Sidney (Jean-Baptiste-Louis GRESSET)

Comédie en trois actes et en vers.

Représentée pour la première fois, à paris, sur le Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain, le 3 mai 1745.

 

Personnages

 

SYDNEY

ROSALIE, amante de Sidney

HAMILTON, ami de Sidney

DUMONT, valet de chambre de Sidney

HENRI, jardinier

MATHURINE, fille de Henri

 

La scène est en Angleterre, dans une maison de campagne.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

DUMONT

 

Il fallait, sur ma foi, que le mauvais poète

Qui chanta le premier l’amour de 1a retraite

Fût un triste animal : quel ennuyeux séjour

Pour quelqu’un un peu fait à celui de la cour !

Depuis trois mortels jours qu’en ce manoir champêtre

Je partage l’ennui dont se nourrit mon maître,

J’ai vieilli de trois ans. Est-il devenu fou,

Monsieur Sidney ? quoi donc ! se nicher en hibou,

Lui riche, jeune, exempt de tout soin incommode,

Au milieu de son cours des femmes à la mode ;

À la veille» morbleu ! d’avoir un régiment,

Planter là l’univers, s’éclipser brusquement,

Quitter Londres et la cour pour sa maudite terre !

Si je savais du moins quel sujet nous enterre

Dans un gîte où jamais nous ne sommes venus :

Mais j’ai beau lui parler, il ne me répond plus ;

Depuis un mois entier c’est le silence même :

Oh ! je saurai pourquoi nous changeons de système ;

Il ne sera pas dit que nous nous ennuierons

Sans que de notre ennui nous sachions les raisons.

Allons...

Revenant sur ses pas.

J’allais me faire une belle querelle ;

Il m’a bien défendu d’entrer sans qu’il appelle.

Il n’a point amené seulement un laquais ;

Il faut qu’en ce désert je sois tout désormais,

Et qu’un valet de chambre ait la peine de faire

Le service des gens outre son ministère :

Ah ! la chienne de vie !... Encor si dans ces bois,

Pour se désennuyer, on voyait un minois,

Certain air, quelque chose enfin dont au passage

On pût avec honneur meubler sou hermitage,

On prendrait patience, on aurait un maintien ;

Mais rien n’existe ici, ce qui s’appelle rien ;

C’est pour un galant homme un pays de famine.

J’ai pourtant entrevu certaine Mathurine

Fille du jardinier, gentille ; mais cela

M’a l’air si sot, si neuf !... Ah ! parbleu ! la voilà.

Bon jour, la belle enfant.

 

 

Scène II

 

DUMONT, MATHURINE, faisant plusieurs révérences

 

DUMONT.

Point de cérémonie ;

Approchez... Avez-vous honte d’être jolie ?

Pourquoi cette rougeur et cet air d’embarras ?

MATHURINE.

Monsieur...

DUMONT.

Ne craignez rien : où portiez-vous vos pas ?

MATHURINE.

Monsieur, je vous cherchais.

DUMONT, à part.

Ceci change la note :

Me chercher ! mais vraiment elle n’est pas si sotte.

MATHURINE.

Vous êtes notre maître ?

DUMONT.

À-peu-près ; mais voyons,

Comme au meilleur ami, contez-moi vos raisons.

MATHURINE.

Pour une autre que moi, monsieur, Je suis venue.

DUMONT.

Oh ! je vous vois pour vous.

MATHURINE.

Une dame inconnue,

Depuis quatre ans entiers toujours dans le chagrin,

Demeure en ce pays dans un château voisin.

DUMONT.

Achevez, dites-moi, que veut cette inconnue ?

MATHURINE.

Vous voudrez l’obliger dès que vous l’aurez vue :

Je ne sais quel service elle espère de vous ;

Mais sitôt qu’elle a su que vous étiez chez nous,

J’étais près d’elle alors, J’ai remarqué sa joie ;

Et si je viens ici, c’est elle qui m’envoie

Vous demander, monsieur, un moment d’entretien

Elle vous croit trop bon pour lui refuser rien.

DUMONT.

Des avances ! oh, oh ! le monde se renverse ;

On a raison, l’aisance est l’âme du commerce :

Oui, qu’elle se présente ; au reste elle a bien fait

De vous donner en chef le soin de son projet :

Quel mérite enfoui dans une terre obscure !

J’admire les talents que donne la nature ;

Déjà dans l’ambassade aurait-on mieux le ton,

Et l’air mystérieux de la profession,

Quand on aurait servi vingt petites maîtresses,

Et de l’art du message épuisé les finesses ?

Mais ce rôle pour vous, ma fille, est un peu vieux :

Votre âge en demande un que vous remplirez mieux ;

Et, sans négocier pour le compte des autres,

Vous devriez n’avoir de secrets que les vôtres.

MATHURINE.

Je ne vous entends point.

DUMONT.

Je vous entends bien, moi.

À part.

Ma foi, je la prendrais, si j’étais sans emploi.

Haut.

Tenez, je ne veux point tromper votre franchise :

Monsieur est là dedans ; vous vous êtes méprise.

Je ne suis qu’en second ; mais cela ne fait rien,

Je parlerai pour vous, et l’affaire ira bien :

C’est un consolateur des beautés malheureuses,

Qui fait, quand il le veut, des cures merveilleuses.

MATHURINE.

À tout autre que lui ne dites rien surtout.

On vient... Chut, c’est mon père.

DUMONT.

Oh ! des pères partout !

 

 

Scène III

 

DUMONT, HENRI, MATHURINE

 

HENRI, portant un paquet de lettres.

Ah, ah ! c’est trop d’honneur, monsieur, pour notre fille.

DUMONT.

Vraiment, maître Henri, je la trouve gentille.

HENRI.

Ça ne dit pas grand’ chose.

DUMONT.

Oh ! que cela viendra !

Le temps et ton esprit... Mais que portes-tu là ?

HENRI, lui donnant les lettres.

Un paquet qu’un Courier m’a remis à la porte.

DUMONT.

Et qu’est-il devenu ?

HENRI.

Bon ! le diable l’emporte.

Et ne le renverra que dans trois jours d’ici.

DUMONT.

J’entends, je crois, mon maître... oui, sortez, le voici.

 

 

Scène IV

 

SYDNEY, lisant quelques papiers, DUMONT

 

DUMONT.

Oserais-je, monsieur, (cela sans conséquence,

Et sans prétendre après gêner votre silence)

Vous présenter deux mots d’interrogation ?

Comme j’aurais à prendre une précaution,

Si nous avions longtemps à rêver dans ce gîte,

Faites-moi le plaisir de me l’apprendre vite,

Vu que, si nous restons quatre jours seulement,

Je voudrais m’arranger, faire mon testament.

Me mettre en réglé... Enfin, monsieur, je vous le jure,

Je ne puis plus tenir dans cette sépulture :

Étant seul on raisonne, on bâille en raisonnant ;

Et l’ennui ne vaut rien à mon tempérament.

SYDNEY.

Une table, une plume.

DUMONT.

Eh ! mais...

SYDNEY.

Point de répliques ;

Qu’on tienne un cheval prêt.

DUMONT.

Nous sommes laconiques.

Il sort.

 

 

Scène V

 

SYDNEY, assis

 

Depuis qu’à ce parti mon esprit est rangé

Du poids de mes ennuis je me sens soulagé :

Nulle chaîne en effet n’arrête une âme ferme,

Et les maux ne sont rien quand on en voit le terme.

Après avoir écrit quelques lignes.

