Les Tracasseries (Louis-Benoît PICARD)

Sous-titre : monsieur et madame Tatillon

Comédie en quatre actes.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Odéon, le 25 juin 1804.

 

Personnages

 

MONSIEUR TATILLON

MADAME TATILLON

MONSIEUR GERVAULT, notaire

MADAME GERVAULT

CHARLES, leur fils

MONSIEUR DESJARDINS, marchand

MADAME DESJARDINS

CÉCILE, leur fille

MONSIEUR GRANVILLE, marchand forain

MADAME LAMBERT, marchande

THOMAS, aubergiste

GABRIEL, valet de Monsieur Thomas

UN PORTEUR

 

La scène se passe dans un bourg.

 

 

PRÉFACE

 

Encouragé par le succès de Monsieur Musard, je cherchais un autre caractère qui pût encore faire une jolie pièce en un acte. Celui de Tatillon vint s’offrir à moi. Malheureusement je crus voir la nécessité de donner plus d’étendue aux développements du caractère de M. Tatillon, qui veut tout faire, que je n’en avais donné aux développements du caractère de M. Musard qui ne fait rien, et je me décidai à mettre la pièce en trois actes. Bientôt je crus que, pour bien peindre M. Tatillon, il fallait le représenter brouillant tout le monde autour de lui, et je vis la matière de cinq actes. Enfin il me parut plaisant qu’après avoir brouillé tout le monde pendant la pièce, on le brouillât avec sa femme au dénouement, et je fus conduit à faire le rôle de madame Tatillon.

Qu’en résulta-t-il ? Je multipliai les personnages d’une manière fatigante pour le spectateur. Les présentant tous en querelle les uns contre les autres, je crus devoir donner à la pièce un double titre, et je l’appelai les Tracasseries. C’était agrandir mon sujet. J’eus le tort de ne pas agrandir en même temps mon action. Car quoique souvent les deux choses se touchent et se confondent, encore est-il vrai de dire qu’on se fait une plus grande idée d’une tracasserie que d’un tatillonage ; et ici l’action ne roule presque toujours que sur des tatillonages. Enfin le caractère divisé entre le mari et la femme produisit moins d’effet, et d’un sujet qui aurait pu faire une jolie comédie en un acte, je fis une pièce médiocre en quatre actes ; car après la première représentation je fus obligé de supprimer un acte.

Tous mes personnages marchent par couples dans cette comédie. On y voit Monsieur et Madame Tatillon, la jeune personne et son amant, le père et la mère de la jeune personne, le père et la mère du jeune homme, monsieur Granville et, madame Lambert. Que de monde employé pour arriver à un si mince résultat ! Le caractère de monsieur et madame Tatillon me force à des détails minutieux, qui le paraissent encore davantage lorsqu’ils remplissent quatre actes tout entiers. La marche de la pièce qui me paraît assez bonne rappelle trop celle de plusieurs de mes comédies. C’est une action nouée par le personnage ou les personnages ridicules, et dénouée par l’homme raisonnable ou par le caractère d’opposition.

Le premier acte obtint beaucoup de succès et je crois qu’il le mérite. Le caractère de Tatillon s’y annonce bien. Il y a une bonne scène au troisième acte, celle où M. Tatillon se propose pour être l’arbitre des deux pères. Il y a par-ci par-là quelques mots, quelques traits, et M. Thomas est assez heureux dans les moyens qu’il emploie au dernier acte pour réconcilier tout le monde, et brouiller ensemble ceux qui ont brouillé les autres.

C’est un caractère fort commun dans la société et qui pouvait être comique au théâtre que celui d’un brouillon, d’un tracassier, d’un tatillon se mêlant de tout chez lui et chez les autres, brouillant les ménages, divisant les amis, donnant des soupçons aux jeunes filles, de l’humeur à leurs amants, et, sans être précisément méchant, accumulant les méchancetés ; mais il faut que ce caractère s’occupe d’un foule de minuties, de niaiseries. Qui dit tatillon dit bavard et médisant. Il ne peut y avoir d’intérêt que pour un acte : il faut bien plus de détails que pour un acte. Plus ces détails sont vrais, plus ils sont petits ; plus ils sont petits, plus l’intérêt diminue.

 

 

ACTE I

 

Le théâtre représente la place publique d’un gros bourg : d’un côté, l’auberge de monsieur Thomas, avec cette enseigne, AUX BONS AMIS, THOMAS AUBERGISTE, LOGE À PIED ET À CHEVAL ; de l’autre, la boutique de monsieur Desjardins, avec cette enseigne, À LA BONNE FOI, DESJARDINS, MARCHAND DE DRAPS : plus loin, la maison de monsieur Gervault, avec cette inscription, GERVAULT, NOTAIRE.

 

 

Scène première

 

GABRIEL, THOMAS

 

THOMAS, sortant de sa maison, apportant une table et deux chaises.

Hé ! Gabriel ?

GABRIEL, en dedans.

On y va.

THOMAS.

Allons donc ; il est six heures et le quart, voilà déjà tous les petits marchands de la foire installés et à leurs affaires ; songeons aux nôtres : la petite chambre verte sur la rivière pour la veuve Lambert, cette jolie marchande que tu as vue l’année dernière ; le numéro 6 pour monsieur Granville le marchand de toiles, qu’elle appelle son compère : ils arriveront tous les deux ce matin. À la chaise de poste arrivée d’hier au soir, du thé et des rôties : va ouvrir au numéro 8, chez ces rouliers qui sont partis avant le jour. Vois si on est éveillé au numéro 5. Le couvert au grand salon pour le repas d’accordailles de nos voisins, quoiqu’on ne doive se mettre à table qu’à trois heures ; ce qui est fait n’est plus à faire, entends-tu.

GABRIEL, rentrant.

Oui, monsieur.

 

 

Scène II

 

TATILLON, THOMAS

 

TATILLON, en voyageur, arrivant par le fond.

Un très joli endroit ! on me l’avait dit, et je l’avais deviné sur la carte ; quoi qu’en puisse dire madame Tatillon, c’est ici que je veux m’établir ; ils appellent cela une ville, c’est tout au plus un petit bourg : tant mieux. La société y est charmante, m’a-t-on dit ; je n’y connais personne ; mais j’aurai bien vite fait connaissance. Je suis sûr d’ailleurs d’y trouver quelques amis, quelques parents, ou quelque ami de mes amis. J’en ai tant !

Pendant ce couplet de Tatillon, Thomas va, vient, range, s’occupe, rentre dans sa maison, et en sort avec sa canne et son chapeau.

THOMAS.

Or çà, maintenant j’ai à courir pour le repas des voisins.

TATILLON.

Il ne s’agit que d’aborder et d’interroger avec franchise le premier venu.

Apercevant Thomas.

Justement  ; monsieur, monsieur ?

THOMAS.

Qu’est-ce que c’est ?

TATILLON.

Monsieur, j’ai bien l’honneur de vous saluer.

THOMAS.

Votre serviteur, monsieur : qu’y a-t-il pour votre service ?

TATILLON.

Voudriez-vous avoir la complaisance de m’accorder un moment d’entretien ?

THOMAS.

Pardon, monsieur, mais j’ai beaucoup d’affaires.

TATILLON.

Oui, vous avez une foire aujourd’hui, à ce qu’il paraît ; c’est un moment de crise pour les habitants, mais ils ne s’en plaignent pas cela met de l’argent dans le pays.

THOMAS.

Au fait, monsieur, je vous en prie.

TATILLON.

Monsieur est un habitant de ce village, de cette ville, veux-je dire. Monsieur, je me nomme Tatillon ; j’habitais la ville qui est à douze lieues d’ici environ ; je jouis d’une certaine aisance ; j’ai une femme que j’adore ; pourquoi ? c’est que son caractère sympathise parfaitement avec le mien, et c’est bien la base du parfait bonheur en ménage, vous en conviendrez.

THOMAS.

Oui sans doute.

TATILLON.

Monsieur, des circonstances que je vous détaillerai me font quitter mon pays, on y est méchant, tracassier, curieux, indiscret et bavard ; et comme ces défauts sont mon antipathie, comme d’ailleurs mes propriétés se trouvent situées dans le voisinage, j’ai résolu de me fixer dans votre village : pardon, je me trompe toujours, c’est dans votre ville que je voulais dire.

THOMAS.

Monsieur, j’aime à croire que cela sera fort heureux pour la ville ou le village, comme vous voudrez ; mais voulez-vous bien permettre...

Il veut sortir.

TATILLON.

Un mot encore, s’il vous plaît. Nous sommes partis hier dans ma chaise, avec un cheval à moi, sans domestique, sans postillon ; car sans me flatter je ne conduis pas mal, et d’ailleurs mon cheval me connaît ; nous avons couché à deux lieues d’ici dans un petit hameau, où nous aurions été bien plus mal traités si je ne m’étais pas un peu mêlé de la cuisine. Ma femme se sentait quelque répugnance pour votre pays ; sans lui rien dire, je suis parti ce matin à pied, et tout en me promenant je viens prendre des renseignements sur les mœurs, le caractère des habitants : je vous rencontre, votre physionomie me prévient en votre faveur, et je vous prie de vouloir bien m’aider, me guider dans mes observations, parce qu’avant tout, point de tracasseries, point de caquets, ou je ne reste point chez vous.

THOMAS.

Ma foi, monsieur, vous vous adressez mal ; j’ai, grâce au ciel, un état qui m’occupe assez pour ne pas me laisser le temps d’examiner la conduite et d’observer le caractère de mes voisins ; je les trouve quand j’ai besoin d’eux, comme ils me trouvent quand ils ont besoin de moi ; et au lieu de m’amuser à chercher quelles sont leurs bonnes ou mauvaises qualités, je jouis des unes et je leur passe les autres presque sans m’en apercevoir ; ils agissent de même à mon égard ; et comme il n’y a personne d’oisif dans le pays, tout le monde vous y fera à peu près la même réponse. Je vous souhaite bien le bonjour.

Il veut sortir.

TATILLON.

Un moment, de grâce, monsieur. Votre réponse me décide plus que tous les détails que vous pourriez me donner ; point d’oisifs, je ne le serai pas non plus, je vous en réponds ; ce n’est pas que j’aie tout-à-fait votre caractère, c’est un bonheur pour moi que de savoir les sentiments, les opinions, les aventures des personnes. Plus d’une fois je me suis surpris dans un lieu public, dans un café, dans un spectacle, (car je n’ai pas toujours habité mon pays), écoutant, recueillant les conversations, donnant des conseils selon ma conscience ; c’est curiosité peut-être, mais c’est surtout désir d’obliger : on peut avoir votre caractère sans être égoïste, comme on peut avoir le mien sans être tracassier. Mais, pardon, je vous retiens. Faites-moi le plaisir de m’indiquer une auberge où je puisse loger, en attendant que j’aie trouvé une maison convenable.

THOMAS.

Mais si vous ne connaissez personne, je vous indiquerai la mienne que voilà.

TATILLON.

Quoi ! vous seriez...

Lisant l’enseigne.

aux Bons Amis... Enseigne touchante ! Je veux être des vôtres.

THOMAS.

Monsieur...

TATILLON.

Non, vraiment, votre conversation me plaît ; la situation de votre maison est agréable ; il paraît que ce sont les gens recommandables de l’endroit qui demeurent sur cette place, c’est là que je veux loger. Or çà, je ne suis pas difficile ; mais comme c’est une surprise que je veux ménager à madame Tatillon, choisissez-moi votre plus jolie chambre, je m’en rapporte absolument à vous cependant avant d’aller rejoindre ma femme, je serais bien aise de la voir...

THOMAS.

Rien de si facile.

Appelant.

Gabriel ! c’est mon garçon. Il vous montrera mes chambres, vous choisirez ; pardon, mais je sortais...

TATILLON.

Vous vous moquez, faites vos affaires, c’est trop juste ; parbleu ! monsieur Thomas, c’est votre nom, n’est-ce pas ? (je l’ai lu sur votre porte), je suis bien enchanté que ma bonne étoile m’ait adressé à vous.

THOMAS.

Trop honnête.

 

 

Scène III

 

GABRIEL, THOMAS, TATILLON

 

THOMAS.

Gabriel, montre à monsieur toutes les chambres, excepté celles qui sont retenues pour les gens de la foire, et surtout ne t’amuse point à babiller ; fais tes affaires, sans t’occuper de celles des autres. Monsieur, j’ai l’honneur de vous saluer.

Il sort.

TATILLON.

Un très bon principe qu’il a là, monsieur Thomas !

 

 

Scène IV

 

TATILLON, GABRIEL

 

GABRIEL.

Monsieur, je suis à vos ordres.

TATILLON.

C’est moi qui suis aux vôtres, mon ami ; je ne veux pas vous faire perdre votre temps ; un jour de foire vous devez avoir bien de l’ouvrage.

GABRIEL.

Eh ! mais, vraiment, monsieur, nous n’en manquons pas ; n’avons-nous pas une noce encore !

TATILLON.

Une noce !...

GABRIEL.

C’est tout comme. Un repas d’accordailles où ils seront plus de trente à table.

TATILLON.

Bah ! qu’est-ce qui se marie donc ?

GABRIEL.

Eh ! vraiment, Charles Gervault, le fils du notaire qui demeure là.

TATILLON.

Le notaire Gervault, celui qui fit le partage après le décès du propriétaire de ce grand domaine ?

GABRIEL.

Ah dame ! je ne sais pas.

TATILLON.

Cela a fait du bruit jusque chez nous. Un homme très capable et qui fait-il épouser à son fils ?

GABRIEL.

Mademoiselle Desjardins, la fille du marchand de draps dont voilà la boutique.

TATILLON.

Ah ! ah ! Desjardins ; mais nous devons être alliés. Il y a des Desjardins dans la famille de ma femme.

GABRIEL.

Cela se peut bien. Et cela fera, ma foi, un gentil ménage ; le jeune homme étudiait à Paris pour être avocat.

TATILLON.

Ah ! fort bien il est venu passer ses vacances ici ; c’est le temps.

GABRIEL.

Et ne voilà-t-il pas qu’il lui prend une belle fantaisie de ne plus retourner à Paris, et de prendre tout bonnement la charge de son père.

TATILLON.

Et les deux jeunes gens s’aiment bien ?

GABRIEL.

