Madame attend Monsieur (Henri MEILHAC - Ludovic HALÉVY)

Comédie en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés, le 8 février 1872.

 

Personnages

 

MADAME

MONSIEUR

UNE PORTIÈRE

UN VOISIN

 

À Paris, de nos jours.

 

Le théâtre représente une petite chambre à pans coupés, très élégamment et très confortablement meublée : tapis, tentures. Au fond, au milieu, une alcôve garnie de rideaux. À gauche de l’alcôve, la porte d’entrée. Dans le pan coupé de gauche, une cheminée avec glace, pendule et candélabres. Dans le pan coupé de droite, une fenêtre. Une jardinière avec des fleurs devant la fenêtre Console entre la fenêtre et l’alcôve. Petit bureau très élégant adossé au mur de droite. À gauche, une table servie ; deux couverts, et dans des seaux à glace, deux bouteilles de vin de Champagne ; près de cette table un fauteuil. Au milieu de la scène, un guéridon chargé de menus objets : miroir, bonbonnière, boîte de poudre de riz, coupe, journaux, cartes pour faire des patiences, une petite photographie de femme dans un cadre, etc. Trois lampes allumées, deux sur la cheminée, la troisième, sur la console. Un pouf devant le guéridon. Un panier à bois devant la cheminée. Chaises. Un canapé à droite.

 

 

Scène première

 

LA PORTIÈRE, MONSIEUR, puis MADAME

 

Au lever du rideau, la portière est accroupie devant la cheminés, arrangeant le feu. Monsieur va et vient, sans parler, dans la chambre, examinant tout, déplaçant des meubles, étalant des bonbons dans la coupe, etc. Quelques instants de silence.

MONSIEUR.

Un grand feu, n’est-ce pas, madame Robert ? un grand feu...

LA PORTIÈRE.

Soyez tranquille, monsieur.

On entend le bruit d’une voiture qui passe dans la rue.

MONSIEUR.

Une voiture !...

Courant à la fenêtre et mettant la jardinière de côté.

C’est elle !...

Il ouvre la fenêtre. On entend la pluie qui tombe avec violence.

Non, ce n’est pas elle... la voiture ne s’arrête pas. Brr... il fait froid...

Il éternue très légèrement.

Il pleut...

Il referme vivement la fenêtre.

Mais je connais Catarinette, le mauvais temps ne l’empêchera pas de venir...

LA PORTIÈRE, toujours accroupie devant le feu.

Y a pas de danger.

MONSIEUR.

N’est-ce pas ?... Elle m’aime !...

LA PORTIÈRE, se relevant et descendant.

Et nous sommes dans la dernière semaine de décembre... Cette semaine-là, les femmes viennent toujours.

MONSIEUR.

Chère petite !... Je lui ai apporté un bracelet...

Il tire un écrin de sa poche et va à la table.

Je vais le cacher là, sous sa serviette... et quand nous nous mettrons à table pour souper... en prenant sa serviette, elle trouvera le bracelet.

Il met le bracelet sous la serviette.

Là... Et ces deux papiers aussi...

LA PORTIÈRE.

Qu’est-ce que c’est que ça ?...

MONSIEUR, montrant un des papiers.

Ça, c’est la facture... la facture acquittée. Ça lui fera plaisir... Elle a de l’ordre...

LA PORTIÈRE.

Chère petite !...

MONSIEUR.

Et puis, elle verra ce que ça coûte... Je ne suis pas fâché...

LA PORTIÈRE.

Et l’autre papier ?...

MONSIEUR, prenant un air sentimental.

L’autre papier, c’est... Ça lui fera plaisir aussi, l’autre papier...

Il met les deux papiers sous la serviette. On entend un nouveau bruit de voiture. Courant à la fenêtre.

Encore une voiture !... Et cette fois, elle s’arrête...

Il ouvre la fenêtre. On entend la pluie.

Une femme !... C’est elle, madame Robert, c’est elle !...

Il ferme la fenêtre et laisse retomber les rideaux.

Dites lui que je ne suis pas encore arrivé... je vais me cacher... et je lui ferai une surprise...

LA PORTIÈRE.

Compris.

