L’Autre (Alfred DESROZIERS - Déaddé SAINT-YVES)

Sous-titre : les deux maris

Vaudeville en un acte.

Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la Porte Saint-Antoine, le 29 mars 1840.

 

Personnages

 

CHAPOTOT, vieux rentier

JAMBILLE, vétérinaire

SARRASIN, ami de Jambille

ROBIN, domestique de Chapotot

MADAME DOUILLET, tante de Thérèse

THÉRÈSE, femme de Jambille

 

La scène se passe dans un village.

 

Une chambre avec un lit, entouré de rideaux, au fond. Une porte, aussi au fond. Une fenêtre à gauche. À droite, une petite porte. Une horloge de campagne, à droite. Un buffet et une table, à gauche. Plusieurs chaises.

 

 

Scène première

 

CHAPOTOT, ROBIN

 

ROBIN, en entrant.

Tenez, not’ maître, voilà votre canne et votre chapeau ; dînez en paix ; que la soupe aux choux vous soit légère !

СНАРОТОТ.

Eh bien ! Robin, tu me croiras si tu veux, mais ça me contrarie de dîner dehors ; si je n’y allais pas ?

ROBIN.

Ça serait gentil, et M. le Maire qui vous attend.

СНАРОТОТ.

Je sais... je sais... mais on est si bien chez soi, dans sa robe de chambre ! Moi, d’abord, je tiens à mes petites habitudes. Et puis, j’avais une oie de si belle apparence ! Je m’aime beaucoup en tête-à-tête avec une oie.

ROBIN.

Monsieur est toujours seul, c’est fatiguant ; un percepteur doit représenter.

CHAPOTOT.

Bah !... bah !... pourvu que je représente mes comptes exacts ! Maudit repas !... Ah ça ! tu sais qu’il peut m’arriver du monde ; j’attends toujours ma filleule Thérèse, qui vient d’épouser Jambille, le vétérinaire de Meaux... Meaux en Brie...

ROBIN.

Ah ! oui... une filleule que monsieur a promis de doter... même que la voisine Picard m’en parlait encore à ce matin, et qu’elle me disait : A-t-on jamais vu donner une dot à une filleule ; on sait ce que ça veut dire.

CHAPOTOT.

Voyez-vous ça... les mauvaises langues... parce qu’on n’a jamais été marié... et qu’il y a vingt ans... on était établi à Meaux... à Meaux en Brie.

ROBIN.

Juste ce que me disait la mère Picard... vieille pas discrète, va...

СНАРОТОТ.

Après tout, on en croira ce qu’on voudra. Ce qu’il y a de sûr... c’est que j’ai là, dans ma chambre à coucher, six cents beaux écus pour ma filleule... Je n’y ai mis qu’une condition... c’est qu’elle viendra avec son mari, le vétérinaire, me rendre une visite dans les huit premiers jours de son mariage... C’est une idée que j’ai eue comme ça... Or, comme la semaine expire dans deux heures cinquante-cinq minutes, s’ils n’arrivent pas, je garde la dot... sans rémission.

ROBIN, à part.

Plût au ciel.

Haut.

Oh ! vous faites le croquemitaine de loin.

СНАРОТОТ.

Robin... Robin... si tu m’échauffes les oreilles...

ROBIN.

Fi donc... ça serait capable de vous donner une indigestion...

СНАРОТОТ.

Une indigestion !... Ah ! c’est vrai... ce dîner... Dis donc... Robin... je suis sûr que j’ai oublié quelque chose... Va donc voir dans ma chambre si je n’ai rien oublié !

ROBIN.

Rien... j’en suis sûr.

CHAPOTOT, s’asseyant.

En ce cas, je pars.

ROBIN.

Ah ça ! à la fin, voilà qu’il est cinq heures.

CHAPOTOT.

Tu crois ? Alors, il n’est plus temps d’aller chez M. le Maire ; donne-moi ma robe de chambre.

ROBIN.

Mais il ne vous faut que cinq minutes. Ne craignez rien, si vos filleuls viennent, je me charge de les recevoir, moi...

À part.

et de la bonne façon.

CHAPOTOT.

Ah !... Tu les feras souper, mais ne leur donne pas l’oie demain, nous arrangerons les ailes en miroton ; c’est si bon ! Je suis sûr qu’il n’y en aura pas chez le Maire, de miroton.

ROBIN.

Dieu ! que cet homme-là est donc tannant !...

СНАРОТОТ.

Allons, je pars. Tu bassineras mon lit ; et puis, fais-moi du tilleul. Comme tu disais, quand on est contrarié...

ROBIN.

Oui, monsieur.

CHAPOTOT.

Si on me demandait, viens me chercher ; ne crains pas de me déranger.

ROBIN.

Oui, monsieur.

CHAPOTOT.

Ah !... Adieu ! Robin.

ROBIN

Adieu ! monsieur.

CHAPOTOT.

Air de la Demoiselle majeure.

Adieu donc... Une autre fois
Je ne crains pas qu’on m’invite.
Pour en finir au plus vite,
Je me hâte, tu le vois.

Mouvement de Robin.

ENSEMBLE.

Adieu donc... etc.

ROBIN.

Adieu donc... Une autre fois,
Si monsieur le Mair’ vous invite,
Vous irez, mais pas moins vite ;
C’est impossible, je le vois.

Chapotot sort.

 

 

Scène II

 

ROBIN

 

Voilà un percepteur sans aucune perception. Si je m’écoutais, je croirais que cet homme a du sang d’écrevisse dans les veines.

Regardant à la fenêtre.

Le voilà qui prend par la cour, ça va l’allonger, pendant que par le jardin, qui donne vis-à-vis la maison de M. le Maire... Il paraît qu’il n’est pas doué du moindre estomac. Oh ! il ne faut pas le déranger de ses habitudes, tout est réglé chez lui à la minute. Il me fait l’effet d’un coucou en habit noir ; mais, il est parti, il me laisse libre, je ne veux pas en dire du mal.

Air de Lustucru.

Je suis maître de la maison ;
Je puis fair’ le garçon.
Plus de peine, plus de souci ;
Quand je suis seul, je règne ici.
Je n’ai plus de maître grondeur
Dont il me faut subir toujours l’humeur.
Et, grâce au Mair’, grâce au curé,
Je puis chanter, rire et boire à mon gré.

Je suis maître, etc.

Mon maître, là-bas,
Ne fait pas abstinence,
Et je ne puis pas
Jeuner en son absence.
De son vin l’ meilleur,
Oui, je ferai bombance.
En bon serviteur,
J’veux lui faire honneur.

Je suis maître de la maison ;
Je puis fair’ le garçon.
Plus de peine, plus de souci.
Quand je suis seul, je règne ici.

Ah ça ! voyons, ce n’est pas le tout de faire ripaille... faut songer au solide... Nous disons que les filleuls n’ont plus que deux heures pour toucher la dot... et, s’ils n’arrivent pas, enfoncés... Ça me paraît juste... et, sans leur vouloir du mal, je prends intérêt au bourgeois, et je fais des vœux pour qu’il conserve ses écus afin d’en faire hommage à son serviteur fidèle... qui est moi... Mais s’ils viennent, les filleuls ?... Ça doit être des imbéciles, des gens de Meaux... de Meaux en Brie... Je ne sais pas où c’est... mais c’est égal... Eh bien !... je les mets à la porte... tout bêtement... voilà... Ah ! justement, j’entends du bruit... c’est des femmes... Attention, mon ami Robin... et en avant la malice.

 

 

Scène III

 

ROBIN, THÉRÈSE, MADAME DOUILLET, puis JAMBILLE

 

Air : Ah ! j’étouffe de colère

THÉRÈSE et MADAME DOUILLET, chantant très vite.

Mais où donc est, je vous prie,
Ce parrain qui nous convie ?
Nous venons, quel bonheur !
Le serrer sur notre cœur.
Avant la fin de la semaine,
Nous arrivons, non sans peine.
De cet empressement,
Not’ parrain sera content.

ROBIN.

Je voudrais bien savoir...

MADAME DOUILLET et THÉRÈSE, reprenant.

Mais où donc, etc.

ROBIN, à part.

Qu’elles gaillardes !... L’une des deux est la filleule... ça doit être la jeune.

MADAME DOUILLET.

Est-ce que ce n’est pas ici que demeure M. Chapotot.

ROBIN.

Parfaitement, et c’est moi qui suis Robin... Robin son domestique.

THÉRÈSE.

Vous venons pour le voir.

MADAME DOUILLET.

Ma nièce Thérèse, la filleule de M. Chapotot.

THÉRÈSE.

Ma tante Douillet.

ROBIN.

Ah bah ! de Meaux... de Meaux en Brie ?...

MADAME DOUILLET.

Pas pouilleuse...

ROBIN, à part.

C’est ça...

Haut

Ah !... va-t-il être content de vous voir !... Il n’y est pas.

THÉRÈSE.

Il est sorti ? quel malheur !

MADAME DOUILLET.

Nous l’attendrons... ça le flattera... je le connais.

ROBIN, à part.

Mâtin !... comme elle s’installe !...

THÉRÈSE.

Que va dire mon mari ? lui qui comptait bientôt repartir...

ROBIN.

Ah ! il y a un mari.

À part.

Les filleuls sont au complet.

MADAME DOUILLET.

Mais où est-il donc, Jambille ?

JAMBILLE, en dehors.

Tout beau ! la grise, tout beau !

THÉRÈSE.

Le voilà !...

MADAME DOUILLET.

Ce n’est pas malheureux...

JAMBILLE.

Mange, la grise, as pas peur, je suis là.

Entrant.

Bonjour, mon parrain.

Il veut embrasser Robin.

ROBIN.

