Molière au dix-neuvième siècle (Ferdinand DE LABOULLAYE)

Comédie en un acte et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre royal de l’Odéon, le 21 janvier 1844.

 

Personnages

 

FRANVAL, agent de change honoraire

RAYMOND, son neveu, jeune poète

D’APREVILLE, homme de bourse

DE SENNECOURT, membre de plusieurs sociétés philanthropiques

POLYPHONIE, folliculaire

MADAME DE BRÉMONT, femme de lettres

UN DOMESTIQUE parlant

DEUX LAQUAIS

PERSONNAGES MUETS

 

La scène se passe à Paris, chez Franval.

 

Le théâtre représente un salon. Ameublement moderne et de bon goût.

 

 

Scène première

 

FRANVAL, RAYMOND

 

FRANVAL.

Ainsi, mon cher neveu, vous êtes las d’écrire ?

RAYMOND.

Mon oncle, je suis las de dire et de redire

Ce qu’avant moi, cent fois, on a dit et bien mieux.

FRANVAL.

C’est de la modestie.

RAYMOND.

Et j’en suis tout honteux.

Vous savez qu’à seize ans, un mouvement fébrile

Échauffa mon cerveau rempli de son Virgile,

Et que, de nos auteurs admirateur jaloux,

Je jurai, dans mes vers, de les éclipser tous.

Je sortais du collège et me crus un Voltaire.

Déjà ma vanité, reculant la barrière,

Assignait à mon nom dans la postérité

Le titre le plus grand qu’écrivain eût porté.

FRANVAL.

Pauvre enfant !

RAYMOND.

C’est ainsi que je vous vis sourire

Quand je vous apportai ma première satire.

Et pourtant, toujours bon et toujours indulgent,

Vous avez accueilli l’œuvre de cet enfant.

« Calme-toi, disiez-vous, ne va pas avant l’âge

« En stériles efforts épuiser ton courage.

« Laisse grandir ta verve et mûrir ton esprit. »

C’étaient sages conseils ; mais, poète inédit,

Je me croyais déjà victime de l’envie,

Et je vous accusais d’étouffer mon génie.

FRANVAL.

Je m’en souviens.

RAYMOND.

Plus tard, modérant mon ardeur,

Je consentis d’être homme avant que d’être auteur

Je travaillais toujours, mais du moins en silence. –

Viennent vingt ans, disais-je, et mon règne commence.

– J’en ai trente, et le règne est encore à venir.

FRANVAL.

Mais, n’es-tu pas pourtant au moment de finir

Un chef-d’œuvre, une grande et belle tragédie

En cinq actes, en vers ?

RAYMOND.

C’est une comédie.

J’en ai commencé dix, et j’eusse aussi bien fait

De garder celle-ci dans l’état imparfait

Où j’en ai laissé neuf.

FRANVAL.

Elle est donc bien mauvaise ?

RAYMOND.

C’est-à-dire... avec vous je me sens à mon aise,

Cher oncle, et vais ici m expliquer franchement.

Un père ne peut pas décrier son enfant,

Et je crois que ma pièce à tout prendre est passible :

L’intrigue est amusante et le style agréable...

FRANVAL.

Eh bien !

RAYMOND.

Ce n’est pas là ce que j’avais rêvé !

Je voulais être auteur, mais auteur achevé ;

Je voulais que mon nom, environné de gloire,

Fût inscrit à jamais au temple de mémoire,

Et que du grand laurier qui décore son front

Molière détachât une fleur pour Raymond.

Oui, c’était mon espoir ! Pour l’écrivain vulgaire

C’est assez d’un succès, d’un succès ordinaire.

Au milieu des bravos que donne l’amitié,

Dût le juge sévère en rire de pitié,

Il lui suffit à lui, dans sa flamme idolâtre

De s’entendre nommer un jour sur un théâtre,

Et de voir son ouvrage, à grands frais imprimé,

Trôner sur un comptoir de romans parfumé.

Mais celui qui du Pinde entrevoit l’auréole

Ne se contente pas de cet encens frivole :

Il veut que ses écrits en silence écoutés

Portent dans tous les cœurs de larges vérités.

Des maîtres de la scène en disciple fidèle,

Il aspire à servir lui-même de modèle

Aux auteurs qui, plus tard, marcheront sur ses pas.

De triompher une heure il ne lui suffit pas.

Il lui faut un succès imposant et durable,

Un succès dont l’honneur demeure impérissable,

Un nom qui de respect et de gloire escorté

Soit par tout l’univers avec orgueil cité.

FRANVAL.

Et cet espoir si beau n’est-il donc plus possible ?

Ta noble ambition d’un esprit inflexible

Est le gage certain. Avec la volonté

On triomphe, crois-moi, de la difficulté.

RAYMOND.

Oui, quand il en est temps, et lorsque la carrière

Au poétique essor s’ouvre encor tout entière,

Ou lorsque dans le champ qu’on a vu moissonner

On a l’espoir au moins de trouver à glaner.

Tel autrefois, Regnard, venant après Molière,

Imagina Crispin, et fit le Légataire,

Où d’un hardi valet, il put, grâce au jargon,

Sous monsieur Clistorel cacher monsieur Purgon.

Tout un siècle a passé sur l’une et l’autre tombe ;

Et chaque auteur nouveau fut comme une hécatombe

Offerte au grand génie, au poète divin,

Dont le nom seul devait lui fermer le chemin.

FRANVAL.

Entendons-nous, pourtant, mon cher Raymond, écoute :

De Molière je suis l’admirateur sans doute ;

Personne à ses portraits si pleins de vérité

Ne rendra plus que moi d’hommage mérité ;

Mais il eut son époque, et nous avons la nôtre.

Près de chaque portrait, moi j’en devine un autre

Qui, de nos jours prenant le masque et la couleur,

Sous des traits différents aurait bien sa valeur,

Et, sans le ravaler au métier de copiste,

Présenterait au peintre un Philinte, un Ariste,

Et plus d’un Trissotin, car ceux-là, Dieu merci,

Furent de tous les temps, surtout de celui-ci.

Tu connais peu le monde ; et croyant la retraite

L’appui, l’auxiliaire obligé d’un poète,

Tu restais confiné dans mon château d’Anjou.

Tu vivais à peu près là-bas en loup-garou.

Enfin de voir Paris il te prend fantaisie :

Raymond, tu satisfais à ma plus douce envie.

Je voudrais, pour t’avoir toujours auprès de moi,

Que l’hymen vînt ici te ranger sous sa loi.

C’est l’affaire du temps. Je ne contrains personne ;

Et si du dieu des vers préférant la couronne

Aux charmes d’un état plus paisible et plus doux,

Tu consens à braver la critique et ses coups,

J’applaudis par avance à ce noble courage,

Fâché de ne pouvoir promettre davantage.

Des conseils ! ils auraient, hélas ! bien peu de prix.

RAYMOND.

Les vôtres en tout temps seront par moi suivis.

FRANVAL.

Pour la conduite, soit ; mais qu’un agent de change,

Un honoraire encore, ait la manie étrange

De vouloir sur des vers donner son sentiment,

Par ma foi, ce serait un travers trop plaisant.

Au surplus, s’il se peut que la chose te tente,

Molière, tu le sais, consultait sa servante.

RAYMOND.

Ah ! mon oncle !

FRANVAL.