Violent coup de sonnette. Monsieur se cache derrière le rideau de droite de l’alcôve. La portière va ouvrir la porte du fond. Entre rapidement une femme enveloppée dans quatre ou cinq voiles. Le visage est tout à fait masqué par ces voiles. Madame passe devant la portière et se laisse tomber dans le fauteuil près de la table.

LA PORTIÈRE.

Il n’est pas venu encore, madame... mais il va venir... Je sais bien que nous sommes dans la dernière semaine de décembre et que, cette semaine-là, les hommes ne viennent pas toujours... Mais M. Alfred n’est pas un de ces hommes-là... il va venir, M. Alfred, il va venir...

Madame incline la tête sans dire un mot. À part.

Tiens, tiens, on dirait que ce n’est pas la même...

Tout en disant ces mots, elle a tourné autour de madame, par derrière, en l’examinant, puis elle sort en emportant le panier à bois.

 

 

Scène II

 

MADAME, faisant, par un brusque mouvement, sauter ses voiles en l’air

 

Je l’espère bien qu’il va venir... M. Alfred... et je l’attends... La voici donc, cette chambre qu’il a fait meubler... richement meubler... pour y recevoir sa maîtresse... Eh bien, ce soir, ce n’est pas sa maîtresse qu’il y trouvera...

Se levant.

C’est moi, sa femme... sa vraie femme !...

Monsieur, qui avait entr’ouvert les rideaux du lit, ébauchant un sourire, rentre précipitamment dans sa cachette. Madame ôte son chapeau, qu’elle met sur le guéridon, et son châle, qu’elle jette sur une chaise à droite. Tous ces mouvements très saccadés.

Et tout fait supposer que la conversation sera animée... Y a-t-il des pincettes, d’abord ?... y en a-t-il des pincettes, dans cette chambre richement meublée ?...

Allant à la cheminée.

Il est impossible que l’on ait oublié... Non, en voici...

Elle les prend.

Pas trop lourdes, faciles à manier... Bon ! et M. Alfred va venir !... C’est très bien ! Attendons M. Alfred, alors...

Posant les pincettes sur le guéridon.

attendons M. Alfred.

Elle se promène pendant quelques instants, silencieuse, avec agitation, autour de la chambre.

Il me disait : Les événements nous ont fait perdre une année... Cette année perdue, il faut lâcher de la rattraper. Non-seulement nous travaillerons plus, mais nous dépenserons moins... Ton salon a besoin d’être renouvelé... je le sais bien, ma chérie, qu’il a besoin d’être renouvelé... Eh bien ! nous ne le renouvellerons pas... voilà pour l’économie. – Quant au travail, non-seulement je passerai la journée à mon bureau, mais j’y retournerai le soir... ce que je n’avais jamais fait... j’y retournerai deux fois par semaine... de dix heures du soir à une heure du malin... Et, en effet, depuis trois mois, il n’y marquait pas... deux fois par semaine, régulièrement, de dix heures du soir à...

Avec un geste d’indignation comique.

du matin... Il appelait ça ses jours de besogne supplémentaire !... Le brigand !... Et, au lieu d’aller à son bureau, il venait ici, et pendant qu’il refusait de renouveler mon salon, pendant que moi, bonne bête, je l’embrassais, en lui disant : « Tu as raison... il faut faire des économies... » il louait cette chambre au premier étage d’une maison borgne, et dans cette chambre, afin de la rendre digne de mademoiselle Catarinette, il enta sait tout ce que le luxe le plus extravagant... C’est beaucoup mieux que chez moi, ici... Ces fauteuils...

S’asseyant dans un fauteuil.

On est très bien dans ces fauteuils... on est admirablement...

Se levant et se laissant tomber sur le canapé.

Et sur ce canapé...

Se relevant comme repoussée par un ressort, et regardant le canapé avec horreur.

Oh !... oh !... oh !... Et la pendule... et les candélabres... et les lampes... et cette jardinière... et cet amour de petit bureau... Y a-t-il longtemps que j’avais envie d’en avoir un pareil !... et je n’osais pas dire que j’en avais envie... Et ce tapis... et ces rideaux...

En redescendant.

Les pincettes !... les pincettes !... Est-ce qu’il ne va pas venir le moment des pincettes ?...

Bruit d’une porte-cochère qui se ferme.

Ah ! si... On vient de fermer la porte de la rue... quelqu’un monte ! Lui, sans doute...

