Valentine (Eugène SCRIBE - MÉLESVILLE)

Drame en deux actes, mêlé de couplets.

Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Gymnase, le 4 janvier 1836.

 

Personnages

 

MONSIEUR DE VALDINI, propriétaire

VALENTINE, sa femme

LARA, officier espagnol

GENEVIÈVE, filleule de Valentine et fille du concierge

BOUTILIER, maçon

 

La scène se passe dans le château de M. de Valdini, auprès de Vendôme.

 

 

ACTE I

 

Le théâtre représente une grande salle du château de Vendôme. Porte au fond et portes latérales. Une petite table à droite du théâtre, un peu sur le devant. À gauche un guéridon ; chaises, fauteuils.

 

 

Scène première 

 

MONSIEUR DE VALDINI, assis auprès de la table et rêvant.

 

De l’adresse... de l’audace... surtout du cœur et l’on arrive toujours !... quand je pense que moi, si longtemps errant et malheureux loin du

Piémont, ma patrie, je me trouve aujourd’hui en France, dans ma terre... dans mon château de Vendôme... nommé colonel par Napoléon... marié par lui à une femme charmante... bien plus à une dot superbe... c’était là le coup de maître...

Se levant.

Séparés de biens... il est vrai, mais qu’importe ?...

Marchant.

Les revenus sont à moi, et ici, comme à Paris... comme ailleurs... je mène joyeuse vie... pour cela qu’a-t-il fallu ?

Air du Piège.

Marcher au combat sans pâlir !
Sous le canon qui vous décime,
Jouer ses jours pour parvenir,
Ce fut en tous temps ma maxime !...
Car pour m’enrichir d’un seul coup,
Quand c’est ma tête que j’expose,
Je risque de gagner beaucoup,
Et de me pas perdre grand’chose.

Aussi maintenant rien ne peut plus me renverser de la position... où je me suis placé... rien... qu’un vent d’orage... qui soufflerait du Piémont... bah !... rien à craindre ni pour ma fortune, ni pour ma conscience... Turin est loin... et Dieu aussi...

 

 

Scène II

 

VALDINI, BOUTILIER

 

BOUTILIER, entr’ouvrant la porte du fond.

Puis-je entrer, monsieur le colonel ?

VALDINI.

C’est Boutilier, mon protégé...

BOUTILIER.

Ça, c’est vrai, vous êtes la providence des maçons, depuis que vous êtes devenu propriétaire de ce château, la truelle va joliment...

VALDINI.

Oui, mais elle ne va pas vite... voilà deux mois que le pavillon du jardin est commencé...

BOUTILIER.

Nous n’avions pas de matériaux...

VALDINI.

Et pour la cheminée que je t’ai commandée là, dans mon cabinet... tu ne diras pas que ce sont les matériaux qui te manquent... car, depuis ce matin, l’appartement est encombré de briques... et de sacs de plâtre... d’outils de toute espèce, au point que je ne peux l’habiter...

BOUTILIER.

Pour ce qui est de ça, c’est juste... je veux toujours me mettre à cette satanée cheminée... mais, par malheur, je n’ai de cœur à rien... et si monsieur le colonel ne se fâchait pas, je lui dirais pourquoi...

VALDINI.

Dis-le donc...

BOUTILIER.

C’est que... sous votre respect, je suis amoureux comme une bête.

Air : Au soin que je prends de ma gloire.

Depuis q’l’amour chez moi séjourne,
Je n’me retrouve plus hélas !
Le cœur me bat, la tête me tourne,
Je n’sais quoi me casse les bras...
Les jamb’s n’soutienn’t plus l’édifice...
Comment, soyez de bonne foi,
Voulez-vous que chez vous j’bâtisse,
Quand tout se démolit chez moi ?

VALDINI.

Ce qui ne m’empêche pas de te payer tes journées comme si tu travaillais...

BOUTILIER.

Voilà pourquoi, dans votre intérêt, vous devriez faire finir c’tamour là...

VALDINI.

Comment cela ?

BOUTILIER.

En me faisant épouser la petite Geneviève ! la fille de votre concierge...

VALDINI.

Ah ! c’est elle que tu aimes !...

BOUTILIER.

Et elle me rudoie toujours... je n’en mange plus... je languis... vos travaux de maçonnerie n’avancent point ; et si ça dure comme ça... je ne sais pas ce qui arrivera... mais je ne voudrais pas être à votre place...

VALDINI, riant.

Je vois en effet que ça me reviendrait cher ! je vais parler pour toi.

BOUTILIER.

Je vous le conseille, par économie...

VALDINI.

Et je compte bien que son père aura égard à ma demande...

BOUTILIER.

Si c’est ainsi, monsieur le colonel, je serai comme votre âme damnée, et je vous défendrai dans le pays encore plus que par le passé... mais qu’ils y viennent maintenant !...

VALDINI.

Comment !... j’ai donc ici des ennemis ?

BOUTILIER.

On attaque toujours ceux qui ont quelque chose... et moi, par malheur, on ne m’attaque jamais... ce qui me désespère...

VALDINI.

Vraiment... et que dit-on de moi ?....

BOUTILIER.

Ça vous ferait bien rire... ils disent que vous n’êtes pas bon tous les jours... que vous êtes dur comme la lame de votre sabre... et moi je dis : C’est tout naturel... un officier de l’empereur... un chenapan !... ça ne craint rien... c’est habitué à se faire tuer, et ça se moque de la vie d’un homme comme moi d’une truellée de plâtre... voyez-vous, ça leur fait comprendre...

VALDINI.

C’est bien... et que disent-ils encore ?...

BOUTILIER.

Que vous êtes jaloux... et quoique madame soit bien douce et bien sage, vous la tenez toujours comme qui dirait sous clef... et moi je leur réponds : C’est tout simple... ce n’est pas un Français... c’est un Italien... et dans son pays toutes les femmes sont ordinairement poignardées... c’est l’usage... tout le monde vit comme ça... et alors ça leur explique...

VALDINI.

Je te remercie....

BOUTILIER.

Quant aux bourgeois de Vendôme, ils parlaient quelquefois de vous et de votre ménage ; et ils vous appelaient Raoul Barbe-bleue... c’était drôle... mais depuis l’explication que vous avez eue

Il fait le signe de tirer l’épée.

avec ce jeune homme qui en est mort... ça a tué les cancans... il n’y en a plus dans la ville...

VALDINI.

Je vois que la recette est bonne... et j’en userai dans l’occasion... laisse-moi...

BOUTILIER.

Je m’en vais me mettre à l’ouvrage... si monsieur pouvait m’avancer un peu d’argent ?

VALDINI.

Pourquoi ça ?

BOUTILIER.

J’aurais un effet à payer pour ce moellon que j’ai fait venir... ça me tombera sur la tête un de ces jours...

VALDINI.

C’est bon... quand tu voudras...

Boutilier fait quelques pas pour sortir... il s’arrête.

BOUTILIER.

Et puis une chose encore.

Il revient et passe à la gauche de Valdini.

Si monsieur pouvait prendre un ou deux ouvriers de plus, ça irait plus vite.

Air de la Valse de Robin des bois.

Travailler seul, voyez-vous, c’est bien rude,
Et comme on dit, un peu d’aid’ fait grand bien.

VALDINI.

Oui, je comprends, selon ton habitude,
De paresser tu cherches le moyen.

Souriant.

Comment vas-tu faire dans ton ménage ?

BOUTILIER.

De c’côté-là, je m’en tirerai bien,
Et puis parfois on dit qu’en mariage,
On est aidé, sans qu’on en sache rien.

Ensemble.

VALDINI.

Travailler seul lui semble par trop rude,
D’un compagnon il s’arrangerait bien ;
Mais paresseux, selon son habitude,
De ne rien faire il cherche le moyen.

BOUTILIER.

Travailler seul, voyez-vous, est bien rude,
Et comme on dit, un peu d’aid’ fait grand bien.
Moi, je me soigne aussi par habitude,
De me r’poser je cherche le moyen.

En s’en allant.

Vous y penserez, n’est-ce pas, monsieur, le colonel ?...

VALDINI.

Oui... oui... mais va travailler...

Boutilier sort.

 

 

Scène III

 

VALDINI, VALENTINE

 

Elle entre par la porte à gauche de l’acteur.

VALDINI.

C’est ma femme !... toujours triste et rêveuse ! est-ce qu’elle aurait quelques soupçons... quelques doutes ?... oh ! non ! ce n’est pas possible !

VALENTINE, tressaillant en l’apercevant.

Ah ! c’est vous, monsieur ! je vous croyais parti pour la chasse...

VALDINI.

J’ai changé d’idée... je n’irai pas... cela vous contrarie.

VALENTINE.

Nullement... mais pendant ce temps, j’avais l’intention de faire une visite...

VALDINI.

À quelques dames de la ville... les femmes ont toujours des confidences à se faire entre elles, des chagrins à se raconter... et Dieu sait, dans ces récits confidentiels, si les maris sont épargnés...

VALENTINE.

Je n’allais voir aucune dame...

VALDINI.

J’y suis... le père Urbain, votre confesseur !

VALENTINE.

Oui, monsieur !

VALDINI.

Encore !... et que diable avez-vous à lui dire ?... vous, une femme si chaste et si pure... qui ne commettez aucune faute !... il faut donc que vous en inventiez... car moi qui suis plus riche que vous... de ce côté-là... je ne pourrais pas suffire à une consommation aussi active...

VALENTINE, ôtant son châle et son chapeau et les posant sur le guéridon à gauche.

Je n’irai pas, monsieur !...

VALDINI.

Et pourquoi ?

VALENTINE.

Parce que cela vous déplaît, et qu’avant tout mon premier devoir est de vous obéir...

VALDINI.

C’est-à-dire que je suis un tyran.

VALENTINE.

Je n’ai pas dit cela...

VALDINI.

Mais vous le pensez...

VALENTINE.

Non, monsieur !... mais je vous plains ; et je prie le ciel de changer votre caractère...

VALDINI.

Vous êtes bien bonne... mais puisque vous êtes en train de lui demander des changements... il en est d’autres qui me seraient plus agréables...

VALENTINE.

Et lesquels ?... que voulez-vous ?...

VALDINI.

Que vous changiez vos manières vaporeuses et sentimentales..., vous avez toujours l’air d’une élégie, et ça me fait du tort dans le pays... cela donne lieu à mille bruits plus absurdes les uns que les autres. On croit que je vous tourmente, que je vous rends malheureuse... vous passez pour une victime résignée...

VALENTINE.

Qu’importe, monsieur, si vous n’entendez de moi ni reproches ni plaintes...

VALDINI.

Eh ! morbleu ! je l’aimerais mieux ! je préférerais une femme qui me tiendrait tête... on se croirait en face de l’ennemi... alors chacun pour soi... on attaque et on se défend... il y a du plaisir...

VALENTINE.

Vous ne voyez dans le mariage... que l’image d’une bataille...

VALDINI.

Je n’aime que ça... mais un ennemi qui ne résiste jamais... qui se soumet toujours sans rien dire... et qui malgré cela n’est pas content...

VALENTINE.

Quelque désir que j’aie de vous obéir, puis-je me persuader que je suis heureuse ?

VALDINI.

Et pourquoi pas ?

VALENTINE.

Croyez-vous donc qu’il suffise d’être un bon militaire, d’avoir emporté une batterie à Austerlitz ou à Wagram, pour avoir toutes les qualités requises en ménage ?... Pensez-vous que les épaulettes de colonel soient un talisman si puissant, qu’il dispense un mari des soins, des égards, de la complaisance ? Et quand vous passez vos journées entières à la chasse... ou à table avec des officiers de vos amis...

VALDINI.

Pourquoi n’y venez-vous pas ?

VALENTINE.

Ah ! monsieur !... je vous respecte trop pour cela... et vous qui êtes si jaloux de l’honneur de votre femme... vous ne voudriez pas l’exposer en pareille compagnie...

VALDINI.

Si vous êtes bégueule !... si des chansons vous font peur... si vous préférez vous retirer dans votre appartement pour vous y ennuyer ou y dire des patenôtres, à qui la faute ?... à vous qui avez voulu venir à Vendôme ! qui m’avez forcé de quitter Paris, où j’avais de meilleur vin de Champagne qu’ici ; le Bois de Boulogne, l’Opéra... et tous les dimanches une grande parade dans la cour des Tuileries... Vous n’avez qu’à parler, je suis prêt à y retourner...

