Sophie Arnould (Philippe-Auguste-Alfred PITTAUD DE FORGES - Adolphe DE LEUVEN - DUMANOIR)

Comédie en trois actes, mêlée de couplets, précéder d’une notice sur Sophie Arnould.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Palais-Royal, le 11 avril 1833.

 

Personnages

 

SOPHIE ARNOULD, chanteuse de l’Opéra

LE COMTE DE LAURAGUAIS

LE PRINCE D’ORNAIN, ami de Sophie

DORAT, ami de Sophie

L’ABBÉ, ami de Sophie

MAGLOIRE, coureur de Mademoiselle Arnould

REMY, valet de chambre du prince d’Ornain

LANDRY, concierge de la petite maison du comte de Lauraguais

LA PRINCESSE D’ORNAIN

MADEMOISELLE LAGUERRE, actrice de l’Opéra, amie de Sophie

BRIGITTE, jeune ouvrière en modes

LA MARQUISE DES TOURNELLES, personnage muet

AMIS et AMIES de Sophie

DOMESTIQUES

SOLDATS

 

La scène se passe, au premier acte, chez Sophie Arnould ; au deuxième, dans la petite maison du comte de Lauraguais ; au troisième, au bois de Boulogne.

 

 

NOTICE SUR SOPHIE ARNOULD

 

Mademoiselle Arnould (Sophie-Madeleine) naquit à Paris, le 14 février 1740, dans une maison de la rue des Fossés Saint-Germain-l’Auxerrois, maison où fut assassiné l’amiral Coligny, à la Saint-Barthélemy. M. Arnould père, qui tenait une vaste hôtellerie, bien connue sous le nom d’hôtel de Lisieux, jouissait d’une grande aisance, et donna à sa fille les meilleurs maîtres, notamment de musique et de chant. C’est ce qui décida la vocation de Sophie.

Elle annonça de bonne heure les dispositions les plus heureuses. La beauté de sa voix engagea sa mère à la conduire dans quelques communautés religieuses où elle chantait les leçons de Ténèbres. Un jour qu’elle était allée au Val-de-Grâce, la princesse de Modène, qui faisait sa retraite dans cette abbaye, entendit les accents mélodieux de la jeune cantatrice ; elle voulut la connaître, et, enchantée de ses grâces et de son esprit, elle l’honora bientôt de sa protection.

Sophie Arnould joignait à une figure gracieuse un son de voix ravissant et une sensibilité qu’elle savait communiquer à tous ceux qui l’écoutaient ; sa taille était moyenne et bien prise ; elle avait surtout des yeux superbes, et l’ensemble de ses traits lui donnait une de ces physionomies heureuses qui plaisent au premier aspect.

M. de Fondpertuis, intendant des Menus, l’ayant entendue chanter, eut le désir de la faire entrer dans la musique de la reine. Il en parla à Mme de Pompadour qui la fit demander. Sophie alla chez la favorite avec sa mère et ne démentit point dans cette épreuve la réputation brillante qu’elle s’était acquise. Mme de Pompadour la combla d’éloges et dit à ceux qui l’entouraient : « Cette jeune personne fera quelque jour une charmante princesse. » Madame Arnould, qui craignait que les talents de sa fille ne lui fissent jouer un trop grand rôle, répondit à la marquise : « Je ne sais, madame, comment vous l’entendez ; ma fille n’a point assez de fortune pour épouser un prince et elle est trop bien élevée pour devenir princesse de théâtre. » Cependant cette bonne mère céda aux insinuations de quelques amis, et consentit à ce que Sophie fût mise sur l’état de la musique du roi. Cet engagement n’était qu’un prétexte pour attirer Sophie sur un plus grand théâtre et lui faire parcourir une carrière digne de ses rares talents. MM. Rebel et Francœur, surintendants de la musique du roi, la  sollicitèrent secrètement d’entrer à l’Opéra. Cette jeune virtuose, subjuguée par tous les prestiges qui l’environnaient, consentit facilement à cette proposition,, et, bientôt après, on lui envoya un ordre de début pour l’Académie royale de musique. Sa famille eut beau réclamer, l’arbitraire prévalut et il fallut obéir.

Sophie Arnould débuta le 15 décembre 1757, et fut reçue l’année suivante. Mademoiselle Fel lui avait donné des leçons de perfectionnement pour le chant et mademoiselle Clairon avait formé son jeu ; aussi parut-elle aux yeux des connaisseurs l’actrice la plus parfaite qu’on eût vue sur la scène de l’Opéra, et son début devint un triomphe.

À cette époque, les seigneurs les plus brillants de cette cour si galante se pressèrent sur les pas de la nouvelle cantatrice. Malgré toutes les précautions maternelles, le comte de Lauraguais, jeune, riche et spirituel, parvint à s’en faire aimer, et cette liaison, traversée de part et d’autre par bien des infidélités, cette liaison, rompue et renouée tant de fois, dura presque autant que leur vie.

Sophie créa plusieurs rôles avec un grand succès, et l’on fut étonné de voir sur la scène de l’Opéra, où jusqu’alors on n’avait presque aperçu que des mannequins plus ou moins bien exercés, une actrice remplie de grâces et de sensibilité qui offrait la réunion nouvelle d’une voix char mante au mérite rare d’un jeu vrai et puisé dans la nature.

Cette femme célèbre a excité l’enthousiasme des amis de la musique et de l’art dramatique pendant tout le temps qu’elle est restée au théâtre. Dorat l’a chantée dans son poème de la Déclamation ; Bernard, Laujon, Marmontel, Rulhières lui ont consacré de jolis vers ; enfin tous les poètes du temps ont fait pleuvoir chez elle les quatrains et les madrigaux. La salle de l’Opéra était trop petite quand Sophie chantait Psyché, ou Thélaïre de Castor et Pollux, et de vieux amateurs parlent encore de ces représentations comme de leurs plus chers souvenirs lyriques.

Mais ce n’est pas seulement comme actrice que Sophie Arnould s’est fait connaître ; on la compte au nombre des femmes les plus spirituelles de cette époque. Douée d’une imagination vive et gaie, elle brillait surtout dans les à-propos et répandait avec autant de facilité que de grâce les bons mots et les fines plaisanteries. Malgré la causticité de quelques sarcasmes, comme Sophie n’était ni tracassière, ni haineuse, ni jalouse, ni intrigante, on s’amusait des jeux de son esprit en louant les qualités de son cœur.

Garrick, qui fit en 1760 un voyage à Paris et visita tous les spectacles, lia connaissance avec les principaux acteurs. Mesdemoiselles Clairon et Arnould furent, dit-on, les deux seules actrices dont-il admira les talents.

Une philosophie naturelle lui fit rechercher la société des hommes les plus célèbres, dont elle vécut entourée. D’Alembert, Diderot, Duclos, Helvétius, Mably, J. J. Rousseau et beaucoup l’autres célébrités littéraires ont eu avec elle des rapports intimes. Émule de Ninon de l’Enclos, elle vit sa jeunesse embellie de Cous les charmes que la fortune et la beauté peuvent procurer.

Dans le cours de sa brillante carrière, à une époque où la galanterie française était portée au plus haut degré, il eût été difficile à Sophie Arnould, grande dame de théâtre, de résister aux séductions qui l’entouraient, surtout quand les grandes dames de la cour donnaient l’exemple. On lui a connu plusieurs amants ; mais elle a toujours conservé pour le comte de Lauraguais un attachement tendre et soumis que l’ascendant qu’il avait pris sur elle fortifiait sans cesse ; ils vivaient ensemble comme certains époux : les infidélités de l’un motivaient celles de l’autre ; mais Sophie y mettait plus de mystère et cherchait à sauver les apparences. Le comte de Lauraguais ne pouvait faire un choix plus analogue à ses goûts, et ses amours, ses bouderies, ses ruptures et ses raccommodements forment un long épisode dans la vie de cette actrice.

Sophie Arnould, malgré son abandon de bonne fille, a fait quelques malheureux. De ce nombre fut le prince d’Hénin, son éternel poursuivant, qu’elle appelait le nain des princes. Au mois de février 1774, le comte de Lauraguais appela en consultation quatre docteurs les plus renommés de la Faculté de médecine ; la question était de savoir si l’on pouvait mourir d’ennui. Ils furent tous pour l’affirmative et après un long préambule où ils motivaient leur jugement, ils signèrent de la meilleure foi du monde. Croyant qu’il s’agissait de quelque parent du consultant, ils décidèrent que le seul remède était de dissiper le malade en lui ôtant de dessous les yeux l’objet de son état d’inertie et de stagnation.

Muni de cette pièce en bonne forme, le comte courut la déposer chez un commissaire et y porta plainte en même temps contre le prince d’Hénin qui, par son obsession continuelle autour de mademoiselle Arnould, ferait infailliblement périr cette actrice, sujet si précieux au public. Il requérait en conséquence qu’il fût enjoint audit prince de s’abstenir de toutes visites chez elle jusqu’à ce qu’elle fût rétablie de la maladie d’ennui dont elle était atteinte, et qui la tuerait, suivant décision de la Faculté. Cette plaisanterie fit beaucoup de bruit et eut un grand succès à cette époque.

Sophie Arnould, ayant perdu en partie sa belle voix, se retira du théâtre en 1778 ; quelques années avant la révolution, elle habitait une maison de campagne à Clichy-la Garenne ; ; mais elle vendit cette propriété et acheta en 1790, à Luzarches, la maison des pénitents du tiers-ordre de saint François, et sur la porte elle fit graver cette inscription :

ITE MISSA EST.
(Allez-vous-en, la messe est dite.)

Elle avait choisi au fond du cloitre un endroit qu’elle destinait pour son tombeau, et elle y fit inscrire ce verset de l’Écriture : « Multa remittuntur ei peccata quia dilexit multùm. » –  « Beaucoup de péchés lui seront remis parce qu’elle a beaucoup aimé. »

Des agents du comité révolutionnaire de Luzarches vinrent un jour chez elle faire une visite domiciliaire ; quelques-uns la traitant de suspecte : « Mes amis, leur dit-elle, j’ai toujours été une citoyenne très active et je connais par cœur les droits de l’homme. » Un des membres aperçut alors sur une console un buste de marbre qui la représentait dans le rôle d’Iphigénie : il crut que c’était le buste de Marat, et, prenant l’écharpe de la prêtresse pour celle de leur patron, ils se retirèrent très édifiés du patriotisme de l’actrice.

Sophie Arnould perdit pendant la révolution toute la fortune qu’elle avait amassée et qui se montait à près de trente mille livres de rente. Un de ses anciens amis, devenu ministre, la sauva heureusement de la misère en lui faisant obtenir du gouvernement une pension de 2 400 livres et un logement à l’hôtel d’Angevilliers, près le Louvre, où des gens de lettres et des artistes lui formèrent encore une société agréable.

Sophie Arnould mourut vers la fin de 1802 à l’hôtel d’Angevilliers. Jusqu’au dernier instant elle conserva l’enjouement de son esprit et la vivacité de ses piquantes saillies.

 

 

ACTE I

 

LE BOUDOIR DE SOPHIE ARNOULD

 

Le théâtre représente un boudoir élégant avec trois portes au fond ; portes latérales ; à droite un petit meuble, dit bonheur du jour, fauteuils, canapé, etc.

 

 

Scène première

 

BRIGITTE, entrant par le fond

 

Elle tient à la main, un bouquet de fleurs artificielles et parle à la cantonade.

Mademoiselle n’est pas encore rentrée ?... c’est bien. Je vais déposer ce bouquet sur sa toilette.

Venant en scène.

Est-ce contrariant !... moi qui avais demandé comme une faveur, au magasin, de porter ces fleurs, pour voir enfin cette fameuse mademoiselle Arnould, dont on parle tant, et qui donne son nom à toutes nos modes nouvelles... Ah ! elle est bien heureuse !

Air : Vaudeville du Baiser au porteur.

