Inès Mendo (Prosper MÉRIMÉE)

Sous-titre : le triomphe du préjugé

Comédie en trois journées

Éditée dans Le Théâtre de Clara Gazul, comédienne espagnole, 1830.

 

Personnages

 

DON ESTEBAN DE MENDOZA

JUAN MENDO

DON CÉSAR BELMONTE, cavalier portugais

LE CORREGIDOR DE BADAJOZ.

PEDRO, domestique de Don Esteban

UN AUBERGISTE PORTUGAIS

DONA INÈS DE MENDOZA

DONA SERAFINE, duchesse de Montalvan

L’ABBESSE DES URSULINÈS DE BADAJOZ

 

La scène est dans le château de Mendoza en Estramadure, à Elvas et à Badajoz.

 

 

JOURNÉE PREMIÈRE

 

 

Scène première

 

DON ESTEBAN, INÈS

 

Un appartement du château de Mendoza.

DON ESTEBAN.

Hé quoi ! vous ne vous corrigerez jamais ? Me répéterez-vous donc toujours les mots de votre village ?

INÈS.

Que veux-tu ? le vin de la Rioja sent toujours la peau de chèvre.

DON ESTEBAN.

Pouah ! le joli proverbe, dans la bouche de la baronne de Mendoza !

À part.

J’enrage !

INÈS.

Tu ne fais que me tarabuster pour des prunes. On n’a pas un instant de repos avec toi.

DON ESTEBAN, se promenant à grands pas.

Ah !

INÈS.

Est-ce ma faute à moi, si tu es de mauvaise humeur ? Parce que nos voisins nous donnent des tracasseries, c’est moi qui dois en souffrir !

DON ESTEBAN.

Les insolents ! oh ! je m’en vengerai !

INÈS.

Aussi, pourquoi les aller déterrer dans leurs gentilhommières, les inviter ici ? Gueux comme des rats d’église, et vains comme des paons, ils se croiraient déshonorés s’ils nous témoignaient des égards. Et tout cela, à cause de mon pauvre père ! Lui, il a acheté sa noblesse assez cher. Tu dois t’en souvenir, Esteban ?

DON ESTEBAN, lui serrant la main.

Chère Inès, je ne l’oublierai jamais ! mais dis-moi, le plus froid des hommes ne se mettrait-il pas en fureur, à voir ces petits hidalgos, à mille réaux de rente, arrivant les uns après les autres avec la même histoire ? « Mon épouse, madame la comtesse une telle est indisposée. » – « Dona une telle est incommodée... » Et leur insolence méditée pour ton père, et cette affectation de ne jamais t’appeler Dona Inès, de ne jamais t’adresser la parole !... Oh ! j’étais hors de moi !...

INÈS.

Bon ! il fallait en rire !

DON ESTEBAN.

Je ne vois rien de risible là dedans. Et à propos, tu leur donnais de ton côté ample sujet de rire, avec tes naïvetés et tes mots galiciens. Et puis, pourquoi dire que tu avais préparé toi-même les pois chiches ? Est-ce que tu devrais savoir faire la cuisine ?

INÈS.

Dame ! tu disais autrefois que je les accommodais si bien...

DON ESTEBAN.

Ils en riront pendant un mois ! Madame la baronne qui épluche des pois chiches !

INÈS.

Pois chiches ou autres, ils en ont mangé comme gens qui jeûnent souvent chez eux.

DON ESTEBAN.

En outre, malgré mille et mille avertissements, tu n’as jamais manqué de m’appeler mon cœur. Y a-t-il rien de plus ridicule ?

INÈS.

Méchant ! qui croirait qu’autrefois tu me grondais quand je t’appelais monsieur le baron ? Dans la lune de miel, tu m’embrassais toujours quand je t’appelais mon cœur.

DON ESTEBAN, l’embrassant.

Tu ne peux me donner un nom qui me rappelle de plus doux souvenirs. Mais vois-tu, mon Inès, pour le monde, pour ces hidalgos pelés et impertinents, il nous faut prendre nos grands airs.

INÈS.

Allons, j’y ferai mon possible, mon... mon ami. Mais ne fronce plus tes sourcils, embrassons-nous encore une fois, et que la paix soit faite !

DON ESTEBAN.

Ma chère Inésille, pourrai-je jamais te garder rancune ? C’est pour toi, pour toi seule, que j’ai souffert hier. Dieu ! quand j’y pense, ma colère se rallume. Ces bégueules ! qui ne veulent pas venir dîner chez toi.

INÈS.

Moquons-nous de leurs caquets. Leur société est-elle si agréable qu’il faille la regretter ?

Entre un domestique.

LE DOMESTIQUE.

Monseigneur, voici deux lettres.

Il sort.

DON ESTEBAN.

Quelle est cette écriture ? je ne la connais pas.

Lisant.

« Don Gil Lampurdo, y Mello de la Porra, etc. baise les mains à Don Esteban Sandoval, baron de Mendoza, et l’invite à honorer de sa présence la fête qu’il donne dans son château de la Porra, mardi prochain, aux dames et aux seigneurs des environs. » Et il ne t’invite pas ! corps du Christ !

Il déchire la lettre.

Il me paiera cher son insolence ! vive Dieu ! j’en ferai un exemple qui apprendra la politesse à tous les Porras à venir !

INÈS.

La, la ! mon cher Esteban, tu me fais tant de peine, quand tu te mets en colère. Calme-toi, je t’en prie, pour l’amour de moi.

DON ESTEBAN.

Tu ne sais pas ce que souffre un gentilhomme outragé.

INÈS.

Mon cœur !

DON ESTEBAN.

Don Gil ou Don diable, je te ferai bien voir !...

INÈS.

Il est trop au-dessous de toi... Mais tiens, lis donc l’autre lettre. C’est amusant de lire des lettres.

DON ESTEBAN.

Je veux que le misérable !

Lisant l’adresse de la lettre.

Ha !

INÈS.

D’où te vient cette surprise ?

DON ESTEBAN.

Cette lettre est de la duchesse de Montalvan.

INÈS.

Et tu connais si bien son écriture, que rien qu’en lisant l’adresse tu devines de qui est le billet ?

DON ESTEBAN.

Oh ! c’est que... oui je l’ai beaucoup connue... autrefois.

INÈS.

Une ancienne passion ?

DON ESTEBAN.

Hé ! quelque chose de cela, avant que je visse... Mais tiens, lis toi-même.

Il lui donne la lettre.

INÈS.

Voilà de la générosité.

Elle ouvre la lettre et la lui rend sans la lire.

Et voici comment j’y réponds.

DON ESTEBAN, lisant haut.

« Cher baron... »

INÈS, riant.

« Cher baron... » lis tout-bas.

DON ESTEBAN, haut.

« Cher baron, je quitte Madrid, ou plutôt je m’enfuis. Je vais passer en Portugal, pour des raisons que je vous détaillerai, si vous ne craignez pas de vous compromettre en recevant pour quelques heures seulement une proscrite, dans votre château de l’Estramadure. – Vous avez donc fait la folie de vous marier, et si le bruit public ?... »

Il lit bas.

INÈS.

Pour le coup, lisez haut, cher baron.

DON ESTEBAN, feignant de lire.

Brr, brr.... « et si le bruit public est vrai, vous vous êtes marié. Adieu. Sérafine. »

INÈS.

Oh ! tu n’es pas encore assez fin, Esteban. « Vous avez fait la folie de vous marier, et si le bruit public est vrai, vous vous êtes marié. » Est-ce là du style de duchesse ? Ma foi, il me semble que moi, j’écrirais une lettre mieux que cela.

DON ESTEBAN, mettant la lettre dans sa poche.

C’est une folle. Mais, Inès, elle arrive aujourd’hui, je le suppose. Peut-être tout à l’heure. Allez vous parer. Je ne serais pas fâché que vous parussiez dans tout votre éclat devant elle. C’est une vieille coquette, et il faut la faire enrager. Tenez, vous êtes un peu pâle aujourd’hui ; un peu de rouge ne vous irait pas mal.

INÈS.

Pourquoi veux-tu me faire mentir ? C’est te tromper toi-même. Si tu m’aimes, pâle comme je suis, qu’ai-je besoin de chercher à plaire à d’autres ?

DON ESTEBAN.

Chère Inès ! – Mais je serais bien aise qu’elle admirât le choix que j’ai fait.

INÈS.

Eh bien ! je mettrai du rouge pour te plaire, mon cœur. Mais s’il faut me parer... je suis si gauche avec ces affiquets !..

DON ESTEBAN, avec impatience.

N’allez pas dire affiquets, devant la duchesse ! Mon ange, parez-vous, je vous en prie. Vous ne pourriez avoir l’air gauche, faite comme vous êtes.

Il l’embrasse.

INÈS.

Le moyen dé résister à vos compliments ? Adieu, je vais dire à ma camériste de me faire bien belle.

Elle sort.

DON ESTEBAN, seul.

