah ! Clémence ! ah ! Clémence ! ce que vous me dites là... ah ! je n’y résiste plus...
Voulant l’embrasser.
Tenez bien votre...
CLÉMENCE.
Encore !
TOTO.
Toujours !
CLÉMENCE, donnant le plateau à un domestique.
Mais c’est affreux !... abuser ainsi de ma position... ne pas m’écouter, quand j’ai tant de choses à vous dire !... Sachez donc, Monsieur, que je me marie !
TOTO, chancelant.
Vous vous mariez !... ah ! Dieu ! ça me donne un coup !...
Avec force.
Mais je m’y oppose !... je casserai le mariage !...
CLÉMENCE.
Et par quel moyen ?
TOTO.
Par quel moyen ?... ça m’est bien égal, pourvu que je casse... Ah ! mais on ne me connait pas dans la fureur de casserai le mariage...
je casserai le futur... je casserai les meubles !
CLÉMENCE.
Mais les bans sont publiés !
TOTO.
Je casserai les bans !
CLÉMENCE.
Mais c’est demain qu’on signe le contrat !
TOTO.
Demain ?... alors, je casse tout cette nuit...
CLÉMENCE.
Mais comment ?... que voulez-vous faire ?...
TOTO.
Est-ce que je sais ?... nous nous consulterons.
CLÉMENCE.
Impossible... je retourne ce soir même à ma pension, et je n’en sortirai définitivement que dans quelques jours... pour la signature du contrat !...
TOTO.
Ah ! diable !... alors, je me consulterai seul.
CLÉMENCE.
Maman doit s’étonner de ne pas me voir... je retourne au salon...
En s’éloignant.
Cherchez un moyen, Monsieur... mais surtout, pas de bruit, pas de scandale !...
Elle sort au fond.
Scène XIII
TOTO, BIBI, LES ENFANTS
TOTO, à Clémence.
Du scandale ?... jamais de la vie !
Revenant.
Tiens... je n’y songeais pas !... et c’est cette naïve enfant qui me donne une idée !... Du scandale !... c’est juste ce qu’il me faut !...
JOSEPH, un plateau à la main.
Monsieur n’a besoin de rien ?
TOTO.
Non !... Si !... un verre de punch... ça entr’ouvre les idées...
JOSEPH.
Voilà, Monsieur...
Toto boit. Joseph, le regardant et poussant une exclamation.
Ah !
TOTO, de même.
Oh !
JOSEPH.
M. Toto !
TOTO.
Joseph !... l’ancien domestique de ma famille vénérée !... Tu fais donc partie de ce local ?
JOSEPH.
C’est moi qui mène la maison, depuis six mois.
TOTO.
Tu mènes la maison ?... comme intendant ?
JOSEPH.
Non, comme cocher.
Il se débarrasse de son plateau.
TOTO, vivement.
Joseph... en changeant de condition, avez vous changé de sentiments à notre égard ?...
JOSEPH, étonné.
Non, Monsieur.
TOTO.
Il y avait, chez mon père, trois êtres que tu aimais du fond du cœur... tes deux chevaux et moi... les chéris-tu toujours ?
JOSEPH.
Toujours, Monsieur.
TOTO.
Alors, je peux compter sur toi pour ce soir ?
JOSEPH.
Pour ce soir ?... impossible !... Madame vient de me dire de faire atteler... à onze heures, je reconduis notre jeune demoiselle à la pension.
TOTO, avec inspiration.
À la pension !... toi !... bravo ! c’est mon affaire... je tiens une idée !... une idée fulminante !... je tiens mon scandale !
JOSEPH.
Comment ?...
TOTO, baissant la voix.
Joseph !... est-tu capable d’une belle action pour moi ?...
JOSEPH, hésitant.
Mais, dame... Monsieur...
TOTO.
Ça ne te tente pas ?... les belles actions, ce n’est pas dans les moyens ?... Alors, dis-moi... es-tu capable d’une bonne petite infamie ? d’une grosse scélératesse ?...