Ô vous que j’adorai, dont j’aurais toujours dû

Chérir le tendre amour, les grâces, la vertu !

Vous, dont mon inconstance empoisonna la vie,

Si vous vivez encor, ma chère Rosalie,

Vous verrez que mon cœur regretta vos liens :

Des mains de mon ami vous recevrez mes biens ;

Il ne trahira point les soins dont ma tendresse

Le charge, en expirant, dans ces traits que je laisse.

Il écrit.

 

 

Scène VI

 

SYDNEY, DUMONT

 

DUMONT.

Ma requête, monsieur, touchant notre retour,

À quoi vous répondrez on ne sait pas le jour,

M’avait fait oublier ce paquet...

À part.

Il envoie

Il met les lettres sur la table.

Sans doute un homme à Londres ; usons de cette voie.

Il prend une plume qu’il taille.

SYDNEY, écrivant.

Que vas-tu faire ?

DUMONT.

Moi ? mes dépêches : parbleu !

Il faut mander du moins que je suis en ce lieu.

Croyez-vous qu’on n’ait pas aussi ses connaissances ?

Vous m’avez fait manquer à toutes bienséances :

Partir sans dire adieu, se gîter sans dire où ;

Dans mes sociétés on me prend pour un fou :

D’ailleurs quitter ainsi la bonne compagnie,

Monsieur, c’est être mort an milieu de sa vie.

Vous avez, il est vrai, des voisins amusants,

D’agréables seigneurs, des campagnards plaisants.

Qui vous diront du neuf sur de vieilles gazettes ;

Cela fera vraiment des visites parfaites.

SYDNEY.

Console-toi, demain Londres te reverra.

DUMONT.

Vous me ressuscitez, j’étais mort sans cela.

SYDNEY, continuant d’écrire.

Tu ne te fais donc point au pays où nous sommes ?

DUMONT.

Moi ! j’aime les pays où l’on trouve des hommes :

Quel diable de jargon ! je ne vous connais plus ;

Vous ne m’aviez pas fait au métier de reclus :

Depuis votre retour du voyage de France,

Où mon goût près de voua me mit par préférence,

Je n’avais pas encor regretté mon pays ;

Je me trouvais à Londres aussi-bien qu’à Paris ;

J’étais dans le grand monde employé, près des belles,

Je portais vos billets, j’étais bien reçu d’elles :

De l’amant en quartier on aime le coureur,

Je remplissais la charge avec assez d’honneur ;

En un mot je menais un train de vie honnête :

Mais ici je me rouille, et je me trouve bête.

Ma foi, nous faisons bien de partir promptement,

Et d’aller à la cour, notre unique élément.

Mais, puisque nous partons, qu’est-il besoin d écrire ?

SIDNEY.

Tu pars ; je reste, moi.

DUMONT.

Quel chagrin tous inspire

Ce changement d’humeur, cette haine de tout,

Et l’étrange projet de s’ennuyer par goût ?

Je devine à-peu-près d’où vient cette retraite ;

Oui, c’est quelque noirceur que l’on vous aura faite :

Quelque femme, abrégeant son éternelle ardeur,

S’est-elle résignée à votre successeur ?

Il est piquant pour moi, qui n’ai point de querelles,

Et suis en pleine paix avec toutes nos belles,

D’être forcé de vivre en ours, en hébété,

Parce que vous boudez, ou qu’on vous a quitté.

SIDNEY.

Chez milord Hamilton tu porteras ma lettre.

DUMONT.

C’est de lui le paquet qu’on vient de me remettre ;

Sur l’adresse du moins je l’imagine ainsi.

SIDNEY.

Comment ! par quel hasard me sait-il donc ici ?

Il lit une lettre, et laisse les autres sans les ouvrir.

Il me mande qu’il vient ; mais j’ai quelques affaires

Que je voudrais finir en ces lieux solitaires :

Il faut, en te hâtant, l’empêcher de partir...

DUMONT.

Et vous laisser ici rêver, sécher, maigrir,

Entretenir des murs, des hiboux, et des hêtres...

Mais j’ai tu quelquefois que tous lisiez tos lettres.

Dumont lit les adresses.

Ou je suis bien trompé, monsieur, ou celle-ci

Est de quelque importance ; elle est de la cour.

SIDNEY, l’ayant lue.

Oui,

Et j’ai ce régiment...

DUMONT.

Je ne me sens pas d’aise :

Allons, monsieur, je rais préparer votre chaise ;

Sans doute nous partons, il faut remercier...

Mais quel est ce mystère ? il est bien singulier

Qu’après tant de désirs, de poursuites, d’attente,

Obtenant à la fin l’objet qui tous contente,

Vous paraissiez l’apprendre avec tant de froideur.

SIDNEY, écrivant toujours.

Es-tu prêt à partir ? j’ai fait.

DUMONT.

Sur mon honneur,

Je reste confondu ; cet état insensible,

Votre air froid, tout cela m’est incompréhensible ;

Et si jusqu’à présent je ne vous avais vu

Un maintien raisonnable, un bon sens reconnu,

Franchement je croirais, excusez ce langage...

SIDNEY.

Va, mon pauvre Dumont, je ne suis que trop sage.

DUMONT.

Et pour nourrir l’ennui qui tous tient investi.,

Vous entretenez là votre plus grand ami ;

Ce n’est qu’un philosophe : au lieu de cette épître,

Qui traite sûrement quelque ennuyeux chapitre,

Que ne griffonnez-vous quelques propos plaisants

À ces antres amis toujours fous, et brillants,

Qui n’ont pas le travers de réfléchir sans cesse ?

SIDNEY.

Pour des soins importants à lui seul je m’adresse ;

Tons ces autres amis, réunis par l’humeur,

Liés par les plaisirs, tiennent peu par le cœur ;

Et je me fie au seul que je trouve estimable :

L’homme qui pense est seul un ami véritable.

DUMONT.

Du moins en vous quittant je prétends vont laisser

En bonne compagnie. On vient de m’adresser

Une nymphe affligée, et qui, lasse du monde,

Cache dans ce désert sa tristesse profonde ;

Cela sent l’aventure : elle vent, m’a-t-on dit,

De ses petits malheurs vous faire le récit :

Outre qu’elle est en pleurs, on dit qu’elle est charmante.

Si cela va son train, gardez-moi la suivante ;

Vous savez là-dessus les usages d’honneur.

SIDNEY.

Laisse tes visions.

DUMONT.

Des visions, monsieur !

C’est, parbleu ! du solide, et tel qu’on n’en tient guères.

J’ai lâché pour nous deux quelques préliminaires ;

Ne vous exposez pas à les désespérer,

Et pour tuer le temps laissez-vous adorer :

Irai-je en votre nom, comme l’honneur l’ordonne,

Leur dire...

SIDNEY.

Laisse-moi, je ne veux voir personne.

DUMONT.

Oh ! pour le coup, monsieur, je vous tiens trépassé ;

Vous ne sentez plus rien.

SIDNEY, se levant et emportant ce qu’il vient d’écrire.

Attends-moi ; j’ai laissé

Un papier important...

Il sort.

 

 

Scène VII

 

DUMONT

 

Je n’y puis rien connaitre :

La tête, par ma foi, tourne à mon pauvre maître ;

Et me voilà tout seul chargé de la raison,

Et du gouvernement de toute la maison.

Il est blasé sur tout, tandis qu’un pauvre diable

Comme moi goûte tout, trouve tout admirable.

On est fort malheureux avec de pareils rats :

Je suis donc heureux, moi ; je ne m’en doutais pas.