Eh bien ! est-il bête, le vétérinaire ; je suis Robin.

MADAME DOUILLET.

Le domestique de M. Chapotot.

JAMBILLE.

Ah !... Bonjour, mon parrain.

THÉRÈSE.

Puisqu’on vous dit...

JAMBILLE.

Eh bien ! où est-il donc, mon parrain ? Et la dot ?

ROBIN.

À dîner en ville.

JAMBILLE.

La dot dîne en ville ! Est-ce qu’elle serait fricassée ? Je veux voir mon parrain ; je suis venu ici pour embrasser mon parrain, servez-moi mon parrain.

ROBIN, à part.

En v’là un farceur !... Il me fait l’effet d’un finot.

JAMBILLE, de même.

Ce garçon a l’air bonace, je le considère.

Haut.

Ici, Robin... Tu vas m’aller quérir notre parrain.

ROBIN.

Votre parrain !... pas possible... Il a bien défendu qu’on le dérange... Ah ben !... si on le dérangeait...

JAMBILLE.

Alors... si c’est comme ça... faut pas le déranger... En attendant, nous nous restaurerons... D’abord, ma jument... Je l’ai attachée en bas... avec son picotin... Mais nous ?

ROBIN.

Il vous faut un picotin aussi...

JAMBILLE.

La nourriture n’est-elle pas l’aliment de l’existence ?... Il y a ici une odeur de volatille...

ROBIN.

C’est mon oie... Il a mis le nez dessus.

JAMBILLE.

Ah ! une oie... c’est notre affaire... Apporte.

ROBIN.

Plus souvent.

À part.

Oh ! cette idée !... Avec ça que monsieur m’a défendu de leur servir... Quand il saura la chose... ça lui remuera le sang... il se fâchera... et leur flanquera sa malédiction...

JAMBILLE.

Eh bien ?...

ROBIN.

Eh ben ! je me laisse toucher... je vas vous donner l’oie.

JAMBILLE.

Sans farce ?

ROBIN.

Y a des marrons.

JAMBILLE.

Ce cher parrain !... c’est un homme à fréquenter.

ROBIN, aux femmes.

Qui est-ce qui m’aide à mettre le couvert ?

JAMBILLE.

Et la tante Douillet qui me le représentait comme un Turc.

Air de la Famille de l’Apothicaire.

Un Turc est un vil oppresseur,
Un hérétique sans entrailles,
Qui vous affame sans pudeur
Loin de vous donner des volailles.
Ah ! fi donc un si bon parrain
N’est pas un Turc plein de rudesse.
Celui qui sert une oie, enfin,
N’est pas ennemi de la graisse.

MADAME DOUILLET.

Vous feriez bien mieux de nous aider, que de rester là à dire des bêtises tout seul, grand bon à rien.

JAMBILLE.

Bon à rien ! ça vous plaît à dire, Mme Douillet... Anacréon... ce vieillard fabuleux, n’était que de la saint Jean auprès de moi... n’est-ce pas, ma petite femme ?... ohé, tant pire, je suis en train.

Il lui donne une taloche.

ROBIN, à part.

Hein ?... aime-t-il sa femme !... l’aime-t-il ! c’est pas naturel.

JAMBILLE.

Eh bien ! vous appelez ça un couvert mis, vous autres.

THÉRÈSE.

Qu’est-ce qu’il manque ?

JAMBILLE.

Qu’est-ce qu’il manque ?... mais il manque du vin, le liquide essentiel de tout repas solide, où est le vin ? je voudrais qu’il vînt ?

ROBIN.

Le voici dans le panier derrière vous, et du chenu !

À part.

Celui que le bourgeois aime tant... et qu’il ne laisse boire à personne ; aussi, ils ne risquent rien.

Haut, à Jambille qui s’est mis à table entre Mme Douillet et Thérèse.

Ne le ménagez pas, ne le ménagez pas...

JAMBILLE.

Laisse faire... ô parrain de mon cœur...

THÉRÈSE.

Eh bien, il me semble que toute réflexion faite ce garçon pourrait aller le prévenir.

ROBIN.

Mais vous savez bien...

JAMBILLE.

Ah ! tu fais des façons attends...

Il emmène Robin à l’autre bout de la chambre, regarde autour de lui mystérieusement, lui glisse une pièce blanche dans la main, en faisant chut !... et revient prendre sa place à table.

ROBIN, à part.

Une pièce de vingt sous, est-il généreux ! on voit bien qu’il vient toucher une dot ; aussi, pour gagner ça... je vas faire semblant d’y aller... ça sera tout comme...

JAMBILLE.

Eh bien !

ROBIN.

On y va... on y va...

À part.

Je vas faire une petite promenade dans le village.

Il sort par la porte de droite.

 

 

Scène IV

 

MADAME DOUILLET, THÉRÈSE, JAMBILLE

 

Ils sont à table.

JAMBILLE.

Maintenant, immolons-nous aux lois de l’hospitalité ;  voyons ma mère l’oie, qu’est-ce qu’elle dit ? vous en servirai-je, tante respectable et infiniment respectée ?

MADAME DOUILLET.

Mais je commence à avoir l’estomac plus libre depuis que nous sommes arrivés, grâce au ciel, car demain le père Chapotot ne nous aurait pas fait grâce, je le connais.

JAMBILLE.

Laissez donc vous vous forgez des idées, vous avez toujours peur de tout.

MADAME DOUILLET.

Et vous de rien...

THÉRÈSE.

Oh ! c’est bien vrai ça.

JAMBILLE.

Ai-je tort ? la nature ne m’a-t-elle pas assez doué de ses dons les plus divers pour que je m’accorde quelque confiance.

THÉRÈSE.

Ouich !

JAMBILLE.

Comment, ouich ! Ma femme, vous me ternissez ! quant à mon physique, je n’en parle pas, il se vante de soi-même ; pour quant à mon moral, voilà qu’un jour j’épouse Thérèse, ma Thérèse qui m’adore : elle ne veut pas en convenir, mais je comprends son silence plein de délicatesse. Si ce n’était que ça encore, mais il y a un parrain, un parrain qui dote ; homme respectable, va, je voudrais te mettre un séton par reconnaissance.

THÉRÈSE.

N’allez-vous pas vous faire son médecin ?... Vous qui ne traitez que les animaux...

JAMBILLE.

Justement !... s’il avait une fièvre de cheval.

MADAME DOUILLET.

Vous êtes absurde...

JAMBILLE.

Le bonheur en est susceptible ; et je suis si heureux ! oui, ma femme, je le suis... et grâce à toi... pas vrai que je le suis, mon épouse ? et dire qu’elle m’a préféré à tous mes rivaux, femme de goût, va, je t’approuve.

THÉRÈSE.

Vous m’ennuyez.

JAMBILLE.

Buzon le garde-chasse, Crétinet le charron ; Sarrasin, le beau Sarrasin, comme disent les commères du lieu, enfoncés tous !

MADAME DOUILLET.

Puisque les autres n’avaient pas le sou, il le fallait bien, mais ce n’est pas une raison pour les attirer toujours chez vous, comme vous le faites, Sarrasin, surtout.

JAMBILLE.

Pourquoi pas ? ça me flatte, et je bois à la santé de mes rivaux : honneur au courage malheureux ; ne me ferez-vous pas raison ? allons, allons, nous venons pour toucher une dot. Soyons joviaux.

MADAME DOUILLET.

Au fait ! puisqu’il n’y a plus de danger.

JAMBILLE.

C’est ça, trinquons, mon épouse...

THÉRÈSE.

Si ça peut vous faire plaisir.

JAMBILLE.

Je porte un toast : au Chapotot ! mon estomac reconnaissant !

Air : Dans le service de l’Autriche.

Le bonheur seul enfle ma voile,
Tout doit céder à mon étoile,
Jamais d’ guignon ;
Les obstacl’s ne m’arrêtent guères,
Et je suis des vétérinaires,
L’ Napoléon.
Grâce à l’hymen ma dernière victoire,
Amour, argent, rien ne manque à ma gloire ;
À la santé de notre bon parrain,
Buvons,
(ter) c’est lui qui nous fournit le vin.

TOUS TROIS.

À la santé, etc.

 

 

Scène V

 

MADAME DOUILLET, THÉRÈSE, JAMBILLE, SARRASIN

 

SARRASIN, en dehors.

Jambille ! Jambille ! où est Jambille ?

JAMBILLE.

N’est-ce pas mon nom que j’ouïs ?

MADAME DOUILLET.

Oui...

SARRASIN, entrant.

Ah ! à la fin !

TOUS.

Sarrasin !

SARRASIN.

Salut la compagnie... on m’avait bien dit que je le trouverais ici...

MADAME DOUILLET.

Qu’est-ce qui vous y amène ?

SARRASIN.

Une histoire de chien.

JAMBILLE.

Comment ?

SARRASIN.

Oui, un chien enragé qui a mordu les vaches du père Monnet.

THÉRÈSE.

Le père Monnet !

JAMBILLE.

Pauvres bêtes !

SARRASIN.

Et comme il a su que j’avais à faire dans ce village... il m’a chargé de te prévenir... il paraît que c’est pressé, il veut te voir tout de suite, tout de suite ; enfin, on dirait qu’il a été mordu lui-même.

JAMBILLE.

Diable !... j’y cours... le père Monnet... ma meilleure pratique !...

MADAME DOUILLET.

Eh bien ! mais, M. Chapotot ?

JAMBILLE.

Le Chapotot sera privé de me contempler jusqu’à demain.

MADAME DOUILLET.

Y pensez-vous... et la dot ?... je le connais.

JAMBILLE.

