Un Secret de famille (Jacques-François ANCELOT - Alexis DECOMBEROUSSE)

Drame en quatre actes.

Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre national du Vaudeville, le 2 juillet 1834.

 

Personnages

 

LÉOPOLD DE BANNEVILLE

LÉONARD, oncle de madame de Lucy

BRIOLET, domestique de Léonard

UN DOMESTIQUE

MADAME DE LUCY, veuve

CÉCILE, sa fille

MADAME D’AUBRAY, amie de madame de Lucy

CATHERINE, femme de charge

 

La scène se passe pendant les trois premiers actes chez madame de Lucy ; pendant le quatrième, dans une campagne.

 

 

ACTE I

 

Le théâtre représente un salon chez madame de Lucy. Porte au fond, portes latérales. Une psyché à droite du spectateur ; un guéridon à gauche.

 

 

Scène première

 

CATHERINE, puis CÉCILE

 

CATHERINE, sortant de la chambre à droite de l’acteur.

Oui, madame ; les voitures sont prêtes, et ces messieurs qui doivent servir de témoins sont arrivés ; je les ai fait entrer dans le petit salon en bas.

CÉCILE, sortant de la chambre à gauche en fredonnant.

Tra, la, la, la... ah, te voilà, Catherine !... Dis-moi, ma bonne ; me trouves-tu bien ainsi ?

CATHERINE.

Pardinne !... ainsi, et autrement.

CÉCILE.

Ah ! c’est que j’aime tant mon Léopold que je crains toujours, vois-tu, de n’être pas assez jolie ; aujourd’hui surtout qu’il va être mon mari.

CATHERINE.

Vous voulez donc qu’on vous aime encore davantage ?... Est-ce que c’est possible ?

CÉCILE.

Je crois que non ; mais je voudrais qu’il m’aimât toujours.

CATHERINE.

Rien que ça... Eh bien, rassurez-vous : Si ça dépend de la figure...

CÉCILE.

Oh, tu me flattes peut-être ?... Il y a tant de personnes qui sont mieux que moi !

CATHERINE.

Mieux que vous ?... qui donc ?

CÉCILE.

Eh mais, sans aller bien loin, ma mère, par exemple !

CATHERINE.

Madame de Lucy !

CÉCILE.

Oui, je m’en veux quelquefois de ne pas lui ressembler,

Air : de l’Angélus.

Quand je vois ses traits gracieux,
Sa taille, que chacun admire ;
La douce langueur des ses yeux,
La finesse de son sourire,
Malgré moi, parfois, je soupire !...
Son regard sait si bien charmer,
Elle a tant le secret de plaire,
Qu’il me semble que, pour m’aimer,
Il faut qu’on n’ait pas vu ma mère !

CATHERINE.

Bah !... Si vous lui ressembliez, ça ne serait que la continuation d’une seule et même jolie femme ; et comme ça du moins il y en a deux.

CÉCILE, se regardant dans la psyché.

Tu crois Catherine ?

CATHERINE.

J’en suis sûre.

CÉCILE.

Pourvu que Léopold soit de ton avis !

CATHERINE.

Est-ce que vous doutez ?

CÉCILE.

Non, j’espère ! Ah ça, ma mère est-elle, prête ?... tout le monde est-il là ?

CATHERINE.

Tout le monde, excepté M. Léopold.

CÉCILE.

Lui !... oh, s’il commence ainsi, comme je vais le gronder. 

CATHERINE.

Le gronder, dès le premier jour !

CÉCILE, souriant.

Oui, pour qu’il ne prenne pas de mauvaises habitudes.

CATHERINE.

Eh bien, tenez, le voilà qui monte, grondez-le ; mais ne lui gardez pas rancune.

CÉCILE.

Sois tranquille.

CATHERINE.

Je vais faire avancer les voitures.

Elle sort par le fond, après avoir salué Léopold qui entre.

 

 

Scène II

 

LÉOPOLD, CÉCILE

 

CÉCILE.

Comment, monsieur ; vous êtes en retard : Vous !

LÉOPOLD, s’avançant.

Ah, pardon, ma chère Cécile !... je craignais de rencontrer quelqu’un près de vous.

CÉCILE.

Voilà une belle raison !... Ainsi, dans quelques instants, quand il faudra jurer devant témoins que vous m’aimez, que vous n’aimerez jamais que moi, vous n’oserez donc pas ?

LÉOPOLD.

Ah ! j’attends ce moment avec une vive impatience ; et je donnerais tout au monde...

Il l’attire doucement vers lui en lui prenant la main et disant.

Cécile !

Puis il s’arrête et tourne les yeux vers la chambre à droite comme craignant d’être surpris.

CÉCILE, qui a tendu la joue, croyant qu’il voulait l’embrasser.

Eh bien... Dépêchez-vous donc !...

LÉOPOLD, lui donnant un baiser sur la joue.

Ah !...

CÉCILE.

Et il se fait prier encore !

LÉOPOLD.

Pour être heureux, n’est-ce pas ?

CÉCILE.

Vous le serez donc avec moi ?

LÉOPOLD.

Ne vous ai-je pas dit que je vous aime ?

CÉCILE.

Répétez-le encore ! ça ne peut pas nuire.

LÉOPOLD.

Ah, mille fois !...

Il s’arrête et tourne encore la tête vers la chambre de droite.

CÉCILE.

Eh bien, c’est déjà fini ?

Air : à l’âge heureux de quatorze ans.

Sur vos lèvres se peut-il bien
Que déjà la parole expire ?
Prêts à serrer un doux lien,
N’avons-nous qu’un mot à nous dire ?
Finit-on sitôt son discours,
Quand si gentiment on débute ?...
Songez-y, je veux un toujours
Qui dure plus d’une minute !
Oui, monsieur, je veux,
etc.

Pourquoi donc tournez-vous toujours les yeux du côté de la chambre de ma mère ?

LÉOPOLD, avec embarras.

Ah !... c’est qu’il me tarde que la cérémonie soit terminée !... que vous soyez à moi... irrévocablement à moi !... Croyez-le bien, Cécile... c’est mon espoir, c’est mon vœu le plus cher, et tout ce qui en recule l’accomplissement, ne fût-ce que d’une seconde, me met au supplice !... Je pense que c’est maintenant madame de Lucy seule qu’on attend... et si mes yeux cessent quelquefois de se reposer sur votre aimable visage, c’est encore une manière de vous prouver mon amour.

CÉCILE.

À la bonne heure ! Tout ce que vous venez de dire est très bien ; et tant que vous parlerez ainsi... Oh ! continuez, et je resterai là immobile, devant vous, une journée entière, pourvu que j’entende toujours le son de votre voix, et ces douces paroles qui me font tant de bien !

LÉOPOLD.

Pour cela, il faut que nous soyons unis.

CÉCILE.

C’est juste.

LÉOPOLD.

Suis-je justifié à vos yeux ?

CÉCILE.

C’est moi que je trouve coupable à présent.

À Catherine qui entre par le fond.

Ma bonne, va donc presser ma mère !...

CATHERINE.

J’y vais, mon enfant, j’y vais.

Elle va vers la chambre à droite.

CÉCILE.

Nous ne nous marierons pas d’aujourd’hui !

Elle cause avec Léopold ; madame de Lucy paraît sur le seuil de la porte, Catherine lui dit un mot bas, puis sort par le fond.

 

 

Scène III

 

MADAME DE LUCY, CÉCILE, LÉOPOLD

 

MADAME DE LUCY, comme faisant un effort sur elle-même, à part.

Allons !... Il le faut !...

Elle les aperçoit, tressaille, et essuie vivement une larme.

CÉCILE, à Léopold, sans voir sa mère.

Et vous me promettez de ne jamais prendre avec moi cette mine grave et sombre que je vous vois quelquefois, et qui me fait presque peur ?

LÉOPOLD, souriant.

Oh, jamais !

Il aperçoit madame de Lucy, à part.

Ciel !...

Il laisse tomber la main de Cécile qu’il tenait dans la sienne, et recule brusquement.

CÉCILE, étonnée et le regardant.

Eh bien, vous tenez joliment parole !...

Elle voit sa mère qui a composé son visage et qui s’approche, elle court à elle.

Ah ! maman, te voilà enfin !... comme tu as été paresseuse.

MADAME DE LUCY.

Excuse-moi, ma fille !

CÉCILE.

Oh ! je ne t’en veux pas !... nous allons partir, et dans peu d’instants je serai madame Léopold de Banneville !... quel bonheur !... que je t’embrasse !...

Elle l’embrasse, puis l’examine.

Quelle jolie toilette, que tu es bien ainsi | Léopold, regardez donc !...

LÉOPOLD, sans lever les yeux.

Il est impossible d’être mieux que madame,

MADAME DE LUCY, les yeux fixés sur lui.

Oui, pour une mère.

CÉCILE.

Pas du tout !... on va croire que c’est toi qui es la mariée.

MADAME DE LUCY, à part.

Que dit-elle ?...

CATHERINE, entrant.

Madame tout est prêt.

MADAME DE LUCY, avec contrainte.

Ah !...

CÉCILE.

Air : Valse nouvelle de M. Doche.

Voici donc l’heure solennelle !
À l’église l’on nous attend ;
Et quand le bonheur nous appelle
Ne perdons pas un seul instant,

MADAME DE LUCY, à part.

Puisqu’il le faut ne soyons plus que mère !
Allons former cet éternel lien,
Ne jetons point de regards en arrière
Et qu’aujourd’hui leur bonheur soit le mien !

Ensemble.

CÉCILE.

Voici donc, etc.

MADAME DE LUCY

Voici donc l’heure solennelle !
À l’église l’on nous attend,
Quand ton bonheur nous appelle
Ne perdons pas un seul instant.

CATHERINE.

Voici donc l’heure solennelle !
À l’église l’on vous attend ;
Quand le bonheur vous appelle,
Ne perdez pas un seul instant.

Léopold, un peu contraint, s’approche de madame de Lucy lui offre la main, Cécile donne un coup d’œil à la glace, et les rejoint en sautant.

 

 

Scène IV

 

CATHERINE, seule après les avoir regardé sortir

 

Enfin ils sont en route !... quel singulier mariage, pour une jeune fille si riche ! la mère, la mariée, le futur et quatre habits noirs, voilà tout !... point d’invitations, point de fête ! Rien... on dirait que ma chère maîtresse a honte de donner sa fille à M. Léopold de Banneville ; qu’elle voudrait que personne ne sut la chose !... et pourtant c’est un homme bien distingué, et plus riche encore que mademoiselle, à ce qu’on dit !... en vérité c’est à n’y rien comprendre...

On frappe de la porte du fond.

Tiens, qui est-ce qui nous arrive là !...

BRIOLET, passant la tête par la porte.

Peut-on entrer ?

CATHERINE.

Que vois-je ?... Est-ce possible ?... M. Briolet !

 

 

Scène V

 

CATHERINE, BRIOLET

 

BRIOLET.

C’est lui même madame Catherine : vous permettez ?...

Il l’embrasse.

Et bien content de vous revoir, allez !

CATHERINE.

Moi aussi, M. Briolet !... mais par quel hasard ?... moi qui vous croyais à deux cents lieues de Paris !... Est-ce que vous auriez quitté le service de l’oncle de madame, de M. Léonard ?

BRIOLET.

Du tout, madame Catherine.

CATHERINE.

Il vous a donc envoyé à Paris pour affaires ?

BRIOLET.

Du tout madame Catherine.

CATHERINE.

Cependant vous у êtes.

BRIOLET.

Certainement que j’y suis !... Et lui aussi !...

CATHERINE.

Ah, Bah !...

BRIOLET.

Oui, oui ; il est là, dans la cour, avec Jean, et pendant qu’il fait descendre de notre chaise de poste un cadeau qu’il apporte à mademoiselle Cécile pour la noce, moi je suis monté, et vite, et vite, pour vous embrasser d’abord.

CATHERINE.

C’est bien honnête à vous !

BRIOLET.

Puis pour vous demander des nouvelles de votre fille, mademoiselle Toinette : est elle toujours aussi agréable, aussi gentille ?

CATHERINE.

Depuis dix ans que vous ne l’avez vue, je crois bien ; elle est mieux encore !

BRIOLET.

Je m’en doutais !... et lors qu’autrefois j’envisageais sa tournure, sa figure, sa... ses... son... enfin suffit, je me suis toujours dit que ça ne pourrait  que croître et embellir... aussi, je vous en avertis, madame Catherine, je reviens diablement amoureux.

CATHERINE.

En vérité ?... Eh bien ! il n’y a pas grand mal à ça, monsieur Briolet.

BRIOLET.

Ah ! voilà qui est parler !... Mais expliquez-moi donc pourquoi nous n’avons trouvé personne en bas ?

CATHERINE.

Vous allez le comprendre : c’est que je suis toute seule.

BRIOLET.

Ah ! oui, c’est une raison !... mais j’entends mon maître.

 

 

Scène VI

 

CATHERINE, LÉONARD, BRIOLET

 

LÉONARD.

Bonjour, Catherine, bonjour !

CATHERINE, faisant la révérence.

Monsieur...

LÉONARD.

C’est moi, ma bonne, c’est moi !...

Il lui pince la joue.

Comment donc ? mais toujours fraîche !... Ah ça, où est tout le monde ? ma nièce Clarisse, ma petite nièce Cécile, que je les embrasse !

CATHERINE.

Elles vont rentrer, monsieur. Comme elles seront surprises de vous voir !

LÉONARD.

J’espère qu’elles en seront contentes.

CATHERINE.

Sans doute : oh ! elles ne tarderont pas, car, à cette heure, la cérémonie doit être terminée.

LÉONARD.

Comment, la cérémonie ?... Quelle cérémonie ?

CATHERINE.

Et mais, le mariage.

LÉONARD.

Mariée !... Cécile.

BRIOLET.

Mademoiselle Cécile !

CATHERINE.

Elle-même.

LÉONARD.

Mariée !... Payez donc doubles guides aux postillons ! brûlez donc le pavé !... faites donc deux cents lieues pour être témoin !... elle ne pouvait pas m’attendre dix minutes ? que diable ! un oncle, ça s’attend toujours !... Elle était donc bien pressée !