La duchesse de Montalvan vient ici... Que je suis bon d’être ému !... Oui, je l’ai aimée... comme tant d’autres... ni plus ni moins. Que m’importe après tout ce qu’elle dira de mon mariage ? J’aime Inès... ses critiques pourront-elles m’empêcher de l’aimer ? Je ne serai pas même sensible à ses critiques, j’en suis sûr... Cette femme est maligne et moqueuse, je m’en suis aperçu déjà... Ce qui me fâche, c’est qu’elle choisisse justement ce moment-ci pour venir... Inès n’est pas bien aujourd’hui... elle est pâle... un peu jaune... elle a les yeux battus... diable ! et l’autre qui va s’en moquer !... Pauvre Inès !... Oui, qu’elle me persiffle, si elle l’ose, sur mon mariage !... Ah ! vive Dieu ! elle verra comme je recevrai ses plaisanteries... – Elle était bien belle autrefois... cette duchesse. Autrefois, c’est-à-dire il y a cinq ans. C’est elle qui me mit en réputation parmi le beau sexe... c’est pour elle que j’eus mon premier duel... je fus blessé à ce bras, il m’en souvient, et j’allais chez elle tout fier, et tout saignant, me faire panser. Elle attacha les bandes elle-même... et ne voulut souffrir que personne autre prît soin de moi. En posant l’appareil, elle baisa la plaie à plusieurs reprises... elle suça le sang... J’étais jeune alors, et ces baisers me faisaient l’effet d’un fer chaud... Jamais je ne me rappellerai ce moment, sans ce serrement de cœur !...Ah ! Don Juan Ramirez, que je vous eus d’obligations pour le coup d’épée que vous me donnâtes !

Entre Mendo, manchot.

MENDO.

Dieu vous garde, Don Esteban. Je suis charmé de vous trouver si gai aujourd’hui.

DON ESTEBAN.

Appelez-moi mon fils, si vous ne voulez pas me faire de la peine.

MENDO, avec embarras.

Je suis venu... pour vous faire mes adieux. Je pars...

DON ESTEBAN.

Vous partez ? où donc allez-vous ?

MENDO.

En Galice... au Ferrol... chez un de mes parents... un frère, que je n’ai pas vu depuis bien des années.

DON ESTEBAN.

Ah ! voilà un frère qui vous est venu depuis bien peu de temps. D’où vient que vous ne nous en avez jamais parlé ?

MENDO.

Mais... je ne sais...

DON ESTEBAN.

Quelque chose vous déplaît ici, et vous détermine à nous quitter.

MENDO.

Rien, cher Esteban... mais il faut que je parte... il le faut...

DON ESTEBAN.

Mais encore, la raison ?

MENDO.

J’ai des affaires en Galice...

DON ESTEBAN.

Vous êtes l’homme aux secrets. Mais je crois avoir deviné celui-ci. Vous avez été piqué de l’impertinence de nos gentillâtres d’hier... vous voulez quitter un pays où vous êtes exposé à de semblables désagréments. Mais restez, mon père, restez, et vous serez satisfait de la vengeance que je prétends en tirer. Je veux les vexer de toutes les manières. Presque tout le pays m’appartient  ; je les empêcherai de pêcher, de chasser ; je leur ferai des procès. Comme gouverneur d’Avis et commandant militaire de la province, je leur enverrai des soldats en logement, quand nos troupes marcheront vers le Portugal ; enfin...

MENDO.

Et pourquoi vous rendre ainsi malheureux vous-même, pour une pure bagatelle ? Laissez ces gens avec leurs préjugés ; je les excuse, et je leur cède. Je leur abandonne le champ de bataille ; la victoire doit rester au plus grand nombre.

DON ESTEBAN.

Non, de par le diable ! vous ne nous quitterez pas, maintenant que je sais vos véritables motifs. Jamais on ne dira qu’un Mendoza se soit soumis aux caprices de qui que ce soit. Vous resterez avec moi, dussé-je voir toute l’Estramadure en armes marcher contre ce château pour vous en chasser.

MENDO.

Écoutez-moi, Don Esteban ; vous avez vu combien j’étais d’abord éloigné de ce mariage. Quand bien même je n’aurais pas été souillé de l’horrible tache dont la bonté du roi notre seigneur a daigné me laver, j’aurais pensé, cependant, qu’en fait de mariage il faut toujours chercher l’égalité des conditions ; non que je sois entiché des préjugés, ou plutôt des opinions communes sur la noblesse et la roture ; mais, quand le sort nous a fait naître dans une classe d’hommes, c’est dans cette classe que se trouvent nos liaisons, nos amitiés. Elles se fondent sur mêmes goûts, mêmes mœurs, mêmes idées. Il faut rester là où le bon Dieu nous a placés. Mais, dans notre famille, le ciel en a ordonné autrement. Vous vous êtes allié à un pauvre homme, dont le nom, malgré les grâces de Sa Majesté, sonne mal encore à l’oreille d’un gentilhomme. Vous auriez trop à souffrir pour le faire respecter. Un homme... un vieillard qui, par lui-même, n’est pas bien amusant, qui ne vous est utile à rien, qui n’a rien à faire ici, ne doit pas, de gaîté de cœur, condamner à des avanies perpétuelles un galant homme, à qui il est déjà tellement redevable...

DON ESTEBAN.

Et moi ?...

MENDO.

Non, Esteban ; laissez-moi partir... Quant à ma fille, en vous épousant elle a perdu mon nom. Elle est devenue une Mendoza, et ce nom peut effacer toutes les taches héréditaires. D’ailleurs, si vous éprouviez quelques insultes à cause d’elle, vous êtes son mari, et vous avez pris l’engagement de la défendre et de la venger, du moment que vous l’avez menée à l’autel. – Mais moi, tant que je resterai auprès de vous, je serai comme un lépreux qui rendra votre maison déserte, et qui vous privera de tous les plaisirs, de toutes les prérogatives auxquelles votre rang dans le monde vous a donné des droits.

DON ESTEBAN.

Tout ce beau discours est inutile, Mendo ; vous resterez. Croyez-vous que votre compagnie ne me soit pas mille fois plus agréable que celle de tous les petits hidalgos de l’Estramadure ! Et pour satisfaire leur sot petit orgueil, je me séparerais d’un ami, d’un père ! Qu’ils aillent tous au diable mille fois !

MENDO.

Seigneur, vous me confondez. Je suis tellement habitué à recevoir des grâces des Mendozas, que je ne sais comment les refuser. Mais je crains bien que vous n’ayez lieu de vous repentir un jour d’avoir conservé auprès de vous un paysan ignorant, infirme...

DON ESTEBAN, le serrant dans ses bras.

Ah ! cette infirmité me rappelle tout ce que vous avez fait pour moi, mon père ! Pourrai-je jamais m’acquitter de ma dette ?

MENDO.

Ce que j’ai fait...

DON ESTEBAN.

Nous nous vengerons, soyez-en sûr. – À propos, il nous arrive aujourd’hui une belle dame, la duchesse Sérafine de Montalvan. Elle vient de Madrid. Nous nous endimanchons tous pour la recevoir... C’est une folie de ma part... mais, de grâce, quittez cet habit brun, et prenez-en un plus galant.

MENDO.

Vous avez tort de ne pas me laisser partir.

Il sort.

DON ESTEBAN, seul.

Allons, allons ! j’ai fait une bonne action, j’en aurai plus de force pour résister aux séductions de Sérafine... – Séductions ! vive la modestie !... que l’on se persuade aisément, quand on a fait une pauvre petite conquête, que toutes les femmes ambitionnent l’honneur de vous subjuguer !... – Mais, ne serait-il pas plus convenable que j’allasse au devant de la duchesse ?.. Cependant, cela ferait de la peine à Inès. Après tout ce n’est qu’une attention de politesse due à toute femme... Pourquoi serais-je moins galant pour une duchesse que pour une bourgeoise ? Je cours au devant d’elle ; mais la porte s’ouvre...

UN DOMESTIQUE, entrant.

Monseigneur, une dame dans une voiture à quatre chevaux entre en ce moment dans la cour.

Il sort.

DON ESTEBAN.

Je descends la recevoir. – Que je suis bon d’être ému ! comme s’il n’y avait pas cinq ans que je ne l’ai vue, et cinq ans changent bien une jolie femme.

Il sort. Entre Inès avec du rouge et beaucoup de diamants.

INÈS, seule.

Comme il a couru avec joie au devant d’elle !... et quand il a reçu sa lettre, il a paru enchanté !... il n’a pas voulu me la lire toute entière... – Je n’ose lui montrer que cela m’afflige, car, bien sûr, il ne le fait pas exprès. Il m’aime, et je serais ingrate si j’étais jalouse. Cependant, je ne suis qu’une villageoise bien simple et sans belles manières ; peut-être se dégoûtera-t-il de moi, quand il me comparera à une dame de

Madrid, pleine d’esprit et de grâces. Mais non, Esteban est trop bon pour cesser de m’aimer.

Voyant entrer la duchesse.

Ha !... Dieu ! qu’elle est belle !

Entre Don Esteban donnant la main à la duchesse.

DON ESTEBAN.

Chère Inès, la duchesse Sérafine de Montalvan. – Madame, permettez-moi de vous présenter Dona Inès de Mendoza.

LA DUCHESSE.

Je serai charmée de faire sa connaissance.

INÈS, balbutiant.

Et moi... aussi.

LA DUCHESSE.

Quels chemins affreux ! Je suis accablée de fatigue. – Ah !

INÈS.

Pourtant vous avez été en voiture.

LA DUCHESSE souriant..

Cela ne fait rien.

DON ESTEBAN, à la duchesse.

Madame, daignez vous asseoir.

Bas à Inès.

Inès, qu’avez-vous donc ? – Asseyez-vous.

LA DUCHESSE.

La baronne a l’air souffrante... Seriez-vous incommodée, madame ?

INÈS.

Moi... madame ?

DON ESTEBAN.

Elle s’est fatiguée hier. C’est ce qui vous la fait trouver pâle ; ordinairement elle a plus de couleurs.

LA DUCHESSE.

Avec une aussi belle peau que celle de la baronne, la pâleur n’est pas un défaut.

DON ESTEBAN, s’inclinant.

Oh !

INÈS.

Oh !

LA DUCHESSE.