Vous le ferez patienter... d’ailleurs, je vas faire diligence, et puis je lui rapporterai une oie pour remplacer la sienne, ça ne peut pas manquer de le flatter...

MADAME DOUILLET.

Et la grise qui est sur les dents !...

SARRASIN, à part.

Bon.

Haut.

La grise est fatiguée ? ne suis-je pas là, moi ?

JAMBILLE.

Tu remplacerais la grise ?

SARRASIN.

J’ai amené mon cheval... je veux dire mon cheval m’a...

JAMBILLE.

Tu es un véritable ami, et ton cheval aussi.

MADAME DOUILLET.

Mais et vous, Sarrasin.

À part.

Je conçois un soupçon...

SARRASIN.

Moi ?... oh !... ne faites pas attention... c’est la foire ici, je ne suis pas fâché de rester.

JAMBILLE.

D’ailleurs, quand la grise sera reposée, tu reviendras si tu veux dans la carriole.

MADAME DOUILLET.

Mais encore, il n’est pas convenable...

JAMBILLE.

Maman Douillet... les femmes n’entendent rien aux affaires.

SARRASIN.

Je vais t’aider à brider Coco.

JAMBILLE,

Inutile, ça me connaît...

SARRASIN.

Si fait... si fait... je veux te voir monter à cheval.

THÉRÈSE.

Quoi, tout de bon... vous partez ?...

JAMBILLE.

Il le faut ; j’obéis à l’honneur et aux vaches du père Monnet.

Air : Ballet des Mohicans.

Allons, ma femme,
Je le conçois, me voir partir
Te fait souffrir,
Mais que l’espoir
D’un doux revoir
Calme ton âme.

MADAME DOUILLET.

Si d’elle j’étais,
Ah ! comm’ je vous punirais.

JAMBILLE, à part.

En croyant m’ punir
Qu’ell’ me f’rait plaisir !

Ensemble.

JAMBILLE.

Allons, ma femme,
Je le conçois, me voir partir
Te fait souffrir,
Mais que l’espoir
D’un doux revoir
Calme ton âme.

SARRASIN.

Loin de sa femme,
En ce moment, il va partir,
Ah ! quel plaisir !
Enfin, ce soir,
Un doux espoir
Entre en mon âme !

MADAME DOUILLET et THÉRÈSE.

Quand votre femme,
En ce moment, vous voit partir,
Ell’ doit gémir,
Plus d’ dot, ce soir,
Aucun espoir
N’ reste en son âme.

Jambille et Sarrasin sortent au fond.

 

 

Scène VI

 

MADAME DOUILLET, THÉRÈSE, puis ROBIN

 

MADAME DOUILLET.

A-t-on jamais vu... cet imbécile qui se sauve au premier mot de Sarrasin...

THÉRÈSE.

Mais si le père Monnet...

MADAME DOUILLET.

Taisez-vous, ma nièce... vous ne comprenez rien aux hommes, je les connais...

ROBIN, rentrant par la porte de droite.

Ah ! me v’là revenu, moi ?...

MADAME DOUILLET.

Eh bien ?...

ROBIN.

Eh bien ?...

MADAME DOUILLET.

Vous êtes seul ?...

ROBIN.

Des pieds à la tête !...

THÉRÈSE.

Et mon parrain ?...

ROBIN.

Je n’ai pas pu mettre la main dessus... il se sera égaré...

THÉRÈSE.

Mais, c’est fait de nous... la nuit viendra...

ROBIN.

Ah ! dam !... quand on demeure à Meaux... à Meaux en Brie... vous n’avez que le temps...

MADAME DOUILLET.

Si ce Jambille était là, encore...

ROBIN.

Tiens... c’est vrai... où donc qu’il est... le vétérinaire... vous l’avez aussi égaré ?...

THÉRÈSE.

Il est parti !...

ROBIN.

Parti... M. Jambille... votre mari ?... ah ben !... ah ben !... alors vous ne risquez rien de vous en aller aussi...

À part.

Fameux !...

MADAME DOUILLET.

Pourquoi donc, s’il vous plaît ?

ROBIN.

Pourquoi donc, s’il vous plaît ?... dam ! parce que not’ maître disait encore tantôt comme ça... ils ont tant de minutes pour arriver... je les attends... le mari surtout... car c’est bien convenu... pas de mari, pas de dot.

THÉRÈSE et MADAME DOUILLET.

Ah ! mon Dieu !...

ROBIN, à part.

Ça les vexe... elles vont filer...

MADAME DOUILLET.

J’en étais sûre... ce Chapotot... ce vieux maniaque... je le connais...

THÉRÈSE.

Mais il est temps encore... si vous courriez bien vite après Jambille.

ROBIN.

Moi ?... tiens, au fait, qu’est-ce que je risque.

MADAME DOUILLET.

Mais, allez donc.

ROBIN, à part.

Autre promenade...

Il sort.

 

 

Scène VII

 

MADAME DOUILLET, THÉRÈSE, puis SARRASIN

 

MADAME DOUILLET.

Quelle aventure !... bon Dieu ! quelle aventure !... c’est ce maudit Sarrasin...

THÉRÈSE.

Vous lui en voulez toujours, à ce pauvre garçon...

MADAME DOUILLET, tombant sur une chaise.

Oh ! si je le tenais...

THÉRÈSE, à part.

Heureusement qu’il est parti...

SARRASIN, entrant, et à part.

Elles sont seules... le mari court la poste... l’occasion est favorable...

S’avançant.

Hum !... hum !...

MADAME DOUILLET et THÉRÈSE, se retournant.

Sarrasin !...

SARRASIN.

Ne vous dérangez pas...

MADAME DOUILLET.

Comment, encore... et sans Jambille.

SARRASIN.

Jambille... il est loin !... ventre à terre... en voilà un qui aime son état...

MADAME DOUILLET.

C’en est donc fait.

SARRASIN.

Mais, enfin... qu’avez-vous donc ?... la grise est là, et moi aussi, pour vous ramener ce soir...

THÉRÈSE.

C’est vrai, ma tante...

MADAME DOUILLET.

Sans doute, il est si obligeant ! vous ne voyez pas qu’il est enchanté ! je le connais...

SARRASIN.

Ce n’est pourtant pas moi qui ai mordu les vaches du père Monnet.

MADAME DOUILLET.

Il ne fallait pas vous charger de la commission, on sait ce que c’est que des amis comme vous.

SARRASIN.

Mon Dieu, Mme Douillet, vous avez toujours l’air de me faire un crime...

Air de la reine Berthe.

Est-ce ma faute si mon cœur
Se souvient toujours d’un rêve de bonheur.
Pourtant, jamais je n’ose,
Peindre ce que j’ai là.

MADAME DOUILLET.

Ah ! oui dà !

SARRASIN.

Oui, je cache la cause,
D’un mal trop vigoureux.

MADAME DOUILLET.

C’est heureux !

SARRASIN.

Je l’ sais, je dois me taire,
Il n’est rien que j’espère,
Quoique je souffre bien,
Non, je n’ demande rien ;
Mais... est-ce ma faute si mon cœur
Se souvient toujours,
etc.

MADAME DOUILLET, parlé.

Voyez-vous ça.

SARRASIN.

Mais, dans votre Jambille,
Qu’est-ce donc qui vous plaît ?

THÉRÈSE.

Il est laid.

SARRASIN.

Autant que lui, je brille,
Dites, qu’a-t-il de plus.

MADAME DOUILLET.

Des écus.

THÉRÈSE.

À lui, je suis unie,
Et cela pour la vie,
Silence désormais.

SARRASIN.

Il le faut, je me tais.

Reprise ensemble.

SARRASIN.

Mais... est-ce ma faute si mon cœur, etc.

THÉRÈSE.

Est-ce sa faute si son cœur, etc.

MADAME DOUILLET.

Ta ta ta ta... ce sont des chansons ; d’ailleurs, il ne s’agit pas de ça, mais de M. Chapotot, le parrain de Thérèse, qui a promis de la doter ; mais le vieux sot y met des conditions... Oui, si on ne lui présente pas ce soir, tout à l’heure, le mari de sa filleule, il garde la dot !

THÉRÈSE.

Mon Dieu, oui ; il lui faut absolument un mari.

SARRASIN.

Il ne le connaît donc pas ?

THÉRÈSE.

Mais, non, voilà pourquoi...

SARRASIN.

Attendez donc ! si ce n’est que ça, faut pas que ça vous gêne.

MADAME DOUILLET.

Comment ?

SARRASIN.

Me voilà toujours, moi...

MADAME DOUILLET.

Vous...

THÉRÈSE.

Lui.

SARRASIN.

Je suis prêt à remplacer votre mari, tant que vous voudrez.

THÉRÈSE.

Vous êtes bien bon.

MADAME DOUILLET.

Au fait ! mais non... jamais !

SARRASIN.

Pourquoi donc ? vous lui dites à ce parrain : Vous avez voulu un Jambille, voilà un Jambille. Il dit : Merci, il est fort bien, je suis content. Vous touchez la dot, nous montons dans la carriole, nous fouettons la grise, et tout est dit.

THÉRÈSE.

C’est très juste.

MADAME DOUILLET.

Mais s’il venait à le savoir ensuite.

SARRASIN.

Qué qu’ ça fait, puisque vous aurez touché la dot ?

MADAME DOUILLET.

Mais...

THÉRÈSE.

Quelqu’un... si c’était lui !...

SARRASIN.

Du sang-froid ! ne craignez rien.

 

 

Scène VIII

 

MADAME DOUILLET, THÉRÈSE, SARRASIN, ROBIN

 

ROBIN, entrant tout essoufflé.

Ouf !... ouf !... j’en ai-t-y arpenté, et sans rien attraper encore.

MADAME DOUILLET, bas.