CATHERINE.

Dam ! quand on aime son futur.

LÉONARD.

On doit aussi aimer son oncle.

CATHERINE.

Est-ce qu’on vous avait invité ?

LÉONARD.

Pas du tout ; mais un oncle est invité-né.

CATHERINE.

Vous croyez peut-être qu’il y a une noce, des fêtes ? Pas le moins du monde ! les témoins seuls ont été appelés, et madame n’aura pas voulu sans doute déranger ses parents, puisque tout devait se passer sans bruit.

LÉONARD.

Sans bruit, dis-tu ? Oh ! que non, ça ne se passera pas sans bruit ; j’en ferai, moi, et beaucoup.

CATHERINE.

On n’a invité personne, et madame d’Aubray, une amie d’enfance de madame, qui voyageait depuis un an et qui est arrivée de la Suisse hier soir, n’a pas même été prévenue.

LÉONARD.

Ça m’est égal !... une amie !... une amie !... ce n’est pas un oncle.

CATHERINE.

Elle viendra, sans doute, voir madame aujourd’hui, et elle sera tout aussi étonnée que vous en apprenant que le mariage est conclu.

LÉONARD.

Elle prendra la chose comme elle voudra ; moi je la prends fort mal !... Un mariage à six heures du soir !... comme si l’on ne pouvait pas attendre à demain.

CATHERINE.

C’est madame qui a choisi l’heure, afin qu’il n’y eût pas de curieux à l’église, et que la journée fût moins longue après la cérémonie.

LÉONARD.

Moins longue ! je le crois bien ! elle sera terminée !... mais, dis-moi, où se marie-t-on ? chez le voisin, sans doute ? à l’Assomption ?... J’y cours. Je verrai peut-être encore donner la bénédiction, de loin, derrière un pilier !... ce sera gentil !... un oncle qui a fait deux fois le tour du monde.

CATHERINE.

On aura craint sans doute de vous fatiguer.

LÉONARD.

Il est sûr que deux cents lieues en chaise de poste, ça cahote un peu plus... mais c’est égal ! Cécile qui m’avait tant promis de ne pas se marier sans moi, quand elle n’avait encore que six ans.

CATHERINE.

Dame ! six ans !... Elle a eu le temps de l’oublier.

LÉONARD.

Je vais le lui rappeler, moi !... viens, Briolet.

Il va pour sortir ; un bruit de voiture se fait entendre.

CATHERINE, regardant au fond.

Je vous annonce la mariée.

LÉONARD.

Eh bien, je vais la recevoir.

Catherine et Briolet sortent.

 

 

Scène VII

 

LÉONARD, CÉCILE, LÉOPOLD, puis un peu après MADAME DE LUCY

 

CÉCILE, entrant la première.

Que viens-je d’apprendre ? Mon oncle§ mon bon oncle !

Elle l’aperçoit.

Ah !...

Elle lui saute au cou.

LÉONARD.

Permettez, permettez, mademoiselle !...

CÉCILE.

Vous vous trompez, mon oncle... maintenant je suis une dame, et voilà mon mari...

À Léopold.

Léopold, c’est mon oncle Léonard... Mon oncle, embrassez mon mari.

Elle pousse Léonard vers Léopold.

LÉOPOLD.

Je suis heureux de pouvoir faire connaissance avec l’oncle de Cécile. 

LÉONARD.

Monsieur, certainement...

CÉCILE, le caressant.

Oh ! que vous êtes gentil d’être venu. Que j’ai de plaisir à vous voir.

LÉONARD.

Il paraît cependant qu’on ne tenait guère à ma présence.

CÉCILE.

Maman vous avait écrit.

LÉONARD.

Mais sans m’indiquer de jour.

CÉCILE.

Et vous avez reçu la lettre à temps.

LÉONARD.

Oui, pour arriver trop tard.

CÉCILE.

Que c’est aimable de vous être mis en route tout de suite pour voir votre petite Cécile en mariée.

LÉONARD.

Ah ça, veux-tu bien me laisser mettre en colère !

CÉCILE.

Air : Faisons la paix.

Regardez-moi !
Vous devez me trouver grandie ?
Ma robe me va bien, je crois,
Depuis dix ans, suis-je enlaidie ?
Regardez-moi !
Mon cher oncle, regardez-moi !

LÉONARD.

Tout cela est fort bien, mais tu ne m’a pas attendu, et...

CÉCILE.

Regardez-moi !
Pour lui, mon amour est si tendre !
Il m’offrait son cœur et sa foi,
Mais il ne voulait pas attendre !...
Regardez-moi !
Pardonnez-lui !... regardez-moi !

LÉONARD.

Pas moyen de se fâcher avec cette enfant là ! heureusement, voici ta mère, et, au fait, c’est plutôt à elle que je dois me plaindre.

Madame de Lucy arrive pâle et abattue ; Léopold est silencieux d’un côté du théâtre Les personnages se trouvent ainsi placés : Madame de Lucy, Léonard, Cécile, Léopold.

MADAME DE LUCY.

Ah ! mon oncle, c’est vous...

LÉONARD.

D’abord, je vous embrasse... ensuite, je vous demanderai, ma nièce...

Il l’examine.

Mais que vois-je ? serais-tu malade ? convalescente ?...

LÉOPOLD, à part.

Que dit-il ?... quelle pâleur...

Sa figure prend l’expression de la plus vive inquiétude.

LÉONARD.

Pourquoi ne pas m’écrire, m’appeler ? moi, vieux médecin, qui ai recueilli dans les quatre coins du globe des remèdes à tous les maux.

MADAME DE LUCY.

Je vous remercie, mon oncle ; mais je ne suis nullement malade ; un peu fatiguée seulement... voilà tout.

LÉONARD.

Voilà tout... voilà tout... Nous examinerons cela.

MADAME DE LUCY, faisant un effort sur elle même.

Je vous assure que vous vous alarmez à tort... Savez-vous que vous nous faites une bien aimable surprise ?

LÉONARD.

Oui, une surprise... mais c’est de toi qu’il faut nous occuper, car tu as beau dire...

MADAME DE LUCY, l’interrompant.

Cécile, avez-vous présenté votre mari à notre oncle ?

LÉOPOLD.

J’ai déjà eu l’honneur de saluer le parent de ma chère... Cécile.

Il continue à regarder madame de Lucy avec inquiétude.

CÉCILE, allant à lui.

Qu’est-ce que cela, monsieur ? encore l’air grave et pensif.

LÉOPOLD.

Moi !...

Il s’arrête en rencontrant les yeux de madame de Lucy.

CÉCILE.

Il n’y a plus à revenir d’abord ; vous êtes mon mari ! il faut en prendre votre parti.

LÉONARD, à madame de Lucy, en lui montrant Cécile et Léopold qui causent bas.

Regarde-les donc !... sont-ils charmants tous deux ? Comme ils ont l’air de s’aimer !...

MADAME DE LUCY, contrainte.

Oui... ils s’aiment...

LÉONARD.

Allons, je suis content de toi. Tu as fait choix pour ma petite Cécile d’un joli garçon, ma parole d’honneur !... et je ne t’en veux plus de ne pas m’avoir averti plus tôt.

MADAME DE LUCY.

Je n’ai pas cru devoir différer un seul instant le bonheur de ma fille.

 

 

Scène VIII

 

MADAME DE LUCY, MADAME D’AUBRAY, LÉONARD, CÉCILE, LÉOPOLD

 

CATHERINE, annonçant et se retirant tout de suite.

Madame d’Aubray.

MADAME DE LUCY.

Ah !...

À part.

Et elle ne sait pas encore... pourquoi vient-elle si tôt ?

MADAME D’AUBRAY, entrant.

Ma chère Clarisse...

Elle l’embrasse.

Et vous aussi, ma bonne Cécile... Que viens-je d’apprendre en arrivant chez toi ?... Cécile mariée !... Et toi, Clarisse... oh ! comme tu as l’air souffrant ; assieds-toi donc... tu sembles avoir peine à te soutenir.

MADAME DE LUCY, s’asseyant.

Ce n’est rien ; l’émotion... le plaisir de te revoir.

MADAME D’AUBRAY.

Absente depuis plus d’une année, j’arrive à Paris hier, je te fais savoir mon retour, et toi, tu ne m’instruis pas de ce qui se passe ici.

MADAME DE LUCY.

En effet, j’ai vu par ton petit billet de ce matin que tu n’as pas reçu mes dernières lettres.

MADAME D’AUBRAY.

Pas une seule depuis plusieurs mois.

MADAME DE LUCY.

Oh ! tant pis !...

MADAME D’AUBRAY.

Enfin, je viens d’apprendre le mariage de Cécile en entrant ; il vaut mieux tard que jamais... Mais où est donc ton gendre ? que je le voie, que je le félicite...

MADAME DE LUCY, fort troublée.

Il est ici !

Elle fait un mouvement pour parler bas à madame d’Aubray, et retombe sur son fauteuil.

MADAME D’AUBRAY.

Ah ! ici !

Elle se retourne, aperçoit Léonard, et se penche à l’oreille de madame de Lucy.

Comment ? si vieux !...

S’adressant à Léonard.

Recevez, monsieur, mes sincères compliments.

LÉONARD.

Vos compliments... et de quoi donc, madame ?

MADAME D’AUBRAY.

Mais sur votre bonheur d’avoir obtenu pour compagne une femme aussi jeune, aussi jolie que ma chère Cécile.

LÉONARD.

Moi ! j’ai obtenu !... ah ça ! qu’est-ce qu’elle dit donc ?

CÉCILE.

Quel quiproquo !... vous vous trompez, ma bonne amie : monsieur est mon oncle Léonard.

MADAME D’AUBRAY.

Ah !

CÉCILE.

Et voici mon mari, qui est pour vous une ancienne connaissance.

Léopold salue gravement.

MADAME D’AUBRAY.

M. Léopold ! votre mari !... est-ce possible ?

LÉONARD.

Comment, si c’est possible ? c’est tellement possible que ça est.

MADAME D’AUBRAY.

Ah ! pardon ! mais j’avais pensé...

LÉONARD.

Oui, vous aviez pensé que c’était moi !... et cette idée ne vous avait arraché aucune exclamation !... il y avait de quoi se récrier pourtant.

CÉCILE.

Mon oncle a raison, ma bonne amie ; d’où vient donc votre étonnement ?

MADAME D’AUBRAY, jetant un coup d’œil furtif sur madame de Lucy, dont le regard suppliant semble lui commander le silence.

Oh ! il est facile à expliquer. Tous les jours, vous le savez, on arrange des mariages dans sa tête, et j’avais songé à un autre...

CÉCILE.

Un autre !

MADAME D’AUBRAY.

Pour vous, Cécile.

CÉCILE.

Pour moi, un autre mariage ! À mon tour, je puis bien dire : est-ce que c’est possible ? mais lequel donc ?

LÉOPOLD, avec impatience, à part.

Quel supplice !...

MADAME D’AUBRAY.

Ma petite Cécile comprendra que maintenant il ne m’est plus permis d’en parler ; mais, depuis quand a-t-il été décidé que M. Léopold de Banneville serait votre mari ? quelles circonstances ?

LÉONARD.

Tiens, c’est vrai ; je ne m’en étais pas encore informé, moi, et pour tant je désire beaucoup le savoir.

CÉCILE.

Je ne demande pas mieux que de vous le dire : c’est une longue histoire.

LÉOPOLD.

Mais, Cécile, est-il convenable, en ce moment ?

LÉONARD.

Il est très convenable que je sache comment vous êtes devenu mon neveu, vous, mon cher monsieur, qui très probablement serez mon héritier. Justement, voici Catherine qui nous fait apporter le thé ; asseyons-nous, et écoutons.

Catherine entre avec des domestiques, qui approchent une table et dressent le thé dessus.

MADAME D’AUBRAY.

Clarisse semble souffrante, et peut-être...

MADAME DE LUCY.

Non, que Cécile parle...

À part à madame d’Aubray qui s’assied près d’elle.

tout te sera expliqué...

LÉONARD.

Allons, mon enfant, raconte-nous l’histoire de vos amours.

LÉOPOLD, à part.

Cruelle situation !

CÉCILE.

Ça remonte à ma sortie de pension, il y a six mois.

LÉONARD.

Six mois ! peste c’est quelque chose dans une vie de seize ans !

CÉCILE.

Quand j’arrivai ici, la première personne que je vis assise près de maman, ce fut Léopold, et, je ne sais pourquoi, l’idée me vint presque tout de suite que c’était là le mari qu’on me destinait. Ses soins empressés, pour ma mère et pour moi, ne me laissèrent bientôt plus de doute. Il était si facile de voir qu’il m’aimait, quoiqu’il ne me le dit pas, sans doute parce que maman, me trouvant trop jeune encore pour me marier, le lui avait défendu ; mais je ne fus pas longtemps à deviner tout cela.

LÉONARD.

Et à quoi donc, s’il vous plaît ?

CÉCILE.

À la différence des regards et des manières de Léopold quand ma mère était près de nous, ou lorsqu’elle n’y était pas.

LÉONARD.

Voyez-vous le coup d’œil de ces jeunes filles, comme c’est juste !...

CÉCILE.

Oh, c’est que la différence était grande quelquefois même, mais toujours quand ma mère était là, il me traitait avec une brusquerie, une impatience telles que si cet amour, qu’il avait fait naître dans mon cœur, ne m’eût rendue clairvoyante, j’aurais cru qu’il avait de la haine pour moi, et peut-être de l’amour pour une autre.

MADAME DE LUCY, avec trouble.

Pour une autre ?... Cécile, une telle pensée...

CÉCILE.

Oh, rassure-toi, maman, elle ne durait qu’un instant ; car, dès qu’il croyait n’être pas aperçu, il me regardait, et d’une façon qui me tranquillisait bien vite. Une fois aussi, par malice, je parlai devant lui de la possibilité de mon mariage avec un autre... Léopold devint pâle, mais pâle...

À Léopold.

Pardon, mon ami, vous avez dû bien souffrir en ce moment, et cependant, moi, je fus bien contente.

LÉONARD, riant.

Méchante enfant !

Regardant madame de Lucy qui vient de passer son mouchoir sur sa figure.