VALENTINE.

Je ne le peux pas, monsieur...

VALDINI.

Il faudra pourtant bien vous y décider d’ici à quelques jours... car on prétend qu’il va y avoir de l’avancement... je veux être général de brigade... et pour cela il faut être là... il faut que l’empereur vous voie...

VALENTINE.

Je vous prierai alors de partir sans moi.

VALDINI.

Et pourquoi ?

VALENTINE.

Pour des raisons... inutiles à vous dire.

VALDINI.

Et que je veux connaître cependant... je le veux, entendez-vous ?... ou sinon je vous emmène... avec moi... dès demain !...

VALENTINE.

Oh ! mon Dieu ! puisqu’il le faut !... Eh bien ! monsieur... j’ai cru m’apercevoir qu’il y avait à Paris... un jeune homme, qui, dans toutes les promenades... dans toutes les sociétés, prenait autant de soin à suivre mes pas, qu’à éviter vos regards...

VALDINI.

Un jeune homme qui vous suivait sans cesse !...

VALENTINE.

Oui, monsieur... depuis longtemps...

VALDINI.

Et jamais... il ne vous a parlé ?...

VALENTINE.

Si, monsieur... toute une soirée... aux Tuileries... pendant que vous étiez près de l’empereur, que vous n’avez pas quitté d’un instant...

VALDINI.

Que vous a-t-il dit ?

VALENTINE.

Il m’a rappelé que, venant de Madrid avec mon père, nous étions tombés entre les mains d’un parti d’insurgés qu’il commandait... qu’il avait protégé mes jours et mon honneur, qu’il nous avait escortés jusque sur les frontières de France.

VALDINI.

Était-ce vrai ?

VALENTINE.

Oui, monsieur... il a ajouté que depuis ce temps il m’aimait... que, malgré ma froideur et mes dédains, il s’attacherait, à mes pas... que rien ne lui coûterait pour se rapprocher de moi... depuis ce temps, je l’ai évité... je ne suis plus sortie.

VALDINI.

Et vous ne l’avez plus revu ?

VALENTINE.

Qu’une fois... au bal de l’ambassadeur d’Espagne, où, malgré mes prières, vous m’avez forcée de me rendre... vous avez passé toute la nuit à jouer... et lui est resté près de moi...

VALDINI.

Eh bien !...

VALENTINE.

Eh bien !... je ne lui répondais pas... mais j’étais bien obligé de l’entendre sous peine de faire un éclat... un scandale... vous ne veniez pas à mon secours... et tout ce que la passion a de plus insensé...

VALDINI.

Et vous ne m’en avez pas parlé dès le soir... dès le lendemain ?...

VALENTINE.

Jaloux et violent comme je vous connaissais, je tremblais pour vous...

VALDINI.

Ou pour lui peut-être ?...

VALENTINE.

Ah ! monsieur...

VALDINI.

Encore un qui mérite une leçon ! et qui l’aura !... son nom ?...

VALENTINE.

Maintenant que nous sommes loin de lui... je ne crois pas nécessaire de vous le dire...

VALDINI.

Son nom... je le veux... ou je croirai que vous êtes d’intelligence...

VALENTINE.

S’il en est ainsi, monsieur, vous ne le saurez pas...

VALDINI.

Vous osez me résister !...

VALENTINE.

Air : Vaudeville de la Robe et les Bottes.

Je ne suis pas si faible qu’on le pense !
Vous avez cru que je manquais de cœur ?
Détrompez-vous !... la violence
Me laisse calme et ne me fait pas peur...
Par les excès où votre cœur s’emporte,
On n’obtient rien... vous pourrez l’éprouver...
Et plus la tyrannie est forte,
Plus je le suis pour la braver.

VALDINI, étonné.

Ah ! je ne vous connaissais pas ainsi... et j’ai tort. Eh bien ! je vous le demande en grâce, je vous en supplie... dites-moi son nom.

VALENTINE.

À condition... et vous me le jurez, que vous n’irez point le défier...

VALDINI.

Je le jure...

VALENTINE.

Sur l’honneur et devant Dieu...

VALDINI.

Sur l’honneur...

VALENTINE, insistant.

Et devant Dieu...

VALDINI, avec insouciance.

Eh bien ! soit... devant Dieu, si vous voulez ! quel est cet amoureux ?

VALENTINE.

Il est Espagnol... il est parent de l’ambassadeur du roi Joseph.

VALDINI.

Et son nom ?...

VALENTINE.

Lara...

VALDINI.

Son rang... ses titres...

VALENTINE.

Je n’en sais pas davantage...

Air du Pot de fleurs.

Sinon, mon cœur franc et sincère
Vous le dirait ! car un pareil aveu
Doit à présent vous prouver, je l’espère...

VALDINI.

Qu’à celui-là vous tenez peu !
Des femmes c’est là le système...
À son mari, l’on nomme ainsi tout bas
Les amants que l’on n’aime pas,
Pour mieux cacher celui qu’on aime...
On nomme ceux qu’on n’aime pas,
Pour mieux cacher celui qu’on aime.

VALENTINE, indignée.

Ah ! vous me punissez bien de mon indiscrétion... et quoi qu’il arrive maintenant, monsieur, je vous jure que je ne dirai rien !

VALDINI.

Et moi je reprends mon serment...

Voyant Geneviève, qui paraît en ouvrant la porte du fond.

Silence ! c’est mademoiselle Geneviève, votre filleule et votre favorite...

 

 

Scène IV

 

VALDINI, VALENTINE, GENEVIÈVE

 

VALDINI, à Geneviève qui s’avance timidement.

Eh bien ! entre donc... que veux-tu ?

GENEVIÈVE.

Pardon, monsieur le colonel, c’était quelque chose que je voulais dire en particulier à ma marraine... je reviendrai dans un autre moment...

Elle veut se retirer.

VALDINI.

Il paraît qu’il y a entre vous des secrets... dont je ne dois pas avoir connaissance...

VALENTINE, froidement.

Reste, Geneviève, et parle devant monsieur...

GENEVIÈVE.

Mais, madame...

VALENTINE,

Dis au colonel ce qui t’amène...

GENEVIÈVE.

C’est que justement il y est pour quelque chose, et qu’il ne devrait pas savoir.

VALDINI, avec colère.

Vous l’entendez...

VALENTINE, froidement et faisant passer Geneviève entre elle et Valdini.

Parle, je te l’ordonne.

GENEVIÈVE.

Si vous l’ordonnez... c’est différent... Il y a donc que je suis désolée, et que j’accours à vous, ma marraine, qui êtes la consolation de tous ceux qui ont du chagrin... parce que je viens de voir Boutilier le maître maçon, qui veut m’épouser... or c’te volonté-là ça me serait égal, ça ne me ferait rien... mais il dit qu’il a aussi pour lui celle de monsieur le colonel... qui lui a promis de parler à mon père...

VALDINI.

C’est vrai !...

GENEVIÈVE.

Alors je suis perdue, parce que mon père, qui est votre concierge, a une peur de notre maître...

VALDINI.

Qu’est-ce que c’est ?...

GENEVIÈVE.

Il le craint comme Satan en personne...

VALDINI.

Eh bien ! par exemple !...

GENEVIÈVE.

Dam !... vous voulez que je parle devant vous... il faut bien que je dise les choses... comme elles sont...

VALDINI.

Ce qui veut dire, en d’autres termes, que tu n’aimes pas Boutilier...

GENEVIÈVE.

Dam !... c’est un bon garçon... qui m’aime bien, lui... mais il est un peu jaloux et brutal, et un mari qui est jaloux et brutal, vous savez bien, ma marraine...

Valentine l’arrête d’un coup d’œil... S’apercevant de sa gaucherie.

Non pas qu’on ne l’aime... mon Dieu ! on l’aime tout de même... il le faut... c’est votre devoir... mais ça n’empêche pas que, si on était sa maîtresse, il y en aurait peut-être d’autres plus gracieux et plus gentils à qui on donnerait la préférence...

VALDINI, fronçant le sourcil.

Qu’est-ce à dire ?

GENEVIÈVE.

Que voilà justement où j’en suis... il y en a un autre.

VALDINI.

Que tu aimes...

GENEVIÈVE.

Tant que j’ai de forces !...

VALDINI.

Et tu oses nous l’avouer ?...

GENEVIÈVE.

Pourquoi donc que je vous tromperais ?... vous n’êtes pas mon mari... vous n’êtes pas mon père... vous êtes mon maître, c’est vrai, mais ma marraine est ma maîtresse.

Air de Turenne.

Et je lui viens adresser ma prière,
Contre vous et votre rigueur.

VALDINI.

Tu n’es donc pas comme ton père,
Que mon aspect fait trembler de frayeur.

GENEVIÈVE.

Oh ! non, vraiment, moi je n’ai jamais peur,
D’êtr’ brave j’ai le privilège.

VALDINI, d’un ton menaçant.

Tu n’as donc pas peur de moi !

GENEVIÈVE.

Nullement.

VALDINI, de même.

Tu n’as pas peur de Satan ?

GENEVIÈVE.

Non, vraiment...

Se rapprochant de Valentine.

Quand mon bon ange me protège.

VALENTINE, effrayée et lui faisant signe de se taire.

Geneviève !...

GENEVIÈVE, avec force.

Oh ! je ne crains rien...

S’arrêtant.

que de faire du chagrin à ma marraine... car elle en a bien assez sans moi...

VALENTINE.

Tais-toi...

VALDINI.

Pourquoi donc l’arrêter ? laissez-la dire... elle est brave celle-là !... elle, a du caractère, et c’est ce que j’aime... Approche... Quel est ton amoureux ?... est-il du pays ?...

Valentine va s’asseoir près de la table.

GENEVIÈVE.

Non, c’est un étranger... un jeune homme... un pauvre prisonnier comme il y en a tant ici à Vendôme... un prisonnier espagnol, employé aux travaux de la ville... il a un air si triste et des yeux noirs si expressifs...

VALDINI.

Y a-t-il longtemps que tu l’aimes ?...

GENEVIÈVE.

Oh ! mon Dieu ! non... ça m’est venu tout de suite... il y a une quinzaine de jours... quand il est arrivé ici, avec le dernier dépôt des prisonniers de guerre...

VALENTINE.

C’est un honnête homme ?...

GENEVIÈVE.

Rien qu’en le voyant, on en est persuadé... et puis si respectueux... si timide... ce n’est pas comme les paysans d’ici...

Air : Vaudeville de l’Homme Vert.

Qui sont d’une hardiesse extrême.
Et qu’il faut toujours repousser,
Car ils vous pinc’nt les bras, et même
Ils veul’ souvent vous embrasser ;
Lui !... c’est sag’ comme un’ demoiselle ;
Avec lui, le pauvre garçon,
Jamais de pein’... pas même celle
De lui dires Finissez donc !

Il ne m’a jamais rien demandé que cette petite croix d’or que j’avais là à mon cou... et j’avais beau lui dire : « Je ne veux pas... ça me vient de ma marraine... c’est elle qui me l’a donnée... » ça n’y faisait rien... au contraire... encore plus entêté... et il a fallu la lui laisser... mais excepté ça...

VALDINI.

Je conçois que Boutilier n’est pas aussi héroïque... et je suis curieux de le voir... tu nous l’amèneras...

GENEVIÈVE.

Il est là... il m’avait prié de le présenter à madame, pour venir aussi réclamer sa protection...

VALDINI.

Et tu laisses ce noble Castillan faire antichambre ? dis-lui donc d’entrer...

GENEVIÈVE.

Oh ! je ne demande pas mieux...

Elle va à la porte du fond qu’elle ouvre en disant.

Entrez... entrez, monsieur José.

 

 

Scène V

 

VALDINI, LARA, habillé en ouvrier, VALENTINE, GENEVIÈVE

 

VALENTINE, apercevant Lara, se lève vivement.

Ô ciel !

GENEVIÈVE, à Valentine.

Il n’est pas mal, n’est-ce pas ?

VALENTINE, troublée.

Oui... sans doute !

VALDINI, à Geneviève.

Allons, tu as raison... il est mieux que Boutilier.

À Lara.

Avance, mon garçon... tu es donc prisonnier de guerre ?...

LARA.

Oui, monsieur le colonel.

VALDINI.

Aussi, je vous le demande, comment de misérables guérillas espéraient-ils résister à la puissance de Napoléon ?...

LARA.

Voilà trois ans que cela dure et ça n’est pas fini !