Aussi bien, le séjour de Paris

T’en dira beaucoup plus que les meilleurs avis.

C’est là, mon cher Raymond, qu’observateur fidèle,

L’auteur, à chaque instant, voit surgir un modèle

Dont il peut avec fruit reproduire les traits ;

La source en est féconde et ne tarit jamais.

Écouter, observer, à point savoir se taire,

Tel fut, ami, crois-moi, le grand art de Molière.

Si le Louvre a pu mettre Alceste en son chemin,

Au Temple il rencontra Sganarelle et Dandin,

Au Marais Vadius, à Versailles Clitandre.

Va, les replis du cœur sont aisés à surprendre

Pour l’esprit juste et droit qui marche en liberté

Et ne connut jamais qu’un but : la vérité,

La vérité, flambeau salutaire et propice,

L’appui de la vertu, l’épouvante du vice !

Point de dehors trompeurs et point de faux semblants

Qui puissent éviter ses regards pénétrants.

Qui veut leur échapper est deviné d’avance ;

Un geste le trahit, tout, jusqu’à son silence.

Tiens, sans aller plus loin, il est certaines gens,

Se disant mes amis, et qui viennent céans,

Et chez moi, dès tantôt, tu verras maint visage

Qui pourra te servir dans ton apprentissage.

Déjà ton arrivée est un événement,

Et chacun te voudra faire son compliment.

Laisse-les s’épuiser en grands mots, en paroles :

Dans le jeu des acteurs on devine leurs rôles,

Et tel se croit bien fin, bien profond, bien discret,

Qui d’un mot a livré parfois tout son secret.

 

 

Scène II

 

FRANVAL, RAYMOND, UN DOMESTIQUE

 

LE DOMESTIQUE, annonçant.

Madame de Brémont !

FRANVAL.

La visite est heureuse !

Une femme d’esprit

À part.

souvent bien ennuyeuse.

LE DOMESTIQUE, continuant d’annoncer.

Et monsieur Polyphonte !

FRANVAL.

Aussi ! faites entrer.

Le Domestique sort.

Pour ton début tu vas avoir à qui parler.

RAYMOND.

Ce monsieur, quel est-il ?

FRANVAL.

Un poète, un confrère.

Je vais les recevoir, puis, pour certaine affaire,

Te laisser avec eux. Mais je reviens bientôt :

De bons mots et d’esprit vous allez faire assaut.

 

 

Scène III

 

RAYMOND, seul

 

Excellent homme ! En tout il fut toujours le même :

Pour les travers d’autrui d’une indulgence extrême,

Il se juge lui seul avec sévérité.

Mais j’admire à quel point pour moi va sa bonté.

De mes travaux j’attends qu’il me demande compte,

Et lui, du temps perdu veut m’éviter la honte !

De trop de modestie il m’accuse, et paraît

Pour mes œuvres montrer plus que moi d’intérêt ;

Par un espoir flatteur il réchauffe mon zèle

Et trace à mes essais une route nouvelle.

Je serais bien ingrat, si je pouvais jamais

Oublier tant d’égards, d’amitié, de bienfaits.

S’il était vrai, pourtant, s’il était sur la terre

Quelque vice à flétrir et quelque caractère

Qui sous un jour nouveau pût être présenté !

 

 

Scène IV

 

RAYMOND, POLYPHONTE, MADAME DE BRÉMONT

 

MADAME DE BRÉMONT, à Polyphonte.

Voilà donc ce Raymond qu’on nous a tant vanté !

Quelque génie étroit, bien bourré de classique,

Et d’un canton rural la gloire académique !

POLYPHONTE.

Poète de collège !

MADAME DE BRÉMONT, à Raymond.

Eh ! c’est le cher neveu !

POLYPHONTE.

Cet excellent Raymond ! Je me trompe, ou, morbleu,

De Franval en tout point c’est la vivante image.

RAYMOND.

Vous ne pouvez, monsieur, me flatter davantage.

MADAME DE BRÉMONT.

Je gage qu’il en a la douceur, la bonté,

La franchise... Monsieur, j’ai le cœur enchanté

De vous voir.

RAYMOND.

Oh ! madame !

MADAME DE BRÉMONT, bas à Polyphonte.

Assez triste figure,

Un œil qui ne dit rien.

POLYPHONTE, de même.

Voyez donc sa tournure.

MADAME DE BRÉMONT, de même.

Nous allons à l’instant juger de son esprit.

Haut.

Combien de fois, monsieur, nous avons tous maudit

Cet amour du repos, ou ce besoin d’étude

Qui vous fit de l’Anjou chérir la solitude !

RAYMOND.

Si peu connu de vous, pouvais-je un seul instant

Mériter...

POLYPHONTE.

Comptez-vous pour rien votre talent ?

Souvent votre oncle en parle, et déjà, par avance,

L’estime et l’amitié rapprochaient la distance.

Quand on marche, monsieur, sous le même drapeau,

Faut-il s’inquiéter du lieu de son berceau ?

En province, à Paris, sur la rive étrangère,

Un poète pour moi sera toujours un frète.

RAYMOND.

D’un tel accueil comment ne pas être touché !

Je m’en sens tout confus.

POLYPHONTE.

Je serais trop fâché,

Si vous pouviez douter combien il est sincère.

Donnez-moi votre main.

Il lui serre la main.

MADAME DE BRÉMONT.

Et moi, mon cher confrère !

RAYMOND.

Quoi ! madame serait !...

MADAME DE BRÉMONT, piquée.

La chose vous surprend ?

RAYMOND.

Je n’ai pas dit cela !

POLYPHONTE.

L’Anjou probablement

En modernes Saphos n’est pas beaucoup fertile ?

MADAME DE BRÉMONT, piquée.

Eh mais, Paris non plus ! Dans cette grande ville

Combien en est-il donc ?

POLYPHONTE.

Une seule, et c’est vous.

MADAME DE BRÉMONT.

À la bonne heure.

À Raymond.

Allons, mon cher, embrassons-nous.

Raymond l’embrasse.

De vous je voudrais bien entendre quelque chose ;

À votre oncle toujours vous écrivez en prose !

RAYMOND.

Mais c’est assez l’usage...

MADAME DE BRÉMONT.

Et c’est un grand travers.

Un poète toujours doit s’exprimer en vers.

Quant à moi, j’en ai pris tellement l’habitude

Que parler autrement parfois me semble rude.

La rime à chaque instant se présente, et vraiment,

L’arrêter au passage est un effort trop grand.

RAYMOND.

Quelle facilité !

POLYPHONTE.

C’est l’effet du génie !

RAYMOND, à part.

J’appellerais cela de la métromanie.

MADAME DE BRÉMONT.

Bien des gens comme vous en ont été surpris.

Mais c’est fort naturel.

RAYMOND.

On voit bien que Paris

Est et sera toujours le pays des merveilles :

J’ai peine, je l’avoue, à croire mes oreilles !

MADAME DE BRÉMONT.

C’est comme certain jour...

POLYPHONTE, à part.

Que va-t-elle conter ?

Ah ! j’y suis, l’éditeur !

MADAME DE BRÉMONT.

Vous daignez m’écouter !

RAYMOND.

Comment donc !

MADAME DE BRÉMONT.

Certain jour, mon éditeur, brave homme,

Homme de goût surtout, vient m’offrir une somme...

