L’Original de Pourceaugnac (Théophile Marion DUMERSAN)
Comédie en un acte, mêlée de vaudevilles.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Vaudeville, le 22 février 1816.
Personnages
MOLIÈRE
CHAPELLE
SOTIGNAC, gentilhomme limousin
LAFORÊT, servante de Molière
CHAMPAGNE, valet ingénu de Molière
PURGON, médecin
DIAFOIRUS, médecin
FLEURANT, apothicaire
DEUX MÉDECINS
PLUSIEURS APOTHICAIRES
La Scène est à Paris, dans l’Appartement de Molière, attenant le Théâtre de la rue Guénégaud.
Le théâtre représente un salon meublé ; à l’endroit où est ordinairement la porte du fond, doit être une croisée, qui est celle du cabinet de Molière. Aux premières coulisses, de droite et de gauche, deux portes au-dessus desquelles sont des croisées, par lesquelles Pourceaugnac et les apothicaires passent dans le moment de la course. Sur le devant, une table et un grand fauteuil.
Scène première
CHAMPAGNE
V’là ses rôles rangés, son cabinet bien en ordre. M. Molière pourra rentrer quand il voudra, je ne crains pas qu’il gronde. C’est qu’il est si vif, si colère ! Eh bien ! malgré cela, c’est encore un bonhomme.
Air : Quand on ne dort pas de la nuit. (de Lisbeth.)
L’aut’ jour Monsieur Molièr me dit
D’mettr’ sa perruque en papillottes,
V’là que j’déchire un manuscrit.
Mon dieu, mon dieu ! quel train qu’il m’fit
Pour queuq’vers ou ben pour quenq’notes !
D’abord il m’donne un bon soufflet,
Puis un louis d’or ! la chose est claire ;
S’il paye ainsi tout l’mal qu’il fait :
J’suis payé pour aimer qu’il s’mette en colère.
Scène II
CHAMPAGNE, LAFORÊT
LAFORÊT.
Champagne, mon maître est-il rentré ?
CHAMPAGNE.
Pas encore, mamzelle Laforêt.
LAFORÊT.
Tout est-il à sa place ?
CHAMPAGNE.
Voyez, j’aurais fait le double de mon ouvrage.
LAFORÊT.
Le beau Champagne est toujours prompt à se vanter.
CHAMPAGNE.
Et à tenir parole. Ah ! si vous vouliez, mamzelle Laforêt !
LAFORÊT.
La, la, tout doucement. Ne vous échauffez pas tant, beau valet de carreau.
CHAMPAGNE.
Valet de carreau !
Air : Vaudeville de l’écu de six francs.
Le compliment qu’ici j’adresse
À la charmante Laforêt,
Inspiré par la politesse,
N’obtient pas c’qu’il mériterait.
Du froid respect si je m’écarte,
Lorsque je vois votre œil si beau,
Je prouve, en valet de carreau,
Que je n’ai pas perdu la carte.
LAFORÊT.
C’est bon, c’est bon, nous avons ben autre chose à faire que l’amour.
CHAMPAGNE.
Puisque mon ouvrage est fait.
LAFORÊT.
Oui, comme à l’ordinaire, vous avez sans doute porté le rôle nouveau chez M. Ducroizy ?
CHAMPAGNE, se fouillant.
Ah mon dieu ! le voilà.
LAFORÊT.
Fort bien. Et avez-vous porté chez M. Lathorillière le rôle de Lucas qu’il doit jouer dans le Festin de Pierre ?
CHAMPAGNE.
Ah ! il est resté dans ma chambre.
LAFORÊT.
Bon moyen pour qu’il le sache. Les habits de M. Molière sont-ils prêts ? le costume qu’il doit mettre ce soir...
CHAMPAGNE.
Je n’ai pus qu’ son chapeau de Sganarelle à brosser.
Il le prend et le nettoie.
LAFORÊT.
Pauvre Champagne, vous n’avez guère de tête. Mon maître va donner ses Fâcheux ; il y met un valet maladroit, je veux que vous lui serviez de modèle.
CHAMPAGNE.
Ah ! par exemple, pour maladroit... Voilà son chapeau propre maintenant.
Il le laisse tomber.
Aye !...
LAFORÊT.
Bon ! je n’oublierai pas ce trait là.
CHAMPAGNE.
Mamzelle Laforêt, vous me ferez chasser.
LAFORÊT.
Y pensez-vous ? vous chasser pour une maladresse !
Air : Tour-à-tour il chante Doris. (De Gessner.)
C’bon maître, quand chacun l’chérit
Croyez bien qu’on lui rend justice ;
La raison guide son esprit,
Son cœur est l’ennemi du vice.
Chez lui chacun peut prend leçon,
Et sa servante a l’droit peut-être,
D’assurer qu’en plus d’un’ façon,
Molière est un excellent maître.
CHAMPAGNE.
C’est bien vrai. Je cours réparer mes sottises.
Il sort en emportant les habits.
Scène III
LAFORÊT, seule
Et moi, je vais retrouver madame Molière, elle m’a dit qu’elle avait quelque chose à me confier. Je devine ben ce que c’est : les soupçons de son mari la tourmentent. Il n’est pas heureux, ce cher homme... et pourquoi ?... Il a tout ce qu’il faut pour l’être. Les gens d’esprit sont quelquefois bêtes !... Avoir une jolie femme, la faveur du Roi, et être malheureux !... Ce que c’est que la jalousie pourtant !... Et not’ maître qui s’mocquait si ben des autres !
Air des dettes.
Qu’un jaloux, triste et furieux,
S’consume et sèche à tons les yeux ;
Voilà la tragédie ;
Mais qu’voulant en fair’ le portrait,
Lui-même il s’peigne trait pour trait ;
Voilà la comédie.
Ah ! le voici. Qu’il a l’air triste !... Qu’est-ce qui croirait qu’ c’est là celui qui fait rire tout l’monde ?
Scène IV
LAFORÊT, MOLIÈRE
MOLIÈRE, un papier déchiré à la main.