VALDINI.

C’est que la garde impériale n’y a pas encore marché ! c’est que, nous n’y étions pas, nous autres Piémontais... Où as-tu été pris ?

LARA.

À une bataille où il y avait deux régiments italiens.

VALDINI.

Ah ! c’est ce que je disais ! et où cela ?

LARA.

À Salamanque, où les Espagnols ont été vainqueurs...

VALDINI.

Misérable !...

GENEVIÈVE.

Ce n’est pas sa faute... il n’y était pour rien... puisqu’il a été fait prisonnier...

VALDINI.

C’est juste !... et le pauvre diable n’a pas eu l’intention de nous offenser... tu travailles donc aux terrasses de la ville...

LARA.

Oui, monsieur le colonel...

VALDINI.

Travail pénible !

LARA.

Auquel je suis condamné depuis quinze jours...

Regardant Valentine.

Mais c’est égal !... il y a de bons moments...

VALDINI.

Ceux où tu vois Geneviève...

LARA.

Oui, monsieur...

Regardant Valentine.

Celui-ci, par exemple !

VALDINI.

Outre les travaux de terrasse, entendrais-tu un peu la maçonnerie ?

LARA.

Oui, monsieur, tout ce qu’on voudra !

VALDINI.

Eh bien ! écoute ! quoiqu’on t’ait dit peut-être

Regardant Geneviève.

que j’étais dur et sévère... je suis bon diable au fond et bon enfant, surtout pour les militaires... et pour les ennemis vaincus...

Geste de colère de Lara.

parce qu’on doit des égards aux ennemis vaincus... j’ai besoin d’un ouvrier... j’obtiendrai du commandant qu’il te laisse, travailler, chez moi...

LARA, vivement.

Ah ! c’est tout ce que je demande...

GENEVIÈVE, vivement.

Quel bonheur !

VALENTINE, de même.

Mais monsieur, y pensez-vous ?

GENEVIÈVE.

Pourquoi pas ?... laisse donc faire ; ma marraine ! vaut mieux qu’il soit ici ?...

VALDINI.

Sans doute... il sera mieux payé, mieux nourri...

GENEVIÈVE.

Enfin il aura des douceurs qu’il n’avait pas...

VALDINI.

Et puis, dans quelque temps, si on est content de lui... si c’est un bon ouvrier... on verra à se décider entre lui et Boutilier...

GENEVIÈVE.

Ah ! si vous faites un trait comme celui-là...

VALDINI.

Tu m’offres la paix...

GENEVIÈVE.

À l’instant même...

VALDINI.

À la bonne heure !... j’aime à faire alliance avec les braves...

Il lui tend la main.

Touche-là...

À part et la regardant.

Au fait elle est gentille cette petite, et ils pourraient bien ne l’avoir ni l’un ni l’autre...

Haut.

Je vais écrire au commandant, qui est notre voisin...

GENEVIÈVE.

Moi, je porterai la lettre et reviendrai avec la réponse...

Bas à Valentine.

Parlez-lui, ma marraine...

À Lara.

Attendez-moi ici, monsieur José...

VALENTINE, à Valdini qui sort avec Geneviève.

Je vous suis, monsieur...

VALDINI, brusquement.

À quoi bon ?... je n’ai pas besoin de vous pour écrire une lettre... ne vous dérangez pas !... viens, Geneviève...

Il sort avec Geneviève par la porte à droite.

 

 

Scène VI

 

LARA, VALENTINE

 

LARA, à Valentine qui fait quelques pas pour sortir.

Eh quoi ! madame, même en ce château, vouloir encore me fuir ! m’envier un instant de bonheur que je paierais au prix de mes jours !...

VALENTINE.

Pourquoi venez-vous ici ?

LARA.

Parce que vous y êtes !... parce que je ne puis vivre sans vous, et que je vous l’ai dit, mon destin est de vous suivre partout où vous irez !...

VALENTINE.

Et que vous ai-je fait, monsieur, pour vous jouer ainsi de mon repos et de mon honneur ?

LARA.

Moi ! plutôt mourir ! aussi, vous le voyez, pour ne pas vous compromettre, j’ai pris la feuille de route d’un de mes malheureux compatriotes ; je suis venu ici à sa place comme un esclave, comme un forçat !... Mais que m’importaient le soleil brûlant et les travaux les plus durs ?... que m’importaient les mauvais traitements, la honte, l’humiliation ? J’étais près de vous... je vous voyais... oui, je vous ai vue... vous avez passé près de moi, et vous ne vous doutiez pas que ce malheureux ouvrier qui travaillait, penché sur la route, aurait donné sa vie pour tomber à vos pieds et vous dire : C’est moi... moi qui vous aime !

VALENTINE.

Monsieur !...

LARA.

Mais je ne l’ai pas dit !... j’ai gardé le silence... et, craignant que ma vue ne vous arrachât un cri de surprise, j’ai eu le courage... j’ai eu l’amour de ne pas vous regarder, et vous doutez encore de moi ?...

VALENTINE.

Non, monsieur... Mais qui vous a permis de vous exposer à de pareils dangers ?...

LARA.

Eh ! qui vous a donné le droit de me les défendre ?... Depuis le jour où, en Espagne, vous fûtes ma prisonnière, jusqu’à ce moment où je suis à vos pieds... ai-je reçu de vous une seule preuve d’amitié qui m’enchaîne par la reconnaissance et me force à vous obéir ?... Ah ! s’il en était ainsi... si j’étais aimé de vous... vous m’auriez qu’à commander... vous me diriez... « Éloigne-toi, fuis les regards... souffre en silence... » j’obéirais à l’instant sans murmurer, sans me plaindre... ce serait mon devoir... celle qui m’aime me l’aurait ordonné... Mais vous... je ne vous dois rien... je suis maître de mes jours... je puis les exposer... pour les conserver, il faudrait qu’ils vous fussent chers !...

VALENTINE.

Monsieur... je ne puis ni ne dois vous répondre... mais j’ai pitié de l’état où je vous vois... vous ignorez quel est mon mari...

LARA.

Un homme qui ne vous méritait pas... un homme qui vous rend malheureuse et qui paiera, de son sang les tourments qu’il vous fait souffrir...

VALENTINE.

On vous a trompé !... mon mari est digne de mon estime et de toute ma tendresse... Ses torts, quand même il en aurait, ne légitimeraient pas les miens... et ne me donneraient pas le droit de trahir des devoirs que je respecte, que j’aime, et auxquels je serai fidèle !...

LARA.

Soit !... moi, je reste ici.

VALENTINE.

Non, monsieur, vous écouterez la voix de la raison... vous sortirez de ce château.

LARA.

Pourquoi donc ?... c’est votre mari qui m’y retient... qui veut que je demeure ici... près de vous... et avant de mourir je refuserais un pareil bonheur... le premier qui me soit arrivé... Non, madame... je ne vous quitterai pas... mon parti est pris !

VALENTINE.

Et le mien aussi... car songez-y bien, monsieur, c’est vous qui le voulez... c’est vous qui m’y forcez... je dirai tout à mon mari...

LARA, froidement.

Comme vous voudrez...

VALENTINE.

Je vous en prie encore... ne m’y obligez pas ! faites bien vos réflexions...

LARA.

Elles sont faites... Je suis chez lui... sans défense... il me tuera, soit...

Air de Lantara.

Ainsi jadis le sort des armes
Vous fit tomber en mon pouvoir.
Je suis au vôtre !... et sans alarmes,
J’attends mon sort, faites votre devoir !
Mais si je meurs... c’est là mon seul espoir,
Vous vous direz : Par lui je fus chérie,
Et mon mépris a payé ses amours !
Vous vous direz : Il m’a sauvé la vie,
Et sans pitié, moi, j’ai livré ses jours.

VALENTINE, les mains jointes.

Monsieur !

Apercevant Valdini qui entre.

Ah ! mon Dieu ! le voici !...

 

 

Scène VII

 

LARA, VALDINI, VALENTINE

 

VALDINI, en entrant.

Ma foi, monsieur le commandant est fort aimable et surtout fort expéditif... il m’a fait répondre sur-le-champ par Geneviève qu’il m’accordait la permission demandée... Ainsi, mon cher ami, Navarrais, Maure ou Castillan, qui que vous soyez, vous n’êtes plus obligé de retourner ce soir à la ville... vous resterez au château...

LARA.

Je vous remercie, monsieur... ainsi que madame...

VALDINI.

Et demain, au point du jour, à l’ouvrage...

LARA.

Soyez tranquille... ce n’est pas le travail qui m’effraie, et pour peu que l’on me garde ici quelque temps...

VALDINI.

Un mois ou deux... peut-être plus... quand on est une fois dans les ouvriers...

À Valentine qui fait un geste d’émotion.

Qu’avez-vous, madame ?...

VALENTINE.

Monsieur... je désirerais vous parler...

VALDINI.

Eh ! mon Dieu ! vous êtes bien émue...

VALENTINE.

Ce n’est pas sans raison... et j’accepte pour aujourd’hui... à l’instant même la proposition que vous m’avez faite ce matin...

VALDINI.

Laquelle ?

VALENTINE.

Celle de retourner sur-le-champ à Paris !

LARA, à part, avec effroi.

Grand Dieu !

VALDINI.

En voici bien un autre ! quel nouveau caprice vous prend ?... et les motifs qui vous engageaient à rester ici ?...

VALENTINE.

Ce sont ceux-là même qui me forcent à partir...

VALDINI.

Comment cela ?

VALENTINE.

Apprenez, monsieur, que la personne dont je vous ai parlé... cette personne qui, malgré moi, me poursuivait de sa tendresse et de ses assiduités...

LARA, à part.

Ô ciel !...

VALDINI.

Eh bien !... achevez.

VALENTINE.

Eh bien !... elle a quitté Paris... elle est ici à Vendôme... je n’en puis douter...

VALDINI.

Comment le savez-vous ?

VALENTINE, montrant Lara.

Par monsieur qui le connaît... qui l’a vu, qui l’a rencontré ce matin...

VALDINI, à Lara.

Ah ! tu le connais... et il est près de nous... à Vendôme ?

LARA.

Oui, monsieur !...

VALDINI.

Parbleu ! j’en suis enchanté... et nous allons donc enfin...

 

 

Scène VIII

 

GENEVIÈVE, VALDINI, VALENTINE, LARA

 

GENEVIÈVE, entrant par le fond et accourant.

Monsieur le colonel !... monsieur le colonel !

VALDINI.

Eh bien ! qu’a donc cet autre avec son air effaré ?... qu’est-ce que c’est ?...

GENEVIÈVE, toute essoufflée.

Il y a qu’un homme à cheval... un courrier... j’étais là près de la grille... il vous a demandé...

VALDINI.

Eh bien ?

GENEVIÈVE.

Eh bien !... il était arrivé à bride abattue... il est reparti de même...

VALDINI.

Et il n’y a pas autre chose ?...

GENEVIÈVE.

Ah !... qu’une lettre qu’il m’a quasiment jetée au nez et dont mon père lui a donné reçu... un grand cachet vert.

VALDINI.

Eh ! donne donc...

GENEVIÈVE, lui donnant la lettre.

Et il court encore... sans attendre la réponse...

VALDINI, jetant les yeux sur la lettre.

Ô ciel !... cette écriture...

Il décachète la lettre avec agitation.

VALENTINE.

Qu’avez-vous donc, monsieur ?... d’où vient un trouble aussi grand ?...

GENEVIÈVE, le regardant aussi.

Ah ! mon Dieu !... il tremble.

VALDINI, avec colère.

Moi, trembler !...

GENEVIÈVE.

Pardon, notre maître... je ne m’y connais pas... et l’on peut s’y tromper...

À part et remuant ses mains tremblantes.

vu qu’il était là juste comme quelqu’un qui aurait peur...

VALDINI, à part, lisant toujours avec trouble.

Ah ! mon Dieu !...

À Valentine.

C’est une lettre... d’un ami... un ancien ami que j’espérais... c’est-à-dire, depuis longtemps je croyais l’avoir perdu...

Il continue à lire pendant quelques instants, puis en lisant, il dit.

Que faire, Geneviève ?...

GENEVIÈVE.

Notre maître ?...

VALDINI.

Dis à Baptiste d’amener des chevaux de poste...

VALENTINE, avec joie.

À la bonne heure !

VALDINI.

Ou plutôt... non !...

À lui-même.