Cela est plus distingué.

INÈS.

Madame est bien honnête... mais...

LA DUCHESSE.

Madame la baronne est extrêmement jeune. Elle n’a pas plus de vingt-quatre ou vingt-cinq ans ?

INÈS.

J’aurai cinq ans... qu’est-ce que je dis donc ?... j’aurai vingt ans, vienne la Saint-Jean d’été.

LA DUCHESSE.

Vous n’êtes que depuis peu de temps dans ce château ?

DON ESTEBAN.

Depuis fort peu de temps. Je l’ai pris pour ma résidence, à cause du voisinage d’Avis, dont je suis gouverneur titulaire. Je m’attendais peu à l’honneur de vous y recevoir. – Mais dites-moi donc, madame, quelle est cette proscription, comme vous l’appelez, qui vous a conduite aussi loin de la capitale ? J’espère que ce n’est point une cause trop sérieuse qui vous amène en Estramadure ?

LA DUCHESSE.

Comment, sérieuse : savez-vous bien, Don Esteban, que je suis fugitive, dans toute l’acception du mot ? Voici mon histoire. Vous le savez, j’avais quelque influence à la cour. Le duc de Lerma me consultait quelquefois. Le feu Roi m’honorait de ses bontés. Tout d’un coup, Olivares tombe comme une bombe, je ne sais d’où, supplante Lerma auprès du jeune Philippe, et détruit en un instant presque tout mon crédit. Je ne hais rien tant que les tracasseries de cour. Aussi, j’offris généreusement mon amitié au comte-duc ; il la refusa avec dédain. Il fallut bien faire la guerre. J’essayai de culbuter le ministre en donnant Roi un confesseur de ma façon, Olivarès lui donna une maîtresse ; la maîtresse réussit. Le Roi donna toute sa confiance au ministre Mercure...

INÈS.

Le duc d’Olivarès s’appelle Mercure !... quel drôle de nom !...

LA DUCHESSE.

Quoi qu’il en soit, Olivarès voulut se venger ; il était tout puissant. Il m’accuse d’avoir trempé dans je ne sais quelle conspiration portugaise. Cette malheureuse histoire de Joan de Braganza !... cela n’a pas le sens commun ! C’est moi, dit-on, qui viens d’enlever le Portugal à Sa Majesté Catholique. On voulait m’envoyer dans quelque couvent, peut-être même à Ségovie. Je l’ai su à temps ; sans attendre l’ordre, je me suis sauvée. J’ai fait tant de diligence, qu’à peine sait-on maintenant mon départ à Madrid. Je vais passer en Portugal... où je serai conspiratrice... puisqu’on veut absolument que je le sois.

DON ESTEBAN.

Quelle lâcheté ! envoyer une dame à la tour de Ségovie !

INÈS.

Mais... ce confesseur ?...

DON ESTEBAN.

Inès, Dona Sérafine a besoin de prendre quelques rafraîchissements, va donner un coup d’œil.

Il lui parle bas. Inès sort. Silence.

DON ESTEBAN.

Je ne vous ai pas demandé si vous aviez fait un bon voyage.

LA DUCHESSE.

Très heureux... À propos, le gouverneur d’Avis est votre major ?

DON ESTEBAN.

Oui, madame. Il tient toujours à ce qu’il m’écrit. Mais il y a si peu de soldats dans la province que je ne puis lui envoyer de secours. Pourquoi me demandez-vous cela ?

LA DUCHESSE.

Pour rien.

DON ESTEBAN, après un silence.

Le temps a été...

LA DUCHESSE.

Pourquoi cet air embarrassé ? avez-vous quelque chose à me dire ?

DON ESTEBAN, affectant de l’indifférence.

Trouvez-vous ma femme jolie ?

LA DUCHESSE.

Très jolie.

DON ESTEBAN.

Elle est malheureusement extrêmement timide, c’est ce qui vous la fait paraître gauche. Vous l’avez déconcertée tout-à-fait. – C’est à Madrid que vous avez appris mon mariage ?

LA DUCHESSE.

Oui.

DON ESTEBAN.

Et voulez-vous me dire franchement ce que l’on en pense ?

LA DUCHESSE.

Franchement !

DON ESTEBAN.

Oui.

LA DUCHESSE.

On le critique généralement, puisque vous voulez savoir la vérité. Cependant, nos philosophes de la cour disent que cela est d’un bon exemple. On a fait des chansons, des sonnets, des pointes... que vous dirai-je ? Enfin, on pense que vous avez fait une sottise... Mais tout s’oublie si vite à Madrid ! il y a déjà quelques mois qu’on n’en parle plus.

DON ESTEBAN.

Et vous, madame ?... oserai-je vous demander votre opinion, à vous ?

LA DUCHESSE, avec dignité.

Don Esteban, il est assez singulier que vous vous adressiez à moi... surtout quand mes conseils vous seraient aussi inutiles qu’ils seraient tardifs.

DON ESTEBAN.

Madame, pardonnez, je plaisantais. Ce qui est fait est fait. Je ne m’en repens pas.

LA DUCHESSE, après un silence.

Don Esteban, je n’ai rien perdu de... de l’amitié que j’avais pour vous. Nous avons été longtemps séparés, mais si l’un de nous a eu des torts, certes ce n’est pas moi. Depuis votre départ pour l’armée, je n’ai plus entendu parler de vous.

DON ESTEBAN.

Ah ! madame, vous m’accablez de honte par vos trop justes reproches.

LA DUCHESSE.

Moi, Don Esteban, j’ai conservé la mémoire de notre ancienne amitié. Et dans ma disgrâce, c’est à vous que j’ai voulu demander un asile. Peut-être...

DON ESTEBAN.

J’apprécie avec orgueil cette flatteuse marque de confiance...

LA DUCHESSE.

Comme votre amie, j’ai été affligée de votre mariage. Comme votre... mais je n’ose prononcer maintenant un nom plus doux que vous me donniez autrefois... j’ai souffert, oui j’ai beaucoup souffert, de voir mon Esteban entraîné par sa générosité à une extravagance... – pardonnez ce mot à une amie. Un jour, sûrement, il s’en repentira. Je ne considère pas la mésalliance. Une âme comme la vôtre est au-dessus des préjugés vulgaires. – Je ne parle pas de ce qu’il peut y avoir de repoussant dans le père... c’est au contraire le côté romanesque et séduisant de l’affaire... mais hélas ! je vous vois appareillé pour la vie avec une paysanne sans éducation. À son premier enfant sa beauté disparaît, et c’est alors que l’on sent le prix de l’éducation dans une femme... Toutefois j’espère encore me tromper. Je n’ai fait qu’entrevoir Dona Inès... peut-être, avec prévention... avec jalousie... car je parle en femme jalouse, pensez-vous. Oui, je suis jalouse, Esteban, je vous aimais... je vous... Si je vous avais vu uni à une femme pleine de grâces, d’esprit, à une femme, enfin, faite pour vous, alors, j’aurais souffert sans doute de perdre un cœur que j’ai possédé... mais du moins j’aurais eu quelque consolation à vous savoir heureux, et par votre intérieur et par l’opinion publique. J’aurais dit : il ne pouvait être à moi, mais il a trouvé une compagne digne de lui.

Elle se détourne en pleurant.

DON ESTEBAN.

Madame... je sens comme je le dois... tout ce qu’il y a de flatteur...

Entrent Inès et un maître d’hôtel.

LE MAÎTRE D’HÔTEL.

Monseigneur est servi.

INÈS, à Don Esteban.

Il y a un puchero, comme tu l’aimes.

LA DUCHESSE.

Hélas !

Tous sortent.

 

 

JOURNÉE II

 

 

Scène première

 

DON ESTEBAN, INÈS

 

Décoration de la scène précédente.

INÈS.

Mon ami ?...

DON ESTEBAN, avec distraction.

Hum ?

INÈS.

Tu es bien fâché contre moi.

DON ESTEBAN.

Moi ! pourquoi cela ?

INÈS.

J’ai dit bien des bêtises devant cette belle dame ; plus je m’appliquais... et plus cela allait mal.

DON ESTEBAN.

Baste !... Elle est toujours dans sa chambre ?

INÈS.

Oui. – C’est drôle, comme devant certaines personnes on se trouve mal à son aise. Jamais je n’ai vu une femme si imposante.

DON ESTEBAN.

Elle fait la sieste longuement.

INÈS.

Dis-moi, as-tu remarqué comme elle a de belles mains ? J’ai envie de lui demander avec quoi elle se les lave, pour les avoir si blanches ?

DON ESTEBAN, souriant.

De blanches mains, Inès, ne sont pas données à tout le monde. Il faut naître duchesse, pour avoir de belles mains.

INÈS.

Cependant...

DON ESTEBAN.

Il y a longtemps qu’elle est montée...

INÈS.

Mon père est aujourd’hui tout je ne sais comment. Comme il roulait les yeux à dîner en regardant la duchesse !

DON ESTEBAN.

Tu as vu avec quelle grâce, quelle affabilité elle... Dona Sérafine, a parlé à ton père ?...

INÈS.

Oui, et il avait néanmoins l’air soucieux...

DON ESTEBAN.

C’est sa mine ordinaire. – Mais elle est levée maintenant. Inès, monte chez elle... va... on ne saurait avoir trop d’attentions pour ses hôtes...

INÈS, bas, tristement.

Et surtout pour les belles dames.

Elle sort.

DON ESTEBAN, seul.