Il partira, s’il veut que je me mette en route ;

Et sa lettre... Attendez... Henri !

HENRI, derrière le théâtre.

Monsieur !

DUMONT.

Écoute.

Il a beau commander, je ne partirai pas ;

Son air m’alarme trop pour le quitter d’un pas.

 

 

Scène VIII

 

DUMONT, HENRI

 

DUMONT.

Il faut aller à Londres et porter une lettre.

HENRI.

Deux, monsieur, s’il le faut.

DUMONT.

On va te la remettre...

Il est malade ou fou, peut-être tous les deux.

Quel est donc le malheur de tous ces gens heureux ?

Ils nagent en pleine eau, quel diable les arrête ?

HENRI.

Tenez, monsieur Dumont, je ne suis qu’une bête,

Mais voyant notre maître, et rêvant à part moi,

J’estime en ruminant avoir trouvé pourquoi.

Étant chez feu monsieu, j’ons vu la compagnie ;

J’ons entendu causer le monde dans la vie :

Tous ces grands seigneurs-là ne sont jamais plaisants ;

Ils n’ont pas l’air joyeux, ils attristent les gens ;

Comme ils sont toujours bien, leur joie est toute osée ;

Vous ne les voyez plus jeter une risée :

Il leur faudrait du mal, et du travail par fois ;

Pour rire d’un bon cœur parlez-moi d’un bourgeois.

Mais, pour en revenir au mal de notre maître,

Je sommes, voyez vous, pour nous y bien connaître,

Puisque j’ons vu son père aller le même train :

Il fera tout de même une mauvaise fin,

Si cela continue ; et ce serait dommage

Qu’un si brave seigneur, si bon maître, si sage...

DUMONT.

Oui, vraiment ; mais, dis-moi, qu’avait son père ?

HENRI.

Rien :

Le mal qui tue ici ceux qui se portent bien.

DUMONT.

Comment donc ?

HENRI.

Ah ! ma foi, qui l’entendra l’explique.

Je ne sais si chez vous c’est la même rubrique

Comme en ce pays-ci ; mais je voyons des gens

Qu’on ne soupçonnait pas d’être fous en dedans,

Qui, sans aucun sujet, sans nulle maladie,

Plantont-là brusquement toute la compagnie,

Et de leur petit pas s’en vont chez les défunts,

Sans prendre de témoins, de peur des importuns.

Tenez, défunt son père, honneur soit à son âme !

C’était un homme d’or, humain comme une femme,

Semblable à son enfant comme deux gouttes d’iau :

Si bien donc qu’il s’en vint dans ce même châtiau :

Jadis il me parlait, il avait l’âme bonne ;

Or il ne parlait plus pour moi ni pour personne :

Mais la parole est libre, et cela n’était rien,

Je le voyions varmeil comme s’il était bien ;

Point du tout, un biau jour il dormit comme un diable,

Si bien qu’il dort encore : on trouva sur sa table

Certain brimborion, où l’on sut débrouiller

Qu’il s’était endormi pour ne plus s’éveiller,

C’était un grand esprit !

DUMONT.

C’était un très sot homme.

Le fils pourrait fort bien faire le second tome :

Laisse-moi faire ; il vient... Allons, va t’apprêter,

Reviens vite.

 

 

Scène IX

 

SIDNEY, DUMONT

 

SIDNEY.

Es-tu prêt ?

DUMONT.

Oui, tout prêt à rester.

SIDNEY.

Comment ?

DUMONT.

J’ai réfléchi... d’ailleurs l’inquiétude...

Et puis de certains bruits sur votre solitude...

SIDNEY.

Quoi ! que t’a-t-on dit ? qui ?

DUMONT.

Je ne cite jamais ;

Il suffit qu’à vous voir triste dans cet excès,

Et chauffé tout-à-coup de goût et de génie,

On vous croirait brouillé, monsieur, avec la vie ;

Vous ne venez, dit-on, ici vous enfoncer

Que pour tous y laisser lentement trépasser.

SIDNEY.

Où prends-tu cette idée ?

DUMONT.

Il est vrai qu’elle est folle ;

Mais la précaution n’est pas un soin frivole :

La vie est un effet dont je fais très grand cas,

Et j’y veille pour vous, si vous n’y veillez pas.

SIDNEY.

Dumont, à ce propos, s’aime donc bien au monde ?

DUMONT.

Moi, monsieur ? mon projet, si le ciel le seconde,

Est de vivre content jusqu’à mon dernier jour.

On ne vit qu’une fois ; et puisque j’ai mon tour,

Tant que je le pourrai je tiendrai la partie.

J’aurais été héros sans l’amour de la vie ;

Mais dans notre famille on se plaît ici-bas :

Vous savez que des goûts on ne dispute pas.

Mon père et mes aïeux dès avant le déluge

Étaient dans mon système, autant que je le juge,

Et mes futurs enfants, tant gredins que seigneurs,

Seront du même goût, ou descendront d’ailleurs.

Les grands ont le brillant d’une mort qu’on publie ;

Nous autres bonnes gens nous n’avons que la vie :

Nous avons de la peine, il est vrai ; mais enfin

Aujourd’hui l’on est mal, on sera mieux demain :

En quelque état qu’on soit, il n’est rien tel que d’être...

SIDNEY.

Laisse là ton sermon, et va porter ma lettre.

DUMONT.

J’en suis fâché, monsieur, cela ne se peut pas.

SYDNEY.

De vos petits propos à la fin je suis las ;

J’aime assez quand je parle à voir qu’on obéisse ;

Et quand un valet fat montre quelque caprice,

Je sais congédier.

DUMONT.

Ayez des sentiments !

Voilà tout ce qu’on gagne à trop aimer les gens !

Est-ce pour mon plaisir, j’enrage quand j’y pense,

Que je demeure ici ? la belle jouissance !

Si mon attachement...

SIDNEY.

Cessez de m’ennuyer.

Et partez, on sinon...

On entend le bruit d’un fouet.

DUMONT.

Voilà votre courrier.

Henri paraît.

SIDNEY.

Qui ?

DUMONT.

Lui ; c’est mon commis.

 

 

Scène X

 

SYDNEY, DUMONT, HENRI

 

SIDNEY.

Faquin, quel est le maître ?

DUMONT.

Monsieur, je sais fort bien que c’est à vous à l’être ;

Mais enfin dans la vie il est de certains cas...

Battez-moi, tuez-moi, je ne partirai pas ;

Je ne puis tous quitter dans l’état où tous êtes,

Et plus vous me pressez, plus mes craintes secrètes...

SIDNEY.

Henri, partez pour Londres, et portez dans l’instant

À milord Hamilton ce paquet important ;

Vous, sortez de chez moi ; faites votre mémoire,

Après quoi partez.

Il sort.

DUMONT.

Bon ! me voilà dans ma gloire ;

Vous me chassez ? tant mieux ; je m’appartiens : ainsi

Je m’ordonne séjour, moi, dans ce pays-ci...

Il n’aura pas le cœur de me quitter ; il m’aime

Et je veux le sauver de ce caprice extrême.

Les maîtres cependant sont des gens bien heureux

Que souvent nous ayons le sens commun pour eux.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

HAMILTON, DUMONT

 

DUMONT.

Vous me tirez, monsieur, d’une très grande peine,

Et je bénis cent fois l’instant qui vous amène.

Voyez mon pauvre maître, et traitez sou cerveau :

Peut-être saurez-vous par quel travers nouveau

Lui-même se condamne à cette solitude,

Et s’il veut malgré moi s’en faire une habitude.