D’ici à Blois... la distance n’est pas grande... et je rencontrerai sans doute en chemin... je pars à l’instant.

Il fait quelques pas pour sortir.

VALENTINE, avec joie.

Avec moi !... c’est bien... vous m’emmenez !

VALDINI, brusquement et s’arrêtant.

Vous emmener !... parbleu ! non... c’est impossible...

À Geneviève.

Fais-moi seller un cheval...

VALENTINE, étonnée.

Comment, monsieur...

VALDINI, avec colère.

Ne puis-je faire un pas, m’absenter, m’occuper de mes affaires... sans avoir là une femme continuellement à mes côtés ?...

VALENTINE.

Monsieur...

VALDINI.

Vous resterez !...

LARA, qui est passé à gauche du théâtre, toujours un peu dans le fond.

Quel bonheur !

VALENTINE, à demi-voix.

Monsieur, monsieur, vous n’y pensez pas, partir sans moi, me laisser seule ici... après ce que je viens de vous apprendre... quand je vous ai prévenu des desseins de quelqu’un...

VALDINI.

Eh ! madame... ou dirait que vous le craignez.

VALENTINE.

Moi !...

VALDINI.

Et pour un jour... pour quelques heures, votre vertu ne peut-elle se garder elle-même ?... ne peut-elle se défendre si elle n’a pour remparts ou pour auxiliaire la présence assidue d’un mari ?... je vous le répète, un ordre de l’empereur...

GENEVIÈVE.

Vous disiez... la lettre d’un ami...

VALDINI, avec colère.

Qu’importe !... une affaire indispensable m’oblige à partir seul... à l’instant même... mais, à mon retour, je verrai cet amant mystérieux...

Allant vers Lara.

Ce Lara... cet Espagnol...

À Lara.

Et puisque tu le connais...

LARA.

Oui, monsieur... il est officier comme vous !...

VALDINI.

Eh bien ! tu me donneras les moyens de me trouver avec lui !...

LARA.

Dès demain... quand vous voudrez...

VALDINI.

C’est bon... c’est bon... viens avec moi... je vais te donner un mot pour lui.

Lara regarde un moment Valentine en silence et sort avec Valdini par la porte à droite de l’acteur.

 

 

Scène IX

 

GENEVIÈVE, VALENTINE

 

VALENTINE.

Je ne puis en revenir encore !... quelle affaire si importante peut l’obliger à s’absenter dans un pareil moment... lui d’ordinaire si défiant, si jaloux !...

GENEVIÈVE.

Voyez-vous, madame, je l’observais pendant qu’il lisait cette lettre... il faut qu’elle renferme quelque chose de diabolique... car lui qui ne s’émeut pas aisément, n’était pas à son aise... les gouttes de sueur lui découlaient du front.

VALENTINE.

Tu crois...

GENEVIÈVE.

C’est quelque trahison...

VALENTINE.

Comment la connaître ?...

GENEVIÈVE.

Soyez tranquille... j’observerai... j’écouterai... Je suis partout... on ne se méfie pas de moi... et puis je ne suis pas comme vous... je n’en ai pas peur... Qu’est-ce qu’il peut me faire ?... il ne me tuera pas... la garde impériale ne tue pas les femmes...

VALENTINE.

Air : Vaudeville de la Somnambule.

N’importe, et surtout prends bien garde !

GENEVIÈVE.

Ma bonn’ maîtress’, ne craignez rien,
C’est mon affair’, ça me regarde,
De vous servir je trouverai l’moyen,
Aider un’ femme à sortir d’esclavage.
Contr’ son mari la défendre... voilà
Une bonne action, et peut-être en ménage
Une autre un jour me le rendra.

On sonne.

C’est monsieur qui sonne... je vais dire à mon père de seller un cheval... et puis j’irai préparer ses effets de voyage... et si, chemin faisant, je peux saisir quelque chose... Mais vous, madame, qui êtes restée avec mon prétendu... comment le trouvez-vous ?

VALENTINE.

Très bien...

GENEVIÈVE.

Il est gentil, n’est-ce pas ? Lui avez-vous promis votre appui... lui avez-vous donné quelques bonnes paroles ?...

VALENTINE.

J’ai fait ce que j’ai pu...

GENEVIÈVE.

Il en sera bien reconnaissant et il vous sera dévoué comme moi... car avant même de vous connaître... il me parlait toujours de vous ; il vous aimait déjà. Ainsi, maintenant qu’il est de la maison, et qu’il va vous voir tous les jours...

On sonne encore.

J’y vais... j’y vais...

Elle va pour sortir par la droite ; mais se ravisant.

Ah ! ce cheval que j’oublie... On n’a jamais le temps de dire un mot.

Elle sort en courant par le fond.

 

 

Scène X

 

VALENTINE, s’asseyant à droite

 

Elle a raison ! c’est terrible à penser ! mais que puis-je faire de plus ? dire à mon mari : Cet amant... le voici, il est là, devant vos yeux...

Elle se lève et marche avec agitation.

Mais c’est un duel... un duel à mort, et j’en serai cause... moi qui voulais au contraire faire tout au monde pour éviter une pareille rencontre... Pourvu que déjà elle n’ait pas eu lieu... car enfin tout à l’heure ils sont sortis ensemble, et je ne sais quel pressentiment !...

Apercevant Lara qui entre par le fond, et poussant un cri de joie.

Ah ! c’est lui !... je respire...

 

 

Scène XI

 

VALENTINE, LARA

 

VALENTINE, avec inquiétude.

Eh bien ! monsieur... eh bien !...

LARA.

Ah ! comme vous êtes tremblante !... est-ce pour moi ?... c’est la première faveur que vous m’auriez accordée.

VALENTINE.

Qu’est-il arrivé ?...

LARA, froidement.

Rien, madame... rien que de très simple, il m’a chargé de porter à Lara un cartel... il l’aura demain.

VALENTINE, avec effroi.

Oh ! mon Dieu !... et mon mari ?

LARA.

Il attend que son cheval soit prêt, et va partir.

VALENTINE, avec crainte.

Et vous, monsieur ?

LARA, froidement.

Je vous l’ai dit, madame... je reste.

VALENTINE.

Malgré mes prières...

LARA, avec douceur.

Mais elles sont cruelles, elles sont inhumaines... maintenant plus que jamais... car enfin, vous pouvez bien me supporter jusqu’à demain. Laissez-moi quelques heures encore jouir de votre présence... respirer le même air que vous... que votre pitié aille jusque-là... C’est ma prière à moi, et les dernières prières sont sacrées...

VALENTINE.

Que dites-vous ?

LARA.

Que demain... je vous le promets... vous serez délivrée de mes assiduités... et moi d’une existence que je n’ai pas le courage de supporter depuis qu’elle vous est odieuse...

VALENTINE.

Eh bien ! monsieur, puisque la crainte même de ma haine ne peut rien sur vous, puisque mes supplications vous semblent cruelles, je ne vous en adresse plus... mais j’ai encore espoir en votre générosité... Je ne vous dirai plus qu’un mot... et, si après l’avoir entendu, vous refusez de partir, je n’aurai plus pour vous que du mépris.

LARA, vivement.

Parlez.

VALENTINE.

Oh ! mon Dieu ! pardonnez-moi ! vous voyez que j’y suis forcée...

À Lara.

Eh bien ! monsieur !... vous me disiez tout à l’heure, que si vos jours m’étaient chers, vous m’obéiriez sans hésiter ?

LARA.

Achevez.

VALENTINE.

Eh bien ! monsieur... eh bien !... je vous aime.

Lara pousse un cri de joie, elle reprend vivement.

Et si maintenant vous hésitez à m’obéir, vous n’êtes plus dangereux pour moi, car j’aurai cessé de vous estimer.

LARA.

Je pars, je quitte ce château ! vos ordres seront exécutés... Quel temps fixez-vous à mon, exil ?...

VALENTINE.

Toujours...

LARA.

Quoi ! ne plus vous revoir !...

VALENTINE.

Jamais !... vous l’avez voulu, et maintenant votre absence éternelle peut seule effacer à mes yeux l’humiliation d’un tel aveu.

LARA.

Air nouveau de M. Hormille.

Vous avez reçu ma promesse,
À vos ordres je me soumets,
Mais craignant de manquer sans cesse
Aux serments que je vous ai faits,
J’irai terminer une vie
Que proscrivirent vos refus ;
Ainsi vous serez obéie,
Ainsi vous ne me verrez plus !

VALENTINE, voulant le retenir.

Monsieur !...

LARA.

Je vais au pont de Valizi, et si je ne peux vous désarmer... si, d’ici à ce soir, vous me révoquez pas mon arrêt... tout sera fini pour moi.

VALENTINE, joignant les mains de désespoir.

Oh ! mon Dieu !

LARA.

M’accordez-vous ma grâce ?... me permettez-vous de vous revoir ?...

VALENTINE, avec effort, et après un instant de silence.

Partez... faites ce que vous voudrez ; le reproche n’en sera pas à moi...

Lara sort par la porte du fond.

 

 

Scène XII

 

VALENTINE, qui s’assoit sur un fauteuil, GENEVIÈVE, sortant de la porte à droite, sur la pointe du pied

 

GENEVIÈVE, à demi-voix.

Madame... madame...

VALENTINE, effrayée.

Ah ! lui encore... non, Geneviève !...

GENEVIÈVE.

Monsieur vient de partir au galop... Son cheval est déjà sur la grande route... et si vous tenez toujours à connaître la cause de son voyage...

VALENTINE.

Tu la sais ?...

GENEVIÈVE.

En entier... et je crains même d’avoir été trop loin... Mais le mal était fait, il n’y avait plus à revenir.

VALENTINE.

Parle vite.

GENEVIÈVE.

Je suis entrée en lui disant : le cheval est prêt... Monsieur ne l’était pas encore. Il était devant sa glace, à mettre un foulard... une cravate de voyage... et moi je me hâtais de fermer sa petite valise. Il y avait là, sur la table, sa montre et sa bourse, son portefeuille... mais plus de lettres... Il venait de les jeter, avec d’autres papiers, dans son secrétaire à secrets qui était encore ouvert... Je distinguais même parmi les papiers, non pas cette maudite lettre qui était à moitié cachée... mais le grand cachet vert que je reconnaissais très bien. Après cela, pour oser y toucher, il n’y avait pas moyen ; car monsieur était là, derrière moi, et pouvait même me voir dans la glace... Tout-à-coup il se retourne, appelle son valet de chambre. « Mon manteau ! où est mon manteau ? »

Valentine se lève.

Dans son impatience, il entre un instant dans son cabinet... et soudain, comme par un mouvement involontaire, j’avais saisi la lettre... je l’avais cachée là...

Montrant le haut de son corset.

En ce moment le cheval piaffait dans la cour... la valise était prête... Monsieur rentre... ferme vivement son secrétaire... le ferme à double tour, met la clef dans sa poche, s’élance à cheval... Il part, et moi je reste... avec la lettre... la voici.

Elle lui donne la lettre.

VALENTINE, comme ayant pris sa résolution.

Donne... l’as-tu lue ?

GENEVIÈVE.

Oui, madame... Si c’est un péché... je n’en sais rien ; mais pendant que j’y étais, il n’en coûtait pas plus... et vous allez en apprendre de belles.

Ici l’orchestre rappelle l’air du dernier couplet chanté par Lara. Musique jusqu’à la chute du rideau.

VALENTINE, qui a parcouru la lettre, et qui pousse un cri d’horreur.

Ah !... qu’ai-je lu ?... J’avais tout supporté... mais cet excès d’opprobre et d’avilissement... moi qui lui immolais mon repos... ma vie... cent fois plus encore !...

Poussant un cri.

Ah ! et ce malheureux jeune homme... ces menaces de tout à l’heure...

Elle va à la table, prend une plume et écrit.

Geneviève... va vite... cours sur le pont de Valizi... tu y trouveras...

GENEVIÈVE.

Qui donc ?

VALENTINE.

Cet Espagnol...

GENEVIÈVE.

Mon amoureux ! que va-t-il y faire à cette heure-ci ?...

VALENTINE.

Que t’importe ? remets-lui ce billet.

GENEVIÈVE.

Et après ?

VALENTINE.

Rien de plus... reviens vite.

GENEVIÈVE.

Sans lui ?

VALENTINE.

Certainement... pourvu qu’il soit temps encore.

GENEVIÈVE.

Est-ce qu’il y a du danger ?

VALENTINE.