Sottes idées d’enfance ! sots préjugés ! on les chasse, on s’en croit délivré, et voilà qu’ils reviennent aussi forts, aussi dangereux que jamais ! Moi, j’ai secoué leur joug ; je les ai foulés aux pieds... pourtant que ma victoire me coûte... j’ai presque du repentir... non... mais je souffre, pour avoir dompté ces ennemis que je méprise... Ils m’attaquent encore... Depuis que la duchesse est chez moi, ma femme, cette bonne Inès... me semble avoir perdu de sa beauté... – Sa naïveté a cessé de me plaire... Autrefois !... Je suis tout honteux de n’être pas à la hauteur des modes, dans ce manoir éloigné... Le démon musqué voudrait m’enchaîner au char de Sérafine... mais je saurai résister à cette faible épreuve, puisque déjà j’ai reconnu les pièges de l’ennemi. Et d’ailleurs ne suis-je pas sorti vainqueur de plus rudes combats ? On se souviendra longtemps en Espagne de l’exemple que j’ai donné, et je suis en droit après cela, ce me semble, de compter sur ma force. Elle a pris ses grands airs. Moi aussi, je veux la tourmenter. Après ce qui s’est passé entre nous, je ne m’attendais pas à être traité par elle en étourneau sorti de l’université. Elle a l’air d’avoir pitié de moi !... la coquette !.. elle est encore jolie comme un ange... Ah ! fidélité conjugale !... heureusement tu n’es obligatoire que pour les dames.

UN DOMESTIQUE, entrant.

Monseigneur !...

DON ESTEBAN.

Qu’y a-t-il ? Pourquoi cet air effaré ?

UN DOMESTIQUE.

Monseigneur... c’est monsieur le corrégidor de Badajoz.

DON ESTEBAN.

Le corrégidor ?...

UN DOMESTIQUE.

Il a son monde avec lui... Il veut vous parler.

DON ESTEBAN.

Eh bien ! qu’il entre !

LE CORREGIDOR, entrant.

Je baise les mains de Votre Excellence.

DON ESTEBAN.

Qui me procure l’honneur de votre visite ?

LE CORREGIDOR.

Monseigneur, c’est avec un vif regret que j’exécute un ordre qui vient de m’être transmis de la cour ; mais la duchesse de Montalvan est dans ce château, se préparant à passer en Portugal...

DON ESTEBAN.

Qui vous a dit que la duchesse fût chez moi ?

LE CORREGIDOR.

Doucement, s’il vous plaît ; parlons sans nous fâcher. J’ai reconnu sa voiture sous votre remise.

DON ESTEBAN.

Vous êtes bien homme à reconnaître les armoiries d’une voiture ?

LE CORREGIDOR.

Tout comme un autre, Monseigneur. Cependant n’en déplaise à Votre Excellence, la voiture de la duchesse n’a point d’armoiries... mais les domestiques ont tout avoué.

DON ESTEBAN.

À voir votre barbe, je vous aurais cru trop de bon sens pour écouter sérieusement les propos d’un domestique.

LE CORREGIDOR.

Je sens combien il vous est pénible de livrer votre hôte. Mais avant tout, vous ne voudriez pas donner asile à un ennemi du roi.

DON ESTEBAN.

Monsieur, je ne loge ni duchesse, ni ennemi de Sa Majesté. Allez-vous en au diable et laissez-nous en paix, ou je vous ferai punir pour votre impertinence.

LE CORREGIDOR.

Pas d’injures, Monseigneur, s’il vous plaît. Vous ne me ferez pas punir, car vous n’êtes plus gouverneur du canton, et cependant...

DON ESTEBAN.

Que dit cet insolent ?...

LE CORREGIDOR.

Je serais au désespoir de faire à Votre Excellence l’affront d’une visite judiciaire dans sa maison.

DON ESTEBAN.

Si vous aviez cette insolence, vive Dieu ! vous verriez ce que gagne un vilain anobli depuis quelques jours à insulter un grand d’Espagne.

LE CORREGIDOR.

Et vous, Monseigneur, vous pourriez apprendre à traiter la justice avec plus de respect. Encore une fois, pour la dernière, dites-moi où est la duchesse.

DON ESTEBAN.

Sortez, ou mes gens vont vous mettre à la porte à coups de bâton.

LE CORREGIDOR.

Vous m’y forcez. Entrez vous autres.

Entrent des alguazils armés.

DON ESTEBAN, sonnant.

Ah ! canaille, c’est ainsi que vous traitez un Mendoza ! Toi, coquin, tu paieras cher ton audace !

Entrent des domestiques.

LE CORREGIDOR.

De par le Roi ! Don Esteban de Mendoza, je vous arrête.

Il le touche de sa vare.

DON ESTEBAN.

Qu’on me chasse ces gredins ! Eh quoi ! la vare de ce maroufle vous a tous pétrifiés. Tenez, je vais vous apprendre votre devoir.

Il tire son épée.

Ah ! faquins, c’est donc ainsi qu’il faut vous parler ! Hors d’ici, canaille !

Il les chasse. Entrent Inès et la duchesse.

INÈS.

Ah ! ils vont le tuer ! Au secours ! au secours !

Rentre Don Esteban remettant son épée dans le fourreau.

LA DUCHESSE.

À merveille, seigneur baron. On ne peut mieux donner des coups de plat d’épée.

INÈS.

Dis-moi, mon cœur, n’es-tu pas blessé ?

DON ESTEBAN.

Non.

LA DUCHESSE.

Peut-on demander à Votre Seigneurie quel grave sujet la porte à exercer son bras sur le dos de ces pauvres diables en robe noire ?

DON ESTEBAN.

Madame, j’aurais quelque chose à vous dire en particulier... Inès, laisse-nous un instant.

INÈS.

Moi... mon cœur ?

DON ESTEBAN.

Oui.

INÈS.

Est-ce pour longtemps ?

DON ESTEBAN.

Non, non ; mais laisse-nous.

Inès sort.

LA DUCHESSE.

Voilà bien du mystère. Si vous n’étiez pas marié, savez-vous que cela m’effraierait ?

DON ESTEBAN.

Madame, il m’est pénible de vous ôter cette humeur charmante. Apprenez que le corrégidor de Badajoz venait en ce moment même pour vous arrêter.

LA DUCHESSE.

En vérité ?

DON ESTEBAN, avec fatuité.

Oui, dona Sérafine. Je n’ai pas craint le courroux de la justice pour défendre des attraits que l’on veut cacher au monde dans la tour de Ségovie.

LA DUCHESSE.

Ô le modèle des chevaliers errants ! Tristan, Lancelot, Amadis... recevez les remerciements d’une infante malheureuse et persécutée. Ha, ha, ha !

DON ESTEBAN, avec un rire forcé.

Vous êtes toujours la même !

LA DUCHESSE.

Hélas ! il faut bien quitter cette gaieté qui ne me convient plus. Cher Don Esteban, achevez votre ouvrage. Donnez-moi quatre chevaux vigoureux. Il faut que cette nuit je sois en Portugal.

DON ESTEBAN.

Commandez ; tout ici vous appartient.

LA DUCHESSE.

Hélas ! faut-il que je vous quitte, à peine arrivée !... Je n’espère plus vous revoir... Mais il le faut !...

DON ESTEBAN.

Madame, je...

LA DUCHESSE.

Ne perdons point de temps... Avez-vous un homme sûr, brave, déterminé, qui m’accompagne ? Mon écuyer s’est cassé le bras à Caceres.

DON ESTEBAN.

Dona Sérafine, n’en connaissez-vous point un ici qui se ferait gloire de vous servir ?

LA DUCHESSE.

Que voulez-vous dire ?

DON ESTEBAN.

Sérafine !... Autrefois vous m’auriez dit de vous accompagner... de protéger votre fuite ! – Pourquoi maintenant ne voulez-vous plus de moi ?

LA DUCHESSE.

Ô mon cher Esteban !

DON ESTEBAN.

Sérafine !... dites !... dites que vous me choisissez pour votre chevalier.

LA DUCHESSE.

Non, Esteban, je ne le puis. C’est déjà trop que, pour moi, vous vous soyez exposé au ressentiment d’un ministre cruel. M’accompagner dans le Portugal insurgé, ce serait vous déclarer mon complice, vous fermer à jamais le chemin de l’Espagne... Non, cher Esteban, je ne puis vous perdre ainsi de gaieté de cœur. Songez que, comme gouverneur de ce canton, vos démarches, même les plus indifférentes...

DON ESTEBAN.

Que m’importe la colère d’Olivarès ! Je voudrais voir d’autres dangers à braver pour vous. D’ailleurs, en vous accompagnant, je me dérobe aux poursuites de la justice de Badajoz, que j’ai rudement malmenée... Dona Sérafine, ne me refusez pas, je vous en conjure !

Il lui prend la main.

LA DUCHESSE.

Impossible !... vous ne pouvez abandonner votre famille... votre chère Inès... Ah ! ce nom doit vous faire oublier la pauvre Sérafine, et les dangers qu’elle... courir. – Adieu, Esteban, pensez quelquefois à votre ancienne amie.

DON ESTEBAN.

Non, madame, non ! je ne vous quitterai pas ! Vous courez trop de dangers, et je ne pourrais plus vivre, vous sachant exposée à mille périls, tandis que moi, cavalier, tranquille dans ma maison, je me bornerais à faire de stériles vœux pour mon... hôte... ma chère Sérafine !

Il se met à genoux.

LA DUCHESSE.

Ah ! ciel ! ne suis-je pas assez malheureuse ! faut-il encore entraîner mon seul ami dans ma ruine !

DON ESTEBAN.

Sérafine, dis oui, je t’en conjure par la blessure que j’ai reçue pour toi !

LA DUCHESSE.

Cruel, quel temps me rappelez-vous ?

DON ESTEBAN.