Quelque sens que je veuille lui donner, cette moitié de lettre que le hasard m’a fait trouver, ne doit plus me laisser de doute, et je crois... Relisons-la encore, cependant.
LAFORÊT.
Mon cher maître, quelque nouvelle intrigue vous occupe.
MOLIÈRE.
Cette intrigue occupe ma femme plus que moi.
LAFORÊT.
Comment donc, not’ maître ?
MOLIÈRE.
Ce billet fait assez connaître sa main et son cœur. Écoute, ma bonne Laforêt, tu as toute ma confiance, et tu la mérites. C’est une moitié de lettre que je viens de trouver. Ah ! que ne donnerais-je pas pour avoir l’autre moitié !
Il lit.
« Je chéris tendrement...
Qui ?...
« Trouble les plus beaux jours...
C’est moi.
« Son amour, ses désirs...
De qui ?...
« Mais il m’est odieux...
C’est moi,
« Ôtez donc à vos feux ce...
Ce malheureux obstacle !
« Méritez les regards que...
C’est clair, je crois.
« Et lorsque l’on voudrait...
Lorsque l’on voudrait...
« Ne vous obstinez point à...
À quoi !... Mon sort est éclairci, je n’ai pas besoin de l’autre moitié pour voir que je suis...
LAFORÊT.
Le pauvre homme ! Eh ! monsieur...
Air : Lise épouse l’beau Gernance.
Vous avez un’ femm’ jolie,
Vous l’aimez à la folie,
Vous craignez qu’un doux retour,
Ne soit pas l’prix d’votre amour.
Soyez aimable, et je pense
Qu’toujours on vous aimera,
Il semble qu’ces maris d’France,
N’connaissiont pas ce s’cret là.
MOLIÈRE.
Le secret d’être aimable, ne l’a pas qui veut.
LAFORÊT.
Mais on fait ce qu’on peut pour l’être.
MOLIÈRE.
Et le moyen quand ma femme cherche à plaire à tout le monde ? Elle est sans cesse entourée de nouveaux adorateurs. Qui lui donnait la main hier soir quand elle est rentrée ?
LAFORÊT.
Si celui là lui donnait de l’amour ! Figurez-vous un gros Limousin doré sur tranche, emplumé comme un paon, qui rit à chaque mot qu’il dit, et rit aussi bêtement qu’il parle.
MOLIÈRE.
Ah ! ah ! je cherchais pour ma pièce nouvelle un sot que l’on put jouer. Celui-là m’a l’air de se présenter à propos.
Air : Voulant par ses œuvres complètes. (Voltaire chez Ninon.)
Saurais-tu comment il s’appelle ?
LAFORÊT.
Oui : c’est monsieur de Solignac.
MOLIÈRE.
À la terminaison, fidèle,
J’en pourrai faire Pourceaugnac.
Je crois que dans ma comédie,
Il ne figurera pas mal.
LAFORÊT.
Ah ! c’est un fer original !
MOLIÈRE.
Eh bien j’en tirerai copie.
Je le ferai arriver tout droit de Limoges... Eh parbleu ! je voudrais le voir.
LAFORÊT.
Oh ! vous le verrez. Il a promis de revenir, et il n’y manquera pas : je me charge de vous l’adresser, moi.
Chapelle chante en dehors.
Ah ! ah ! l’on chante. C’est M. Chapelle. Je vous laissons avec lui.
À part.
Courons trouver madame.
Scène V
MOLIÈRE, CHAPELLE
CHAPELLE.
Air : Pour se bien divertir. (Pauvre diable.)
Je ne prends de leçons
Que celles d’Épicure,
C’est la seule nature
Qui dicte mes chansons.
Quand la raison sévère
Me dit de m’attrister,
Je fuis son joug austère,
Et j’aime mieux chanter :
L’Amour, Vénus,
La Folie et Bacchus,
Ce sont les dieux
Que j’adore en tous lieux,
Toujours par eux
Je suis heureux.
Je ne prends de leçons, etc.
MOLIÈRE.
Toujours gai.
CHAPELLE.
Toujours triste.
MOLIÈRE.
Tu te livres à la folie.
CHAPELLE.
La philosophie te consume.
MOLIÈRE.
Il est beau de corriger les hommes.
CHAPELLE.
J’aime bien mieux rire de leurs travers.
Air : Un jeune voyageur. (Vaudeville du pèlerin et le Roi.)
Du dieu Momus, enfant gâté,
Moi, sur la route de la vie,
J’ai pour guide la volupté,
Et pour compagne la folie.
Je m’égare avec le plaisir,
Et, quand lassé, je me repose
Sur le chemin, pour l’embellir,
Quelquefois j’effeuille une rose.
MOLIÈRE.
Heureux fou !
CHAPELLE.
Malheureux sage, quand tu sécheras pour faire des merveilles, crois-tu corriger les hommes, pour prix de tes leçons ? Non, mon ami, nous verrons toujours ici bas des avares, des fâcheux, des Trissotins, d’heureux Tartuffes...
MOLIÈRE.
Et pour couronner l’œuvre, des médecins, n’est-il pas vrai ? Mais si je ne corrige pas les hommes, j’aurai du moins fait mon devoir en combattant leurs vices, et en peignant leurs ridicules.
CHAPELLE.
Et la plume de Molière aura fait les délices du public.
MOLIÈRE.
Épargne-moi. Les éloges de l’amitié sont toujours suspects.
Air : N’imitez pas l’amant vulgaire. (Fanchon.)
N’imitons, ni le sot vulgaire,
Ni la tourbe des beaux esprits ;
Quine trouve le droit de plaire,
Et le talent qu’à ses amis.
Celui qui peint le ridicule,
Pour lui surtout doit l’éviter ;
En donnant des coups de férule,
Il ne faut pas en mériter.
CHAPELLE.
Toujours-mon maître ! mais au nom des muses, au nom de l’amitié, songe à vivre ; tu travailles trop, et tu détruis ta santé.
MOLIÈRE.
J’en réchapperai, je n’ai pas de médecin.
CHAPELLE.