Bruit de pas dans l’escalier.

Ah ! ah ! ah !

Elle prend les pincettes et attend près de la porte. Monsieur, qui vient de montrer une tête effarée, disparaît aussitôt. Madame lève les pincettes, le bruit de pas continue.

On ne s’arrête pas... c’est un locataire de la maison...

Reposant les pincettes sur le guéridon.

Monsieur se fait attendre. Bon ! il n’est pas dix heures, du reste... et c’est à dix heures seulement qu’il a l’habitude de venir, à ce que m’a dit la femme de chambre de mademoiselle Catarinette...

S’asseyant sur le canapé.

Car c’est par la femme de chambre de ma demoiselle Catarinette que j’ai tout appris. – Il y a deux heures, j’étais chez moi, en train d’examiner mes livres de dépense... mon mari venait de sortir... pour aller... à son bureau !!!... Coup de sonnette !... On m’annonce qu’une dame désire me parler. Une dame ? quelle dame ? – On ne sait pas... Une drôle de dame, voilà tout ce qu’on peut me dire... Et voyez ce que c’est que les pressentiments... je n’avais pas alors le moindre soupçon contre mon mari... ah ! Dieu !... j’étais à cent lieues de penser... – et cependant, au premier mot, j’ai senti là quelque chose qui me tortillait le cour, et j’ai dit tout de suite : Faites entrer cette dame. – Et elle est entrée... assez drôle en effet... ébouriffée, pas de gants, un chapeau planté tout de travers... et un accent !... Elle ne m’a pas laissé le temps de l’interroger...

Accent marseillais.

« Madame, m’a-t-elle dit, je suis la femme de chambre de mademoiselle Catarinette, et mademoiselle Catarinette est la maîtresse de votre mari ! » – À partir de ce moment, l’on voit la scène...

Moi, cherchant à me contenir : « Des preuves, mademoiselle !... Je pense que vous me donnerez des preuves ?... »

Elle, me tendant un papier pas bien propre sur lequel on avait écrit quelques mots au crayon : « Prenez cette adresse, » madame... Là, telle rue, tel numéro... dans une chambre qu’il a fait meubler... »

Moi : « Achevez... »

Elle : « Ce soir, à dix heures, votre mari y sera... Vous avez le temps d’y aller... Allez-y, vous le pincerez... »

Moi, me levant : « Avec cette femme ?... »

Elle : « Non, ce soir votre mari sera seul... ma maîtresse, lui a écrit deux lettres aujourd’hui... Dans la première, écrite à onze heures du matin, elle lui disait : « À ce soir... » Dans la seconde, écrite à deux heures de l’après-midi, elle lui disait : « Pas moyen ce soir... » J’ai moi-même porté la première lettre à votre mari... mais je ne lui ai pas porté la seconde... Elle est dans ma poche, la seconde... La voici... »

Elle me la donne, je la lis en me promenant avec agitation, et la scène reprend.

Moi, cherchant de plus en plus à me contenir : « C’est très bien, mademoiselle, et je vous remercie... »

Elle : « Et vous ne me demandez pas quel est le motif qui m’a décidée à vous rendre ce petit service ?... »

Moi, ne me contenant plus : « Ah ! ça, par exemple, ça m’est bien égal ! »

Elle : « Mais moi, je tiens à vous le dire... Vous pourriez croire que c’est des raisons d’intérêt... pas du tout. Je me venge de votre mari, parce qu’il a froissé mon amour-propre... »

Et là, elle entame une histoire, qui m’aurait fait bien rire dans un autre moment. Il paraît que M. Alfred avait donné à mademoiselle Catarinette une avant-scène pour la Princesse Georges... Une avant-scène magnifique... Toujours les économies, toujours pour rattraper cette année que les événements nous ont fait perdre... Mademoiselle Catarinette n’ayant pas ce soir-là d’amie à emmener, avait emmené sa femme de chambre. À dix heures... toujours à dix heures !... mon mari arrive... Il voit la femme de chambre, ça lui semble roide. Il se fâche, et il la prie de s’en aller. Elle s’en alla... mais elle était vexée... Elle jura, en s’en allant, qu’elle le rattraperait... Et c’était pour le rattraper qu’elle était venue tout me dire.