Mais tu es bien pâle aussi, Clarisse !... est-ce que tu continues de souffrir ?

MADAME DE LUCY.

C’est peu de chose ; je crains seulement que tout ce bavardage ne vous fatigue.

LÉONARD.

Du tout, du tout, moi, qui n’ai pu assister à la cérémonie, je tiens essentiellement à connaître les préliminaires ; et puis, il y a tant de souvenirs pour tout le monde dans ces histoires-là !... Une tasse de thé, Catherine !...

CÉCILE.

Voilà que j’ai fini... Un jour, maman était sortie... oh ! !ce fut un grand jour, celui-là !

Madame de Lucy se retourne sur son fauteuil, et cherche à cacher sa figure ; Cécile remarque ce mouvement.

Vous avez peut-être trop chaud, maman ; voulez-vous que j’ouvre la fenêtre !

MADAME DE LUCY, faisant un effort sur elle-même.

Non ! achève, Cécile, achève !

CÉCILE.

J’étais dans le salon ; Léopold entre : il y avait bien longtemps que nous ne nous étions vus seuls une minute, je rougissais, j’étais tremblante !... Pauvre Léopold ! il était presque aussi troublé que moi... Il voulut sortir ; mais il remarqua sans doute combien je souffrais, car il resta... « Cécile, me dit-il, vous ne pouvez douter de mon attachement ; je vous aime comme une sœur ! »

LÉONARD.

Ah ! ah ! voilà une drôle de déclaration... Briolet, une tasse de thé !...

CÉCILE.

N’est-il pas vrai que c’était étrange ? Aussi, ma figure dut exprimer quelque chose de bien extraordinaire, car il s’arrêta, détourna ses regards des miens, et moi qui pensai tout à coup que je m’étais trompée, je sentis ma force m’abandonner, j’allais tomber... quand il me soutint dans ses bras, en attachant ses yeux sur moi, avec un trouble, une tendresse si vive, qu’à l’instant même ce nom de sœur, qui m’avait fait tant de mal, ne laissa plus de traces dans mon esprit.

LÉONARD.

À la bonne heure, ça se raccommode.

CÉCILE.

Je me disais : « Ma mère eût-elle ainsi placé Léopold près de moi, m’eût-elle permis de le voir tous les jours, m’eût-elle laissé prendre de l’amour pour lui, si elle n’eût espéré qu’un mariage nous rendrait heureux ? » C’était bien raisonné, n’est-ce pas, mon oncle ?

LÉONARD.

Parbleu ! sans cela c’eût été une grande imprudence !

MADAME DE LUCY, à part.

Hélas !

CÉCILE.

Et pourtant, je vois bien que Léopold n’avait pas compris tout cela, qu’il s’imaginait que ma mère ne consentirait jamais à notre union.

LÉONARD.

Bah !... et pourquoi ?

CÉCILE.

Je n’en sais, rien, mais je lui dis : Et si ma mère y consentait ?... À ces mots, il tressaillit ; entrainé, mais encore incrédule, sa bouche venait de balbutier qu’il serait le plus heureux des hommes, lorsqu’un cri se fit entendre ; c’était ma mère... elle était là, immobile, près de nous, elle avait tout écouté ; courir à elle, lui demander le bonheur avec celui que j’aimais, ce fut l’affaire d’un instant ; bonne mère !... aussi tremblante que moi, pleurant comme moi, à peine si quelques paroles inintelligibles pouvaient sortir de ses lèvres... enfin, un peu plus calme : « Soyez heureux, dit-elle à Léopold, puisque votre bonheur dépend de Cécile, il ne sera pas dit que, moi, j’aurai mis obstacle à ce que vous désirez tous les deux ; je vous donne ma fille !... » Vous comprenez bien que je tombai dans les bras de Léopold !... mais quand je me retournai pour chercher ma mère, elle avait disparu !...

MADAME D’AUBRAY, à part.

Pauvre Clarisse !

LÉONARD.

Disparu... oh, oh, ma nièce, c’est particulier !

MADAME DE LUCY, très agitée.

Mon devoir était accompli : c’était un époux que je laissais près de ma fille.

LÉONARD.

D’accord, mais pourquoi t’en aller ? pourquoi faire une scène de roman dans une affaire si simple.

MADAME DE LUCY, troublée.

Mon oncle !

LÉONARD.

Au reste, quand la fin du roman est heureuse, on est jamais assez tôt à la dernière page, n’est-ce pas ?... Ah ça, M. Léopold, vous ne dites rien, vous avez l’air de bouder là, dans votre coin !... oh, que je suis bête ! voici la fin de la soirée, et moi je ne pense pas... allons, allons, c’est juste !... Catherine, Briolet, des flambeaux ! il faut que chacun rentre chez soi ; c’est moi qui tiendrai le flambeau de l’hyménée.

MADAME D’AUBRAY, à part.

Quel événement !

Catherine et Briolet apportent des flambeaux.

LÉONARD, à madame de Lucy.

Ah ! il n’y a pas à dire, c’est à toi de... hein !... hein !...

Air de Fra Diavolo. (Final du 1er acte de madame d’Egmont.)

Allons, tu ne peux t’en défendre,
Il faut accomplir ton devoir :
Regarde comme il a l’air tendre !
Avance, et comble son espoir.

MADAME DE LUCY, se levant.

Ô douleur ! c’en est fait, il le faut !

MADAME D’AUBRAY, bas.

Du courage !

CÉCILE, à sa mère.

Ma mère, bénissez notre heureux mariage !
Il m’a donné sa foi.

MADAME DE LUCY, la repoussant.

Je souffre, laissez-moi !

CÉCILE, étonnée.

Quels regards, quel effroi !
Elle souffre, et pourquoi ?

Ici, le chant s’arrête, madame de Lucy fait un effort sur elle-même et fait un pas pour remettre Cécile à Léopold ; mais tout à coup elle tombe sans connaissance dans les bras de madame d’Aubray en poussant un cri étouffé.

MADAME DE LUCY.

Ah !

CÉCILE, LÉOPOLD, etc.

Ciel !

LÉONARD.

Quand je le disais qu’elle était malade !

CÉCILE.

Ma mère, ma bonne mère !

LÉONARD.

Il faut la conduire dans sa chambre.

Tout le monde s’empresse autour de madame de Lucy.

CÉCILE.

Oh, je ne la quitte pas qu’elle ne me soit rendue.

LÉOPOLD, à part.

Malheureux que je suis !

LÉONARD, à Léopold.

Voilà un évanouissement qui vient mal à propos pour vous, mon cher ami.

Le chant reprend sur un mouvement plus vif.

Ensemble.

LÉONARD.

Vite, à sa chambre il faut nous rendre,
La soigner est notre devoir ;
Vraiment, je n’y peux rien comprendre,
Mais bientôt je veux tout savoir.

MADAME D’AUBRAY.

Vite, à sa chambre il faut nous rendre,
La soigner est notre devoir ;

À part.

Quand Léopold devient son gendre,
Je comprends tout son désespoir.

LÉOPOLD.

Vite, à sa chambre il faut nous rendre,
La soigner est notre devoir ;

À part.

Hélas ! comment ne pas comprendre
Sa douleur et son désespoir.

CÉCILE.

Vite, à sa chambre il faut nous rendre.
Veiller près d’elle est mon devoir ;
Les soins de l’amour le plus tendre
La sauveront, j’en ai l’espoir.

CATHERINE.

Vite, à sa chambre il faut nous rendre,
La soigner est notre devoir ;
Ce mal, je n’y puis rien comprendre,
Hélas, qui pouvait le prévoir ?

BRIOLET.

Vite, à sa chambre il faut vous rendre,
La soigner est votre devoir :
À cela qui pouvait s’attendre ?
Adieu le plaisir pour ce soir !

 

 

ACTE II

 

Le théâtre représente un salon ouvrant sur une tente ; derrière la tente, une balustrade et la campagne au fond. Porte et fenêtre au fond, portes latérales ; à gauche de l’acteur, au premier plan, une fenêtre ; à droite, une table couverte de livres et de dessins.

 

 

Scène première

 

MADAME DE LUCY, endormie, CÉCILE

 

CÉCILE.

Oh mon Dieu ! moi qui étais si heureuse il y a deux jours !... et depuis ce temps, je n’ai pas cessé de voir souffrir ma pauvre mère !... comme elle a été malade ; la fièvre ne l’a pas quittée, elle ne me reconnaissait plus sans doute, car elle me repoussait quelquefois avec colère.

Air de Téniers.

Ma voix sur elle est sans puissance,
Je la contemple avec effroi,
Et tâche en vain d’adoucir la souffrance
Qui semble l’éloigner de moi :
Puisse-t-elle être passagère !
Il faut, hélas, je tremble en y songeant,
Qu’un mal cruel trouble une mère
Pour que ses bras repoussent son enfant !

Sa figure habituellement si douce, avait une horrible expression de douleur ; Léopold n’en pouvait soutenir la vue, il s’éloignait ! oh ! moi je ne la quitterai pas !

Ici madame de Lucy fait un mouvement.

Elle se plaint !... pourtant, elle dort encore, ah ! cela fait mal !

Elle s’est levée et regarde autour d’elle.

Personne !... Léopold est sorti... il ne pouvait respirer. Ma mère, mon mari, tout m’est enlevé par cette maladie cruelle.

MADAME DE LUCY, endormie.

Léopold, Léopold !...

CÉCILE, s’approchant.

Qu’entends-je ?...

MADAME DE LUCY, endormie.

Léopold ! que ma fille soit heureuse !

CÉCILE.

Bonne mère !...

MADAME DE LUCY, endormie.

C’est tout ce que je demande, aimez-la... toujours !...

CÉCILE.

Que dit-elle ?... a-t-elle donc des craintes pour moi ?... oh non ! c’est le mal qu’elle éprouve qui la trouble ainsi ; moi, je suis la femme de Léopold... je ne puis pas être malheureuse.

Elle reste immobile, les regards attachés sur sa mère qui prononce encore quelques mots inarticulés.

 

 

Scène II

 

LÉOPOLD, CÉCILE, MADAME DE LUCY, endormie

 

LÉOPOLD, entrant doucement par le fond, examinant Cécile, avec trouble.

Qu’y a-t-il donc, Cécile ?...

CÉCILE, allant à lui vivement.

Ah ! c’est vous mon ami ; silence, elle dort !... mais son sommeil est agité !... des mots que je n’entends pas bien, des plaintes s’échappent de ses lèvres : votre nom...

LÉOPOLD, inquiet.

Mon nom ?...

CÉCILE.

Elle le répète sans cesse.

LÉOPOLD.

Le trouble que donne la fièvre peut amener des idées... des paroles... qui n’ont pas de sens... qui...

CÉCILE.

Écoutez !... Elle veut l’amener près de sa mère.

LÉOPOLD.

Non, Cécile, non... N’approchez pas...

CÉCILE.

Laissez-moi !... venez !...

LÉOPOLD, la retenant.

C’est un spectacle cruel pour vous.

MADAME DE LUCY, endormie.

Cécile !... Léopold !...

Au nom de Cécile la jeune femme s’est élancée vers sa mère, au nom de Léopold, son mari s’approche et veut l’écarter.

LÉOPOLD, à Cécile.

Je vous en prie !...

CÉCILE.

Pardon, mon ami !... c’est ma mère !...

MADAME DE LUCY, endormie.

Oui... Toujours... jamais... Oh ! que je souffre !

Elle ouvre les yeux, s’agite, et essaie de se soulever.

CÉCILE, à Léopold.

Elle s’éveille !...

MADAME DE LUCY, s’éveillant.

Ah !... que s’est-il donc passé ?

CÉCILE, roulant lui prendre la main.

Ma mère !...

MADAME DE LUCY, la repoussant.

Qu’on me laisse !...

CÉCILE.

Oh ! mon Dieu !... Elle me repousse encore !...

MADAME DE LUCY, lui tendant les bras.

Oh non... viens, mon enfant !... viens !...

Elle la serre sur son cœur. 

CÉCILE.

Maman... il est là aussi !...

MADAME DE LUCY, elle fait un mouvement qu’elle réprime aussitôt, et dit avec calme.

Bonjour, Léopold !...

Elle retombe sur l’oreiller ; Cécile s’effraie, Léopold s’approche, mais madame de Lucy se relève, le regarde fixement, et il se place un peu à l’écart.

Ne crains rien, ma fille !... Je me sens mieux !... ma tête est moins brûlante !... je retrouve, mes idées... depuis quand... suis-je donc malade ?

CÉCILE.

Depuis deux jours.

MADAME DE LUCY.

Deux jours !...

CÉCILE.

Oui, aussitôt après notre mariage.

MADAME DE LUCY, douloureusement.

Ah !...

CÉCILE.

Il n’y avait pas une heure que nous étions sortis de l’église, quand tu t’es trouvée mal !... c’est aujourd’hui le troisième jour !... et que je suis restée là, sans cesse, près de toi !... mais tu ne me voyais pas.

MADAME DE LUCY.

Si j’étais morte ?

CÉCILE.

Oh ! ne dis donc pas une chose si horrible !... tu n’as pas été malade au point de nous donner de telles inquiétudes !... mourir !... c’est impossible !... n’est-ce pas, Léopold ?

LÉOPOLD.

Non, non ! Il n’y avait pas an danger réel !... il ne pouvait pas y en avoir !... je l’espère !...

CÉCILE.

Moi, j’en suis sûre.

MADAME DE LUCY, se levant.

À ton âge, Cécile, on croit ce qu’on désire !... c’est l’âge de l’espérance et des illusions.

Air : Muse des Bois.

Dans cette vie on vient d’entrer à peine,
Notre œil encor n’en voit que la moitié !
On est heureux, car chaque jour amène
Nouveau plaisir et nouvelle amitié :
On ne sait pas que l’espoir est stérile ;
Et ce bonheur, qu’ici tu te promets
Rien ne t’a dit combien il est fragile !
Ah, puisses-tu ne l’apprendre jamais !
Ma pauvre enfant, ah ! ne l’apprends jamais !

Elle essuie une larme.

CÉCLIE, avec étonnement.