Tu as consenti ! vive Dieu ! je te suivrai jusque dans les cachots de Ségovie.

LA DUCHESSE, faiblement.

Et... votre Inès ?

DON ESTEBAN.

Je ne pense qu’à toi... qu’aux dangers qui vous environnent... Inès... elle restera pour calmer l’orage... si toutefois...

LA DUCHESSE.

Ah ! si elle savait votre dessein !...

DON ESTEBAN.

Je trouverai un prétexte...

LA DUCHESSE.

Eh bien ! j’y consens. Conduisez-moi seulement jusques à...

DON ESTEBAN.

Ne dites pas le lieu où nous nous séparerons.

LA DUCHESSE.

Cruel Olivarès ! auras-tu assez de victimes ?

DON ESTEBAN.

Ne craignez rien pour moi, j’ai des amis puissants à la cour ; mais votre générosité vous exagère le faible service que je vous rends.

LA DUCHESSE.

Mon Dieu ! faites que je sois la seule victime !

DON ESTEBAN.

Je connais les chemins de traverse. Ils seront bien fins s’ils nous rattrapent. Vous ne pouviez prendre un meilleur guide.

LA DUCHESSE.

Hélas ! pourquoi suis-je venue ici ?

DON ESTEBAN.

Grâces en soient rendues au ciel !

UN DOMESTIQUE, entrant.

Deux lettres pour Monseigneur.

Il sort.

LA DUCHESSE, regardant une des lettres.

Le cachet du ministre !

DON ESTEBAN.

Que me veut-il ?

Il donne la lettre à la duchesse après l’avoir lue.

Vous le voyez, je suis mal noté aussi à la cour. Ils me rappellent, ils veulent que je parte sur-le-champ.

LA DUCHESSE.

Obéissez, Esteban, ou vous vous perdez. Vous voyez que vous êtes déjà trop compromis.

DON ESTEBAN.

Raison de plus pour ne pas aller me jeter dans les griffes du tigre. Je suis proscrit, quel bonheur !

LA DUCHESSE.

Hélas !

DON ESTEBAN, après avoir lu l’autre lettre.

Cette lettre est de mon ami et du vôtre, Don Rodrigo de Yriarte. Il me mande que l’on me regarde comme non étranger aux troubles du Portugal. On dit que ce n’est pas sans dessein que je suis allé m’établir si près du foyer de la révolte... Ah, ah, ah ! fort plaisant, en vérité ! Et c’est eux-mêmes qui m’y ont envoyé !

LA DUCHESSE.

Que je suis malheureuse ! Je ne sais quel conseil vous donner...

DON ESTEBAN.

Nous y réfléchirons ensemble quand nous serons en sûreté. – Mais, chut ! voici Inès.

INÈS, entr’ouvrant la porte.

Peut-on entrer ?

LA DUCHESSE.

Mon Dieu, madame ! que je suis fâchée contre le seigneur Don Esteban. Les nouvelles de Madrid, qu’il m’a communiquées avec tant de secret ne valaient pas la peine de vous en faire un mystère... et surtout à vous, madame.

DON ESTEBAN.

Ma chère Inès, madame la duchesse veut absolument nous quitter ce soir. Je vais faire atteler à l’instant.

Bas à Inès.

Je l’accompagnerai jusqu’au petit bois d’orangers.

INÈS, bas.

Dis-moi, veux-tu que j’aille avec toi !

DON ESTEBAN.

Non ; le serein tombe, tu t’enrhumerais.

INÈS.

Quoi ! vous voyagez la nuit, madame ? vous n’avez pas peur ?

LA DUCHESSE.

Les malheurs qui m’ont accablée sans relâche m’ont un peu aguerrie.

INÈS, bas à Esteban.

Dis-moi ; pourquoi battais-tu ces Alguazils ?

DON ESTEBAN.

Des faquins... qui osent... une sotte affaire de chasse... des braconniers, vois-tu... mais tu n’y comprendrais rien.

INÈS.

Cependant, les domestiques disent...

DON ESTEBAN.

Ce sont des bavards qui ne savent ce qu’ils disent, et tu es une folle de les écouter. Mais il faut que je donne des ordres. – Montre à Dona Sérafine les fleurs que tu cultives toi-même.

INÈS.

Oh ! madame la duchesse, venez voir mes jasmins d’Arabie.

LA DUCHESSE, à Esteban.

Le plus tôt possible, n’est-ce pas ?

Ils sortent.

 

 

Scène II

 

Une salle basse du château.

MENDO, seul.

Il y a toujours quelque chose d’impertinent, même dans la politesse des riches. Cette duchesse s’est moquée de nous, et Don Esteban la regardait plus souvent que sa femme. Ah ! je le crains, Inès se repentira d’avoir épousé un seigneur.

INÈS, entrant.

Enfin elle est partie, et, à dire le vrai, je ne la regrette pas.

MENDO.

Ton mari l’accompagne ?

INÈS.

Oui, jusqu’au bois d’orangers. Il n’a pas voulu me laisser venir avec lui, sur ma petite mule blanche. – Savez-vous que je suis bien inquiète ?

MENDO.

Pourquoi ?

INÈS.

Il a pris ses pistolets... cependant il n’y a pas de voleurs de ces côtés.

MENDO.

Peut-être... est-ce pour rassurer la duchesse.

INÈS.

Quels dangers y a-t-il sur la route ?

MENDO.

Aucun, je l’espère.

INÈS.

Si la justice rattrapait Dona Sérafine ?...

MENDO.

Il faut du temps pour venir de Badajoz ici.

INÈS.

Elle lui attirera malheur, cette femme qui veut donner son confesseur au Roi. Oui, mon papa, elle voulait donner un confesseur au Roi. Elle l’a dit elle-même, dans une histoire où je n’ai rien compris du tout. – Mon Dieu ! Pourquoi mon mari l’a-t-il reçue ?

MENDO.

Il ne pouvait faire autrement. N’a-t-elle pas été son amie ?

INÈS.

Hélas !

On frappe à la porte.

Mais j’entends du bruit à la grand’ porte. Serait-il déjà de retour ?

Entrent le corregidor, et beaucoup d’Alguazils armés.

LE CORREGIDOR.

SALUTEM OMNIBUS. Nous voici, mais en force cette fois. On ne se rira plus de la justice. Rira bien qui rira le dernier, et nous verrons qui paiera les pots cassés.

INÈS.

Que voulez-vous, monsieur ?... Que venez-vous faire ici ?

LE CORREGIDOR.

Rien, que prendre et appréhender au corps un Don Esteban, seigneur de Mendoza, et une Dona Sérafine, duchesse de Montalvan. Pas davantage !

MENDO.

Que dites-vous, monsieur ? cela ne se peut pas.

LE CORREGIDOR.

Laissez-moi instrumenter. Je sais mon métier, et surtout pas de rébellion, ou je fais tout mettre à feu et à sang.

INÈS.

Monsieur... la duchesse... est partie... et mon mari... est parti aussi...

LE CORREGIDOR.

Bah ! bah ! on ne nous en donne pas à garder. Personne n’est sorti par la grand’ porte. Ainsi la pie est encore au nid.

À deux alguazils.

Vous, empêchez que personne ne sorte.

Aux autres.

Suivez-moi, vous autres.

Ils entrent dans les appartements intérieurs.

INÈS.

Hélas ! je l’avais bien dit ! c’est cette duchesse qui l’a perdu ! la sainte mère de Dieu ait pitié de lui !

MENDO.

Rassure-toi. Un homme riche se tire toujours d’affaire.

INÈS.

Mais où est-il ? quand me le rendra-t-on ?

MENDO.

Ah !... fasse le ciel qu’il soit bientôt de retour !

INÈS.

Vous dites cela comme si vous ne l’espériez pas !

MENDO.

Moi !... Je l’espère... il reviendra bientôt.

INÈS.

Vous avez dans l’esprit quelque chose que vous n’osez me dire. Oui vous savez ou vous soupçonnez quelque grand malheur.

MENDO.

Tu te trompes, mon enfant. Rentre, ma fille. Nous ne pouvons faire autre chose que prier le bon Dieu qu’il te conserve ton mari.

INÈS.

Hélas ! vous m’effrayez horriblement ! voilà que mille affreux pressentiments me viennent dans l’esprit.

MENDO.

Rentrons. Que faisons-nous ici ?

Ils sortent.

 

 

JOURNÉE III

 

 

Scène première

 

L’HÔTE, SOLDATS et BOURGEOIS PORTUGAIS, assis à boire autour d’une table

 

Elvas. Une auberge.

L’HÔTE, se levant un verre à la main.

À Joan de Braganza, roi de Portugal !

TOUS.

À Joan de Braganza !

L’HÔTE.

Vive Dieu ! c’est un véritable Portugais. Un bon roi, d’une bonne pâte, tel qu’il nous le faut ; et non pas un Espagnol à face de carême, qui nous pompe nos doublons.

UN SOLDAT.

S’ils y reviennent, nous sommes là pour les recevoir.

L’HÔTE.

Vous ne savez pas la nouvelle, messieurs ? Quand Don Rodrigo de Saa et Fernand Menezes ont jeté Vasconcelhos par la fenêtre du palais, que pensez-vous qu’il soit arrivé ?

UN BOURGEOIS.

Il s’est cassé les reins sur le pavé.

L’HÔTE.

Un grand fantôme s’est apparu à tout le peuple, et a crié d’une voix de tonnerre : « Aux armes Portugais ! le joug de l’Espagne est brisé ! » Qui pensez-vous que ce fût ?

UN SOLDAT.

Belle demande ! qui pouvait-ce être, sinon le roi Don Sébastien ?