Tu as tort.
MOLIÈRE.
Est-ce que tu crois à la médecine ?
CHAPELLE.
Non ; mais je m’en sers.
MOLIÈRE.
Oui, tu as un médecin comme beaucoup de dévotes ont un directeur.
CHAPELLE.
Je veux t’envoyer le mien, il te convertira.
Air : Ah ! voilà la vie.
Quelle extravagance !
C’est, prêt à mourir,
Mon cher, que l’on pense
À se convertir ;
Tant mieux si j’oublie
L’heure du trépas.
Je tiens à la vie...
C’est la ma manie ;
Je tiens à la vie
Ne me convertis pas.
CHAPELLE.
Ah ! je veux te faire faire connaissance avec monsieur Purgon.
MOLIÈRE, tirant ses tablettes.
Le nom est excellent. Il faut que j’en prenne note.
CHAPELLE.
Tu vois que l’on ne dépérit pas entre ses mains.
MOLIÈRE.
Il faut te l’avouer, mon ami, ce n’est pas le travail qui me tue ; un mal secret me mine et me dévore, la conduite de ma femme, sa coquetterie...
CHAPELLE.
Toi, jaloux ! Ah ! Molière, toi qui peignis Sganarelle et Georges Dandin, qui fis si bien rire à leurs dépens.
MOLIÈRE.
J’ai fait mon portrait, et j’ai fait rire de moi-même.
CHAPELLE.
Ta femme est belle ; mais elle est sage.
MOLIÈRE.
Et si je te prouvais que j’ai mille sujets de craintes. Va, je voudrais te voir à ma place.
CHAPELLE.
Auprès de ta femme ?... Je n’en serais parbleu pas fâché.
MOLIÈRE.
Air : Des maris ont tort.
Mais si ta femme un peu légère
Faisait craindre pour tes amours,
Un malheur assez ordinaire
Aux mariages de nos jours.
CHAPELLE.
Si le voisin, avec ma femme,
Me faisait... quelque tour malin,
Tragiquement.
Je me vengerais de sa flamme
Riant.
Avec la femme du voisin.
MOLIÈRE.
Mais, mon ami, le voisin n’a pas de femme.
CHAPELLE.
Mais les autres en ont, voltige comme moi ; fais des vers, bois, chante, c’est ma morale en quatre points.
MOLIÈRE.
Tu ne me crois pas, el bien !
Air : Vers le temple de l’hymen. (Amour et mystère.)
Mon ami lis ce billet,
Qui, tracé parelle-même,
S’adresse à l’objet qu’elle aime,
Et vient trahir son secret.
CHAPELLE.
Ami, je connais ta femme,
D’oser soupçonner son âme,
Avec raison je te blâme,
Tes pressentiments sont vains.
MOLIÈRE.
Lis donc ce billet bien vite.
CHAPELLE.
J’y trouve des mots sans suite...
MOLIÈRE.
C’est la suite que je crains.
CHAPELLE.
Tu me fais rire.
MOLIÈRE.
Ris donc, tu n’es pas marié, toi !
CHAPELLE.
Si j’avais un moment d’entretien avec madame Molière je voudrais te montrer comment on ramène une femme à son devoir, je te dirais si la tienne est fidele ; j’eus toujours du pouvoir sur les femmes.
MOLIÈRE.
Quoi ! tu pourrais...
CHAPELLE.
Laisse-moi faire, voilà l’heure du spectacle, va t’habiller pour la comédie. Je me chargé, moi, de lui faire un sermon qui la corrigera, je t’en réponds.
Scène VI
MOLIÈRE, CHAPELLE, LAFORÊT, au fond
CHAPELLE.
Air : Un homme dont l’âme est commune. (Gargantua.)
Désormais plus de jalousie,
Que tout chagrin soit oublié,
Et tu pourras passer ta vie
Entre l’amour et l’amitié.
MOLIÈRE.
Tu portes le calme en mon âme,
Ami, je m’en rapporte à toi.
CHAPELLE.
Le plus rusé près de ta femme,
N’est pas plus à craindre que moi.
Ensemble.
LAFORÊT, à part.
Pour oublier sa jalousie,
Mon pauvre maître est bien conseillé,
Il doit craindre, je le parie,
Autant l’amour que l’amitié.
MOLIÈRE et CHAPELLE.
Désormais plus de jalousie,
Que tout chagrin soit oublié,
Et tu pourras passer ta vie.
Et je pourrai passer ma vie.
Entre l’amour et l’amitié.
Molière et Chapelle sortent.
Scène VII
LAFORÊT, seule
V’là monsieur Chapelle qui veut convertir not’ maîtresse. Empêcher une jolie femme d’être coquette, c’est difficile.
Air : Du Savetier et le Financier.
Ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ha !
Ces philosoph’ là,
Qui vant’ sans cesse
Leux sagesse,
Ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ha !
Ces philosoph’là
Un enfant leur en r’montrera.
Molière qui n’est pas bête,
Au mariag’ trouv’ des, attraits,
Le pauvr’ homm’ huit jours après
En a par dessus la tête,
Ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ha !
Qu’est-ce qu’aurait dit ça,
Ils vant’ sans cesse
Leur sagesse,
Ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ha !
Ces philosophes là,
Un enfant leur en r’montrera.
Boileau rencontre Chapelle,
L’convertir est son dessein,
En prêchant contre le vin,
Tous deux s’énivrent d’ plus belle.
Ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ha !
Qu’est-ce qu’aurait dit ça ;
Ils vant sans cesse
Leux sagesse,
Ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ha !
Ces philosophes là.
Un enfant leur en r’montrera.
Scène VIII
LAFORÊT, CHAMPAGNE
CHAMPAGNE.
Dites donc, mamselle Laforêt.
LAFORÊT.
Eh bien !
CHAMPAGNE.
Il est là.
LAFORÊT.
Qui ?
CHAMPAGNE.
Ce monsieur, vous savez bien qui suit toujours not’ maîtresse à la comédie.
LAFORÊT.
Après.
CHAMPAGNE.
C’est qu’il veut entrer.
LAFORÊT.