Il vient de vous écrire, et sans doute ici près

Vous aurez en chemin rencontré son exprès.

HAMILTON.

Non ; mais j’ai remarqué, traversant l’avenue,

Deux femmes, dont je crois que l’une m’est connue ;

Mais ma chaise a passé, je n’ai pu les bien voir :

T’a-t-on dit ce que c’est ? pourrait-on le savoir ?

DUMONT.

Je devine à-peu-près : au pays où nous sommes

Il faut, monsieur, qu’il soit grande disette d’hommes ;

Dès qu’on a su mon maître établi dans ces lieux,

Ambassade aussitôt, sans prélude ennuyeux :

Mais lui, comme il n’est plus qu’une froide statue,

Il a tout nettement refusé l’entrevue ;

Moi, qui ne suis point fait à de telles rigueurs,

Je prétends m’en charger ; j’en ferai les honneurs ;

Je les prends pour mon compte ; et je sais trop le monde.

Si le cœur vous en dit...

HAMILTON.

Va, fais qu’on te réponde ;

Instruis-toi de leurs noms... Mais est-il averti ?

DUMONT.

Oui, j’ai fait annoncer que vous êtes ici ;

Il promène ici près sa rêverie austère.

Vous l’avez vu là-bas changer de caractère,

De tes meilleurs amis éviter l’entretien,

Tout fuir jusqu’aux plaisirs : tout cela n’était rien.

HAMILTON.

Mais que peut-il avoir ? quelle serait la cause ?...

DUMONT.

Il serait trop heureux s’il avait quelque chose ;

Mais, ma foi, je le crois affligé sans objet.

HAMILTON.

De ce voyage au moins dit-il quelque sujet ?

DUMONT.

Bon ! parle-t-il encor ? se taire est sa folle ;

Ce qu’il vient d’ordonner sur-le-champ il l’oublie :

Il m’avait chassé, moi, malgré notre amitié,

Et j’enrageais très fort d’être congédié ;

Quelques moments après je sers à l’ordinaire,

Il dîne, sans me dire un mot de notre affaire :

Voilà ce qui m’afflige, et non sans fondement.

Je l’aimerais bien mieux brutal, extravagant ;

Je lui croirais la fièvre ; et, puisqu’il faut le dire,

Je voudrais pour son bien qu’il n’eût qu’un bon délire,

On saurait le remède en connaissant le mal ;

Mais, par un incident et bizarre et fatal,

Grave dans ses revers, tranquille en sa manie,

Il est fou de sang-froid, fou par philosophie,

Indifférent à tout comme s’il était mort :

Il n’aurait autrefois reçu qu’avec transport

Un régiment ; eh bien ! il en a la nouvelle

Sans qu’au moindre plaisir ce titre le rappelle ;

Il avait, m’a-t-on dit, certain père autrefois

Qui, cachant comme lui sous un maintien sournois

Sa tristesse, ou plutôt sa démence profonde,

Ici même un beau jour s’escamota du monde.

C’est un tic de famille, et j’en suis pénétré ;

Enfin sans vous, monsieur, c’est un homme enterré.

Voyez, interrogez ; il vous croit, il vous aime :

Je vous laisserai seuls... Mais le voici lui-même.

 

 

Scène II

 

SYDNEY, HAMILTON

 

HAMILTON.

J’ai voulu le premier vous faire compliment,

Ami : c’était trop peu qu’écrire simplement

Et je viens vous marquer dans l’ardeur la plus vive

Combien je suis heureux du bien qui vous arrive :

Mais je suis fort surpris de vous voir en ce jour

Un air si peu sensible aux grâces de la cour.

SIDNEY.

Je vais vous avouer avec cette franchise

Que l’amitié sincère entre nous autorise.

Que j’aurais mieux aimé (je vous le dis sans fard)

Ne vous avoir ici que quelques jours plus tard :

Dans ce même moment on vous porte ma lettre

Sur un point important qui ne peut se remettre ;

Et si vous entriez dans mes vrais intérêts...

HAMILTON.

Je vous laisserais seul dans vos tristes forêts ?

Je ne vous conçois pas ; cet emploi qu’on vous donne,

Pour en remercier, vous demande en personne.

Quoi ! restez-vous ici ?

SIDNEY.

Je ne vous cache pas

Que, dégoûté du monde, ennuyé du fracas,

Fatigué de la cour, excédé de la ville,

Je ne puis être bien que dans ce libre asile.

HAMILTON.

Mais enfin au moment où vous êtes placé

Ce projet de retraite aura l’air peu sensé,

Et, sur quelques motifs que votre goût se fonde.

Vous allez vous donner un travers dans le monde ;

Il ne lui faut jamais donner légèrement

Ces spectacles d’humeur qu’on soutient rarement :

On le quitte, on s’ennuie ; on souffre, on dissimule ;

On revient à la fin, on revient ridicule.

Un mécontent d’ailleurs est bientôt oublié ;

Tout meurt, faveur, fortune, et jusqu’à l’amitié ;

Son histoire est finie : il s’exile, on s’en passe ;

Et lorsqu’il reparaît d’autres ont pris la place.

Ne peut-on autrement échapper au chaos ?

Pour s’éloigner du bruit, pour trouver le repos,

Faut-il fuir tout commerce et s’enterrer d’avance ?

L’homme sensé qu’au monde attache sa naissance,

Sans quitter ses devoirs, sans changer de séjour,

Peut vivre solitaire au milieu de la cour.

S’affranchir sans éclat, ne voir que ce qu’on aime,

Ne renoncer à rien ; voilà le seul système.

Mais parlez-moi plus vrai, d’où vous vient ce dessein ?

Quel chagrin avez-vous ?

SYDNEY.

Moi, je n’ai nul chagrin,

Nul sujet d’en avoir.

HAMILTON.

C’est donc misanthropie ?

Prévenez, croyez-moi, cette sombre manie ;

Quels que soient les humains, il faut vivre avec eux ;

Un homme difficile est toujours malheureux ;

Il faut savoir nous faire au pays où nous sommes,

Au siècle où nous vivons.

SYDNEY.

Je ne hais point les hommes,

Ami ; je ne suis point de ces esprits outrés

De leurs contemporains ennemis déclarés,

Qui, ne trouvant ni vrai, ni raison, ni droiture,

Meurent en médisant de toute la nature ;

Les hommes ne sont point dignes de ce mépris :

Il en est de pervers ; mais dans tous les pays

Où l’ardeur de m’instruire a conduit ma jeunesse

J’ai connu des vertus, j’ai trouvé la sagesse,

J’ai trouvé des raisons d’aimer l’humanité,

De respecter les nœuds de la société,

Et n’ai jamais connu ces plaisirs détestables

D’offenser, d’affliger, de haïr met semblables.

HAMILTON.

Pourquoi donc à les fuir êtes-vous obstiné ?

SIDNEY.

Qu’auriez-vous fait vous-même ? aux ennuis condamné,

Accablé du fardeau d’une tristesse extrême,

Réduit au sort affreux d’être à charge à moi-même,

J’épargne aux yeux d’autrui l’objet fastidieux

D’homme ennuyé partout, et partout ennuyeux ;

C’est un état qu’en vain vous voudriez combattre :

Insensible aux plaisirs dont j’étais idolâtre,

Je ne les connais plus, je ne trouve aujourd’hui

Dans ces mêmes plaisirs que le vide et l’ennui :

Cette uniformité des scènes de la vie

Ne peut plus réveiller mon âme appesantie ;

Ce cercle d’embarras, d’intrigues, de projets.