Ah ! mon Dieu !... et ce garçon... comment faire ?...

SARRASIN, de même.

Je m’en charge...

ROBIN.

Ainsi, mes petites dames... c’est fini... si vous voulez, je vas aller atteler votre cheval.

MADAME DOUILLET.

Pourquoi donc ?

ROBIN.

Comment !... pourquoi donc ?... puisqu’il n’y a pas de Jambille à servir au bourgeois.

SARRASIN, se montrant.

Jambille ! hein ?... qui parle de Jambille ?...

ROBIN.

Tiens, d’où sort-il celui-là ?...

SARRASIN.

Jambille... le vétérinaire de Meaux...

ROBIN.

De Meaux en Brie...

SARRASIN.

Mais, c’est moi !...

ROBIN.

Vous !... en v’là une solide !...

MADAME DOUILLET, lui faisant des signes.

Chut !...

ROBIN.

Vous avez beau faire le télégraphe... lui... le mari... de la filleule à M. Chapotot ?...

THÉRÈSE, bas à Robin.

Silence, donc !

ROBIN.

Hein ?... elle aussi !...

SARRASIN.

Ah ça, pour qui donc me prend ce rustre !...

ROBIN.

Vous êtes le mari ?

SARRASIN.

Oui, je le suis.

THÉRÈSE.

Mais oui !

MADAME DOUILLET.

Certainement.

SARRASIN.

Je crois que tu te permets d’en douter, imbécile.

Il lui donne un coup de pied.

ROBIN.

Oh ! non, je n’en doute pas.

À part.

À ses manières, je le reconnais, c’est un mari. Eh bien, et l’autre qui me donnait de l’argent ? le farceur... j’y suis... infernal bambocheur, va... Mais ça ne fait pas mon compte, Monsieur va rentrer, et s’il les trouve ici...

SARRASIN.

Tu raisonnes.

ROBIN.

Non... non...

À part.

Brutal de mari, va !...

SARRASIN.

Eh bien ! Robin ?

ROBIN.

On y va... on y va...

À part.

Je te ferai bien décamper, moi... Je vais toujours atteler.

Il sort au fond.

 

 

Scène IX

 

SARRASIN, MADAME DOUILLET, THÉRÈSE, puis СНАРОТОТ

 

SARRASIN.

À la fin... nous en voilà débarrassé...

MADAME DOUILLET.

Il était temps... j’entends monter par-là...

THÉRÈSE.

C’est mon parrain !...

SARRASIN, buvant un dernier coup.

À mon rôle !

Ils emportent la table et se tiennent au fond.

CHAPOTOT, entrant par la porte de côté, sans voir personne.

Robin... Robin... viendra-t-on, quand j’appelle... Il paraît qu’il n’est venu personne... allons... c’est de leur faute... je garderai la dot...

En se retournant, il aperçoit Sarrasin et les deux femmes qui le saluent.

Hein ! que vois-je ?...

Il tire sa montre et la leur fait voir.

Huit heures 45... il s’en faut de 15 minutes que la semaine soit écoulée.

MADAME DOUILLET.

Vaut mieux tard que jamais...

CHAPOTOT.

Mme Douillet.

À part.

Dieu !... comme elle est changée... qu’elle patte d’oie...

MADAME DOUILLET.

Il parle de l’oie !

THÉRÈSE.

Et puis, ce n’est pas notre faute mon parrain.

СНАРОТОТ.

Bonjour, ma petite Thérèse, je te trouve grandie depuis notre dernière entrevue, tu n’avais alors que 32 mois. Ah ! dam ! v’là ce que c’est que le mariage ! ah ! ah ! voilà donc ton mari ? eh mais ! c’est un beau garçon.

SARRASIN.

Vous êtes bien honnête, mon parrain.

СHАРОТОТ.

Voilà juste comme j’étais il y a 40 ans, demande plutôt à ta tante Douillet.

MADAME DOUILLET, bas.

Indiscret !...

CHAPOTOT.

Eh !... eh !... eh !... ah ! ça, une filleule n’a donc rien à dire à son parrain ?

THÉRÈSE.

Si, mon parrain... bonjour !...

CHAPOTOT.

Allons, embrasse-moi ; mais vous avez tous l’air interdit, on dirait que je vous fais peur.

THÉRÈSE.

Ah ! non, mon parrain.

MADAME DOUILLET.

Bien du contraire.

SARRASIN.

Je vas vous dire, mon parrain, c’est que quand on est marié que depuis très peu de temps...

СНАРОТОТ.

C’est juste ! ah ça, et l’état, ça va bien ? à Meaux... à Meaux en Brie...

SARRASIN.

L’état ! ah ! oui... l’état...

Air de Sommeiller, etc.

Ça va bien, grâce à la saignée.
Vous êtes trop bon mon parrain,
La besogne est assez soignée,
Dieu merci, l’ pays n’est pas sain.
Les ch’vaux meur’ent fort, par leurs souffrances,
Nos mémoires sont bien chargés,
Et l’on doit dans que’qu’s circonstances
D’ fièr’s chandell’s aux chiens enragés.

CHAPOTOT.

Ça mord bien ? tant mieux.

À part.

Ce garçon me revient beaucoup...

SARRASIN, à part.

Ça me fait l’effet d’une bonne pâte d’homme...

СНАРОТОТ.

Mais a-t-on jamais vu... ce Robin... qui n’est seulement pas venu m’avertir de votre arrivée... Robin... Robin... je suis sûr qu’il ne vous a rien offert... Robin...

 

 

Scène X

 

SARRASIN, MADAME DOUILLET, THÉRÈSE, СНАРОТОТ, ROBIN

 

ROBIN, du dehors.

Voilà... voilà...

Entrant.

C’est attelé... hein ! le bourgeois.

Il reste ébahi.

CHAPOTOT.

Ah !... vous voilà donc, M. le drôle, c’est donc comme ça que vous faites ce que je vous ordonne... Vous êtes bien venu me chercher, n’est-ce pas ? Vous avez bien fait souper ma filleule et sa tante ?...

ROBIN.

Ah !... pour ce qui est d’ ça... bourgeois... je peux vous assurer... tenez, voyez plutôt...

CHAPOTOT, voyant la table.

Mon oie !... et ce vin ?... du cachet rouge !...

ROBIN, à part.

Bon... il va rager...

CHAPOTOT, à Robin.

Comment... malheureux !...

ROBIN.

Bourgeois, je vas vous dire... c’est pas ma faute, c’est le mari qu’a voulu absolument...

СНАРОТОТ.

Le mari !...

SARRASIN.

Moi !...

MADAME DOUILLET, à part.

V’là que ça s’embrouille...

ROBIN.

Vous... lui... non... c’est-à-dire...

Sarrasin lui donne un coup de pied.

Oui... je me trompe... ce n’est pas tant qu’il l’a exigé... mais... mais...

Sarrasin le menace.

Enfin... c’est pas ma faute...

СНАРОТОТ.

Drôle... vous mériteriez...

SARRASIN.

Mon parrain, corrigez-le... mais ne le chassez pas... c’était pour nous faire boire à votre santé, en filleuls respectueux et altérés...

СНАРОТОТ.

Allons... allons... il n’y a pas tant de mal que je le croyais d’abord.

À part.

Il en reste.

Haut.

Vous avez bien soupé ?... n’en parlons plus.

ROBIN, à part, en se frottant l’endroit du coup de pied.

Ça m’a joliment réussi...

CHAPOTOT.

Et maintenant, asseyons-nous... Robin... des chaises...

MADAME DOUILLET, à part.

Ah ça ! et la dot.

THÉRÈSE.

C’est inutile, mon parrain, voilà qui se fait tard... il faut que nous nous remettions en route...

ROBIN.

Justement la voiture est après le cheval...

CHAPOTOT.

Comment, en route pour Meaux... pour Meaux en Brie... mais je n’ai pas eu le temps de vous voir... et quand on ne reçoit sa filleule que tous les quinze ans... d’ailleurs... comme dit Thérèse, voici la nuit... et il y aura de l’orage... vous ne pouvez pas vous en aller maintenant.

SARRASIN, à part.

Hein ?...

MADAME DOUILLE

Comment ?...

CHAPOTOT.

Et puis, je viens de dîner chez M. le Maire... j’ai besoin de me rasseoir.

THÉRÈSE.

Mais, mon parrain...

СНАРОТОТ.

Robin... va bien vite dételer la carriole...

MADAME DOUILLET.

M. Chapotot !...

THÉRÈSE.

Mon parrain...

ROBIN, indécis.

Faut-il ?...

SARRASIN, bas et en lui donnant un coup de poing.

Fais ce qu’on te dis...

ROBIN.

Suffit...

À part.

Gueusard... va... si je pouvais me venger...

Il sort.

 

 

Scène XI

 

SARRASIN, MADAME DOUILLET, THÉRÈSE, СНАРОТОТ

 

MADAME DOUILLET.

Mais... enfin, quel est votre projet ?...

CHAPOTOT.

Mon projet... mais c’est de vous garder à coucher...

TOUS.

À coucher !...

CHAPOTOT.

Sans doute... vous repartirez demain matin, au point du jour, pour Meaux.

MADAME DOUILLET, à part.

Au point du jour... Ah ! c’est trop fort.

Haut.

Quoi ! vous voulez ?...

СНАРОТОТ.

Certainement... il ne faut pas se presser comme ça...

THÉRÈSE.

Mais, c’est que mon mari...

СНАРОТОТ.

Eh bien, ton mari... il restera avec toi. Est-ce que ça te fait déjà peur ?... après huit jours de mariage.

THÉRÈSE.

Non... mais...

CHAPOTOT.

Mais... quoi ?...

MADAME DOUILLET.