Que lui as-tu dit ?
CHAMPAGNE.
Que madame n’était pas ici, et que je la croyais au théâtre.
LAFORÊT.
Tu te trompes, madame est dans son appartement, on le recevra ; mais il n’est pas encore temps.
CHAMPAGNE.
Madame ne joue-t-elle pas, ce soir ?
LAFORÊT.
Du tout, madame se fait doubler, d’ailleurs, tiens, v’là mon maître, dis-lui ça.
Scène IX
LAFORÊT, CHAMPAGNE, MOLIÈRE, en habit de Sganarelle
MOLIÈRE.
Qu’y a-t-il, mes enfants ?
CHAMPAGNE.
Rien, monsieur.
À Laforêt.
Je n’oserai jamais lui dire ça.
MOLIÈRE.
Quoi ! du mystère ?
CHAMPAGNE.
Monsieur, c’est que...
MOLIÈRE.
Achève, tu m’impatientes !
CHAMPAGNE.
Air : Du Printemps.
Puisque monsieur me le commande,
C’est de madame qu’il s’agit,
Un monsieur là-bas la demande.
MOLIÈRE, à Laforêt.
Eh bien ! conçois-tu mon dépit !
LAFORÊT.
Mon cher maître, de Sganarelle
Ne portez-vous pas les habits ?
J’vois qu’ c’est une scène nouvelle
Pour votre École des Maris.
Scène X
MOLIÈRE, CHAMPAGNE
MOLIÈRE.
Eh ! parbleu ! serait-ce notre Limousin ? Son nom ?
CHAMPAGNE.
Attendez ; c’est Monsieur de Sotignac.
MOLIÈRE.
C’est lui-même ! Champagne, il faut le faire entrer, et tu lui diras de s’adresser au valet de Madame.
CHAMPAGNE.
Au valet de Madame ; mais...
MOLIÈRE, à part.
Air : Guillot a des yeux complaisants.
Parbleu, de cet habit ici,
Il faut que je profite,
De Sotignac, je vais ainsi
Recevoir la visite.
CHAMPAGNE.
Mais ce valet...
MOLIÈRE.
C’est moi.
CHAMPAGNE.
Vraiment !
Vous riez !...
MOLIÈRE.
Sur mon âme,
Un mari n’est que trop souvent
Le valet de sa femme.
Scène XI
MOLIÈRE, CHAMPAGNE, SOTIGNAC
CHAMPAGNE.
Entrez, Monsieur, par ici.
SOTIGNAC.
Ah ! je savais bien que j’entrerais. Tiens, mon garçon, voilà pour boire à ma santé.
CHAMPAGNE, prenant.
J’appartiens à Monsieur, et voilà le valet de Madame ; un maître valet, je vous jure, et personne ne sait mieux que lui démêler une intrigue.
SOTIGNAC.
Oui dà. C’est bien, mon garçon ; mais en ce cas, rends moi l’argent.
CHAMPAGNE.
Rendre ? Me prenez-vous pour un valet de comédie ?
MOLIÈRE, bas à Champagne.
Va trouver Chapelle : il est au théâtre. Dis-lui de venir au plus vite, et préviens-le sur mon déguisement.
CHAMPAGNE.
J’y cours, Monsieur.
Scène XII
MOLIÈRE, SOTIGNAC
SOTIGNAC.
Eh bien ! puisque tu es le valet de Madame, puis-je entrer chez elle ?
MOLIÈRE.
Un moment. Est-ce un rendez-vous qu’elle vous a promis ?
SOTIGNAC.
Promis ou non, annonce-moi toujours.
MOLIÈRE.
On n’entre pas ainsi.
SOTIGNAC.
Bon, bon, j’entre partout, moi ; j’entre partout. Tu sembles en douter ? Que ce garçon là a l’air novice ! Écoute, mon ami.
Air : On culbute par compagnie.
Je sais que l’on a pour charmer,
Besoin de plus d’un stratagème,
Jupiter pour se faire aimer,
Et on se transforma lui-même.
Sans grâce, sans esprit, sans goût.
Avec l’or partout on se niche ;
Moi, je suis sûr d’entrer partout.
MOLIÈRE.
Je vois que vous êtes bien riche.
SOTIGNAC.
Assez comme ça... J’ai une des plus jolies fortunes du Limousin. Aussi j’ai voulu me faire voir à Paris et à la cour.
MOLIÈRE.
Vous y réussirez.
SOTIGNAC.
Mon tailleur me l’a dit. Tiens, comment trouves-tu cet habit là ?
MOLIÈRE.
Extraordinaire.
SOTIGNAC.
Tout le monde s’arrête pour le regarder, c’est mon habit de bonne fortune. Mais va donc prévenir madame Molière de ma visite ; et si je ne puis lui parler, tiens, remets-lui ce billet.
MOLIÈRE.
Il est en bonnes mains.
Scène XIII
MOLIÈRE, SOTIGNAC, CHAPELLE
CHAPELLE.
Molière est-il ici ?
MOLIÈRE, lui faisant signe.
Non, Monsieur.
CHAPELLE.
Non ? Eh bien ! j’entre chez Madame.
MOLIÈRE.
Elle n’est pas visible... Tenez, voilà monsieur qui vient aussi lui rendre visite.
CHAPELLE, s’asseyant.
Ah ! ah ! j’attendrai.
SOTIGNAC, à Molière.
Voilà un homme qui me déplait ; il est sans gêne.
MOLIÈRE.
C’est l’ami de la maison.
SOTIGNAC.
Il se nomme...
MOLIÈRE.
Monsieur Chapelle.
SOTIGNAC, se tournant vers Chapelle.
Quoi ! monsieur, c’est vous dont on parle dans tout le Limousin, pour un certain voyage à... à... en quel endroit... Ah ! c’est à Bachaumont.
CHAPELLE.
Précisément, à Bachaumont.
SOTIGNAC.
Vous le voyez, je sais tout, sans jamais avoir rien appris. Ce que c’est que d’être gentilhomme ! Quel plaisir j’aurais à vous conduire sur mes terres ! Pourquoi votre voyage ne vous a-t-il pas conduit dans le Limousin ?