Ne doit nous ramener que les mêmes objets ;

Et par l’expérience instruit à les connaître,

Je reste sans désirs sur tout ce qui doit être :

Dans le brillant fracas où j’ai longtemps vécu

J’ai tout vu, tout goûté, tout revu, tout connu ;

J’ai rempli pour ma part ce théâtre frivole :

Si chacun n’y restait que le temps de son rôle

Tout serait â sa place, et l’on ne verrait pas

Tant de gens éternels dont le publie est las.

Le monde, usé pour moi, n’a plus rien qui me touche ;

Et c’est pour lui sauver un rêveur si farouche,

Qu’étranger désormais à la société

Je viens de mes déserts chercher l’obscurité.

HAMILTON.

Quelle fausse raison, cher ami, vous égare

Jusqu’à croire défendre un projet si bizarre ?

Si vous avez goûté tous les biens des humains,

Si vous les connaissez, le choix est dans vos mains :

Bornez-vous aux plus vrais, et laissez les chimères

Dont le repentir suit les lueurs passagères.

Quel fut votre bonheur ? À présent sans désirs.

Vous avez, dites-vous, connu tons les plaisirs ;

Eh quoi ! n’en est-il point au-dessus de l’ivresse

Où le monde a plongé notre aveugle jeunesse ?

Ce tourbillon brillant de folles passions,

Cette scène d’erreurs, d’excès, d’illusions,

Du bonheur des mortels bornent-ils donc la sphère ?

La raison à nos vœux ouvre une autre carrière :

Croyez-moi, cher ami, nous n’avons pas vécu ;

Employer ses talents, son temps, et sa vertu,

Servir an bien public, illustrer sa patrie,

Penser enfin, c’est là que commence la vie ;

Voilà les vrais plaisirs dignes de tous nos vœux,

La volupté par qui l’honnête homme est heureux :

Notre âme pour ces biens est toute neuve encore...

Vous ne m’écoutez pas ! Quel chagrin vous dévore ?

SIDNEY.

Je connais la raison, votre voix me l’apprend ;

Mais que peut-elle enfin contre le sentiment ?

Marchez dans la carrière où j’aurais dû tous suivre ;

Pour moi je perds déjà l’espérance de vivre :

En vain à mes regards vous offrez le tableau

D’une nouvelle vie et d’un bonheur nouveau :

Tout vrai bonheur dépend de notre façon d’être ;

Mon état désormais est de n’en plus connaître ;

Privé de sentiment, et mort à tout plaisir,

Mon cœur anéanti n’est plus fait pour jouir.

HAMILTON.

Connaissez votre erreur ; cet état méprisable,

Le néant, déshonore une âme raisonnable :

Quand il vous faudrait fuir le monde et l’embarras,

L’homme qui sait penser ne se suffit-il pas ?

Dans cet ennui de tout, dans ce dégoût extrême,

Ne vous reste-t-il point à jouir de vous-même ?

Pour vivre avec douceur, cher ami, croyez-moi,

Le grand art est d’apprendre à bien vivre avec soi,

Heureux de se trouver, et digne de se plaire.

Je ne conseille point une retraite entière ;

Partagez votre goût et votre liberté

Entre la solitude et la société ;

Des jours passés ici dans une paix profonde

Vous feront souhaiter le commerce du monde.

L’absence, le besoin, tous rendront des désirs :

Il faut un intervalle, un repos aux plaisirs ;

Leur nombre accable enfin, le sentiment s’épuise,

Et l’on doit s’en priver pour qu’il se reproduise.

Vous en êtes l’exemple, et tout votre malheur

N’est que la lassitude et l’abus du bonheur.

Ne me redites pas que vous n’êtes point maître

De ces noirs sentiments : on est ce qu’on vent être ;

Souverain de son cœur, l’homme fait son état,

Et rien sans son aveu ne l’élève ou l’abat.

Mais enfin, parlez-moi sans fard, sans défiances,

Quelque dérangement causé par vos dépenses

N’est-il point le sujet de ces secrets dégoûts ?

Je puis tout réparer, ma fortune est à vous.

SIDNEY.

Je sens comme je dois ces procédés sincères ;

Mais nul désordre, ami, n’a troublé met affaires ;

Vous verrez quelque jour que du côté du bien

J’étais fort en repos, que je ne devais rien.

HAMILTON.

Ami, vont m’affligez ; votre état m’inquiète,

Ce sinistre discours...

SIDNEY.

Peut-être la retraite

Saura me délivrer de tous ces sentiments :

Il faut pour m’y fixer quelques arrangements.

Ma lettre vous instruit ; suivez mon espérance,

Tout mon repos dépend de votre diligence.

Au reste, en attendant que j’aille au premier jour

De ce nouveau bienfait remercier la cour,

Vous m’y justifierez ; d’une pareille absence

Ma mauvaise santé sauvera l’indécence :

Après ces soins remplis je vous attends ici.

Partez, si vous aimez un malheureux ami.

 

 

Scène III

 

HAMILTON, seul

 

Ce ton mystérieux, cette étrange conduite,

Ne m’assurent que trop du transport qui l’agite.

Il cache sûrement quelque dessein cruel,

Et sa tranquillité n’a point l’air naturel...

 

 

Scène IV

 

HAMILTON, HENRI

 

HENRI.

On m’a dit votre nom à la poste prochaine,

Monsieur ; d’aller plus loin je n’ons pas pris la peine ;

Notre maître vers vous nous envoyait d’ici ;

Mais puisque vous voilà, voilà la lettre aussi.

HAMILTON.

Donne ; cela suffit : tu peux aller lui dire

Qu’elle est entre mes mains.

 

 

Scène V

 

HAMILTON, seul

 

Qu’a-t-il donc pu m’écrire ?

Il lit.

« Recevez, cher ami, mes éternels adieux.

« Vous savez à quel point j’adorai Rosalie,

« Et que j’osai trahir un amour vertueux :

« J’ignore son destin ; si la rigueur des cieux

« Permet qu’on la retrouve et conserve sa vie,

« Je lui donne mes biens par l’écrit que voici,

« Et remets son bonheur aux soins de mon ami :

« Daignez tout conserver, si sa mort est certaine.

« Épargnez sur mon sort des regrets superflus :

« J’étais lassé de vivre, et je brise ma chaîne ;

« Quand vous lirez ceci je n’existerai plus. »

SIDNEY.

Quel déplorable excès, et quelle frénésie !

Allons le retrouver, prévenons sa furie.

 

 

Scène VI

 

SIDNEY, entrant d’un air égaré, HAMILTON

 

HAMILTON, après l’avoir embrassé en silence.

Reprenez ce dépôt qui me glace d’effroi :

Vous me trompiez, cruel !

Il lui rend sa lettre.

SIDNEY.

Que voulez-vous de moi ?

Puisque tous savez tout, plaignez un misérable :

Ma funeste existence est un poids qui m’accable.

Je vous ai déguisé ma triste extrémité :

Ce n’est point seulement insensibilité,

Dégoût de l’univers à qui le sort me lie ;

C’est ennui de moi-même, et haine de ma vie.

C’est un brûlant désir d’anéantissement.

Je les ai combattus, mais inutilement ;

Cette haine attachée aux restes de mon être

A pris un ascendant dont je ne suis plus maître ;

Mon cœur, mes sens flétris, ma funeste raison,

Tout me dit d’abréger le temps de ma prison.

Faut-il donc sans honneur attendre la vieillesse,

Traînant pour tout destin les regrets, la faiblesse,

Pour objet éternel l’affreuse vérité,

Et pour tout sentiment l’ennui d’avoir été ?