Ils ont été élevés ensemble ; et ce mariage-là fait plaisir à tout le monde, parce que d’abord ça finit des procès qui duraient depuis six mois entre le père Gervault et le père Desjardins, et que ça accommode de petites querelles entre la mère Desjardins, qui est un peu bavarde, et la mère Gervault, qui ne laisse pas que d’être un peu fière. Mais qu’est-ce que je fais donc ? je babille avec vous, malgré la défense de monsieur Thomas. Au fait, ce mariage-là me réjouit ; et puis, ma foi, le naturel l’emporte, j’aime à parler, comme madame Desjardins ; je ne puis le cacher.

TATILLON.

Eh bien ! mon ami, c’est quelque chose que d’avouer ses défauts. Ce que vous dites d’ailleurs est bien fait pour intéresser tout ce qui porte un cœur... Un mariage d’inclination, qui finit des procès, qui assoupit des querelles ! c’est touchant. Parbleu, puisque je suis presque parent des Desjardins, et que je sais apprécier le mérite de monsieur Gervault le notaire, je ne négligerai pas l’occasion de leur faire agréer mes civilités.

GABRIEL.

Tenez, voilà justement le jeune marié, qui sort tout habillé de chez son père. Dame ! on est matinal un jour comme celui-ci.

 

 

Scène V

 

TATILLON, GABRIEL, CHARLES

 

CHARLES.

Ah ! c’est toi, Gabriel ; tu vois un homme au comble de la joie. On n’est pas encore levé chez madame Desjardins ?

GABRIEL.

Au moins la porte n’est-elle pas encore ouverte.

TATILLON, à part.

Bon jeune homme ! son air de fête me rappelle des souvenirs bien chers. Quand j’épousai madame Tatillon, j’étais comme cela précisément.

À Gabriel.

Mon ami, présentez-moi donc à ce jeune homme ; je serai enchanté de faire connaissance avec lui.

GABRIEL.

Monsieur Gervault, voilà un monsieur qui vient loger chez nous, et qui serait charmé de vous présenter ses compliments.

TATILLON.

Oui sans doute, monsieur, je suis fait plus qu’un autre pour apprécier votre bonheur. Vous êtes avocat de Paris ; vous excuserez ma rustique éloquence ; et d’ailleurs quand c’est le cœur qui parle... Monsieur, je suis ravi que vous épousiez, après tant de traverses, l’objet que vous n’avez cessé d’aimer.

CHARLES.

Monsieur, bien sensible...

TATILLON.

Je sais tout. Vous faites à l’amour le sacrifice d’un bel état à Paris, et peut-être de vos propres intérêts ; car enfin il était possible que monsieur votre père eût raison dans ce procès contre le père de votre prétendue.

CHARLES.

Ma foi, monsieur, quoique ce soit mon état, je vous avoue que je n’ai jamais pu rien comprendre à ce maudit procès. Mais enfin il est arrangé ; mon contrat de mariage avec Cécile et la transaction entre nos parents ne fera qu’un seul et même acte.

TATILLON.

Ah ! cela n’est pas tout-à-fait dans la règle.

CHARLES.

Comment, monsieur...

TATILLON.

C’est égal ; quand on est bien d’accord... Vous êtes étonné de l’intérêt que je prends... C’est dans mon caractère ; je partage la peine et le bonheur des gens. Monsieur, j’espère que j’aurai le plaisir de vous revoir.

À Gabriel.

Venez, mon ami, me montrer la chambre que vous me destinez.

CHARLES.

Ah ! l’on ouvre chez monsieur Desjardins : c’est Cécile.

TATILLON.

Est-ce la mariée ? Voyons si elle est jolie.

 

 

Scène VI

 

GABRIEL, TATILLON, CHARLES, CÉCILE

 

CÉCILE.

C’est vous, Charles...

CHARLES.

Cécile !

TATILLON.

Elle est charmante...

CÉCILE.

Ma mère achève de s’habiller, mon père se prépare pour la pêche ; vous savez que c’est sa passion, et aujourd’hui surtout il veut se signaler.

CHARLES.

Moi j’ai laissé le mien qui voulait consulter ma mère et moi sur les articles. Quel conseil aurais-je pu lui donner ? Je vous épouse ; que m’importent toutes les clauses, tous les arrangements du contrat.

TATILLON.

Noble désintéressement ! Mademoiselle, que je vous félicite d’avoir inspiré un sentiment profond à un homme aussi délicat ! Cet amour vous honore vous-même, et donne une opinion bien avantageuse... sans parler des grâces que la jeunesse et la beauté... bref, je suis attendri du tableau de votre mutuelle inclination.

CÉCILE.

Monsieur, je vous remercie...

À Charles.

Qu’est-ce que c’est donc que ce monsieur-là ?

CHARLES.

Je ne le connais pas ; mais il fait votre éloge, et je ne peux trouver son compliment indiscret.

CÉCILE.

Il fait le vôtre, comment ne me plairait-il pas ? Voici ma mère.

 

 

Scène VII

 

GABRIEL, TATILLON, CHARLES, CÉCILE, MADAME DESJARDINS

 

MADAME DESJARDINS.

Ah ! c’est vous, mes enfants ; en vérité, ma fille, te voilà toute rayonnante ; et ton futur ; n’est-il pas charmant ? Ma foi, mon cher avocat, vous avez bien fait pour nous tous de venir passer vos vacances avec nous. C’était cruel pour des voisins, de bonnes gens, d’être comme cela sur la réserve. Ta mère est un peu fière ; moi, l’on dit que je suis bavarde ; et puis ce malheureux procès pour savoir à qui demeurerait le pré qui est au bas du coteau ! On avait monté la tête à monsieur Desjardins ; ma pauvre fille séchait sur pied : grâce à toi et aux bons conseils de notre voisin l’aubergiste tout est arrangé. Il est si doux de vivre en bonne intelligence !

TATILLON.

Oh ! sans doute ; et comme vous dites, madame, quel dommage que de bonnes gens comme vous se trouvassent dans la nécessité des querelles...

MADAME DESJARDINS.

Monsieur...

TATILLON.

Vous cherchez où vous m’avez vu, n’est-ce pas ? Nulle part, et cependant nous ne sommes peut-être pas étrangers l’un à l’autre, madame Desjardins.

MADAME DESJARDINS.

Comment donc...

 

 

Scène VIII

 

GABRIEL, TATILLON, CHARLES, GERVAULT, MADAME GERVAULT, sortant de chez eux, MADAME DESJARDINS, CÉCILE

 

MADAME GERVAULT.

Oui, monsieur Gervault, il ne nous convient pas d’être mesquins. En fait de procédés, je ne veux jamais rester en arrière : vu la dot que monsieur Desjardins donne à sa fille, nous devons porter le douaire à dix mille francs.

GERVAULT.

Eh ! mais, madame Gervault, c’était si bien mon intention, que les dix mille francs sont écrits sur ma minute.

MADAME GERVAULT.

À la bonne heure. Ah ! bonjour, ma voisine ; bonjour, ma chère Cécile.

TATILLON.

C’est le père et la mère du jeune homme... Un air fort respectable.

GERVAULT.

Eh bien, voisine, nous les marions donc enfin, ces chers enfants. Ah çà ! quoique ce ne soit pas encore la noce, nous danserons, j’espère. Je vous retiens pour la première contre-danse.

TATILLON.

Il paraît fort gai, le père Gervault...

MADAME DESJARDINS.

Beaucoup d’honneur que vous me ferez, mon voisin ; je voudrais que mon mari fût là pour vous rendre le réciproque.

TATILLON.

Et sans le connaître encore, j’oserais bien gager qu’il n’y manquerait pas.

À monsieur Gervault.

Monsieur Gervault veut-il bien me permettre de lui témoigner le plaisir que j’éprouve de saluer un homme dont la réputation de science et d’intégrité s’est répandue d’une manière aussi brillante.

GERVAULT.

Monsieur...

TATILLON.

Vous ne me connaissez pas. Je vous connais, moi, de réputation : c’est vous qui avez fait l’inventaire et le partage chez monsieur de Saint-Hilaire, à dix lieues d’ici.

GERVAULT.

Il est vrai.

TATILLON.

C’était une affaire très délicate et qui vous a fait beaucoup d’honneur.

GERVAULT.

Ah ! monsieur...

À madame Desjardins.

Connaissez-vous ce monsieur-là ?

MADAME DESJARDINS.

Non, ma foi ; mais il est bien aimable, il fait des compliments à tout le monde.

MADAME GERVAUT, bas à Charles.

Dis donc, Charles, tu n’as pas parlé à Cécile de la corbeille de mariage ; tu as bien fait, cela me regarde, c’est pour tantôt chez monsieur Thomas.

TATILLON, qui a entendu madame Gervault.

Hem ! Plaît-il ? la corbeille de mariage ; fort bien, ils pensent à tout, ces bonnes gens.

GERVAULT.

Eh bien ! où est-il donc, le voisin ?

MADAME DESJARDINS.

Tenez, le voilà avec ses filets.

 

 

Scène IX

 

GABRIEL, TATILLON, CHARLES, GERVAULT, MADAME GERVAULT, DESJARDINS, MADAME DESJARDINS, CÉCILE

 

DESJARDINS, portant des filets de pêche.

Bonjour tout le monde ; allons, enfants, de la joie, de la gaieté, et bonne pêche, c’est ce que vous me souhaitez, n’est-ce pas ? Ce serait bien le diable si je ne prenais rien le jour que je marie ma fille !

GERVAULT.

Ah çà, voisin, veux-tu que nous passions un moment chez toi pour examiner les articles ? Mon confrère du village voisin doit être ici de bonne heure ; et comme c’est lui qui fera le contrat.

DESJARDINS.

Ma foi, Gervault, finis tout cela avec nos femmes, je n’y entends rien, je m’en rapporte à toi. Laisse-moi arranger mes filets.

TATILLON, à monsieur Desjardins.

La pêche occupation douce, innocente passion qui prouve bien dans un homme la pureté de son âme. Nous n’y sommes pas novices ; nous connaissons un peu la ligne et l’épervier.

DESJARDINS.

Monsieur, je n’en doute pas...

TATILLON.

Nous ne nous sommes jamais vus, monsieur Desjardins, nous sommes pourtant presque parents. Vous avez entendu parler dans votre famille de mon épouse. Elle est nièce ou cousine d’un Desjardins.

DESJARDINS.

C’est possible, monsieur...

TATILLON.

Cherchez, vous vous rappellerez : Pierrette Ducaquet, femme Tatillon.

DESJARDINS.

Eh parbleu ! sa mère était cousine de la mienne.

TATILLON.

C’est cela même. Mais, pardon, la joie de rencontrer une famille aussi intéressante, car vous n’en faites plus qu’une, m’a rendu indiscret. Je ne veux pas l’être davantage. Combien vous me faites chérir de plus en plus ma résolution de me fixer dans votre pays ! Oui, je serai votre voisin, votre ami. Je jouirai de votre bonheur, et vous contribuerez au mien.

À Desjardins.

Nous irons à la pêche ensemble.

À Gervault.

Si vous daignez me consulter sur le contrat de mariage, j’ai quelques connaissances des lois et des coutumes.

Bas à madame Gervault.

Quant à la corbeille de mariage dont je vous ai entendu parler, c’est mon épouse dont le goût peut vous être très utile.

À Gabriel.

Venez, mon ami, me montrer la chambre que je dois occuper.

À tous.

J’ai bien l’honneur de vous faire ma très humble révérence.

Il entre chez Thomas.

GABRIEL, aux autres.

C’est un original, mais c’est un bon homme.

 

 

Scène X

 

CHARLES, MADAME GERVAULT, GERVAULT, DESJARDINS, MADAME DESJARDINS, CÉCILE

 

MADAME GERVAULT.

Qu’est-ce donc que ce monsieur-là ?...

CHARLES.

Ma foi nous ne le connaissons ni les uns ni les autres, et il s’est empressé de nous faire des amitiés à tous.

GERVAULT.

Il n’y a pas de mal à cela. C’est un plaisir que de recevoir des compliments, même de gens inconnus.

MADAME DESJARDINS.

C’est si vrai que j’ai été presque tentée d’inviter ce monsieur à notre repas...

DESJARDINS.

Eh ! mais, écoute donc, il est presque notre parent, et on aime à avoir des témoins de son bonheur.

CHARLES.

Oh ! sans doute. Convenez que rien n’est plus aimable qu’une bonne et sincère réconciliation.

MADAME DESJARDINS.

Surtout quand on a eu des torts. Parce que nos maris se trouvaient en difficultés d’intérêt, aller m’imaginer que la voisine prenait des tons avec moi, ne voulait plus me saluer, et nous méprisait à cause de notre commerce !

MADAME GERVAULT.

Et moi, qui ne pouvais m’ôter de la pensée que la voisine me mêlait dans tous ses bavardages !

GERVAULT.

Et moi, qui, comme un sot, suivais les conseils de ce maudit procureur du bourg voisin, qui, un jour après dîner, me mit cette belle imagination de procès dans la tête ! il faut avouer que j’étais bien dupe.

DESJARDINS.

N’allais-je pas l’être davantage, quand, furieux de payer tout ce fatras de papier timbré, je pensais à donner ma fille à un autre que ton fils ?

CÉCILE.

Et moi, comme je souffrais quand j’entendais dire que monsieur Charles allait se marier à une riche héritière à Paris !

MADAME DESJARDINS.

Il s’ensuit donc que nous étions tous bien à plaindre, et qu’au contraire, à présent, nos maris ne plaident plus, nous sommes redevenues bonnes amies, nos enfants s’aiment plus que jamais, et nous les marions ; c’est charmant !

 

 

Scène XI

 

CHARLES, MADAME GERVAULT, GERVAULT, THOMAS, GRANVILLE, DESJARDINS, CÉCILE, MADAME DESJARDINS

 

THOMAS, à un homme qui porte une hotte pleine de provisions.

Portez tout cela chez moi ; dites à Gabriel qu’il vous débarrasse... Ah ! ah ! vous voilà tous ; c’est bien, et pour surcroît de plaisir, je vous annonce un ami, monsieur Granville, ce marchand de la ville qui est à douze lieues ; il vient pour la foire ; le voilà.

GRANVILLE, arrivant.