CHAPELLE.
C’est donc un beau pays.
SOTIGNAC.
Superbe, et très abondant en pâturages.
CHAPELLE.
C’est heureux pour ses habitants.
SOTIGNAC.
Et toute la noblesse s’y divertit !...
Air : Vous m’ordonnez de la brûler.
Tout l’été, dans notre pays,
Nous avons grande chasse,
Nous y poursuivons la perdrix,
Le lièvre, la bécasse.
CHAPELLE.
Je suis sûr que vous êtes là.
SOTIGNAC.
Ce sont mes jours de fêtes.
CHAPELLE.
Votre pays, d’après cela,
Ne manque pas de bêtes.
SOTIGNAC.
Et la pêche, donc ; c’est un de mes grands plaisirs, et j’y suis de la première force.
MOLIÈRE.
Si M. Molière était ici, je suis sûr que le tableau des mœurs de votre pays lui servirait à égayer quelque pièce...
SOTIGNAC.
Ah ! bah ! ne me parlez pas de votre Molière ; il lui manque un certain je ne sais quoi.
CHAPELLE.
Je lui croyais de l’esprit.
SOTIGNAC.
Il en a si on veut... Je n’ai vu son Misanthrope qu’une fois : je m’y suis ennuyé. Mais, par exemple, son Fagotier m’a fait rire ; j’aime beaucoup les coups de bâton.
CHAPELLE.
En vérité ?
Air : Vaudeville de Jadis et Aujourd’hui.
Le sac où Scapin s’enveloppe,
Par Despréaux est critiqué ;
Mais de l’auteur du Misanthrope,
Le but ne sera pas manqué.
Oui, le satyrique a beau dire ;
Chacun son goût, d’après cela,
Les coups de bâton vous font rire,
Molière vous amusera.
SOTIGNAC.
Au surplus, je n’aime pas beaucoup la comédie moi, qu’est-ce que c’est ? Il vient là deux ou trois personnes qui causent de leurs affaires... Une fille qui veut se marier, un père qui gronde... On entre, on sort, on va, on vient, on rit, on pleure... Tout ça finit par s’arranger. On salue et puis bien le bon soir. Ma foi ! je ne vois pas trop à quoi sert la comédie.
CHAPELLE.
Ah ! profane, c’est chez Molière que vous blasphémez Thalie !
Air : Celui qui dit que deux beaux yeux. (Danse interrompue.)
De l’homme peindre les erreurs,
En riant corriger les mœurs,
Flatter ceux même que blessa
Thalie (bis.)
Chez Molière voilà
La comédie.
Dans ses vers joindre à la gaité,
La morale et la vérité,
Briser l’entrave qui gêna
Thalie (bis.)
Chez Molière voilà
La comédie.
Pour déguiser une leçon,
De fleurs embellir la raison,
Et puis couvrir de ces fleurs là
Thalie (bis.)
Chez Molière voilà
La comédie.
SOTIGNAC.
C’est fort bien ; mais le temps me presse.
À Molière.
Je vais entrer au spectacle ; tu viendras dans ma loge m’apporter la réponse à mon billet.
MOLIÈRE.
Air : Vaudeville de Voltaire chez Ninon.
Avec tous nos jeunes marquis
Que n’allez-vous sur le théâtre ?
De plus près un amant épris,
Veut voir celle qu’il idolâtre.
SOTIGNAC.
J’aime mieux être vis à vis,
Sans craindre qu’elle m’éblouisse,
Qu’au théâtre, où mes yeux ravis,
Ne pourraient la voir qu’en coulisse.
Il sort.
Scène XIV
MOLIÈRE, CHAPELLE
CHAPELLE.
Voilà un original qui se recommande à tes pinceaux.
MOLIÈRE.
Je ne l’oublierai pas, et je veux que les ris du public me vengent de ses ridicules prétentions. Conçois-tu qu’il me charge d’un billet pour ma femme ?
CHAPELLE.
Il faut le lire avant de le jeter au feu.
MOLIÈRE.
Point du tout. Je veux que Champagne le remette à ma femme, et qu’il m’apporte sa réponse.
CHAPELLE.
Je te verrai à la comédie.
MOLIÈRE.
Non ; ma femme se fait doubler : la Thorillière va jouer mon rôle. Je vais feindre d’aller au théâtre, et revenir dans non cabinet, d’où je pourrai, à mon aise, observer la coquette.
Il sort.
Scène XV
CHAPELLE, seul
Ah ! Molière, c’est trop fort. Il faut être aveugle pour penser qu’un original comme M. de Sotignac... Cependant les femmes sont si bizarres !... Ah ! parbleu ! il faut que je m’amuse !... Retenons le jaloux pour lui épargner un chagrin inutile, et ménageons à sa femme la facilite de recevoir le galant, pour avoir le plaisir de la surprendre moi-même... Croyant Molière malade, j’avais écrit à mon médecin de venir le voir... Ne le désabusons point... Mieux que cela, un médecin ne suffirait pas, il faut lui en envoyer une pacotille... Qui sait s’ils ne lui donneront pas quelque idée comique ?... Il m’a montré le plan du Malade imaginaire... Je lui rendrai peut-être service.
Scène XVI
CHAPELLE, MONSIEUR PURGON
CHAPELLE.
Ah ! vous voilà, M. Purgon.
PURGON.
Vous m’avez fait demander dans cette maison, et j’accours. Qu’avez-vous ? quel mal subit vous a saisi ?
Il lui prend le pouls.
Pouls agite, figure animée ; il y a mouvement fébrile. Nous allons commencer par saigner et purger, et nous verrons ensuite ce qu’il y aura à faire.
CHAPELLE.
Pardon, mon cher M. Purgon ; mais ce n’est pas pour moi que je vous ai fait demander : je ne suis point malade.
PURGON.
Ah ! ah ! que ne le disiez-vous donc ? À qui faut il donner mes soins ?
CHAPELLE.