C’est au stupide, au lâche à plier sous la peine,

À ramper, à vieillir sous le poids de sa chaîne ;

Mais, vous en conviendrez, quand on sait réfléchir,

Malheureux sans remède, on doit savoir finir.

HAMILTON.

Dans quel coupable oubli vous plonge ce délire !

Que la raison sur vous reprenne son empire :

Un frein sacré s’oppose à votre cruauté ;

Vous vous devez d’ailleurs à la société ;

Vous n’êtes point à vous, le temps, les biens, la vie,

Rien ne vous appartient, tout est à la patrie ;

Les jours de l’honnête homme, au conseil, au combat,

Sont le vrai patrimoine et le bien de l’état :

Venez remplir le rang où vous devez paraître ;

Votre esprit occupé va prendre un nouvel être ;

Tout renaîtra pour vous... Mais, hélas ! je vous vois

Plongé dans un repos qui me remplit d’effroi :

Quoi ! sans appréhender l’horreur de ce passage,

Vous suivrez de sang-froid dans leur fatal courage

Ces héros insensés...

SYDNEY.

Ce courage n’est rien :

Je suis mal où je suis, et je veux être bien ;

Voilà tout : je d’ai point l’espoir d’être célèbre,

Ni l’ardeur d’obtenir quelque éloge funèbre,

Et j’ignore pourquoi l’on vante en certains lieux

Un procédé tout simple à qui veut être mieux :

D’ailleurs que suis-je au monde ? une faible partie

Peut bien sans nuire au tout en être désunie :

À la société je ne fais aucun tort,

Tout ira comme avant ma naissance et ma mort ;

Peu de gens, selon moi, sont d’assez d’importance

Pour que cet univers remarque leur absence.

HAMILTON.

Continuez, cruel ! calme dans vos fureurs,

Faites-vous des raisons de vos propres erreurs :

Mais l’amitié du moins n’est-elle point capable

De vous rendre la vie encore désirable ?

SIDNEY.

Dans l’état où je suis on pèse à l’amitié ;

Je ne puis désirer que d’en être oublié.

HAMILTON.

Vous m’offensez, Sidney, quand votre âme incertaine

Peut douter de mon zèle à partager sa peine.

Mais cette Rosalie, adorée autrefois,

Sur ce jour qui vous luit n’a-t-elle point des droits ?

Sont-ce là les conseils que l’amour vous inspire ?

Que ne la cherchez-vous ? sans doute elle respire,

Sans doute vous pourrez la revoir quelque jour.

SIDNEY.

Ah ! ne me parlez point d’un malheureux amour ;

Je l’ai trop outragé ; méprisable, infidèle,

Quand je la reverrais, suis-je encor digne d’elle ?

Et les derniers soupirs d’un cœur anéanti

Sont-ils faits pour l’amour qu’autrefois j’ai senti ?

Témoin de mes erreurs, tous n’avez pu comprendre

Comment j’abandonnai l’amante la plus tendre ;

Le savais-je moi-même ? égaré, vicieux,

Je ne méritais pas ce bonheur vertueux,

Ce cœur fait pour l’honneur comme pour la tendresse,

Que j’aurais respecté jusque dans sa faiblesse :

Lai promettant ma main, j’avais fixé son cœur ;

Je la trompais : enfin, lassé de sa rigueur,

Lassé de sa vertu, j’abandonnai ses charmes,

J’affligeai l’amour même : indigne de ses larmes,

Je promenai partout mes aveugles désirs :

J’aimai sans estimer ; triste au sein des plaisirs,

Errant loin de nos bords, j’oubliai Rosalie :

Elle avait disparu pleurant ma perfidie.

Hélas ! peut-être, ami, j’aurais causé sa mort.

Depuis que je suis las du monde et de mon sort,

Au moment de finir ma vie et mon supplice,

J’ai voulu réparer ma honteuse injustice :

Pour lui donner mes biens, comme vous savez tout,

Je l’ai cherchée à Londres, aux environs, partout ;

Mais depuis plus d’un mois les recherches sont vaines.

HAMILTON.

Du soin de la trouver fiez-vous à mes peines.

SIDNEY.

Non, quand je le pourvois je ne la verrais plus ;

Mes sentiments troublés, tous mes sens confondus,

Tout me sépare d’elle, et mon âme éclipsée,

De ma fin seule, ami, conserve la pensée ;

Je ne voulais savoir sa retraite et son sort

Que pour la rendre heureuse au moins après ma mort ;

Et ne prétendais pas à reporter près d’elle

Un cœur déjà frappé de l’atteinte mortelle.

HAMILTON.

Elle oubliera vos torts en voyant vos regrets ;

L’amour pardonne tout : laissez d’affreux projets,

Différez-les du moins, rassurez ma tendresse.

Votre âme fut toujours faite pour la sagesse ;

Vous entendrez sa voix, vous vaincrez vos dégoûts :

Je ne veux que du temps ; me le promettez-vous ?

Mon cher Sidney, parlez.

SIDNEY.

J’ai honte de moi-même.

Laissez un malheureux qui vous craint et vous aime.

Dumont paraît.

J’ai besoin d’être seul... Je vous promets, ami,

De revenir dans peu vous retrouver ici.

HAMILTON.

Non, je vous suis.

 

 

Scène VII

 

HAMILTON, DUMONT

 

DUMONT, arrêtant Hamilton qui sort.

Monsieur, un mot de conséquence.

HAMILTON.

Hâte-toi, je crains tout.

DUMONT.

Quoi ! son extravagance...

HAMILTON.

Il veut se perdre ; il faut observer tous ses pas.

Le sauver de lui-même.

DUMONT.

Oh ! je ne le crains pas ;

J’ai pris ses pistolets, son arsenal est vide,

Et j’ai su m’emparer de tout meuble homicide ;

Consignez-moi sa vie en toute sûreté :

S’il vous voit à le suivre un soin trop affecté,

Il pourrait bien...

HAMILTON.

Va donc, ne le perds point de vue ;

Vois si je puis entrer.

DUMONT, revenant sur ses pas.

À propos, l’inconnue...

Mais ce goût de mourir, monsieur, il faut, ma foi.

Que cela soit dans l’air, et j’en tremble pour moi :

Ce travers tient aussi l’une des pèlerines ;

J’ignore le sujet de ses vapeurs chagrines.

Vous allez le savoir : ma course a réussi.

Mon maître est réformé, c’est vous qu’on veut ici ;

Elle dit vous connaître ; elle est, ma foi, jolie.

Cela rappellerait le défont à la vie ;

Des façons, des propos, des yeux à sentiments,

Un certain jargon tendre, imité des romans ;

Tout cela... vous verrez. On vient, je crois... c’est elle.

Je cours dans mon donjon me mettre en sentinelle.

 

 

Scène VIII

 

ROSALIE, HAMILTON

 

HAMILTON.

Que vois-je ? Rosalie ! ah ! quel moment heureux !

Que je bénis le sort qui vous rend à nos vœux !

ROSALIE.

Ces transports sont-ils faits pour une infortunée

Prête à voir terminer sa triste destinée ?

J’ose à peine élever mes regards jusqu’à vous.

Quelle étrange démarche ! ah ! dans des temps plus doux

J’étais bien sûre, hélas ! d’obtenir votre estime ;

Mais de tout au malheur on fait toujours un crime :

Vous me condamnez.

HAMILTON.

Non ; vivez : cet heureux jour

N’est point fait pour les pleurs, il est fait pour l’amour.