Eh bien ! qu’est-ce que monsieur Thomas vient de me dire ? On se marie ici, on s’est réconcilié ; bravo, c’est d’un bon présage pour les affaires que je ferai à la foire.

THOMAS.

Convenez qu’il ne manque plus pour voir tous vos amis réunis que madame Lambert, votre commère.

GRANVILLE.

Est-ce qu’elle n’est pas encore arrivée ?`

THOMAS.

Je l’attends ; j’ai fait préparer sa chambre, ainsi que la vôtre au moins, monsieur Granville. Eh bien ! où en sont vos amours avec elle ?

GRANVILLE.

Mais, moi, de plus en plus amoureux ; elle, de plus en plus maligne et coquette : nous nous rencontrons à toutes les foires des environs ; elle me vend sa dentelle au poids de l’or, elle prend ma toile pour rien : mais patience ; je finirai par faire un bon marché avec elle, il faudra bien que je me marie à mon tour.

MADAME GERVAULT.

Au fond, c’est une bonne femme.

MADAME DESJARDINS.

Et d’une gaieté charmante ; épousez-la, monsieur Granville ; elle vous fera bien un peu enrager, mais vous serez heureux avec elle.

THOMAS.

À propos, j’ai chez moi un homme de votre pays.

DESJARDINS.

Bon ! serait-ce ce monsieur qui est notre parent ?

GERVAULT.

Et qui, pour la première fois qu’il nous voyait, nous a fait des compliments à tous sur notre bonheur.

GRANVILLE.

Bon ! et qui donc ?

THOMAS.

Tenez, le voilà.

 

 

Scène XII

 

CHARLES, MADAME GERVAULT, GERVAULT, THOMAS, GRANVILLE, DESJARDINS, CÉCILE, MADAME DESJARDINS, TATILLON

 

TATILLON, en sortant de la maison.

Entendez-vous. Des lisières sous la porte, de l’eau dans la carafe, et du papier à lettre sur la table.

GRANVILLE, reconnaissant Tatillon.

Ah ! mon Dieu ! c’est monsieur Tatillon.

TATILLON, allant à Thomas.

J’aurais mieux aimé la petite chambre qui donne sur la rivière, mais puisqu’elle est retenue...

Apercevant Granville.

Que vois-je ? c’est vous, mon cher Granville. Que je vous embrasse ; et par quel heureux hasard vous trouvé-je en ces lieux ? vous, le seul ami, le seul homme estimable peut-être que je puisse citer dans ma maudite ville.

GRANVILLE.

Monsieur, c’est beaucoup d’honneur pour moi...

TATILLON.

Messieurs et mesdames, voulez-vous bien permettre que je vous présente monsieur Granville, négociant très considéré, un galant homme, mon ami, j’ose le dire, et que je vous prierai d’aimer un peu à cause de moi.

THOMAS.

Eh ! mais, monsieur, l’ami Granville est connu de nous depuis plus longtemps que vous ne l’êtes vous-même.

TATILLON.

En vérité ! Ah ! c’est tout simple : il vient vous voir de temps en temps pour son commerce, et quand j’y pense, c’est la foire qui l’amène aujourd’hui. Eh bien ! puisque vous vous connaissez tous, je ne vous ferai pas faire connaissance ; mais vous me permettrez bien de me féliciter de la bonne rencontre ; ma femme sera enchantée de vous voir.

GRANVILLE.

Comment ! est-ce qu’elle est ici ?

TATILLON.

Pas encore, mais elle y sera bientôt ; je cours la chercher : elle est à deux lieues, je l’aurai bientôt ramenée. Vous ne savez pas ? c’est fini, je quitte notre pays. Oh ! je n’y pouvais plus tenir. Et vous ferez comme moi tôt ou tard ; on y est si méchant ! Quelle différence avec ce séjour, asile de la paix, de l’innocence  ! aussi je m’y établis. Je loge provisoirement aux Bons Amis, chez monsieur Thomas. Parbleu ! si vous n’avez pas d’auberge, il faut que vous y logiez aussi ; il y a encore des chambres charmantes.

THOMAS.

Eh ! mais, mon Dieu ! monsieur, vous vous empressez ainsi de proposer, et tout ce que vous proposez est fait d’avance. Granville ne loge jamais autre part que chez moi, et c’est à lui qu’est réservée une des chambres que mon garçon a dû vous refuser.

TATILLON.

Ah ! ah ! vous logez aussi aux Bons Amis. Surcroît de bonheur. Allons, il me tarde de vous présenter ma femme.

Donnant la main à Granville.

Sans adieu, mon cher Granville.

Donnant la main à Thomas.

Sans adieu, brave Thomas ;

À Charles.

Jeune élève de Thémis ;

À Cécile.

Aimable beauté ;

Aux mères.

Tendres mères ;

À Desjardins.

Négociant intelligent ;

À Gervault.

Savant jurisconsulte. Je ne tarderai pas à revenir ; je cours chercher ma femme, et j’aime à croire que vous n’aurez qu’à vous applaudir d’avoir pour voisin un ménage uni comme le fut toujours le vôtre, et comme le sera celui de ces chers enfants. Je vous souhaite bien le bonjour.

Il sort.

 

 

Scène XIII

 

CHARLES, MADAME GERVAULT, GERVAULT, THOMAS, GRANVILLE, DESJARDINS, CÉCILE, MADAME DESJARDINS

 

DESJARDINS.

Ma foi j’aime cet homme-là. Mais le temps se passe, je vais à la pêche.

MADAME DESJARDINS.

Moi, j’ai quelques comptes à terminer dans la boutique. Écoute donc, mon ami, quand ce monsieur Tatillon sera de retour avec sa femme, ne serait-il pas convenable de l’inviter à notre repas ?

DESJARDINS.

C’est juste, puisqu’il est notre parent.

GERVAULT.

Il nous a fait tant d’amitiés !

DESJARDINS.

Quant à monsieur Granville, il est prié d’avance, n’est-ce pas ?

Monsieur et madame Desjardins sortent.

GERVAULT.

Ah ! oui nous comptons sur vous.

GRANVILLE.

Avec plaisir ; mais je voudrais vous dire...

GERVAULT.

Nous aurons le temps de causer dans la journée : il faut que je donne un coup d’œil à mon étude.

Il sort.

MADAME GERVAULT, bas à son fils.

Moi je vais achever d’arranger la corbeille de mariage viens avec moi, Charles.

Elle sort.

CHARLES.

À tantôt, Cécile.

Il sort.

CÉCILE.

À tantôt, Charles.

Elle sort.

 

 

Scène XIV

 

THOMAS, GRANVILLE

 

GRANVILLE.

Est-il bien vrai que ce monsieur Tatillon loge dans votre auberge ?

THOMAS.

Oui sans doute.

GRANVILLE.

Oh bien ! en ce cas-là, il faut que je vous prévienne...

THOMAS.

Mille pardons, mon cher Granville, ce monsieur Tatillon précisément m’a fait perdre un temps... J’ai une visite à faire chez le juge de paix, à une lieue d’ici... Gabriel ?

GRANVILLE.

Eh ! mais, écoutez donc, il faut absolument que je vous dise...

THOMAS.

Comme disait tout à l’heure monsieur Gervault, nous aurons le temps de causer à mon retour. Je vous laisse avec Gabriel, il va vous servir, vous conduire. Sans adieu, mon cher Granville.

Il sort.

 

 

Scène XV

 

GABRIEL, GRANVILLE

 

GRANVILLE.

Allons, ils ne veulent pas m’écouter. Tant pis pour eux, mais je ne loge pas chez monsieur Thomas.

GABRIEL.

Eh ! monsieur, est-ce que vous en voulez à notre maître ?

GRANVILLE.

Non, parbleu ! je viendrai le voir, je viendrai voir madame Lambert, je viendrai dîner avec eux tous, je serai toujours l’ami de monsieur Thomas, mais je ne loge pas chez lui. Si l’on vient me chercher chez vous, je loge à la Magdeleine.

GABRIEL.

Eh ! mais, monsieur, qu’est-ce que je dirai à monsieur Thomas ?

GRANVILLE.

Vous lui direz... ma foi, vous lui direz que je suis trop amoureux de mon repos pour coucher sous le même toit que monsieur et madame Tatillon.

 

 

Scène XVI

 

GABRIEL seul

 

Qu’est-ce qu’il dit donc là ? il a l’air d’un si bon homme ce monsieur Tatillon... Après tout, ce n’est pas mon affaire, et je vais à mon ouvrage.

 

 

ACTE II

 

Le théâtre représente une salle d’auberge où se trouvent quatre portes d’appartements sur lesquelles sont des numéros.

 

 

Scène première

 

TATILLON, MADAME TATILLON, GABRIEL

 

TATILLON, entrant.

Eh bien ! garçon ? la fille ? où êtes-vous donc ? Par ici, par ici, ma bonne amie.

MADAME TATILLON.

Je n’en puis plus. Un fauteuil, je vous prie.

TATILLON.

En voici un, ma chère. Eh bien ! ma femme, quand je vous ai dit que c’était un endroit charmant.

MADAME TATILLON.

Oh ! charmant, charmant ; voyons la chambre qui nous est destinée ; est-ce celle où nous sommes ?

TATILLON.

Non : c’est la salle commune aux voyageurs ; mais la voilà. Eh bien ! où est donc le garçon ?

GABRIEL entrant, chargé de tous les paquets de monsieur et madame Tatillon.

Je ne savais où trouver cette maudite clef, et puis je suis embarrassé de tous ces paquets.

TATILLON.

Donnez, donnez, je vais vous aider.

MADAME TATILLON.

Allons, ouvrez, ouvrez, mon ami.

TATILLON, à sa femme.

Eh bien ?

MADAME TATILLON, donnant un coup d’œil à la chambre.

Fort gentille, très gaie.

TATILLON.

Tiens, vois-tu deux fenêtres, une cheminée, une commode, un secrétaire.

MADAME TATILLON.

J’examinerai tout cela en détail dans un instant. Posez les paquets sur la table. J’aime mieux rester assise ici, c’est plus vaste, j’y serai moins étouffée.

À Gabriel.

Mon ami, avez-vous dit qu’on eût bien soin de notre cheval ?

TATILLON.

Sois donc tranquille, ma bonne amie, c’est moi que cela regarde peut-être.

À Gabriel.

Prenez bien garde à ces cartons, ce sont les bonnets de ma femme.

Gabriel sort.

MADAME TATILLON.

Et vous dites donc, monsieur, que précisément, pour le jour de notre arrivée, il y a une foire dans le pays, un mariage dans notre auberge, une transaction entre deux gens qui plaidaient, et une réconciliation entre les deux femmes les plus marquantes de l’endroit. Et c’est le petit Gervault, le fils du notaire, qui épouse une demoiselle Desjardins effectivement, comme vous dites, je suis alliée à ces gens-là. Du reste, c’est fort aimable : la foire va amener du monde, la noce va occuper tous les gens de l’auberge, et nous ne serons pas servis.

TATILLON.

Oh ! je saurai bien me faire servir, ou me servir moi-même, et puis ces gens-là sont fort actifs, fort intelligents ; tu demanderas à l’ami Granville.

MADAME TATILLON.

À propos, il loge ici, je serai enchantée de le voir. Un bon enfant. Je suis fâchée qu’il n’ait pas épousé la petite lingère qui s’est établie derrière les Récolets.

TATILLON.

Ah dame ! il a une passion, dit-on ; une jolie marchande qui est toujours comme lui, par voies et par chemins. Pour en revenir à ce que tu disais, une foire, une noce, du monde ; eh bien ! cela amènera du bruit, de la joie ; on dansera, on jouera, on causera : cela ne vaut-il pas mieux qu’une solitude monotone ?

MADAME TATILLON.

Il est assez singulier qu’étant nos parents ils ne nous aient pas invités de leur repas.

TATILLON.

C’est une politesse dont je leur aurais su gré. Oh dame ! ils sont beaucoup.

MADAME TATILLON.

C’est ce qui m’empêche de le regretter, je n’aime pas les cohues.

 

 

Scène II

 

TATILLON, MADAME TATILLON, GABRIEL

 

GABRIEL.

Quand monsieur et madame voudront entrer, tout est prêt, tout est arrangé.

MADAME TATILLON.

Fort bien ; mais dites-nous, mon ami, voilà d’autres chambres à côté de la nôtre : on est bien aise de savoir à côté de qui on loge, moi surtout. Je suis là-dessus d’une susceptibilité...

TATILLON.

Oh ! c’est tout simple. Comme madame Tatillon n’a rien à se reprocher, vous concevez... les femmes... voyons celle-ci ?

GABRIEL.

Eh bien ! c’est là que doit loger madame Lambert ?

MADAME TATILLON.

Qu’est-ce que c’est que madame Lambert ?

GABRIEL.

Une jeune marchande qui n’est point encore arrivée.

TATILLON.

Jeune et jolie, sans doute ?

MADAME TATILLON.

Vous êtes bien curieux, monsieur Tatillon.

TATILLON.

Seriez-vous jalouse, madame Tatillon ?

MADAME TATILLON.

Jalouse, non ; mais ne soyez pas si galant. A-t-elle son mari, cette madame Lambert ?

GABRIEL.

Elle est veuve.

MADAME TATILLON.

Elle est veuve, et elle voyage toute seule.

GABRIEL.

Ma fine ! oui, à moins que monsieur Granville ne lui tienne compagnie.

TATILLON.

Ah ! ah ! serait-ce par aventure la passion du cher Granville ?

GABRIEL.

Dame ! on le dit : ce n’est pas qu’elle ait besoin de personne pour son commerce ; elle s’entend, Dieu merci, à vendre et à débiter ses dentelles.

TATILLON.

Ah ! elle vend des dentelles. Dis donc, ma femme, n’as-tu pas besoin d’une garniture de mantelet ?

MADAME TATILLON.

Eh ! mon Dieu ! vous savez mieux que moi toutes ces bagatelles.

TATILLON.

Et Granville notre ami, où loge-t-il donc ?... où est-il donc ?

MADAME TATILLON.

Il court chez ses pratiques sans doute.

GABRIEL.

Ma foi, madame, je ne sais ; mais ce que je sais fort bien, c’est qu’il ne loge pas chez nous.

TATILLON.

Comment il ne loge pas chez vous ? mais votre maître m’a dit tantôt...

MADAME TATILLON.

J’espère que ce n’est pas à cause de nous.