L’HÔTE.

Justement... Après avoir dit ces paroles, le fantôme se fondit dans l’air avec un bruit... comme si on avait tiré plus de dix mille coups de canon à la fois. Et c’est sûr, car je le tiens de ma sœur qui était à l’église, quand Vasconcelhos a sauté par la fenêtre.

UN SOLDAT.

Qu’y a-t-il de si extraordinaire là-dedans ? On sait bien que le roi Don Sébastien n’est pas mort. Tenez, un jour que j’étais de faction, il faisait noir comme dans un four. Il pleuvait un peu, je soufflais sur la mèche de mon arquebuse, quand voilà une grande figure blanche, armée de pied en cap, la couronne sur la tête, qui passe tout contre moi, en poussant un grand soupir. Moi qui ne crains aucun homme en chair et en os, quand je vois un esprit, je perds tout mon courage. Je tombai par terre, et je récitai une litanie que je sais pour les esprits...

L’HÔTE.

J’en sais une aussi qui m’a souvent été utile.

UN BOURGEOIS,

Hé ! qui nous arrive ici ?

L’HÔTE.

Messieurs, c’est un brave jeune homme, un galant Portugais, Don César de Belmonte, qui commande le siège d’Avis.

Entre Don César. Tous se lèvent.

DON CÉSAR.

Bonjour mes amis, bonjour.

L’HÔTE.

Il est bien glorieux pour cette auberge...

DON CÉSAR.

Elle va bientôt recevoir un honneur plus grand. J’attends ici une dame qui se sauve de Castille, où elle est persécutée comme amie du

Portugal.

L’HÔTE.

Ce que nous avons de meilleur lui appartient.

DON CÉSAR.

Elle ne doit pas tarder.

L’HÔTE.

Seigneur, je prendrai la liberté de demander à Votre Excellence comment vont nos affaires.

DON CÉSAR.

À merveille, maitre Boniface. Les garnisons espagnoles se retirent en toute hâte. Joan de Braganza est partout reconnu aux acclamations de ses sujets.

L’HÔTE.

Je m’en réjouis fort.

DON CÉSAR.

Ce n’est que sur les tours d’Avis que flotte encore le drapeau espagnol. Mais, avant peu, nous y planterons les quines portugaises.

L’HÔTE.

J’irai s’il le faut y donner l’assaut ma broche à la main. Si j’embrochais seulement autant d’Espagnols que j’ai embroché de dindons !...

Entrent la duchesse avec une écharpe aux couleurs de Braganza, Don Esteban.

LA DUCHESSE.

Salut, terre d’asile ! salut, Portugal ! et vive Joan de Braganza. – Ah ! Don César.

DON CÉSAR.

Que je suis heureux, Dona Sérafine, de vous voir en sûreté sur le sol Portugais !

LA DUCHESSE.

Enfin je suis sauvée.

Elle lui parle bas. Don Esteban reste dans le fond de la scène, montrant de l’embarras. Haut.

Don César, je vous présente mon libérateur, Don Esteban de Mendoza. Seigneur de Mendoza, je vous présente Don César de Belmonte.

Don Esteban et Don César se saluent d’un air froid.

DON ESTEBAN.

Vous avez besoin de repos, Dona Sérafine ; je ne sais si cette auberge...

LA DUCHESSE.

Non. Tout à l’heure j’étais accablée, maintenant, la joie de me voir entourée d’amis...

Don César s’incline. Don Esteban fronce le sourcil.

délivrée des griffes d’Olivarès, m’a délassée tout d’un coup. Je crois que je pourrais danser maintenant.

DON CÉSAR, bas.

Sa Majesté vous prépare à Lisbonne l’accueil le plus flatteur.

LA DUCHESSE.

Vous croyez ?

Elle parle tout-à-fait bas. Haut.

Savez-vous, Don César, que je l’ai échappé belle ? Sans le courage du seigneur de Mendoza, j’étais reprise et encagée à Ségovie.

DON CÉSAR.

Dieu ! que n’étais-je là !

DON ESTEBAN.

L’affaire, monsieur, ne méritait pas votre présence.

Bas à la duchesse.

Faites-moi donc sortir cet homme-là.

LA DUCHESSE.

Notre voiture s’est brisée sur la route. Pendant qu’on la raccommodait, arrive monsieur le corrégidor et son monde, pif ! paf ! des coups de pistolets... des coups d’épées... j’étais presque morte de peur, et je n’ai ouvert les yeux que lorsque Don Esteban est venu m’annoncer que l’ennemi était en pleine déroute.

DON CÉSAR, bas.

Est-ce qu’il reste ici ?

LA DUCHESSE, bas.

Oui, il faut le ménager, jusqu’à ce que nous en ayons ce que vous savez, pour l’affaire d’Avis.

DON CÉSAR.

Dona Sérafine, vous devez avoir besoin de repos après un voyage aussi pénible ; je me retire.

À Don Esteban.

Seigneur de Mendoza, si je puis vous être utile en ce pays, veuillez disposer de moi.

DON ESTEBAN.

Je vous baise les mains.

DON CÉSAR, bas à la duchesse.

Le major veut une lettre... mais vous m’entendez...

Il sort. Silence.

LA DUCHESSE, gaiement.

Eh bien, Don Esteban, qu’avez-vous ? vous me boudez ?

DON ESTEBAN,

Moi ?

LA DUCHESSE, le contrefaisant.

Moi ? Vous, monsieur, qu’avez-vous ? Qu’ai-je fait pour mériter cette mauvaise humeur ?

DON ESTEBAN, froidement.

Madame, vous plaisantez avec tant de grâce... vous avez toujours une gaîté si...

La duchesse le regarde tendrement.

Ah ! tenez, Sérafine, ne me regardez pas comme cela, ou je ne pourrai plus vous gronder.

LA DUCHESSE.

Mon cher Esteban, qu’ai-je donc fait pour être grondée ?

Tendrement.

Ne dois-je pas plutôt, moi, vous gronder, de m’avoir suivi jusqu’en Portugal. Mais comment oserais-je vous reprocher une désobéissance qui m’a sauvée ?

DON ESTEBAN.

Vous faites mon supplice, Sérafine, avec vos éternelles connaissances. Je reprends mes transports de Madrid... mais Dieu me sauve ! vous avez partout de bons amis. Comment ! même en Portugal !

LA DUCHESSE.

Eh bien ! qu’y a-t-il d’étonnant ? Don César était comme moi dans la conjuration. – Hélas ! je n’ai qu’un regret ! c’est de vous y avoir engagé trop avant.

DON ESTEBAN.

Ah ! Sérafine, vous savez le moyen de m’ôter mes regrets !

LA DUCHESSE, affectant de l’étonnement.

Monseigneur de Mendoza ! – Au fait, qu’allez-vous devenir ? À votre place, me voyant compromis, presque proscrit dans mon pays, j’accepterais une place en Portugal.

DON ESTEBAN.

Que voulez-vous qu’on fasse de moi ? et d’ailleurs, ne suis-je pas Castillan ?

LA DUCHESSE.

Eh ! ne suis-je pas Espagnole, moi ? mais on m’a proscrite, et je suis du pays qui me donne un asile.

DON ESTEBAN.

Laissons cela.

LA DUCHESSE.

Non, il faut en parler... autrement vous augmenterez mes regrets de vous avoir fait quitter votre pays... de vous avoir exposé au ressentiment de votre cour, sans vous offrir des dédommagements près de celle de Portugal.

DON ESTEBAN.

Est-ce donc pour le Portugal que je me suis battu ? Les dédommagements qui me seraient...

LA DUCHESSE.

Vous ne voudriez pas vous trouver dans les rangs portugais, au moment où la guerre va commencer ?... mais il est tel poste...

DON ESTEBAN.

Encore une fois, laissons cela.

LA DUCHESSE.

Mais qu’allez-vous devenir ? Vous ne pouvez sans danger rentrer en Espagne ?

DON ESTEBAN.

Vous voulez donc si tôt me chasser de votre présence ?

LA DUCHESSE.

Vous me désespérez !

DON ESTEBAN.

Est-ce à Joan de Braganza, à me récompenser des faibles services que je vous ai rendus. – Non, Dona Sérafine, je suis assez payé par la joie que j’éprouve en vous voyant hors de danger.

LA DUCHESSE.

Vous n’êtes plus Espagnol, – pourquoi ne voulez-vous pas devenir Portugais ? Écoutez, je puis vous promettre tel emploi qui, sans vous obliger à porter les armes contre l’Espagne, vous donnera la faveur de Joan de Braganza.

DON ESTEBAN.

Étrange obstination !

LA DUCHESSE.

Vous pourrez même rendre service à vos compatriotes. Tenez, par exemple, le château d’Avis, est serré de près. Demain Don César y donne l’assaut. Mais à ma considération il permettra à la garnison de se retirer. Écrivez au commandant, vous êtes gouverneur titulaire d’Avis, il est votre major... vous devez avoir quelque influence sur lui. Dites-lui qu’il cesse une défense inutile, que vous l’autorisez à rendre la place...

DON ESTEBAN, sévèrement.

Savez-vous ce que vous voulez que je fasse ?

LA DUCHESSE.

Rien que de très simple. Vous êtes persuadé, m’avez-vous dit, que le château n’est pas tenable. Épargnez le sang espagnol, voilà tout.

DON ESTEBAN.

Mais l’honneur espagnol !...

LA DUCHESSE.