Ma mère ! quoi-donc !... auriez-vous des chagrins, dites, parlez, confiez les à votre fille.

 

 

Scène III

 

LÉOPOLD, CÉCILE, LÉONARD, MADAME DE LUCY

 

LÉONARD, entr’ouvrant la porte du fond.

Ah ! ah !... on peut entrer !...

Il entre.

Il paraît que ça va mieux ?... Bonjour ma chère Clarisse !... Bonjour, mes enfants, car je veux être un père pour vous tous... et d’abord, voyons, comment je trouve aujourd’hui notre chère malade ?

MADAME DE LUCY.

Mieux, mon oncle.

LÉONARD.

Encore pâle et faible, ce qui se passe ici est incroyable !... des médecins qui n’entendent rien à une maladie.

MADAME DE LUCY, souriant.

Cela est-il donc bien rare ?

LÉONARD.

Non, je ne dis pas, ça leur arrive plus souvent qu’à leur tour ! mais une femme qui souffre, et qui ne se plaint pas ; des mariés qui... enfin rien n’est comme de coutume dans cette maison-ci, il faut que je remette tout cela sur un bon pied, et si l’on me laisse faire... mais quand on veut porter remède, il est indispensable de connaître les causes du mal, et c’est à cela que je vais procéder.

Entrée de Catherine.

MADAME DE LUCY, vivement.

Je vous dis que je suis mieux, que je n’ai besoin de rien.

CATHERINE, annonçant.

Madame d’Aubray !

CÉCILE.

Fais entrer.

LÉONARD.

Bon, une amie intime !... c’est encore une auxiliaire qui m’arrive.

 

 

Scène IV

 

CÉCILE, LÉOPOLD, LÉONARD, MADAME D’AUBRAY, MADAME DE LUCY

 

MADAME D’AUBRAY, allant vers madame de Lucy.

Ah, ma bonne Clarisse, que je suis aise de te trouver mieux portante !

MADAME DE LUCY, lui pressant la main.

Merci, ma chère Adèle, merci !

MADAME D’AUBRAY.

Bonjour, Cécile !... Je vous salue, messieurs.

LÉONARD.

Vous arrivez à propos, madame ; car j’espère que vous me serez utile.

MADAME D’AUBRAY.

Que voulez-vous dire ?

LÉONARD.

On confie quelquefois à l’amie ce qu’on n’avoue pas au médecin,

LÉOPOLD, à part.

Il me met à la torture !...

Il fait quelques pas vers le fond.

LÉONARD.

Ne vous éloignez pas, mon neveu, je vous en prie, j’ai besoin de vous aussi pour découvrir le secret...

MADAME D’AUBRAY.

Mais, monsieur ; il n’y a pas de secret.

LÉONARD, faisant un geste d’impatience.

Je vous demande bien pardon, madame ! il y en a un. Voilà une femme encore jeune, jolie, riche, qui a dû être très recherchée dans la société : Eh bien, elle vivait presque seule.

MADAME D’AUBRAY.

Il est des gens qui n’aiment pas le monde, et ce sont les plus sages.

LÉONARD, à part.

Cette femme-là est insupportable avec sa rage de m’interrompre !...

CÉCILE, à Léonard.

Maman se plaisait à la campagne. Elle passait huit mois de l’année dans sa terre de Bellevue située à trente lieues de Paris.

LÉONARD.

Je sais cela : je sais aussi que ces goûts simples et naturels sont le partage des âmes tendres... ma nièce est veuve depuis longtemps ; elle a refusé, à ma connaissance, un bien riche parti, il y a deux ans ; et tel qu’une femme n’en trouve pas un second dans la vie.

LÉOPOLD, à part.

Et elle l’avait caché !... Pauvre femme !...

CÉCILE, allant près de sa mère qui s’est assise sur le lit de repos.

Bonne maman !

LÉONARD, à demi-voix à madame d’Aubray sur le devant.

Sachez, madame, que j’ai vu des larmes dans ses yeux : voyons ? Entre-nous, a-t-elle quelque chagrin ? vous aurait-elle parlé de quelque attachement qui serait contrarié ?

MADAME D’AUBRAY.

Eh, monsieur, je ne sais ce que vous voulez dire.

Elle retourne près de madame de Lucy.

LÉONARD.

Rien de ce côté !... passons à un autre !...

À demi-voix à Léopold.

Dites-moi, vous, mon ami... Un oncle, ça peut arranger bien des choses !... avez-vous quelque soupçon ? n’avez-vous jamais vu quelqu’un chercher à lui plaire, à se faire aimer d’elle ? vous hésitez ?... vous savez quelque chose.

LÉOPOLD, se remettant.

Non, monsieur, non !... et je ne comprends rien à un pareil interrogatoire.

LÉONARD, à part.

Encore un qui ne comprend pas... je parierais qu’il sait tout !...

MADAME DE LUCY, bas à madame d’Aubray.

Que disent-ils donc !

MADAME D’AUBRAY, bas.

Ton oncle Léo nard est un peu singulier.

LÉONARD, s’approchant de madame d’Aubray et à demi-voix.

Léopold est instruit, j’en suis sûr !...

MADAME D’AUBRAY.

Et de quoi voulez-vous que monsieur soit instruit puisqu’il n’y a rien.

LÉONARD, à lui-même.

Comme ces gens-là sont boutonnés !...

MADAME DE LUCY, à madame d’Aubray.

Chère amie... ces colloques mystérieux, cette inquiète curiosité de M. Léonard me tourmente et me fatigue... et j’ai tant besoin de repos !...

MADAME D’AUBRAY.

Tu as raison !... Messieurs, ma pauvre amie est bien souffrante : accordons-lui quelques moments de calme ; moi-même je vais me retirer.

CÉCILE.

Oh, je resterai, moi !...

MADAME DE LUCY.

Non, Cécile !... je désire être seule.

CÉCILE, indiquant la porte de droite de l’acteur.

Eh bien, je me tiendrai-là dans ce cabinet, et, au moindre bruit, je reviendrai près de vous, ma mère.

MADAME D’AUBRAY.

Air : Final du quatrième acte du Bon Enfant.

Sortons, messieurs, je vous en prie,
Et prenons pitié de ses maux !
Nous devons à ma pauvre amie
Laisser au moins un instant de repos.

LÉOPOLD, à part.

Seule je veux la voir,
Oui, tout l’ordonne !

LÉONARD, à part.

Ah, je soupçonne
Qu’à la fin je vais tout savoir,
Et de la guérir j’ai l’espoir.

Ensemble.

MADAME D’AUBRAY,

Sortons, messieurs, etc.

LÉOPOLD et LÉONARD.

Sortons, puisqu’elle nous en prié,
Et prenons pitié de ses maux,
Oui, nous devons à notre amie
Laisser au moins un instant de repos.

CÉCILE.

Sortons, puisqu’elle nous en prie,
Et prenons pitié de ses maux,
Il faut à ma mère chérie
Laisser au moins un instant de repos.

Cécile sort par la porte de droite ; madame d’Aubray, Léonard et Léopold sortent par le fond.

 

 

Scène V

 

MADAME DE LUCY, seule

 

Enfin me voilà seule ; leurs soins, leur amitié, tout m’est à charge ; parmi les chagrins des femmes, il en est un que l’on ignore ou qu’on ne compte pas... ne pouvoir pleurer seule, et pourtant il est cruel ! Sentir la curiosité chercher sur votre visage, épier dans vos yeux, poursuivre au fond de votre âme le secret qu’on veut se cacher à soi-même, le mal qu’on veut oublier, pour tâcher d’en guérir ! Oh ! mon Dieu ! que la vie est triste... si je pouvais partir... quitter la France ?... Avoir placé son bonheur sur un bien... et le perdre !... Perd tout !... tout ?... oh, non ! ma fille me reste !... ma fille !... ah, sans elle !...

Air : Reviens à moi. (Romagnesi.)

Ô mon enfant, que devenir
Si ton doux nom ne me protège ?
Chasserai-je le souvenir
Qui partout me suit et m’assiège ?
Oui, ma fille est mon seul trésor,
Sa tendresse doit m’être chère !
Oublions tout, et soyons mère
Pour aimer quelque chose encor !

Elle sera heureuse, elle ; son bonheur ? c’est encore un but, un intérêt dans ma vie ; j’y veillerai. Oh, je veux le lui recommander à lui ; qu’il la chérisse toujours ; qu’il ne chérisse qu’elle... Écrivons-lui.

Elle s’assied à une table, écrit et prononce haut quelques phrases de sa lettre.

« Elle est si jeune !... Elle aurait si long-temps à souffrir si votre inconstance... Oh, rendez-la heureuse !... Je vous le demande au nom de... »

La porte à gauche s’ouvre.

Encore !... qui vient ici ?...

Elle se lève ; Léopold entre.

 

 

Scène VI

 

MADAME DE LUCY, LÉOPOLD

 

MADAME DE LUCY.

Que vois-je ? c’est vous, Léopold ! vous !...

LÉOPOLD.

Oui, de grâce calmez-vous, et écoutez-moi !...

MADAME DE LUCY.

Vous écoutez... mais que me voulez-vous donc ? Sortez, monsieur, sortez !...

LÉOPOLD.

Il faut que je vous parle ! Depuis trois jours, votre douleur muette m’a déchiré !... vos larmes sont retombées sur mon cœur.

MADAME DE LUCY.

Des larmes ?... Vous vous trompez ; je suis malade ! voilà tout.

LÉOPOLD.

Non !... Je ne puis vous voir souffrir ainsi. Ah, dites-moi que votre tendresse pour votre fille vous empêchera de me maudire ; dites-moi qu’un jour vous me pardonnerez tout le mal que je vous ai fait ; songez que ce sacrifice d’une mère, c’est vous qui m’avez forcé d’y consentir ; je voulais partir, m’éloigner à jamais ! oh, pourquoi ne l’ai-je pas fait ? je ne serais que malheureux, et je suis coupable ! chacune de vos douleurs m’apporte une nouvelle torture, un nouveau remords ! ah, ma situation est horrible ! plus horrible que la vôtre !...

MADAME DE LUCY.

Laissez-moi, oh, laissez-moi, par pitié ; voulez-vous donc me faire mourir ?

LÉOPOLD.

Je vous en conjure !... dites moi qu’un jour vous ne serez plus malheureuse, que je pourrai cesser de me haïr, de me mépriser.

MADAME DE LUCY.

Tenez, je vous écrivais !... cette lettre... prenez-la mais éloignez-vous ! songez à ma fille... c’est tout ce que je  vous demande !...

Elle lui remet la lettre.

LÉOPOLD.

Clarisse !...

MADAME DE LUCY.

Pas un mot de plus !... sortez, je vous en prie... et au besoin je vous l’ordonne !...

LÉOPOLD.

J’obéis.

Il sort par la porte à gauche des acteurs.

 

 

Scène VII

 

MADAME DE LUCY, seule un instant, puis CÉCILE

 

MADAME DE LUCY.

Ah ! quelle horrible é motion !... je souffre...j’ai froid !

Elle passe la main sur son front.

une sueur glacée !...

Elle s’étend machinalement sur le lit de repos.

Si je pouvais mourir ?...

Elle est évanouie sur le lit de repos.

CÉCILE, entrant par la porte de droite.

Il n’y a personne ! j’avais cru entendre du bruit !

Elle regarde sa mère d’un peu loin.

Elle dort ! Moi aussi, je m’étais assoupie ; je suis si fatiguée. C’est singulier, il m’avait semblé qu’elle parlait ; je me suis réveillée en sursaut ; je me trompais ; elle est bien calme. Reposons-nous aussi.

Elle s’assied sur un fauteuil près de la table.

Ce soir, je ne veux pas que Catherine veille ; je resterai seule ; c’est pour ma mère.

Elle regarde la pendule.

Il est déjà tard, le jour baisse ; comme cette chambre est sombre.

Elle allume deux bougies et les place sur la table.

Ah ! je me sens mieux ainsi ! Mon Dieu, qui eût dit que les premiers jours de mon mariage se passeraient si tristement ? j’imaginais un si grand bonheur ; des fêtes, des plaisirs, des bals ; et Léopold ? En vérité, je commence à croire qu’on se fait bien des illusions quand on est jeune ; si je n’étais pas aussi sûre qu’il m’aime, je m’inquiéterais, car enfin, pourquoi n’est-il pas là ? il me laisse seule ; il y a quelques mois, j’aurais eu peur... mais à présent, je suis mariée, je ne suis plus un enfant ; si je pouvais m’occuper ? non, j’ai mal à la tête, mes yeux sont fatigués, et malgré moi de temps en temps de grosses larmes... Ce que j’éprouve est indéfinissable ; qu’y a-t-il donc autour de moi qui me trouble m’effraie ? allons-donc, ce n’est rien ; maman va mieux, j’ai tort, j’ai tort !... il faut me distraire. Rangeons ces dessins...

Elle range sur la table

Ah ! voilà les plus beaux bracelets de maman qui sont restés là depuis deux jours, personne n’a pensé à les serrer, je veux les mettre en sureté, car elle y tient beaucoup. Tout est demeuré dans l’état où cela était au moment de sa maladie.

Elle va ouvrir le secrétaire et aperçoit dedans un riche coffret.

Comment ? la clé est à ce coffre que ma pauvre mère fermait toujours elle-même, et dont la clé ne la quittait pas ! plaçons y ces bracelets :

Elle les place dans le coffre, et essaie de le fermer.

Il ne se ferme pas ! qu’y a-t-il donc ?

Elle prend le coffre et l’apporte sur la table où sont les bougies.

Voyons, appuyons plus fort ; non, la clé ne tourne pas !...

Elle rouvre le couvercle ; des lettres et un portrait s’en échappent, et tombent sur la table et parterre.

Ô mon Dieu ! c’était un double fond !... un secret sans doute ?

Elle a l’air de ne pas oser toucher aux papiers.

Si ma mère s’éveillait, si elle pouvait penser que la curiosité !... oh non !... je ne veux pas savoir ce qu’elle veut me cacher...

Elle ramasse quelques lettres et les met dans le coffre sans les regarder ; puis elle prend le portrait et malgré elle son regard se fixe dessus.

Eh mais, c’est lui.

Elle l’approche de la lumière.