À un de mes amis, le maître de cette maison.
PURGON.
Conduisez-moi sur le champ près de lui.
CHAPELLE.
Il faut que je vous prévienne d’une chose, c’est que c’est un malade qui ne croit point l’être.
PURGON.
Oh ! je le mettrai bientôt à la raison.
Air : Du Parlement. (Molière à Lyon.)
Qu’il soit chez moi huit jours et moins,
Il se croira mal, je vous jure ;
Et je donnerai tous mes soins
À lui rendre la chose sûre.
De son sort on est incertain ;
Il faut, mon cher, toujours d’avance
Faire venir le médecin ;
Et le mal vient sans qu’on y pense.
CHAPELLE.
Je conçois cela. Notre homme a encore une manie, c’est de se moquer de la médecine et des médecins.
PURGON.
S’il ne se moquait que de la médecine, passe !... mais des médecins !... je lui ferai voir que rien n’est moins plaisant que d’avoir affaire à nous.
CHAPELLE.
Au surplus, je m’intéresse à lui et je vous le recommande vivement. Je crois que son plus grand mal est dans le cerveau... et qu’il vous faudra employer des moyens...
PURGON.
Laissez-moi faire.
CHAPELLE.
Peut-être même voudra-t-il s’échapper de vos mains...
PURGON.
Oui... Je vais prendre mes précautions, amener avec moi les exécuteurs de mes ordonnances, munis de leurs instruments et médicaments. Nous le guérirons de force... je reviens dans peu d’instants.
Il sort.
Scène XVII
CHAPELLE, seul
Et d’un. Courons-en chercher autant que j’en pourrai rencontrer. Molière aux prises avec les médecins !... Ah ! parbleu ! nous verrons à qui restera la victoire. Il n’est pas homme à la leur céder.
Air : Il me faudra quitter l’Empire.
Il saura bien résister, je le jure,
À leurs remèdes destructeurs ;
Et la jeunesse, et la nature
Contre eux seront ses défenseurs ;
S’il peut voir, pour le sombre empire
Son médecin s’embarquer le premier
Notre comique aura raison de dire,
Ah ! rira bien qui rira le dernier.
Madame Molière vient de ce côté. Aux médecins, vite aux médecins !
Il sort.
Scène XVIII
LAFORÊT, vêtue comme madame Molière et voilée
Ils sont partis, je peux entrer.
Elle lève son voile.
Je suis-ti bien fagotée comme ça ?... Ce gentilhomme Limousin demande un rendez-vous à madame, je lui fais dire qu’elle veut bien le recevoir. Not’ maître fait doubler son rôle pour épier sa femme à son aise, et c’est moi qu’il trouvera tête à tête avec M. de Sotignac. Ils seront aussi attrapés l’un que l’autre.
Air : Colinette au bois s’en alla.
Le beau monsieur, arrive là,
En me saluant comme ça.
Trala deri dera (bis.)
J’y fais la révérence, moi,
D’un air qui vent dir’ je n’sais quoi !
Trala deri dera (bis.)
J’lui dis : monsieu, mettez-vous là.
Peut-être ben, d’après cela,
Qu’il voudra s’y mettre.
Traderira,
Deridera,
Monsieur viendra,
Et p’t-être
L’rossera ;
N’y a pas d’mal à ça
Mon cher maître, d’mal à ça.
J’entends quelqu’un, on vient. C’est le Limousin. À mon rôle.
Elle baisse son voile.
N’y a pas.
Scène XIX
LAFORÊT, voilée, SOTIGNAC
SOTIGNAC.
Ah ! madame, que je suis heureux de me trouver avec vous dans un tête à tête si agréable ! Car enfin, madame je vous aime... je vous aime... Le diable m’emporte, si je sais combien je vous aime !
LAFORÊT.
Monsieur, en vérité, vous avez bien de la bonté.
SOTIGNAC.
Vous êtes charmante !... Je vous assure que tout le Limousin ne possède pas une figure... une tournure... mais pourquoi donc garder ce voile qui me dérobe tant d’attraits ?
LAFORÊT.
Ah ! monsieur... et la pudeur donc !... C’est pour vous empêcher de voir que... que je rougis.
SOTIGNAC.
Ah mon dieu ! mais votre voix me semble bien changée.
LAFORÊT.
C’est la timidité... et un gros rhume.
Elle tousse.
SOTIGNAC.
Permettez-moi d’être votre médecin.
Air de la Cosarara.
Je vous aime à la rage.
LAFORÊT.
Oh ! point de badinage,
Monsieur, soyez plus sage.
SOTIGNAC.
Quel est donc ce langage !
Cette fierté de reine,
Vous convient à la scène ;
Mais ici, ma charmante...
LAFORÊT.
Je suis votre servante.
SOTIGNAC.
Ma servante.
LAFORÊT, à part.
J’perds la tête,
J’allais gâter l’secret.
Haut.
C’est qu’à jouer la soubrette
Je m’amuse en effet.
SOTIGNAC, à part.
Mon dieu, je perds la tête.
Je la fâche en effet.
Haut.
Si vous êtes soubrette,
Je suis votre valet.
Ensemble.
LAFORÊT.
Faisons bien la coquette.
SOTIGNAC.
Mon dieu je perds la tête.
Scène XX
LAFORÊT, SOTIGNAC, MOLIÈRE, au fond
Il a repris ses habits.
MOLIÈRE, à part.
Le galant avec la perfide !... Il est temps d’éclater.
Scène XXI
LAFORÊT, SOTIGNAC, MOLIÈRE, MOMSIEUR PURGON
Au moment où Sotignac se jette aux pieds de Laforêt, Purgon entre. Molière reste à la fenêtre et observe.
PURGON.
Arrêtez !
SOTIGNAC.
Oh ! mon dieu ! je suis pris.
PURGON.
Que faites-vous ?
LAFORÊT.
Monsieur, c’est... c’est mon mari.
Elle sort.
PURGON.
Parbleu ! je le crois bien. Et qui serait ce donc ?... dans cette posture... mais c’est égal.
Il le prend par le bras.