TATILLON.

Fi donc ! Comment peux-tu croire que Granville qui est notre ami... Voilà ce que c’est, il aura vu que vous aviez beaucoup d’embarras aujourd’hui ; il n’aura pas voulu vous gêner ; il aura peut-être trouvé une chambre chez quelqu’ami, il en a tant dans ce pays-ci ! oh ! mais, nous nous reverrons, j’irai le trouver.

MADAME TATILLON.

Et tu feras bien. Il serait malhonnête à nous de ne pas le voir.

TATILLON.

Vous savez où il loge ?

GABRIEL.

Oui, monsieur, à la Magdeleine, où il y a une très jolie hôtesse.

TATILLON.

Ah ! une jolie hôtesse... C’est un galant que Granville.

MADAME TATILLON.

Ah çà ! vous n’oublierez pas de m’envoyer un bouillon le plus tôt possible.

GABRIEL.

Non, madame, je l’ai dit à la fille.

MADAME TATILLON.

Eh bien ! monsieur, n’avez-vous pas des lettres à écrire, une procuration à envoyer à Paris ?

TATILLON.

C’est juste et toi, ne faut-il pas que tu songes à ta toilette ?

À Gabriel.

Allons, vous n’avez pas tous les jours des repas de trente personnes : oh ! vous êtes moins embarrassés que d’autres, parce que le gibier... il foisonne dans ce pays-ci. Bien le bonjour, mon ami.

Il entre dans la chambre avec sa femme.

 

 

Scène III

 

GABRIEL seul

 

Qu’on vienne encore m’appeler bavard ; par ma foi, je ne suis rien auprès de ces gens-là. Ah ! voici madame Lambert, je crois.

 

 

Scène IV

 

GABRIEL, MADAME LAMBERT, portant plusieurs cartons

 

MADAME LAMBERT.

Bonjour, Gabriel. Eh bien ! qu’est-ce que c’est ? Monsieur Granville sait que je dois arriver ce matin, et il va loger à la Magdeleine ; et cela, m’a-t-on dit, pour éviter la rencontre de deux personnes de son pays qu’il ne veut pas voir. Le grand malheur, quand il achèterait un peu cher le plaisir de loger auprès de moi.

GABRIEL.

Il a bien promis à monsieur Thomas qu’il viendrait vous voir.

MADAME LAMBERT.

Une belle grâce qu’il nous fera là ! qu’il vienne ; oh ! je le recevrai de la bonne manière. Grace au ciel, je ne suis pas encore sa femme. Laissons cela. Je viens de dire deux mots en passant à madame Desjardins. Ils m’ont invitée à leur repas. Foi d’honnête marchande, je suis enchantée de ce mariage, cela fera le plus joli ménage...

GABRIEL.

Ma foi, madame, c’est ce que dit tout le monde.

MADAME LAMBERT.

Voilà ma chambre, n’est-ce pas ? Que je ne vous dérange pas, mon ami ; allez à votre ouvrage.

GABRIEL.

Votre serviteur, madame.

Il sort.

 

 

Scène V

 

MADAME LAMBERT, seule, défaisant ses cartons

 

Ah ! monsieur Granville, vous vous enfuyez quand j’arrive ; quels sont donc ces deux personnages si dangereux qui vous empêchent de loger dans mon auberge ?

 

 

Scène VI

 

TATILLON, MADAME LAMBERT

 

TATILLON, parlant à sa femme.

Reste là, ma bonne amie, je vais descendre. Écris, puisque tu veux écrire ; je suis fait pour te servir peut-être, ne suis-je pas ton mari ?

MADAME LAMBERT.

C’est monsieur Tatillon, je crois, qu’on m’a dit qu’il s’appelait.

TATILLON.

Ah ! ah ! l’on parle de moi.

MADAME LAMBERT.

Je serais bien aise de le voir.

TATILLON.

Me voici, madame.

MADAME LAMBERT.

Comment, monsieur ?

TATILLON.

Qu’il est flatteur pour moi d’exciter quelque curiosité dans l’esprit d’une jeune et jolie femme !

MADAME LAMBERT.

Quoi ! c’est vous qui seriez monsieur...

TATILLON.

Tatillon, prêt à vous rendre mes devoirs, madame. Pourrais-je savoir comment j’ai l’avantage d’être connu de vous, de nom au moins ? car je ne me rappelle pas avoir eu l’honneur de vous voir.

À part.

Elle est fort bien cette femme-là.

MADAME LAMBERT.

Je m’en vais vous le dire, monsieur. Vous connaissez monsieur Granville ?

TATILLON.

Beaucoup, madame, un très galant homme, mon ami, j’ose le dire.

MADAME LAMBERT.

C’est ce qui vous trompe, monsieur ; car on vient de me dire que monsieur Granville ne voulait pas loger dans cette auberge parce que vous y logiez.

TATILLON.

Allons donc, on a voulu rire : j’ai vu monsieur Granville ici ce matin. Nous nous sommes embrassés. Il y a sans doute quelque autre motif. Mais permettez : madame prend intérêt à monsieur Granville, à ce qu’il me paraît ?

MADAME LAMBERT.

Beaucoup, monsieur.

TATILLON.

Madame ne serait-elle pas cette jolie marchande dont le garçon d’auberge m’a parlé ; madame Lambert ?

MADAME LAMBERT.

Précisément, monsieur.

TATILLON.

Il m’en coûte d’affliger madame ; mais ce n’est pas à cause de moi que monsieur Granville ne loge pas ici.

MADAME LAMBERT.

Bon ! et quel peut donc être son motif ?

TATILLON.

Ah ! madame, les hommes... non pas que j’accuse positivement monsieur Granville, fi donc !

MADAME LAMBERT.

Je le crois bien.

TATILLON.

Mais enfin, c’est à la Magdeleine qu’il est allé loger.

MADAME LAMBERT.

Eh bien ?

TATILLON.

Il y a une fort jolie hôtesse, à ce qu’on dit.

MADAME LAMBERT.

En vérité !

TATILLON.

Ce n’est pas que quand on la compare à madame...

À part.

Mais c’est qu’elle est très bien, d’honneur...

Haut.

Madame, à ce qu’il paraît, fait le commerce de dentelles ?

MADAME LAMBERT.

Oui, monsieur.

TATILLON.

Ah ! madame, qu’il est cruel de voir une jeune femme comme vous obligée de se donner tant de peine, quand l’univers tout entier devrait être à ses pieds !

MADAME LAMBERT, à part.

Comment donc, il est galant, monsieur Tatillon.

TATILLON, à part.

Ma foi, tant pis pour Granville.

MADAME LAMBERT, à part.

Amusons-nous.

Haut.

Monsieur voudrait-il m’acheter une belle garniture ?

Lui montrant de la dentelle dans un carton.

TATILLON.

Eh ! mais, c’est possible ; justement ma femme m’en a demandé une.

MADAME LAMBERT.

Comment, votre femme ! vous êtes marié ?

TATILLON.

Marié... Oui, madame...

À part.

Diable, il ne fallait pas dire cela.

Haut.

C’est du point d’Alençon ; il est très riche. Je m’y connais un peu.

MADAME LAMBERT.

Ah ! vous êtes marié ?

TATILLON.

Eh ! mon Dieu, oui, madame. Le dessein en est magnifique.

MADAME LAMBERT.

Mille pardons, monsieur ; mais je me rappelle que cette garniture est vendue. J’en ai d’autres que je pourrai montrer à madame. Comme vous le disiez tout à l’heure, les hommes... Allez, monsieur, votre femme vous attend.

TATILLON.

Mais, madame, ma femme a le temps d’attendre, et moi je suis trop heureux de vous avoir rencontrée.

MADAME LAMBERT.

Pardon, monsieur ; j’ai mes paquets à ranger, des courses à faire, j’entre dans ma chambre un moment.

TATILLON.

Si madame voulait permettre que je lui offrisse mon bras, j’attendrais dans cette chambre l’heure de sa commodité.

MADAME LAMBERT.

Attendez, si vous voulez.

À part.

Oui, oui, attends, je sortirai par la petite porte dérobée. À quoi donc pense Granville de redouter la présence de ces gens-là ? Il vaut bien mieux s’en divertir, c’est plus gai.

Haut.

Monsieur, je suis votre très humble servante.

Elle entre dans sa chambre.

 

 

Scène VII

 

TATILLON, seul

 

Cette femme-là est charmante. Elle a paru écouter mes compliments avec plaisir. Ma foi... Allons, pour ne pas donner de soupçons à madame Tatillon, il faut vite aller chercher ce qu’elle me demande, et revenir ici guetter madame Lambert.

 

 

Scène VIII

 

TATILLON, CHARLES

 

CHARLES.

Ah ! monsieur, c’est vous que je cherchais.

TATILLON.

Moi, monsieur, trop heureux...

CHARLES.

Monsieur, vous nous avez témoigné tant d’intérêt ce matin, et d’ailleurs les compliments que vous avez adressés à mon père, que vous connaissez de réputation... Enfin vous vous trouvez allié de madame Desjardins, et je viens, au nom de ma famille, vous prier de vouloir bien dîner avec nous.

TATILLON.

Aujourd’hui... À un repas de noces... Monsieur...

CHARLES.

Nous espérons que madame voudra bien aussi nous faire l’honneur...

TATILLON.

Comment donc, monsieur ! mais c’est avec le plus grand plaisir... Ah ! voilà votre aimable Cécile. Il semble que les amants aient un instinct qui les avertisse du lieu et du moment où ils peuvent se rencontrer.

 

 

Scène IX

 

TATILLON, CHARLES, CÉCILE

 

CÉCILE.

Vous ici, monsieur Charles !

TATILLON.

Comment ! Est-ce que ce n’était pas lui que vous cherchiez ?

CÉCILE.

Je suis trop franche pour lui cacher que je suis toujours enchantée de le voir ; mais je le suis trop aussi pour lui dire que c’était lui que je cherchais.

TATILLON, à Charles.

La réponse est assez franche en effet.

CHARLES.

Et qui cherchiez-vous donc, mademoiselle ?

TATILLON, à Cécile.

Il est piqué, je crois.

CÉCILE.

Charles vient de vous inviter, sans doute, au nom de sa famille ; et moi je viens, au nom de la mienne, réitérer l’invitation.

TATILLON.

En vérité, mademoiselle, je suis confus des politesses dont vos deux familles m’accablent. Mon épouse et moi nous nous ferons un plaisir. Ainsi donc c’est moi que vous cherchiez ; et j’espère que monsieur n’en est pas jaloux ?

CÉCILE.

Lui ! jaloux ? monsieur. Ah ! mon Dieu ! non.

TATILLON.

Tant pis, mademoiselle, tant pis ; point de véritable amour sans jalousie.

CÉCILE.

Vous croyez ?

TATILLON.

C’est passé en proverbe.

CHARLES.

Quand on estime ce qu’on aime...

TATILLON.

Ah ! l’estime ! c’est bien froid.

CÉCILE.

En effet.

TATILLON, à Charles.

Allons donc, dépêchez-vous de lui jurer que vous l’aimez, pour la calmer.

CHARLES.

J’ai si souvent assuré Cécile de mon amour, que j’espère qu’elle n’en doute plus.

TATILLON, à Cécile.

Est-ce flatteur ce qu’il vous dit là ?

CÉCILE.

Ce sont de ces choses qu’on ne se lasse pas d’entendre répéter.

TATILLON, à Charles.

C’est assez juste ce qu’elle vous répond.

CHARLES.

Et de grâce, laissons là ces démêlés. Ne pourrai-je avoir l’honneur de saluer madame votre épouse ?

TATILLON.

Oui sans doute : dans l’instant. Elle achève mes lettres.

Bas à Cécile.

Il cherche à détourner la conversation.

CÉCILE.

Vous croyez ?

TATILLON.

Eh quoi ! monsieur Charles, quand on parle d’amour, c’est vous qui le premier parlez d’autre chose.

CHARLES.

Eh ! mais, monsieur...

TATILLON, à Charles.

Dites-lui donc que vous l’aimez, ou vous allez la fâcher.

CHARLES.

Eh ! mais, il semble que nous nous faisons un jeu de nous piquer l’un contre l’autre. C’est une plaisanterie.

CÉCILE.

Non, monsieur, je ne plaisante jamais sur un sujet aussi important.

TATILLON.

C’est charmant ! J’ai souvent de ces petites disputes-là avec madame Tatillon ; il est vrai qu’elles ne vont jamais si loin.

CHARLES.

Comment, si loin !

CÉCILE.

Monsieur a raison. Vous prenez avec moi un petit ton de supériorité...

CHARLES.

Point du tout, c’est vous qui interprétez mal...

TATILLON.

Eh bien ! qu’est-ce que c’est ? Comment ! se disputer sérieusement sur des mots ! des gens qui s’aiment, qui vont se marier ! Allons, allons, apaisez-vous ; je vais vous présenter à ma femme.

Parlant à sa femme à travers la porte.

Ma bonne amie, c’est monsieur Gervault le fils, et mademoiselle Desjardins, qui seraient bien aises de te voir.

MADAME TATILLON, répondant de sa chambre.

Je suis à eux tout à l’heure.

TATILLON.

Elle va venir. Pardon si je vous laisse, je reviens dans l’instant ne vous disputez pas trop pendant mon absence, ma femme ou moi nous vous aurons bientôt réconciliés.

Il sort.

 

 

Scène X

 

CHARLES, CÉCILE

 

CÉCILE.

Charles ?

CHARLES.

Cécile ?

CÉCILE.

Convenez que je suis bien enfant de me piquer tout d’un coup.

CHARLES.

Mais je n’ai pas été trop raisonnable, je crois.

CÉCILE.

Pourquoi exiger que vous me répétiez à quel point vous m’aimez, quand vous m’en donnez tant de preuves ?

CHARLES.

Quand j’ai tant de plaisir à vous répéter que je vous aime, pourquoi refuser de vous le dire ?

CÉCILE.

Faisons la paix.

CHARLES.

Est-ce que nous sommes brouillés ?

CÉCILE.

Brouillés ou non, raccommodons-nous.

CHARLES, lui baisant la main.

Ah ! de tout mon cœur.

 

 

Scène XI

 

CHARLES, CÉCILE, MADAME TATILLON, des lettres à la main

 

MADAME TATILLON.

Monsieur et mademoiselle.