C’est bien lui, c’est Léopold, mon mari !... ah ! je peux regarder !... mais que vois-je ! qu’y a-t-il d’écrit là ?...

Elle lit.

« À ma bien aimée Clarisse ! » Comment, Clarisse !... c’est le nom de ma mère !... sa bien aimée ! « Le 24 mars 1830. » Et nous sommes en 1834 ! qu’est-ce que cela ?... ah !...

Elle saisit avidement une lettre, et lit haut avec agitation.

« Je n’ai jamais senti, et je n’éprouverai jamais que pour vous cet amour véritable ou les cœurs et les pensées se conviennent entièrement !... »

Elle jette ce papier, et en saisit un autre.

« Ma chère Clarisse, consentez à notre union : le bonheur de ma vie est à ce prix ; pourquoi attendre ? Votre mariage, dites-vous, empêcherait votre fille de trouver un parti aussi brillant que vous le désirez, et vous voulez assurer son sort avant de vous occuper du vôtre ! ah, votre âme est plus belle encore que votre charmante figure, et j’adore. » Ah ! mon Dieu !...

Elle lit.

« Aucune femme de seize ans n’inspirera jamais ce que l’âme éprouve près de vous d’amour et de bonheur !... »

Elle jette encore ce papier sur la table, puis tombe sur un fauteuil, en s’écriant hors d’elle-même.

Lui !... elle !... ils s’aimaient !...

CATHERINE, en dehors.

Venez donc, monsieur Léopold, venez !...

CÉCILE, se levant.

Ciel ! quelqu’un !

Elle cache dans sa poche les lettres et le portrait, puis replace le coffre dans le secrétaire.

 

 

Scène IX

 

CATHERINE, CÉCILE, LÉOPOLD, MADAME D’AMBRAY, MADAME DE LUCY

 

CATHERINE, des flambeaux la main, à Cécile.

Ah ! vous aviez allumé ?...

Elle place les flambeaux sur la cheminée.

Eh mais, qu’avez-vous donc ?... comme vous voilà pâle et tremblante !...

LÉOPOLD, s’approchant d’elle.

Cécile !...

CÉCILE, le repoussant, du doigt en indiquant sa mère.

Monsieur !...

LÉONARD, entrant.

Eh bien, voyons ! cette soirée sera-t-elle plus gaie que les autres ? le mieux de ma chère nièce se soutient-il ?

MADAME D’AMBRAY, dès en entrant, elle est allée près de madame de Lucy qui est sortie de son évanouissement.

Oui, les couleurs sont revenues !...

MADAME DE LUCY.

Je me sens mons malade ; que je vous remercie de vous être ainsi réunis près de moi !

LÉOPOLD, à part, regardant Cécile.

Quel silence et quels regards ! qu’a-t-elle donc ?

CÉCILE, à part.

Ils s’aimaient !...

 

 

ACTE III

 

Le théâtre représente un jardin. Dans le fond, à gauche de l’acteur, on aperçoit l’entrée de la maison ; à droite, au premier plan, un banc ; à gauche, au premier plan, une table de jardin et des sièges.

 

 

Scène première

 

BRIOLET, CATHERINE

 

BRIOLET.

Eh bien ! Catherine, comment va madame de Lucy, ce matin ?

CATHERINE.

Mais, pas trop mal. Oh ! Dieu merci, la voilà remise ; car aujourd’hui nous recevons grande société en l’honneur du mariage.

BRIOLET.

Il est bientôt temps, après plus de quinze jours ! Mais, dites donc, vous en êtes-vous aperçue ?

CATHERINE.

De quoi ?

BRIOLET.

Du changement de sa fille, madame Léopold de Banneville : elle est sombre, pâle, elle dépérit que ça fait peine à voir. J’ai peur qu’elle ne tombe malade à son tour.

CATHERINE.

La fatigue, l’inquiétude qu’elle a éprouvées près de sa mère ; car depuis quinze jours elle ne l’a pas quittée un seul instant...

BRIOLET.

Hum !... Il y a encore autre chose...

CATHERINE.

Que peut-il y avoir ?

BRIOLET.

Je ne vous le dirai pas ; mais sa manière d’être me semble bien extraordinaire ; elle regarde son mari d’une drôle de façon, pour une jeune mariée : quand il lui parle, c’est à peine si elle lui répond. Avez-vous remarqué comme elle évite d’être seule avec lui ? souvent, quand il veut s’approcher d’elle, elle le plante là sans prononcer une parole ; bref, il y a des moments où on dirait qu’elle le déteste.

CATHERINE.

Par exemple !

BRIOLET.

C’te manie d’avoir été s’établir chez madame, juste la première nuit de ses noces, et de n’avoir pas encore voulu en déguerpir... C’est qu’il n’y a pas à dire, la chambre de M. Léopold est toujours une chambre de garçon. Croyez-vous que ce soit flatteur pour un mari ?

Air : J’en guette un petit de mon âge.

Il doit être vexé, s’il aime ;
Le procédé, certes, est cruel !
Le pauvre mari n’a pas même
Commencé la lune de miel.
Je conçois qu’son dépit s’éveille ;
Il est bien dur, après un jour d’hymen,
D’espérer quinz’ fois un lendemain,
Et d’rester toujours à la veille.

CATHERINE.

Est-ce qu’il peut lui en vouloir de son amitié pour sa mère ?

BRIOLET.

L’amitié, l’amitié, voyez-vous, Catherine... il faut que l’amour soit bien faible pour ne pas trouver moyen de passer devant. Il est vrai que ces jeunes filles, c’est capricieux... que ça fait frissonner !

CATHERINE.

Eh bien ! voilà de jolies idées, pour un homme qui veut épouser ma fille !

BRIOLET.

Oh ! épouser, épouser !... Ça ne presse pas.

CATHERINE.

Comment ! ça ne presse pas ? Ne me l’avez-vous pas demandée à votre retour ? tout n’a-t-il pas été con venu ? ne l’avez-vous pas trouvée embellie ?

BRIOLET.

Embellie... c’est-à-dire, je l’ai trouvée grandie et grossie, voilà tout.

CATHERINE.

Ah ça ! est-ce que M. Briolet ne voudrait plus entrer dans la famille ?

BRIOLET.

Je n’ai pas dit un mot de ça.

CATHERINE.

Que dites-vous donc ?

BRIOLET.

Je dis que j’ai réfléchi, beaucoup réfléchi, et que si vous y consentez, mamzelle Toinette n’aura pas à se plaindre de la façon dont je me conduirai avec elle ; je serai son ami, son protecteur. 

CATHERINE.

C’est le devoir d’un bon mari.

BRIOLET.

Oui, et d’un bon quelque autre encore.

CATHERINE.

Un bon... quelque autre !... quoi donc, s’il vous plaît ?

BRIOLET.

Et pardinne !... un bon père.

CATHERINE.

Un père !...

BRIOLET.

Eh bien ! oui... le mot est lâché ; il est inutile d’aller par quatre chemins...

CATHERINE.

Êtes-vous dans votre bon sens ? vous ai-je bien compris ? ce serait moi ?...

BRIOLET.

Que je veux pour femme... Oui, dame Catherine.

CATHERINE.

Moi, qui ai dix ans plus que vous !

BRIOLET.

Est-ce que je regarde votre acte de naissance ? je regarde votre visage, et je vous vois fraîche, avenante, réjouie, enfin, vous me plaisez.

CATHERINE.

Décidément vous êtes fou, Briolet.

BRIOLET.

Pas si fou... oh ! toutes mes réflexions sont faites... Au diable la fille !... vive la mère !... Comparez donc ces petites pie-grièches bien quinteuses, bien maussades, bien capricieuses, à une bonne ma man comme vous, bien d’à-plomb, qui pensera aujourd’hui comme elle pensait hier, qui vous tiendra compte des moindres soins, qui vous choiera, vous caressera, vous dorlotera...

CATHERINE.

Mais songez donc...

BRIOLET.

J’aime à être choyé, dorloté, caressé ; c’est mon faible à moi.

CATHERINE.

Laissez-moi vous parler raison.

BRIOLET.

À quoi que ça servira ?

 

 

Scène II

 

CÉCILE, CATHERINE, BRIOLET

 

CÉLILE, entrant au fond et les apercevant, à part.

Du monde !... toujours et partout !...

BRIOLET, à Catherine.

Si, je trouve la mère cent fois plus jolie que la fille !

CÉCILE, à part, s’arrêtant.

Que dit-il ?...

BRIOLET.

Pourquoi, je vous le demande, irai-je épouser la fille, quand c’est la mère qui me plaît !

CATHERINE.

Mais, mon garçon, ça n’est pas possible.

BRIOLET.

Puisque c’est mon goût, à moi, il paraît que c’est possible.

CATHERINE.

Allons, allons, vous extravaguez.

BRIOLET.

Pas tant, pas tant ; et si tout le monde ici avait fait comme moi...

CÉCILE, à part.

Écoutons.

CATHERINE.

Qui donc ici ?

BRIOLET, d’un ton mystérieux.

Eh bien ! M. Léopold... Croyez-vous que lui, qui est un homme fait, qui a trente ans, n’aurait pas été plus heureux si...

CATHERINE, lui fermant la bouche avec la main.

Chut... Je m’en vais, car je n’en veux pas écouter davantage.

BRIOLET.

Et moi je vous suis, car j’en ai encore long à vous dire.

Ils sortent par le fond. Cécile, qui s’est cachée derrière un arbre, arrive en scène.

 

 

Scène III

 

CÉCILE, seule

 

Ah !... jusqu’aux valets qui ont cette pensée !... Il semble que tous les yeux les aient lues ces lettres où est écrit le malheur de ma vie !...

Elle les tire de son sein, les regarde et les cache de nouveau.

Horrible découverte !... J’ai donc tout vu, tout compris !... Oh ! mes souvenirs reviennent en foule aujourd’hui !... Près de moi sa contrainte, ses regards inquiets !... près d’elle, son empressement, sa confiance !... et je ne voyais rien !...Ah ! il ne m’a jamais aimée ! il ne m’aimera jamais... sa pitié peut-être ? mais moi je n’en veux pas de sa pitié... Pourquoi m’avoir enlevée à l’amitié de mes compagnes ? j’étais heureuse au milieu d’elles ; je pouvais l’être longtemps encore ; je ne demandais rien, je ne désirais rien, que de ne pas souffrir... Pour quoi me jeter dans le monde comme un obstacle au bonheur de chacun ? Eh bien, brisez-le donc cet obstacle... Oh, cela ne peut durer ainsi... Quel est donc ce mal cruel, inconnu, qui me torture et me déchire ; qui ne me laisse pas un moment de repos ? Toujours la même idée !...toujours ! cette femme ?... c’est ma mère... elle me chérit ; elle m’a tout sacrifié... Comme elle est belle...

Elle s’assied sur le banc, abîmée dans ses ré flexions.

 

 

Scène IV

 

CÉCILE assise, MADAME DE LUCY, arrivant par la gauche

 

MADAME DE LUCY, apercevant de loin Cécile, à elle-même.

Toujours triste et rêveuse ! oh, mon Dieu, le sacrifice était pourtant bien complet et bien sincère... me serais-je donc trompée ?... je lui ai donné plus que ma vie... n’aurais-je rien fait pour son bonheur ?...

Elle s’approche doucement du banc.

Cécile !

CÉCILE, se levant vivement.

Ah ! ma mère !

MADAME DE LUCY.

Demeure, je vais m’asseoir auprès de toi, reste-là !... que nous causions ensemble comme autrefois... quand tous tes petits secrets de jeune fille ne demandaient qu’un regard de ta mère pour s’échapper de ton cœur.

CÉCILE, assise près de sa mère, et repoussant ses caresses.

Mes secrets !...

MADAME DE LUCY.

Oui... Et maintenant tu en as un j’en suis sûre, ce n’est pas moi que tu pourrais tromper, moi qui lis dans ton âme comme dans la mienne.

CÉCILE, faisant un mouvement.

Ah !...

MADAME DE LUCY.

Moi, qui, depuis seize ans, n’ai pas eu une pensée, n’ai pas formé un vœu qui ne fût pour ma fille bien aimée !... oh oui, bien aimée !... tu ne sais peut-être pas tout ce dont une mère est capable ?... tu ne sais pas tout ce qu’il y a de bonheur pour elle dans le sourire de son enfant, tout ce qu’il y a de peine et de serrements de cœur dans sa défiance et sa tristesse ?... oh, ne me cache rien, confie tout à ta mère, parle, je t’en supplie ! qu’as-tu ?

CÉCILE, se jetant dans ses bras.

Ma mère.

MADAME DE LUCY.

Eh bien ?

CÉCILE.

Ma bonne mère !... ah oui... vous vous m’aimez, ce sont bien là ces douces paroles, ces accents du cœur auxquels je n’ai jamais su résister, je suis toujours votre Cécile.

MADAME DE LUCY.

En aurais-tu douté ?

CÉCILE, avec hésitation.

Moi ? non...

Sa mère la regarde.

Non, jamais !

MADAME DE LUCY.

Prouve le moi donc, en me faisant partager ton chagrin.

CÉCILE, troublée.

Mon chagrin ?... mais je n’en ai pas... je ne peux pas en avoir ! chérie par vous... qui pourrait le causer ? non !... vous le savez, dans les situations les plus heureuses, il est des jours de mélancolie, d’abattement, dont soi-même on ignore le motif, c’est dans l’air... dans le caractère, qu’importe ?... pourvu que ce ne soit pas dans le cœur.

MADAME DE LUCY, d’un air de doute.

Cécile !

CÉCILE, s’efforçant de sourire.

Tenez, regardez-moi, vous le voyez, c’est déjà passé...

MADAME DE LUCY.

Oui... tu t’efforces de sourire, et des larmes sont dans tes yeux.

CÉCILE, essuyant rivement ses yeux.

Des larmes ?... oh, vous savez bien que je suis encore une enfant, je ris, je pleure, et je serais souvent aussi embarrassée de rendre compte de mon sourire que de mes larmes.

MADAME DE LUCY, à part.

Je croyais pourtant les avoir toutes gardées pour moi !...

CÉCILE, se levant et prenant la gauche.