Permettez...

CHAPOTOT.

Je ne permets rien. J’ai arrangé d’avance mes petits projets ; d’ailleurs, ça regarde Jambille ; est-ce que tu voudrais me faire de la peine, mon garçon ?

SARRASIN.

Moi, non, mon parrain, si ma femme le veut, je n’ai rien à dire.

MADAME DOUILLET.

Mais, M. Chapotot, les affaires...

СНАРОТОТ.

Vos affaires, c’est de recevoir la dot. Eh bien ! je vous déclare que je ne la donnerai que demain matin ; que diable, je veux en avoir pour mon argent.

MADAME DOUILLET, à part.

C’est un vieil entêté, je le connais !

CHAPOTOT.

Comme si vous ne pouviez pas me sacrifier une nuit, ce n’est pas l’heure des affaires ; allons, c’est dit, ce sera ici la chambre des mariés. Et quant à Mme Douillet, je lui donnerai la chambre verte.

MADAME DOUILLET.

Quoi !... vous voulez que je les quitte ?...

CHAPOTOT.

Ne resteriez-vous pas avec eux en tiers ? voilà du nouveau.

MADAME DOUILLET, à part.

Quelle position !...

Bas à Sarrasin.

Refusez donc !

SARRASIN, de même.

Vous voyez bien qu’il l’a mis dans sa tête.

CHAPOTOT.

Eh bien ?

MADAME DOUILLET.

Je voudrais vous faire une petite observation.

СНАРОТОТ.

Je ne veux plus rien entendre, et pour en finir, je vais veiller moi-même à ce que Robin remise la carriole, et prépare la chambre verte.

MADAME DOUILLET.

Mais...

CHAPOTOT.

Si vous continuez, je vous donne...

MADAME DOUILLET.

La dot ?...

CHAPOTOT.

Ma malédiction !...

Il sort.

 

 

Scène XII

 

SARRASIN, MADAME DOUILLET, THÉRÈSE

 

MADAME DOUILLET.

Quelle aventure ! quelle aventure !

À Sarrasin.

Et vous ne l’arrêtez pas ?

SARRASIN.

Est-ce ma faute, puisqu’il ne veut rien entendre...

MADAME DOUILLET.

Et Thérèse qui se tait !

THÉRÈSE.

Mais qu’est-ce que vous voulez que je dise ?

MADAME DOUILLET.

On dit, n’importe quoi, mais on parle toujours. Maudite ruse ! je vais déclarer la vérité !

SARRASIN.

Et la dot ?

MADAME DOUILLET.

Ah ! c’est vrai, la dot. Sarrasin ! Sarrasin !

SARRASIN.

Ma tante ?...

MADAME DOUILLET,

Je ne suis pas votre tante, et je ne veux pas le devenir, entendez-vous. D’abord, je ne vous quitte pas.

THÉRÈSE.

Oh ! non, ma tante, ne nous quittez pas !

MADAME DOUILLET.

Certainement, car Sarrasin est un scélérat, je le connais ; il avait arrangé tout ça, l’intrigant qu’il est.

SARRASIN.

Oh ! si on peut dire ?... Moi, qui suis le respect en chair et en os. Je vous demande un peu de quoi vous avez peur.

MADAME DOUILLET.

Il le demande !

SARRASIN.

J’aime votre nièce, vous le savez... Mais, à présent qu’elle est mariée, nous pourrions bien rester cent ans ensemble que je ne lui dirais pas un mot.

MADAME DOUILLET.

Vous dites ça maintenant !

SARRASIN.

Ah ! mais !...

MADAME DOUILLET.

Eh bien !... au fait, si nous en sommes réduits à une pareille extrémité, puisqu’il n’y a pas d’autre moyen jurez-le.

SARRASIN.

Quoi ?...

MADAME DOUILLET.

Que vous ne lui direz rien, rien de rien, de rien !

SARRASIN, levant la main.

Rien, de rien, de rien.

MADAME DOUILLET.

Pas le mot le plus léger ? vous le jurez...

SARRASIN.

Sur vos cendres, tante Douillet.

 

 

Scène XIII

 

SARRASIN, MADAME DOUILLET, THÉRÈSE, CHAPOTOT, puis ROBIN

 

CHAPOTOT.

C’est fait, le cheval est sous la remise et la carriole à l’écurie. Maintenant, mes enfants, bonne nuit.

MADAME DOUILLET, s’asseyant.

Bonsoir, bonsoir, M. Chapotot.

CHAPOTOT.

Comment, bonsoir. Ah ça, vous voilà donc installée ici, vous !...

MADAME DOUILLET.

Oui... quelques mots à dire à ma nièce...

CHAPOTOT.

Du tout, du tout, ça sera pour demain... je vais moi-même vous conduire jusqu’à votre chambre...

Appelant.

Robin ! Robin ! de la lumière.

ROBIN, paraissant avec un bougeoir.

Voilà !...

MADAME DOUILLET.

Ah ! je ne le souffrirai pas !

CHAPOTOT.

Je suis chez moi, c’est mon devoir.

THÉRÈSE, à Mme Douillet.

Ma tante, ma tante, je vais avec vous...

SARRASIN, à part.

Par exemple !

CHAPOTOT.

A-t-on jamais vu... qu’est-ce que c’est que des idées pareilles... ces jeunes femmes, ça se fait toujours tirer l’oreille.

À part.

On m’avait bien dit qu’elle avait une autre inclination !

ROBIN, à part.

Je crois ben... elle n’aime pas son mari... ça se comprend : si c’était l’autre encore...

CHAPOTOT, bas à Sarrasin.

Dis donc, toi, faut la former cette jeunesse...

SARRASIN, bas à Chapotot.

Je fais ce que je peux pour ça, mon parrain.

CHAPOTOT.

D’ailleurs... de peur que ces lubies ne lui reprennent , je sais bien ce que je vais faire.

À part.

Il faut entretenir la bonne intelligence dans les ménages.

Il va à la porte de côté, la ferme et met la clé dans sa poche.

MADAME DOUILLET.

Ah ! mon Dieu ! que faites-vous ?

CHAPOTOT, riant.

Je prends mes précautions... contre les voleurs, il y a beaucoup de voleurs... chez nous...

À part.

Et puis, je donne deux tours de clé à l’autre.

Il montre celle du fond.

THÉRÈSE, bas à Mme Douillet.

Mais, ma tante, c’est fait de moi...

MADAME DOUILLET.

Tais-toi, je reviendrai.

À part.

Si je peux...

CHAPOTOT, prenant le bougeoir des mains de Robin.

Allons, allons, Mme Douillet... je vous attends.

MADAME DOUILLET.

Voilà... voilà...

Elle fait signe à Sarrasin, qui lui répond de mine.

ROBIN, à part.

Ah ! si l’autre pouvait revenir... je te jouerais un fameux tour, à toi, grand gueux de pendard.

Il menace Sarrasin.

MADAME DOUILLET, bas à Sarrasin.

Rien de rien...

SARRASIN, id.

De rien.

ROBIN, bas à Thérèse.

Je veille sur vous !

Thérèse le regarde avec surprise.

CHAPOTOT.

Air : Trompez-moi.

Allons, bonne nuit, mes enfants.

MADAME DOUILLET, à Sarrasin.

Surtout, Monsieur, rapp’lez vous vos serments.

СНАРОТОТ.

À demain, je viendrai, moi-même vous réveiller.

MADAME DOUILLET, à part.

Jusque-là, je saurai, je saurai vous surveiller.

SARRASIN.

Dormez bien mon parrain,
Dormez bien jusqu’à demain.

THÉRÈSE.

Ô mon Dieu que j’ai peur !
Quel trouble agite mon cœur !

CHAPOTOT.

Adieu donc, que l’amour
Ici, mes bons amis, veill’ sur vous jusqu’au jour.

Ensemble.

SARRASIN.

D’amour et de frayeur,
Je sens palpiter mon cœur.
Ah ! qui donc me dira
Comment tout cela finira.

THÉRÈSE et MADAME DOUILLET.

Ô mon Dieu ? que j’ai peur,
Quel trouble agite mon cœur !
Ah ! qui donc me dira
Comment tout cela finira.

CHAPOTOT

Doux instant de bonheur
Qu’en vain regrette mon cœur !
Hâtez-vous, car cela,
Hélas, un jour, vous quittera.

ROBIN.

Je conçois sa douleur,
Ell’ comptait sur le bonheur.
Peut-êtr’ que ça changera,
Autrement cela finira.

Chapotot sort précédé de Mme Douillet. On entend la porte se fermer à double-tour.

 

 

Scène XIV

 

THÉRÈSE, SARRASIN

 

THÉRÈSE.

Ô mon Dieu !... ils nous laissent... ils nous enferment... Ma tante !... mon parrain !... que c’est donc détestable !... nous ne pouvons pas rester ainsi tous deux... enfermés à la clé... toute la nuit encore.

S’approchant de Sarrasin, qui s’est assis tranquillement.

Allez-vous-en, Monsieur, allez-vous-en, peu m’importe par où... Ah ! par cette fenêtre. Eh bien ! il ne bouge pas... mais répondez-donc, Monsieur, parlez-moi...

SARRASIN, à part.

Ah ben, oui, et mon serment.

THÉRÈSE.

C’est juste... il a promis de ne me rien dire.

Le regardant.

Allons, du moins, c’est un jeune homme bien délicat.

Moment de silence.

Que faire cependant... il n’y a pas moyen de dormir dans une position semblable...

Elle va s’asseoir à l’autre bout du théâtre.

Est-ce qu’il dort, lui ?

SARRASIN, à part.

Plus souvent... dormir...

THÉRÈSE.

Non... non... il se lève... Que va-t-il faire ?...