CHARLES.

Madame est l’épouse de monsieur Tatillon ?

MADAME TATILLON.

Précisément, monsieur...

À part.

Un fort joli garçon.

Haut.

Mille pardons si je ne vous reçois pas chez moi ; une chambre d’auberge ! on sait ce que c’est ; elle est fort petite d’abord ; et puis quand on arrive, les sacs de nuit, les porte-manteaux... C’est mademoiselle Desjardins ? Voulez-vous bien permettre...

Elle embrasse Cécile.

CÉCILE.

Madame...

MADAME TATILLON.

En effet, je vous trouve un air de famille avec ma tante Desjardins, que nous appelions la dévote, parce qu’elle avait voulu se faire religieuse... Malheureusement elle n’avait point de dot, et elle a mieux aimé prendre un mari qui l’a épousée pour ses beaux yeux. Votre mère a dû vous raconter son histoire ?

CÉCILE.

Oui, madame.

MADAME TATILLON, à part.

Elle est fort gentille la petite... Une figure de vierge... Point de tournure.

CHARLES.

Monsieur votre époux nous a fait espérer que vous voudriez bien nous faire l’honneur de dîner avec nous.

MADAME TATILLON.

On ne peut pas plus sensible, monsieur et mademoiselle, à votre politesse et à celle de vos parents. Enchantée de votre bonheur ; car on s’aime bien, n’est-ce pas ?

CÉCILE.

Ah ! oui, madame.

MADAME TATILLON.

C’est délicieux, je connais cela.

 

 

Scène XII

 

CHARLES, MADAME TATILLON, TATILLON, CÉCILE

 

TATILLON, portant un bouillon.

Attendez-moi, ne faites rien sans moi ; il faut que j’aille mettre le holà entre deux amants qui se querellent. Ah ! ma femme est avec eux : eh bien ! cela a-t-il le sens commun de se disputer ainsi ?

MADAME TATILLON.

On est de la meilleure intelligence, au contraire.

CÉCILE.

Ah ! mon Dieu oui, ce n’était qu’un petit nuage.

CHARLES.

Qui s’est bientôt dissipé.

TATILLON.

Ah ! c’est différent. Tant mieux. C’est ma femme, monsieur et mademoiselle, que j’ai l’avantage de vous présenter. Or çà, puisque tout est d’accord, à présent je retourne en bas. Monsieur Thomas l’aubergiste est un bien galant homme ; mais il est absent : son cuisinier n’entend rien à faire une matelote, et je veux lui montrer... Tiens, ma chère amie, voilà ton bouillon, il est excellent, je l’ai goûté. Votre très humble serviteur, monsieur et mademoiselle.

Il sort.

 

 

Scène XIII

 

CHARLES, MADAME TATILLON, CÉCILE

 

MADAME TATILLON, prenant les deux jeunes gens par la main.

Ah çà, mes bons amis, vous excuserez la liberté que je prends, en faveur de l’intérêt que vous êtes faits tous deux pour m’inspirer ; voyons, sur quoi se querellait-on ?

CHARLES.

Ah ! mon Dieu ! madame, pur enfantillage.

CÉCILE.

Une bagatelle à laquelle nous ne pensons plus.

MADAME TATILLON.

Prenez garde. Quand il s’agit de se lier pour la vie, on ne saurait assez se rendre compte mutuellement de ses petits défauts, de ses petites faiblesses. Mon expérience me donne le droit de vous parler franchement. Voyons, il ne s’agissait pas d’affaires d’intérêt, d’articles du contrat du mariage ?

CÉCILE.

Fi donc ! madame.

MADAME TATILLON.

Cela regarde les parents, c’est tout simple ; peut-être un léger défaut de confiance de la part du jeune homme ?

CÉCILE.

Non, madame. Charles ne peut pas avoir de secrets pour moi.

MADAME TATILLON.

Oh ! ne peut pas... les hommes les plus épris en ont toujours, ma chère enfant ; peut-être un petit mouvement de coquetterie de la part de la jeune personne ? c’est bien naturel.

CHARLES.

Non, madame. Cécile n’est point coquette, elle ne l’est pas assez même ; fier de son amour, je voudrais qu’elle cherchât davantage à plaire.

MADAME TATILLON.

Le reproche est nouveau. Avec cette belle confiance, la querelle ne vient point de jalousie de sa part.

CÉCILE.

Hélas ! non, madame, il n’est point jaloux.

MADAME TATILLON.

Mais vous dites cela avec un air de regret.

CÉCILE.

C’est qu’en vérité, comme disait tout à l’heure monsieur votre époux, il ne lui manque que cela pour m’aimer parfaitement.

MADAME TATILLON.

Fort bien. La petite regrette qu’on ne soit pas jaloux, le jeune homme regrette que la jeune personne ne soit pas coquette. Voilà ce que c’est. J’ai deviné. La querelle vient de là. Vous avez tort de traiter cela d’enfantillage. C’est plus sérieux que vous ne pensez.

CHARLES.

Sérieux, madame ! Depuis un mois que je suis dans le pays, que je vois tous les jours Cécile, voilà la première fois que nous nous trouvons en querelle.

MADAME TATILLON.

Mais ce ne sera peut-être pas la dernière ; car enfin, quand il y a différence d’opinion, de caractère...

CHARLES.

Comment, madame, différence de caractère ! vous vous abusez.

MADAME TATILLON.

Tenez ; tous les jours deux personnes très honnêtes, très aimables, remplies d’excellentes qualités, croient s’aimer, se marient, et l’on est étonné qu’elles fassent mauvais ménage ; pourquoi ? c’est pour de petites exigences, de petits défauts semblables. Minuties, bagatelles ; mais qui se retrouvent tous les jours dans le tête-à-tête, et qui deviennent insupportables.

CÉCILE.

Si j’avais été coquette, peut-être s’en plaindrait-il aujourd’hui ? Quand nos parents étaient en procès, il ne tenait qu’à moi d’accueillir un des nombreux partis que mon père me proposait.

MADAME TATILLON.

Vous l’entendez, elle fait valoir ses sacrifices, vous devez être content.

CHARLES.

Je pourrais à mon tour faire valoir les miens.

MADAME TATILLON.

Fort bien ! vous allez recommencer la dispute.

CHARLES.

Je vois bien que c’est à moi d’être raisonnable. Eh bien ! vous le voulez ; j’ai eu tort.

CÉCILE.

Une jolie manière de l’avouer !

MADAME TATILLON.

En effet, on voit bien à son ton qu’il est persuadé du contraire.

CÉCILE.

Non, monsieur, vous avez raison, toujours raison.

MADAME TATILLON.

Tenez, les torts sont égaux des deux parts. Ce qu’il y a de plus important, c’est que cela ne se renouvelle plus.

CÉCILE, très piquée.

Point du tout, c’est moi qui ai tort. Sans adieu, madame.

À Charles.

Vous espérez peut-être que je vais me raccommoder comme tout à l’heure ; vous vous trompez je sors pour n’en être pas tentée.

Elle sort.

 

 

Scène XIV

 

CHARLES, MADAME TATILLON

 

MADAME TATILLON.

Eh bien ! vous la laissez aller ! Suivez-la donc, il ne faut pas que cela dure plus longtemps.

CHARLES.

La suivre, moi ? n’ai-je pas fait plus que je ne devais ?

MADAME TATILLON.

Il faut passer des humeurs aux jolies personnes.

CHARLES.

Il me semble que dans ce moment c’est à elle à faire les premiers pas.

MADAME TATILLON.

Non pas. Elle n’est pas encore votre femme.

CHARLES.

Ce n’est pas une raison pour me tourmenter.

 

 

Scène XV

 

CHARLES, MADAME TATILLON, TATILLON

 

TATILLON.

Enfin ils ne veulent pas suivre mes conseils ; mais c’est égal. Je viens vous annoncer autre chose. Mademoiselle... Eh bien ! où est-elle donc ?

MADAME TATILLON.

Elle vient de sortir.

TATILLON.

Ah ! diable, tant pis. Ce serait bien le moment. C’est la corbeille de mariage que madame Gervault vient de faire apporter, et qui est vraiment d’un goût délicieux. Il n’y manque que les dentelles de cette madame Lambert qui m’est échappée, mais que je retrouverai. Quant à vous, courez après la jeune personne. Voilà l’instant de lui offrir...

CHARLES.

La corbeille de mariage ; mais non, ce sera pour tantôt. D’ailleurs elle est déjà bien loin.

TATILLON.

Au moins venez voir la corbeille, vous en serez content.

CHARLES.

Ah ! je la connais, j’avais pris tant de plaisir à l’arranger moi-même avec ma mère... Mille pardons, j’ai besoin de prendre l’air, et je vais dans le jardin de monsieur Thomas.

TATILLON, allant à lui et l’arrêtant.

Comment ! il y a un jardin chez monsieur Thomas ? nous verrons cela, je suis fou du jardinage, moi qui vous parle.

CHARLES.

Monsieur et madame, je ne vous dis pas adieu.

Il sort.

 

 

Scène XVI

 

TATILLON, MADAME TATILLON

 

TATILLON.

Eh bien ! qu’est-ce qu’il a donc ?

MADAME TATILLON.

Je suis fâchée de le dire, mais ces deux jeunes gens-là ne s’aiment pas du tout.

TATILLON.

Bah !

MADAME TATILLON.

Les voilà en querelle.

TATILLON.

En vérité !

MADAME TATILLON.

Ils se raccommoderont ; mais ce sera toujours à recommencer.

TATILLON.

Ma foi je pense comme toi. Je les ai jugés là tous deux au premier coup d’œil.

MADAME TATILLON.

Enfin ils ne sont pas encore mariés, et ce serait peut-être un vrai service à leur rendre...

TATILLON.

Eh ! mon Dieu ! ce serait leur épargner bien des chagrins.

MADAME TATILLON.

Mais nous ne pouvons pas nous mêler de cela.

TATILLON.

C’est juste. Nous arrivons dans le pays, il ne nous convient pas...

MADAME TATILLON.

C’est leur affaire. Au surplus, puisqu’ils nous ont fait la galanterie de nous inviter de leur repas, nous devons une visite aux parents.

TATILLON.

Oui vraiment, je suis à tes ordres allons-y sur-le-champ.

MADAME TATILLON.

Oui, sur-le-champ ; et si nous trouvons l’occasion de dire un mot à ces bons parents... Tiens, voilà ta canne, ton chapeau.

TATILLON.

Voilà ton sac, ton châle. Eh bien ! tu as laissé refroidir ton bouillon ?

MADAME TATILLON.

J’étais si troublée de la scène entre ces deux amants... je me sens mieux, je n’ai besoin de rien.

TATILLON.

Attends, il faut le descendre en nous en allant.

MADAME TATILLON.

Oui. Eh bien ! où ai-je donc mis ces deux lettres pour Paris qu’il m’a fallu écrire à votre place ? Ah ! les voici.

TATILLON.

Ah ! tu as écrit. Tu as bien fait. Donne, je me charge de les mettre à la poste.

MADAME TATILLON.

C’est toujours quelque chose.

TATILLON.

En passant nous donnerons un coup d’œil à cette corbeille de mariage.

MADAME TATILLON.

Il faudrait qu’elle fût bien jolie pour qu’elle égalât celle que tu me donnas la veille de nos noces. Enfin je souhaite me tromper, mais je crains bien que ces jeunes gens ne fassent pas bon ménage.

TATILLON.

Ah ! les bons ménages ! ils sont si rares !... Allons voir les parents.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

MADAME DESJARDINS, MADAME TATILLON, MADAME GERVAULT

 

MADAME TATILLON, amenant avec vivacité mesdames Gervault et Desjardins.

Oui, mesdames, pour une affaire aussi importante, aussi pressée, aussi délicate, nous serons plus à notre aise dans cette auberge que chez l’une ou chez l’autre. Vos maris ni le mien ne viendront nous troubler, et les maris ont la rage de s’établir les maîtres dans toutes les affaires, tandis que les femmes qui ont plus de justesse dans le coup d’œil, plus de promptitude dans l’esprit, feraient tout bien mieux, et plus vite. C’est une vérité convenue entre nous, n’est-il pas vrai ?

MADAME GERVAULT.

Oui sans doute, mais enfin qu’avez-vous à nous dire sur nos enfants ?

MADAME DESJARDINS.

Vous nous avez assuré que vous saviez la cause du chagrin de Charles et de Cécile ?

MADAME GERVAULT.

Et après beaucoup de difficultés, vous vous êtes engagée à nous la révéler.

MADAME TATILLON.

C’est peut-être beaucoup moins important que nous ne l’imaginons ; mais enfin quand il s’agit du bonheur... rien n’est à négliger. Écoutez-moi : vous aimez vos enfants ?

MADAME DESJARDINS.

Cela se demande-t-il ?

MADAME TATILLON.

Vous vous aimez toutes les deux ?

MADAME GERVAULT.

Sans doute.

MADAME TATILLON.

Eh bien ! il est à craindre que vos enfants ne s’aiment pas.

MADAME GERVAULT.

Allons donc...

MADAME TATILLON.

Permettez ils ont cru s’aimer, ils le croient peut-être encore ; mais ils ne s’aiment pas.

MADAME GERVAULT.

Et sur quoi le jugez-vous ?

MADAME TATILLON.

Sur une querelle très vive, dont j’ai été témoin ici même.

MADAME DESJARDINS.

Quoi ! ce n’est que cela. Ils se raccommoderont.

MADAME TATILLON.

Permettez la cause était légère ; mais il est échappé des mots durs, mortifiants, qu’on ne dit pas quand on aime, et qu’on n’oublie pas quand on les a entendus. D’abord la petite a parlé des partis qu’on lui avait proposés, qu’elle a refusés.

MADAME DESJARDINS.

Eh bien ! c’est la vérité. Cécile est assez jolie pour que d’autres que Charles l’aient recherchée en mariage ; et madame Gervault le sait bien.

MADAME TATILLON.

Le jeune homme a riposté par quelques réflexions, sur la facilité qu’il avait eue de se faire un état brillant à Paris.

MADAME GERVAULT.

Il est certain qu’il n’a tenu qu’à lui ; par conséquent il n’a pas eu tort de le dire, n’est-ce pas, ma voisine ?

MADAME TATILLON.