ROSALIE.

Que dites-vous ? ô ciel ! ma surprise m’accable...

HAMILTON.

Sidney dans les remords...

ROSALIE.

Quel songe favorable !

Il m’aimerait encore !

HAMILTON.

Il est digne de vous ;

Vous finirez ses maux, il sera votre époux.

ROSALIE.

Laissez-moi respirer, vous me rendez la vie :

Quel heureux changement dans mon âme ravie !

Tous mes jours ressemblaient au moment de la mort :

Mais ne flattez-vous point un crédule transport ?

HAMILTON.

Non ; croyez votre cour, vous êtes adorée.

Hais par quel heureux tort en ces lieux retirée...

ROSALIE.

Je n’ai point à rougir aux yeux de l’amitié ;

Vous connaissez mon cœur, il est justifié.

Oui, je l’aimais encor, même sans espérance ;

C’est un bien que n’a pu m’ôter son inconstance ;

Et si, malgré l’excès de mon accablement,

J’ai vécu jusqu’ici, c’est par ce sentiment :

Victime du malheur, quand Sidney m’eut trahie,

Privée au même temps d’une mère chérie,

Je vins cacher mes pleurs et fixer mon destin

Auprès d’une parente en ce château voisin ;

Mais, loin de voir calmer ma vive inquiétude.

Je retrouvai l’amour dans cette solitude :

Voisine de ces lieux soumis à mon amant,

J’y venais malgré moi rêver incessamment ;

Tout me parlait de lui, tout m’offrait son image ;

J’avais tout l’univers dans ce séjour sauvage :

Mille fois j’ai voulu fuir dans d’autres déserts.

Mais un charme secret m’attachait à mes fers.

Après quatre ans entiers d’une vie inconnue,

Quel trouble me saisit quand j’appris sa venue !

Four la dernière fois je voulais lui parler.,

Des adieux de l’amour je venais l’accabler ;

Je succombais sans doute à ma douleur mortelle

Si je ne l’eusse vu que toujours infidèle.

Mais pourquoi retarder le bonheur de nous voir ?

Venez, guidez mes pas, et comblez mon espoir.

HAMILTON.

Commandez un moment à votre impatience.

Je conçois pour vos vœux la plus sûre espérance ;

Mais il me faut d’abord disposer votre amant

Au charme inespéré de cet heureux moment.

Il est dans la douleur, égaré, solitaire...

Je vous éclaircirai ce funeste mystère ;

Qu’il vous suffise ici de savoir qu’en ce jour

Fidèle, heureux par vous, il vivra pour l’amour.

Je différé à regret l’instant de votre joie ;

Mais enfin avant vous il faut que je le voie.

ROSALIE.

Tons ces retardements me pénètrent d’effroi...

Vous me trompez, Sidney ne pensait plus à moi.

HAMILTON.

Je ne vous trompe pas : si je pouvais vous dire

Ce qu’il faisait pour vous... mais non, je me retire ;

Je vais hâter l’instant que nous désirons tous.

ROSALIE.

Du destin de mes jours je me remets à vous :

Songez que ces délais dont mon âme est saisie

Sont autant de moments retranchés de ma vie.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

SIDNEY, seul

 

C’en est donc fait enfin, tout est fini pour moi :

Ce breuvage fatal que j’ai pris sans effroi,

Enchaînant tous mes sens dans une mort tranquille,

Va du dernier sommeil assoupir cette argile.

Nul regret, nul remords ne trouble ma raison :

L’esclave est-il coupable en brisant sa prison ?

Le juge qui m’attend dans cette nuit obscure

Est le père et l’ami de toute la nature ;

Rempli de sa bonté, mon esprit immortel

Va tomber sans frémir dans son sein paternel.

 

 

Scène II

 

SYDNEY, HAMILTON

 

HAMILTON.

Qu’aux peines d’un ami tous êtes peu sensible !

Pourquoi donc, cher Sidney, vous rendre inaccessible ?

Depuis une heure entière en vain je veux vous voir,

Et dissiper l’horreur d’un cruel désespoir,

Je n’ai pu pénétrer dans votre solitude :

Enfin vous m’arrachez à mon inquiétude.

Et la raison sur tous va reprendre ses droits.

SIDNEY.

Embrassons-nous, ami, pour la dernière fois.

HAMILTON.

Quel langage accablant ! dans cette léthargie

Quoi ! je retrouve encor votre âme ensevelie ?

SYDNEY.

De mes derniers désirs, de ma rive douleur

J’ai déposé l’espoir au fond de votre cœur ;

Que mon attente un jour par vos soins soit remplie.

Si la mort a frappé la triste Rosalie...

HAMILTON.

Non ; elle vit pour vous : répondez par pitié,

Répondez à l’espoir, aux vœux de l’amitié ;

Parlez : si Rosalie, à votre amour rendue,

Dans ces lieux aujourd’hui s’offrait à votre vue

Telle encor qu’elle était dans ces heureux moments

Où vous renouveliez les plus tendres serments ;

Sensible à vos remords, oubliant votre offense,

Fidèle à son amour, malgré votre inconstance,

Enfin avec ces traits, cette ingénuité,

Cet air intéressant qui pare la beauté,

Pourriez-vous résister à l’amour de la vie,

Au charme de revoir une amante attendrie,

De faire son bonheur, de réparer vos torts,

De partager ses vœux, sa vie, et ses transports ?

SIDNEY.

Je rendrais grâce au ciel de l’avoir conservée.

Vous savez mes projets : si je l’eusse trouvée,

Je recommanderais son bonheur à vos soins ;

Mais dans ce même jour je ne mourrais pas moins.

HAMILTON.

Puisqu’en vain l’amitié vous conseille et vous prie.

L’amour doit commander : paraissez, Rosalie.

SIDNEY.

Rosalie ! est-ce un songe ? en croirai-je mes yeux ?

Vous, Rosalie ! ô ciel ! et dans ces tristes lieux !

 

 

Scène III

 

ROSALIE, SYDNEY, HAMILTON

 

ROSALIE.

Oui, c’est moi qui, malgré mon injure et ma peine,

N’ai jamais pu pour vous me résoudre à la haine ;

C’est moi qui viens jouir d’un repentir heureux :

Votre cœur m’appartient, puisqu’il est vertueux...

Mais que vois-je ? est-ce là l’effet de ma présence ?

On me trompe, Hamilton ; ce farouche silence...

SYDNEY.

Confondu des chagrins que j’ai pu vous causer,

Que répondre quand tout s’unit pour m’accuser ?

Vous daigner oublier mes fureurs, mon caprice ;

Puis-je m’en pardonner la cruelle injustice ?

Du sort sans murmurer je dois subir les coups :

Je ne méritais pas le bonheur d’être à vous.

ROSALIE.

J’ai pleuré vos erreurs, j’ai plaint votre faiblesse ;

Mais mon malheur jamais n altéra ma tendresse.

SYDNEY.

Ne me regrettez plus ; c’est pour votre bonheur

Qu’à d’autres passions le ciel livra mon cœur :

L’état que m’apprêtaient mes tristes destinées

Aurait semé d’ennuis vos plus belles journées :

Le destin vous devait des jours pleins de douceur ;

Mon triste caractère eût fait votre malheur.

ROSALIE.

Le pouvez-vous penser ? quelle injustice extrême !

Est-il quelque malheur aimé de ce qu’on aime ?