Elle a des bijoux, des parures,
Et reçoit des bravos flatteurs ;
Elle a des laquais, des voitures ;
Elle a, régnant sur tous les cœurs,
À ses genoux soixante adorateurs !
Ce qui lui manque, hélas ! quoi qu’elle fasse,
C’est un mari... mais on m’a dit tout bas
Qu’à l’Opéra d’habitude on s’en passe,
Et qu’on ne s’en aperçoit pas.

Et, quand je pense que si je voulais écouter ce beau seigneur qui vient m’en conter au magasin, je pourrais... Ah ! fi donc ! est-ce qu’il faut avoir de ces idées-là ?

On entend le roulement d’une voiture.

Un carrosse !... c’est sans doute mademoiselle Arnould !

Elle court du fond, et se rencontre avec Lauraguais qui entre.

Ah !... monsieur le comte de Lauraguais !

 

 

Scène II

 

LAURAGUAIS, BRIGITTE

 

LAURAGUAIS, l’arrêtant.

Eh ! c’est la charmante Brigitte ! Vous ici, mon cœur ! l’innocence et la candeur chez une chanteuse de l’Opéra ! c’est du nouveau, d’honneur !

Il prend des mains de Brigitte le bouquet de roses rouges.

BRIGITTE.

J’apporte des roses à mademoiselle Arnould.

LAURAGUAIS.

En vérité ces dames ont d’heureux privilèges !

Air : du menuet d’Exaudet.

Ce bouquet,
Tant coquet,
Me retrace
L’ensemble enchanteur et frais
De vos piquants attraits,
Où brille tant de grâce !
Sa rougeur
De fureur
Vient, je gage,
De voir son éclat terni,
Par ce jeune et joli
Visage !

BRIGITTE.

Comme c’est galant !

LAURAGUAIS.

Je crois bien, c’est le dernier madrigal de Dorat... Ah ! ! çà, mon ange, êtes-vous toujours aussi cruelle ? ne voulez-vous pas enfin écouter un ami qui vous donne de bons conseils ?

BRIGITTE.

Mais, monsieur le comte, vous savez bien que je ne peux pas, puisque je vais me marier avec Magloire.

LAURAGUAIS.

Magloire ! qu’est-ce que c’est que ça ?

BRIGITTE.

C’est un coureur.

LAURAGUAIS.

Comment !

BRIGITTE.

Oui ; c’est un petit coureur qui vient d’entrer au service de mademoiselle Arnould ; c’est son filleul. Il est un peu bête, à ce qu’on dit ; mais il doit hériter de son oncle, qui est baigneur étuviste... Alors...

LAURAGUAIS.

Oui... oui, une espèce de laquais, qui vous apporterait en dot le titre de femme de chambre... Non, ma belle, cela ne peut vous convenir ; vous n’êtes pas plus faite pour végéter dans une obscure boutique que pour obéir à la sonnette dans une antichambre.

BRIGITTE.

Vous croyez ?

LAURAGUAIS.

Certainement. Regardez autour de vous... ce luxe, cet éclat, cette opulence ! vous pouvez avoir tout cela... et mieux que cela ; l’on ne vous demande qu’un peu de bonne volonté ; laissez-vous être heureuse !

BRIGITTE.

Mais que faut-il faire ?

LAURAGUAIS.

Eh ! mon Dieu, rien de plus simple ; dites un mot, et je vous présente à Francœur, le surintendant de la musique du roi. Vous êtes jolie, vous chantez à miracle, vous irez aux nues... à l’Opéra, et il y a en vous de l’étoffe pour ruiner dix fermiers généraux.

BRIGITTE.

Je sais bien... mais ce pauvre Magloire...

LAURAGUAIS.

Vous faites son bonheur en consentant au vôtre ; je lui fais avoir un emploi dans les aides et gabelles, à cent lieues d’ici... mille livres de gages.

BRIGITTE.

Il serait possible !... mille livres à Magloire !...

LAURAGUAIS.

Foi de gentilhomme !... Vous consentez à tout, n’est-ce pas ?

BRIGITTE.

Mais... monsieur le comte...

LAURAGUAIS.

Allons donc...

Air : Un soir dans la forêt voisine (Amédée Beauplan).

Vous aurez de riches dentelles
Quand vous serez à l’Opéra ;
Les étoffes les plus nouvelles,
Chevaux, carrosse et cætera...

BRIGITTE.

Quoi ! monsieur, j’aurai tout cela ?

LAURAGUAIS.

Et puis, dans tout Paris, ma chère,
De vous bientôt on parlera.

BRIGITTE.

Ah ! quel honneur !...

LAURAGUAIS.

Je vois déjà
À vos pieds une ville entière...

BRIGITTE.

Vraiment ! vraiment !
Ah ! c’est bien séduisant !

Même air.

Eh ! quoi ! j’aurais un équipage,
Et je pourrais, heureux destin !
Aller commander de l’ouvrage
À mon ennuyeux magasin !

LAURAGUAIS.

Ma belle, ce sera divin...
Voyez d’ici ces demoiselles,
Que votre splendeur éblouit,
Étouffer toutes de dépit !
Maintenant vous régnez sur elles !

BRIGITTE.

Vous croyez que ça les fera enrager ?... Lolotte surtout, qui est si bégueule, parce qu’elle est avec un mousquetaire...

Achevant l’air.

Vraiment ! vraiment !
C’est par trop séduisant.

LAURAGUAIS.

Ainsi, c’est convenu, demain matin, à huit heures, mon carrosse sera à votre porte... Mes gens diront que c’est une duchesse qui vous envoie chercher pour une commande... Je vous rejoindrai pour vous présenter au directeur de l’Opéra.

BRIGITTE, hésitant.

Ah ! mon Dieu !... l’Opéra !... un carrosse ! et toutes ces demoiselles qui vont étouffer de dépit... Ma foi, je n’y tiens plus... je me sacrifie pour ce pauvre Magloire.

Elle tend la main au comte en signe de consentement.

Air de Bruguières.

Ah ! déjà j’entrevois
Le sort le plus prospère ;
Quelle belle carrière
S’ouvre aujourd’hui pour moi !

ENSEMBLE.

Ah ! déjà j’entrevois, etc.

LAURAGUAIS.

Oui, pour vous j’entrevois
Le sort le plus prospère ;
Auprès de moi, ma chère,
Bannissez tout effroi.

Brigitte sort.

 

 

Scène III

 

LAURAGUAIS, seul, se frottant les mains

 

Ah ! ça n’a pas été sans peine ! c’est qu’elle est charmante, cette petite ! En vérité, je m’admire... me voilà menant de front trois intrigues... Sophie Arnould, d’abord... oh ! celle-là, c’est une vieille passion, une habitude... Ensuite, la princesse d’Ornain, véritable amazone, vive, emportée, d’autant plus piquante qu’elle ne veut pas se rendre. Cependant, depuis huit jours, je lui demande un rendez-vous à ma petite maison... il faudra bien qu’elle y vienne, toute princesse qu’elle est... J’irai, ce soir, chez Balthazar, ce brave joaillier du faubourg-Saint-Antoine, le dépositaire de notre correspondance, et j’espère lire enfin le consentement de mon inhumaine dans un petit poulet bien musqué... Ah ! ce sera une conquête brillante !... Eh bien ! oui ; mais, cette fois, j’aime encore mieux le tiers-état... et cette petite Brigitte, si naïve, si ingénue...

Air de Lantara.

Aux jours de ma folle jeunesse,
Rêvant un objet enchanteur,
Je cherchais dans une maîtresse
Noblesse, talents et candeur ;
Mais voyez quel est mon malheur !
Jamais dans une seule amie
Je n’ai trouvé tous ces dons à la fois...
Pour accomplir le rêve de ma vie,
Je suis forcé d’en aimer trois.

 

 

Scène IV

 

LAURAGUAIS, MAGLOIRE

 

MAGLOIRE, entrant, à part.

Je n’ai pu la voir... elle n’est pas à son magasin...

LAURAGUAIS, se retournant.

Qu’est-ce ?...

MAGLOIRE, saluant.

Monsieur le comte !... pardon, excuse si je vous dérange...

Il va pour se retirer.

LAURAGUAIS, le rappelant.

Ah ! c’est le coureur !... Ici, mon cher, ici... Plaisante figure !... On vous nomme Magloire, je crois...

MAGLOIRE, saluant.

Pour vous servir, monsieur le comte, si j’en étais capable.

LAURAGUAIS.

N’est-ce pas vous qui vous permettez d’en conter à une petite fleuriste ?

MAGLOIRE.

Quoi ! mademoiselle Arnould vous aurait dit !... Ah ! monsieur le comte, elle a promis de s’intéresser à moi, de faire venir ma prétendue, de lui parler en ma faveur !... car, figurez-vous, que, depuis quelques jours, elle n’a plus l’air de faire attention à moi...

LAURAGUAIS.

Cela n’est pas possible...

MAGLOIRE.

Ça est, monsieur le comte, et je vois bien de quoi il retourne... elle ne me trouve plus assez huppé pour elle... ah ! dame !... elle est gentille, mais elle est ambitieuse, orgueilleuse... vaniteuse ! Il lui faudrait un mari dans les places. Ah ! si monsieur le comte, qui est si bien avec M. Bouret, le fermier-général, voulait me donner un bon coup d’épaule pour me faire avoir un emploi... dans les gabelles... dans l’octroi...

LAURAGUAIS.

J’y songerai, mon cher... on verra !...

MAGLOIRE.

Il se pourrait !... Ah ! monsieur le comte, vous feriez le bonheur d’un être bien intéressant...

LAURAGUAIS.

C’est bien... c’est bien, mon cher !...

On entend des éclats de rire.

Ah ! enfin... voilà Sophie qui revient de l’Opéra !...

 

 

Scène V

 

LAURAGUAIS, SOPHIE, appuyée sur le bras de DORAT, L’ABBÉ, donnant la main à MADEMOISELLE LAGUERRE, DAMES et MESSIEURS

 

Magloire avance des sièges et sort.

CHŒUR.

Air du Dilettante d’Avignon.

Honneur, honneur à Sophie !
Du public elle est chérie ;
Aussi bonne que jolie,
On l’aime à l’idolâtrie
Vive, vive Sophie !

DORAT, complimentant Sophie.

Charmant !... délicieux !... admirable !

SOPHIE.

Assez, Dorat... assez, mes amis... nous ne sommes plus à l’Opéra... J’y suis déesse, c’est vrai, mais, ici, je redeviens simple mortelle...

À Lauraguais.

Ah ! monsieur le comte, vous voilà, vous êtes bien rare... nous n’avons pas eu l’honneur de vous voir ce soir à l’Opéra !...

LAURAGUAIS.

Excusez-moi, chère Sophie !... des ennuis de cour... des visites à faire...

Il lui baise la main.

MADEMOISELLE LAGUERRE.

Manquer l’Opéra, cher comte !... mais c’est du dernier mauvais ton.

DORAT.

Mademoiselle Laguerre a raison, d’autant plus que Sophie n’a jamais été si haut... même en chantant.

L’ABBÉ.

Je crois, Dieu me pardonne, qu’elle a donné un de poitrine.

DORAT.

Et, dans cette scène pathétique, où toute la salle fond en larmes... savez-vous ce qu’elle disait à son interlocuteur Pillot... ce grand garçon qui joue Pollux... j’étais dans la coulisse... je l’ai bien entendu... elle lui disait : Ah ! mon cher Pillot, que tu es laid !

LAURAGUAIS.

Je la reconnais bien là...

SOPHIE.

Quand notre camarade Pillot pleure, j’ai toujours envie de rire... Il a une sensibilité si laide...n’est-ce pas, Laguerre ?

MADEMOISELLE LAGUERRE.

Le fait est qu’il n’est pas beau... surtout depuis que le cocher de monsieur de Richelieu lui a coupé la figure d’un coup de fouet... par accident...

SOPHIE.

Que veux-tu ?... C’est assez qu’on ait mal quelque part pour qu’on s’y attrape toujours...