Sarrasin va mettre le verrou.

Il met le verrou... à quoi bon... hélas ! ne sommes-nous pas enfermés.

Sarrasin va ouvrir les rideaux du lit, puis il se dispose à ôter son habit.

Hein ?... Eh bien ! par exemple, il ne manquerait plus que ça... Monsieur... Monsieur... finissez... ou je me fâche...

Sarrasin obéit.

À la bonne heure... Maintenant, reprenez votre chaise...

Il prend la chaise et la pose près de celle de Thérèse.

Non pas... non pas... Monsieur, là-bas...

SARRASIN, à part, tout en obéissant.

Si je pouvais seulement lui parler en sourd-muet.

THÉRÈSE.

Hein ?... Je croyais qu’il avait parlé !... Oh ! non... pauvre garçon, il tient bien son serment...

Elle approche un peu sa chaise, Sarrasin en fait autant.

Je voudrais bien savoir à quoi il pense, au moins...

Sarrasin lui fait signe que c’est à elle.

THÉRÈSE, vivement.

Taisez-vous... Ah ! j’ai cru qu’il allait s’oublier... moi, d’abord, j’aurais appelé ; mais pour qu’il n’ait plus le moindre prétexte, je ne vais plus le regarder...

Elle tourne sa chaise, tout en s’avançant ; Sarrasin l’imite ; ils sont tout près l’un de l’autre.

SARRASIN, à part.

Est-elle gentille... Ah ! si j’osais.

Il laisse pendre sa main pour rencontrer celle de Thérèse.

THÉRÈSE.

Rester muet si longtemps... je me mets à sa place... comme ça doit lui coûter...

En ce moment, Sarrasin saisit sa main ; elle jette un cri, Sarrasin lui fait signe qu’il ne parle pas.

THÉRÈSE, lui abandonnant sa main.

C’est vrai, il ne m’a rien dit.

Air d’un Ange au troisième étage.

Mais que fait-il, avec ardeur
Il presse ma main sur son cœur...
Finissez donc... je meurs d’effroi !...
Ciel ! il l’embrasse malgré moi !...
C’est très mal,
De manquer à son serment...
C’est très mal !...

Sarrasin lui fait sigue qu’il n’a pas parlé.

Mais au fait, il n’y manque pas vraiment !
C’est très bien !
Puisqu’il le faut, j’en conviens ;
C’est très bien !
En conscience, il ne dit rien...

Sarrasin redouble ses démonstrations.

Deuxième complet.

Ah ! modérez ce beau transport...
À mes genoux !... c’est par trop fort !
Il n’entend rien... que veut-il donc ?

 

 

Scène XV

 

THÉRÈSE, SARRASIN, MADAME DOUILLET, en dehors, puis ROBIN

 

THÉRÈSE et SARRASIN.

Qu’est-ce que c’est que ça ?...

SARRASIN, allant à la fenêtre, qu’il entre-ouvre.

J’entends le pas d’un cheval... Serait-ce le mien ?...

Quelqu’un cherche à ouvrir la porte.

THÉRÈSE.

Qui est là ?...

MADAME DOUILLET, en dehors.

Thérèse !... Thérèse !...

THÉRÈSE.

Ma tante...

MADAME DOUILLET.

Ouvre donc... c’est Jambille, ton mari !

THÉRÈSE.

Mon mari... Mais, Monsieur, ce verrou...

SARRAZIN.

C’est juste !...

Il fait un pas, la fenêtre s’ouvre ; Robin paraît sur le haut d’une échelle.

SARRASIN, l’arrêtant.

Qui vive ?...

ROBIN.

C’est moi, n’ayez pas peur !

SARRASIN.

Que viens-tu chercher ici ?

ROBIN.

Un vétérinaire... notre cheval se trouve mal...

SARRASIN.

Que veux-tu que j’y fasse ?

ROBIN.

Que vous le guérissiez, puisque c’est votre état...

SARRASIN.

C’est vrai... j’oubliais...

ROBIN.

Et comme toutes les portes sont fermées... j’ai pris le plus court chemin... Venez vite, avant qu’il rende l’âme.

Il disparaît.

SARRASIN.

C’est le ciel qui s’en mêle...

THÉRÈSE.

Sauvez-vous...

SARRASIN, la regardant.

C’est pourtant dommage...

ENSEMBLE.

Air du Page du régent.

En ces lieux, pas d’imprudence,
Il le faut,        { partez } sans bruit !
{ je pars }
Surtout, qu’un profond silence
Fasse oublier cette nuit.

Sarrasin disparaît.

 

 

Scène XVI

 

THÉRÈSE, MADAME DOUILLET

 

MADAME DOUILLET, en dehors.

Eh bien ! ma nièce... ouvrirez-vous ?...

THÉRÈSE.

Voilà... ma tante... voilà...

Elle tire le verrou, la porte s’ouvre ; Mme Douillet paraît en costume de nuit.

MADAME DOUILLET.

Vous avez bien tardé à m’ouvrir, Madame... Où est Sarrasin ?

THÉRÈSE.

Parti par la fenêtre.

MADAME DOUILLET.

Et il ne vous a rien dit ?...

THÉRÈSE.

Pas un mot.

MADAME DOUILLET.

C’est étonnant... Enfin, il ne s’agit pas de ça, maintenant... Jambille est peut-être dans l’escalier... Par bonheur, ce vieux Chapotot ronfle comme un hippopotame... je le connais... la cloche ne l’a pas même réveillé... Mais ton mari... ton mari... s’il venait à soupçonner quelque chose...

THÉRÈSE.

Je tremble !...

MADAME DOUILLET.

Écoute... changeons de chambre... c’est-là le plus pressé... et demain nous verrons pour le reste...

THÉRÈSE.

Ma bonne tante !

Elle sort.

MADAME DOUILLET.

Dépêche-toi... la porte à gauche... C’est ça, enferme-toi...

Mme Douillet ferme la fenêtre.

Qu’est-ce que tout cela va devenir ?... j’avais bien raison d’avoir peur...

Revenant à la porte et écoutant.

C’est la voix de Jambille... heureusement, il ne peut plus rencontrer Thérèse...

Elle ferme la porte.

Mais il ne faut pas qu’il me trouve sur pied... cachons-nous, d’abord.

Elle se cache dans l’alcôve et tire les rideaux.

 

 

Scène XVII

 

MADAME DOUILLET, cachée, ROBIN, JAMBILLE, portant une oie enveloppée dans du papier

 

ROBIN.

Par ici... par ici... ne craignez rien...

JAMBILLE.

Prends donc garde... tu vas la réveiller...

ROBIN, confidentiellement.

Soyez tranquille, j’ai éloigné l’autre,

Il sort.

 

 

Scène XVIII

 

JAMBILLE, seul

 

L’autre... hein ?... Comment, l’autre ?... Il a dit l’autre... je sens un froid qui me brûle... Est-ce que Thérèse ?...

On entend Mme Douillet ronfler.

Tiens, elle ronfle ; je ne lui connaissais pas ce défaut-là... Si c’était le seul encore... J’ai éloigné l’autre !... Qui, l’autre ?... Et qu’est-ce que je suis donc, moi ?... suis-je l’un ou l’autre ?... Allons donc je suis victime de quelque quiproquo folâtre... C’est peut-être parce que j’ai laissé ce soir, auprès de ma femme, mon ami Sarrasin... Hein... est-ce que cette vieille bête de tante Douillet aurait raison ?...

Le ronflement redouble.

Est-ce que ce Sarrasin me traiterait de Turc à Maure... misérable !...

Il frappe d’une main sur l’oie, qu’il tient de l’autre.

Oh ! c’est le présent que j’apporte à mon parrain Chapotot... une oie en échange de celle que nous avons mangée hier... elle est meurtrie... n’importe, ça le flattera... Mais, pour en revenir, est-ce que ma femme !... Oh ! fi donc ! le crime ne ronfle pas si fort... Cependant, l’autre !... l’autre !... Il y a charade... or, la charade est une science que je laisse aux esprits vulgaires... je suis au-dessus de ça... ce serait une faiblesse indigne d’un vétérinaire français, et qui m’assimilerait presque à mes nombreux clients... Thérèse... chère Thérèse, je te proclame la vertu personnifiée...

Ronflement.

Oui, chère amie... je suis à toi dans la minute.

Il se déshabille. On entend sonner cinq heures.

Hein ?... je crois que c’est le coucou qui sonne... Quelle indélicatesse !... Méchant farceur, va !... Usé... usé... on n’y croit plus...

Il se coiffe avec un mouchoir.

Ça ne prouve qu’une chose, c’est qu’il est cinq heures... J’ai quitté ma femme hier soir pour aller soigner le père Monnet... je veux dire ses vaches... qui n’étaient pas plus mordues que moi... mais, enfin, elles pouvaient l’être... J’ai couru toute la nuit... et...

Achevant sa toilette.

me v’là coiffé... couchons-nous...

On entend ronfler plus fort.

Diable... diable... je ne sais comment elle peut dormir avec un bruit pareil... Si elle continue... elle va réveiller la maison... Allons, n’importe...

Il souffle la lumière.

Tiens... il fait déjà jour... je vais rattraper le temps perdu... Thérèse... oh ! ma Thérèse...

On frappe à la porte.

Plaît-il ? J’en étais sûr... C’est elle qui en est cause... on l’aura entendue... Malheureuse infirmité !...

 

 

Scène XIX

 

MADAME DOUILLET, d’abord cachée, JAMBILLE, CHAPOTOT

 

JAMBILLE.

Qui est là ?...

CHAPOTOT.

C’est moi.

JAMBILLE.

Qui, moi ?... Serait-ce l’autre ?