POLYPHONTE, à part.

C’est cela.

MADAME DE BRÉMONT.

Pour placer dans un recueil nouveau

Quelques vers fraîchement sortis de mon cerveau.

Je réclame le temps de me mettre en haleine.

À l’instant un soldat qu’en prison l’on emmène

S’échappe, et là-dessus rumeur dans le faubourg.

Aux cris de ses gardiens on s’agite, l’on court.

Ce bruit, ces cris confus ont pénétré mon âme,

Car la pitié toujours parle au cœur d’une femme.

Je vole à ma fenêtre et vois dans ma maison

Entrer la garde. On vient, fait perquisition

Et dans certain réduit, près de ma cuisinière,

On découvre, blotti, le pauvre militaire.

C’était son propre fils. Vous croyez aisément

Que j’avais oublié mon homme et son argent.

Lui m’attendait toujours ! je lui conte l’histoire,

Histoire bien touchante et qui de ma mémoire

Ne sortira jamais ; car, monsieur, cet enfant,

Un soldat de vingt ans ! s’était du régiment

Absenté quelques jours pour embrasser sa mère.

On l’a traduit pourtant au tribunal de guerre,

Et dans le bagne, hélas ! il serait aujourd’hui,

Si je n’eusse à la cour intercédé pour lui.

Encore toute émue et le cœur plein d’alarmes,

Je fis à l’éditeur répandre bien des larmes.

Mon récit terminé, j’aperçois vingt louis

Qu’il tire de sa poche. – Ils ont été promis.

Me dit-il, et sont dus. – Comment donc ? – Tout à l’heure

Ne vous ai-je pas dit, là, dans votre demeure...

– Que vous vouliez des vers pour mettre en un recueil ?

– Les voici justement. Ils en feront l’orgueil. –

Et comme j’avais peine encore à le comprendre,

De sa bouche aussitôt il fallut les entendre.

J’avais, en racontant, fait un poème entier

Qu’il avait eu l’esprit de sténographier,

Et, dès le mois suivant, sous le nom d’élégie,

Il parut au recueil.

RAYMOND.

La chose est inouïe.

POLYPHONTE.

C est ce qu’on peut nommer de l’inspiration ;

Mais le culte des vers est une passion

À qui rien ne résiste et qui rend tout facile.

RAYMOND.

Ma muse à vous louer ici serait stérile,

Madame, et je ne sus jamais improviser.

POLYPHONTE.

Chez nous, c’est fort commun. Essayez de l’oser !

Vous en viendrez à bout.

RAYMOND.

Non, l’effort m’épouvante :

Je doute franchement que jamais je le tente.

POLYPHONTE.

Les vers faits à loisir ont bien aussi leur prix,

Et l’on doit s’en convaincre en lisant vos écrits.

Donnez-m’en des extraits ; dans plus d’une revue

Je veux les publier. C’est chose convenue,

N’est-ce pas ?

RAYMOND.

Quoi ! déjà les honneurs du journal ?

C’est par trop d’indulgence.

POLYPHONTE.

À notre cher Franval

Il faut dès aujourd’hui procurer cette joie.

Ce soir, à son coucher, oui, je veux qu’il les voie.

Ainsi vous promettez.

RAYMOND.

Mais...

POLYPHONTE.

Je suis entêté.

RAYMOND.

Eh bien !... je cède donc à votre volonté.

Et puisque absolument il le faut, j’ai des stances

Que je viens d’achever et dont les circonstances

Peuvent à certain point...

MADAME DE BRÉMONT.

Comment ! de l’à-propos !

Mais c’est un vrai trésor !

POLYPHONTE.

Voyons ?

Raymond tire de sa poche quelques feuillets et les remet à Polyphonte.

 

 

Scène V

 

RAYMOND, POLYPHONTE, MADAME DE BRÉMONT, FRANVAL, DE SENNECOURT

 

FRANVAL.

De vos travaux

Faites un seul instant pour nous le sacrifice,

Et restez à dîner.

POLYPHONTE, serrant dans sa poche les vers de Raymond.

Eh ! quel destin propice

Me fait chez notre ami rencontrer aujourd’hui

Ce cher de Sennecourt ?

FRANVAL.

Ah ! pour l’amour de lui,

Consentez...

DE SENNECOURT.

Il suffit, monsieur, de vos instances ;

On m’attendait pourtant chez un chef des finances.

Eh bien, je n’irai pas ; mais pour quelques moments

Je me dérobe encore à vos empressements ;

Chez le voisin Duclair on tient une séance

De notre comité.

FRANVAL.

Toujours la bienfaisance

Aura le premier rang dans vos affections.

POLYPHONTE, à Raymond.

Sa vie est un tissu de bonnes actions.

Publiciste profond, savant économiste,

Des bienfaiteurs du peuple il a grossi la liste.

RAYMOND.

Monsieur est député, magistrat ?...

POLYPHONTE.

Le pouvoir

Ne l’a jamais tenté. Que je voudrais l’y voir !

Quel ordre régnerait dans nos lois de finances !

Que d’abus corrigés ! plus de folles dépenses !

Plus d’impôts onéreux pesant sur l’ouvrier !

Et la morale, donc, que j’allais oublier !

DE SENNECOURT.

C’est trop d’éloges.

Voyant Mme de Brémont.

Mais sans remarquer madame

J’étais entré. J’en suis honteux au fond de l’âme.

MADAME DE BRÉMONT.

Vous êtes excusé.

DE SENNECOURT.

C’est un hasard si grand

Que de vous voir ! Salut au génie, au talent !

MADAME DE BRÉMONT.

Salut au défenseur des libertés publiques !

Au grand réformateur de nos mœurs domestiques !

DE SENNECOURT.

De ces titres si beaux vous me voyez confus !

Si j’ai pu quelquefois corriger des abus,

Indiquer, par hasard, une réforme utile,

Est-ce un si grand mérite ? Il est doux et facile

De chercher le bonheur de ses concitoyens.

POLYPHONTE.

Ah ! pourquoi n’est-il pas remis entre vos mains !

DE SENNECOURT.

Moi ! que d’un tel fardeau je charge ma faiblesse !

POLYPHONIE.

Qu’est-ce que je disais ?

RAYMOND, bas, à Polyphonte.

Cet homme m’intéresse.

DE SENNECOURT.

Je n’ai jamais brigué les honneurs, les emplois.

Protéger les petits et soutenir leurs droits,

Attaquer corps à corps le grand qui les opprime,

Honorer la vertu, marquer au front le crime,

Voilà de mes efforts quel fut le but constant.

POLYPHONTE.

En est-il un plus digne !

RAYMOND.

Et surtout plus touchant !

DE SENNECOURT.

Il est vrai. Mais, hélas ! pour suivre cette route,

Si l’on pouvait savoir combien il nous en coûte !

Que d’envieux sans cesse attachés à nos pas !

Pour quelque bien qu’on fait, que d’ennuis, d’embarras !

RAYMOND.

On les brave aisément, quand la cause est si belle !

La persécution réchauffe encor le zèle

De celui qui défend la sainte humanité.

À ce prix je voudrais être persécuté.

DE SENNECOURT.

Quel est donc ce jeune homme ?

FRANVAL.

Eh mais, c’est le neveu

Dont je vous ai parlé.

DE SENNECOURT.