L’ABBÉ.

Messieurs, avez-vous remarqué aux premières loges monsieur l’abbé Terray... le contrôleur-général des finances !... Il avait un manchon aussi gros que lui.

SOPHIE.

Un manchon... Eh ! mon Dieu, à quoi bon ? Il a toujours les mains dans nos poches.

DORAT.

Pour le prince d’Ornain, votre éternel adorateur... il était à son poste, lui... applaudissant à tort et à travers... et tellement fort que le parterre a failli siffler...

SOPHIE.

Ce pauvre prince !... C’est bien l’homme le plus malencontreux...

LAURAGUAIS.

Dites le plus sot...

SOPHIE.

L’un n’empêche pas l’autre... il cumule... Enfin, hier, en se précipitant légèrement à mes genoux, n’a-t-il pas écrasé mon petit épagneul ?...

MADEMOISELLE LAGUERRE.

Cette jolie bête dont monsieur de Soubise t’avait fait présent...

SOPHIE.

Mon Dieu oui !... J’étais toute en larmes... et savez-vous ce que le prince me disait pour me consoler ? Ce n’est rien, ce n’est rien... il sera charmant empaillé... D’ailleurs, je vous en fournirai un autre.

LAURAGUAIS.

Quel animal !

SOPHIE.

Le chien ?

LAURAGUAIS.

Eh ! non, le prince !

SOPHIE.

Dans ma colère je l’ai mis à la porte. Eh bien ! je suis sûre qu’il va venir, ce soir, souper avec nous. Il est d’une ténacité ! et ennuyeux !... Par exemple, je plains sa femme.

DORAT.

Qui est fort jolie, par parenthèse.

SOPHIE.

Vous croyez... ? mais on la dit bizarre, fantasque, et un peu bornée.

LAURAGUAIS, avec feu.

Pure calomnie ; elle est charmante ! Élevée par le vieux maréchal d’Harcourt, son oncle, qui s’est plu à lui apprendre à monter à cheval, et à tenir, comme un mousquetaire, l’épée et le pistolet, elle est d’une vivacité, d’une pétulance qui lui donnent l’originalité la plus séduisante ; c’est une amazone, une Clorinde, mais qui n’a rien perdu des grâces et des attraits de son sexe.

SOPHIE, avec intention.

Là, là, monsieur le comte, comme vous prenez feu !

À part.

M’aurait-on dit vrai ?

LAURAGUAIS.

Je ne fais que rendre justice à la princesse ; elle a beaucoup de vertus.

SOPHIE.

Oui, elle a cela de commun avec les simples... Mais, dites-moi donc... il me semble que vous allez bien souvent chez la princesse, monsieur le comte.

LAURAGUAIS.

Encore des soupçons jaloux... y pensez-vous, Sophie ?... Allons, allons, en attendant le souper, je défie le tendre Dorat aux échecs.

DORAT.

Accepté, monsieur le comte ; vous me devez une revanche.

MADEMOISELLE LAGUERRE.

C’est ça ; passons au salon.

TOUS.

Air : Galop de la Tentation.

Bientôt pour nous mettre à table
Nous allons tous revenir !
Vive un souper délectable !
C’est le repas du plaisir !...

Lauraguais, en sortant, baise la main de Sophie.

 

 

Scène VI

 

SOPHIE, seule, le regardant aller

 

Oui, va, bon apôtre, fais l’aimable, je te le conseille... Il me trompe, le monstre, j’en suis sûre ; mais jusqu’à présent les preuves me manquent ! Ces hommes tant qu’on ne les prend pas sur le fait, ils croient qu’on ne se doute de rien et pourtant...

Air de Bruguières (Le Castillan à Paris.)

Mes beaux seigneurs dont l’âme est si trompeuse,
Méfiez-vous de mon regard jaloux ;
En fait d’adresse et de ruse amoureuse,
Ah ! croyez-moi, j’en sais plus que vous tous.
Non, ce n’est pas chose facile
De m’abuser un seul instant ;
Le diplomate le plus habile
Auprès de moi n’est qu’un enfant.

Deuxième couplet.

Pour une dame orgueilleuse et hautaine,
Mon noble amant voudrait trahir sa foi...
Mais en amour aussi bien qu’à la scène,
Sophie Arnould veut rester chef d’emploi...
Non, ce n’est pas chose facile,
De m’abuser un seul instant ;
Le diplomate le plus habile
Auprès de moi n’est qu’un enfant.

 

 

Scène VII

 

SOPHIE, MAGLOIRE

 

MAGLOIRE, annonçant.

Monseigneur le prince d’Ornain.

SOPHIE.

Quand je le disais... allez, courez, je n’y suis pas pour lui.

Magloire sort.

J’ai bien assez de mes ennuis.

 

 

Scène VIII

 

SOPHIE, LE PRINCE

 

Le prince entre, tenant un petit panier rond, orné de rubans.

LE PRINCE, à la cantonade.

Laissez donc, c’est moi ! c’est moi, le prince d’Ornain ; j’entre partout, la consigne n’est pas pour moi... Ah ! salut à vous, mon idole, ma bergère, ma...

SOPHIE.

Comment, malgré mes ordres ! mais, monsieur, c’est d’une indiscrétion...

LE PRINCE.

Vous me boudez encore, créature idéale... vous ne m’avez pas pardonné l’accident d’hier. Eh bien ! vous avez raison, j’ai eu des torts envers votre épagneul ; j’ai brutalement étouffé l’emblème de la fidélité ; c’est une bêtise... mais je viens la réparer en chevalier français.

Il se jette à genoux.

SOPHIE.

Que faites-vous ?

LE PRINCE.

Laissez-moi déposer à vos pieds cet intéressant animal ; à regardez-le, il dort du sommeil de l’innocence.

Il découvre la corbeille dans laquelle on voit un petit chien.

SOPHIE.

Qu’est-ce que c’est que ça... un griffon ?

LE PRINCE.

Un tout jeune et tout ravissant griffon... pour remplacer le roquet défunt.

SOPHIE.

Dieu ! qu’il est laid !

LE PRINCE.

C’est ce qui fait sa beauté.

Air du Bouquet de bal (Madame Duchambge.)

Ah ! daignez l’accepter, de grâce,
Et vous verrez comme il est doux...
Il ne demande qu’une place
À vos pieds ou sur vos genoux...
Ce charmant animal, madame,
Vous entretiendra de ma flamme...
Et si je ne suis pas là,
Mon griffon du moins y sera...

Il met le griffon sur les genoux de Sophie Arnould.

SOPHIE.

Mais prenez donc garde ! Il est aussi mal élevé que les chiens des Plaideurs.

Elle rejette le chien dans le panier et sonne Magloire.

Emportez cette vilaine bête !

Magloire prend le panier et sort.

Là, j’en étais sûre, voilà une robe de gâtée.

LE PRINCE.

Ça ne tache pas, ça ne tache pas, permettez.

Il tire un mouchoir de sa poche et fait, en même temps, tomber une boîte.

SOPHIE.

Vous laissez tomber quelque chose.

LE PRINCE.

Ah ! maladroit que je suis ! si je l’avais cassée !

SOPHIE.

Qu’est-ce que cela ? Montrez donc... ça me paraît gentil.

Elle prend la boîte.

LE PRINCE.

Je crois bien ! c’est un bijou, une bonbonnière en agate, avec mon chiffre en brillants... un cadeau que j’ai fait à la princesse.

SOPHIE

À votre femme ! Vous êtes le phénix des maris.

LE PRINCE.

Eh bien ! figurez-vous que ce cadeau-là a du malheur : voilà peut-être la dixième fois que la princesse perd la clé de cette boîte... c’est d’une étourderie incomparable !

SOPHIE.

En effet, c’est singulier !

LE PRINCE.

Enfin, ce matin, ma noble épouse avait encore chargé son petit jockey nègre de porter la bonbonnière à l’ouvrier... Confier un pareil bijou à un enfant ! je l’ai vu entre ses mains, je l’ai pris, et je ferai la commission moi-même.

SOPHIE.

C’est d’un mari complaisant.

LE PRINCE.

Notez que c’est à l’autre bout de Paris ; car elle est très bizarre, la princesse ; au lieu d’employer Bœmer, le joaillier de la cour, elle envoie cette boîte chez je ne sais quel obscur orfèvre du faubourg Saint-Antoine... un juif, un nommé Balthazar.

SOPHIE.

Balthazar ! mais je le connais, il monte mes fausses pierres de théâtre ; c’est le comte de Lauraguais qui me l’a envoyé. Eh ! tenez, justement, Balthazar me rapporte demain une parure ; laissez-moi la bonbonnière, je vous épargnerai la course.

LE PRINCE.

Ah ! vous me rendez là un vrai service, ma sirène.

SOPHIE, à part.

Cette clé qui se perd si souvent... cet orfèvre du fau bourg... il y a là-dessous quelque ruse de femme que je veux découvrir.

 

 

Scène IX

 

SOPHIE, LE PRINCE, LAURAGUAIS, MADEMOISELLE LAGUERRE, DORAT, L’ABBÉ

 

LAURAGUAIS.

Le poète est échec et mat !

MADEMOISELLE LAGUERRE.

Eh ! voilà monseigneur le prince d’Ornain.

LAURAGUAIS.

Mon rival en tête-à-tête avec vous, Sophie ! Ah ! prenez garde, c’est un homme très dangereux.

LE PRINCE.

Eh ! eh ! le sexe me traite en enfant gâté... bonjour, l’abbé, bonjour, Dorat, salut à vous, ma Bayadère ; je vous l’ai déjà dit, je ne suis pas belliqueux de mon naturel, mais, près de vous, j’aime la guerre.

Il rit.

Ah ! ah ! ah !

DORAT et L’ABBÉ.

Charmant ! charmant !

MADEMOISELLE LAGUERRE.

Monseigneur a un esprit !...

LE PRINCE.

Parbleu, qu’est-ce qui n’en a pas de l’esprit ? il court les rues.

SOPHIE.

Laissez donc, c’est un bruit que les sots font courir.

LAURAGUAIS.

Vous étiez au petit-lever, ce matin, monsieur le prince ? quoi de nouveau ?

LE PRINCE.

Mais rien... qu’est-ce que je dis ?... si fait, pardieu, il y a du nouveau, toute la cour est en émoi.

TOUS, se rapprochant.

Ah ! mon Dieu !

SOPHIE.

Qu’est-il donc arrivé ?

LE PRINCE.

Figurez-vous, mes amis, que le roi a rêvé...

SOPHIE.

Chat ?

LE PRINCE.

Non ! souris ! Sa Majesté a vu en rêve trois souris : une grasse, une maigre et une aveugle ; personne ne peut expliquer ce songe énigmatique.

SOPHIE.

Ce n’est pourtant pas difficile.

Air : J’en guette un petit de mon âge.

Ce rêve, qui vous met en peine,
Me semble clair...

LE PRINCE.

Soit ! expliquez-le-moi.

SOPHIE.

La souris grasse, ah ! j’en suis bien certaine,
C’est le ministère du roi...
La souris maigre, plus j’y songe,
N’est-ce donc pas le peuple ?...

LE PRINCE.

C’est fort bien !
Oui, mais l’aveugle ?...

SOPHIE, à voix basse.

Amis, n’en dites rien !...
L’aveugle !... c’est l’auteur du songe !

LAURAGUAIS.

Ah ! Sophie ! Sophie !... prenez garde à monsieur le lieutenant de police...

SOPHIE.

Vous avez raison... il m’a déjà mandée chez lui, l’autre jour... et je lui ai promis de ne plus parler que de l’éléphant...

LE PRINCE.

De l’éléphant !...

SOPHIE.

Sans doute... C’est la seule bête un peu considérable dont on puisse aujourd’hui s’occuper sans danger.

LAURAGUAIS, riant.

Allons, vous êtes incorrigible... Prince, êtes-vous des nôtres ?... soupez-vous avec nous ?

LE PRINCE.