Peut-être...

GENEVIÈVE, poussant un cri.

Ah ! j’y cours !

Elle s’élance par la porte du fond et disparaît. Valentine tombe sur son fauteuil.

 

 

ACTE II

 

Le théâtre représente l’intérieur de la chambre de Valentine ; une large croisée au fond, ornée de draperies élégantes. À droite de l’acteur, au deuxième plan, la porte d’un placard ou armoire excessivement étroite, et n’ayant aucun jour. Du même côté, au premier plan, la chambre de Geneviève. À gauche, une porte latérale conduisant au cabinet de Valdini, et descendant au rez-de-chaussée. Sur le premier plan du même côté, une petite table de travail, sur laquelle brule une lampe, et où se trouvent quelques pièces d’ouvrages de femme. Au fond, du côté de la porte, une autre petite table ronde. Un portrait de femme au-dessus de la porte du placard à droite.

 

 

Scène première

 

LARA, seul

 

Il entre par la fenêtre du fond et s’avance avec précaution.

Sa chambre... c’est bien ici... personne ne m’a vu... je lui ai obéi.

Regardant le billet.

« Je vous attends ce soir ; venez, et tâchez de ne pas être aperçu. »

Regardant de tous côtés.

Cette fenêtre... heureusement qu’une échelle était à quelques pas...

Il ferme la fenêtre. À lui-même et avec bonheur.

Est-ce un rêve ? elle me rappelle en secret... moi !... moi !... Après l’aveu qu’elle m’a fait, et lorsque son mari est absent !... je n’ose y croire encore !

Regardant autour de lui.

Assurons-nous d’abord que nous ne pouvons être surpris...

Écoutant à une porte, à droite.

Cette porte !... c’est la chambre de Geneviève... car je l’entends... pauvre petite !... je me reproche de l’avoir trompée... mais je n’avais pas d’autre moyen !...

Allant vers la porte à gauche qui est entr’ouverte.

De ce côté les appartements et le cabinet du colonel ?... Cet amas de briques... ces sacs de plâtre... près de la cheminée... c’est là sans doute que travaille Boutilier... celui qui devait être mon général...

Allant à la petite porte à droite.

Et cette autre porte ?...

Il l’ouvre.

Une espèce de porte-manteau... un placard étroit... sans jour et sans issue... rien à craindre de ce côté.

Il la referme.

C’est bien... attendons-la...

Il s’assied, à droite, auprès de la chambre de Geneviève.

Elle ne peut tarder... et, dès qu’elle aura pu s’échapper... je ne me trompe pas !... un pas léger... un pas de femme... le cœur me bat...

Il se lève.

C’est elle...

Il va au devant de Valentine qui entre.

 

 

Scène II

 

LARA, VALENTINE

 

LARA, courant à elle.

Valentine !...

VALENTINE, émue.

C’est vous ?... Je l’espérais !... pas de bruit !... Geneviève est là qui pourrait mous entendre !... asseyez-vous...

Elle se place sur un fauteuil à gauche, et montre à Lara une chaise auprès d’elle.

LARA.

Vous êtes émue, tremblante ?...

Il s’assied à la droite de Valentine.

VALENTINE.

Je l’avoue... une telle révolution dans ma vie !... une démarche si extraordinaire... si hardie !... n’importe !... écoutez-moi, Lara !... m’aimez-vous assez pour tout me sacrifier, pour m’obéir sans hésiter ?...

LARA, vivement.

Pouvez-vous en douter ?... ordonnez... disposez de moi...

VALENTINE.

Eh bien ! vous allez me connaître !... Quelques jours avant la mort de mon père qui devait tout à Napoléon, j’ai été mariée, jeune, sans expérience... Je ne fus pas même consultée !... l’empereur avait dit : « Je le veux !... » et ce mot tenait lieu des convenances que l’on cherche dans un mariage !... J’étais disposée à aimer mon mari... et, pendant trois ans d’une existence bien malheureuse... Dieu m’est témoin qu’il ne m’est pas échappé une plainte, un murmure... Malgré l’aveu que je vous ai fait ce matin, et que je n’ai prononcé que pour contraindre votre générosité à respecter ma solitude, vous savez si j’ai jamais encouragé vos poursuites, si je vous ai donné, par un mot... un regard... la plus faible espérance !... Non !... je serais restée là... toute ma vie, triste, résignée... parce que souffrir près de lui me semblait mon devoir.

Air du Baiser au porteur.

Mais ce devoir il l’a trahi lui-même.
Tous nos nœuds par lui sont rompus ;
Il n’est ni loi, ni puissance suprême,
Qui maintenant m’enchaîne un jour de plus.
À l’homme enfin que je n’estime plus...
Peines, chagrins dans le fond de notre âme,
Je sais qu’il faut tout souffrir en secret.
Oui, tout...

Avec noblesse.

Du moins tant qu’une femme,
Ne rougit pas du nom qu’elle portait.

LARA.

Comment !

VALENTINE, lui donnant une lettre.

Lisez cette lettre adressée à Valdini...

LARA, jetant les yeux sur la lettre.

De Turin !...

VALENTINE.

Son pays !... Il y allait deux fois par an...

LARA, regardant la signature.

Et c’est d’une femme !... « BIANCA MALFIERI... »

VALENTINE.

Lisez !...

LARA, lisant.

« Voilà six mois que je vous attends... vos lettres ont cessé tout-à-coup... et je ne sais plus à quoi attribuer votre silence ?... D’étranges bruits me sont parvenus... et ont pénétré jusque dans la retraite où je suis forcée de vivre... depuis notre mariage... »

S’interrompant.

Son mariage !...

VALENTINE.

Continuez !...

LARA, continuant.

« Je ne veux pas y ajouter foi !... S’il était vrai pourtant, comme on me l’assure... que depuis cette union secrète contractée à Turin... par ambition, peut-être, par espoir de cette fortune immense que mon père n’avait pas encore perdue... vous eussiez osé vous remarier en France !... s’il était vrai que ce nouvel hymen fût avoué... public !... au mépris de mes droits ? Je le saurai... je pars à l’instant même... Si vous êtes coupable... tremblez... j’ai les moyens de démasquer un traître... et de reprendre la place qui m’appartient ! »

Après un moment de silence.

Il serait possible !... le colonel !... Ah ! ce n’était pas sans raison que je le haïssais...

VALENTINE.

Son trouble en recevant cette lettre... son départ subit... ne pouvaient me laisser aucun doute... je n’ai pas cherché à en savoir davantage !... Peu m’importe quelle est de nous deux la véritable victime d’une semblable trahison... Ou ce premier mariage est faux ; alors c’est un infâme auprès de qui je ne pourrais plus vivre... ou il est vrai... et moi je ne suis pas sa femme, son nom n’est pas le mien... et je dois le quitter sur-le-champ !...

LARA, avec joie.

Quel est votre dessein ?

VALENTINE.

De nous séparer pour jamais... de demander un divorce que nos lois autorisent.

LARA, vivement, lui rendant la lettre.

Et que cette lettre suffit pour faire prononcer.

VALENTINE.

Vous croyez ?... Mais j’ai tout à redouter de sa violence... de sa jalousie... c’est loin de lui que je formerai cette demande... je pars, je quitte cette maison pour toujours !

LARA.

Ô ciel !

VALENTINE.

Dans deux heures, une voiture et des chevaux m’attendront à la petite porte du parc...

LARA.

Seule, sans guide, sans défenseur... je vous suivrai, je ne vous quitte plus.

VALENTINE.

Non, non... je pars seule... je le veux... mais devant Dieu, Valdini n’est plus rien pour moi... je ne lui appartiens plus... et dès que les juges auront prononcé... dès que je serai libre aux yeux des hommes... je suis à vous pour toujours, Lara.

LARA.

Ah ! me vie entière passée à vos pieds, à prévenir vos moindres vœux.

VALENTINE.

Lara !...

Prêtant l’oreille avec frayeur.

Écoutez !...

LARA.

Quoi donc !...

VALENTINE, de même.

Le bruit d’un cheval qui entre dans la cour... si c’était !... à cette heure ! ô mon Dieu !...

Elle court à la fenêtre.

C’est lui... c’est mon mari !...

LARA.

Le colonel...

VALENTINE.

Malheureuse !...

LARA.

Calmez-vous !... ne suis-je pas là ?...

VALENTINE.

Ce serait nous perdre... il nous tuerait tous deux sur la place !... fuyez, je vous en conjure... je vous le demande à genoux...

LARA, montrant la porte sur le devant à droite.

Eh bien !... cette porte...

VALENTINE.

C’est la chambre de Geneviève... elle vous verrait !...

LARA, courant à la fenêtre.

Cette fenêtre...

VALENTINE.

Tous nos gens sont rassemblés dans la cour pour le recevoir !...

LARA, montrant la porte à gauche.

De ce côté...

VALENTINE.

Il vous rencontrerait... j’entends déjà ses pas dans l’escalier...

LARA.

Et je suis sans armes...

Courant au petit porte-manteau.

Ah !... là !...

VALENTINE, voulant l’arrêter.

Ô ciel !... y pensez vous ?... sans issue... sans air... à peine pourriez-vous y respirer...

LARA.

N’importe... votre salut avant tout...

Il se jette dans le cabinet et referme la porte.

VALENTINE, ôtant la clef.

Ah !... je me soutiens à peine...

 

 

Scène III

 

VALENTINE, GENEVIÈVE, sortant de sa chambre une lumière à la main

 

GENEVIÈVE.

Madame !... madame...

VALENTINE.

Que veux-tu ?...

GENEVIÈVE.

De ma fenêtre qui donne sur l’avenue, j’ai reconnu monsieur... il va encore gronder de ce que l’escalier n’est pas éclairé...

VALENTINE, troublée.

Qui peut le ramener si vite ?...

GENEVIÈVE, qui va pour l’éclairer.

Le voici !...

 

 

Scène IV

 

VALENTINE, GENEVIÈVE, VALDINI

 

En entrant il jette son manteau de côté sur la chaise qui se trouve auprès du fauteuil sur lequel Valentine est assise.

VALDINI, avec humeur à Geneviève.

Il est bien temps !... j’aurais pu me briser la tête mille fois !...

GENEVIÈVE.

Dam ! monsieur... personne ne vous attendait... vous aviez dit...

Elle allume les flambeaux qui sont sur la table.

VALDINI, brusquement.

J’avais dit... j’avais dit... ce n’est pas une raison pour négliger son devoir...

Il donne son chapeau à Geneviève.

Mais dès que j’ai le dos tourné... cette maison est si bien conduite...

Regardant sa femme.

Parce que personne ne s’en occupe... qu’on aime mieux rêver, soupirer... que de veiller à son ménage !...

VALENTINE, d’une voix tremblante.

C’est ma faute, monsieur... je ne prévoyais pas... et en votre absence j’avais permis à Geneviève d’aller se reposer...

GENEVIÈVE.

Oh ! mon Dieu ! j’allais me coucher... Baptiste est malade... je me suis rhabillée, dar, dar... dar...

Remettant quelques épingles.

Et Dieu sait comment...

VALDINI, sèchement.

Il suffit...

GENEVIÈVE, à part.

Il est encore plus gai que de coutume...

Regardant Valentine.

Ma marraine est trop bonne... Hum !... si j’avais un mari comme ça...

VALDINI, à Geneviève.

Qu’est-ce que c’est ?

GENEVIÈVE.

Rien !... Je disais que si monsieur avait besoin de quelque chose...

VALDINI.

Le souper dans une demi-heure... je vous sonnerai.

Il se jette dans un fauteuil à droite du théâtre.

VALENTINE, le voyant.

Quoi ! monsieur, vous allez vous établir ici ?

VALDINI.

Est-ce que je vous gêne ?

VALENTINE.

Non... mais je suis souffrante... et...

VALDINI, la regardant.

En effet... vous êtes pâle, les traits décomposés... Qu’est-ce que cela signifie ? qu’est-ce que vous avez ?...

GENEVIÈVE, à mi-voix.

On ne pourra plus être malade à présent... pas la moindre distraction !...

VALENTINE, se remettant.

Un peu de fatigue peut-être... ce ne sera rien, sans doute... mais je me sens d’une faiblesse...

VALDINI.

Raison de plus pour ne pas m’éloigner !... Le devoir d’un bon mari est de soigner sa femme... Je ne vous quitterai pas de la soirée...

VALENTINE, à part.

Ô ciel !...