Oh ! l’honneur ! l’honneur, voilà votre mot ! avec ce mot on fait couler bien du sang. Mais après tout, que Don César donne l’assaut ou non, qu’est-ce que cela me fait à moi ! Je promets de donner cette écharpe à celui qui plantera le premier les quines portugaises sur les tours d’Avis. Je serai ravie que Don César la gagne !

DON ESTEBAN.

Don César ! toujours Don César ! voilà aussi votre mot. Sérafine, depuis que nous sommes en Portugal, vous ne me parlez que de Don César !

LA DUCHESSE.

Et pourquoi n’en parlerais-je point ?

DON ESTEBAN.

Je ne veux pas vanter les services que j’ai pu vous rendre, mais dites-moi, où trouverez-vous un cœur qui vous aime comme le mien ?

LA DUCHESSE.

Oubliez-vous ?...

DON ESTEBAN.

Laissez-moi tout oublier à vos pieds. Sérafine, je vous adore, pourquoi voulez-vous me désespérer par votre légèreté ?

LA DUCHESSE, à demi-voix.

Le devoir doit l’emporter sur l’amour !

Haut.

Seigneur vous oubliez que votre foi est engagée ?

DON ESTEBAN, avec fureur.

Non, je ne l’oublie pas, cruelle. Mais ce n’était pas assez de ma conscience, il fallait encore vos reproches, vos sarcasmes pour m’achever. – Oui j’ai tout quitté pour vous ; j’ai voulu sacrifier patrie, épouse, honneur... mais vous... vous, qui m’avez rendu le plus indigne des hommes, vous, Sérafine, vous me repoussez avec dédain, et l’amour de Don César, plus que le mien, vous semble mériter votre cœur !

LA DUCHESSE.

Homme injuste ! est-ce moi qu’il faut accuser ? Ai-je manqué, moi, à la foi jurée ! Rappelez-vous les orangers d’Aranjuez ? Ne m’avez-vous pas cent fois juré un amour éternel ? Vous me quittez... quelques lettres froides et polies sont les seules consolations que vous m’envoyez. Bientôt elles cessent. Enfin le dernier coup m’est porté, vous vous mariez, Esteban... et à qui ?... quelle rivale ! juste ciel !... Voilà votre fidélité, Esteban ! voilà comme vous gardez vos serments ! allez, parjure ! laissez-moi pleurer mes faiblesses passées.

DON ESTEBAN.

Sérafine !... Je n’ai pas cessé de t’aimer... Oui... je te le jure... j’ai quitté Inès... pour ne plus me séparer de toi... pour vivre ton esclave... Veux-tu donc m’abandonner ?... Non ! je te vois sourire, tu veux bien encore ouvrir tes bras à celui que jadis tu aimas.

LA DUCHESSE.

Ô mon Esteban !

DON ESTEBAN.

Je suis à toi pour la vie !

LA DUCHESSE.

Si tu sais braver l’opinion des hommes, je saurai vivre pour toi, comme tu vivras pour moi.

DON ESTEBAN.

Toujours !

LA DUCHESSE.

Toujours ! Ô mon aimé, nous vivrons heureux loin des tyrans espagnols, auprès d’un prince adoré. Vive Joan de Braganza !

DON ESTEBAN.

Vive Joan de Braganza !

LA DUCHESSE.

Nous sommes Portugais !

Elle lui attache son écharpe aux couleurs de Braganza.

DON ESTEBAN.

Je veux répandre le bruit de ma mort... Je changerai de nom... et alors, dans la retraite, loin du tumulte des cours, nous vivrons heureux dans les bras l’un de l’autre... Mais si la pauvre...

LA DUCHESSE, l’embrassant.

Idole de mon cœur !... Dis-moi veux-tu écrire au gouverneur d’Avis ?...

DON ESTEBAN.

Je t’en conjure, Sérafine, ne l’exige pas de moi !

LA DUCHESSE.

Non, mais je t’en supplie.

DON ESTEBAN.

Tu le veux... Oui je te sacrifierai tout...

LA DUCHESSE.

Un baiser pour la peine ?

DON ESTEBAN.

Mais que dire ?... Je ne puis écrire...

LA DUCHESSE.

Dis-lui qu’il n’a pas de secours à attendre de l’Espagne... Est-ce vrai, oui, ou non ?

DON ESTEBAN.

Oui... mais...

LA DUCHESSE.

Tu ne veux pas que je t’embrasse !

DON ESTEBAN.

Tiens, écris toi-même... je signerai. Es-tu contente ?

LA DUCHESSE, après avoir écrit.

Ô mon unique bien !

Elle l’embrasse.

Oui, maintenant je crois à ton amour !

Elle sonne. Entre Pedro.

LA DUCHESSE.

Que cette lettre soit promptement remise au gouverneur d’Avis. Vous trouverez en bas un cornette des volontaires du Beira, qui se chargera de la porter.

PEDRO.

Monseigneur, est-ce que vous êtes pour la mode nouvelle de porter une écharpe aux couleurs du duc de Braganza ?

DON ESTEBAN.

Eh bien ?

PEDRO.

C’est qu’alors je vous demanderais mon congé. Je n’ai pas envie, moi, de prendre l’écharpe portugaise. Espagnol je suis né, Espagnol je mourrai.

DON ESTEBAN.

Ah ! ma chère Sérafine, quel sacrifice je t’ai fait !

LA DUCHESSE.

Eh bien ? vous êtes tout troublé parce qu’un valet vous demande son congé ?

À Pedro.

Bon homme, tenez cette bourse, voilà pour boire à ma santé. Retournez chez vous, et que Notre Dame del Pilar vous soit en aide.

Plus bas.

Si l’on vous demandait ce qu’est devenu le seigneur de Mendoza, vous direz qu’il est mort... qu’il a été tué en duel... entendez-vous ?

PEDRO.

Faudra-t-il dire cela à tout le monde ? même à madame ?.

LA DUCHESSE.

À tout le monde. Prenez encore cette bague, vous la donnerez à votre femme, si vous en avez une. Mais d’abord donnez la lettre au cavalier d’en bas.

Pedro sort.

Esteban, mon seul bien, vois-tu le soleil qui se couche dans cette forêt d’orangers ? la voici revenue, cette douce soirée d’Aranjuez !

DON ESTEBAN.

Ah ! pourquoi t’ai-je quittée !

Ils sortent.

 

 

Scène II

 

INÈS, MENDO

 

Le château de Mendoza.

MENDO.

Il est obligé de se cacher à cause de cette mauvaise affaire... mais dans quelque temps, lorsque la justice sera apaisée, il reviendra.

INÈS.

Mais pourquoi ne pas écrire ? J’aurais déjà pu recevoir trois fois de ses nouvelles.

MENDO.

Hum !

INÈS.

Je ne le vois que trop, vous ne me dites pas ce que vous pensez. Esteban est mort ou infidèle. Plût à Dieu qu’il fût infidèle !

MENDO, à part.

Oui, car je pourrais te venger.

INÈS.

Que dites-vous ?

MENDO.

J’espère qu’il est vivant et qu’il t’aime toujours... mais plus d’une raison...

INÈS.

Sainte Vierge ! n’est-ce pas Pedro que j’aperçois ?

PEDRO, entrant.

Madame, je vous baise les pieds.

INÈS.

Pedro... qu’as-tu fait de mon mari ?... Parle...

PEDRO.

Hélas ! madame...

INÈS.

Il est mort !

PEDRO.

Le Seigneur ait pitié de lui, et lui remette ses péchés !...

INÈS.

Elle me l’a tué !

Elle s’évanouit.

MENDO.

Coquin, tu as tué ma fille !

PEDRO.

Madame... madame... revenez à vous ! ne croyez pas un mot de tout ce que j’ai dit... Le seigneur de Mendoza n’est pas mort...

INÈS.

Mendoza ?

PEDRO.

Il vit et se porte bien, mais...

INÈS.

Grâce à Dieu, je le reverrai donc !

PEDRO.

Je ne sais si vous le reverrez...

INÈS.

Pedro, dis-moi tout, ne me cache rien.

PEDRO,

Vous voulez savoir la vérité ?... Eh bien, il est à Elvas, avec cette duchesse, qu’il appelle sa chère Sérafine. Je l’ai vu avec l’écharpe portugaise, et l’on en dit bien d’autres sur son compte. Moi, quand j’ai vu cela, j’ai demandé mon congé. La duchesse m’a donné de l’argent pour dire qu’il était mort, et votre mari avait l’air d’y consentir. Mais plût au ciel que ses ducats se fussent fondus dans ma main, et m’eussent brûlé jusqu’aux os !... J’ai manqué par mon mensonge faire mourir ma bonne maîtresse.

Silence.

INÈS, sanglotant.

Je n’en reviendrai pas !

MENDO, à part.

Ce que j’avais prévu est arrivé. –

Haut.

Inès !

INÈS.

Mon père !

MENDO.

As-tu encore les habits que tu portais à Monclar ?

INÈS.

Oui, mon père.

MENDO.

Va les reprendre. – Quitte tout ce que ce parjure t’a donné. Ne garde rien à lui. – Nous ne devons pas rester plus longtemps sous son toit. Tu m’accompagneras à Badajoz. L’abbesse des Ursulines te donnera un asile.

INÈS.

Donnez-moi votre bras... je suis bien faible...

MENDO.

Viens... appuie-toi sur mon bras... moi je suis ferme... allons !

Ils sortent.

 

 

Scène III

 

DON ESTEBAN, LA DUCHESSE.

 

L’auberge d’Elvas.

LA DUCHESSE.

Cher ami, pourquoi cette tristesse ? Ta Sérafine ne peut-elle te distraire de ta mélancolie ?

DON ESTEBAN.

Avec une conscience comme la mienne... on ne peut être gai.