Impossible, cher ami... impossible !... Je suis engagé pour une mascarade ravissante qui a lieu, cette nuit, au bal de l’ambassadeur turc.

SOPHIE.

Avec la princesse ?

LE PRINCE.

Oh ! non... c’est une petite escapade que je me permets... ma femme n’en sait rien... elle est si jalouse... cette chère Olympe !... Ah ! bien >, oui... avec ses principes... la mener chez l’ambassadeur turc... un gaillard qui vous a trois cent soixante-dix femmes légitimes... sans compter les bonnes fortunes...

MADEMOISELLE LAGUERRE.

Fi l’horreur !... qu’est-ce qu’il en fait ?

LE PRINCE.

Qu’est-ce qu’il en fait ?... qu’est-ce qu’il en fait ?... allez le lui demander.

À part.

Cette Laguerre est d’une naïveté !...

Regardant la pendule.

Ah ! mon Dieu !... onze heures... je n’ai pas de temps à perdre pour me travestir... j’ai un costume délicieux... un Zéphyr que Vestris m’a prêté... Il m’a aussi montré un pas qui va faire fureur... on montera sur les banquettes pour me voir...

Air de Zéphyr.

Je serai séduisant,
Je serai ravissant,
En dansant,
En valsant,
Sur le plancher glissant !
Là, tout couvert de fleurs,
De parfums enchanteurs,
Mes regards séducteurs
Moissonneront des cœurs !
Oui, ce bal qui m’attend
Sera, dans un instant,
Un sérail éclatant
Dont je suis le sultan !
Tout se range à mes lois,
Et d’avance je vois
Mainte Flore accourir,
Pour s’offrir
À Zéphyr !
Je serai séduisant,
Je serai ravissant,
En dansant,
En valsant,
Sur le plancher glissant !
Là, tout couvert de fleurs,
De parfums enchanteurs,
Mes regards séducteurs
Moissonneront des cœurs !

Il sort, en dansant, par la droite.

 

 

Scène X

 

SOPHIE, LAURAGUAIS, MADEMOISELLE LAGUERRE, DORAT, L’ABBÉ, DAMES et AMIS, MAGLOIRE

 

LAURAGUAIS.

Bon voyage !... c’est un ennuyeux de moins.

MAGLOIRE, entrant.

Mademoiselle est servie.

Les portes du fond s’ouvrent et l’on aperçoit une table élégamment servie.

LAURAGUAIS.

Allons, mes amis !...

CHŒUR.

Air du comte Ory.

À table ! à table ! à table !
La gaieté, le plaisir,
À ce banquet aimable
Doivent nous réunir.

Dorat donne la main à mademoiselle Laguerre ; l’abbé à une autre dame. Ils vont se mettre à table ; pendant ce temps, Sophie va près du meuble à droite, où elle prend plusieurs petites clés qu’elle essaie pour ouvrir la bonbonnière que lui a laissée le prince.

LAURAGUAIS, allant pour offrir la main à Sophie.

Eh ! mon Dieu, que faites-vous là, Sophie ?... Venez donc...

SOPHIE.

Dans l’instant... Je cherche à pénétrer un secret...

LAURAGUAIS.

Un secret ?

SOPHIE.

Oui !... et je le crois des plus piquants... Si je pouvais seulement ouvrir cette boîte...

LAURAGUAIS, à part.

Que vois-je !...la boîte de la princesse !

Se rapprochant et voulant prendre la boîte.

Permettez...

SOPHIE.

Tiens !... tiens... prêtez-moi donc un peu cette petite clé d’or, que je vois à votre montre... je ne vous la connaissais pas.

LAURAGUAIS, se défendant avec trouble.

Cette clé... quelle idée !... elle ne pourra vous servir...

SOPHIE.

Donnez toujours...

Elle la lui arrache, et l’essaie à l’instant.

Miracle !... elle ouvre la boîte comme si elle avait été faite exprès...

LAURAGUAIS, très agité.

Voilà un hasard...

SOPHIE.

Très extraordinaire, n’est-ce pas ?

LAURAGUAIS.

Très bizarre !

À part.

Comment ce bijou est-il entre ses mains ?

SOPHIE, tirant un papier de la boîte.

Ah ! ah !... un billet musqué... ambré...

LAURAGUAIS, à part.

Que faire ?...

Haut.

Et que dit ce billet ?

SOPHIE, le dépliant.

Oh ! peu de chose !...

Lisant.

« Cette nuit, à votre petite maison !... »

LAURAGUAIS, vivement.

Et pas de signature ?

SOPHIE.

Ni d’adresse !...

LAURAGUAIS, à part.

Je respire !...

MADEMOISELLE LAGUERRE, à table, au fond.

Eh bien ! Sophie, tu ne viens pas ?...

TOUS.

Allons, Sophie !

SOPHIE.

Me voici, mes amis, me voici.

LAURAGUAIS, à part.

J’ai mon rendez-vous, et Sophie ne se doute de rien...

SOPHIE, à part.

Ah ! cher comte !... je serai au rendez-vous avant toi !

Elle prend la main de Lauraguais, et va se mettre à table.

TOUS.

Allons donc, Sophie !

CHŒUR, à table.

Air de Blangini.

Allons, allons,
Amis, chantons !
Allons, allons,
Amis, chantons !
Car ce festin
Inspire soudain
Un gai refrain,
Vive le bon vin !
En l’honneur de notre Sophie,
Trinquons, trinquons, avec gaieté ;
Elle est si bonne et si jolie !
À sa santé !
(bis.)
Allons,
Rions,
Buvons,
Chantons !

SOPHIE, se levant, un verre à la main.

Air espagnol.

Bien courte est la vie,
Adieu nos beaux jours !
Ah ! que la folie
En charme le cours !
Narguant la sagesse,
Cherchons le bonheur.
Dans la double ivresse
Des sens et du cœur...
Le bonheur, oui, le voilà,
Il est là !
Croyez-en l’Opéra :
En bravant les soucis,
Consacrons, mes amis,
Aux plaisirs tous les jours...
Et le reste aux amours !

TOUS.

Le bonheur ; oui, le voilà !
Il est là,
etc.

SOPHIE.

Même air.

Qu’à vos yeux il s’offre
Quelque malheureux,
Ouvrez votre coffre,
Banquier généreux.
Vous, femme chérie,
Riche de beauté,
À l’amant qui prie
Faites charité...
Le bonheur, oui, le voilà,
Il est là !
Croyez-en l’Opéra,
En bravant les soucis,
Consacrons, mes amis,
Aux plaisirs tous les jours...
Et le reste aux amours !

TOUS.

Le bonheur, oui, le voilà !
Il est là,
etc.

Tous se lèvent sur la reprise du chœur et choquent leurs verres. La toile baisse sur ce tableau très animé.

 

 

ACTE II

 

LA PETITE MAISON DU COMTE DE LAURAGUAIS

 

Le théâtre représente un petit salon fermé, richement meublé ; porte d’entrée au fond ; portes de cabinets à droite et à gauche. Un divan à gauche, et à droite, vers le fond, une console, sur laquelle il y a deux bougies allumées.

 

 

Scène première

 

LE PRINCE, REMY

 

Au lever du rideau, on entend ouvrir la porte du fond qui est fermée à double tour. Le prince entre mystérieusement, conduit par Rémy ; il est enveloppé d’un manteau.

TOUS DEUX.

Air de la Contre-lettre.

Avançons en silence,
Il faut de la prudence !
Car en ces lieux, je pense,
On ne nous attend pas.

LE PRINCE.

Quel tourment pour mon âme !
D’une infidèle femme
Qui veut trahir ma flamme,
Je viens suivre les pas.

TOUS DEUX.

Avançons en silence,
Il faut de la prudence !
Car en ces lieux, je pense,
On ne nous attend pas.

LE PRINCE, regardant autour de lui.

C’est donc ici ?

REMY.

Oui, monseigneur ; et nous sommes maîtres de la place.

LE PRINCE.

Parfait !... Maintenant que me voilà dans la petite maison de Lauraguais, sise au bois de Boulogne, il faut que tu m’expliques comment tu m’y as introduit. Je serai charmé de savoir comment je me trouve ici.

REMY.

Rien de plus simple, monseigneur ; deux excellentes bouteilles de bourgogne m’ont fait raison de la tête du vieux Landry, concierge et seul gardien de la petite maison ; il ronfle maintenant dans sa loge, et voici ses clés.

Il tire le paquet de clés de sa poche.

LE PRINCE, avec dignité.

Remy, vous avez de l’esprit, beaucoup d’esprit... trop d’esprit, peut-être, pour un homme de votre classe ; c’est égal... dès demain, vos gages sont portés à dix-huit cents livres tournois.

REMY.

Que de bonté !

LE PRINCE.

De plus, pour flatter votre juste amour-propre, je change votre ignoble nom de Remy en celui d’Almanzor, que portait ce magnifique lévrier que j’aimais tant et que j’ai eu le malheur de perdre.

REMY.

Ah ! monseigneur, comment vous remercier des dix-huit cents livres ?

LE PRINCE.

Je vois que ton amour-propre est vivement flatté, mon drôle ; mais ce n’est pas tout ; il me manque encore une idée... tu vas me laisser seul ici... qu’est-ce que je vas faire ?

REMY, entr’ouvrant la porte à droite.

Cette porte est celle d’un cabinet où vous serez parfaitement placé pour tout voir et tout entendre.

LE PRINCE, d’un ton concentré.

Tout voir !...

REMY.

Le boudoir est là...

Montrant la porte à gauche.

 et, en regardant par le trou de la serrure, il sera très facile à monseigneur...

LE PRINCE.

Assez, Almanzor, assez... Allez m’attendre avec le car rosse au coin de la grande allée du bois, et soyez aux aguets toute la nuit.

REMY.

J’obéis, monseigneur ; mais surtout, au moindre bruit, rentrez vite dans ce cabinet.

LE PRINCE.

Allez, Almanzor !... allez !...

Remy sort par le fond.

 

 

Scène II

 

LE PRINCE, seul

 

Je puis dire hardiment que je meurs d’inquiétude... Quelle aventure désagréable en tous points !... Je me rends, déguisé galamment, au bal masqué de l’ambassadeur de Sa Majesté Ottomane, pour chercher de piquantes distractions... et je trouve, quoi ?... un domino jaune... remarquez bien la couleur... un domino jaune qui m’apprend que ma femme a des intrigues... que, cette nuit même, elle doit venir dans la petite maison de Lauraguais... C’est d’une invraisemblance choquante... Si j’étais bourgeois de Paris, conseiller au parlement, fermier-général, notaire... très bien ! je trouverais ça tout naturel... mais moi, prince d’Ornain... capitaine des gardes du comte d’Artois, cordon bleu, cordon rouge, décoré de l’ordre du Soleil, de l’Éperon, du Croissant...de... enfin... de tous les ordres possibles !... je serais par-dessus le marché ?... Si cela était, par exemple, ce petit Cazotte aurait bien raison, et la monarchie de Saint Louis devrait s’attendre à des événements plus qu’extraordinaires...

Écoutant.

On monte l’escalier ! Ah ! j’éprouve une émotion... je crois que j’ai eu tort de renvoyer Almanzor...

Il entre dans le cabinet à droite.

 

 

Scène III

 

LE PRINCE dans le cabinet, LA PRINCESSE, LANDRY

 

La princesse est voilée ; elle entre vivement et regarde autour d’elle. Landry la suit dans un état complet d’ivresse et se soutenant à peine.

LANDRY, prononçant avec effort.

Mille pardons, madame la marquise... c’est un faux pas qui m’est survenu à la dernière marche... mais à c’t’heure me v’là solide sur mes jambes... madame la maréchale...

LA PRINCESSE, à part.

Quelle patience !

LANDRY.

Oui, madame la présidente... et je vas vous conduire au temple où l’Amour et Cupidon...

Il va pour ouvrir la porte du cabinet à droite et s’arrête.