JOSEPH, d’un ton forme.
Oui, Monsieur !
TOTO,
Bravo !... À onze heures, tu montes sur ton siège, tu conduis la jeune demoiselle jusqu’au bout de la rue, où je t’attends... là, tu t’arrêtes un instant... j’ouvre la portière, je grimpe à l’intérieur...
JOSEPH.
Ah ! bah !...
TOTO.
Alors, tu fouettes tes chevaux, et nous filons au triple galop...
JOSEPH.
Oui, Monsieur.
TOTO.
Si la jeune fille appelle, tu as soin de ne pas entendre...
JOSEPH.
Oui, Monsieur.
TOTO.
Si je te crie : arrête ! pour la calmer un peu... tu te moques de moi...
JOSEPH.
Oui, Monsieur.
TOTO.
Et tu marches toujours tout droit... grande route d’Italie... d’où nous reviendrons... jeudi en huit.
JOSEPH.
Oui, Monsieur.
TOTO, à lui-même.
Après ça, scandale des mieux conditionnés... La jeune fille est compromise... on me l’offre avec regret... je l’accepte avec empressement... je l’épouse, je monte ma maison... dont tu fais nécessairement partie...
JOSEPH.
Oui, Monsieur.
TOTO.
Et, une fois à mon service, tu me pilleras, tu me voleras, tu me dévaliseras à ton aise !...
JOSEPH.
Oui, Monsieur !...
Se reprenant.
C’est-à-dire, non, Monsieur,
TOTO.
Si, si !... tu mangeras mon avoine, et tu mettras mes chevaux au Mont-de-Piété...
À lui-même.
Un mot à M. Desjardins...
Écrivant sur un carnet.
« Monsieur et futur beau-père... je prends la liberté d’enlever votre fille... pour le bon motif... Je vais lui faire parcourir un morceau de l’Italie... Ne m’en veuillez pas trop... les voyages forment la jeunesse... »
Pliant le billet.
Si ça ne l’attendrit pas, il sera difficile !... Dans une demi-heure... ce mot à M. Desjardins... Suis-moi, Joseph !
Il sort.
CHAUVINET, dans le deuxième salon.
Les enfants !... on demande les enfants !...
À Toto.
Pardon, Monsieur... Pourriez-vous me dire...
TOTO.
Bonsoir !...
Il s’éloigne avec Joseph.
CHAUVINET.
Merci bien, Monsieur... Il est très poli, ce militaire.
Scène XIV
CHAUVINET, BIBI, CHARLOT, TOUS LES ENFANTS
CHAUVINET, entrant.
Ah !... les voilà, ces marmots !... Mes petits amis...
BIBI, près du premier guéridon, et sans être vu de Chauvinet.
Tiens ! c’est le grand beta !
CHAUVINET.
Qu’est-ce qu’il dit ?...
Aux autres.
Mes petits amis, on vous attend au salon pour régler une grande polka.
TOUS.
Ah ! la polka ! la polka !
Ils sortent en courant. Bibi va pour les suivre.
CHAUVINET.
Que vois-je... un postillon !... c’est le costume du petit Desjardins !... c’est mon prochain beau-frère...
Il le retient.
Jeune homme !... petit Lonjumeau !...
BIBI.
De quoi ?...
CHAUVINET.
J’ai quelques mots à vous dire...
À part.
La vérité sort toujours de la bouche des enfants... tâchons de connaître les antécédents de ma future, relativement au sieur Toto.
BIBI, résistant.
Qu’est-ce que vous voulez ?... J’aime mieux m’en aller, j’ai faim.
CHAUVINET, voyant entrer un domestique.
Attends, mon petit ami, voici un plateau qu’on apporte...
LE DOMESTIQUE.
Monsieur veut quelque chose ?
CHAUVINET.
Oui...
À Bibi.
Tiens... un gâteau... deux gâteaux... trois gâteaux...
À part.
Soyons généreux, pour le mettre dans mes intérêts.
BIBI, mangeant.
J’ai soif aussi.
CHAUVINET, à part.