J’admire le beau feu

Dont son âme est éprise. Aussi bien, à son âge,

Ainsi que lui j’aurais tenu pareil langage.

Puisse-t-il ne jamais apprendre à ses dépens

Ce qu’on souffre parfois au contact des méchants !

Mais laissons un sujet bien grave et bien sévère ;

À madame, sans doute, il n’est pas fait pour plaire.

Et j’ai troublé, je gage, un entretien plus doux.

Avec ce cher ami, de quoi donc parliez-vous ?

À coup sûr de théâtre ou de littérature ;

Peut-être de beaux-arts, de dessin, de peinture ;

Ah ! c’est qu’il est partout, lui, dans son élément.

Qu’il cause ou qu’il écrive, il est toujours charmant ;

Ses lettres ont surtout des beautés ravissantes.

RAYMOND, à part.

Que d’égards mutuels, d’attentions touchantes !

Sainte amitié, voilà les liens généreux

Que ton culte établit dans les cœurs vertueux.

DE SENNECOURT.

À propos, de Baudois vous savez la disgrâce ?

Du moins on vous a dit le coup qui le menace ?

POLYPHONTE.

On proclame partout sa destitution.

DE SENNECOURT.

Dites qu’on a parlé de sa démission.

POLYPHONTE.

Le mot est plus honnête...

DE SENNECOURT.

Et plus vrai. La nouvelle,

Du reste, n’en est pas encore officielle.

POLYPHONTE.

Le fait ne saurait être à mes yeux plus certain ;

Pour preuve, je l’annonce au numéro prochain.

DE SENNECOURT.

Comment ! Dès ce soir même et dans votre revue ?

POLYPHONTE.

Dois-je attendre, mon cher, qu’il ait couru la rue ?

DE SENNECOURT.

Un journal, je le sais, sur tous ses concurrents

Aime assez volontiers à prendre les devants ;

Mais ici, voyez donc le tort qu’au ministère

À ce pauvre Baudois votre article va faire !

Sur des faits, des griefs plus ou moins constatés,

Le ministre lui veut retirer ses bontés.

Mais il n’est qu’accusé. Peut-être sa défense

À ses accusateurs imposera silence,

Et pour lui plaideront quarante ans de travaux.

Baudois est aujourd’hui le Nestor des bureaux,

Et jamais, jusque-là, le moindre mot de blâme.

MADAME DE BRÉMONT.

Il le devait un peu, je le crois, à sa femme,

Qui, jeune, assez jolie, assez sotte pourtant,

Tranche du bel esprit dans le monde élégant.

Chez eux, bals et dîners se succédaient sans cesse,

Madame en ses salons recevait la noblesse.

POLYPHONTE.

Et voilà justement ce qui donne crédit

Aux accusations : à bon droit on se dit :

Baudois est en sabots venu de sa province,

Et, longtemps confiné dans un emploi fort mince,

Des beaux arts tout à coup il devient inspecteur.

De nos jours on sait bien ce que peut la faveur ;

Mais Baudois n’avait rien, et misérablement

Il a vécu trente ans d’un chétif traitement.

D’où vient donc aujourd’hui le luxe qu’il étale ?

Et vous ne voulez pas que l’on crie au scandale,

Quand bientôt on apprend, et par nombreux témoins,

Que sur certains travaux confiés à ses soins

Il s’est fait accorder une large remise,

De titres et d’emplois qu’il a fait marchandise !

DE SENNECOURT.

Propos calomnieux !

POLYPHONTE.

Ah ! c’est ce qu’on verra.

On ne sait pas encor jusqu’où la chose ira.

DE SENNECOURT.

Devant les tribunaux peut-être ?

POLYPHONTE.

À qui l’espère

Je n’oserais, ma foi, soutenir le contraire.

DE SENNECOURT.

Vous voulez bien du mal à ce pauvre garçon !

POLYPHONTE.

Moi, lui vouloir du mal ! en aucune façon.

Quoi qu’on pense de lui, quoi qu’on dise ou qu’on glose,

Je n’ai pas désiré qu’à ce point vint la chose.

Veut-on se contenter de sa démission ?

Lui veut-on, en partant, faire une pension ?

Le ministère en a le droit incontestable,

De ses décisions il est seul responsable.

DE SENNECOURT.

Vous voilà plus humain, du moins. Avec plaisir

À de tels sentiments je vous vois revenir.

POLYPHONTE.

Mes griefs sont anciens et d’une autre nature :

Du choix qu’on fit de lui chaque jour on murmure.

Répondez franchement : son incapacité

N’est-elle pas pour tous de notoriété ?

Pour cet emploi je veux, c’est ma règle première,

Qu’on choisisse ayant tout un homme littéraire.

DE SENNECOURT.

Pour être du talent un zélé protecteur,

Je ne crois pas qu’il soit utile d’être auteur.

Souvent dans les bureaux, le goût, l’intelligence,

Du jugement, du tact, valent bien la science.

POLYPHONTE.

Et je ne suis pas, moi, mon cher, de votre avis :

Pour donner des conseils, et pour les voir suivis,

Un chef doit en tout temps pouvoir prêcher d’exemple.

Le vrai prêtre toujours fut nourri dans le temple.

DE SENNECOURT.

Dites que l’on est las de le voir occuper

Un poste où tant de gens se voudraient bien draper.

POLYPHONTE.

Et ces gens, quels sont-ils ?

DE SENNECOURT.

Je n’ai nommé personne ;

Mais beaucoup qui, je crois, trouvent la place bonne,

Et du pauvre Baudois contestent le talent,

Seraient embarrassés pour en montrer autant.

Tel qui vante bien haut les produits de sa plume,

N’a jamais composé la moitié d’un volume.

Tel autre qui rimaille en un coin de journal,

Du siècle où nous vivons se croit le Juvénal.

Beaux diseurs de grands mots, colporteurs d’épigrammes,

Qu’ils ont refaits vingt fois, et sur toutes les gammes,

Écrivains au cachet, dans la foule perdus,

Que je voudrais les voir au grand jour confondus !

Du pouvoir qu’en public ils souillent de leur bave,

Chacun d’eux, en secret, voudrait être l’esclave ;

Et Baudois, s’il pouvait acheter leurs faveurs,

Les compterait lui-même au rang de ses flatteurs.

MADAME DE BRÉMONT, à Polyphonte.

Eh mais que signifie un semblable langage ?

À tout le corps savant voudrait-il faire outrage ?

C’est qu’on pourrait fort bien lui riposter.

POLYPHONTE.

Ce soin

Me regarde, et de vous il n’est aucun besoin.

FRANVAL.

Voilà beaucoup de bruit et pour bien peu de chose.

De la place attendez au moins que l’on dispose !

Pour fêter mon neveu je vous ai réunis ;

Laissons là ces sujets de discorde et d’ennuis.

DE SENNECOURT.

De notre comité déjà l’heure s’avance,

Et vous savez qu’on a besoin de ma présence ;

J’en suis le président. Du moins, pareil emploi

Ne fait point de jaloux, et c’est beaucoup pour moi.

Lorsque, pour soulager la misère commune,

On dépense son temps et souvent sa fortune,

Il serait trop cruel de trouver sur ses pas

Les propos médisants et tous les embarras

Qu’aux hommes du pouvoir peut susciter l’envie.

La sainte humanité seule ici nous convie.