Eh ! non... c’est pas celle là !... je touche à ce soir... Par ici, madame la surintendante.

Il ouvre la porte à gauche.

LA PRINCESSE, à part, en entrant.

Et le comte qui ne se trouve pas chez lui !... Je suis d’une colère !...

LE PRINCE, à part, entr’ouvrant la porte à droite.

Est-ce ma femme ?... cet horrible domino jaune a-t-il dit la vérité ?... Je suis bien fâché d’avoir renvoyé Almanzor.

Il disparaît.

 

 

Scène IV

 

LANDRY, puis SOPHIE

 

LANDRY, seul.

Maintenant que la tourterelle est en cage, je vas chercher mes clés, et fermer toutes les portes extérieures quel conques... vu que, depuis quelque temps, les voleurs et toutes sortes de malfaiteurs pullulent dans le bois... que c’est une horreur !... Depuis un mois, il s’est commis plus de malhonnêtetés... Enfin, pas plus tard qu’avant z’hier, ma tante Ricopeau, qui était venue manger une oie avec moi, s’en retournait bien tranquillement, quand, tout à coup, au détour d’une allée...

En ce moment Sophie paraît dans le fond, et apercevant Landry, éteint vivement les bougies. Nuit au théâtre.

Que vois-je ?... non ! je n’y vois plus...

D’une voix tremblante.

Qui va là ?...

Il se dirige vers la porte du fond en se heurtant aux meubles, et passe près de Sophie qui lui donne un soufflet.

Oh ! qu’est-ce que j’ai reçu là ?... je suis blessé...

D’une voix étouffée et tremblante.

Au voleur ! au voleur !...

Il sort précipitamment par le fond.

 

 

Scène V

 

SOPHIE, seule

 

Elle est en domino jaune, et lient un masque.

 Me voilà maîtresse du champ de bataille... Suis-je seule ici ?...

Allant à tâtons vers la porte à droite.

Heureusement je connais bien les êtres...

Regardant par le trou de la serrure.

Bravo !... il est déjà là... aux aguets... ce pauvre prince... à qui sous ce costume j’ai mis martel en tête...

Se dirigeant de même vers la porte à gauche.

Et la princesse est-elle arrivée ?...

Regardant.

Un demi-jour éclaire le boudoir... Partout des fleurs... des parfums... et elle...

Air de Panseron.

Oui, je la vois, la noble dame,
Et, dans ce boudoir, elle attend
Le fidèle objet de sa flamme...
Allons, à nous deux maintenant !
Sur vous, princesse,
Avec adresse
Votre rivale veillera...
Et l’actrice l’emportera !

Deuxième couplet.

Sous le salin son cœur s’agite,
Elle rêve un bien doux instant ;
Monsieur le comte, venez vite...
Mais Sophie aussi vous attend...
Sur vous, princesse,
Avec adresse
Votre rivale veillera...
Et l’actrice l’emportera !

Prêtant l’oreille.

J’entends un carrosse !... C’est lui !... Eh bien ! tant mieux... Oui, l’émotion que j’éprouve est presque du bonheur... Après la vie des arts, la vie d’amour ct d’intrigue... le reste ne vaut pas la peine qu’on existe...

 

 

Scène VI

 

SOPHIE, LAURAGUAIS, puis LE PRINCE

 

LAURAGUAIS, en dehors.

Toutes les portes ouvertes et personne !... Coquin de Landry, je le chasserai...

Il entre.

Pas une bougie allumée... Le maudit ivrogne est au cabaret, je gage... Tâchons d’atteindre la porte du boudoir...

Il se dirige vers la gauche en talonnant et touche Sophie.

Qui est là ?... est-ce vous ?...

SOPHIE, déguisant sa voix.

Oui...

LAURAGUAIS.

Air : Noble dame, pensez à moi.

Est-ce bien vous, ma noble dame ?
Je n’ose croire à mon bonheur.

SOPHIE.

Pour mieux connaître cette femme,
Posez la main sur votre cœur !
Si vous m’aimez, il vous dira
Que la princesse est vraiment là !

Ensemble.

SOPHIE.

Si vous m’aimez, il vous dira
Que la princesse est vraiment là !

LAURAGUAIS.

Ah ! je le sens, mon cœur déjà
Me dit que la princesse est là !

LAURAGUAIS.

Que d’excuses à vous faire, madame !... Ce concierge absent... cette maison en désordre... J’ai peine à vous cacher la colère où cet homme m’a mis...

SOPHIE, déguisant sa voix.

Ne vous fâchez pas... c’est moi qui l’ai voulu ainsi... qui l’ai ordonné... la lumière me faisait peur...

LAURAGUAIS, à part, souriant.

Je comprends...

Attirant Sophie sur le divan.

Vous voilà donc seule enfin, près de moi... comme je le demande au ciel depuis si longtemps... loin du monde, de la foule... loin des regards jaloux de ce mari que je déteste... Que je suis heureux !...

SOPHIE, assise.

Si vous m’aimiez, sans doute... Mais, malgré toutes vos protestations, en vérité, puis-je le croire ?

LAURAGUAIS, assis.

Ah ! madame... je vous jure...

SOPHIE, cachant sa figure avec son masque.

Non... ce n’est pas possible... car, on n’outrage pas celle qu’on aime... et ne sera-ce pas m’outrager, monsieur le comte, lorsque vous m’aurez dit adieu, d’aller porter ces mêmes paroles d’amour à des femmes indignes de vous, à des filles d’Opéra, à cette Sophie Arnould...

LAURAGUAIS.

Arrêtez !... ne prononcez pas son nom !... Oh ! oui, je serais bien coupable s’il en était ainsi... car il y a un abîme entre vous et cette femme... Quand vous foulez les tapis de riches salons, quels sont ceux qui vous entourent ?... des princes, des gentilshommes, les héritiers des plus beaux noms de France !... et leurs regards respectueux osent à peine se fixer sur vous... Quand Sophie paraît sur les planches de son théâtre... à qui vient-elle se montrer ?... Au premier clerc de procureur, à quelque soldat aux gardes, qui aura payé vingt-quatre sous pour la voir et l’entendre.

SOPHIE, à part.

Oh ! le monstre !...

Haut.

Et c’est pourtant de cette femme que, dernièrement encore, me parlait en ces termes une dame de beaucoup d’esprit... « À la voir brillante et animée, à l’éclat des lustres, quand sa belle voix retentit dans la salle, et que son âme se révèle tout entière dans un élan pathétique, il me semble, au milieu du silence général, entendre battre tous les cœurs... Un même enthousiasme les tient fixes et immobiles... ces grands seigneurs et ces soldats aux gardes... Et, alors, qui fait attention à nous autres pauvres grandes dames, qui pâlissons au fond de nos loges ?... Personne... En ce moment une femme est reine entre toutes les femmes, et cette femme c’est elle... c’est Sophie Arnould !... » C’est bien ridicule, n’est-ce pas ?

LAURAGUAIS, en riant.

Absurde !

SOPHIE, se levant.

« Et si son amant !... c’est toujours cette dame qui parle... se trouve témoin de ces transports... de cette gloire...

Air d’Yelva.

« Pour son orgueil, ah ! quelle fête !
Quel beau triomphe ! Il peut se dire alors :
Cette artiste, elle est ma conquête,
Elle est à moi... pour moi tous ces trésors !...
Ah ! que l’amour d’une telle maîtresse
Te rende fier, seigneur noble et puissant,
Car cette artiste élève ta noblesse
À la hauteur de son talent. »

LAURAGUAIS, cherchant à vaincre son émotion.

Eh ! madame !... cette gloire, ces triomphes dont on parle, le cœur y trouve-t-il son compte ?... Ce qu’il faut au mien... ce qu’il vous demande à vous, c’est du mystère... du bonheur !... Oubliez donc Sophie... comme moi j’oublie l’homme dont vous portez le nom... et...

SOPHIE, riant et parlant très haut.

Mon mari ? le prince d’Ornain !

Elle se trouve près de la porte à droite.

LE PRINCE, à part, sortant du cabinet.

J’ai entendu quelque chose comme mon nom !

SOPHIE.

Est-ce que vous en seriez jaloux ?

LE PRINCE, à part.

Je suis désolé d’avoir renvoyé. Almanzor...

SOPHIE.

Vous ne savez donc pas que c’est un sot ?

LAURAGUAIS, avec feu.

Eh bien ! soyez donc sans pitié pour ce mari ridicule, et gardez toute votre bonté pour le malheureux qui embrasse vos genoux.

Il se jette à ses pieds.

LE PRINCE, éclatant.

C’en est trop !...

Il rentre vivement dans le cabinet.

SOPHIE, à part.

Le prince !... ah ! c’est charmant !

Au comte.

Venez, venez !

Elle s’élance vers le fond entrainant comte.

LAURAGUAIS.

Fuyons...

Ils sortent précipitamment.

 

 

Scène VII

 

LE PRINCE, LA PRINCESSE

 

En ce moment la princesse attirée par le bruit paraît à la porte du boudoir à gauche. Le prince, avec un flambeau à la main, revient en scène et se trouve, face à face avec la princesse. La rapidité de ses mouvements a fait tomber son manteau, et il paraît costumé en zéphyr du temps, avec de petites ailes.

LA PRINCESSE, à part.

Mon mari !...

LE PRINCE, à part.

Le suborneur a disparu !

Ils s’arrêtent tous deux et se regardent un moment en silence.

Eh bien ! femme parjure et trop coupable ! vous ne vous attendiez pas à la figure qui se montre à vos yeux ; c’est la tête de Méduse qui vous apparaît sous ce travestissement frivole.

LA PRINCESSE, à part.

Que faire ?

LE PRINCE.

Voyons, madame, parlez, que me direz-vous pour votre justification ?

LA PRINCESSE, avec assurance.

Pour ma justification ! la plaisanterie est d’une audace que j’admire.

LE PRINCE.

Hein ?

LA PRINCESSE.

Monstre ! infidèle ! vous osez me regarder en face !

LE PRINCE.

Comment, si j’ose vous regarder en face ?

LA PRINCESSE.

Les renseignements les plus précis m’ont appris que vous me trompiez : instruite de vos projets, je vous ai suivi jusque dans cette maison ; je vous y surprends, et c’est vous qui m’interrogez, qui me demandez une justification !

Avec dignité.

Essayez donc la vôtre, monsieur. Voyons ! je vous écoute... mais non, vous vous taisez, vous êtes confondu.

LE PRINCE.

Je suis abruti... Ah ! çà, madame, me prenez-vous pour un prince en démence ?

LA PRINCESSE.

Non, monsieur, non ! vous n’êtes qu’un criminel endurci... et moi, la plus malheureuse des femmes !

Elle pleure.

LE PRINCE, à part.

Celle-ci, je l’avoue, est de trois cents coudées au-dessus de mon intelligence.

Haut.

Voyons, ne pleurez pas, vous me feriez pleurer aussi, et ça jetterait de la confusion dans mes idées ; je suis excessivement bête quand je sanglote.

Se remettant en colère.

Comment, madame, vous me sou tiendrez que, tout à l’heure, ici, monsieur de Lauraguais ne vous a pas fait la déclaration la plus saugrenue...

LA PRINCESSE.

À moi !... le comte ?...

LE PRINCE.

À qui donc ?

LA PRINCESSE.

Monsieur, êtes-vous bien sûr de ce que vous me dites là ?

LE PRINCE.

Je voudrais bien ne pas en être sûr.

LA PRINCESSE, à elle-même.

Ah ! c’est impossible !

LE PRINCE.

Impossible !... Il ne s’est peut-être pas précipité à vos pieds, en vous demandant...

LA PRINCESSE.

Quoi ?

LE PRINCE.

Eh ! parbleu, madame, vous le savez mieux que moi...

LA PRINCESSE, à part.

Plus de doute, le comte était avec une autre femme, tandis que moi...

Marchant à grands pas et avec agitation.

Ah ! c’est odieux !

LE PRINCE, suivant tous ses mouvements.