Il a soif !... n’épargnons rien pour le mettre dans mes intérêts.
Au domestique.
Laissez-là tout le plateau... j’attends plusieurs amis...
LE DOMESTIQUE.
C’est bien, Monsieur.
Il dépose le plateau sur le premier guéridon, et sort.
CHAUVINET, fait asseoir Bibi sur une grande chaise, puis, prenant un tabouret pour lui-même, il se met à côté de Bibi et lui offre un verre de punch.
Tiens, bois ça, mon ami... ça doit être du sirop d’orange.
BIBI, buvant.
Il est joliment fort, le sirop d’orange !...
CHAUVINET.
Il est fort ?... il n’en est que meilleur.
BIBI.
Et puis, il est tout chaud !...
CHAUVINET.
La température est si élevée dans ce salon !
BIBI.
J’en veux encore, du sirop d’orange.
CHAUVINET.
Voilà... Ah ! ça, maintenant, regarde-moi en face...
BIBI, lui tournant le dos.
Non, vous êtes trop laid.
CHAUVINET.
Plaît-il ?
À part.
Il ne s’y connait pas... c’est si jeune...
Haut.
Je vais être ton beau-frère.
BIBI, se retournant peu à peu vers lui.
Vous ?
CHAUVINET.
Mais oui... Tu m’aimeras beaucoup, n’est-ce pas ?
BIBI.
J’aime mieux le sirop d’orange.
Il boit.
CHAUVINET.
Je serai ton beau-frère Chauvinet.
BIBI, le regardant en face.
Tiens !... c’est vous qu’êtes monsieur Chauvinet ?
CHAUVINET.
Moi-même... depuis longtemps.
BIBI.
Alors, papa vous connaît.
CHAUVINET.
Mais oui.
BIBI.
Et maman aussi... et ma sœur aussi.
CHAUVINET.
Mais oui !
BIBI, le regardant attentivement.
Alors, Monsieur, qui donc que c’est qu’a inventé la poudre ?...
CHAUVINET, étonné d’abord, puis réfléchissant.
La poudre ?... Attends donc... je crois bien que c’est un allemand appelé Gutenberg... Non, je me trompe !... c’est celui qui a inventé l’imprimerie... J’y suis... c’est le nommé Parmentier... Non, je me trompe !... c’est celui qui a inventé les pommes de terre... J’y suis... c’est...
S’interrompant.
Ah ! ça, pourquoi diable me demandes-tu cela ?
BIBI.
Je vous demande qui donc que c’est qu’à inventé la poudre... que ma sœur dit toujours que ce n’est pas vous !
CHAUVINET.
Plaît-il ?... Ta sœur... ta bonne petite saur... dit que ce n’est pas moi !...
À part.
Ah ! diable ! voilà l’opinion flatteuse qu’elle professe sur mon compte !...
BIBI.
Oui... Je reveux de l’orangeade...
CHAUVINET.
Voilà, petit, voilà !...
À part.
Il faut le cribler d’orangeade...
Il le fait boire.
Ah ça ! et papa ?... qu’est-ce qu’il pense de moi ?...
BIBI.
Papa ?... Il dit que vous avez mangé trop de cornichons dans votre enfance... ça fait qu’il vous en reste quelque chose à présent.
CHAUVINET, se levant, furieux.
Ton père a dit ça !... voilà comme on me considère dans cette famille !... Ah ! mais ceci de mande réflexion !... Moi, qui pouvais m’allier aux Sénéchal !... ce brave homme me parlait encore de sa fille, en jouant à pigeon vole !... et je faisais la sourde oreille !...
BIBI.
Je veux m’en aller, Monsieur.
CHAUVINET.
Eh ! va-t’en, tant que tu voudras !...
Il le fait descendre et éloigne le siège.
BIBI.
Je vais rejoindre les autres...
Il s’éloigne en trébuchant et en chantant à pleine voix.
Messieurs les étudiants
S’en vont à la chaumière...
CHAUVINET, étonné.
Qu’est-ce qu’il chante là ?...