Adieu... ma mère.

MADAME DE LUCY, la retenant.

Où vas-tu-donc ?

CÉCILE.

Mais... je rentre.

MADAME DE LUCY, se levant.

Et voilà comme tu me quittes !...

Cécile prend sa main qu’elle couvre de baisers.

Prends garde, mon enfant, un caprice a souvent détruit le bonheur de la vie !

CÉCILE, blessée.

Un caprice ?... ah ! je n’ai pas de caprices. 

MADAME DE LUCY.

Peut-être n’y fais-tu pas attention ? peut-être ne te rends-tu pas compte de ta conduite, mais tu n’es plus la même avec tout ce qui t’entoure : tu nous évites, tu nous fuis, ton mari lui-même...

CÉCILE, vivement.

Se serait-il plaint de moi ?

MADAME DE LUCY.

Oh non ! mais il s’afflige, comme ta mère, il déplore ce manque de confiance qui lui fait craindre pour l’avenir... ah, Cécile... ma fille... quand  il dépend de toi de nous rendre tous...

Avec effort.

Heureux...

CÉCILE, amèrement.

Heureux ?... savez bien, vous, ma mère, que cela n’est  pas possible, que cela ne sera jamais possible !...

MADAME DE LUCY, étonnée.

Que dis-tu ? que signifie ce trouble, ce découragement, réponds-moi donc, que tu est cruelle... Tu vois bien que tu as un secret, et que tu le caches à ta mère ?...

CÉCILE.

Oh, mon Dieu !... comme vous me pressez, comme vous me tourmentez, vous voulez donc tout savoir : Eh bien... ce qui vous étonne en moi, m’étonne aussi, oui... je ne suis plus la même... mon caractère est changé, il est devenu bizarre, capricieux, comme vous le disiez tout à l’heure, ce qui me plaisait, ce que je désirais avec le plus d’ardeur, me déplait à présent, je suis injuste sans doute ? j’ai voulu me vaincre ; depuis quinze jours, j’ai lutté... tous mes efforts ont été inutiles, jugez maintenant, jugez si de tels sentiments peuvent tarder à en faire naître de semblables chez celui qui les inspire, jugez si je dois être odieuse à Léopold...

MADAME DE LUCY.

Toi ?... oh, Cécile !...

CÉCILE.

Le voilà mon secret ! vous n’avez pas voulu qu’il mourût avec moi ; vous me l’avez arraché... Vous ne m’interrogerez plus maintenant, vous ne vous étonnerez plus ; vous me plaindrez !... voilà ce que j’éprouve, voilà pourquoi la pauvre Cécile ne peut rien désormais pour le bonheur de personne !...

MADAME DE LUCY.

Je ne saurais te comprendre...

 

 

Scène V

 

MADAME DE LUCY, CÉCILE, LÉONARD, LÉOPOLD

 

LÉONARD, dans la coulisse.

Par ici, mon cher Léopold, par ici.

CÉCILE.

C’est lui ! laissez-moi m’éloigner.

MADAME DE LUCY, l’arrêtant.

Oh, ne le fuis pas, je t’en prie... écoute-le, c’est ton devoir ; et bientôt sa douce parole aura dissipé la fâcheuse impression qu’un mot, peut-être mal interprété, a laissée dans ton esprit ; car il t’aime, lui !... oui, il t’aime !... tu peux t’en fier à ta mère.

LÉONARD, entrant en scène avec Léopold.

Je ne me trompais pas : voici ces dames,

À demi-voix.

Quand je dis ces dames, je ne sais pas trop pourquoi je mets cela au pluriel ; la maladie de ma nièce a eu des suites bien contrariantes pour vous, mon bon ami...

LÉOPOLD, à madame de Lucy.

Vous, au jardin, madame !...

CÉCILE, à part.

Je tremble, je frémis à sa vue !

LÉOPOLD, à madame de Lucy.

Vos amis peuvent donc désormais ne plus concevoir d’inquiétudes sur une santé qui leur est si chère ?

MADAME DE LUCY.

Je me sens tout à fait bien.

LÉOPOLD.

Sûrs que vous nous accompagnerez, nous pouvons donc, Cécile et moi, accepter l’invitation de bal que je viens de recevoir ?

CÉCILE.

Un bal ?... ne comptez pas sur moi ; je ne danse pas... je ne veux pas danser.

LÉOPOLD.

Il y a quinze jours, à peine, c’était le plaisir que vous préfériez.

CÉCILE.

Eh bien, j’ai changé... car on ne me ferait pas danser... pour rien au monde.

LÉONARD.

Il me semble, ma petite Cécile, que, depuis ton mariage, tu ne t’es pas beaucoup fatiguée au bal, et que celui-ci pourrait, à la rigueur, te servir de bal de noce.

CÉCILE.

Je vous répète que je ne danserai pas.

LÉONARD.

Cependant...

LÉOPOLD.

N’insistez pas, monsieur, je vous en prie ; ce qu’on accorde sans effort peut-être agréable, mais ce qu’il faut arracher par la prière et par une pénible instance n’a plus aucun prix à mes yeux.

MADAME DE LUCY.

Léopold ne prenez pas trop vivement le refus de Cécile : quand vous êtes arrivé, elle me faisait part d’une indisposition.

LÉOPOLD, vivement et passant entre Léonard et Cécile.

Serait-il vrai ?... vous, Cécile, souffrante !...

CÉCILE.

Mais non, monsieur, non ! ne croyez pas ma mère... jamais je ne me suis mieux portée.

MADAME DE LUCY, très doucement.

Si fait, tu es malade... pas sérieusement, j’en ai l’espoir... car, si tu veux écouter ta mère, ton mal sera bientôt guéri.

CÉCILE.

Je ne sais ce que vous voulez dire, à moins qu’il ne soit bien reconnu que le refus d’un bal est une maladie.

MADAME DE LUCY, d’un ton suppliant.

Cécile !...

LÉOPOLD, tristement.

Vous le voyez madame, Cécile serait fâchée qu’on pat attribuer sa résolution à un motif autre que sa volonté.

CÉCILE.

J’ai du moins le mérite de ne savoir, ni de vouloir tromper.

LÉONARD.

Ah ça, qu’est-ce que tout cela signifie ?... c’est tout au plus si vous êtes mari et femme (et quand je dis tout au plus je m’entends.) et déjà vous vous chamaillez comme si vous aviez fait ensemble une traversée de deux ans !

LÉOPOLD.

C’est moi qui ai tort, mon sieur, moi seul ; j’ai eu le malheur de proposer quelque chose à Cécile ; mais dorénavant je promets bien de lui éviter une semblable contrariété : je m’abstiendrai de toute prière et de toute proposition.

CÉCILE.

Eh bien, oui, monsieur, c’est cela !... vous m’obligerez ; car enfin que vais pas vous troubler, moi, je ne me veut-on ? que me demande-t-on ? je ne me plains pas de vous, qu’on me laisse !... puisque mon caractère et ma personne ne peuvent que blesser et importuner !

BRIOLET, entrant.

Madame d’Aubray attend madame dans son appartement.

CÉCILE.

Madame d’Aubray !... ah, je vais...

MADAME DE LUCY, l’arrêtant.

Non, mon enfant ; reste, reste ici... je t’en conjure !... c’est moi qui vais la recevoir... M. Léonard me donnera la main.

LÉONARD.

De tout mon cœur.

MADAME DE LUCY, bas à Léonard.

Quelques moments d’entretien avec son mari lui rendront le calme.

LÉONARD, bas.

C’est cela !... un tête-à tête entre deux jeunes époux, qui ne le sont pas encore, ça arrange bien des choses.

Ils sortent.

 

 

Scène VI

 

CÉCILE, LÉOPOLD

 

CÉCILE, à part, examinant Léopold dont l’attitude trahit l’embarras.

Immobile, distrait !... il est là, près de moi !... et sa pensée est loin !...

LÉOPOLD, à part.

Quel avenir promet ce caractère !... elle ne reste là que parce que sa mère le lui ordonne.

Haut.

Eh quoi ! nous voilà seuls, Cécile, et vous ne vous empressez pas de me fuir ?

CÉCILE.

J’ai voulu épargner un chagrin à ma mère, monsieur ; maintenant,

Elle fait un mouvement pour sortir.

je vais vous éviter un ennui.

LÉOPOLD.

Excellent prétexte pour y échapper !

Cécile s’arrête et le regarde.

Mais c’est une justice qu’il faut vous rendre ; vous vous êtes montrée franche avec moi... si ce n’est avant le mariage, du moins tout de suite après.

CÉCILE, avec intention.

Et vous monsieur ?...

LÉOPOLD.

Moi ? c’est de vous qu’il s’agit ; certes je ne suis pas jaloux... d’une mère !... je respecte le sentiment qui vous a porté à lui consacrer tous vos soins, à lui donner tous vos moments... mais depuis le jour de notre union, c’est la première fois que je peux vous entretenir sans témoins, et je suis bien aise de vous dire en fin toute ma pensée.

CÉCILE.

Je la connais, monsieur.

LÉOPOLD.

S’il en est ainsi, vous devez savoir combien je suis affligé... je n’ose pas dire encore blessé de votre conduite envers moi.

CÉCILE.

Il m’adresse des reproches !

LÉOPOLD.

Quelque extraordinaire que m’ait paru un semblable changement, sûr de moi-même, et de ne l’avoir pas mérité, je n’y ai vu d’abord qu’un caprice d’enfant, que fait naître un instant, et qu’une parole détruit !... mais...

CÉCILE.

Un enfant ! c’est cela ; ils se sont imaginé que je serais toujours un enfant... vous êtes trompé !... non, monsieur, non... je ne suis pas ce que vous croyez !... il est des moments dans la vie qui vous la montrent tout à coup telle qu’elle est !... affreuse, sans espoir, impossible à supporter... une minute alors, une seule minute vous vieillit de dix années ; on n’est plus un enfant, monsieur, quand on a passé par un de ces moments-là !...

LÉOPOLD.

Que voulez-vous dire ? d’où vient cette exaltation ?... depuis quinze jours, comment avez-vous accueilli mes soins, mes prévenances, les expressions d’une affection que tant d’humeur, d’éloignement, de mépris même (car j’en ai lu sur vos traits.) n’ont pas encore éteinte ? Et maintenant, c’est vous qui vous plaignez, qui parlez de douleur... quand vous me rendez le plus malheureux des hommes !...

CÉCILE, émue.

Malheureux vous !...

LÉOPOLD.

Et comment ne le serai-je pas ? vous supposez donc que tous les sentiments qui froissent et qui déchirent, n’ont aucune prise sur moi ? vous pensez donc que je n’ai point d’âme ?... Mais le bonheur pour moi, serait la joie dans vos yeux, la confiance dans vos discours, la paix dans votre cœur !... En recevant votre main Cécile, en vous donnant mon nom, c’était là toute mon ambition, tout mon espoir !...

CÉCILE, émue.

Oh, Léopold, vous êtes généreux, vous avez pitié de moi !... mais... ce n’est que de la pitié...

LÉOPOLD.

Que dis-tu ? ah ! ne trompe pas plus longtemps cette espérance, je t’en conjure !... Cécile... mon amie... que tes regards se fient sur les miens comme autrefois ; que ta main ne fuie plus la mienne ! que ta bouche s’ouvre encore que tu m’aimes !...

Il l’attire doucement vers lui.

CÉCILE, avec indécision.

Que je vous aime ?... oh mon Dieu, tu sais si je l’aimais !...

LÉOPOLD.

Cécile !... oh, redis cette douce parole ; vois-tu, ta froideur, tes dédains, elle a tout effacé, tout !... Que ce soit quinze jours à retrancher de notre vie. Quelque mystère qui les ait entourés ces jours si cruels, de quelque pénible surprise qu’ils m’aient frappé, eh bien, jamais, non jamais je ne t’en demanderai l’explication !... oubli, oubli sur eux !...

Il la serre dans ses bras.

CÉCILE, reculant avec effroi.

Oublier, oublier !... quand on sent là quelque chose qui vous déchire et qui vous brûle !...

LÉOPOLD.

Qu’entends-je ?

CÉCILE.

Non, monsieur, non !... pleure, on gémit, on meurt !... mais on n’oublie pas, c’est impossible !

LÉOPOLD, blessé.

Ah ! je commence à comprendre ce qui est impossible ; c’est le bonheur entre nous.

CÉCILE.

Et il s’en étonne... et c’est lui qui me parle d’un ton de colère... et c’est moi, moi, qui suis tremblante devant lui !

LÉOPOLD.

Mais enfin expliquez-vous ! dites une fois au moins quels sont ces torts si graves dont on s’est rendu coupable envers vous ? Voyons, que vous ai-je fait ? de quoi pouvez-vous m’accuser ?...

CÉCILE.

Moi, monsieur... Oh ! non, je n’ai rien à dire... je suis folle ! Oui, si je souffre, si je viens de laisser échapper quelques plaintes, c’est qu’apparemment je suis bizarre, difficile... je n’ai rien à reprocher à personne... j’ai tort... oui, j’ai tort... je devrais me trouver heureuse... bien heureuse !...

LÉOPOLD.

Cécile, j’ai voulu tenter un dernier effort ; j’ai cru qu’en vous montrant mon âme tout entière, en vous exprimant une fois encore des sentiments qui devaient la remplir le reste de ma vie, j’obtiendrais de vous quelque retour... Je me suis trompé... Il est certains caractères que rien ne saurait convaincre ni changer. J’y renonce...

CÉCILE, avec amertume.

Ah ! il y renonce... c’est juste ; plus rien pour moi...

LÉOPOLD, avec quelque impatience.

Et comment s’y prendre pour apaiser des plaintes sans motif ?... pour répondre à des reproches sans objet ?... pour calmer une douleur qui n’est fondée sur rien ?

CÉCILE, avec emportement.

Rien... sans motif... sans objet... Ah ! c’en est trop... je n’y puis plus résister plus longtemps... vous avez donc bien peu de mémoire ?

LÉOPOLD.

Comment ?

CÉCILE.

Vous oubliez bien vite, quand vous croyez qu’on ignore...

LÉOPOLD.

Quels discours !

CÉCILE.