Se levant.

On comprend que je lui laissai à peine le temps d’achever son histoire... Je la renvoyai, et tout aussitôt je m’enveloppai dans une demi-douzaine de voiles, et je me fis conduire ici, à l’adresse indiquée, pour y attendre Monsieur !

S’asseyant sur le bras du fauteuil.

Dix heures un quart... il n’arrive pas. Je sais bien qu’il ne peut pas ne pas venir, puisqu’il a reçu la première lettre et qu’il n’a pas reçu la seconde...

Se levant.

Mais il n’arrive pas, et ça commence à me...

On entend la pluie. Regardant par la fenêtre.

C’est à cause de la pluie, sans doute... Il aura pas trouvé de voiture...

Monsieur se montre, allonge le bras vers la serrure et cherche à s’enfuir... Madame ferme brusquement et revient en scène. Épouvanté, Monsieur se rejette derrière les rideaux.

Et pendant que ces messieurs courent après des femmes qui se moquent d’eux et qui les trompent..., car elle te trompe, imbécile !...

Monsieur, qui avait encore montré sa tête, se cache vivement.

Oui, elle le trompe... « Pas moyen ce soir. » Pendant que ces messieurs se font duper, berner par de pareilles coquines, nous restons vertueuses, nous !... Nous résistons !... Nous sommes assez bêtes pour... Je sais bien que ce n’est pas à cause d’eux le plus souvent... que c’est à cause de nous... Mais, enfin !... nous résistons... et nous y avons parfois quelque mérite. Ainsi, moi, avec Édouard...

Monsieur passe sa tête.

J’ai résisté !... je résiste... Et pourtant il n’a pas vingt-deux ans encore...

Monsieur disparaît.

Et il est beau... mais beau !... Vous ne pouvez pas vous imaginer comme il est beau... On dit que la beauté, chez les hommes, ça n’a pas d’importance. Ce sont les hommes qui disent cela... Nous autres, femmes, nous laissons dire... mais nous réservons notre opinion... Il n’est pas précisément mon cousin... mais il est le cousin de mon mari... Ça revient au même !... Il est commis chez nous... C’est lui qui est chargé de la correspondance...

Par distraction, elle prend un bonbon dans la coupe, le porte à ses lèvres et le rejette aussitôt.

Et il a une drôle de façon de la faire, cette correspondance !... Dernièrement, je suis entrée dans la cabinet de mon mari... Mon mari n’y était pas, mais il y était, lui... Il était en train de travailler...

S’asseyant sur le pouf devant le guéridon.

Et, en travaillant, il faisait comme ceci, comme cela...

Elle fait le mouvement d’un poète qui compose.

Ça m’a étonnée, parce qu’enfin la correspondance, chez un commissionnaire en marchandises, ça n’est pas tellement... Je lui ai dit : « Édouard... » Je l’appelle Édouard... J’ai le droit de l’appeler Édouard... puisqu’il est le cousin de mon mari... « Édouard, qu’est-ce que vous faites donc là ?... » Il m’a répondu : « Madame... je fais la correspondance... »

Se levant.

Je me suis approchée... J’ai regardé par-dessus son épaule et j’ai lu :

« J’avais raillé l’amour, il a pris sa revanche. »

« Mais c’est un vers, cela ? – Oui, madame...– Vous faites des vers, Édouard ? – Oh ! non, madame... pas habituellement... Mais, comme aujourd’hui, il y avait quelque chose qui m’inspirait... » Et il me regardait, en disant cela ! « Ainsi, Édouard, vous avez raillé l’amour ? – Oui, » madame. Et il a pris sa revanche, l’amour ? – Oui, « madame... De la façon que vous pourriez voir, si vous aviez la bonté de lire. – Non, monsieur, non... certainement je ne lirai pas... Mais il ne faut pas que mon mari voie cela. Il trouverait que ce n’est pas là pour un commis une bonne manière d’employer son temps. » Là-dessus, je m’emparai des vers... et je sortis en les emportant...

Ils étaient très jolis... Je ne les avais pas bien compris tout de suite... Mais une fois que je les ai eu compris, je les ai trouvés charmants :

« J’avais raillé l’amour, il a pris sa revanche ; 

« Du tour qu’il m’a joué, le traitre rit encor... 
« Il écrivit un nom sur une page blanche, 
« Puis il perça la page avec un grand clou d’or. 