Dans ce siècle d’argent, jugera-t-on suspect

Celui qui va chercher l’être le plus abject,

Qui chez l’homme souffrant vient ranimer la vie,

En rendant l’espérance à son âme flétrie.

Et qui, du médecin l’aide et le précurseur,

Sait qu’au repos du corps il faut celui du cœur.

POLYPHONTE.

La charité sans doute a droit à notre estime,

Et j’admirai toujours cette vertu sublime.

Mais le bien que l’on fait perd beaucoup de son prix,

Quand on en parle trop, même avec ses amis.

DE SENNECOURT.

Qu’est-ce à dire ?

POLYPHONTE.

Oh ! mon Dieu ! rien, sinon que je pense

Qu’en lui-même un bienfait porte sa récompense.

Si des dons qu’on répand on tire vanité,

Le but de l’action peut être suspecté.

Du pauvre avec fracas quand nous ouvrons la porte,

L’égoïsme est au seuil, qui nous servit d’escorte.

DE SENNECOURT.

Cette réflexion...

POLYPHONTE.

Je n’ai nommé personne.

Mais, dans l’occasion, elle peut être bonne.

MADAME DE BRÉMONT, à part.

Admirable ! parfait ! Monsieur l’homme de bien,

Qui donnes des soufflets, reçois ici le tien.

FRANVAL.

Allez donc, et soyez le moins de temps possible !

De Sennecourt salue et sort.

 

 

Scène VI

 

RAYMOND, POLYPHONTE, MADAME DE BRÉMONT, FRANVAL

 

POLYPHONTE.

L’ami du bien public est parfois irascible,

Et de moi je le crois en ce moment jaloux.

FRANVAL.

Et pourquoi ?

POLYPHONTE.

Je puis bien vous apprendre, entre nous,

Qu’à la succession de Baudois on me pousse.

MADAME DE BRÉMONT.

Allons !

POLYPHONTE.

On m’a forcé.

FRANTAL, à part.

La violence est douce.

MADAME DE BRÉMONT.

Oh ! voilà du nouveau ! comment, pour un emploi,

Aux lettres vous allez renoncer ?

POLYPHONTE.

Eh qui ! moi ?

À nos amis je veux, au contraire, être utile ;

Cela leur donnera du crédit par la ville.

Sans cesse en mes bureaux je veux les recevoir ;

Et mon plus grand bonheur sera de vous y voir.

Mais il faut du journal corriger les épreuves,

Et j’y vais. Si déjà je n’avais fait mes preuves,

Avec ce numéro je pourrais aujourd’hui

N’avoir près du ministre aucun besoin d’appui.

MADAME DE BRÉMONT, à part.

Le fat !

POLYPHONTE.

Me suivez-vous ?

MADAME DE BRÉMONT.

Non.

POLYPHONTE.

Ma nymphe Égérie

Veut donc m’abandonner ?

MADAME DE BRÉMONT.

Oh ! la plaisanterie

Est fort peu de saison. Faites comme il vous plaît ;

Mais l’homme du pouvoir ne peut être mon fait.

POLYPHONTE.

À votre aise.

À part.

Elle boude ? Eh bien, cela m’amuse.

Il sort.

 

 

Scène VII

 

RAYMOND, MADAME DE BRÉMONT, FRANVAL

 

MADAME DE BRÉMONT.

S’avilir à ce point et vendre ainsi sa muse !

Contre quelques écus escompter son talent !

C’est montrer ce qu’on est : un sot, un impudent,

Qui s’éleva toujours avec l’aide des autres.

Il le sait pourtant bien ; ses succès sont les nôtres ;

Sans moi, sans nos amis, qui donc le connaîtrait ?

Au ministre je veux le peindre trait pour trait :

Poète sans génie et prosateur vulgaire,

Servile imitateur, copiste, plagiaire...

RAYMOND.

Ah ! de grâce, arrêtez ! modérez ce courroux.

Tant d’égards tout à l’heure existaient entre vous.

FRANVAL.

C’est un léger nuage, et qui passera vite.

MADAME DE BRÉMONT.

Non ; il me le paiera. Croyez à son mérite,

Si cela vous convient. Moi, je sais ce qu’il vaut,

Et le ministre aussi va le savoir bientôt.

Adieu, messieurs, adieu.

FRANVAL.

Vous reviendrez, j’espère ?

MADAME DE BRÉMONT.

Moi ! le revoir jamais ? non, non ! de ma colère

Je suis maîtresse ; mais, entre nous, c’est fini.

De son ambition il doit être puni.

Vainement il voudrait acheter mon silence !

Son règne est terminé ; c’est le mien qui commence.

À Raymond.

Avec vous, cher monsieur, je causerai plus tard.

Nous nous retrouverons.

Elle sort rapidement.

 

 

Scène VIII

 

FRANVAL, RAYMOND

 

FRANVAL.

D’un bel amour de l’art

Tu vois les effets ?

RAYMOND.

Quoi ! cette amitié si tendre,

Ces égards que tantôt j’avais peine à comprendre

Devant un simple mot se sont évanouis ?

FRANVAL.

Sous le même drapeau tous les deux réunis,

De compliments flatteurs, d’encens et de louange

Ils faisaient à bon droit un éternel échange.

Du tribut qu’il semblait payer à l’amitié,

Pour lui-même chacun conservait la moitié.

C’était une assurance égale et mutuelle,

Ce que l’on nomme enfin se faire courte échelle.

Par un calcul nouveau, Polyphonte, aujourd’hui,

Des faveurs du pouvoir veut rechercher l’appui.

À madame Brémont c’était rompre en visière,

Et de la chère amie on comprend la colère :

Aucun ministre encore, ou du moins je le crois,

Aux femmes, à Paris, n’a réservé d’emplois.

RAYMOND.

Quoi ! vous pouvez penser qu’à ce point l’égoïsme

Aveugle son esprit ?

FRANVAL.

Mon neveu, le beau prisme

Qui des lettres pour toi couvre les desservants,

T’a caché jusqu’ici des pièges décevants.

Vivant libre, en dehors de toute coterie,

Tu n’as jamais connu la camaraderie ;

Mais bientôt à ses lois elle peut t’enchaîner.

Par elle, tout d’abord, on se laisse gagner.

Il est si doux d’avoir des amis, pleins de zèle,

Qui, du moindre succès colportant la nouvelle,

Au simple néophyte autant qu’à l’érudit,

Décernent en tous lieux les palmes de l’esprit,

Au plus mince poète élèvent des statues,

Et feraient afficher son nom au coin des rues.

Mais, hélas ! on apprend bien vite, à ses dépens,

Qu’au lieu de trente amis on a trente tyrans,

Despotes ombrageux, dont la main vous protège

Jusqu’au jour où, prenant un essor sacrilège,

Vous croyez de leurs fers pouvoir vous dégager !

De vos illusions connaissez le danger !

En vain vous repoussez de honteuses entraves,

Il faut courber le front. Vous êtes leurs esclaves !

RAYMOND.

Moi ! Qu’à ce point jamais je me laisse avilir !

Ah ! de ma liberté s’il faut me dessaisir,

Brisons plutôt ma plume.

FRANVAL.

À ce noble langage,

D’un vrai poète en toi j’admire le courage.

Mais quelqu’un vient encor... je ne me trompe pas,

C’est monsieur d’Apreville. À tout ce grand fracas

On peut le deviner. À quelle circonstance

Devons-nous aujourd’hui l’honneur de sa présence ?