GENEVIÈVE, de même.

S’il se met à nous adorer... ça ne sera plus tenable.

VALDINI.

Geneviève, dis que l’on apporte le souper ici... près de ma femme.

VALENTINE.

Monsieur... puisque vous ne voulez pas descendre, ne peut-on vous servir dans votre cabinet ?...

VALDINI.

Impossible !... Cet imbécile de Boutilier y a déjà tout bouleversé... des plâtras... une poussière...

GENEVIÈVE.

Dam ! il a voulu travailler en votre absence...

VALENTINE.

Que l’on croyait plus longue...

VALDINI, avec ironie.

Vous l’espériez ?...

VALENTINE, troublée.

Moi ?... non, monsieur ;

Insistant.

mais je vous l’ai dit, je suis souffrante... très souffrante... C’est bien le moins qu’une femme soit libre dans son appartement, et comme j’allais me coucher quand vous êtes arrivé...

VALDINI, froidement.

Non !...

Montrant son ouvrage préparé sur la table.

Vous alliez travailler !... travailler ou causer... l’un n’est pas plus fatigant que l’autre...

VALENTINE, résignée, et s’asseyant auprès de la table.

Soit, monsieur...

GENEVIÈVE, à part, et préparant la table de côté.

Elle est trop bonne...

VALDINI.

J’ai à vous parler.

VALENTINE, le regardant avec intention.

De votre voyage ?

VALDINI, avec aplomb.

Oui... de mon voyage.

GENEVIÈVE, près de la table.

Faut que l’ami que vous avez été voir ne vous ait pas bien reçu... Nous en avons le contrecoup...

VALDINI, sèchement.

Qui est-ce qui vous interroge ?...

Regardant sa femme.

Si des personnes, dont je blâme la faiblesse, sont d’humeur à souffrir vos impertinences... songez à les réprimer devant moi... je ne les supporte pas...

VALENTINE.

Monsieur !...

VALDINI, se contraignant. Il se lève.

Du reste, cela finira bientôt... car vous partirez demain à la pointe du jour avec votre maîtresse qui retourne à Paris...

Geneviève remonte le théâtre et va s’occuper de la petite table au fond.

VALENTINE, étonnée.

Moi ! monsieur...

VALDINI.

Ne me l’avez-vous pas demandé ce matin ?... Et si je vous ai refusé... j’ai eu tort... je le reconnais... et je m’empresse, vous le voyez, de faire vos volontés...

VALENTINE.

Je vous avoue, monsieur, qu’un changement de résolution aussi brusque...

VALDINI.

Doit vous enchanter... Vous aviez tant de hâte ce matin de quitter cette maison... de fuir les poursuites de ce jeune homme...

Avec emphase.

de votre adorateur mystérieux... Est-ce que, maintenant, il vous déplairait moins ?... est ce que ?...

VALENTINE.

Monsieur ?...

VALDINI, avec ironie.

Je serais fâché de déranger vos projets ; mais j’ai donné mes ordres... vous partirez avec Geneviève...

Geneviève se rapproche.

VALENTINE.

Et vous, monsieur ?...

VALDINI.

Je resterai pendant deux ou trois jours encore pour faire achever les travaux commencés... et puis j’irai vous rejoindre à Paris...

VALENTINE.

Mais, monsieur !...

VALDINI.

Je le veux...

À part.

Elle sera ici demain... Il faut qu’elle m’y trouve seul... ou sinon, dans sa jalousie...

GENEVIÈVE, bas à Valentine.

Il veut se débarrasser de nous, c’est sûr...

VALDINI, se retournant et regardant Geneviève qui l’observe.

Eh bien ! que fais-tu là ?...

GENEVIÈVE, interdite.

Moi... monsieur ? rien...

VALDINI.

Ce couvert... dépêchons...

VALENTINE, à part.

Oh ! mon Dieu !... il ne s’éloignera pas...

GENEVIÈVE, au moment de sortir, et parlant à Boutilier qui lui demande s’il peut entrer.

Oui... monsieur est de retour... Tu peux lui parler...

Elle sort.

 

 

Scène V

 

VALENTINE, GENEVIÈVE, VALDINI, BOUTILIER

 

VALDINI.

Qu’est-ce que c’est ?...

BOUTILIER.

Pardon, excuse... madame... monsieur le colonel... c’est moi... je me vous dérange pas au moins ?...

Valentine est assise auprès de la table.

VALDINI, brusquement et s’asseyant à droite.

Que veux-tu ?

BOUTILIER, tournant son chapeau.

Si je vous dérange... je reviendrai une autre fois...

VALDINI, plus brusquement.

Eh non !... parle...

BOUTILIER, un peu décontenancé.

Voilà ce que c’est... On m’a dit que monsieur était de retour... sans cela, je ne me serais pas permis... Après ça... si ça vous gêne... faut le dire...

VALDINI.

Eh, morbleu !... veux-tu t’expliquer...

BOUTILIER.

C’est tout simple, monsieur le colonel. Puisque vous avez la bonté de vous intéresser à ma position... c’est pour cet effet... dont auquel je vous ai prévenu... qui arrive demain matin, et qui m’embarrasse confusément... vu que je n’ai pas le premier sou...

VALDINI.

Ah ! c’est de l’argent que tu veux ?...

BOUTILIER.

C’est le but officieux de ma démarche... Si c’était un effet de votre part... de solder le mien...

VALDINI.

Tu ne pouvais pas me dire ça tout de suite !...

BOUTILIER, souriant.

Ah bien !... vous parler, à vous, ou à une batterie... c’est quasiment la même chose... On a toujours peur que ça ne vous parte sous le nez...

VALDINI.

As-tu là ton mémoire ?...

BOUTILIER, le tirant de sa poche.

Le voilà... Nous n’aurons qu’à mettre dessus : reçu à compte...

VALDINI, remonte le théâtre et va vers la porte à gauche, Boutilier le suit.

C’est bien... tu vas venir avec moi...

VALENTINE, à part.

Dieu soit loué !...

VALDINI, s’arrêtant.

Mais c’est à condition que tu me t’endormiras plus... que tu mèneras mes travaux bon train... À présent, tu as un aide... je l’ai retenu... tu n’auras plus d’excuses...

BOUTILIER.

Soyez tranquille, colonel ; ça va aller... L’ouvrage marche toute seule, même la nuit...

VALDINI.

Comment ?...

BOUTILIER.

Oui... une échelle que j’avais serrée sous l’hangar, et que je viens de trouver dressée contre cette fenêtre...

VALENTINE, à part.

L’échelle !... ô mon Dieu !...

VALDINI, y courant.

Contre cette fenêtre !...

BOUTILIER, gaiement.

Elle se sera douté qu’il y avait un pan de mur à recrépir...

VALDINI, regardant sa femme qui pâlit, et reprenant froidement.

En effet... c’est quelqu’un qui, par excès de zèle...

BOUTILIER.

Pardine ! c’est pour vous dire que si tout le monde s’y met comme ça... l’affaire ira comme sur des roulettes...

Tendant son mémoire.

Pour lors, v’là donc mon mémoire.

VALDINI, sans l’écouter et regardant toujours sa femme qui affecte une contenance indifférente, et qui s’occupe à travailler.

C’est bien ! c’est bien !...

BOUTILIER, le bras tendu et les regardant.

Hein ?... qu’est-ce qu’ils ont donc tous les deux ?... est-ce que j’ai dit quelque bêtise ?...

Haut.

Pour lors v’là donc mon mémoire...

Ici Geneviève rentre portant un panier qui contient des plats qu’elle place sur la petite table qui est au fond.

VALDINI, revenant à lui.

Ah ! tu me donneras bien le temps de souper, j’espère...

BOUTILIER.

C’est trop juste !...

VALDINI.

Va m’attendre dans mon cabinet...

BOUTILIER.

Là, au milieu des plâtras... comme monsieur voudra...

VALENTINE, à part.

Il reste !...

BOUTILIER, passant au milieu.

Il y a des moments où on ne sait plus si sa tête... Il veut... il ne veut plus... c’est la lune qui cause ça... c’est sûr...

Il sort.

 

 

Scène VI

 

VALENTINE, VALDINI, GENEVIÈVE, qui met le couvert sur une petite table au fond

 

VALDINI, à part.

Une échelle... près de cette fenêtre... Ah ! je saurai...

Il prend une chaise pour s’asseoir près de Valentine et aperçoit son manteau.

Geneviève !...

GENEVIÈVE, descendant.

Monsieur !...

VALDINI.

Vous n’avez aucun soin !... pourquoi ce manteau est-il resté là ?... il est encore mouillé...

Il le prend et le jette sur les bras de Geneviève.

GENEVIÈVE.

Tiens... je ne l’avais pas vu... c’est que tout est en désordre chez vous... et je ne sais...

VALDINI.

Mets-le là...

Montrant la petite porte à droite.

Au porte-manteau...

VALENTINE, à part.

Là !... Ah ! quel instinct fatal !...

GENEVIÈVE, y allant.

Justement il n’y a rien...

VALENTINE, se levant vivement et arrêtant Geneviève d’un regard.

Chez moi... en vérité, monsieur... je n’aurai bientôt plus la libre disposition d’une seule pièce de mon appartement !... vous vous emparez de ma chambre, malgré mes prières... malgré mon état de souffrance... vous y donnez vos audiences, vous en faites votre cabinet de travail, votre salle à manger... et non content de cela...

VALDINI.

Quelle folie !... comment pouvez-vous mettre de l’importance... pour dix minutes que ce manteau restera...

À Geneviève avec un geste d’autorité.

Fais ce que je te dis...

VALENTINE.

Et moi, je le lui défends...

VALDINI.

Pourquoi donc ?...

VALENTINE, avec fermeté.

Parce que je ne le veux pas !

GENEVIÈVE, à part.

À la bonne heure !... v’là qu’elle s’y met...

Elle pose le manteau sur une chaise.

VALDINI, étonné et se contraignant.

C’est du nouveau... et ce ton décidé...

VALENTINE, d’une voix émue.

C’est qu’il est inouï... que je ne puisse être maîtresse chez moi... d’ailleurs, je vous l’ai dit, ce cabinet est encombré de robes, de cartons.

GENEVIÈVE.

Oui, oui... je me rappelle maintenant...

VALDINI.

C’est ce que nous verrons...

Il va au cabinet.

Ah ! la clef n’y est pas...

À lui-même.

C’est juste !...

GENEVIÈVE, à part.

Allons, v’là qu’il va s’imaginer !... ah !... si c’était vrai !

VALDINI, revenant au milieu du théâtre entre Geneviève et Valentine, et reprenant froidement.

Madame a raison... il n’est pas convenable que chez elle... Portez ce manteau dans le vestibule... Allez !...

GENEVIÈVE.

Oui, monsieur.

Ensemble.

Air : L’amitié vous engage. (Elle est folle.)

VALENTINE, à part.

Je prévois un orage
Qui va fondre sur nous...
Mais j’aurai du courage...
Et je brave ses coups !

VALDINI, à part.

Son trouble, son langage,
Enflamment mon courroux,
Je devine l’outrage
À mes transports jaloux.

GENEVIÈVE.

Je prévois un orage
Qui va fondre sur nous !

Bas à Valentine.

Pour sout’nir vot’ courage,
Je reviens près de vous.

À part, regardant sa marraine.

Quelle existenc’ cruelle !
Mon Dieu !... si je pouvais
Me fair’ gronder pour elle...
Je m’la quit’rais jamais !

Ensemble.

VALENTINE, à part.

Je prévois un orage, etc.

VALDINI, à part.

Son trouble, son langage, etc.

GENEVIÈVE.

Je prévois un orage, etc.

Geneviève sort et emporte le manteau.

 

 

Scène VII

 

VALDINI, VALENTINE

 

VALDINI, après un silence et prenant la main de Valentine.

Il y a quelqu’un là, madame...

VALENTINE.

Qu’osez-vous dire ?...

VALDINI.

Il y a quelqu’un... j’en suis sûr... ce trouble... vos regards...

Tremblant de fureur.

La clef de cette porte ?...

VALENTINE.

Vous vous trompez, monsieur... et si je n’excusais votre caractère inquiet et jaloux...

VALDINI.

La clef...

VALENTINE.

Encore ces doutes injurieux... dont vous n’avez cessé de me poursuivre...

VALDINI.

Vous hésitez... ah !... c’est que vous savez bien que je serai sans pitié...