Mais votre fille semblait avoir quelque regret d’avoir refusé tous ces partis qui se sont présentés.

MADAME GERVAULT.

Des regrets, dites-vous ? mais nous serions fâchés d’en donner à mademoiselle Desjardins.

MADAME TATILLON.

Vous entendez bien qu’alors votre fils a mis du dépit dans sa réponse.

MADAME DESJARDINS.

Du dépit ! Je ne voudrais pas que monsieur Charles épousât ma fille par dépit.

MADAME TATILLON.

Vous ne m’entendez pas ; du dépit contre elle, qu’il est possible de prendre pour de l’amour. Vous êtes vives toutes les deux au moins ! Voilà déjà que vous vous enflammez ! Moi j’ai cru qu’il était de mon devoir de vous prévenir, parce qu’étant toutes les deux bonnes mères, bonnes amies, vous pourrez apaiser tout cela dès le principe. Vous comprenez bien que les choses étant si avancées, je suis loin de vous proposer de rompre.

MADAME GERVAULT.

Oui certainement, les choses sont très avancées... Cependant si mademoiselle Cécile a des regrets, je n’en serai pas moins l’amie intime de madame Desjardins ; mais...

MADAME DESJARDINS.

Écoutez donc, ma bonne amie : si monsieur Charles a quelque dépit de n’être pas avocat à Paris, je serais fâchée que son amour pour ma fille l’arrêtât dans son avenir.

MADAME TATILLON.

Eh ! mais, il ne s’agit pas de tout cela. Il s’agit tout simplement d’amener entre eux une explication bien franche et un raccommodement bien sincère, bien solide.

MADAME DESJARDINS.

À la bonne heure ; mais je ne m’en mêlerai pas. J’y serais trop gauche, car je trouve que ma fille a raison.

MADAME GERVAULT.

Moi je gâterais tout, car je suis persuadée que mon fils n’a pas tort. Comme il est prouvé que ce mariage était un sacrifice, que monsieur Gervault et moi faisions à son bonheur...

MADAME TATILLON.

Un sacrifice ! Le mot est un peu dur, madame Gervault.

MADAME DESJARDINS.

Je suis étonnée qu’il vous soit échappé, ma bonne amie.

MADAME GERVAULT.

Je vous demande pardon, ma bonne amie ; mais enfin le mot est juste. Avant l’arrivée de mon fils, bien certaine qu’il resterait à Paris, j’avais obtenu de monsieur Gervault que nous y ferions un petit voyage, et qui sait même si nous n’aurions pas fini par nous y fixer nous-mêmes.

MADAME DESJARDINS.

Avec les talents et la capacité de monsieur Gervault, je ne doute pas qu’il n’eût été bientôt un des cent treize notaires de Paris.

MADAME TATILLON.

Ah ! madame Desjardins, vous prenez là un petit ton ironique qui ne vous convient pas.

MADAME GERVAULT.

Laissez, madame : ce ton-là ne peut m’offenser ; et la plaisanterie tombe d’elle-même, quand elle s’adresse à un homme comme monsieur Gervault. Que voulez-vous ? la voisine Desjardins, que j’aime de tout mon cœur, n’a pas été élevée dans un certain monde.

MADAME DESJARDINS.

Plaît-il, ma voisine ?... Je suis fâchée de vous le dire ; mais on ne se corrige pas. L’orgueil vous perdra. C’est ce que je répétais hier au soir à monsieur Thomas. Il n’a pas voulu me croire.

MADAME GERVAULT.

À monsieur Thomas ! vous parliez de moi ? Eh bien ! vous venez de dire une grande vérité. On ne se corrige pas. Je ne m’attendais pas qu’après tout ce qui s’est passé entre nous je dusse être encore la victime de vos bavardages.

MADAME DESJARDINS.

Écoutez donc ; on n’est pas parfait, ma voisine, et on se doit entre amis de s’avertir de ses défauts. Moi je parlais des vôtres à monsieur Thomas, espérant qu’il ne vous les laisserait pas ignorer. Ce n’est pas bavardage, c’est amitié,

MADAME GERVAULT.

Au surplus, cela ne doit point m’étonner. Voilà à quoi l’on s’expose quand on se lie avec de certaines gens.

MADAME DESJARDINS.

Comment ! avec de certaines gens ! il n’y a pas de vice de cœur chez vous ; mais il est impossible d’être plus fière, plus orgueilleuse, plus méprisante.

MADAME GERVAULT.

Mais pourquoi quand vous êtes si bonne au fond de l’âme, être si babillarde, si médisante ?

MADAME TATILLON.

Eh bien ! mesdames. Comment ! deux voisines ! deux amies ! quand vous ne devriez songer qu’à bien remettre ensemble vos enfants.

MADAME DESJARDINS.

Eh mon Dieu ! que nos enfants restent brouillés ; c’est peut-être ce qui peut arriver de plus heureux pour eux et pour nous.

MADAME GERVAULT.

Voilà peut-être la meilleure parole que vous ayez dite, madame Desjardins.

MADAME DESJARDINS.

Alors, monsieur Gervault ira s’établir avec son fils à Paris ; on le regrettera lui. C’est un brave homme ; mais on aura de quoi se consoler.

MADAME GERVAULT.

Qu’entendez-vous par-là, s’il vous plaît ?

MADAME TATILLON.

Eh ! vraiment, c’est assez clair. Vous suivrez votre mari apparemment.

MADAME GERVAULT.

Non, madame. Je ne vous débarrasserai pas de ma présence. Je resterai dans le pays tout exprès pour vous braver.

MADAME DESJARDINS.

Comment ! pour me braver ! que voulez-vous dire ?

MADAME TATILLON.

Il est certain qu’après un tel éclat vous aurez de la peine à marier mademoiselle Desjardins.

MADAME DESJARDINS.

C’est possible : mais j’aimerais mieux, je crois, qu’elle restât fille toute sa vie...

MADAME GERVAULT.

Que d’épouser mon fils. Vous entendez bien que je vous aime trop pour vous donner ce petit chagrin.

MADAME DESJARDINS.

Il n’y a qu’à décommander le repas, écrire à tous les parents, il est encore temps.

 

 

Scène II

 

MADAME DESJARDINS, DESJARDINS, MADAME TATILLON, MADAME GERVAULT

 

DESJARDINS.

Vous voilà. Eh bien ! où sont donc nos amoureux ? ah ! on se prépare, on accuse la lenteur du jour.

MADAME DESJARDINS.

Non, monsieur ; il sont chacun de leur côté à se bouder ; ma fille avec raison, car elle n’est pas faite pour être humiliée, ni moi non plus. C’est pourquoi je vous déclare devant madame qu’il faut renoncer à ce mariage, que je retire mon consentement, et que si vous m’aimez, vous retirerez le vôtre.

DESJARDINS.

Plaît-il ?

MADAME GERVAULT.

Et moi je vais faire la même déclaration à mon mari. Monsieur et madame, je suis bien votre très humble servante.

Elle sort.

 

 

Scène III

 

MESDAMES DESJARDINS, TATILLON, DESJARDINS

 

DESJARDINS.

Eh ! mais, écoutez donc, madame Gervault. Un moment. Que diable signifie tout cela ?

MADAME TATILLON.

Ce n’est rien du tout. Une petite querelle qui s’apaisera d’elle-même. Madame Gervault a été vraiment impertinente, votre femme un peu vive.

MADAME DESJARDINS.

Comment ! madame, vous m’accusez quand elle se permet de rabaisser notre famille. Enfin vous êtes alliée à cette famille ; et je ne crois pas qu’on doive en rougir.

MADAME TATILLON.

Non certainement ; on peut s’en glorifier au contraire, mais s’il fallait toujours être en querelle pour des mots, on ne vivrait pas. Tenez, monsieur Desjardins, faites entendre raison à votre femme, je vous laisse avec elle, je cours après madame Gervault, et je vous réponds que je vais si bien la prêcher qu’elle viendra elle-même vous avouer tous ses torts ; car elle en a, oh ! elle en a beaucoup. Attendez-moi, je reviens dans l’instant.

Elle sort.

 

 

Scène IV

 

MONSIEUR et MADAME DESJARDINS

 

DESJARDINS.

Oh çà ! j’espère que tu vas me dire !

MADAME DESJARDINS.

D’abord votre fille a eu une scène affreuse avec monsieur Charles.

DSSJARDINS.

Petites querelles d’amants, qui ne font que rendre l’amour plus vif.

MADAME DESJARDINS.

Madame Gervault m’a fait ici des reproches si humiliants ! elle a pris avec moi un ton de supériorité si insultant !

DESJARDINS.

Querelle de femmes, qui ne m’épouvante pas plus que celle des deux jeunes gens. Le voisin Gervault et moi nous sommes en bonne intelligence, et nous ne nous brouillerons pas ; voilà l’essentiel. Songe au bonheur de ta fille. Charles est un bon sujet, un bon garçon ; ils ne peuvent être heureux qu’ensemble...

MADAME DESJARDINS.

Eh ! vraiment, je l’ai cru jusqu’ici je le crois bien encore... mais cette madame Gervault m’a dit des choses si piquantes !

DESJARDINS.

Et sans doute tu n’es pas demeurée en reste avec elle ? eh bien ! vous voilà quittes.

 

 

Scène V

 

GERVAULT, MADAME DESJARDINS, DESJARDINS

 

GERVAULT.

Qu’est-ce que c’est donc, voisine ? Je viens de rencontrer ma femme dans la rue, qui m’a dit qu’elle était brouillée avec vous ; ma foi à ce mot-là il m’a pris un éclat de rire que je n’ai pas pu retenir.

DESJARDINS.

Ma foi, voisin, il a pensé m’en arriver autant quand ma femme m’a raconté tous ses griefs contre la tienne.

MADAME DESJARDINS.

Oui, riez, riez. C’est beaucoup plus sérieux que vous ne pensez. Vous êtes un brave et galant homme, vous, voisin, je le disais encore tout à l’heure ; mais votre femme... votre femme...

GERVAULT.

Eh bien ma femme ! ma femme est une bonne femme, qui vous aime de tout son cœur. Ne voulait-elle pas aussi me faire toutes ses doléances ? Heureusement cette madame Tatillon, qui courait après elle, est venue lui parler raison. Et moi je viens tout exprès pour vous dire que je vous aime toujours tous les deux, que vous êtes des folles de vous disputer, que le repas aura lieu, que nous signerons le contrat de mariage, et que je vous retiens toujours pour la première contre-danse.

MADAME DESJARDINS.

Mais cependant, voisin, si votre femme s’obstine...

GERVAULT.

Eh bien ! je m’obstinerai de mon côté, et une fois dans la vie on verra un homme qui aura plus de tête que sa femme.

DESJARDINS.

Va, va, ma bonne amie, trouver ta fille. Il faut que ce soit toi qui la raccommodes avec Charles ; et Gervault et moi nous nous chargeons de réconcilier nos femmes, ou bien vous resterez fâchées si cela vous amuse ; mais nous n’en serons pas moins bons amis, et nos enfants n’en seront pas moins mari et femme.

MADAME DESJARDINS.

Eh ! mon Dieu ! tu sais bien que, loin que les querelles m’amusent, je les déteste. Je rends bien justice à la voisine ; mais il est de ces choses qui vraiment mettent les gens hors d’eux-mêmes. Allons, je vais trouver ma fille ; mais je vous préviens que pour que le raccommodement soit sincère, il faut que monsieur Charles reconnaisse ses torts, et que sa mère prenne l’engagement de ne plus être orgueilleuse à l’avenir.

Elle sort.

DESJARDINS.

C’est entendu ; on fera tout ce que tu voudras ; mais raccommode-toi avec la voisine.

 

 

Scène VI

 

GERVAULT, DESJARDINS

 

GERVAULT.

Eh bien ! nos enfants se sont donc bien brouillés ?

DESJARDINS.

Je ne les ai pas vus, mais on dit qu’ils sont d’une colère.

GERVAULT.

Ces pauvres jeunes gens ! j’en ris, mais je les plains.

DESJARDINS.

Et nos femmes, qu’en dis-tu ?

GERVAULT.

Oh ! pour celles-là, je ne les plains pas ; il paraît que les disputes sont nécessaires à leur santé.

DESJARDINS.

As-tu vu ce monsieur Tatillon ? il devait causer avec toi sur le contrat du mariage.

GERVAULT.

Non. Je l’attendais chez moi ; il n’est pas venu, et je viens le chercher ici. J’ai apporté le projet d’acte.

DESJARDINS.

Il paraît fort instruit en matières de droit, ce monsieur Tatillon ?

GERVAULT.

Mais oui, il cause bien, et tu dois l’aimer ; c’est un pêcheur intrépide, à ce qu’il paraît.

DESJARDINS.

Oui. Il m’a indiqué une manière de ligne de fond que je veux essayer dès demain.

GERVAULT.

Tu ne sais pas. Cette madame Lambert qui est venue me voir ne prétend-elle pas que ce monsieur Tatillon lui fait la cour ?

DESJARDINS.

Allons donc ! autre conte. Un homme qui ne parle que de son amour pour sa femme !

GERVAULT.

C’est ce que j’ai dit. Tu sais qu’elle aime à rire, madame Lambert.

DESJARDINS.

C’est cela. Ma foi, je suis enchanté que ces braves gens se fixent dans le pays.

GERVAULT.

Or çà, en attendant notre homme, veux-tu que nous relisions notre contrat ? Mais je l’entends, je crois.

 

 

Scène VII

 

GERVAULT, TATILLON, DESJARDINS

 

TATILLON, un arrosoir à la main.

Ouf ! je n’en puis plus ! j’ai tiré plus de trente seaux d’eau. J’étais tout seul dans le jardin de monsieur Thomas. Je l’ai ma foi arrosé tout entier ; oh ! il en avait bon besoin. Eh bien ! à quoi pensé-je donc ? j’apporte l’arrosoir ici. C’est égal, je le descendrai.

GERVAULT.

Comment ! vous l’avez arrosé !... mais arroser en plein midi, cela ne vaut rien.

TATILLON.

Préjugé, erreur. Cela dépend des climats, et dans ce pays-ci, à midi, c’est la bonne heure. Je n’ai jamais pu le persuader à mon jardinier. Mille pardons. Vous m’avez attendu chez vous ; mais quand on s’occupe... d’ailleurs nous avons le temps. Dès qu’on est d’accord sur le fond, la forme est bien peu de chose. Parlons d’affaires.