 

 

Scène IX

 

FRANVAL, RAYMOND, D’APREVILLE, suivi, de deux laquais en grande livrée

 

D’APREVILLE, tirant des lettres de sa poche.

Portez à mon caissier ces traites à l’instant.

Vous, courez à la Bourse, où mon neveu m’attend,

Dites que sur vos pas j’arrive, et que Narville

M’achète des coupons d’actions de la ville.

Les deux laquais sortent.

RAYMOND.

Quel est donc ce monsieur ?

FRANVAL.

Un riche financier.

De mes anciens clients.

À part.

Jadis mince usurier.

D’APREVILLE.

Près de vous, cher Franval, j’accours.

Il voit Raymond.

Sans nul mystère,

Puis-je devant monsieur vous parler d’une affaire ?

FRANVAL.

Ne craignez rien.

D’APREVILLE, le tirant à l’écart.

Je dois, d’abord, vous prévenir

Qu’elle est d’une importance...

FRANVAL.

Où veut-il en venir ?

D’APREVILLE.

Il s’agit d’un emprunt que demain l’on adjuge.

FRANVAL.

J’y suis : les dix canaux.

D’APREVILLE.

Vous êtes si bon juge,

Que sans vous consulter je ne veux rien finir.

Parlez-moi franchement, vous me ferez plaisir.

FRANVAL.

Vous êtes sur les rangs.

D’APREVILLE.

Du moins je dois m’y mettre,

On me l’a conseillé. Mais pour me faire admettre,

Il faut verser d’abord un double million

En bons billets de banque, ou fournir caution.

FRANVAL.

L’un ou l’autre pour vous est chose très facile.

D’APREVILLE.

Oh ! pas tant que l’on croit. Madame d’Apreville,

L’an dernier, m’a jeté sur les bras un procès...

FRANVAL.

Que vous avez gagné.

D’APREVILLE.

Mais j’ai payé les frais,

Mon adversaire étant tout à fait insolvable.

Ah ! qu’un procès, mon cher, est chose abominable !

Il m’a fallu donner quarante mille francs

Au greffe, aux avoués, en beaux deniers comptants !

Quarante mille francs pour solder leurs grimoires,

C’est affreux ! J’ai pourtant fait taxer leurs mémoires !

FRANVAL.

Oh ! je n’en doute pas. En revanche, le bien

Pour lequel vous plaidiez...

D’APREVILLE.

Mon cher, c’était le mien,

Ma femme en héritait.

FRANVAL.

En effet, c’est tout comme.

Il vaut, assure-t-on, cinquante fois la somme.

D’APREVILLE.

Tout au plus.

FRANVAL.

D’un procès cela peut s’acheter.

Que de gens à ce prix en voudraient hériter !

D’APREVILLE.

Finalement je suis bien loin d’être à mon aise.

FRANVAL.

Vous plaisantez !

D’APREVILLE.

Je dis, et ne vous en déplaise,

Que tout considéré, l’état de ma maison,

Les impôts que je paye, et le luxe et le ton

Que m’imposent le rang et le nom de ma femme,

Je me tiens pour gêné, fort gêné, sur mon âme.

J’ai très grand’peine à vivre avec mes revenus.

FRANVAL, à part.

De côté chaque année il met cent mille écus.

D’APREVILLE.

Et les gens que je dois recevoir à ma table !

Les fêtes et les bals ! mon cher, cela m’accable !

Chaque jour j’ai chez moi des pairs, des députés !

Des lettres et des arts je vois les sommités,

Tout ce monde, entre nous, puise un peu dans ma caisse.

À la Bourse pour peu qu’il survienne une baisse,

À mon banquier, moi-même, il me faut recourir.

Toujours après l’argent il est dur de courir !

Enfin, comme il faut vivre en dépit de sa gêne,

Parlons de cet emprunt qui près de vous m’amène :

Avec moi voulez-vous y prendre un intérêt ?

FRANVAL.

De tous mes capitaux j& viens de faire un prêt.

D’APREVILLE.

Comment ?

FRANVAL.

Sur hypothèque et par-devant notaire,

L’affaire se conclut la semaine dernière.

De la Bourse je suis retiré maintenant.

D’APREVILLE.

Comme vous je voudrais pouvoir en dire autant.

Ainsi, vous n’avez pas de fonds ?

FRANVAL.

Sur ma parole,

Je ne puis aujourd’hui disposer d’une obole.

D’APREVILLE.

C’est fâcheux : cet emprunt se présente fort bien,

De l’opération je réponds... À combien

Se monte donc le prêt que vous venez de faire ?

FRANVAL.

Mais à cent mille francs.

D’APREVILLE.

Ah ! c’est une misère.

Vous avez des biens-fonds ?

FRANVAL.

Oui, mais je vous promets

Quoi qu’il puisse arriver, de n’y toucher jamais.

D’APREVILLE.

C’est agir prudemment, et fort je vous approuve.

Si dans quelque embarras, par hasard, on se trouve,

On a là, sous la main, le moyen d’en sortir.

FRANVAL.

Me préserve le ciel d’y jamais recourir !

D’APREVILLE.

Ce langage à bon droit me touche et m’intéresse.

Dans tout on reconnaît, Franval, votre sagesse,

Et je vous veux prouver ici mon amitié.

Avec moi dans l’emprunt vous serez de moitié.

FRANVAL.

Comment ! vous insistez encor !

D’APREVILLE.

Pour cette affaire

Il faut deux millions ; je saurai bien les faire.

Dans aucun embarras je ne veux vous jeter.

FRANVAL.

Mais après !

D’APREVILLE.

Vous tentez en vain de résister.

Sans scrupule avec moi soyez de la partie !

Je n’exige de vous aucune garantie,

Et me contenterai d’un modique intérêt.

FRANVAL.

Quel qu’il soit, ce sera toujours me faire un prêt.

D’APREVILLE.

C’est un prêt si l’on veut. Une affaire de change

Pour un mois tout au plus. Mais voyez en échange

Que de profits pour vous ! Dès demain, les journaux

Proclament à grand bruit l’emprunt des dix canaux.

Nous les laissons parler : la quinzaine s’écoule ;

Des quêteurs d’actions d’ici je vois la foule

Encombrer nos bureaux, fatiguer nos commis,

Et lorsque les coupons, avec peine promis,

Seront enfin livrés à leur impatience,

Je vous laisse à penser quel bénéfice immense !

FRANVAL.

Si vous en êtes sûr, pourquoi le partager ?

D’APREVILLE.

Mais par pure amitié. Je vous laisse y songer,

Et reviendrai tantôt prendre votre réponse.

Je vous quitte à regret, mais il faut que j’annonce

À Derval que pour lui j’achète des ducats.

On doit de mon retard être surpris là-bas.

Ce soir nous causerons encore d’autre chose :

Est-ce donc à votre âge, ami, qu’on se repose ?

Aux affaires je veux vous rendre, bien certain

Que vous me saurez gré de cet heureux dessein.

 

 

Scène X

 

FRANVAL, RAYMOND

 

RAYMOND.

Pour un homme d’argent, voilà de la franchise.

Avec ce financier déjà je sympathise.

FRANVAL.

Te laisserais-tu prendre à tous ces beaux discours ?