Air du vaudeville des deux Edmond.
Dans votre état de maladie,
Auprès d’une femme jolie...
Vous vous en approchez trop fort :
Vous avez tort. (bis.)
SOTIGNAC.
Il se moque de moi, je pense.
PURGON.
Croyez-en mon expérience ;
Si vous voulez fuir le trépas,
Ne vous enflammez pas. (bis.)
SOTICNAC.
Que venez-vous me chanter, monsieur, et qui êtes-vous ?
PURGON.
Médecin, à vous servir.
SOTIGNAC.
Eh ! monsieur, je n’ai que faire de médecin.
PURGON.
Je sais que vous ne vous croyez pas malade ; quais je sais moi, ce que j’ai à faire. Voyons votre pouls.
SOTIGNAC, à part.
Il ne prend pour Molière, si je le désabuse, je perds de réputation une femme charmante... laissons-le ordonner, quitte à ne point suivre ses ordonnances.
PURGON, à part.
Il parle seul, il est agité ; cet homme est plus mal qu’on ne pense.
Haut.
Monsieur, je vois qu’il y a dans votre état manie, mélancolie, hypocondrie, c’est à quoi il faut que je remédie.
SOTIGNAC.
Et moi, monsieur, je vous remercie ; mais vous reviendrez une autre fois, je n’ai pas le temps pour le moment.
Il veut sortir.
Scène XXII
LAFORÊT, SOTIGNAC, MOLIÈRE, MOMSIEUR PURGON, DIAFOIRUS
DIAFOIRUS.
Monsieur, pouvez-vous me dire quel est le malade au quel on m’envoie ?
SOTIGNAC.
Monsieur, ce n’est pas moi.
PURGON.
Si fait, confrère, c’est lui.
SOTIGNAC.
Non, vous dis-je.
DIAFOIRUS.
J’en crois monsieur plutôt que vous.
SOTIGNAC.
Mais...
DIAFOIRUS, le faisant asseoir.
Asseyez-vous là, nous allons faire une petite consultation pour savoir de quelle manière nous vous traiterons.
SOTIGNAC.
Où me suis-je fourré ?
PURGON.
Montrez-nous votre langue.
SOTIGNAC, leur faisant la grimace.
Allez au diable.
DIAFOIRUS.
Des injures !
SOTIGNAC.
Il en arrivera ce qu’il pourra, je veux m’en aller.
PURGON.
Rébellion !
SOTIGNAC.
Laissez-moi partir, vous vous trompez, je ne suis pas Molière.
PURGON et DIAFOIRUS.
Molière !
Scène XXIII
LAFORÊT, SOTIGNAC, MOLIÈRE, MOMSIEUR PURGON, DIAFOIRUS, DEUX MÉDECINS
MOLIÈRE, à part.
Qui diable envoie ici tous ces médecins.
PURGON.
Nous sommes ici chez Molière !
LES DEUX MÉDECINS, s’arrêtant à ce nom.
On ose nous envoyer chez Molière !
SOTIGNAC.
Et je me tue à vous dire que je ne le suis pas.
DIAFOIRUS.
Vous le niez en vain.
PURGON.
Quand je suis entré, il embrassait sa femme.
TOUS QUATRE.
Vous êtes Molière.
PURGON.
Nous tenons donc notre ennemi !
SOTIGNAC.
Je suis mort !
MOLIÈRE, au fond.
La méprise est excellente.
LES QUATRE MÉDECINS.
Air d’Armide.
Poursuivons jusqu’au trépas
L’ennemi qui nous outrage.
DIAFORUS.
C’est donc vous, mon petit bouffon, qui avez osé jouer la médecine ?
PURGON.
Plaisanter le corps respectable de la faculté ?
DIAFOIRUS.
Qui vous êtes permis de dire que vous vouliez mourir sans médecin ?
PURGON.
C’est ce que nous ne souffrirons pas.
Air : Courons de la brune, à la blonde.
Corbleu ! nous saurons défendre,
Contre vous nos droits sacrés.
SOTIGNAC.
Mais, messieurs, daignez entendre...
PURGON.
Non, non, vous y passerez.
Vous aiguisez la satire,
Contre nous en cent façons,
Vous osez parler, écrire,
Or nous nous vengerons !
Nous parlerons,
Écrirons,
Saignerons,
Baignerons,
Purgerons,
Droguerons
Phlébotomiserons
Et clystériserons :
Cela n’est pas pour rire.
SOTIGNAC.
Vous purgerez, saignerez et clystériserez qui vous voudrez ; mais ce ne sera pas moi.
PURGON.
C’est ce que nous allons voir. Holà ! M. Fleurant !
DIAFOIRUS, appelant.
Monsieur Clistorel !
LES DEUX AUTRES M ÉDECINS.
Messieurs les apothicaires !
Scène XXIV
LAFORÊT, SOTIGNAC, MOLIÈRE, MOMSIEUR PURGON, DIAFOIRUS, LES DEUX MÉDECINS, LES APOTHICAIRES, munis de seringues
Air des petits Savoyards.
PURGON et DIAFOIRUS.
Il faut qu’on le saisisse,
Il faut qu’on le punisse,
Il faut qu’on le guérisse,
Qu’on s’attache à ses pas.
SOTIGNAC.
Oh ! grand dieu quel supplice !
Je n’en reviendrai pas.
PURGON.
Il a commis, en vérité,
Crime de lèse-faculté.
LES APOTHICAIRES.
Messieurs, braquons
Tous nos canons.
En joue !...
SOTIGNAC.
Ils vont faire feu.
Morbleu ce n’est pas un jeu.
LES APOTHICAIRES.
Non, non ce n’est pas un jeu.
Ici Sotignac s’enfuit. Il est poursuivi par tous les apothicaires, et on exécute dans la salle la course comme dans Pourceaugnac de Molière. Tous les acteurs, excepté Laforêt, reviennent sur le théâtre au moment où Sotignac s’y retrouve. Il tombe sur un fauteuil ; on l’entoure.
SOTIGNAC.