« À quoi sert tout cela ?... Le dieu tombe en enfance ! 
« Murmurais-je à part moi. Mais lui, d’un ton moqueur
« – Tu vas voir, me dit-il, un peu de patience... 
« Et paf ! il m’enfonça le clou d’or dans le cœur !

« Et là, depuis ce jour, ainsi qu’une étiquette,
« Je porte un nom que rien ne saurait arracher,
« Un nom charmant et doux... un nom, ô Juliette ! 
« Que vous trouverez bien, si vous voulez chercher... »

Je m’appelle Juliette !... Le lendemain, à la même heure, je suis retournée dans le cabinet de mon mari. Mon mari n’y était pas... Édouard y était. Je lui ai dit que j’avais déchiré ses vers sans les lire... Mais il a bien dû voir que je ne di sais pas la vérité, car, en lui parlant, je ne pouvais m’empêcher de le regarder, là, au cœur, comme pour voir si le clou d’or y était avec l’étiquette, et mon nom sur l’étiquette... Lui aussi, alors, m’a regardée en souriant... Mon Dieu ! qu’il était beau !... J’ai fermé les yeux, j’ai senti un petit frisson... Pour ne pas tomber, j’ai été forcée d’appuyer ma main sur son fauteuil. Sa main a touché la mienne... J’ai poussé un cri... Je me suis sauvée... Et jamais, plus jamais je ne suis retournée dans le cabinet de mon mari à l’heure où je savais que mon mari n’y était pas et qu’Édouard y était !... Ah ! mais que Dieu me pardonne !... Je crois que si, en ce moment, Édouard frappait à cette porte et s’il entrait... Oh !... heureusement, Édouard ne viendra pas, et mon mari... Mon mari, lui non plus ne vient pas !... Et il est dix heures et demie...

Elle recommence à se promener avec agitation autour de la chambre.

Ah çà, mais... ah çà, mais... on m’a fait lire autre fois le Voyage autour de ma chambre... Est-ce que je vais être obligée, pour passer le temps, de faire un voyage autour de...

Elle fait le tour de la chambre avec agitation. Monsieur montre sa tête. Madame apercevant le placard.

Un placard...

Elle l’ouvre.

Voyons !... Hein ? qu’est-ce que c’est que cela ?

Elle prend un petit veston d’appartement pour homme.

Oh !... Et ça ?...

Elle prend une robe de chambre de femme. Monsieur se cache.

Lui et elle !... Elle et lui !... Je les tiens tous les deux !... Ah ! ah ! ah !...

Elle arrive sur le devant de la scène en secouant les deux vêtements.

Eh bien ! ma conscience, vous voilà juge, comme vous vouliez l’être... et les deux coupables sont dans mes mains !

À la robe de chambre de femme qu’elle tient de la main gauche.

Quant à vous, mademoiselle... je n’ai aucun reproche à vous adresser !... Vous faites votre métier... Vous me permettrez seulement de vous dire que votre métier est le métier d’une coquine !... Je n’ajouterai pas un mot... ce n’est pas à vous, mais à mon mari que j’ai affaire !

Au veston d’homme.

Oui, monsieur, c’est à vous... Et nous verrons un peu ce que vous aurez à répondre !... Pourquoi me trompez-vous ? hein ?... Est-ce que je ne suis pas avec vous plus gentille que vous ne le méritez ? Est-ce que je ne suis pas douce et bonne... et patiente ?... Brigand, va !... Est-ce que je ne vous soigne pas quand vous êtes malade ?... Est-ce que vous n’êtes pas choyé, dorloté ?... Est-ce que je ne sais pas être drôle, quand il le faut ?... Plus drôle cent fois que celle mijaurée avec ses fanfreluches !... Oui, plus drôle !...

À la robe de chambre de femme.

Hein ? quoi ?... qu’est-ce que c’est ?... Encore une fois, je ne vous parle pas, mademoiselle !... Je parle à mon mari.

Au veston d’homme.

Eh bien ! voyons, que pouvez-vous dire ?... Quelles raisons avez-vous à donner ?... Quelle excuse ?... Hein ?... quoi ?... quoi ?... quoi ?... L’impétuosité de vos passions ?...