Vous voulez que je m’explique ? que je parle ? vous le voulez absolument ?...

Elle tire de son sein les lettres et le portrait.

Eh bien ! tenez, monsieur, regardez... et osez dire encore : Rien... sans motif... objet...

Elle jette aux pieds de Léopold le portrait et les lettres, et s’échappe en courant.

LÉOPOLD, regardant ce qu’elle vient de jeter.

Ah ! malheureux... elle sait tout.

Il va tomber, abimé de douleur, sur un siège à gauche.

 

 

ACTE IV

 

Le théâtre représente une pièce de l’appartement de madame de Lucy. Porte au fond, portes latérales, une cheminée avec pendule et flambeaux, au premier plan à droite de l’acteur ; près de la porte du fond, un secrétaire ; une table couverte de dessins, devant la cheminée ; à gauche, au premier plan, un lit de repos.

 

 

Scène première

 

CÉCILE, seule

 

Au lever du rideau, Cécile est assise devant la table sur laquelle est tout ce qu’il faut pour écrire.

Il y a maintenant trente lieues entre eux et moi... J’ai dû les fuir. Il me semble que je respire mieux ici... Je suis venue demander du repos à cette campagne, témoin des jeux de mon enfance... le repos ? puissé-je le trouver ?... mais cette insouciante gaîté, ces plaisirs sans trouble qui marquaient toutes mes journées, ils ont disparu.

Air : Pour la Zerby plus de honheur. (Danseuse de Venise.)

Oui, pour jamais de ma pensée
Ont fui tous ces heureux moments ;
Ma jeunesse est déjà passée,
Quand je compte à peine seize ans,
Et du bonheur on dit que c’est le temps !
Dans cette vie, oh ! si tout trompe ainsi,
Loin d’eux je vais mourir ici !

Ah ! c’est qu’il est des douleurs qui flétrissent tout... J’ai dû m’éloigner... il le fallait ; la vie n’était plus possible ainsi. Moi qui suis venue les séparer, ces deux cœurs si dévoués et si tendres !... moi qui ne suis qu’un obstacle à tant d’amour et de bonheur, j’accomplirai le sacrifice... Ma pauvre mère, comme elle fut généreuse !... Léopold !... il me plaint aujourd’hui ; mais il finirait peut-être par me haïr... En échange de cette félicité que peignaient si bien ces lettres cruelles, que lui donnerais-je, moi, malheureuse fille dont l’âme ne s’ouvre plus qu’à la douleur ?... Oh ! non, je ne veux pas qu’on me haïsse... Soyons généreuse aussi !... Seule dans cette campagne, je tâcherai de revenir à mes jours d’insouciance et de repos ; j’essaierai d’oublier... et l’on m’oubliera !... Écrivons-lui ; je veux qu’il connaisse ma résolution...

Elle se place à la table et écrit.

Non, le cœur ne peut sentir deux fois un pareil amour !... pas d’espérance pour moi !... Cette union fatale, ce fut un moment d’erreur, d’égarement ; que ce jour s’efface de notre souvenir...

Cette phrase a été prononcée pendant qu’elle écrivait.

Il comprendra le sentiment qui dicte ma conduite... Plus tard, nous pourrons nous revoir ; maintenant, c’est impossible !...

Elle a fini d’écrire, elle plie sa lettre, sonne, un domestique entre.

Qu’un homme selle un cheval et qu’il porte cette lettre à la poste voisine.

Le domestique sort.

Je me sens mieux !... mon âme est plus calme.

 

 

Scène II

 

CÉCILE, LÉONARD, entrant par la porte de gauche

 

LÉONARD.

Cécile !... ma petite Cécile.

CÉCILE.

Ah ! pardon, mon oncle, je ne vous voyais pas.

LÉONARD.

Toujours dans tes rêveries !... tu ne fais donc pas attention à mon dévouement ?... Quand, il y a cinq jours, je t’ai vue sortir de l’hôtel de ta mère, ai-je hésité une seule minute ? J’ai eu toutes les peines du monde à te retrouver ; mais dès que j’eus appris que tu avais été louer une voiture de poste, que tu étais partie, je t’ai suivie à la piste, je ne t’ai rattrapée qu’au bout de quinze lieues ; nous voilà maintenant dans ta terre de Bellevue, je viens te prodiguer mes soins et mes consolations, et c’est à peine si tu m’adresses une parole ?

CÉCILE.

C’est vrai, mon oncle ; mais vous m’excusez.

LÉONARD.

Certainement, je t’excuse !... mais qu’est-ce que nous allons faire ici ?

CÉCILE.

J’y vais retrouver les occupations de ma jeunesse.

LÉONARD.

Diable ! tu comptes donc t’établir pour longtemps dans cette campagne ?

CÉCILE.

Oui, mon oncle.

LÉONARD.

Ah ! ah !... et ceux que nous avons laissés là-bas, n’y penses-tu point ?

CÉCILE.

Oh ! sans cesse.

LÉONARD.

Et cela ne te donne pas envie de les revoir ?

CÉCILE.

Je ne le pourrais pas.

LÉONARD.

Comme ils doivent souffrir !

CÉCILE.

Pas plus que moi.

LÉONARD.

Et tu ne veux pas leur donner signe de vie ?

CÉCILE.

Je viens d’écrire.

LÉONARD.

Ah ! tu as écrit...

À part.

Et moi aussi, grâce à Dieu !... il y a quatre jours.

CÉCILE.

Ils comprendront le motif de ma conduite.

LÉONARD.

Oui !... Eh bien, ils seront plus heureux que moi ; mais écoute : tu annonces l’intention de t’installer ici à poste fixe, et tu ne réfléchis pas qu’il y a un obstacle.

CÉCILE.

Lequel ?

LÉONARD.

Oh, mon Dieu ! peu de chose... le code-Napoléon.

CÉCILE.

Comment ?

LÉONARD.

Tu n’as jamais lu le code-Napoléon ?... Il y a pourtant certains articles que le maire de ton arrondissement a dû te communiquer.

CÉCILE.

Comment ?... on oserait me forcer... Mais savez-vous que cela serait affreux ?

LÉONARD.

Non !... je ne sais pas... puisque tu ne m’as rien dit... Si tu voulais m’instruire...

CÉCILE.

Mon oncle, je vous en supplie...

LÉONARD.

Allons, allons, calme-toi !...

Il lui prend la main.

Tu as encore de la fièvre.

CÉCILE, retirant vivement sa main.

Moi ! Vous vous trompez...

LÉONARD.

Ils sont incroyables ! Depuis un mois je n’entends que cela : Vous vous trompez. Non, de par tous les diables, je ne me trompe pas !... mais je te soignerai, je te rétablirai... car si je ne peux guérir ton esprit, je dois au moins répondre de ta santé.

On entend un bruit de voiture.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

Il va à la fenêtre.

Une chaise de poste.

CÉCILE.

Ô ciel !...

LÉONARD avec un étonnement simulé.

Une visite qui nous arrive... quel bonheur !... Eh mais c’est Léopold.

CÉCILE, avec un mouvement de joie involontaire.

Léopold !...

LÉONARD, à part.

Il a reçu ma lettre et n’a pas perdu de temps.

CÉCILE, sa figure change tout-d-coup d’expression.

Léopold !...

LÉONARD.

Allons, viens au-devant de lui.

CÉCILE.

Moi ?... non... non... Je ne veux pas, je ne peux pas le revoir.

LÉONARD.

Quel enfantillage !... Le voilà qui monte l’escalier... allons.

CÉCILE.

Mon oncle, si vous m’aimez, si vous voulez que je vive, faites que je ne le voie pas !... Empêchez, oh ! empêchez qu’il parvienne jusqu’à moi !

Elle entre vivement dans la chambre de droite et tourne la clef en dedans.

LÉONARD, seul.

Empêcher... empêcher... Il me semble que voilà un double-tour qui ne me laisse pas grand chose à faire.

 

 

Scène III

 

LÉONARD, LÉOPOLD, BRIOLET, portant une valise

 

LÉOPOLD, à Briolet.

Posez cela ici, et sortez !...

Briolet pose la valise et sort. À Léonard.

Où est-elle ? où est-elle ?

LÉONARD.

D’abord embrassez-moi, mon cher ami.

LÉOPOLD.

Ah ! vous nous avez rendu la vie en nous écrivant, en nous indiquant le lieu de sa retraite.

LÉONARD.

Je n’avais garde d’y manquer... si tôt arrivé ici ; crac, j’ai appelé au secours.

LÉOPOLD.

Mais Cécile ?... Cécile ?...

LÉONARD.

Elle est dans sa chambre.

LÉOPOLD.

Ah ! je cours...

LÉONARD.

Elle est enfermée.

LÉOPOLD.

Mon cher monsieur Léonard, je vous en supplie, avertissez-la, dites-lui que je suis ici.

LÉONARD.

Parbleu, elle le sait aussi bien que moi.

LÉOPOLD.

Dites-lui que je n’ai qu’un espoir, que je ne forme qu’un vœu... ce lui de la voir.

LÉONARD.

Il paraît qu’elle s’en est douté ; car elle est partie sitôt qu’elle vous a entendu.

LÉOPOLD.

Il faut pourtant que je lui parle ! elle ne peut me refuser !... Ah, monsieur, je l’ai bien achetée cette faveur que je sollicite.

LÉONARD.

Qui, oui, mon pauvre garçon ; vous n’êtes pas trop exigeant pour un mari !... c’est une justice à vous rendre.

LÉOPOLD.

Vous ne savez pas, vous ne saurez jamais tout ce que j’ai souffert, tout ce que je souffre encore.

LÉONARD.

Mais si fait, si fait ; je me le figure parfaitement !

LÉOPOLD.

Sans cesse poursuivi des pensées les plus affreuses, courant partout comme un insensé, la demandant à tout le monde, épiant sur les visages même les plus indifférents cette horrible réponse que je croyais toujours entendre retentir à mon oreille : Cécile est morte !... morte... Et quand votre lettre arriva, quand il fallut l’ouvrir devant cette pauvre mère qui a tout appris maintenant... ah, je ne sais pas comment mon cœur ne s’est pas brisé !

LÉONARD, s’essuyant les yeux.

Mais ce n’est pas moi qu’il faut attendrir !... si vous lui contiez un peu tout ça à elle ?

LÉOPOLD.

Et comment, puisqu’elle me fuit ?

LÉONARD.

Attendez : je vais essayer, moi !...

Il va contre la porte de droite.

Cécile, ma petite Cécile !... c’est Léopold, ton mari, qui demande que tu l’écoutes, ne fut ce qu’un instant !... puis après, s’il le faut, si tu l’exiges, il s’éloignera !...

À Léopold.

J’espère bien que non

Moment de silence.

Et quoi, tu ne réponds pas ? pas une syllabe pour ce pauvre garçon !...

LÉOPOLD.

Vous le voyez, monsieur !... Rien, rien ; quand vous la suppliez, quand depuis cinq jours elle nous a mis la mort dans le cœur !... Ah, monsieur, votre nièce est bien cruelle.

LÉONARD.

Voyons, mon ami, voyons, calmez-vous ! elle n’a pas dit son dernier mot, elle n’a rien dit du tout... Il faudrait que vous pussiez la voir... Oh, mon Dieu, quelle idée... Vous la verrez !

LÉOPOLD.

Il se pourrait ?

LÉONARD.

Oui, oui, j’ai un moyen ; soyez tranquille !...

Air : Vaudeville du bal d’Ouvriers.

Attendez, de grâce ;
Elle nous résiste en vain !
Pour cerner la place
Je sais un chemin
Je saurai l’atteindre,
Et vais lui parler ;
Il faut la contraindre
À capituler.
Attendez, de grâce,
etc.

Il sort en courant.

 

 

Scène IV

 

LÉOPOLD, seul, puis BRIOLET

 

LÉOPOLD.

Ah, que je la voie... qu’elle lise dans mes regards ce qui se passe dans mon âme... et elle pardonnera !...

BRIOLET, entrant doucement.

Monsieur, monsieur ; c’est moi.

LÉOPOLD, s’asseyant.

Que veux-tu ?

BRIOLET.

Monsieur, compte-t-il rester longtemps ici ?

LÉOPOLD.

Je ne sais.

BRIOLET.

Ah, c’est que, si cela était possible, je voudrais bien le savoir.

LÉOPOLD.

Pourquoi ?

BRIOLET.

Parce que, si ça devait se prolonger, je demanderais à monsieur la permission de m’en retourner tout de suite à Paris.

LÉOPOLD, étonné.

Tout de suite ?

BRIOLET.

Oui, monsieur ; tel que vous me voyez, je suis amoureux.

LÉOPOLD.

Ah !...

BRIOLET.

Et j’ai l’intention de me marier.

LÉOPOLD.

Imbécile !...

BRIOLET.

Oh, je vois ce que c’est... monsieur croit peut-être que c’est Toinette, la fille de dame Catherine, qui sera ma femme ?... Du tout, du tout ; pas si bête ! ce n’est pas la fille, c’est la mère que je veux épouser.

LÉOPOLD.

Malheureux !...

BRIOLET.

Ah, que non ; je ne serai pas malheureux !... elle hésite encore ; mais j’espère la décider, et c’est pour ça que je ne voudrais pas rester absent trop longtemps... Quand vous m’avez ordonné de mais si vous faites un long séjour, dame ! vous suivre, je n’ai pas osé dire non ; Enfin, à supposer que monsieur n’ait pas absolument besoin de moi...

Ici on entend tourner la clef dans la serrure de la chambre de Cécile.

LÉOPOLD, à lui-même.

On ouvre cette porte !... Léonard a réussi, elle s’est laissé fléchir !...

À Briolet en le poussant dehors.

Va-t’en, va-t’en !...

BRIOLET.

Merci, monsieur !... je vas faire mon paquet.

Il sort.

 

 

Scène V

 

LÉONARD, LÉOPOLD

 

Léopold se précipite vers l’appartement de Cécile ; la porte s’ouvre, c’est Léonard qui en sort.

LÉOPOLD, reculant.

Que vois-je ? c’est vous, monsieur !

LÉONARD.

Moi-même, mon pauvre ami !

LÉOPOLD.

Et Cécile ?