BIBI, se retournant.
Adieu, grand bêta !...
CHAUVINET, le suivant des yeux.
Mais il marche mal !... Qu’est-ce qu’il a... qu’est-ce qu’il a donc ?
BIBI.
Elle était bien bonde, l’orangeade... Nom d’une bombe !...
Chantant.
Messieurs les étudiants...
Il s’éloigne en trébuchant, heurte le canapé, puis, va cogner le mur, et finit par sortir à gauche.
CHAUVINET, seul.
L’orangeade ?... mais ce n’est pas ça qui a pu le mettre dans un pareil état !...
Buvant le contenu d’un verre.
Dieu... c’est du punch !...
Il en boit un autre.
Et ça aussi !
Il en boit un troisième.
Et ça aussi !... Toute l’orangeade n’était que du punch !... j’ai grisé le postillon !... Il va manquer aux dames de la société !... Eh bien ! tant mieux ! j’en suis bien aise... Ah ! M. Desjardins, ça vous apprendra...
Scène XV
CHAUVINET, SÉNÉCHAL, DESJARDINS, entrant, chacun d’un coté, dans la plus vive agitation
DESJARDINS, tenant un papier à la main.
Ah ! Dieu !
SÉNÉCHAL.
Ah ! ciel !
DESJARDINS.
Ah ! grand Dieu !...
SÉNÉCHAL.
Ah ! grand ciel !...
Ils se trouvent face à face
DESJARDINS, à Sénéchal.
Quoi ?...
SÉNÉCHAL, à Desjardins.
Qu’est-ce ?
CHAUVINET, entr’eux.
Oui, quoi ? qu’est-ce ?... qu’avez-vous ?...
DESJARDINS, exaspéré.
Ce que j’ai !...
SÉNÉCHAL, de même.
Ce que j’ai !...
DESJARDINS.
Je n’ai plus de fille !...
CHAUVINET.
Plus de fille ?...
SÉNÉCHAL.
Je n’ai plus de femme !...
CHAUVINET.
Plus de femme ?
SÉNÉCHAL.
Ou plutôt, si, j’en ai trop, de femme !
CHAUVINET.
Comment ! est-ce qu’il en a deux, à présent ?
DESJARDINS.
Ma fille !...
SÉNÉCHAL, lui serrant le bras.
La malheureuse est enfermée !... enfermée avec quelqu’un, dans un boudoir !
CHAUVINET, à Desjardins.
Votre fille est enfermée dans un boudoir ?
DESJARDINS, le faisant tourner.
Enlevée !... elle vient d’être enlevée !...
CHAUVINET, à Sénéchal.
Mme Sénéchal est enlevée ?...
SÉNÉCHAL, le tirant à lui.
La porte était fermée à double tour !... on a refusé de m’ouvrir !...
CHAUVINET, à Desjardins.
Mlle Clémence a refusé d’ouvrir ?...
DESJARDINS.
Et c’est avec l’aide de mon cocher, que le scélérat l’entraîne sur la route d’Italie !...
CHAUVINET, à Sénéchal.
Le cocher de Monsieur emmène Mme Sénéchal, dans un boudoir, sur la route d’Italie ?...
SÉNÉCHAL, furieux.
Et voilà ce que c’est que votre bal d’enfants, Monsieur !
DESJARDINS, de même.
Et voilà ce que c’est que mon bal d’enfants, Monsieur !
CHAUVINET.
Et voilà ce que c’est que... Allons, allons, ça ne marche pas trop mal.
SÉNÉCHAL, criant.
Un commissaire !... non !... un serrurier !...
DESJARDINS.
Je cours à la police municipale !...
SÉNÉCHAL.
Il faut qu’on me rende ma femme !...
DESJARDINS.
Il faut qu’on me rende ma fille !...
Apercevant tout-à-coup Clémence, qui paraît au fond.
Ciel ! la voilà !...
CHAUVINET.
La voilà !
SÉNÉCHAL.
La voilà !...