CHAPOTOT.

Chapotot, votre parrain.

JAMBILLE.

Mon parrain ! Attendez...

Il va chercher l’oie.

CHAPOTOT.

Est-ce que vous n’êtes pas encore levé ?

JAMBILLE.

Au contraire.

Ouvrant la porte.

Donnez-vous la peine d’entrer.

CHAPOTOT, entrant.

Il est grand jour... Voici la dot.

JAMBILLE, lui sautant au cou.

Bonjour, mon parrain.

CHAPOTOT, se débattant.

Aïe... aïe... aïe... vous m’étouffez.

JAMBILLE, lui offrant l’oie.

Daignez accepter ce léger gage...

CHAPOTOT, le regardant.

Qu’est-ce que c’est que ça ?...

JAMBILLE.

C’est une oie...

CHAPOTOT.

Pas çà... çà... vous ?...

JAMBILLE.

Moi ?...

CHAPOTOT.

Oui... qui êtes-vous ?

JAMBILLE.

Qui je suis ? Pardieu, c’est moi.

CHAPOTOT.

Moi, qui ?...

JAMBILLE.

Votre filleul.

CHAPOTOT.

Mon filleul, qui ?

JAMBILLE.

Jambille !

CHAPOTOT, criant.

Au voleur ! au voleur !...

JAMBILLE, cherchant.

Où çà ? où çà ?...

CHAPOTOT.

Comment vous êtes-vous introduit ici ?

JAMBILLE.

Par la porte.

CHAPOTOT.

Où est l’autre ?

JAMBILLE.

L’autre ! et lui aussi ?... Ah ça ! il y en a donc un, décidément ?

CHAPOTOT.

C’est un joli garçon que j’ai laissé ici ; ce n’est pas vous.

JAMBILLE.

Un joli garçon, dans cette chambre ?

CHAPOTOT.

Mais oui.

JAMBILLE.

Avec ma femme ?

CHAPOTOT.

Comment, votre femme ?...

JAMBILLE, tombant sur une chaise.

Oh !... oh !... de l’eau... des sels... du vinaigre... de la moutarde !...

CHAPOTOT.

Pourquoi faire ?

JAMBILLE, se levant.

Mais non... tout à l’heure... auparavant... à nous deux, madame... il ne s’agit plus de ronfler ; faites trêve à ce sommeil de l’hypocrisie... levez-vous, épouse criminelle...

Il tire les rideaux.

CHAPOTOT.

Cet homme est aliéné...

JAMBILLE.

Que vois-je ?...

MADAME DOUILLET, assise sur le lit, la tête sur l’oreiller.

On n’entre pas...

CHAPOTOT.

Mais ce n’est pas elle que...

JAMBILLE.

Qu’est-ce que ça veut dire ?...

СНАРОТОТ.

Comment, madame, vous êtes mariée, et vous ne me l’avez pas dit !

JAMBILLE, à part.

Ma tante est mariée !

CHAPOTOT.

Je ne vous en fais pas mon compliment, votre mari n’est pas beau !

JAMBILLE.

Qui çà, son mari ?...

CHAPOTOT.

Comment... qui ?

MADAME DOUILLET, feignant de se réveiller.

Où suis-je ?

JAMBILLE.

Nous allons voir !

MADAME DOUILLET, l’embrassant.

Ah ! vous voilà, mon ami... embrassez donc votre femme...

JAMBILLE.

Ma femme... fi !

СНАРОТОТ.

Allons, allons... vous auriez dû me le dire plus tôt... Mais je ne vous en veux pas.

JAMBILLE.

Il ne m’en veut pas... Je le trouve charmant... mais ce n’est pas...

Mme Douillet le pince.

CHAPOTOT.

Vous dites que ce n’est pas...

JAMBILLE.

Je dis...

Mme Douillet le pince encore.

Hein ?...

Il la regarde étonné.

CHAPOTOT, passant entre eux.

Eh bien ?

JAMBILLE, regardant Mme Douillet, qui lui fait des signes.

C’est que je ne me rappelais pas d’abord...

CHAPOTOT.

Votre mariage ?...

JAMBILLE.

Ah ! si, mais... Après ça, vous savez... y a des choses comme ça, d’abord... et puis ensuite... Voilà !...

СНАРОТОТ.

Je ne comprends pas.

JAMBILLE.

Ni moi non plus.

СНАРОТОT.

Mais c’est égal... maintenant, je voudrais bien savoir où est l’autre.

JAMBILLE.

L’autre toujours l’autre !... À la fin, me dira-t-on...

CHAPOTOT.

Il est donc dans la chambre verte, avec sa femme...

JAMBILLE.

La chambre verte... sa femme... C’est trop fort ! Je n’y tiens plus !...

MADAME DOUILLET.

Mais, mon mari...

JAMBILLE.

Moi, votre mari ! Je donne ma démission... Où est la chambre verte ? qu’on me mène à la chambre verte !

СНАРОТОТ.

Cet homme est fort dangereux ; il a été mordu !

JAMBILLE.

Vieillard, sers-moi de guide...

СНАРОТОТ.

Vieillard ?... Ah ça ! dites donc, vieillard vous-même... Ah ! mais !...

JAMBILLE.

Ah ! mais !...

Ensemble.

Air : Ô rage, après cette offense.

L’aventure se complique,
Que veut dire tout cela ?
À la fin, que l’on s’explique,
Ou bien ça se gâtera.

CHAPOTOT.

L’aventure se complique,
Que veut dire tout cela ?
En attendant qu’on s’explique,
Cet argent me restera.

MADAME DOUILLET.

L’aventure se complique.
Que deviendra tout cela ?
Empêchons qu’il ne s’explique,
Ou bien ça se gâtera.

Chapotot sort furieux en emportant le sac d’argent ; Jambille veut le suivre : Mme Douillet le retient par son habit.

 

 

Scène XX

 

JAMBILLE, MADAME DOUILLET, THÉRÈSE

 

MADAME DOUILLET.

Arrêtez !... arrêtez !...

JAMBILLE.

Oui... arrêtez... arrêtez-moi... car dans ma fureur... je serais capable de tout broyer... de tout pulvériser... Ce vieux stupide... la chambre verte... vous... ma femme... et l’autre...

THÉRÈSE, entrant.

Ah ! le voilà...

JAMBILLE.

C’est elle !... ah ! si je ne me retenais !... c’est-à-dire, si ma tante ne me retenait...

MADAME DOUILLET.

Viens, mon enfant, viens ; ton mari a perdu la tête ! il ne veut plus de la dot.

JAMBILLE.

De la dot ! qui est-ce qui a dit c’te bêtise-là ?

MADAME DOUILLET.

Dam ! vous faites un bruit !... Quand on vous fait des signes depuis une heure... c’était convenu...

JAMBILLE.

Convenu... quoi ?

THÉRÈSE.

Sans doute ; vous savez bien que mon parrain est un original, et que sans ça...

JAMBILLE.

Sans quoi ?

MADAME DOUILLET.

On vous l’expliquera plus tard. Mais si vous tenez à la dot...

JAMBILLE.

Si j’y tiens !...

MADAME DOUILLET.

Eh bien ! dites comme nous...

THÉRÈSE.

Oui, comme nous.

JAMBILLE.

Bah !...

MADAME DOUILLET.

C’est pour votre bien !

THÉRÈSE.

Oui, la dot...

JAMBILLE.

Fallait donc le dire !

MADAME DOUILLET.

On vient ! attention, et n’allez pas faire de maladresse ; je vous connais...

 

 

Scène XXI

 

JAMBILLE, MADAME DOUILLET, THÉRÈSE, CHAPOTOT, SARRASIN, portant le sac d’argent

 

CHAPOTOT.

Ah ! je savais bien que je finirais par le trouver...

JAMBILLE.

Sarrasin !...

MADAME DOUILLET et THÉRÈSE.

Chut !...

CHAPOTOT.

Viens, mon garçon, viens ! toi seul est mon filleul... je n’ai pas d’autre filleul ici... et la preuve, c’est que je t’ai trouvé...

JAMBILLE.

Dans la chambre verte ?

СНАРОТОТ.

Non, à l’écurie, où il prodiguait les soins les plus touchants à mon cheval...

JAMBILLE.

Lui !...

Les deux femmes le font taire.

CHAPOTOT.

Aussi, c’est à lui que je donne la dot, à lui seul...

JAMBILLE.

Un instant ! je réclame...

CHAPOTOT.

Comment, un instant ? je vous trouve farce, homme grossier ! Mais d’abord, Jambille...

JAMBILLE.

Hein ?

CHAPOTOT.

Je ne vous parle pas ; je parle à Jambille...

SARRASIN.

Mon parrain !...

СНАРОТОТ.

Connais-tu cet homme ?

SARRASIN.

Mais oui, mon parrain...

JAMBILLE.

Parbleu !

CHAPOTOT.

Et tu connais sa femme ?

SARRASIN.

Mais je crois qu’oui, mon parrain.

JAMBILLE.

Tu la connais... Qu’entends-tu par ces paroles amphibologiques ?

CHAPOTOT.

Taisez-vous ! quel homme, bon Dieu !

À madame Douillet.

Je vous plains bien sincèrement ; il vous renie, quand c’est vous, au contraire, qui devriez le...

JAMBILLE.

Oh ! je me mange les sens ! je me mange les sens ! je me mange les sens !...

MADAME DOUILLET, bas.

Taisez-vous donc ! c’est Sarrasin qui a la dot, et il pourrait bien la garder !

JAMBILLE.

Qu’il la garde, ça m’est égal ! Mais j’en ai assez comme ça, de vos chut !... J’éclate à la fin !

THÉRÈSE.

C’est fait de nous !

CHAPOTOT.