Avec l’air d’une profonde commisération.

Ah ! monsieur, dites cela... dites cela à d’autres, mais pas à moi !... Eh quoi, encore ?... Vous l’aimez ?... Ah ! tu l’aimes !... Eh bien ! aime-la !... sacripant !... Aime-la, ta drôlesse !...

Roulant violemment ensemble les deux vêtements et les jetant en paquet sur le canapé.

Aime-la ! Embrasse-la !... Et donne-t-en avec elle autant qu’il te plaira !... Oh ! les misérables !... les misérables !...

Elle se laisse tomber sur le fauteuil, le mouvement fait reculer le fauteuil, et elle aperçoit sous la table de petites pantoufles de femme.

Qu’est-ce que c’est que cela ?... Les pantoufles de la drôlesse !

D’un air triomphant, après en avoir essayé une.

Ah !... je les mets par-dessus mes bottines !...

Au moment où madame est tombée sur le fauteuil, les rideaux de l’alcôve se sont entr’ouverts, et la tête effarée de monsieur s’est montrée ; puis lentement, sur la pointe des pieds, il se dirige vers la porte, cherchant à s’esquiver, pendant que madame essaye es pantoufles. Il touche déjà le bouton de la porte, quand un violent coup de sonnette se fait entendre. Il se rejette aussitôt derrière les rideaux du lit. Madame envoie vivement, d’un coup de talon, la pantoufle à l’autre bout de la chambre, se lève et s’écrie.

Oh ! cette fois, c’est lui !

Elle saisit les pincettes et va ouvrir, en se tenant cachée derrière la porte. Entre un voisin. Madame fait sauter en l’air son chapeau d’un coup de pincettes.

 

 

Scène III

 

MADAME, LE VOISIN

 

MADAME.

Tiens, brigand !... Tiens ! tiens...

LE VOISIN, abasourdi.

Madame !... Hé ! la ! madame !...

MADAME, stupéfaite.

Ce n’est pas lui !

LE VOISIN.

Oh ! madame !...

MADAME.

Monsieur, je vous demande pardon !... Si j’avais su...

LE VOISIN, balbutiant.

Je crois, madame, que je me suis trompé d’étage...

Il ramasse son chapeau.

MADAME, toute confuse.

Monsieur... je suis désolée !...

LE VOISIN.

Pas du tout, madame !... pas du tout !... C’est ma faute !... Je n’aurais pas dû me tromper d’étage.

Remontant.

Votre serviteur, madame.

MADAME.

Votre servante, monsieur !

LE VOISIN.

Je suis désolé, madame, de vous avoir dérangée... Je n’aurais pas dû me tromper d’étage.

Il remonte en saluant très respectueusement, et sort en retapant de la main son chapeau tout bossué.

 

 

Scène IV

 

MADAME, seule

 

Il a un bon caractère... C’est égal, ça n’a soulagée ! Ce pauvre monsieur !... Je suis fâchée pour lui... mais ça n’a soulagée, positivement !...

Elle se trouve alors près de la table servie, verse un peu de vin dans un verre et boit. Après avoir bu, regardant la table.

Je comprends maintenant pourquoi, à dîner, il disait qu’il n’avait pas faim. Et moi qui m’inquiétais... Ah ! si j’avais su...

Elle soulève machinalement la serviette et aperçoit l’écrin, qu’elle ouvre.

Oh ! oh !... Qu’est-ce que c’est que ça ?... Un bracelet !... Un bracelet magnifique !... Ma foi, je ne sais pas si je dois rire ou me fâcher !... Ce qui est sûr, c’est que mademoiselle Catarinette s’en passera.

Elle met le bracelet à son bras. Monsieur regarde cela avec stupeur.

Et ces papiers... La facture !... Quatre mille deux cents francs... Toujours les économies !... L’année qu’il faut rattraper... Moi, j’ai rattrapé le bracelet ! C’est toujours ça... Et cet autre papier...

Ouvrant le papier.

Des vers !... Comment ! Mon mari aussi... Ça doit être joli ! Ah ! par exemple ! je ne me serais jamais doutée... Voyons.

Lisant.

« J’avais blagué l’amour, il a pris sa revanche ; »

Ah çà... mais je connais ça...