Sensible à vos chagrins, et sans m’en accabler,

Je ne les aurais vus que pour vous consoler ;

Si mes soins redoublés, si ma vive tendresse

N’avaient pu vous guérir d’une sombre tristesse,

Je l’aurais partagée, et sans autres désirs

J’aurais du monde entier oublié les plaisirs ;

Rosalie avec vous ne pouvait qu’être heureuse.

SIDNEY.

Vous ne connaissez pas ma destinée affreuse ;

Insensible à la vie, au milieu de mes jours

Il m’était réservé d’en détester le cours,

De voir pour l’ennui seul renaître mes journées,

Et de marquer moi-même on terme à mes années.

ROSALIE.

Que dites-vous, cruel ? quelle aveugle fureur

Vous inspire un dessein qui fait frémir mon cœur ?

Calmez l’état affreux d’une amante alarmée :

Vous aimeriez vos jours si j’étais plus aimée ;

Dans le sein des vertus, dans les nœuds les plus doux,

L’image du bonheur s’offrant encore à vous,

Affranchirait vos sens d’une langueur mortelle :

Le véritable amour donne une âme nouvelle ;

Sans doute l’union de deux cœurs vertueux,

L’un pour l’autre formés, et l’un par l’autre heureux,

Est faite pour calmer toute aveugle furie,

Pour adoucir les maux, pour embellir la vie.

SIDNEY.

Qu’entends-je ? je pouvais me voir encore heureux !

Quel bandeau tout-à-coup est tombé de mes yeux !

Tout était éclipsé, tout pour moi se ranime,

Et tout dans un moment retombe dans l’abyme !

Quel mélange accablant de tendresse et d’horreur !

D’un côté Rosalie, et de l’autre... Ô douleur !

Malheureux ! qu’ai-je fait ?... Fuyez.

ROSALIE.

De ma tendresse

Voilà donc tout le prix !

À Hamilton.

Vous trompiez ma faiblesse !

SIDNEY, aux genoux de Rosalie qui veut sortir.

Non ; s’il vous a juré mon sincère retour,

S’il a peint les transports d’un immortel amour,

Il ne vous trompait pas, ma chère Rosalie.

Je déteste à vos pieds le crime de ma vie.

Je déteste ces jours où l’erreur enchaînait

Les sentiments d’un cœur qui tous appartenait.

Ah ! si par mes fureurs vous fûtes outragée,

Si je fus criminel, tous êtes trop vengée ;

L’amour pour me punir attendait ce moment.

ROSALIE.

Que dites-vous, Sidney ? quel triste égarement !...

SIDNEY.

Je ne dis que trop vrai : plaignez mon sort funeste ;

Au sein de mon bonheur le désespoir me reste ;

L’amour rallume en vain ses plus tendres transports.

Mon cœur n’appartient plus qu’à l’horreur des remords.

Oui ; d’une illusion échappée à ma vue

Je découvre trop tard l’effrayante étendue :

Quels lieux vous dérobaient ? quelle aveugle fureur

Égara ma raison, et combla mon malheur !

ROSALIE.

Laissons des maux passés l’image déplorable :

Non, mon cœur ne sait plus que tous fûtes coupable ;

Je vous vois tel encor que dans ces jours heureux

Où l’amour et l’honneur dévoient former nos nœuds.

Mais pourquoi me causer ces nouvelles alarmes ?

Vous vous troublez, vos yeux se remplissent de larmes.

SYDNEY.

Vaine félicité qu’empoisonne l’horreur !

Oubliez un barbare indigne du bonheur.

Je vous revois trop tard, ma chère Rosalie ;

Je vous perds à jamais, c’en est fait de ma vie :

Je touche en frémissant aux bornes de mon sort ;

Oui, cette nuit me livre au sommeil de la mort.

À Hamilton.

Apprenez, déplorez le plus affreux délire.

Vous m’aviez dit trop vrai, le voile se déchire ;

Je suis un furieux que l’erreur a conduit,

Que la terre condamne, et que le ciel poursuit.

Il donne à lire à Rosalie la lettre écrite à Hamilton.

Voyez ce que pour vous mon amour voulut faire

Dans les extrémités d’un malheur nécessaire...

ROSALIE.

Que vois-je ? Ayez pitié de mon cœur alarmé ;

Laissez...

SIDNEY.

Il n’est plus temps, le crime est consommé

Tout secours est sans fruit, toutes plaintes sont vaines,

Un poison invincible a passé dans mes veines.

ROSALIE.

Barbare !

HAMILTON.

Malheureux !

ROSALIE.

Il faut sauver ses jours,

Peut-être en ce malheur il est quelque secours.

HAMILTON.

Je me charge de tout ; comptez sur moi, j’y vole :

Ne l’abandonnez pas.

Il sort.

SIDNEY.

Espérance frivole !

 

 

Scène IV

 

SIDNEY, ROSALIE

 

ROSALIE.

Était-ce donc ainsi, cruel ! que vous m’aimiez ?

SIDNEY.

Moi si je vous aimais ! ah ! si vous eu doutiez,

Ce soupçon me rendrait la mort plus douloureuse.

Voyant que ma recherche était infructueuse,

J’ai méprisé des jours qui n’étaient plus pour vous ;

À la mort condamné, j’ai devancé ses coups :

J’aurais vu naître au sein des ennuis et des larmes

Un nouvel univers embelli par vos charmes ;

La vérité trop tard a levé le bandeau

Pour ne me laisser voir que l’horreur du tombeau.

Soumis à mon auteur, je devais sur moi-même

Attendre en l’adorant sa volonté suprême ;

Puisqu’il vous conservait, il voulait mon bonheur.

J’ai blessé sa puissance, il en punit mon cœur.

 

 

Scène V

 

HAMILTON, SYDNEY, ROSALIE, DUMONT

 

HAMILTON, à Dumont.

Que n’obéis-tu ?

SYDNEY.

Non, non ; ma mort est trop sûre.

DUMONT.

Ah ! vous vous regrettez ? j’entreprends cette cure...

SYDNEY.

Chassez cet insensé.

DUMONT.

Vous êtes fort heureux

Que, loin d’extravaguer, j’étais sage pour deux :

Je vous gardois à me, et d’une niche obscure

J’avais vu des apprêts de fort mauvais augure ;

Distrait, ne voyant rien, en vous-même enfoncé,

Dans votre cabinet vous êtes repassé ;

Par l’alcôve et sans bruit durant cet intervalle

Je suis venu changer cette liqueur fatale,

Et je ne vous tiens pas plus trépassé que moi.

ROSALIE.

Je renais.

HAMILTON.

Ô bonheur !

SIDNEY.

À peine je crois...

Rosalie !... Hamilton !... et toi, dont l’heureux zèle

Me sauve des excès d’une erreur criminelle,

Comment puis-je payer... ?

DUMONT.

Vivez, je suis payé :

Les gens de mon pays font tout par amitié,

Ils n’envisagent point d’autre reconnaissance ;

Le plaisir de bien faire est notre récompense.

SIDNEY.

Ô vous, dont la vertu, les grâces, la candeur,

Vont fixer sur mes jours les plaisirs et l’honneur ;

Vous, par qui je reçois une plus belle vie,

Oubliez mes fureurs, ma chère Rosalie ;

Ne voyez que l’amour qui vient me ranimer.

Le jour ne serait rien sans le bonheur d’aimer ;

Partagez mes destins : je vous dois tout mon être ;

C’est pour vous adorer que je viens de renaître.

DUMONT.

Ne savais-je pas bien que l’on en renait là ?

Ennui, haine de soi, chansons que tout cela ;

Malgré tout le jargon de la philosophie,

Malgré tous les chagrins, ma foi, vive la vie !

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