GERVAULT.

La nôtre est bien simple, nous avions un procès pour un pré.

DESJARDINS.

Il nous ennuyait.

GERVAULT.

Nous transigeons.

DESJARDINS.

Nous marions nos enfants.

GERVAULT.

Et chacun d’eux apporte en dot ses droits, bien ou mal fondés, sur l’objet en litige.

DESJARDINS.

Et voilà tout.

TATILLON.

C’est fort bien. Vous ne voyez aujourd’hui entre vos deux familles que tendresse, amitié, bonne intelligence ; espérons que cela durera, car je suis loin de penser, avec ma femme, que la petite querelle qui a eu lieu entre vos enfants soit sérieuse. Eh non ! Plus on s’adore, plus on se pique, c’est reconnu. Mais enfin quand on fait un contrat de mariage, monsieur le notaire, vous devez le savoir, il faut penser à tout, aux divisions qui peuvent survenir entre les familles, entre les enfants, entre les époux, aux séparations de corps ou de biens, au divorce même : car enfin tout cela est possible et licite.

DESJARDINS.

Il n’y aura ni divorce, ni séparation.

GERVAULT.

Nos enfants s’aiment de tout leur cœur, et grâce au ciel ils ne sont intéressés ni l’un ni l’autre.

TATILLON.

Eh ! vraiment, c’est en affaires comme en politique ; pour avoir la paix, il faut être prêt à la guerre. Pour ne pas avoir de procès, il faut les prévoir. Partons d’un principe. Il faut que l’objet de la discussion appartienne à l’un des conjoints, afin que le survivant puisse exercer ses reprises sans renouveler les procès. Vous ne voulez plus plaider ; il faut cependant que vous soyez jugés. Faisons un arbitrage, je serai votre arbitre, et vous en passerez par ma décision.

GERVAULT.

À la bonne heure.

DESJARDINS.

C’est convenu.

TATILLON.

En deux mots, l’historique du procès ?

DESJARDINS.

J’avais tort.

GERVAULT.

Point du tout, c’est moi qui n’avais pas le sens commun.

TATILLON.

Le fait ?

GERVAULT.

Le pré était à moi par la succession de mon oncle.

TATILLON.

Eh bien ! il n’y a pas de contestation.

DESJARDINS.

Mais son oncle avait fait un testament par lequel il m’instituait légataire dudit pré.

TATILLON.

Par conséquent vos droits étant postérieurs anéantissaient les siens.

GERVAULT.

Mais le pré étant un propre, il est clair que par la coutume (le Code n’était pas encore en vigueur), mon oncle n’avait pas le droit de le léguer.

TATILLON.

Ah ! c’était un propre ?

GERVAULT.

C’était un propre.

DESJARDINS.

Mais la question ayant déjà été jugée et plus d’un testament maintenu...

TATILLON.

Cela fait jurisprudence en votre faveur : et la jurisprudence a force de loi ; c’est un axiome.

GERVAULT.

Oui ; mais il y a eu d’autres jugements qui font aussi jurisprudence en ma faveur.

TATILLON.

Par conséquent voilà deux jurisprudences.

DESJARDINS.

Oui ; mais on a appelé de ces jugements-là, et ils ont été cassés sur l’appel.

TATILLON.

Il faut dire infirmés ; c’est le mot, en matière d’appel. Ont-ils été infirmés ?

GERVAULT.

Pas tous.

DESJARDINS.

Tous. Mon avocat me l’a dit.

GERVAULT.

Oh ! ton avocat est un bavard.

DESJARDINS.

Un honnête homme.

GERVAULT.

Ah ! honnête !

DESJARDINS.

Mon ami.

GERVAULT.

Ma foi il n’y a pas de quoi t’en faire compliment.

TATILLON.

Fort bien ! vous voilà sur le ton plaisant.

DESJARDINS.

Il est fort instruit, mon avocat.

GERVAULT.

Oui, instruit ! demande à mon fils.

DESJARDINS.

Je m’en rapporterai à une jeune tête comme ton fils.

GERVAULT.

Il est avocat aussi lui.

DESJARDINS.

Sans cause. Parce qu’il a fait son droit...

GERVAULT.

C’est bien à un homme de commerce de prononcer sur les gens de barreau.

TATILLON.

Messieurs, vous allez trop loin.

GERVAULT.

Mais si tu méprises tant mon fils, pourquoi lui donnes-tu ta fille ?

DESJARDINS.

Ce n’est parbleu pas moi, c’est elle qui n’en veut pas d’autre.

TATILLON.

Messieurs, vous vous échauffez sur des incidents, et vous vous écartez de la question. Il s’agit de savoir à qui sera le pré.

GERVAULT.

Je tiens le pré. Il mériterait que je le gardasse.

DESJARDINS.

Si je m’en croyais, je plaiderais jusqu’à extinction pour lui apprendre à respecter les dernières volontés de son oncle.

TATILLON.

Messieurs, des mots durs ne sont pas des raisons.

GERVAULT.

Pourquoi traite-t-il si mal mon fils !

DESJARDINS.

Vous avez entendu comme il méprise le commerce.

TATILLON.

Messieurs, voulez-vous être aussi déraisonnables que vos enfants que vous condamniez tout à l’heure ?

GERVAULT.

Ma foi si j’étais sûr que mon fils pût garder rancune à sa Cécile...

DESJARDINS.

Et moi si je croyais que le fils ne fût pas moins obstiné que le père...

GERVAULT.

C’est très impertinent ce que vous me dites là.

TATILLON.

Ah ! vous avez tort, monsieur Desjardins.

DESJARDINS.

Fort bien ! vous me donnez tort, monsieur, avant de m’entendre ; vous, notre arbitre ! cela ne se doit pas.

GERVAULT.

Vous voyez comme il prend les choses de travers.

TATILLON.

Vous avez tort dans vos réflexions, mais non pas dans la question à laquelle il faut en revenir ; car enfin le testament d’un oncle me paraît un titre bien légitime.

GERVAULT.

Ainsi donc c’est moi qui ai tort ?

TATILLON.

Je ne dis pas encore cela.

GERVAULT.

Continuez : votre fille querelle mon fils, votre femme insulte la mienne, et monsieur, qui est votre parent, vous donne raison.

TATILLON.

Ah çà ! écoutez donc, messieurs, ne me mêlez pas dans tous vos débats ; je n’aime pas le bruit, et monsieur me fait faire une réflexion. Vous m’avez prié d’être votre arbitre ?

DESJARDINS.

Point du tout ; c’est vous qui vous êtes offert.

TATILLON.

Eh bien ! je me suis offert, soit ; mais je suis presque votre parent : je dois donc me récuser ; et je me récuse avec d’autant plus de plaisir que je commence à croire que l’affaire ne sera pas très facile à arranger. Vos femmes sont donc aussi en querelle ?

DESJARDINS.

Parbleu ! madame Gervault qui se permet d’insulter madame Desjardins.

TATILLON.

Les amants qui se boudent, les mères qui se disputent, les pères qui sont sur le point de se quereller... Savez-vous que voilà un mariage qui ne s’annonce pas d’une manière bien heureuse. Quant à moi, je n’ai qu’un mot à vous dire : le meilleur procès ne vaut rien. Je ne peux pas être votre arbitre ; prenez-en un autre.

DESJARDINS.

Je le veux bien.

GERVAULT.

Qui ?

TATILLON.

Monsieur Thomas, l’aubergiste.

DESJARDINS.

Monsieur Thomas, soit.

GERVAULT.

Vous le prenez ? je n’en veux pas.

TATILLON.

Eh bien ! monsieur Granville.

GERVAULT.

Granville ; il est trop son ami : il fait des affaires avec sa maison.

DESJARDINS.

Oh ! je n’en voudrais pas non plus ; il est trop pacifique il ne donnerait raison ni à l’un ni à l’autre.

TATILLON.

Mais si vous ne vous accordez pas sur le choix d’un arbitre, il faudra donc plaider.

DESJARDINS.

Eh bien ! nous plaiderons.

GERVAULT.

Nous plaiderons.

TATILLON.

Comment, vous plaiderez ! et en attendant vous marierez vos enfants ?

GERVAULT.

Nos enfants ? Non parbleu. Je vais recommander à mon fils d’avoir du caractère.

DESJARDINS.

Moi je laisserai faire ma femme ; elle saura bien empêcher Cécile de penser à Charles.

TATILLON.

Eh quoi ! les parents priés, le repas préparé, votre confrère qui va venir dresser le contrat ! vous êtes trop avancés, vous ne pouvez pas rompre. Ce serait un scandale, un ridicule.

GERVAULT.

Qui retombera sur lui. On le connaît.

DESJARDINS.

Vous en aurez votre bonne part.

TATILLON.

Voulez-vous m’en croire ? Si vous tenez absolument à rompre le mariage arrêté, ce que je suis loin de vous conseiller cependant, sauvez au moins les apparences : laissez venir votre monde ; tâchez d’être gais, ayez l’air bons amis, recommandez à vos femmes de dissimuler. Madame Tatillon et moi nous serons là pour vous seconder ; et ce soir vous ferez naître un prétexte pour différer, pour rompre même. Au moins vous aurez gagné du temps, vous aurez préparé les esprits, et cela vaudra beaucoup mieux.

GERVAULT.

Vous avez raison. Contenons-nous.

DESJARDINS.

Oui, si je le peux.

TATILLON.

Vous le pourrez : on peut tout ce qu’on veut, comme l’a dit certain auteur. Qui donc ?... Et parbleu !... chose... Voltaire. Justement voici monsieur Thomas. Commencez.

GERVAULT.

Amis, jusqu’à ce soir.

 

 

Scène VIII

 

GERVAULT, TATILLON, THOMAS, DESJARDINS

 

THOMAS.

Me voilà de retour. Ah ! c’est vous, voisins. Tant mieux. Eh bien ! voilà tous vos parents qui arrivent. Dans une heure vous pourrez vous mettre à table. Il s’agit de placer tout votre monde ; j’ai préparé des cartes pour les noms...

TATILLON.

Ah ! fort bien ! pour mettre sur les serviettes, comme à Paris.

GERVAULT.

Ma foi, monsieur Thomas, que tout le monde se place comme il voudra... Moi je n’y entends rien.

DESJARDINS.

Ni moi non plus.

THOMAS.

Que signifie cet air froid et réservé ? On dirait que vous êtes encore en querelle.

GERVAULT.

Nous ? Ah ! mon Dieu, non.

DESJARDINS.

Moi ? me brouiller avec monsieur Gervault !

TATILLON.

Rassurez-vous, monsieur Thomas ; ils sont tous deux de la meilleure intelligence.

DESJARDINS.

C’est vrai ; pour ce que nous voulons faire, nous ne nous sommes jamais si bien entendus. Pardon : je reviendrai ; mettez-vous toujours à table sans moi. Sans adieu, voisins.

Il sort.

THOMAS.

Eh mais ! écoutez donc, écoutez donc, monsieur Desjardins.

 

 

Scène IX

 

GERVAULT, TATILLON, THOMAS

 

GERVAULT.

Oui ! il le prend sur ce ton-là. Ma foi...

TATILLON, à Gervault.

Chut. Vous allez tout faire deviner.

GERVAULT, à Tatillon.

C’est juste. Mais tenez, j’aime mieux sortir... Pardon, voisin. Monsieur vous expliquera... Je vous souhaite bien le bonjour...

Il sort.

THOMAS.

Eh mais ! mon Dieu ! qu’est-ce que tout cela signifie ?

 

 

Scène X

 

TATILLON, THOMAS

 

TATILLON.

Un malentendu, une bagatelle. J’apaiserai tout cela. Il y a de quoi perdre l’esprit ; mais cela ne m’effraie pas. Mais dites-moi donc, voilà tous les parents qui arrivent. Je serais bien aise de les voir.

THOMAS.

Eh ! monsieur, ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Expliquez-moi, je vous en prie...

TATILLON.

Ce n’est rien, vous dis-je, les amants se sont brouillés, les mères sont en querelle.

THOMAS.

Comment ! ce n’est rien.

TATILLON.

Eh non ! parce que les pères ont pris un excellent parti je vous conterai le fait. Quant aux autres, ma femme s’en est chargée ; et tenez, la voilà qui va vous en donner des nouvelles.

 

 

Scène XI

 

TATILLON, MADAME TATILLON, THOMAS

 

THOMAS.

Eh bien ! madame, les avez-vous raccommodées.

MADAME TATILLON.

Impossible ; plus impossible que jamais ; et comme j’étais avec madame Desjardins, son mari est rentré : ne le voilà-t-il pas décidé à plaider de nouveau !

THOMAS.

À plaider, dites-vous ?

TATILLON.

Il ne fallait pas le dire. Je les avais fait convenir qu’ils en feraient un mystère jusqu’à ce soir.

MADAME TATILLON.

Eh ! mais, écoute donc, ils ne m’avaient pas dit cela.

TATILLON.

Monsieur Thomas est un homme prudent, qui ne nous compromettra pas... Cela me fait mal à moi.

MADAME TATILLON.

Oui, c’est affligeant, d’honneur !

TATILLON.

Si vous saviez ce que j’ai fait pour les détourner de ce malheureux procès ; jusqu’à m’offrir pour leur arbitre.

MADAME TATILLON.

Et moi donc, tout ce que j’ai dit aux deux femmes, ici même ; mais elles ne sont pas assez au-dessus des faiblesses de leur sexe. Au surplus, elles m’ont priée toutes les deux de vouloir bien faire les honneurs. Viens, mon ami, joindre la compagnie.

TATILLON.

C’est cela, et puis j’irai les trouver et j’espère encore...

MADAME TATILLON.

C’est difficile, très difficile ; mais nous nous en chargeons.

Elle sort avec son mari.

 

 

Scène XII

 

THOMAS, seul

 

Je ne reviens pas de mon étonnement. À peine suis-je deux heures absent, et je retrouve tout le monde en querelle.

 

 

Scène XIII

 

THOMAS, MADAME LAMBERT

 

THOMAS.

Ah ! c’est vous, madame Lambert ; vous ne savez pas...

MADAME LAMBERT.