« J’avais blagué l’amour, il a pris sa revanche ; 
« Du truc qu’il a trouvé, le farceur rit encor... »

Ce sont mes vers !...

« J’avais raillé l’amour... »

On a mis blagué au lieu de raillé...

« Du tour qu’il m’a joué le traître rit encor... »

On a mis :

« Du truc qu’il a trouvé... »

Et plus loin :

« Un nom charmant et doux, un nom : Catarinette.
« Que tu trouverais bien... »

C’est bien cela... Catarinette, au lieu de :

« Ô Juliette !... »

Ce sont mes vers !... Édouard les a prêtés à mon mari, après les avoir transposés en style de cocotte !...

Froissant et jetant le papier.

Oh ! les hommes !... les hommes... Si j’en tenais un... mon mari... Édouard... ça m’est bien égal...

Soulevant une chaise.

Si seulement le monsieur de tout à l’heure pouvait revenir !...

Regardant à la pendule.

Onze heures... et il ne vient pas... Et il pleut toujours !... Je ne peux pourtant pas rester là, toute la nuit...

Elle reprend son châle.

Si je descends dire à la portière qu’il me faut une voiture, j’aurai un air bête...

Bruit de voiture.

Une voiture !... Elle s’arrête !...

Elle jette son châle sur le fauteuil.

Il aura fini par en trouver une... Enfin !...

Elle court ouvrir la fenêtre. On entend la pluie.

C’est cela... Elle s’arrête !... Mais elle s’arrête de l’autre côté de la rue...

Léger éternuement derrière les rideaux.

Hein !... Il me semblait avoir entendu...

Regardant à la fenêtre.

Je me suis trompée... ce n’est pas mon mari... C’est une forte dame !... Elle descend... elle paye le cocher...

Criant.

Hé ! cocher !... Vous êtes libre ?... Oui ?... Eh bien ! venez vous ranger là !... Je vous prends à l’heure !...

Nouvel éternuement plus violent. Quittant la fenêtre.

Mais non... je ne me trompe pas... on a éternué...

Deux ou trois éternuements violents. Elle court aux rideaux du lit, les ouvre et aperçoit son mari assis sur le lit.

Ah ! ah ! ah ! Vous étiez là !...

 

 

Scène V

 

MADAME, MONSIEUR

 

MADAME.

Venez un peu !... Venez !...

Monsieur descend lentement, tremblant, éperdu

Vous étiez arrivé avant moi, il paraît...

Le mari incline la tête.

Alors, vous savez ce qui vous attend... hein ?...

Elle fait un mouvement vers les pincettes, qu’elle prend. Le mari tend le dos.

N’ayez pas peur !...

Reposant les pincettes.

ça, c’est déjà fait !... Heureusement pour vous, il s’est trouvé là un monsieur !...

Elle remet son chapeau et son châle.

Nous allons rentrer à la maison.

Le mari incline la tête.

J’ai une voiture !... Nous allons rentrer chez nous !...

Elle donne à son mari son chapeau.

Nous serons plus tranquilles chez nous pour nous expliquer... Ah !... j’ai à vous remercier pour ce bracelet !... C’est une attention... Passez devant...

Le mari traverse la chambre d’un air piteux. Elle fait un mouvement pour se jeter sur lui.

Ah !...

Le mari fait un bond et va tout épouvanté se coller contre la muraille. Regardant autour d’elle.

Non... attendez !...

Le mari s’arrête.

Je serais vraiment trop bête de laisser ici...

Lui mettant la jardinière sous le bras.

Prenez ça sous votre bras !... Prenez !... Et puis ça, de l’autre main...

Elle lui donne deux chaises.

Et puis ça, et puis ça, et puis ça !...

Pour finir elle lui donne les pincettes.

Quant à moi...

Elle prend divers objets.

Et nous reviendrons, mon ami... nous reviendrons chercher le reste... À la maison, maintenant !...

Ils sont tous les deux chargés de meubles et de bibelots.

Comme ça, au moins, quand nous passerons devant la portière, ce n’est pas moi qui aurai l’air bête !... À la maison !...

Pendant que le rideau baisse, Monsieur se heurte à la porte et laisse tomber tout ce qu’il portait. Madame se précipite, l’aide à ramasser les meubles. Tableau.

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