Qu’est-ce que je dirai donc, moi ?

LA PRINCESSE, de même.

Je suis furieuse ! indignée !

LE PRINCE.

Et moi ? moi... qu’est-ce que je suis ?

ENSEMBLE.

Air du Philtre.

Ah ! j’étouffe de colère !
Mais quel est donc ce mystère ?
C’est affreux !
En ces lieux
Quel rendez-vous scandaleux !
Pour tout savoir comment faire ?
Ah ! la malheureuse affaire !
Tout de bon,
(bis.)
Oui, j’en perdrai la raison.

LA PRINCESSE.

Ah ! j’étouffe de colère !
Mais quel est donc ce mystère ?
C’est affreux !
En ces lieux
Il me trompait sous mes yeux.
Pour tout savoir comment faire ?
Ah ! j’étouffe de colère !
Tout de bon,
(bis.)
Oui, j’en perdrai la raison !...

 

 

Scène VIII

 

LE PRINCE, LA PRINCESSE, SOPHIE, LAURAGUAIS

 

SOPHIE, entrant.

Mais venez donc, monsieur le comte, je crois qu’on se dispute par ici.

LE PRINCE et LA PRINCESSE.

Sophie Arnould !

LAURAGUAIS, à part.

La princesse ! quelle situation !

LA PRINCESSE, à part, avec fureur.

C’était Sophie ! 

LE PRINCE.

Tout cela se complique dans ma tête d’une manière effrayante.

SOPHIE, gaiement.

Eh ! mon Dieu ! que signifient tous ces visages étonnés ? que s’est-il donc passé de si extraordinaire ?

LAURAGUAIS, bas à Sophie.

Sophie, de grâce !...

SOPHIE, de même.

Je serai généreuse.

Haut.

Mais oui, tout cela est fort naturel : un mari jaloux et une femme soupçonneuse se poursuivent mutuellement pour arriver à une commune justification... c’est très bien, et on n’a qu’à se féliciter ; félicitez-vous, prince. Est-ce la visite nocturne de monsieur le comte qui vous semble sortir des bornes de la vie commune ? Mais pas du tout, cette maison est la sienne, et la femme à qui il parlait d’amour, c’est sa maîtresse, c’est Sophie Arnould, qu’il n’a jamais trahie et ne trahira jamais, même pour une dame de la cour... n’est-il pas vrai, monsieur le comte ? Vous voyez que tout cela est uni et simple comme une tragédie de ce pauvre Dorat.

LAURAGUAIS, à part.

Je suis joué !

LA PRINCESSE, à part.

Quelle honte !

LE PRINCE, à part.

Je commence à croire ma femme...

On entend marcher au dehors sur un morceau de musique que l’orchestre exécute piano.

TOUS, prêtant l’oreille.

Qu’entends-je !

LANDRY, en dehors.

Halte ! je vous dis qu’ils sont plus de soixante les scélérats !

LAURAGUAIS, à la fenêtre.

Des soldats conduits par Landry !... qu’est-ce que cela signifie ?

SOPHIE, riant aux éclats.

Ah ! ah ! ah ! ah ! j’y suis : votre ivrogne de concierge m’a prise pour une bande de voleurs, et, dans sa frayeur, il aura couru chercher le guet.

LE PRINCE.

Voilà la princesse compromise !

SOPHIE.

Dès demain cette aventure enrichira la chronique scandaleuse du roi.

LAURAGUAIS.

Il faut désabuser, renvoyer le guet ; j’y cours.

LE PRINCE.

Oui, je me ferai connaître ; je vole...

SOPHIE, au prince.

Avec vos ailes ?

LE PRINCE.

Tiens ! c’est vrai, je n’y pensais plus.

Il ramasse son manteau et s’enveloppe avec.

LAURAGUAIS.

Descendons vite !

Ils sortent par le fond.

 

 

Scène IX

 

LA PRINCESSE, SOPHIE

 

LA PRINCESSE.

Ah ! nous voilà seules...

D’un ton décidé.

À moi, mademoiselle Sophie Arnould, deux mots...

SOPHIE.

Que désire madame la princesse d’Ornain ?

LA PRINCESSE.

Une réparation de l’outrage que j’ai reçu.

SOPHIE.

Une réparation... Eh ! mon Dieu ! madame, prenez garde ; si votre mari allait devenir aussi exigeant à votre égard, vous passeriez vos jours à réparer.

LA PRINCESSE, avec colère.

Ah ! vous triomphez !... vous avez eu si beau jeu...

SOPHIE.

Dame ! on joue, c’est pour ça.

LA PRINCESSE.

Vous êtes bien fière, n’est-ce pas ? une femme de mon rang bafouée, humiliée par...

SOPHIE.

Par une femme comme moi, qui, d’un mot, pouvait perdre une femme comme vous ; c’est pénible, je le conçois.

LA PRINCESSE.

Eh ! mademoiselle, votre générosité railleuse est un outrage de plus. Mais vous devez savoir qu’on ne m’offense pas impunément.

SOPHIE.

Oh ! je sais que je m’expose, car j’ai entendu vanter vos talens d’escrime, et votre adresse à abattre une poupée de plâtre : c’est charmant ! rien ne sied mieux à la beauté que les arts d’agrément.

LA PRINCESSE.

Et me narguer encore !...

SOPHIE.

Dieu m’en préserve ! Vous répondriez à un bon mot par un bon coup d’épée... l’esprit reviendrait un peu cher.

LA PRINCESSE.

Obligée d’abaisser jusqu’à vous ma naissance et mon rang...

SOPHIE.

Autant que cela, princesse ? Au fait, vous êtes dans votre jour de complaisance.

LA PRINCESSE, avec le plus grand dédain.

Insolente !... En vérité, on regrette chaque jour davantage qu’il n’y ait pas une marque de distinction entre certaines personnes et les femmes honnêtes.

SOPHIE.

Pourquoi voulez-vous nous mettre dans la nécessité de les compter ?

LA PRINCESSE.

Il vous sied bien, quand on fait votre métier...

SOPHIE.

Ah ! madame, ne m’en parlez pas ; il ne vaut plus rien depuis que les grandes dames s’en mêlent.

LA PRINCESSE, au comble de la fureur.

C’en est trop ! Il me faut raison de tous ces outrages... dès demain...

SOPHIE.

Un duel entre nous... c’est trop original pour que je refuse ; d’ailleurs, c’est la mode : mesdames de Nesle et de Polignac viennent de nous donner l’exemple en se battant pour le duc de Richelieu. Vos armes, madame la princesse ?

LA PRINCESSE.

Vous choisirez : j’apporterai ma boîte et des épées. Le lieu ?

SOPHIE.

Le carrefour du bois qui fait face à cette maison.

LA PRINCESSE.

L’heure ?

SOPHIE.

Huit heures du matin.

LA PRINCESSE.

Un de mes équipages ira vous prendre.

SOPHIE.

Un des miens sera à vos ordres. Votre témoin ?

LA PRINCESSE.

La marquise des Tournelles, dame d’honneur de la reine. Le vôtre ?

SOPHIE.

Mademoiselle Laguerre, bayadère de l’Opéra.

LA PRINCESSE.

On vient.

SOPHIE.

Silence !

 

 

Scène X

 

LA PRINCESSE, SOPHIE, LAURAGUAIS, LE PRINCE

 

LAURAGUAIS.

Le guet s’est éloigné, toutes les allées du bois sont désertes... partons !

LE PRINCE.

Et promptement ; j’ai besoin de repos, ma pauvre tête est dans un état...

LAURAGUAIS, à part.

Ah ! Sophie ! Sophie ! vous me le paierez... Brigitte me vengera.

SOPHIE.

Air : Final du premier acte de Crédeville.

Vite il faut partir !
Mais, croyez-moi, le mystère
Est nécessaire ;
Car sur cette affaire
On pourrait bien se divertir.

TOUS.

Vite il faut partir !
Mais maintenant le mystère
Est nécessaire ;
Car sur cette affaire
On pourrait bien se divertir !

LA PRINCESSE, bas à Sophie, lui serrant la main.

À demain !

SOPHIE, de même.

Demain !

LE PRINCE, à part.

Le calme rentre dans mon âme...
Soupçonner ma femme !
Ah ! vraiment, j’étais un faquin !

TOUS.

Reprise.

Vite il faut partir !
Mais maintenant le mystère
Est nécessaire ;
Car sur cette affaire
On pourrait bien se divertir !

Ils se dirigent vers la porte du fond où ils s’arrêtent. Le prince donnant la main à sa femme, salue Lauraguais et Sophie qui font une profonde révérence.

 

 

ACTE III

 

LE BOIS DE BOULOGNE

 

Le théâtre représente un carrefour du bois ; à gauche, un pavillon élégant dont la porte est élevée de quelques marches, et dont la fenêtre fait face au public ; sous cette fenêtre, un banc de pierre ; à droite, un fourré d’arbres.

 

 

Scène première

 

LANDRY, BRIGITTE

 

LANDRY, à la cantonade.

Saint-Jean, reconduisez le carrosse à l’hôtel, et prévenez monsieur le comte que ses ordres sont exécutés...

À Brigitte.

Venez, mon enfant...

BRIGITTE.

Ah ! çà, vous m’assurez bien que je ne cours aucun risque...

LANDRY.

Fiez-vous donc à nous... Monsieur le comte ne veut que votre bonheur...

BRIGITTE.

Il m’a bien promis de me faire entrer à l’Opéra.

LANDRY.

C’est justement pour commencer votre éducation vous amène ici.

BRIGITTE.

Mais monsieur le comte ?...

LANDRY.

Il viendra tout à l’heure, soyez donc tranquille...

BRIGITTE.

Ainsi vous croyez...

LANDRY, la faisant entrer dans le pavillon.

Allons ! allons ! entrez !

Il referme la porte sur elle.

 

 

Scène II

 

LANDRY, seul, se frottant les mains

 

Bien, bien... cette fois je me suis acquitté à merveille de ma mission... J’espère que monsieur le comte sera content, et qu’il me pardonnera mon escapade de cette nuit.

Il s’assoit sur le banc et lire une bouteille de sa poche.

Il est de fait que j’étais dans mon tort, j’avais bu, et, comme dit le sage : L’homme qui commet des excès de boisson se ravale...

Il boit.

au niveau de la brute...

 

 

Scène III

 

LANDRY, assis, LE PRINCE, REMY, SOLDATS de la maréchaussée

 

LE PRINCE.

Ah ! voici quelqu’un ! Maréchaussée, faites votre devoir.

LANDRY, se levant effrayé.

Hein ! qu’est-ce que c’est... que me veut-on ?

LE PRINCE, le prenant au collet.

Réponds, drôle, ma femme ! où est ma femme ?

LANDRY.

Monseigneur, reconnaissez-moi...

LE PRINCE, le secouant.

Ma femme ?...je veux ma femme !

LANDRY.

Je suis Landry, l’homme de confiance de monsieur le comte de Lauraguais.

LE PRINCE, le regardant.

C’est, ma foi, vrai !... Ah ! mon pauvre ami, tu vois un époux bien infortuné... n’est-ce pas, Almanzor ?

LANDRY.

Que vous est-il donc arrivé, monseigneur ? 

LE PRINCE.

J’ai égaré ma femme ! tu sais bien, la princesse, ma superbe et vertueuse épouse.

LANDRY.

Vous avez égaré votre épouse ?

LE PRINCE.

Je suis au désespoir !

Il sanglote.

Tiens, il faut que je te conte cela, je l’ai déjà conté à la maréchaussée... ça l’a attendrie, la maréchaussée.

LANDRY, voulant s’en aller.

Pardon, monseigneur, on m’attend là-dedans... et...

LE PRINCE, le retenant.

C’est égal ; tu m’entendras. Figures-toi, mon pauvre Landry, que cette nuit, à la suite d’un quiproquo puéril, j’avais été me mettre dans la tête que ma femme... la princesse !... Ah ! fi donc... Enfin je m’étais conduit dans cette circonstance, tranchons le mot, comme... un franc polisson... n’est-ce pas Almanzor ?