Usurier sans pudeur, Harpagon de nos jours,

Il dissimule en vain. C’est l’âme la plus crasse

Que la soif des écus pût jeter sur la place.

RAYMOND.

Un usurier ! qui, lui ? lorsqu’il veut partager

Avec vous ?

FRANVAL.

Il se met à l’abri du danger.

Si l’opération réussit, il s’impose ;

Qu’elle échoue, à l’instant il sépare sa cause,

Et me force à payer l’un des deux millions.

Pour l’autre il a déjà placé ses actions,

Sauf à les racheter, les vendre et les revendre,

Tant qu’il pourra trouver des mains où les reprendre,

Et tant que, favorable à sa cupidité,

Il en verra le cours selon ses vœux coté.

L’avare, en d’autres temps, sous un habit de bure

Dans un obscur réduit se livrait à l’usure.

L’avare d’aujourd’hui, plus habile cent fois,

Affronte insolemment la morale et les lois.

Il habite un hôtel, possède une livrée

Et cache son poignard sous sa veste dorée.

Il peut impunément ruiner son prochain :

Il rançonne au grand jour et le code à la main.

RAYMOND.

Se peut-il ?

FRANVAL.

Plus adroit que tu ne t’imagines,

Sous le nom d’intérêts il cache ses rapines,

Et, lorsque sans calcul il paraît obliger,

Il marque sa victime et la veut égorger.

RAYMOND.

Celui-ci cependant aux auteurs, aux artistes

Ouvre son coffre fort.

FRANVAL.

Calculs encor plus tristes.

Paul est peintre ? il lui fait commander un tableau ;

Mais Paul paye bien cher chaque coup de pinceau.

Du protecteur il faut qu’il orne le musée,

Et que dans ses salons il travaille à l’année.

À Dorlis il demande une traduction ?

D’Apreville pour lui garde l’édition,

Laissant à l’écrivain, pour unique avantage,

Le droit de se nommer sur la première page.

RAYMOND.

Quel indigne trafic ! Ah ! vous avez raison,

À votre financier je préfère Harpagon.

 

 

Scène XI

 

FRANVAL, RAYMOND, DE SENNECOURT

 

DE SENNECOURT.

Je vous retrouve seuls ! souffrez que j’en profite

Pour vous dire combien ma première visite

M’a laissé de regrets. Pour le pauvre Baudois

Malgré moi j’ai pris feu.

RAYMOND.

Monsieur, je le conçois,

De l’amitié c’est là le plus beau privilège.

Pour défendre un absent que l’imposture assiège,

D’un courroux légitime il est bien de s’armer.

Moi-même, en entendant contre lui déclamer,

J’ai senti dans mon cœur une secrète envie

De prendre son parti !

DE SENNECOURT.

Que je vous remercie !

C’est qu’en effet jamais plus, injustes propos

D’un honnête employé n’ont troublé le repos.

De faux bruits ont sans doute égaré Polyphonte,

Et c’est assez pour lui d’avoir pu cette honte,

De dénigrer à tort un homme plein d’honneur ;

Il faut lui pardonner. Moi-même avec bonheur

J’excuse quelques mots qu’en son humeur chagrine

Il a pu m’adresser. Du reste, j’imagine

Qu’il n’aura pas voulu me nuire en votre esprit,

Ni près du cher Franval détruire mon crédit.

RAYMOND.

Dans tous les cas, monsieur, il eût perdu sa peine.

 

 

Scène XII

 

FRANVAL, RAYMOND, DE SENNECOURT, MADAME DE BRÉMONT

 

FRANTAL.

Qui donc accourt ainsi ?

MADAME DE BRÉMONT.

C’est moi ! c’est m car moi !

De grâce, permettez qu’un peu je me remette...

Décidément j’en ai la conscience nette.

FRANVAL.

Que voulez-vous nous dire ?

MADAME DE BRÉMONT.

Attendez un instant.

Vous savez que tantôt, messieurs, en vous quittait,

Je me rendais tout droit à l’hôtel du ministre,

Pour savoir si Baudois...

DE SENNECOURT, à part.

Quelle crainte sinistre

Vient s’emparer de moi !

DE BRÉMONT.

Pour ce brait garçon,

J’eusse agi chaudement et de toute façon.

Être destitué, pour qui, pour Polyphonte !

DE SENNECOURT, à part.

Ah ! mon très cher ami, c’était pour votre compte !

MADAME DE BRÉMONT.

J’arrive au ministère, et je vois les chevaux

Qu’on venait d’atteler. Je cours dais les bureaux

Pour chercher un ami qui soudain m’introduise.

Hasard inespéré ! trop heureuse surprise !

Le ministre paraît : il descend l’escalier,

Bien plus, me rencontrant, m’aborde le premier.

Je lui dis franchement l’objet de ma visite.

« De Baudois, répond-il, je connais le mérite :

« C’est un homme d’honneur, et je ne sais pourquoi

« L’on me vient aujourd’hui demander son emploi.

« J’avais déjà reçu deux lettres anonymes ;

« Mais la délation a fait trop de victimes,

« Et d’ailleurs ne vois ici que faussetés,

« Mensonges odieux, lâches, absurdités.

« Qu’il se rassure donc. Cependant deux suppliques

« Ont suivi de bien près ces démarches iniques...

DE SENNECOURT, l’interrompant.

Vous avez à ravir remplira mission.

Nous ne parlerons plus de la démission.

 

 

Scène XIII

 

FRANVAL, RAYMOND, DE SENNECOURT, MADAME DE BRÉMONT, POLYPHONTE

 

POLYPHONTE, à Sennecourt et avec fierté.

Et j’en parlerai, moi, car nous avons un compte

À régler maintenant !

DE SENNECOURT, du même ton.

Monsieur de Polyphonte !

POLYPHONTE.

Monsieur de Sennecourt ! Oh ! je ne vous crains pas,

Moi pourtant que tantôt vous ravaliez si bas !

Et lorsque de Baudois vous preniez la défense,

Vous modèle accompli d’honneur, de bienfaisance,

De vertus, qu’avez-vous donc fait pour votre ami ?

Ah ! vous n’agissez pas, je le vois, à demi !

Vous l’avez dénoncé pour obtenir sa place.

DE SENNECOURT, à Franval.

Pouvez-vous le penser ?

POLYPHONTE.

Je vous le dis en face,

Et vous le prouverais s’il en était besoin.

Mais je connais quelqu’un qui prendra mieux ce soin.

DE SENNECOURT, à Franval.

Peut-on calomnier avec pareille audace ?

POLYPHONTE.

Sa haine du pouvoir était franche grimace.

Avec ce d’Apreville, apprenez que tous deux

Ils m’ont joué, berné comme un enfant.

MADAME DE BRÉMONT, à part.

Tant mieux.

POLYPHONTE.

Ce damné financier m’avait mis dans la tête

Que Baudois allait être admis à la retraite.

D’avance disposant de sa succession,

Il me l’avait promise... avec condition.

FRANVAL.

Oh ! cela va sans dire !

POLYPHONTE.

Et moi, j’eus la faiblesse

De feindre d’accepter. D’Apreville, sans cesse,

Dans ses prétentions, augmentant le tribut

Qu’il voulait m’imposer, de marcher à mon but

Seul, et sans nul appui, moi je conçus l’idée.