Scène XVI
CHAUVINET, SÉNÉCHAL, DESJARDINS, CLÉMENCE
CLÉMENCE, un peu interdite.
Vous êtes fâché de me voir ici, mon père ?...
DESJARDINS, enchanté.
Fâché !... de te voir ici !...
CLÉMENCE.
Ne me grondez pas... j’ai obtenu de maman qu’elle me laissât passer la nuit au bal...
DESJARDINS.
Ah ! ça... et Joseph ?... je croyais qu’il était parti ?...
CLÉMENCE.
Il ne reconduit que ma petite sœur...
SÉNÉCHAL, avec joie.
Ah !
DESJARDINS, de même.
Ah !
SÉNÉCHAL.
Je comprends !...
DESJARDINS.
Je devine... c’est heureux...
Riant.
Ah ! ah ! ah !
SÉNÉCHAL.
Très heureux ! très heureux !...
Riant aux éclats.
Ah ! ah ! ah !...
S’arrêtant tout-à-coup.
je ris !...
À Chauvinet.
Vous ne m’avertissez pas que je ris, Monsieur !... Et ma femme !... j’oublie ma femme, qui est toujours dans ce maudit boudoir !...
CLÉMENCE, se dirigeant vers la petite porte, au premier plan.
Dans le boudoir ?
SÉNÉCHAL, s’élançant.
Oui, là, au bout du corridor !...
Reculant.
Dieu ! la porte s’ouvre !... elle en sort, suivie de... de...
Avec joie.
D’une jeune personne !... C’était une jeune personne !...
DESJARDINS.
Ah ! bah !
CHAUVINET.
Tiens !... vraiment ?
Scène XVII
CHAUVINET, SÉNÉCHAL, DESJARDINS, CLÉMENCE, ERNESTINE, EDGAR, habillé en jeune fille
ERNESTINE, accourant.
Ah ! mon ami ! vois donc comme cette toilette va divinement à...
SÉNÉCHAL, gaiement.
À Mademoiselle !...
EDGAR, étonné.
Mademoiselle ?
SÉNÉCHAL.
Oui, c’est vrai... Mais pardonne-moi... pardonne-moi d’indignes soupçons, chère amie !...
ERNESTINE.
Que voulez-vous dire ?...
EDGAR.
Des soupçons ?...
SÉNÉCHAL.
Te voyant enfermée, je m’étais figuré que c’était avec un jeune homme...
DESJARDINS.
Eh bien ! mais...
SÉNÉCHAL.
Et dans mon affreuse jalousie, je roulais déjà les projets les plus sanguinaires !...
ERNESTINE, à part.
Ah ! mon Dieu !
EDGAR, se posant en homme.
En ce cas, Monsieur, je suis à vos ordres !
ERNESTINE, bas, avec effroi.
Chut donc, Monsieur !
SÉNÉCHAL.
Ah ! charmante, divine, adorable !... moquez-vous de moi, Mademoiselle, moquez-vous de moi bien fort... je le mérite, Mademoiselle...
EDGAR.
Encore mademoiselle ?...
ERNESTINE, bas.
Au nom du ciel ! taisez-vous !... mon mari est si jaloux !
EDGAR, bas.
Eh bien ! oui, madame, je me tairai... je me tairai, pour vous !...
SÉNÉCHAL, à Edgar.
Vous viendrez souvent nous voir, je l’espère.
EDGAR, lui donnant cavalièrement la main.
Comment donc, Monsieur, avec plaisir... vous êtes bien bon, ma parole d’honneur...
DESJARDINS, lui tirant la robe.
Hum ! hum !
EDGAR.
Hein ?...
Desjardins lui rappelle par signes, en baissant les yeux et en faisant une révérence, qu’il doit passer pour une jeune fille.
Ah ! oui...
Minaudant avec affectation.
Je vous remercie, Monsieur.
DESJARDINS, à part.
Je me fais son complice, pour éviter le scandale !... Oh les bals d’enfants !...
Haut.
Ah ! ça ! Qu’est donc devenu ce M. Toto, qui m’écrit qu’il enlève ma fille ?...