REMY.

Oh ! monseigneur...

LE PRINCE.

Dis que oui, dis que oui ; il n’y a pas de mot trop fort pour moi... Ce matin donc, voulant faire ma paix, je me présente chez ma femme... personne !... pas plus de princesse que sur... J’interroge les gens... on me répond que madame vient de sortir seule, et qu’elle a emporté des armes.

LANDRY.

Ah ! mon Dieu !

LE PRINCE.

Juge de mon effroi, ma femme sortie avec des armes !... Après notre altercation d’hier, ce ne peut-être que pour se détruire...

LANDRY.

Oh ! monseigneur !

LE PRINCE.

Si, si, je suis sûr que ma femme a l’intention de se détruire... Et je serais la cause de cet affreux événement !... L’avoir soupçonnée !... cette angélique créature !... quand c’est moi au contraire... Scélérat de roué que je suis !... Ah ! n’est-ce pas, mes amis, que c’est infâme ?

LANDRY.

Mais oui, monseigneur, c’est assez infâme ; et savez-vous au moins de quel côté madame ?...

LE PRINCE.

On m’a assuré avoir vu sa voiture entrer au bois de Boulogne. Tu ne l’as pas rencontrée, n’est-ce pas ?

LANDRY.

Non, monseigneur.

LE PRINCE, aux soldats.

Allons, maréchaussée, continuons nos recherches : vous vous rappelez le signalement, n’est-ce pas ? vingt-huit ans, cinq pieds deux pouces, cheveux noirs, peau blanche, un signe au menton, et cent pistoles de récompense à celui de vous qui me la ramènera.

Le prince sort suivi de Remy et de la maréchaussée.

 

 

Scène IV

 

LANDRY, seul

 

Bonne chance, monseigneur !...

Il boit.

Est-ce que vrai ment sa femme aurait pensé à... Allons donc, ce n’est pas possible, il n’y a qu’un mari pour avoir de ces idées-là...

Il boit.

Avec tout ça, monsieur le comte ne peut tarder à arriver ; hâtons-nous de préparer la collation qu’il a commandée et de mettre le vin au frais.

Il rentre dans le pavillon en chancelant.

 

 

Scène V

 

SOPHIE, en homme, donne le bras à MADEMOISELLE LAGUERRE, qui est habillée en amazone, MAGLOIRE

 

SOPHIE, à Magloire qui les suit.

Magloire, tu nous amèneras une voiture dans un quart-d’heure.

Magloire salue et sort.

MADEMOISELLE LAGUERRE.

C’est donc ici le lieu du rendez-vous ?

SOPHIE.

Oui, ma chère ; devant la petite maison de mon perfide ; c’est moi qui ai choisi cet endroit... mais je ne vois encore personne.

MADEMOISELLE LAGUERRE.

Bah ! la princesse ne viendra pas.

SOPHIE.

Cela m’étonnerait : tout ce qui ressemble à une aventure a tant de charmes pour elle...

MADEMOISELLE LAGUERRE.

Ah ! çà, est-ce bien sérieusement que vous allez...

SOPHIE.

Nous battre ? très sérieusement, ma chère.

MADEMOISELLE LAGUERRE.

Mais cela n’a pas le sens commun.

SOPHIE.

Tant mieux... une extravagance de plus, c’est une bonne fortune ; d’ailleurs, ce n’est pas seulement Sophie Arnould qui va se battre avec la princesse d’Hénin, c’est un duel entre la noblesse et l’art, entre la cour et l’Opéra ; et, si l’Opéra donne un bon coup d’épée à la cour, ça sera bien fait... ça fera rire le peuple, ce bon peuple, qui n’a que ce plaisir-là, et qui se tient les côtes quand les grands seigneurs reçoivent sur les doigts.

MADEMOISELLE LAGUERRE.

Prends-y garde... on dit la princesse si adroite...

SOPHIE.

Eh bien ! et moi, ne suis-je pas une des bonnes élèves de Séranne, notre meilleur maître en fait d’armes ? d’ailleurs, si je succombe tout sera dit. Notre duel fera du bruit dans Paris... on en parlera pendant huit jours... au moins... on dira : « Sophie Arnould s’est battue pour son amant... tiens, c’est drôle ; oui, mais elle s’est fait tuer... c’est bien plus drôle. »

Air d’Aristippe.

Et si, là-haut, notre Juge suprême,
Sur mon destin prononçant ses arrêts,
Voulait lancer un terrible anathème,
De mon passé ne gardant nuls regrets,
Pour l’arrêter, soudain je lui dirais :
De charité mon âme toujours pleine,
Doit, en ce jour, vous trouver désarmé ;
Oui, j’ai péché... mais comme Madeleine...
Pardonnez-moi, car j’ai beaucoup aimé.

MADEMOISELLE LAGUERRE.

On vient... c’est la princesse !

SOPHIE.

Allons ! faisons bonne contenance, et soutenons digne ment l’honneur de l’Opéra.

 

 

Scène VI

 

SOPHIE, MADEMOISELLE LAGUERRE, LA PRINCESSE, en homme, LA MARQUISE DES TOURNELLES, portant deux épées et une boîte de pistolets

 

LA PRINCESSE, à Sophie.

Je vous ai fait attendre, ce n’est pas ma faute ; mon mari me cherche dans le bois, j’ai dû faire un détour pour l’éviter. 

SOPHIE.

Je suis à vos ordres... quelle arme ?

LA PRINCESSE.

Le pistolet d’abord, si vous voulez...

S’adressant à la vieille dame.

Marquise des Tournelles, veuillez charger les armes avec le témoin de mademoiselle.

MADEMOISELLE LAGUERRE, effrayée, à la dame qui s’approche d’elle avec les deux pistolets.

Avec moi ! Par exemple ! si vous croyez que je vais toucher à ça... chargez toute seule, madame.

Regardant la dame qui charge avec sang-froid.

Il paraît qu’elle a la grande habitude, cette vieille marquise.

LA PRINCESSE, à Sophie.

Nous tirerons sans doute à quinze pas ; veuillez les compter.

SOPHIE.

Moi ?... soit !

LA PRINCESSE, regardant les pieds de Sophie.

Attendez, cependant... avec ces pieds-là la distance n’y serait pas. Marquise, comptez les pas, je vous prie.

SOPHIE, à part, regardant les pieds de la marquise.

Au fait, avec elle il y en aura au moins trente.

La marquise arpente le théâtre en comptant et marquant la distance, puis elle donne un pistolet à Sophie et un autre à la princesse.

Commençons !... à vous, madame la princesse.

LA PRINCESSE.

Je n’en ferai rien.

SOPHIE.

Ensemble, donc.

LA PRINCESSE, à la vieille dame.

Marquise, donnez le signal.

MADEMOISELLE LAGUERRE, au fond, se bouchant les oreilles.

Ah ! mon Dieu.

Sophie et la princesse se placent vis-à-vis l’une de l’autre.

LA MARQUISE.

Feu !

Elles font feu ensemble.

MADEMOISELLE LAGUERRE, criant.

Ah !

Elle se sauve. Au même instant, la fenêtre du pavillon s’ouvre et l’on aperçoit Landry et Brigitte.

LANDRY, à la fenêtre.

Qu’est-ce que c’est que ça ?... un duel !

BRIGITTE, de même.

Ah ! mon Dieu, il faut les séparer... courons !

Ils referment la fenêtre.

LA PRINCESSE, jetant son pistolet et prenant une épée des mains de la marquise.

À l’épée, maintenant !

SOPHIE, de même.

À l’épée !

Elles se mettent en garde et se baltent.

 

 

Scène VII

 

SOPHIE, LA PRINCESSE, LA MARQUISE DES TOURNELLES, LANDRY, BRIGITTE

 

LANDRY, à la princesse et à Sophie qui se ballent.

Les enragés ! Eh ! messieurs !...

SOPHIE.

Éloignez-vous !...

LANDRY.

Sous les fenêtres de monsieur le comte de Lauraguais !... C’est d’une indiscrétion !...

LA PRINCESSE.

Comment ?...

BRIGITTE.

Messieurs, de grâce...

LA PRINCESSE.

Quelle est cette jeune fille ?

LANDRY, se plaçant entre Sophie et la princesse.

Chut ! chut ! taisez-vous donc !... c’est une protégée de monsieur le comte... une orpheline qu’il veut faire entrer à l’Opéra... vous comprenez... mes gaillards.

Il rit.

LA PRINCESSE.

Oui, oui, je commence à comprendre.

SOPHIE, se retournant vers la princesse.

Eh bien ?

LA PRINCESSE, de même.

Eh bien ?

SOPHIE.

Pendant que nous nous battions pour lui...

LA PRINCESSE.

Ah ! c’est une indignité !... et je vais...

Elle va pour s’élancer vers Brigitte.

SOPHIE, la retenant, à demi-voix.

Faire un éclat !... y pensez-vous ?... Laissez-moi seule avec cette petite.

Montrant Landry.

Éloignez cet homme ; je me charge de notre vengeance commune.

LA PRINCESSE.

C’est bien.

Prenant Landry au collet.

Allons, marche devant moi !

LANDRY.

Par exemple !...

LA PRINCESSE, le poussant.

Veux-tu bien marcher ?

LANDRY, à Brigitte.

Suivez-moi, mademoiselle... Ah ! mon Dieu ! je serai chassé, c’est sûr...

La princesse le fait entrer devant elle dans le pavillon ; la marquise des Tournelles les suit.

 

 

Scène VIII

 

SOPHIE, BRIGITTE

 

Brigitte va pour les suivre, Sophie la retient.

SOPHIE.

Un instant, mademoiselle.

BRIGITTE, à part.

Ah ! mon Dieu ! qu’est-ce qu’il me veut ?

SOPHIE, à part.

C’est qu’elle est très bien, la petite sotte !

Haut.

Approchez, ma belle enfant... est-ce que je vous fais peur ?

BRIGITTE, tremblante.

Oh ! non, monsieur, bien au contraire.

SOPHIE.

Écoutez-moi... la personne que vous attendez ne doit pas venir.

BRIGITTE.

Comment ! le comte de Lauraguais...

SOPHIE.

Vous devez savoir qu’il n’est guère exact, ce cher comte ; car sans doute vous êtes déjà venue ici.

BRIGITTE.

Oh ! mon Dieu, non, c’est la première fois. Il y avait pourtant assez longtemps qu’il me tourmentait pour ça, allez...

SOPHIE.

Ah ! vous le connaissez depuis longtemps ?

BRIGITTE.

Depuis plus de quinze jours... il venait presque tous les soirs au magasin causer avec ces demoiselles en général, et avec moi en particulier ; car je suis la première demoiselle de boutique de madame Goulard.

SOPHIE.

Ma marchande de modes !

BRIGITTE, étonnée.

Votre marchande de modes ?...

SOPHIE, se reprenant.

Oui, la marchande de modes... de ma sœur... Et que vous disait le comte ?

BRIGITTE.

Oh ! des folies : que j’étais charmante, que je n’étais pas faite pour végéter dans un comptoir... Enfin, hier au soir, chez mademoiselle Arnould, où j’étais allée porter de l’ouvrage, il m’a déclaré qu’il voulait me faire débuter à l’Opéra.

SOPHIE.

Vous faire débuter ?

BRIGITTE.

Oui, c’est pour ça que je suis venue ici.

SOPHIE.

Air : Vaudeville de Préville et Taconnet.

À l’Opéra ! grand Dieu, quelle imprudence !

BRIGITTE.

C’est le séjour des plaisirs les plus doux.

SOPHIE.

On y perd candeur, innocence.

BRIGITTE.

Mais on y gagne et diamants et bijoux :
Ces choses-là, ça lente, voyez-vous.
Et puis, d’ailleurs, mesdames les artistes
Ont tant d’amans, jeunes, vieux, beaux ou laids !...
Et cette gloire a pour moi des attraits.