Ah ! messieurs, de grâce dites-moi si je suis mort.
CHAPELLE.
Au contraire, monsieur, vous voilà immortel.
SOTIGNAC.
Comment cela ?
CHAPELLE.
Molière a tout vu, et me pardonne sans doute de lui avoir préparé une plaisanterie, que le hasard vous a adressée.
MOLIÈRE.
Comment ! c’était moi...
CHAPELLE.
Que j’avais voulu mettre aux prises avec les médecins.
LES MÉDECINS.
Comment donc ! monsieur n’est pas Molière...
À Sotignac.
Ah ! que de pardons !
MOLIÈRE.
Je vous remercie, messieurs, des nouvelles scènes que vous venez de me fournir.
LES MÉDECINS.
Nous sommes encore joués.
MOLIÈRE.
Eh ! messieurs, consolez-vous, vous ne l’êtes peut-être pas plus que moi... car ma femme...
Scène XXV
LES MÊMES, LAFORÊT, au fond
MOLIÈRE, la prenant pour sa femme.
Ô ciel ! la voilà... Elle ose reparaître !... Femme perfide !...
LAFORÊT, riant.
Pour qui donc me prenez-vous ?
CHAPELLE, la dévoilant.
C’est Laforêt !... Ah ! ah ! ah !... Bien noble objet d’une noble tendresse.
LAFORÊT, riant.
Ah ! ah ! ah ! Not’ maître, j’ons joué la comédie aussi, moi.
SOTIGNAC.
Une servante !... ah ! fi !
LAFORÊT.
Allez-vous en à Limoges, publier votre bonne fortune. SOTIGNAC.
Cela n’en restera pas là. Je prétends que cette affaire ait, des suites, et je m’en plaindrai au valet de madame.
MOLIÈRE.
C’est lui qui vous punirait, s’il n’était pas assez vengé par votre ridicule.
SOTIGNAC.
Eh ! mais, c’est vous, Diable de maison !... Les domestiques s’habillent en maîtres, les maîtres en domestiques... Oh ! je ne veux plus qu’on me prenne à la comédie.
CHAPELLE.
On vous y verra malgré vous.
SOTIGNAC.
Air : J’ons un Curé patriote.
À Limoges, pour bien faire,
Je retourne de ce pas.
Là, vos seringues, j’espère,
Messieurs, ne me suivront pas,
Pouvais-je croire, en ce jour,
Que pour remède d’amour,
On viendrait bravement,
Me donner... c’que vous savez
C’que vous savez ? (bis.)
Sotignac sort.
MOLIÈRE.
Mais ce billet, on a donc voulu me jouer aussi ?
LAFORÊT.
Vous guérir, not’ maître, vous guérir.
PURGON.
Il fallait donc nous laisser faire.
LAFORÊT.
Non morgué ! J’aimons trop M. Molière pour ça. C’est not maîtresse qui a écrit ce billet, c’est moi qui l’ai jeté dans votre cabinet... Tenez, not’ maître, en voici l’autre moitié.
MOLIÈRE, joignant les deux papiers et lisant.
Je chéris tendrement... l’époux qui de ma vie
Trouble les plus beaux jours... obscurcis par des pleurs,
Son amour, ses désirs... ont pour moi des douceurs ;
Mais il m’est odieux... avec sa jalousie.
Ôtez donc à vos feux... ce qu’ils en font paraître,
Méritez les regards... que l’on jette sur eux ;
Et lorsque l’on voudrait... que vous fussiez heureux,
Ne vous obstinez point... à ne pas vouloir l’être.
Quels sont mes torts !...
CHAPELLE.
Que l’oubli les efface. Le cœur doit faire grâce aux fautes de l’esprit.
Vaudeville.
Air : Sans mentit (des Landes.) ou Vaudeville du Singe Voleur.
CHAPELLE.
Quel est ce fils de Thalie,
Par elle instruit en secret
Qui des scènes de la vie,
Trace le tableau parfait :
Qui masquant par la folie,
Les traits de la vérité ;
Unit la philosophie
À la piquante gaîté ?
Le voilà, le voilà,
Molière n’est il pas là ?
MOLIÈRE.
Quel est celui qui m’accuse,
Qui m’attaque, au nom du ciel,
Pour avoir dépeint la ruse
D’un homme nourri de fiel :
Qui médite au fond de l’âme,
Et dans l’astuce affermi,
Le déshonneur d’une femme,
La ruine d’un ami ?...
Le voilà, le voilà,
Tartuffe n’est-il pas là ?
DIAFOIRUS.
La science me distingue ;
Il n’en est pas convaincu,
Il plaisante la seringue ;
On n’est pas encore vaincu.
Lorsqu’en face il me regarde,
Il m’assomme de bons mots,
Mais qu’il y prenne bien garde,
S’il vient à tourner le dos :
Me voilà, me voilà,
Monsieur Diafoirus est là.
PURGON.
Dénigrant la médecine,
Attaquant les médecins,
Molière nous assassine
Et nous traite d’assassins ;
Mais aujourd’hui s’il vous drape,
Un jour on le drapera.
Ce qu’il dit contre Esculape,
Qui donc nous le prouvera ?
SOTIGNAC, dans une loge.
Me voilà, me voilà,
Sotignac est encor là.
Messieurs, messieurs, je ne peux pas sortir d’ici.
CHAPELLE.
Ah ! ah ! et pourquoi donc, M. de Sotignac ?
SOTIGNAC.
Il y a à la porte un régiment...
TOUS.
Un régiment !...
SOTIGNAC.
Un régiment d’apothicaires qui me guette, et qui veut à toute force... vous entendez bien... Donnez-moi un sauf-conduit.
PURGON.
Je m’en vais lever la consigne.
LAFORÊT, au Public.
Offrir encore au parterre,
Les traits du maître de l’art ;
Un projet si téméraire
Expose à plus d’un hasard :
Mais plein du désir de plaire,
L’auteur croit être sauvé,
Contre la critique austère
Son défenseur est trouvé,
Le voilà, le voilà.
Molière n’est-il pas là ?