Que va-t-il faire encore ? Retenez-le !...

JAMBILLE, prenant le bras de Sarrasin.

Voyons, toi, me diras-tu où vous avez passé la nuit ?...

СНАРОТОТ.

Au fait, il en a le droit... cette question n’est pas celle d’un hydrophobe... la morale avant tout !... Et moi aussi, j’éprouve le besoin de savoir où vous avez passé la nuit... car, enfin, si j’ai bonne mémoire, je vous avais enfermé hier soir... dans cette chambre, avec...

SARRASIN, vivement.

C’est juste... mais je suis descendu par la fenêtre pour soigner le cheval.

JAMBILLE.

La fenêtre de la chambre verte ?

СНАРОТОТ.

Eh ! non, la chambre verte donne sur le jardin, et l’écurie est dans la cour...

JAMBILLE.

Dans la cour...

Il court à la fenêtre, l’ouvre précipitamment.

CHAPOTOT.

Miséricorde ! il va se jeter par la fenêtre... Arrêtez !

Il le retient avec force.

JAMBILLE, tranquillement.

Merci, vieillard, merci ; précaution inutile ! je suis fort satisfait ! je n’ai pas envie de m’asphyxier, au contraire...

CHAPOTOT.

C’est qu’après ce qui s’est passé... j’aurais pu croire...

À part.

Oh ! Mme Douillet, Mme Douillet !... pauvre homme ! c’est lui que je plains, à présent !...

JAMBILLE.

Ce qui s’est passé... eh ! mais... eh ! mais...

À part.

La tante Douillet... cette fenêtre, le cheval malade...

Il rit.

Hum !

Prenant la main de Sarrasin.

Sans rancune, sans rancune... hum ! hum !...

Il rit.

CHAPOTOT, bas à Sarrasin.

C’est comme ça qu’il le prend, à la bonne heure ! drôle d’homme !

Il rit.

SARRASIN.

N’est-ce pas ?

Il rit aussi. Tous les trois se regardent en riant.

JAMBILLE, s’approchant des deux femmes.

C’est arrangé !

MADAME DOUILLET.

Ce n’est pas malheureux !

THÉRÈSE.

Ainsi, nous pouvons partir ?

SARRASIN.

Oui, ma petite femme ; voici ta dot... remercie ton parrain.

THÉRÈSE.

Mais, monsieur...

JAMBILLE, ricanant.

Allons, ma nièce... remerciez ce parrain,

CHAPOTOT.

Viens, mon enfant, viens, je ne t’en veux plus, ni à ta tante, malgré ses cachotteries... mais on ne me trompe pas deux fois...

JAMBILLE, à part.

Ce vieux est rempli d’amour-propre.

THÉRÈSE.

Adieu, mon parrain.

CHAPOTOT.

Adieu, adieu ! que cette séparation est touchante !

Mouvement général.

 

 

Scène XXII

 

JAMBILLE, MADAME DOUILLET, THÉRÈSE, CHAPOTOT, SARRASIN, ROBIN

 

ROBIN, accourant.

Ah ! monsieur, monsieur ! quel malheur !...

CHAPOTOT.

Qu’est-ce qu’il y a ?

ROBIN.

Le cheval qui se pâme... il a des coliques de miserere...

СНАРОТОТ.

Comment, malgré ce qu’a fait ce brave garçon !

ROBIN.

C’est peut-être à cause de ce qu’il a fait !

СНАРОТОТ.

Un vétérinaire si habile... le plus célèbre de Meaux... de Meaux en Brie !

TOUS.

Ô ciel !...

ROBIN.

Lui ! un vétérinaire ! par exemple ! est-ce que c’est possible !... J’en sais plus que lui... ah ! vous avez beau me menacer...

À part.

Je te tiens, à présent, Papavoine.

Haut.

Un cheval qui n’était pas malade, et à qui il va faire avaler des drogues d’enragés.

CHAPOTOT.

Pourquoi l’as-tu souffert... Je te chasserai.

ROBIN.

Allons, bon ! bien !

JAMBILLE.

Arrêtez !

CHAPOTOT.

De quoi vous mêlez-vous ? Mon pauvre cheval ! il va mourir...

SARRASIN.

Ah ! bah !... je lui ai fait boire de l’eau qui était dans un baquet...

ROBIN.

De l’eau de savon !

JAMBILLE.

Très bien ! je le sauverai !...

CHAPOTOT.

Lui !

JAMBILLE.

Je le sauverai, vous dis-je !... Sarrasin, viens prendre une leçon.

Il emmène Sarrasin, Robin les suit.

 

 

Scène XXIII

 

CHAPOTOT, MADAME DOUILLET, THÉRÈSE

 

CHAPOTOT.

Sarrasin ! quel est donc ce sobriquet ? Sarrasin !...

MADAME DOUILLET, à part.

Cette fois, pas moyen d’échapper...

THÉRÉSE, de même.

Qu’allons-nous devenir ?

CHAPOTOT, remarquant leur trouble.

Ah ! oui... et cet autre qui est vétérinaire, tandis que l’autre...

THÉRÈSE.

Mon parrain !

CHAPOTOT, à Mme Douillet.

Lequel est votre mari, madame ?

MADAME DOUILLEE.

Eh bien ! puisqu’il faut vous l’avouer... Ni l’un, ni l’autre...

CHAPOTOT, à Thérèse.

Et le vôtre, madame ?

THÉRÈSE.

Mon parrain...

CHAPOTOT.

Le laid, n’est-ce pas ?

THÉRÈSE.

Oui, mon parrain... ·

CHAPOTOT.

J’en étais sûr ! Comment, mesdames ! vous n’avez pas de honte !... Vous, ma filleule ! que je laisse hier soir ici, avec un mari qui n’est pas le vôtre, et vous, Mme Douillet, que je retrouve ce matin ici avec un autre mari, qui n’est pas le vôtre ; non plus... Ah ! c’est scandaleux ! je dirai plus, c’est... scandaleux !

THÉRÈSE.

De grâce, mon parrain !

Air : En amour comme en amitié.

Pardonnez-nous, montrez-vous généreux ;
On nous faisait redouter que l’absence,
De ce filleul, appelé par vos vœux,
Ne pût vous faire croire à notre indifférence.
Vous désiriez connaître cet époux,
Pour qui l’amour avait touché mon âme,
Vous refuser eût mérité le blâme,
Je dus, hélas ! me dévouer pour vous.

СНАРОТОТ, attendri.

Oh !...

THÉRÈSE.

Mais à présent, je vois bien que nous avons eu tort, et je me reprocherai, toute ma vie, de devoir à une supercherie un prix que je ne voulais tenir que de votre bonté... la voici, cette dot que vous me destiniez, mon parrain... je ne l’ai pas méritée, reprenez-la, reprenez-la, mais laissez-moi votre amitié.

CHAPOTOT, attendri.

Petite sotte ! elle me touche.

MADAME DOUILLET, à part.

Le fait est qu’il est touché.

Haut.

Oui, vous aurez pitié de sa jeunesse, de notre inexpérience... vous pardonnerez... que dis-je ? vous pardonnez déjà, car vous êtes bon, vous êtes sans fiel... Je vous connais.

CHAPOTOT.

Eh bien ! oui, je ne le cache pas... je suis mouillé de larmes... Tiens, Thérèse, garde mon amitié, et ta dot par-dessus le marché.

MADAME DOUILLET.

Homme généreux !

CHAPOTOT.

Quant à vous, Mme Douillet... je veux bien croire que la morale...

MADAME DOUILLET.

La morale est sauvée !

 

 

Scène XXIV

 

CHAPOTOT, MADAME DOUILLET, THÉRÈSE, JAMBILLE, SARRASIN, ROBIN

 

JAMBILLE, arrivant sur les derniers mots.

Et votre cheval aussi !

CHAPOTOT.

Mon cheval ? ah ! je respire... Et c’est lui qui a fait cette cure !

JAMBILLE.

Moi ? c’est-à-dire...

MADAME DOUILLET.

Il sait tout !

JAMBILLE.

Ah bah !

SARRASIN.

Tout, tout !...

THÉRÈSE, bas.

Silence !

СНАРОТОТ.

Oui ; et ce dernier trait me décide... Tu as sauvé mon cheval, tu peux reprendre ta femme.

ROBIN.

Comment, sa femme ? ah ça ! eh bien... et l’autre ?...

JAMBILLE.

Encore l’autre !

ROBIN.

Oui, le mari qui...

Sarrasin lui donne un coup de pied.

Ah ! bon ! je comprends !...

SARRASIN.

Ce n’est pas sans peine !

CHŒUR.

Air de Pedrilla.

Enfin, plus de contrainte,
Plus de soupçons jaloux,
Et désormais sans crainte,
Restons chacun chez nous.

JAMBILLE.

Air de l’Ours et le Pacha.

J’en suis quitt’ pour la peur du mal,
Je règne seul dans mon ménage.

SARRASIN.

La figure de mon rival,
Me venge de son mariage.

JAMBILLE.

Ceci me paraît louche.

SARRASIN.

Louche vous-même !

JAMBILLE.

Hein ?

SARRASIN.

Il a un pied de nez.

THÉRÈSE.

N’allez-vous pas vous disputer, maintenant ? Taisez-vous tous les deux !

Au public.

Soyez indulgents pour chacun,
D’ mon parrain pour ce bon apôtre,

Elle montre son mari.

Qu’ la clémenc’ fass’ naître la vôtre ;
Songez, si vous frappez sur l’un,
Que ça retombera sur l’autre.

Reprise de CHŒUR.

Enfin, plus de contrainte,
Plus de soupçons jaloux,
Et désormais sans crainte,
Restons chacun chez nous.

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