Mais, soit qu’il devinât ma secrète pensée,

Soit que monsieur pour lui parût plus généreux,

Un traité fut conclu qui les liait entre eux.

Oserez-vous nier que, pour tenter l’affaire,

Vous fîtes circuler, en ville, au ministère,

Ces bruits sans fondement de destitution ?

FRANVAL, à part.

Tandis qu’il le poussait à sa démission !

POLYPHONTE.

Convaincu qu’en effet la place était vacante,

Je la sollicitai. Trompé dans mon attente,

Je n’ai rien fait, du moins, dont je doive rougir.

Mais lui, c’était par là qu’il devait en finir.

Avec ce d’Apreville il a fait un mémoire ;

Il n’est pas d’action à la fois basse et noire

Dont il n’ait accusé le malheureux Baudois.

Non content du premier, il y revint deux fois :

Au ministre deux fois dénonçant sa victime,

Il osa prononcer jusques au mot de crime,

Parler de tribunaux.

DE SENNECOURT.

Quelle preuve avez-vous ?

POLYPHONTE.

Des preuves ! C’est bien là qu’on les reconnaît tous !

Seul tu pourrais nier ton horrible artifice ;

Mais démentiras-tu jusques à ton complice ?

Il vient d’avouer tout !

DE SENNECOURT.

Que parlez-vous d’aveux !

Je ne vous comprends pas.

POLYPHONTE.

Misérable, tu veux !...

DE SENNECOURT.

Du ministre aujourd’hui craignant tout pour lui-même,

D’Apreville a voulu, par un vil stratagème,

Me compromettre aussi. Mais j’en aurai raison !

Il sort.

POLYPHONTE, se retournant.

Oui ! je sais qu’il a mis des titres sous ton nom,

Car tes futurs méfaits, partagés à l’avance,

T’avaient donné des droits à sa reconnaissance.

RAYMOND, à Franval.

Il oserait !

FRANVAL.

Eh bien ! qu’ils disputent entre eux !

C’est du repos pour nous. De ces débats hideux

Effaçons, s’il se peut, jusques à la mémoire.

MADAME DE BRÉMONT.

Voilà, je vous l’avoue, une effroyable histoire !

POLYPHONTE.

Aux emplois désormais moi je veux renoncer.

Me préserve le ciel de jamais y penser !

La leçon m’a servi !

MADAME DE BRÉMONT.

C’est celle de la fable.

Les raisins sont trop verts !

POLYPHONTE.

De ce mot charitable

Votre bonté, madame, eût pu se dispenser ;

Mais par d’autres faveurs on peut les remplacer.

L’Institut va nommer à deux places vacantes.

MADAME DE BRÉMONT, riant.

Vous ! de l’Académie ! à deux portes battantes

Le docte corps, vraiment, voudra vous recevoir.

Dans l’immortel fauteuil déjà je crois vous voir.

Vous de l’Académie ! Ah ! l’idée est bouffonne !

POLYPHONTE.

On y vit cependant entrer mainte personne

Dont les titres, peut-être, étaient plus contestés.

Où sont de leurs écrits les si rares beautés ?

Et le dernier défunt[1] pour parler de lui-même...

RAYMOND.

Arrêtez ! je vous veux épargner un blasphème.

Devant le noble cœur que la mort a glacé,

Pouvez-vous outrager un glorieux passé ?

Vos titres ! quels sont-ils, pour les mettre en balance ?

Écoutez, non pas moi, mais toute notre France !

Voyez notre théâtre et les Muses en deuil

Agenouillés, eu pleurs, auprès de son cercueil !

Avez-vous, comme lui, chanté notre patrie ?

Vous a-t-on vu gémir sur sa gloire flétrie ;

Aux grands jours où le peuple est sorti du sommeil,

De notre liberté célébrer le réveil ?

Des Polonais proscrits séchâtes-vous les larmes,

Quand le Nord effrayé chez eux campait en armes ?

Un théâtre par vous fut-il ressuscite ?

Ici,[2] ces deux grands mots, patrie et liberté,

D’un peuple tout entier brisent encor les chaînes ;

La Sicile renaît à des vertus romaines.

Là,[3] d’un usurpateur la lâche cruauté,

Immolant à la fois la grâce et la beauté,

Au sang de deux enfants va tremper sa couronne.

Ailleurs,[4] l’Hypocrisie, assise sur le trône,

Montre, auprès du Remords, les hideuses terreurs

Qu’aux cœurs des criminels mettent les cieux vengeurs.

Mais Thalie, à son tour, remplace Melpomène ;

Exemple des travers qu’il raille sur la scène,[5]

L’acteur se refait homme, et n’est que plus plaisant.

Quel est donc ce vieillard sensible, confiant ?

Et pourquoi sur son front cette pâleur sévère ?[6]

C’est Danville. Il pouvait, hélas ! être heureux père :

Sous le joug de l’hymen courbant ses cheveux blancs,

Danville redevient esclave à soixante ans.

À tant d’enseignements précieux et sublimes,

Allez, si vous l’osez, opposer quelques rimes,

Essais prétentieux du moderne jargon !

Au fauteuil de Racine allez asseoir Pradon !

POLYPHONTE.

Vous vous mettez aussi, monsieur, de la partie ?

Pour lutter contre vous j’ai trop de modestie.

Eh bien ! je vous attends au Théâtre-Français !

Serviteur !

RAYMOND.

Et mes vers ?

POLYPHONTE.

Ah ! c’est vrai ; j’oubliais.

Vous n’écrivez pas, vous, monsieur, dans notre style.

Il sort.

MADAME DE BRÉMONT, à Raymond.

Contre vous je pourrais bien avoir quelque bile ;

Mais vous nous reviendrez.

RAYMOND.

J’en doute.

MADAME DE BRÉMONT, sortant.

Oh ! nous verrons

 

 

Scène XIV

 

RAYMOND, FRANVAL

 

FRANVAL.

De tous leurs pronostics, va, nous triompherons !

RAYMOND.

Oui, pour moi du succès s’entr’ouvre l’espérance.

Guidé par vos conseils, par votre expérience,

Je veux du cœur humain pénétrer les secrets.

Aujourd’hui, je vous dois déjà quatre portraits.

Vous avez signalé notre avare au passage ;

De Tartufe bientôt j’ai retrouvé l’image ;

Trissotin, Philaminte avaient pris les devants.

Mais j’allais oublier des traits plus consolants :

Molière, dans Ariste, a peint son caractère ;

Ariste est son portrait qu’il léguait à la terre.

Vertueux, indulgent pour les travers d’autrui,

Pour le vice implacable, il renaît aujourd’hui

Dans vous, comme jadis en lui vivait Molière.

FRANVAL.

D’un éloge flatteur mon âme serait fière,

Si du moins en un point il était mérité.

Tu consultes ton cœur ?

RAYMOND.

Non, mais votre bonté.

Allons donc : armons-nous d’un généreux courage :

Des faiblesses du cœur faisons l’apprentissage ;

Flétrissons sans pitié le vice triomphant ;

Tendons partout la main aux vertus, au talent.

À des pas chancelants il faut une lumière :

Tu guideras les miens, ô flambeau de Molière !


[1] Casimir Delavigne.

[2] Les Vêpres Siciliennes.

[3] Les Enfants d’Édouard.

[4] Louis XI.

[5] Les Comédiens.

[6] L’École des Vieillards.

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