Scène XVIII
CHAUVINET, SÉNÉCHAL, DESJARDINS, CLÉMENCE, ERNESTINE, EDGAR, TOTO, portant la petite Nini dans ses bras et s’arrêtant au fond
TOTO, d’un ton piteux.
Le voilà !...
TOUS.
Ah !...
TOTO, s’approchant, portant toujours Nini dans ses bras, et se mettant à genoux devant Desjardins.
Air : Pitié, Madame (Richelieu.)
Pitié, bon père,
Pour un amant,
Que désespère
En ce moment
L’erreur... légère
Qu’il vient de faire !
Pitié, pour un amant !
Du ton le plus simple.
Je me suis trompé, voilà.
DESJARDINS, reprenant sa fille.
Comment ! Nini ?...
TOTO.
C’est ce maudit Joseph qui s’est mal expliqué... Quand il m’a dit : Je reconduis notre jeune demoiselle... j’ai supposé qu’il s’agissait de Mlle Clémence, et je voulais profiter de son retour à la pension...
Mouvement de Desjardins.
pour la conduire un peu en Italie.
TOUS.
Clémence !... Mlle Clémence !
CLÉMENCE.
C’est affreux, Monsieur !...
TOTO.
J’attendais, au coin de la rue... Je m’élance dans la voiture... mais tout à coup, je reconnais mon erreur !... L’enfant crie... la bonne crie... je crie... Joseph allait toujours... il suivait mon ordre, le scélérat... Je casse une glace...
Ça vous coûtera vingt francs, Monsieur...
je tire Joseph par son habit, je lui dis : arrête !... il marchait plus fort... Il suivait toujours mon ordre, le scélérat !... Je casse encore une glace... (quarante francs...) Enfin, j’ai été forcé de le lancer en bas de son siège, et de prendre sa place, pour arrêter messieurs vos chevaux et ramener Mademoiselle votre fille à ses parents éplorés... Je l’ai gravement compromise, Monsieur... Je le sais parfaitement, Monsieur... et pour réparer ma faute, je lui offrirais ma main, Monsieur... si je ne la trouvais bien disproportionnée pour la sienne !
CHAUVINET.
Je le crois bien !
DESJARDINS.
Mais vous aviez donc l’intention d’enlever Clémence ?...
TOTO.
La plus ferme intention... vu que nous nous aimons l’un et l’autre...
DESJARDINS.
Vous vous aimez !...
TOTO.
L’un et l’autre, je vous l’ai dit.
DESJARDINS.
Fort bien... Mais M. Chauvinet ?...
TOTO.
Nous ne l’aimons, ni l’un ni l’autre.
DESJARDINS.
C’est possible !... mais ma fille lui est promise...
CHAUVINET.
Permettez, permettez... On a enlevé la petite, mais on a compromis la grande... Je demande à réfléchir.
DESJARDINS.
Réfléchir !... que veut dire ce mot, Monsieur ?
CHAUVINET, d’un air d’intelligence.
D’ailleurs... j’ai causé avec le petit postillon.
DESJARDINS.
Avec mon fils ?... Eh bien ?... après ?...
CHAUVINET, confidentiellement.
J’ai mangé, dans mon enfance, moins de cornichons qu’on ne croit, mon cher Monsieur.
DESJARDINS, étonné.
Des cornichons ?... qu’est-ce que ça signifie ?...
CHAUVINET.
Quant à Mademoiselle, je lui dirai que la poudre fut inventée au XIVe siècle par un nommé Parmentier...
Vivement.
Non, je me trompe !... Enfin, ce n’est pas par moi.
CLÉMENCE.
Je ne vous comprends pas...
CHAUVINET.
Je m’entends, je m’entends fort bien... Et la preuve, c’est que si vous le voulez, M. Sénéchal, nous reparlerons de nos anciens projets d’hyménée, dont nous causions en jouant à pigeon vole.
DESJARDINS, furieux.
Oui ?... Eh bien ! moi, je... je...