VALENTINE, avec amertume.

Oui !... sans pitié... comme sans amour !

VALDINI.

N’espérez pas me donner le change par des reproches que les femmes ont toujours à leur disposition... Quel que soit l’audacieux qui a osé arriver jusqu’à vous, rien ne peut le sauver, fût-ce mon frère lui-même, je le frapperais à vos yeux... si je ne pouvais lui trouver un supplice plus lent et plus cruel !

VALENTINE, à part.

Oh ! mon Dieu !...

VALDINI, avec violence.

Encore une fois... cette clef...

VALENTINE.

J’ignore... je ne sais... ce qu’elle est devenue...

Affectant de la fermeté.

Et quand je le saurais... vos soupçons odieux m’autoriseraient à vous la refuser...

VALDINI, se contraignant.

Je devais m’y attendre... mais il est un autre moyen... de m’assurer de la vérité... et en brisant cette porte...

Il va vers le fond, pour chercher quelque instrument propre à briser la porte.

VALENTINE, traversant le théâtre et se mettant devant le petit cabinet.

Vous le pouvez, monsieur... mais j’exige à mon tour que vous fassiez monter tous vos gens... je veux qu’ils soient vos témoins et mes juges... Si je suis coupable... vous me tuerez... je le demande... je vous pardonne d’avance ! Si je ne le suis pas... songez-y... cet outrage public sera le signal d’une séparation que je réclame à l’instant...

Appuyant.

que votre conduite passée ne justifie que trop... je pars... je m’éloigne ; et nul pouvoir sur la terre ne pourra m’obliger à vivre une minute de plus avec l’homme qui m’aura avilie à ce point...

VALDINI, après un silence et s’approchant de Valentine.

Vous avez raison !... ce serait nous humilier tous deux !... Si je trouvais quelqu’un... je ne pardonnerais pas... et cet éclat... devant toute ma maison... ne vous punirait pas seule... Si je n’y trouvais personne, c’est vous qui n’oublieriez jamais cette offense !... Valentine...

Passant à sa droite, lui prenant la main et lui montrant le portrait.

jurez-moi devant votre mère... devant Dieu qui vous... écoute... qu’il n’y a personne...

VALENTINE, balbutiant.

Monsieur...

VALDINI, sévèrement.

Prenez-y garde... la moindre hésitation... serait une réponse...

VALENTINE, d’une voix faible.

Je le jure... devant ma mère...

À part.

Qu’elle me pardonne !...

VALDINI, l’observant.

Et... devant Dieu ?...

VALENTINE, après un mouvement et à part.

Ah ! mon âme pour le sauver...

Haut.

Et devant Dieu !...

VALDINI, montrant le petit cabinet.

Qu’il n’y a personne ?...

VALENTINE, d’une voix faible.

Personne !...

VALDINI, lui lâchant la main.

C’est bien...

VALENTINE, tombant épuisée dans un fauteuil, près de la table.

Je respire...

 

 

Scène VIII

 

VALDINI, VALENTINE, GENEVIÈVE, elle apporte une carafe, deux verres et du pain

 

GENEVIÈVE, posant tout sur la table.

Le souper est prêt, monsieur... Faut-il le monter ?...

VALDINI, distrait.

Sans doute !... mais comme il est tard... tout le monde peut se coucher... tu resteras pour nous servir.

GENEVIÈVE, le regardant.

Oui, monsieur...

À part.

Non... il est tranquille !... je m’étais trompée !...

Elle va au fond.

VALDINI, après un moment de silence.

Fais revenir Boutilier... j’ai un mot à lui dire...

GENEVIÈVE, poussant la porte d’entrée.

C’est facile... il est là... assis... les bras croisés... j’crois qu’il dort...

L’appelant.

Boutilier... Boutilier...

BOUTILIER, dans le cabinet et comme quelqu’un qui s’éveille.

Hein ?...

GENEVIÈVE.

Monsieur te demande !...

BOUTILIER, de même.

Voilà !...

 

 

Scène IX

 

VALDINI, BOUTILIER, VALENTINE, GENEVIÈVE, qui entre et sort et met des plats sur la petite table du fond

 

Valentine est assise auprès de la table.

VALDINI, à Boutilier qui entre.

Approche !...

BOUTILIER, se frottant les yeux.

Pardon, excuse !... comme je disais à monsieur... c’est deux cent quarante-six francs vingt-trois centimes...

VALDINI.

Va-t’en au diable... tu n’as que ton affaire en tête !... tu as fini ta journée !...

BOUTILIER.

Il y a longtemps...

VALDINI.

Tu n’as plus rien à faire ?

BOUTILIER.

Qu’à aller me coucher...

VALDINI.

Un moment...

Il lui fait signe de s’approcher plus près de lui ; Boutilier obéit ; il lui parle bas à l’oreille.

BOUTILIER, étonné.

Tiens, c’t’idée ?... est-ce drôle !...

VALDINI.

Je le veux à l’instant...

BOUTILIER, montrant le cabinet à gauche.

C’est différent... vous êtes le maître !... j’ai là tout ce qu’il faut... et il n’y en a pas pour un quart d’heure...

VALDINI, voyant Geneviève qui apporte sur le devant du théâtre la petite table toute servie auprès de Valentine qui est toujours assise.

Voici le souper ! mettons-nous à table.

Valdini s’assied à la table qui est placée sur le premier plan ; Valentine est à droite du spectateur ; Valdini à gauche, la porte du placard derrière lui ; Geneviève les sert ; rentre Boutilier, tenant dans ses bras une hotte, où sont des matériaux et des outils.

BOUTILIER.

Des briques, des outils, du plâtre, ce ne sera pas long.

Il dépose le tout près de la porte du cabinet.

VALENTINE, voyant tous ces apprêts.

Qu’est-ce donc ?

GENEVIÈVE, à Boutilier.

Eh bien, qu’est-ce que tu viens faire ici ?... y songes-tu ?... pendant le souper !

BOUTILIER.

Ça ne vous regarde pas... c’est l’ordre de monsieur...

Il commence à travailler.

VALENTINE, à Valdini.

Comment, monsieur, que voulez-vous faire ?

VALDINI, montrant le placard.

Murer cette porte qui m’est inutile

À mi-voix.

et qui ne servirait à rien qu’à nous rappeler à tous deux un débat dont je veux faire disparaître jusqu’au moindre souvenir...

Boutilier travaille.

GENEVIÈVE, à part.

A-t-il des lubies, celui-là !...

Par un mouvement involontaire, Valentine se lève brusquement et fait un pas pour aller vers Boutilier. Valdini se lève aussi vivement, l’arrête d’un regard, et par un signe impérieux, la force de rester à sa place. Valentine, tremblante, retombe sur sa chaise ; Valdini se rassied sur la sienne ; ils sont à table. Valdini tourne le dos à Boutilier qui est à genoux et qui travaille ; Valentine est en face et voit les progrès de l’ouvrage ; Geneviève va et vient pour les servir.

VALDINI, à Geneviève.

À boire.

Geneviève, occupée à regarder Boutilier, n’entend pas Valdini qui répète plus haut et avec impatience.

À boire.

BOUTILIER, à Geneviève.

Mais allez donc, mamzelle.

Geneviève verse à boire à Valdini.

VALDINI, à sa femme.

Eh bien ! madame, vous ne mangez pas ?

VALENTINE, très émue.

Je vous l’ai dit, monsieur... je suis fort souffrante...

GENEVIÈVE.

Et puis... c’est bien capable de vous donner de l’appétit... cette poussière... ce bruit !...

BOUTILIER.

Ça, par exemple... c’est bien l’envie de parler, il n’y a pas plus de poussière que dans mon œil... c’est l’ouvrage le plus propre...

VALDINI.

Silence !...

BOUTILIER.

Non !... c’est pour me vexer... Oh !... les femmes... qu’elles y reviennent !... après m’avoir planté là, comme un malheureux moellon démoli... m’avoir abreuvé !... oser encore... ça me donne des mouvements de rage... que si je m’en croyais...

Il chante comme les ouvriers en travaillant.

Tra la, la, la la...

GENEVIÈVE.

Tais-toi donc !... mais tais-toi donc... devant monsieur... devant madame...

BOUTILIER, à Valdini.

Pardon, excuse... je ne peux pas travailler sans chanter, surtout quand j’ai de l’humeur...

VALDINI.

C’est bien !... va toujours... je ne t’écoute pas...

BOUTILIER.

Vous êtes bien bon !...

VALENTINE, d’un air suppliant à Valdini.

Monsieur...

VALDINI.

C’est leur habitude !... le travail en va plus vite... et vous en serez débarrassée plus tôt...

BOUTILIER, chante.

Air : Une princesse de Grenade.

Une coquett’ de village,
Avait fait choix d’un amoureux ;
Bientôt, en femm’ prudente et sage,
Au lieu d’un, v’là qu’elle en prend deux !
Le premier, qu’avait de l’usage,
Se dit tous bas : Je suis vexé,

D’un air de surprise.

Hé !
Et vexé par un god’lureau,

D’un air de colère.

Oh !
Mais l’amour me veng’ra...
Car j’vais la planter là.

D’un air de triomphe.

Ah !

VALENTINE, à part.

Ah ! quel supplice !... et n’oser faire un mouvement... ne pouvoir l’arrêter.

VALDINI, regardant l’ouvrage.

C’est bien... nous avançons.

BOUTILIER.

V’là que ça marche !... oh ! mais ne craignez rien, ça n’vous fera pas d’humidité... chaux et ciment... ça sèche tout de suite... en trois minutes, ça sera dur comme du fer.

Il se remet à travailler.

VALENTINE, bas à Geneviève qui se trouve près d’elle.

Geneviève, au nom du ciel, empêche-le de continuer.

VALDINI.

Geneviève, du vin.

GENEVIÈVE.

Voilà, monsieur...

Tout en lui versant à boire, elle tousse légèrement, en regardant Boutilier, et lui fait des signes.

Hum ! hum !

BOUTILIER, la regardant, tout surpris.

Tiens !... v’là qu’elle me refait des yeux... est-ce qu’elle aurait envie de revenir à mon sujet ?... Oh ! les femmes sont-elles caméléons !... si je pouvais donner un croc-en-jambe à l’Espagne...

Il travaille avec plus d’ardeur.

GENEVIÈVE, à part.

L’imbécile !... il ne comprend pas...

Elle veut de nouveau lui faire signe et aller à lui.

VALDINI, qui a remarqué le mouvement, et l’arrêtant au moment où elle passe.

Eh bien !... eh bien !... où vas-tu ?... reste donc là... pour nous servir... tu as tout le tenus d’aller faire la coquette avec ton ancien amoureux, s’il reprend l’avantage...

BOUTILIER.

Ah ! oui, dites donc, mamzelle.

GENEVIÈVE.

Lui !... par exemple !...

VALDINI, avec ironie.

Pourquoi pas ?... il ne faut jamais se décourager... Vois-tu, mon pauvre Boutilier, les nouveaux serments de ces dames

Regardant Valentine.

ne tiennent pas plus que les premiers... il ne faut qu’un caprice qui fait tourner la girouette...

BOUTILIER, suivant les signes de Geneviève.

Oh !... la girouette a tourné... elle me refait des yeux... pauvre Espagne... tu me fais de la peine... va !

VALDINI, se tournant vers lui.

Je crois que tu te ralentis... allons donc... ton second couplet...

BOUTILIER.

N’est-ce pas, colonel... c’est une romance assez agréable...

Il chante en jetant des regards expressifs sur Geneviève, qui s’impatiente et hausse les épaules.

Deuxième couplet.

Même air.

Mais un matin aux yeux d’la belle,
Le galant s’est évaporé !...
Pour l’autre ell’ redevient fidèle,
Et dit : J’t’ai toujours adoré ;
La voyant jouer de la prunelle,
L’autre dit : Serais-je encore vexé ?

D’un air de doute.

Hé !...
Quoiqu’ j’ay’ souffert du quiproquo,

Les yeux au ciel.

Oh !
J’pardonne... l’amour, oui-dà,
Est assez bête pour çà...

D’un air de dédain.

Ah !

VALENTINE, se levant impétueusement.

Ah... je n’y tiens plus.

VALDINI, se levant aussi.

Madame...

VALENTINE, hors d’elle.

Ayez pitié de moi, monsieur, je souffre !... je souffre trop...

BOUTILIER, se retournant.

Monsieur le colonel... c’est fini... regardez-moi ça.