LÉONARD.

Que vous dirai-je ? je m’étais rappelé qu’une porte de sa chambre ouvre sur le parc, j’espérais la surprendre par là... ah ! bien oui !... j’entre... plus personne !... disparue !... évaporée !...

LÉOPOLD.

Ô ciel ! encore partie !

LÉONARD.

Rassurez-vous, cette fois, elle n’a pas été bien loin, elle s’était réfugiée dans le petit pavillon au bout du parc ; et vous comprenez que, de là, il était assez difficile à la pauvre enfant d’entendre et de répondre quand je lui parlais au travers de cette porte.

LÉOPOLD.

Ainsi, au seul bruit de mon arrivée, à la seule crainte d’entendre un mot de ma bouche, elle s’enfuit ; elle me hait donc bien !... Mais n’avez-vous pas moins essayé de la fléchir ? ne l’avez-vous pas vue ? ne lui avez-vous dit pas que je ne lui adresse qu’une prière ?

LÉONARD.

Des prières ?... eh mon Dieu, je lui en ai fait mille, moi ; mais si elle y met de l’entêtement, j’en mettrai aussi ; le métier que je fais m’ennuie à la fin, et j’entends et je prétends que ce soir même vous soyez réconciliés.

LÉOPOLD.

Non, monsieur, non !... puisque l’idée seule de me revoir lui cause une horreur si invincible, je ne veux pas l’y contraindre ; qu’elle vive en paix ! ici, loin de moi, loin de tout ce qui lui fut cher... je n’ai plus qu’à m’éloigner ! Adieu, monsieur.

LÉONARD, l’arrêtant.

Doucement, doucement, et le code Napoléon ? il me semble que vous l’oubliez aussi. Que diable, on ne s’en va pas comme ça ! on ne jette pas tout de suite le manche après la cognée !...

LÉOPOLD.

Et que puis-je faire désormais ? Veillez sur elle, monsieur : tenez lui lieu des amis, des parents qu’elle fuit et qu’elle repousse ; quant à moi, je n’ai plus qu’à remonter en voiture.

LÉONARD.

Pas si vite, s’il vous plaît, pas si vite, un peu de patience.

LÉOPOLD.

Mon parti est pris, monsieur.

Il sonne ; un domestique paraît.

Des chevaux de poste à l’instant !... ma voiture est dans la cour... qu’on attèle !...

Le domestique sort.

LÉONARD.

Quelles têtes vous a cette jeunesse !... Allons, monsieur, puisqu’on ne peut vous retenir, partez, laissez le pauvre oncle dans l’embarras, récompensez ainsi son dévouement et son amitié, Dieu sait ce que tout cela deviendra.

LÉOPOLD.

Pardonnez-moi, monsieur Léonard ; mais je ne peux rester ici plus longtemps.

UN DOMESTIQUE.

Un messager demande à parler à M. Léonard.

LÉONARD.

Un messager ?

LE DOMESTIQUE.

Il arrive du village voisin.

LÉOPOLD.

Qu’il attende.

LE DOMESTIQUE.

Il a ordre de vous voir à l’instant.

LÉONARD.

Allons, encore une tuile qui va me tomber sur la tête ! Toutes les affaires, toutes les inquiétudes, et ne pas savoir pourquoi !

À Léopold.

Au moins, mon ami, ne partez pas avant mon retour ; au attendez-moi.

Il sort.

 

 

Scène VI

 

LÉOPOLD, seul

 

Oui, je partirai ! rester est impossible ! mais partir ?... pour aller... où ? est-il un lieu maintenant où l’on m’attende, où l’on me désire ?... quelle existence est désormais la mienne !... Une femme s’était rencontrée j’aimais uniquement ; j’avais dédaigné ce que les autres hommes recherchent avec que tant de soins, la fortune, les places, les honneurs : combien l’ambition m’avait semblé mesquine devant ce bonheur de amour... Ah, comment le cœur est-il donc tous les instants que donne un véritable fait, que ce qui l’a charmé d’abord puisse ensuite laisser place à de nouveaux sentiments ? mais le ciel m’a puni !... Oh, si l’on savait toutes les souffrances secrètes amenées par ces passions violentes auxquelles les devoirs ont été sacrifiés ?... Depuis deux mois, nul n’a pu deviner ce qui se passait là !... mon cœur est brisé... De tous les biens que la vie peut offrir, je n’en avais désiré qu’un, passer mes jours près d’une femme qui m’est aimé ; et celle qui est la mienne, celle à qui je suis uni pour toujours, elle me hait, me méprise peut-être ! Son innocence ne peut comprendre un second amour, que moi-même j’ai compris à peine ; quand je la contraindrais à demeurer près de moi, que verrais-je chaque jour ? sa défiance, son inquiétude, son humeur ; elle est aigrie par le chagrin ; ses paroles sont amères, son cœur est plein de regrets ! Sa mère, craintive et désolée, me fuit et tremble !... quel avenir espérer là ? mais ailleurs il n’y a rien pour moi ! rien... le monde m’accusera d’avoir abandonné Cécile !... peut-être il lui supposera des torts ?... Ainsi, après lui avoir ravi la gaieté et le bonheur de son âge, je lui ôterais encore sa réputation ?... Malheureux !

Il marche avec agitation.

Il est des cas où l’avenir est sans espoir, le mal sans remède... un seul excepté !... j’y avais songé déjà !... Oui, quand la vie est à charge, quand elle n’offre plus de bonheur possible, et qu’elle nuit au bonheur des autres, il faudrait n’avoir pas cinq minutes de courage !

UN DOMESTIQUE, entrant.

Monsieur, les chevaux sont attelés.

LÉOPOLD.

Je ne pars pas : qu’on emmène la voiture.

Le domestique sort.

Allons, c’en est fait ! rendons à tout ce qui m’entoure le repos et le bonheur !... un regard ! oh ! un regard encore à cette chambre où elle était il n’y a qu’un moment ! que je croie la voir, et tout sera fini !

Il entre dans la chambre à droite ; on a entendu la voiture s’éloigner.

 

 

Scène VII

 

CÉCILE, arrivant doucement par le fond, au moment où il est entré dans la chambre, et regardant par la fenêtre

 

La voiture est partie ! c’est lui qui s’éloigne !... Oh, que ce bruit m’a fait mal ! et pourtant je ne voulais pas le revoir, je ne le devais pas ; mais parti ! parti pour toujours ! Il était là, il n’y a qu’un instant ! Qu’entends-je ? du bruit dans cette chambre ?

Elle regarde.

C’est lui ! il ne s’est pas éloigné... Ah, fuyons...

Elle va vers le fond.

Ciel ! quelqu’un !...

Elle se cache dans la pièce de gauche.

 

 

Scène VIII

 

LÉOPOLD sortant de la chambre de droite, BRIOLET entrant par le fond et tenant une lettre, CÉCILE cachée

 

LÉOPOLD.

C’est encore toi ?... que me veux-tu ?

BRIOLET.

C’est une lettre qu’un domestique vous portait à Paris ; au village voisin il a appris que vous étiez ici, il a rebroussé chemin, il m’a chargé de vous la remettre.

LÉOPOLD.

Donne et laisse-moi.

Briolet sort.

Une lettre... que vois-je ?... c’est l’écriture de Cécile !...

CÉCILE, à part.

Ma lettre de ce matin.

LÉOPOLD.

Ah ! lisons... Peut-être ?...

Il lit.

« Léopold, je n’ai jamais douté de votre loyauté et de votre délicatesse : Si j’avais pu concevoir quelques craintes à ce sujet, les paroles que vous avez prononcées lors de notre dernière entrevue les auraient dissipées.

CÉCILE, à part.

Oh oui !...

LÉOPOLD, lisant.

« Mais ce serait abuser de la triste situation où vous vous êtes placé que de prendre auprès de vous des droits que votre cœur n’a point sanctionnés. Je ne suis encore qu’un enfant, et je m’étais étrangement abusée sur vos sentiments. Dès l’instant que la vérité m’a été connue, tout a été changé ; et ce qui m’avait semblé le bonheur est devenu un supplice pour moi comme pour vous.

CÉCILE, à part.

Je souffrirais trop de ses regrets.

LÉOPOLD, lisant.

« Je n’accepterai point des offres que je ne devrais qu’à la générosité de votre cœur, à votre pitié, ou au sentiment d’un devoir, dont mon devoir à moi est de vous affranchir ; et je demande comme une grâce qu’on ne trouble pas la solitude à laquelle désormais rien ne pourra m’arracher. »

CÉCILE, à part.

Hélas !...

LÉOPOLD.

Comme elle est froide et cruelle cette lettre !... ah, oui, tu seras exaucée, Cécile... ton repos ne sera plus troublé !... 

CÉCILE, à part.

Ah !... Il va partir !...

LÉOPOLD, jetant la lettre sur la table.

Tout est fini !... le dernier lien est rompu !

Il ouvre sa valise.

CÉCILE, à part.

Que fait-il ?

Léopold prend un pistolet.

Des armes ! oh, mon Dieu, que signifie ?...

LÉOPOLD, qui s’est assis et qui est resté un instant immobile.

Adieu, Cécile !

CÉCILE, poussant un cri.

Ah !...

Elle court à lui, l’entoure de ses bras, et le serre avec force contre son cœur.

LÉOPOLD, étonné ; le pistolet tombe de sa main.

Cécile !...

CÉCILE.

Mon Dieu !... Léopold !... qu’alliez-vous faire ?

LÉOPOLD.

Me délivrer d’une vie importune.

CÉCILE.

Parce qu’elle est unie à la mienne !... Non, c’est à vous de vivre... à moi de mourir !...

LÉOPOLD.

Que dites-vous ?

CÉCILE.

On ne m’aime pas, moi !...

LÉOPOLD.

Cécile !...

CÉCILE, avec exaltation.

Écoute, Léopold... ce n’est pas toi qui dois mourir... regarde-moi... vois comme je suis changée... j’ai tant souffert !... écoute... je suis malade, Léopold, bien malade ! attends !...

LÉOPOLD.

Oh !...

CÉCILE.

Tu n’as pas cru que je vivrais séparée de toi, n’est-ce pas ? pourquoi donc as-tu voulu te tuer ? moi, je ne peux pas vivre... ne te tue pas ! attends !...

LÉOPOLD.

Quelle horrible idée, Cécile !

CÉCILE.

Mais, avant que je meure, dis que tu pardonnes.

LÉOPOLD, examinant son visage et reculant avec effroi.

Que je pardonne ?...

CÉCILE.

Dis que tu ne m’en veux pas !

LÉOPOLD.

Qu’entends-je, Cécile ?

CÉCILE.

Tu hésites ?...

LÉOPOLD.

Te pardonner ?... à toi, chère et douce enfant, te pardonner ?... à toi qui n’eus jamais un tort. Cécile... ces mots, ce n’est pas toi qui dois les prononcer.

CÉCILE, avec une expression de joie.

Comment ?

LÉOPOLD, la regardant de loin.

Toi, tu ne connaissais que le bonheur, tu étais joyeuse, fraiche et jolie ; l’espoir et la gaieté brillaient dans tes yeux ; à présent, tes yeux sont remplis de larmes, tes belles couleurs sont effacées, ton bonheur est perdu ! Ton amour, si pur, si naïf, il s’est éteint dans tes pleurs... Cécile, écoute... tu peux m’en croire, à ce moment solennel, le dernier peut-être ou ma voix viendra jusqu’à toi, le premier où mon cœur te sera connu tout entier... J’en atteste le ciel !... je t’aime !...

CÉCILE, avec joie.

Il m’aime !...

LÉOPOLD.

Je t’aime avec amour, avec tendresse ! Des torts... pardonne, Cécile... c’est un secret cruel... oublie-le, oublie-le !... Va, crois-en celui qui jure par ton amour... garde ton cour pur et innocent ; ne te souviens pas... Le malheur, tu n’en as pas senti les peines les plus horribles ; tu n’as pas fait le désespoir de tout ce qui t’aimait ; tu n’as pas vu, comme moi, ce qui t’était si cher s’enfuir à ton approche, refuser d’entendre tes prières !... tu ne l’as pas vu trembler à ton aspect, te repousser, te mépriser peut-être... et te haïr...

CÉCILE.

Te haïr ! oh ! tu ne le crois pas !

LÉOPOLD.

Cécile... ne m’as-tu pas dit tout à l’heure que tu voulais mourir ?

CÉCILE, se jetant dans ses bras.

Je ne savais pas que tu m’aimais.

LÉOPOLD.

Ah ! qu’il y a de bonheur dans cette parole !

 

 

Scène IX

 

LÉOPOLD, CÉCILE, LÉONARD

 

LÉONARD, s’arrêtant au fond.

Eh bien ! moi qui les croyais à dix lieues l’un de l’autre !

Il s’approche.

M’expliquera-t-on enfin...

CÉCILE.

Mon oncle, je suis heureuse !...

LÉONARD.

Et il faudra que je me contente de cette explication ? Mais, moi aussi, j’ai une nouvelle à t’apprendre.

LÉOPOLD.

Une mauvaise ? ah ! ne dites rien... laissez-nous au moins un instant...

LÉONARD.

Il faut bien que vous sachiez que madame de Lucy est en route pour l’Italie.

LÉOPOLD et CÉCILE.

Pour l’Italie !

LÉONARD.

Oui... ce messager... il m’apportait un billet d’elle ; elle est partie, et même on a vu sa voiture longer les murs du parc et s’arrêter comme pour lui permettre d’adresser un dernier adieu à ce château.

CÉCILE, tristement.

Léopold !...

LÉOPOLD.

Viens sur mon cœur.

CÉCILE, dans ses bras.

Ah ! nous l’aimerons ensemble.

LÉONARD.

Elle m’annonce qu’elle va s’établir à Florence, pour plusieurs années, et qu’elle vous écrira plus longue ment à sa première halte.

CÉCILE, à part.

Bonne mère !...

LÉONARD, regardant par une fenêtre du fond.

Et tenez... Je gagerais que c’est sa voiture qu’on voit d’ici. Ah ! le postillon met ses chevaux au grand galop.

LÉOPOLD, à Cécile.

Un jour... nous la reverrons.

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