Éclatant.
je donne ma fille à Toto !... Il est peut-être un peu plus mauvais sujet...
TOTO, à demi-voix.
Mais... il est beaucoup moins bête.
SÉNÉCHAL, à Chauvinet
J’accepte !... Seulement, au lien de 120 000 fr. de dot, ce n’es plus que 117 000 que j’aurai à vous donner,
CHAUVINET.
Comment ! 117 ?... Ah ! c’est juste... il m’a gagné trois mille francs à pigeon vole.
TOUS.
Trois mille francs !... à pigeon vole !...
Scène XIX
CHAUVINET, SÉNÉCHAL, DESJARDINS, CLÉMENCE, ERNESTINE, EDGAR, TOTO, LES ENFANTS
DESJARDINS.
Silence !... pas un mot de tous ces scandales devant ces innocents enfants !...
CHŒUR.
Air : de M. Hormille.
Quel bal charmant !
Pour { nous la fête
{ eux
Est complète.
Quel bal charmant !
Qu’il est amusant !
BIBI, très pale et très abattu.
Je veux, m’en aller...
Il trébuche.
Je veux m’en aller, moi !... na !
DESJARDINS.
Mais qu’est-ce qu’il a donc, cet enfant ?
SÉNÉCHAL
Bibi !... mon fils !...
CHAUVINET, avec explosion.
Plaît-il ?... son fils !...
BIBI.
C’est le grand bêta qui m’a fait boire du punch...
ERNESTINE.
Comment ! Monsieur, vous avez fait boire du punch à mon fils ?
CHAUVINET, à Sénéchal, et dans le plus grand trouble.
Comment ! Monsieur, c’est votre fils qui était en postillon de Lonjumeau ?...
TOTO.
Ne faites pas attention... il a changé de costume avec le petit Desjardins.
CHARLOT.
Avec moi.
CHAUVINET, à part.
Ah ! diable !... mais alors, c’est donc la famille des Sénéchaux... non !... des Sénéchal, qui m’arrange si gentiment !...
Haut et résolument.
Un instant, M. Sénéchal !...
SÉNÉCHAL, l’interrompait.
Demain, nous signerons le contrat... et vous saurez plus tard tout le cas que je fais de vous.
CHAUVINET.
Mais je le sais déjà, Monsieur, et je vous dirai...
SÉNÉCHAL, bas.
Quel poltron que ce Desjardins !... À sa place... si vous aviez refusé ma fille... je vous aurais tué raide, mon ami.
CHAUVINET, effrayé.
Ah ! vraiment ?...
SÉNÉCHAL.
Qu’est-ce que vous aviez à me dire ?
CHAUVINET.
Moi ?... rien du tout.
NINI.
Papa, toute ma société demande à danser une dernière polka.
TOUS.
En place pour la polka !
EDGAR, bas à Toto.
Lieutenant !... le mari ne soupçonne rien !...
TOTO, sévèrement.
Hein... mauvais sujet !... Respect aux femmes mariées... Je me marie !
Polka, dansée par les enfants.
CHŒUR GÉNÉRAL, après la danse.
Air de M. Hormille.
Quel bal charmant !
Pour { eux la fête
{ nous
Est complète !
Quel bal charmant !
Qu’il est amusant !
TOTO.
Air : Allons, Babet, un peu de complaisance.
Entourez-moi, troupe aimable et riante !...
Au public.
Messieurs, avant que le bal soit fini,
Permettez que je vous présente
Nini... Charlot... Thomassin et Bibi...
Bas.
Salues donc, monsieur Bibi !...
De vous j’attends, et je le dis sans gêne,
Quelques bravos pour ces petits enfants...
Il va pour continuer.
BIBI, bas, l’interrompant.
Va donc, farceur... c’est connu d’puis longtemps...
Au public.
Il vous dit ça... mais ça n’lui f’rait pas d’ peine,
Si vous faisiez aussi la part des grands.
ENSEMBLE.
Faites la part des petits et des grands.
Reprise du chœur.