VALENTINE, voyant le mur terminé.

Dieux !...

GENEVIÈVE, la soutenant.

Ma marraine !...

VALDINI, froidement et regardant le mur.

C’est bien !... je suis content de toi... et maintenant, il est juste que je tienne ma parole... je vais te donner ton argent...

Montrant les outils.

Emporte tout cela... et suis-moi...

Boutilier rassemble ses outils et les débris de briques qu’il place dans sa petite hotte.

VALENTINE, bas à Geneviève.

Qu’il ne s’éloigne pas... j’ai besoin de lui...

GENEVIÈVE, allant à Boutilier, et bas pendant qu’il ramasse ses outils.

Ne t’éloigne pas... descends dans la cour... et monte dans ma chambre...

BOUTILIER.

Par où ?...

GENEVIÈVE...

Par la fenêtre qui est ouverte...

BOUTILIER, à part.

Un rendez-vous !... elle me revient.

VALDINI, l’attendant.

Allons donc... je t’attends ?...

BOUTILIER.

Voilà !

Saluant Valentine et faisant des signes à Geneviève.

Bonsoir, madame... bonsoir, mamzelle Geneviève...

La regardant.

Si vous avez besoin de moi pour autre chose...

VALDINI, à la porte.

Ah ça ! voyons... veux-tu ton argent ?

BOUTILIER, le suivant.

Voilà, voilà, colonel.

GENEVIÈVE, lui montrant la porte de sa chambre.

Là... dans ma chambre.

BOUTILIER.

Oui... oui...

À part, en s’en allant.

L’Espagne est flambée.

Il suit Valdini qui est sorti avant lui.

 

 

Scène X

 

VALENTINE, GENEVIÈVE

 

VALENTINE, retombant sur son fauteuil toute inanimée.

Ah ! Geneviève !...

GENEVIÈVE, à mi-voix.

Chut !... le colonel peut encore nous entendre...

Elle suit des yeux Valdini.

V’là qu’il entre chez lui...

Elle pousse la porte doucement et revient près de Valentine.

VALENTINE.

Je suis perdue !... je suis morte !...

GENEVIÈVE, à mi-voix.

Quoi ! ma marraine... ce que disait le colonel... est-ce que ?... là...

VALENTINE, avec hésitation.

Il est trop vrai... il y a quelqu’un...

GENEVIÈVE.

Sainte Vierge !

VALENTINE.

Quelqu’un à qui le moindre retard peut coûter la vie... et je ne sais... comment t’avouer...

GENEVIÈVE, courant à elle.

À moi... à votre pauvre Geneviève... qui vous aime tant... il faut le sauver...

VALENTINE.

Et comment ?

GENEVIÈVE.

Je n’en sais rien !... mais il faut le sauver...

VALENTINE.

Réveille le cocher... le jardinier...

GENEVIÈVE.

Ils ne nous entendraient pas... ils sont là-bas... de l’autre côté.

VALENTINE.

Appelle Boutilier...

GENEVIÈVE.

Il est avec monsieur... mais tout à l’heure... Par la fenêtre de la cour, il doit monter là, dans ma chambre... que lui dirai-je ?

VALENTINE.

Qu’il vienne le sauver... mais d’ici-là... le manque d’air... une minute, peut-être, et il ne sera plus temps.

Essayant de pousser le mur avec ses mains.

Oh !... ce mur... comment l’abattre ?... deux femmes... et rien...

Avec désespoir.

Rien !...

GENEVIÈVE, s’approche du mur et frappe avec sa main.

Nous entendez-vous ?... répondez...

TOUTES DEUX, d’une voix tremblante.

Répondez-nous ?

 

 

Scène XI

 

VALENTINE, GENEVIÈVE, VALDINI

 

VALDINI, entrant par la gauche et regardant les deux femmes.

Répondez ?...

VALENTINE et GENEVIÈVE, poussant un cri.

Ah !...

VALDINI.

Eh ! qui donc ?

Ensemble.

Air : Dieux ! qu’ai-je lu !

VALENTINE et GENEVIÈVE, à part.

Dieux ! qu’ai-je vu !
Quelle imprudence !...
Plus d’espérance...
Tout est perdu !

VALDINI, à part.

Qu’ai-je entendu ?
Rage et vengeance,
Tant d’impudence,
M’a confondu !

VALENTINE, à part.

C’est fait de nous !

Elle passe à gauche du théâtre.

VALDINI, à Geneviève en lui montrant sa chambre.

Rentrez...

GENEVIÈVE, hésitant.

Mais...

VALDINI, de même.

Rentrez, je le veux !

GENEVIÈVE, tremblante.

Monsieur !...

VALDINI.

Obéissez !...

GENEVIÈVE, à part.

Plus d’espoir pour tous deux.

Avec résolution.

Ah ! malgré ma faiblesse et ma frayeur mortelle,
Je saurai la sauver... ou mourir avec elle.

Ensemble.

VALENTINE et GENEVIÈVE, à part.

Dieux ! qu’ai-je vu ? etc.

VALDINI, à part.

Qu’ai-je entendu ? etc.

Elle rentre dans sa chambre, qui est à droite du côté du placard ; Valdini l’enferme en donnant un tour de clef.

 

 

Scène XII

 

VALDINI, VALENTINE

 

VALDINI, sans prononcer un mot, vient tranquillement auprès de Valentine, et après un silence, il lui dit, avec un sang-froid affecté.

Je vois combien pour les personnes pieuses... un serment est sacré !...

Montrant le mur et avec une ironie amère.

Il n’y a personne !...

VALENTINE.

Eh bien !... je l’avoue... je me suis parjurée... que Dieu me juge et me punisse...

D’une voix abattue.

Il y a quelqu’un... oui !

VALDINI.

Quelqu’un !...

VALENTINE, se levant aussi.

Que j’ai fait venir en votre absence... quelqu’un que j’aime...

VALDINI.

Que vous aimez !...

VALENTINE, presque à ses genoux.

Je ne cherche pas à désarmer votre fureur... je l’appelle sur moi tout entière... vengez-vous !... tuez-moi !... mais sauvez-le d’un supplice affreux... d’une mort horrible !...

VALDINI, furieux.

Le sauver !... tu oses me demander sa vie...

VALENTINE.

Tuez-moi !

VALDINI.

Vous souffririez trop peu...

La saisissant par le bras.

Non !... non !... vous resterez là... près de lui... près de moi...

VALENTINE, avec horreur et tombant à ses genoux.

Ah !...

VALDINI.

Là... là... toute la nuit... je ne vous quitterai pas...

VALENTINE.

Par pitié...

VALDINI, avec rage.

Air : De votre bonté généreuse.

De la pitié !... pour de telles injures !
De la pitié ! pour l’infâme rival,
Dont je voudrais prolonger les tortures...
Non !... que ce lieu lui soit fatal !
Puisqu’il a fui lâchement ma colère ;
Pour votre honneur, je veux, en me vengeant,
Ensevelir sous cette pierre
Et l’affront et le châtiment.

VALENTINE, à ses pieds.

Monsieur !...

VALDINI, lui serrant le bras avec violence.

Vous resterez, vous dis-je !...

Avec ironie.

Vous resterez là, près votre complice...

VALENTINE, avec force.

Il ne l’était pas !... je ne suis pas coupable !... Dieu le sait !... jamais je n’ai trahi mes devoirs... vous seul pouviez me les faire détester... mais maintenant que votre âme s’est dévoilée... que je connais la honte que vous m’aviez préparée... je le déclare devant vous... devant lui... oui... je l’aime !...

Remontant la scène et s’adressant au cabinet muré.

Oui !... s’il peut m’entendre encore, je jure ici que sa mort sera vengée... je vous perdrai plutôt vous-même !...

VALDINI.

Vous ?...

VALENTINE, de même.

Je sais tout...

VALDINI.

Comment ?...

VALENTINE.

Cette lettre de Turin...

VALDINI.

Ciel !

VALENTINE.

Je dévoilerai votre crime !...

VALDINI.

Malheureuse !

VALENTINE, écoutant.

Écoutez ce bruit ?...

VALDINI, de même.

C’est à la porte de la cour... Qui peut donc au milieu de la nuit ?...

Les coups redoublent au dehors.

VALENTINE, avec joie.

C’est le ciel qui m’exauce et m’envoie des vengeurs...

Elle court à la fenêtre. Appelant de nouveau.

Au secours !...

VALDINI, courant à elle et la retirant de la fenêtre, qu’il referme violemment.

Tais-toi... tais-toi...

 

 

Scène XIII

 

VALDINI, VALENTINE, GENEVIÈVE, dans sa chambre et frappant à la porte qui est fermée et qui est du même côté que le placard

 

GENEVIÈVE, en dehors.

Monsieur... monsieur !...

VALDINI.

Qu’est-ce donc ?...

GENEVIÈVE, de même.

Eh ! vite une voiture à la porte du château... une dame qui vous demande.

VALDINI, troublé.

Une dame !... Dieu ! serait-ce Bianca ?

GENEVIÈVE.

Elle a parlé de gens de justice... et si dans cinq minutes vous n’êtes pas auprès d’elle...

VALDINI.

C’est elle !... pas un instant à perdre... il faut courir...

VALENTINE, le retenant.

Vous ne sortirez pas.

VALDINI.

Silence !...

VALENTINE.

Ah !... vous tremblez à votre tour... cette Bianca Malfieri...

VALDINI.

Laissez-moi...

VALENTINE, s’attachant à lui.

Elle me verra... c’est devant elle que je vous accuserai...

VALDINI, la repoussant avec rage.

Vous voulez en vain me suivre... vous resterez ici...

Montrant la porte du placard.

Avec lui !

Il sort par la porte à gauche que l’on entend refermer.

VALENTINE, seule.

Monsieur... par pitié.

GENEVIÈVE, enfermée à droite et frappant à la porte de sa chambre.

Ma marraine... ouvrez, ouvrez-moi donc !...

VALENTINE, ouvre la porte.

Ah ! Geneviève.

Elle est prête à s’évanouir, Geneviève la soutient, et la conduit à un fauteuil.

GENEVIÈVE.

Allons, madame... tout n’est pas perdu ! la voiture que vous aviez commandée est en bas, à l’autre bout du parc !

VALENTINE.

Et lui !... et lui qui expire peut-être !...

GENEVIÈVE.

Du courage !... en auriez-vous assez pour supporter une grande joie ?...

VALENTINE.

Que je meure, pourvu qu’il vive !...

GENEVIÈVE.

Et s’il vivait !...

VALENTINE.

Ah !...

BOUTILIER, sortant de la chambre de Geneviève, le visage, les mains et le tablier couverts de plâtre.

Muré d’un côté...

Montrant la chambre de Geneviève.

Démuré de l’autre... ça m’a pas été long.

Montrant Lara.

Le voilà !

Lara paraît au même instant à la porte de la chambre de Geneviève ; il court à Valentine qui pousse un cri et se jette dans ses bras.

BOUTILIER, à Geneviève.

Mais vous tiendrez votre promesse.

GENEVIÈVE.

Je t’épouserai... je l’ai juré...

Regardant Lara et Valentine.

Car maintenant je connais la vérité...

À Valentine.

Partez... partez... madame... la voiture vous attend... et avant le retour du colonel...

Elle met le verrou à la porte par laquelle Valdini est sorti.

VALENTINE, regardant Lara.

Impossible, ses forces le trahiraient...

LARA.

Non, non, j’en retrouverai pour défendre le trésor qui m’appartient maintenant...

Bas à Geneviève.

Geneviève, dis bien au colonel... que je me souviens de son défi... et que demain... je l’attendrai seul toute la journée... sous les murs de Montbazon !...

GENEVIÈVE.

Oui, monsieur...

À part.

C’est la première chose que j’oublierai de lui dire.

VALENTINE, à Geneviève.

Tu viendras nous rejoindre, Geneviève... vous ne nous quitterez plus.

GENEVIÈVE.

Oui, oui, ma marraine.

Lara et Valentine sortent par la chambre de Geneviève.

BOUTILIER, à Geneviève.

Dites donc, mamzelle... l’autre va m’assommer.

GENEVIÈVE.

Qu’est-ce que ça te fait ?... Voilà ma main.

BOUTILIER, avec bonheur et crainte.

Allons, Dieu me garde de la sienne !

On entend Valdini qui frappe à coups redoublés à la porte que Geneviève a fermée au verrou. Le rideau tombe.

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