LA DUCHESSE.

Tu devrais aller à la chasse, te distraire un peu.

DON ESTEBAN.

Le gouverneur d’Avis est-il rentré en Espagne ?

LA DUCHESSE.

Je l’imagine.

DON ESTEBAN.

Sais-tu si la capitulation a été religieusement observée ?

LA DUCHESSE.

Sans doute.

DON ESTEBAN.

J’en suis bien aise. – Sérafine, quittons Elvas. Les souvenirs de cette auberge me tuent. Plût au ciel que nous fussions ensemble dans les déserts de l’Amérique !

LA DUCHESSE.

Elvas, ne me rappelle que des souvenirs d’amour. Mais au lieu des déserts de l’Amérique, avec votre permission, nous ferons mieux d’aller à Lisbonne.

DON ESTEBAN.

Nous verrons. – Je vais faire une promenade à cheval. Tu viendras avec moi ?

LA DUCHESSE.

Non je suis fatiguée... je vais faire la sieste.

DON ESTEBAN.

Don César ?... où est-il ?

LA DUCHESSE.

Jaloux incorrigible !..... à Avis sans doute.

DON ESTEBAN.

Moi te soupçonner, Sérafine !... toi qui m’as donné tant de marques d’amour ! – Je vais galoper un peu. C’est quand le vent siffle à mes oreilles, et m’étourdit en tourbillonnant autour de moi, que je suis le plus tranquille. – Adieu.

Il sort.

LA DUCHESSE, seule.

Adieu, mon âme. – Pauvre benêt ! Qu’un homme sans caractère est méprisable ! J’ai cru d’abord qu’on en pourrait faire quelque chose ; mais il a les idées trop étroites pour devenir jamais le compagnon de Sérafine. – Parfois il me fait pitié... mais si l’on faisait attention à ces êtres faibles, on manquerait ses nobles projets. Olivarès ! tu m’as chassée de Madrid. Je vais entrer dans Lisbonne en triomphe. Oh ! maintenant je puis m’abandonner à toute mon ambition. Je ne vois pas encore les bornes de mon pouvoir naissant. –

L’horloge sonne.

Si tard !... il devrait être ici !

DON CÉSAR, entrant.

Le voici.

LA DUCHESSE.

Entrez, César, Pompée est éloigné.

DON CÉSAR.

Ma reine, admirez ma ponctualité. J’arrive d’Avis au galop ; et, sans me donner le temps de respirer, j’accours vous enlever.

LA DUCHESSE.

Notre homme s’inquiète beaucoup de la garnison espagnole d’Avis.

DON CÉSAR.

Il a raison, vive Dieu ! Que je ne sois pas chevalier, si les paysans de l’Alentejo et du Beira en laissent rentrer un seul homme en Espagne.

LA DUCHESSE.

Voilà qui est affreux, Don César ! – Prenez-moi ce voile. – Les chevaux sont-ils à la voiture ?

DON CÉSAR.

Oui, ma toute charmante.

LA DUCHESSE.

Eh bien, venez dans ma chambre m’aider à passer mon déguisement.

Ils sortent.

 

 

Scène IV

 

Entre DON ESTEBAN, seul

 

La chambre de Sérafine à Elvas.

La fatigue du corps ne repose pas la tête... – Toujours elle est devant mes yeux... Ah ! qu’elle doit souffrir en ce moment !... Pauvre malheureuse !... qu’avait-elle fait ?... Sérafine !

Il appelle.

Sérafine ! Dona Sérafine !

Il sort et rentre d’un air agité.

Que veut dire ceci ? Où peut-elle être allée ? – Hé ! qu’est-ce que

cela ?

Il prend une lettre et lit l’adresse.

« Aux mains du baron de Mendoza. » C’est son écriture, lisons : « Cher Don Esteban, je suis au désespoir de vous quitter... mais il faut absolument que je me rende à Lisbonne. Comme il me semble que vous ne vous plaisez pas beaucoup en Portugal... je vous engage à retourner auprès de votre excellente femme... qui doit être bien en peine de vous. Adieu, vivez heureux auprès d’elle... Ne soyez pas en peine de moi... Don César... » Ho !...

Il jette la lettre. Silence.

Je le mérite...

Il reprend la lettre et la relit.

Oui, je le mérite... J’ai quitté un ange pour me jeter dans les griffes d’un démon... Me venger ?... non... je n’ai plus de courage... Que vais-je devenir ?... Comment oserai-je me présenter devant le vieux Mendo ?... car Inès... j’en suis sûr, elle me tendra les bras la première... mais Mendo !... Si ce valet ?... il a dû lui dire... Ô monstre que je suis !... je l’ai peut-être tuée ! Inès, Inès ! est-ce toi ou ton cadavre qui m’attend à Mendoza ?.. Non, je ne puis plus longtemps supporter cette incertitude ! il faut en sortir !... Je vais à Mendoza, dussé-je porter ma tête à mes ennemis !

Entre Pedro.

Ah ! Pedro, quelles nouvelles ?

PEDRO.

Monseigneur, je suis revenu à vous...je n’ai pu mentir... En voyant la douleur de madame... j’ai tout avoué.

DON ESTEBAN.

Eh bien ?

PEDRO.

Ils ont quitté Mendoza. Monsieur Mendo la mène aux Ursulines de Badajoz.

DON ESTEBAN.

J’y cours. Pedro, t’ont-ils envoyé vers moi ?

PEDRO.

Monseigneur... madame m’a donné ce billet pour vous... sans que monsieur Mendo la vît...

DON ESTEBAN, après avoir lu.

...Pas un reproche !... Ange du ciel !... comment ai-je pu te tromper ? – Pedro, viens ; crevons des chevaux... il faut être aujourd’hui à Badajoz.

PEDRO.

Je ne sais si nous le pourrons. Il faudra prendre des chemins détournés, Monseigneur.

DON ESTEBAN.

Pourquoi ?

PEDRO.

Tout l’Alentejo est en armes... La garnison d’Avis vient d’être massacrée par les paysans insurgés... tout Espagnol qui tombe entre leurs mains est mis à mort sur-le-champ.

DON ESTEBAN.

Et cela encore ! – N’importe, Pedro ! si je meurs, tu diras que je suis mort repentant.

PEDRO.

Ah ! monseigneur ! c’est un ange. Elle ne cessait de vous justifier auprès de monsieur Mendo.

DON ESTEBAN.

Courons, Pedro... – Le major Don Gregorio ne s’est pas sauvé ?

PEDRO.

Non, monseigneur, ils l’ont pendu.

DON ESTEBAN.

Encore un meurtre à me reprocher !

Ils sortent.

 

 

Scène V

 

MENDO, INÈS, LA SUPÉRIEURE

 

Un parloir d’Ursulines à Badajoz.

MENDO.

Adieu, Inès. Nous nous reverrons un jour.

INÈS.

Adieu, mon père. Je n’ai que peu de temps à vivre. Le coup a été trop fort. Si jamais il oubliait cette belle Sérafine... s’il revenait à son Inès... hélas ! je n’aurai pas le pas le temps de l’attendre... dites-lui que je lui ai pardonné... et que je suis morte en priant le ciel de lui pardonner. – Adieu, mon père.

Elle l’embrasse.

Adieu, ma fille !

MENDO.

Inès entre dans le cloître, soutenue par la supérieure.

MENDO, seul.

Maintenant je puis être tout entier à la vengeance. Grâce au ciel, il me reste encore ma main gauche.

Entre Don Esteban pâle et en désordre.

DON ESTEBAN.

Inès ! Inès ma bien aimée !

MENDO.

Respecte celle...

DON ESTEBAN.

Inès ! Inès !

INÈS, derrière la scène.

C’est lui ! il revient à moi !

Elle rentre et va tomber dans les bras d’Esteban.

Tu m’aimes donc encore !... oh ! je suis heureuse enfin !

Elle s’évanouit.

LA SUPÉRIEURE.

Asseyez-la sur cette chaise, et faites-lui respirer des sels. Je vais chercher de l’eau.

DON ESTEBAN.

Ma chère Inès !... si mon amour peut réparer mon crime !.. Oh ! réponds-moi, de grâce !

LA SUPÉRIEURE, rentrant avec de l’eau.

Buvez cette eau, madame.

INÈS.

Esteban !... mon père !... donnez-moi votre main chacun.

Elle essaie de joindre leurs mains, Mendo retire la sienne.

Esteban, embrasse-moi... Adieu.

Elle se laisse. aller dans ses bras et meurt.

LA SUPÉRIEURE.

Elle est morte !

MENDO.

Monseigneur de Mendoza, que dites-vous de ce spectacle ? voilà votre ouvrage... Voyez ce bras mutilé... quels souvenirs vous rappelle-t-il ?... Et vous, qu’avez-vous fait à ma fille pour lui témoigner votre reconnaissance ?... Jusqu’ici je n’ai donné la mort à personne... aujourd’hui je me fais votre juge et votre bourreau... Que le seigneur vous absolve !

Il lui tire un coup de pistolet.

LA SUPÉRIEURE.

Au secours ! au meurtre ! fermez les portes !

DON ESTEBAN.

Laissez-le s’échapper.

Il pose sa tête sur le sein d’Inès.

MENDO.

Je ne bougerai pas, attendu que la comédie est finie. Oui, mesdames et messieurs, c’est ainsi que finit la seconde partie d’INÈS MENDO, OU LE TRIOMPHE DU PRÉJUGÉ.

INÈS.

L’auteur m’a dit de ressusciter pour solliciter votre indulgence. Et vous pouvez vous en aller avec la satisfaction de penser que vous n’aurez pas de troisième partie.

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