SOPHIE, à part.

Je m’aperçois que le corps des modistes
Ne vaut pas mieux que le corps des ballets.

Ah ! c’est trop fort... convenir chez moi de ses rendez-vous... heureusement j’arrive à temps pour empêcher ce nouveau début.

BRIGITTE.

Comme vous avez l’air fâché !

SOPHIE.

Certainement ; et quand je pense à la perversité des hommes... Voyez-vous, le meilleur ne vaut pas le...

À part.

Ah ! mon Dieu ! j’oublie mon habit.

Haut.

Sachez que le comte est le plus grand scélérat de la terre ; je vous en parle savamment, c’est mon ami intime ; oui, ma chère, il ne cherche qu’à vous tromper, qu’à vous abuser, et c’est ce qui m’indigne, parce qu’avec votre innocence, vos grâces, votre esprit...

BRIGITTE, à part.

Tiens ! tiens ! comme il me regarde !

SOPHIE, à part.

C’est une petite niaise ; je parie qu’il ne me faudrait pas un quart-d’heure... Le comte va venir... c’est cela.

Avançant vivement vers Brigitte.

Écoutez, Brigitte.

BRIGITTE, reculant.

Vous m’avez fait peur.

SOPHIE.

Je veux vous arrêter sur le bord de l’abime. Voyez en moi un vengeur... un ami... que dis-je, un amant !

BRIGITTE.

Mais vous ne me connaissez que depuis un instant.

SOPHIE.

Un instant ! je vous connais depuis des années... vous êtes l’être idéal que s’est créé mon imagination : je vous vois partout, la nuit dans mes songes, et le soir... à la sortie de votre magasin.

BRIGITTE.

Tiens ! est-ce que vous seriez ce petit jeune homme au manteau vert galonné qui me suit tous les soirs ?

SOPHIE.

Précisément... vous voyez l’infortuné au manteau vert.

BRIGITTE.

Ah ! monsieur, avant-hier, vous m’avez pincé le bras d’une force... c’est très immoral.

SOPHIE.

C’est possible, l’amour m’égarait.

BRIGITTE, à part.

C’est qu’il est bien gentil ce jeune homme-là !

SOPHIE, regardant au fond, à part.

Bravo ! voilà le cher comte.

Haut.

Adorable Brigitte !

Air de Garat.

Cédez,
Entendez
Mes aveux
Et mes vœux ;
Répondez,
Accordez
Doux retour
À l’amour !
Prenez,
Enchaînez
Un amant
Bien constant ;
Un mot,
Car il faut
Du bonheur
À mon cœur !

Chassez,
Repoussez
Un trompeur,
Séducteur,
Qui voudrait,
Doux objet,
Vous trahir
Et partir ;
En moi
Ayez foi,
Car ici,
Aujourd’hui,
Vous voyez
À vos pieds
Un ami...
Un mari !

BRIGITTE, avec joie.

Un mari ! vous !... quoi, vous m’épouseriez ?

SOPHIE.

Foi d’homme d’honneur !

BRIGITTE.

Ah ! dame ! le comte ne parlait pas de ça.

À part.

Il est très bien élevé ce petit-là.

SOPHIE.

Reprise de l’air.

Cédez,
Entendez
Mes aveux
Et mes vœux ;
Répondez,
Accordez
Doux retour
À l’amour !
Prenez,
Enchaînez
Un amant
Bien constant ;
Un mot,
Car il faut
Du bonheur
À mon cœur !

À la fin de l’air, elle embrasse Brigitte. En ce moment, Lauraguais paraît au fond.

 

 

Scène IX

 

SOPHIE, BRIGITTE, LAURAGUAIS, puis LA PRINCESSE

 

LAURAGUAIS, s’avançant.

Que vois-je !

BRIGITTE, avec effroi.

Ciel ! le comte !

LAURAGUAIS, à Brigitte.

Perfide !

À Sophie qui lui tourne le dos.

Et vous, qui que vous soyez, vous allez me rendre raison de votre insolence...

Sophie éclate de rire.

Défendez-vous.

Il tire son épée.

SOPHIE, se retournant.

De tout mon cœur !

LAURAGUAIS, la reconnaissant.

Quoi !... c’est vous ?

Il reste interdit ; en ce moment, la princesse paraît à la porte du pavillon.

LA PRINCESSE, éclatant de rire.

Ah ! ah ! ah !

LAURAGUAIS, se retournant.

Un homme ! ah ! du moins celui-là paiera pour tous.

Il va prendre la princesse par la main, et l’amène brusquement sur le devant du Théâtre où il la reconnaît.

La princesse !

Ensemble.

Air : Fragment du trio du Pré aux Clercs (3e acte).

Quel est donc ce mystère ?
Ah ! je suis confondu...
Ma foi, dans cette affaire
C’est moi qui suis battu.

SOPHIE et LA PRINCESSE.

Il ne peut que se taire,
Le voilà confondu !...
Ma présence l’atterre,
Il voit qu’il est battu...

BRIGITTE.

Quel est donc ce mystère ?
Quel coup inattendu
Le réduit à se taire ?
Le voilà confondu !...

LA PRINCESSE, menaçant Lauraguais.

Vous êtes un monstre !...

SOPHIE, de même.

Un infidèle !...

LA PRINCESSE, de même.

Un traître !...

SOPHIE, de même.

Un scélérat !

LAURAGUAIS, confus.

Épargnez-moi, et veuillez m’expliquer, mesdames...

BRIGITTE, stupéfaite.

Mesdames !... ce sont des dames ces petits jeunes gens là !

 

 

Scène X

 

SOPHIE, BRIGITTE, LAURAGUAIS, LA PRINCESSE, MAGLOIRE

 

MAGLOIRE.

Mademoiselle, je viens vous dire que votre  voiture...

Apercevant Brigitte.

Ah ! mon Dieu !

BRIGITTE.

Magloire !

SOPHIE.

Tiens ! ils se connaissent.

MAGLOIRE, à Sophie.

C’est elle, ma marraine ; c’est ma Brigitte, vous savez, celle que je recherche pour le bon motif.

SOPHIE.

Ah ! c’est Brigitte !

LAURAGUAIS, à part.

Au diable la reconnaissance !

LE PRINCE, dehors.

Où est-elle ? où est-elle ?

SOPHIE, regardant.

Le prince d’Ornain !...

LAURAGUAIS.

Le prince ! Ah ! çà, c’est donc un guet-apens ?

 

 

Scène XI

 

SOPHIE, BRIGITTE, LAURAGUAIS, LA PRINCESSE, MAGLOIRE, LE PRINCE, accourant pâle et en désordre et tient MADEMOISELLE LAGUERRE par le bras

 

MADEMOISELLE LAGUERRE.

Mais, arrêtez donc, monsieur, je n’en puis plus !...

LE PRINCE.

Séparez-les ! séparez-les !

S’élançant vers la princesse.

La voilà ! ouf ! je m’évanouis qu’est-ce qui a un flacon ?

SOPHIE.

Ah ! çà, qu’est-ce qu’il a donc ?

Mademoiselle Laguerre fait respirer des sels au prince.

LE PRINCE, revenant à lui.

Ô Olympe ! qu’avez-vous fait ?

SOPHIE.

Allons, voilà une scène.

LE PRINCE.

Je sais tout.

LA PRINCESSE.

Vous savez...

SOPHIE.

Vous ne savez rien.

LE PRINCE.

Quoi ! ce duel...

SOPHIE, à demi-voix.

N’est que trop réel ; mais en connaissez-vous la cause ?

LE PRINCE.

Mais...

SOPHIE, à demi-voix.

Vous ne devinez pas... vos visites chez moi...

LA PRINCESSE, saisissant cette idée.

Vos assiduités auprès de mademoiselle, votre inconstance...

SOPHIE.

La jalousie de madame...

LE PRINCE.

N’achevez pas ! assez ! assez ! je suis un monstre... Olympe ! il est donc vrai, tu t’es battue pour moi ; tu as mis l’épée à la main pour la possession exclusive de mes faibles attraits !

Tous les autres personnages se détournent pour rire.

Je vois votre émotion, mes amis, et je la partage.

À Sophie.

Hein ? qu’en dites-vous ? j’espère qu’elle tient bien l’épée, ma femme.

SOPHIE.

Mais oui, c’est une lame très distinguée.

LE PRINCE.

Eh bien ! cher comte, je vous avais pourtant soupçonné. Quelle faute ! quand vous étiez là bien tranquillement en bonne fortune avec cette petite.

Lauraguais lui fait signe de se taire.

Ah ! qu’est-ce que j’ai dit là ?

MAGLOIRE.

Hein ?... quoi ? comment ? en bonne fortune avec Brigitte ?

SOPHIE.

Vous êtes dans l’erreur, prince ; mademoiselle est sage, très sage, c’est la prétendue de mon filleul.

Elle montre Magloire.

Et sa présence ici ne doit étonner personne, puisqu’elle nous révèle une nouvelle action généreuse de monsieur de Lauraguais.

LAURAGUAIS, à part.

Que dit-elle ?

SOPHIE.

Ah ! c’est un trait superbe ; il savait que je m’intéressais à l’amour de ces jeunes gens... N’est-ce pas, comte ?

LAURAGUAIS, embarrassé.

Oui, oui... certainement...

SOPHIE.

Et nous n’avons amené mademoiselle que pour l’installer dans cette petite maison dont monsieur le comte veut bien me faire le sacrifice, et que j’offre en présent de no ces à nos jeunes mariés.

MAGLOIRE.

Si c’est possible !

LAURAGUAIS, bas à Sophie.

Mais, Sophie...

SOPHIE, bas.

Je l’exige.

Haut.

Allons, mes enfants, tombez aux pieds de votre bienfaiteur et remerciez-le.

MAGLOIRE, s’approchant.

Ah ! monsieur le comte ! monseigneur, permettez, souffrez...

LAURAGUAIS.

Va au...

Se reprenant.

Assez, assez, mon ami.

Bas à Sophie.

Ah ! Sophie, il n’y a pas moyen de lutter avec vous.

LE PRINCE.

Voilà un trait qui me touche... je crois que j’en pleure... C’est ça, comte, rangeons-nous, abjurons nos erreurs !... Pour moi, je veux expier les miennes ; dès demain, je pars avec ma femme pour ma terre de Picardie ; nous y vivrons comme deux tourtereaux. Pas vrai, Olympe ?

LA PRINCESSE, à part.

Je n’en reviendrai pas ; j’y mourrai d’ennui.

LE PRINCE.

J’espère, cher comte, que vous viendrez nous y voir ; vous chasserez le cerf... j’ai des bois superbes...

SOPHIE.

Non, non, monsieur le comte n’est pas adroit à la chasse.

À Brigitte.

Allons, mon enfant, je vous avais promis un mari, prenez celui que je vous donne ; c’est un honnête garçon... aimez-le, tâchez de lui être fidèle... si c’est possible ; devenez une bonne femme de ménage, une respectable mère de famille ; cela vaut mieux que de débuter à l’Opéra.

À part.

C’est égal, je dois avoir un drôle d’air quand je fais de la morale.

CHŒUR.

Air du dilettante à Avignon.

Honneur, honneur à Sophie !
Du public elle est chérie ;
Aussi bonne que jolie,
On l’aime à l’idolâtrie.
Vive, vive Sophie !

SOPHIE, au public.

Air : Vaudeville des Maris ont tort.

Que la mémoire de Sophie,
Ce soir, vous rende généreux ;
Vous le savez, bonne et jolie,
Elle n’a fait que des heureux.
Moi, j’observe un peu sa morale,
Et mon succès sera complet,
Si, par bonheur, j’ai dans la salle
Autant d’amis qu’elle en avait.

Reprise du CHŒUR.

Honneur, honneur à Sophie !
Du public elle est chérie ;
Aussi bonne que jolie,
On l’aime à l’idolâtrie.
Vive, vive Sophie !

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