Eh ! je ne le sais que trop... Mon Dieu ! que j’étais fâchée que vous fussiez sorti ! J’ai fait tout ce que j’ai pu pour les apaiser ; mais impossible. Il semble que la tête ait tourné à tout le monde. Ce Granville, qui sait que je suis arrivée, et qui n’a pas encore paru de la journée ! Apparemment qu’il se trouve bien auprès de la jolie aubergiste de la Magdeleine.

THOMAS.

Tenez, le voici.

MADAME LAMBERT.

C’est fort heureux.

 

 

Scène XIV

 

THOMAS, GRANVILLE, MADAME LAMBERT

 

GRANVILLE.

J’arrive tard. Mille pardons. J’ai eu tant d’affaires. Eh ! bonjour, belle dame ; ne me grondez pas : il n’y a qu’un quart d’heure que je sais votre arrivée.

MADAME LAMBERT.

Bonjour monsieur. Elle est vraiment jolie l’hôtesse de la Magdeleine. Elle a sans doute beaucoup d’esprit ?

GRANVILLE.

Que voulez-vous dire ?

THOMAS.

Eh ! madame, vous aurez tout le temps de chercher dispute à Granville. Cela ne m’inquiète pas vous êtes raisonnables vous autres. Parlons des affaires de monsieur Gervault et de monsieur Desjardins.

GRANVILLE.

Oui, c’est ce qui doit nous occuper... Tout le monde est dans la joie ? les parents sont arrivés ? le contrat est prêt ?

THOMAS.

Oui, le contrat est prêt, mais on ne le signera pas.

GRANVILLE.

On ne le signera pas !

THOMAS.

Pendant mon absence ils se sont tous querellés, disputés ; mais qui donc a soufflé la discorde entre les deux familles ?

GRANVILLE.

Oh ! je sais qui.

THOMAS.

Vous le savez ?

GRANVILLE.

Et parbleu, c’est monsieur Tatillon.

THOMAS.

Vous croyez ?

GRANVILLE.

Et sa femme, j’en suis sûr. Vous n’avez pas voulu m’écouter tantôt, quand j’ai voulu vous dire ce que c’était que ces gens-là : vous en voilà punis. Vous vous imaginez peut-être, comme ils vous l’ont dit, que ce sont eux qui quittent notre ville. Point du tout, c’est la ville qui les chasse. On leur a fermé toutes les portes. Tracassiers, brouillons, importants, importuns, ils ont précisément le même caractère ; aussi vivent-ils très bien ensemble, s’entendent-ils à merveille, mais c’est pour fatiguer, tourmenter et brouiller tout ce qui les approche ; et non contents de se mêler mal à propos de ce qui touche autrui... dans ce qui les regarde eux-mêmes, chacun a pris les fonctions de l’autre. C’est la femme qui passe les baux, signe les quittances et place l’argent ; c’est le mari qui compte le linge et ordonne le dîner. La femme fait les affaires, le mari fait le ménage. Avec les meilleures intentions du monde, ils ont brouillé les amis, les amants, et moi qui avais eu la précaution de ne pas loger avec eux, ils ont su m’atteindre. C’est monsieur Tatillon, ou sa femme, qui vous aura dit que je courtisais la jolie hôtesse de la Magdeleine, n’est-ce pas ? je l’aurais parié. Vous avez été bien heureux d’être obligé de sortir toute la matinée, monsieur Thomas ; qui sait même si pendant votre absence ils ne vous auront pas joué quelque tour de leur façon ?

THOMAS.

En vérité. Ah çà ! écoutez donc, il est temps de nous en mêler, et de mettre ordre à tous ces jeux de leur esprit qui amènent aux uns de petits chagrins, aux autres de grands malheurs. Les démêlés entre vous et madame... bagatelle qui est déjà oubliée ; mais le mariage du jeune Gervault et de la petite Desjardins  ! mais la bonne intelligence entre nos amis ! c’est plus sérieux.

MADAME LAMBERT.

Le jeune homme est si intéressant !

GRANVILLE.

La jeune personne est si gentille !

THOMAS.

Eh bien ! tâchons d’abord d’amuser et de distraire la société, surtout de trouver un prétexte pour expliquer l’absence des mariés, et des pères et mères. Cela n’est pas bien difficile. Les repas de noce sont comme les baptêmes. Un retard d’une heure est presque obligé. Ensuite nous irons trouver les gens en querelle.

GRANVILLE.

Moi je réponds de Gervault et de Desjardins.

MADAME LAMBERT.

Moi, de leurs femmes.

THOMAS.

Moi, de leurs enfants. Mais dites-moi donc, monsieur et madame Tatillon, qui mettent si bien le monde en querelle, ne se querellent-ils jamais ensemble ?

GRANVILLE.

Eh ! mon Dieu ! très souvent. Il commencent ; mais ils sont bien vite interrompus et raccommodés par des querelles qu’ils entretiennent, ou qu’ils suscitent entre les autres.

THOMAS.

À merveille. Vous le savez, je n’aime pas à me mêler des affaires d’autrui ; mais quand il s’agit de rendre service, et à des amis encore, sans me vanter je suis aussi actif, aussi tracassier que monsieur et madame Tatillon.

 

 

ACTE IV

 

 

Scène première

 

CÉCILE, THOMAS, CHARLES

 

THOMAS.

Voulez-vous bien venir avec moi tous les deux. N’avez-vous pas de honte ? n’êtes-vous pas de véritables enfants ? ne mériteriez-vous pas ?... Allons, vite, qu’on se demande pardon de ses torts !

CÉCILE.

Qui ? moi, monsieur Thomas, demander pardon quand j’ai raison !

CHARLES.

Il est trop tard à présent.

THOMAS.

Non, il n’est point trop tard. Non, vous n’avez pas raison.

CÉCILE.

Si vous saviez...

THOMAS.

Je sais tout, je devine tout. Je devine surtout que vous vous aimez. Ainsi donc...

 

 

Scène II

 

CÉCILE, THOMAS, TATILLON, CHARLES

 

TATILLON.

Ainsi donc, on se boude toujours, n’est-ce pas ? laissez-moi faire, je les aurai bientôt réconciliés.

THOMAS.

Oh ! je n’en doute pas.

À part.

Que le diable l’emporte !

TATILLON.

Vous saurez donc, monsieur Thomas...

THOMAS.

C’est inutile, et tenez, entre nous, la querelle de ces jeunes gens... Misère, bagatelle, indigne de vos grands talents. Celle de leurs parents est bien plus importante.

TATILLON.

Il est vrai ; cependant...

THOMAS.

Celle des deux mères surtout... Quand l’amour-propre est attaqué chez les femmes d’un certain âge... C’est là ce qui peut vous faire honneur et ce que je n’oserais peut-être pas entreprendre ; mais vous...

TATILLON.

Il est certain...

THOMAS.

En un mot, chargez-vous des mères, je me charge des enfants.

TATILLON.

À la bonne heure ; mais vous ne direz pas à ces jeunes gens...

THOMAS.

Je leur dirai tout ce qu’il faut leur dire.

TATILLON.

Vous le voulez ? soit, et j’espère... Faites-leur bien sentir... Je cours chez les mamans.

THOMAS.

Bon ! nous en voilà délivrés !

 

 

Scène III

 

CÉCILE, THOMAS, CHARLES

 

CÉCILE.

Il est parti ; mais c’est égal. Je vais raconter à monsieur Thomas...

CHARLES.

Oui, qu’il nous juge sur votre propre récit.

THOMAS.

Pourquoi m’apprendre ce que vous devez oublier vous-mêmes ? Je ne veux rien entendre que vous ne soyez d’accord.

CHARLES.

Eh ! mais, monsieur Thomas, vous nous pressez !...

CÉCILE.

Laissez-moi, du moins, le temps d’oublier ma colère.

THOMAS.

Point de réflexions, point de faux orgueil.

 

 

Scène IV

 

CÉCILE, THOMAS, MADAME TATILLON, CHARLES

 

MADAME TATILLON.

Ah ! vous voilà, je vous cherchais.

THOMAS, à part.

Allons, voilà la femme à présent.

MADAME TATILLON.

Eh bien ! entend-on raison ? se raccommode-t-on ?

THOMAS.

Oui, oui, madame. On est réconcilié.

CHARLES.

Réconcilié, dites-vous ?

THOMAS.

Voulez-vous me démentir ?

CÉCILE.

Vous démentir !... Non... Mais...

MADAME TATILLON.

À merveille, mais est-ce bien sincère, bien solide ?

THOMAS, à part.

Si je la laisse faire, elle va les brouiller de nouveau.

MADAME TATILLON.

C’est qu’il faut bien prendre garde...

THOMAS.

Vous avez raison ; il faut prendre garde à tout : c’est pourquoi laissez-moi avec ces jeunes gens, j’ai envoyé votre mari à madame Gervault et à madame Desjardins. Mais ce qu’il y a de plus difficile, c’est d’apaiser les pères. Un procès, l’entêtement de la vieillesse, point d’autre passion qu’une ancienne rancune. C’est à vous qu’est réservé ce chef-d’œuvre de négociation.

MADAME TATILLON.

J’entends parfaitement bien ; mais nous avons le temps.

THOMAS.

Eh ! point du tout, voyez monsieur Gervault, monsieur Desjardins. Comme on dit que c’est votre mari qui le premier a remis sur le tapis ce malheureux procès, et qu’il est à craindre qu’il ne s’entende pas beaucoup en procès...

MADAME TATILLON.

Voyez un peu, mon mari fait des bévues et il faut que ce soit moi qui les répare. Attendez-moi, je ne tarderai pas.

Elle sort.

THOMAS.

À merveille, voilà le mari et la femme bien occupés.

 

 

Scène V

 

CÉCILE, THOMAS, CHARLES

 

CHARLES.

Eh ! mais en supposant, comme vous le dites, que nous soyons réconciliés, en serions-nous plus heureux ?

CÉCILE.

Quand je pardonnerais à Charles (ce que je ne ferai pas), nos parents ne sont-ils pas toujours en querelle ?

CHARLES.

Oh ! pour la querelle de nos parents, il est certain que mon père a eu tort avec monsieur Desjardins.

CÉCILE.

Tout cela vient de ma mère. Si elle n’avait pas irrité madame Gervault...

THOMAS.

Tout cela vient de vous. Si vous n’aviez pas fait la sottise de vous brouiller les premiers...

CHARLES.

C’est possible : mais aussi pourquoi mademoiselle...

THOMAS.

Oui, vous voulez encore quereller ? ma foi, tant pis pour vous ; moi, je suis bien bon de me donner tant de peine, de perdre mon temps pour des choses qui ne me regardent pas. Querellez-vous, boudez-vous, disputez-vous, je ne m’en mêle plus.

À part.

Pauvres jeunes gens, ils ont eu besoin de monsieur Tatillon pour se brouiller ; mais ils n’ont pas besoin de moi pour se réconcilier.

Il va pour sortir.

CÉCILE.

Eh ! mais, écoutez donc, monsieur Thomas, comment voulez-vous que nous nous raccommodions si vous nous abandonnez.

CHARLES.

Enseignez-nous au moins les moyens de rendre nos parents bons amis.

CÉCILE.

Car enfin il n’est pas nécessaire qu’ils se détestent parce que nous ne nous aimons plus.

THOMAS.

Oui dà ! Eh bien, à votre prière je veux bien encore essayer. Tenez, voilà déjà madame Lambert qui nous amène madame Gervault et madame Desjardins. Laissez-moi faire et ne me démentez pas.

 

 

Scène VI

 

CÉCILE, THOMAS, CHARLES, MESDAMES DESJARDINS, GERVAULT, LAMBERT

 

MADAME LAMBERT, arrivant, aux deux femmes.

Non, mesdames, je n’écouterai rien de ce que chacune veut me dire en secret qu’en présence de l’autre, en présence de vos enfants que voici, et de monsieur Thomas pour qui vous avez toutes deux estime et amitié.

MADAME DESJARDINS.

Encore ici, mademoiselle !

MADAME GERVAULT.

Mon fils avec mademoiselle Desjardins !

THOMAS.

Eh ! madame Gervault, de grâce, point d’emportement. Si vous n’êtes plus l’amie de madame Desjardins, du moins respectez son malheur.

MADAME GERVAULT.

Comment son malheur ?

MADAME DESJARDINS.

Mon malheur !

THOMAS.

Est-ce que par hasard vous ne sauriez pas...

MADAME DESJARDINS.

Eh ! mon Dieu, non, je ne sais rien.

MADAME GERVAULT.

Elle ne sait rien. J’ai vu chez elle beaucoup de colère, mais point de chagrin.

CHARLES, à part.

Que dit-il là ?

THOMAS.

En vérité ! oh ! bien, la poste de demain vous apportera sans doute la nouvelle.

MADAME DESJARDINS.

Et quelle nouvelle donc ?

MADAME GERVAULT.

Expliquez-vous. Ne voyez-vous pas que vous la faites mourir d’inquiétude ?

THOMAS.

Il est clair que j’ai eu tort de parler ; mais enfin puisque le mot m’est échappé, il vaut mieux qu’elle soit instruite par moi... Le commerce est sujet à de grands accidents.

MADAME GERVAULT.

Eh ! grand Dieu ! que lui est-il donc arrivé à la pauvre femme ?

THOMAS, à madame Desjardins.

N’avez-vous pas à Paris un correspondant nommé Dormeuil ou Dorneuil ?

MADAME DESJARDINS.

Dorneuil.

MADAME GERVAULT.

Eh ! oui, Dorneuil. Mon mari le connaît. Un honnête homme.

THOMAS.

C’est cela même. Il a fait banqueroute.

MADAME DESJARDINS.

Ah ! ciel !

MADAME GERVAULT.

Et comment avez-vous appris cela, monsieur Thomas ?

THOMAS.

Comment... C’est ce monsieur Tatillon qui connaît tout le monde et qui a reçu une lettre...

MADAME DESJARDINS.

Ah ! ma pauvre fille, te voilà ruinée.

MADAME GERVAULT.

Ruinée ! ah ! Ma bonne voisine, vous entendez bien qu’il n’est plus question de toutes nos petites querelles. Pardonnez-moi tous mes torts.

MADAME DESJARDINS.

Et vous même, ma voisine, pardonnez-moi les miens ; je reconnais bien votre cœur ; mais quel terrible événement !

MADAME GERVAULT.

Songez qu’il vous reste des amis : mon mari, mon fils et moi ; n’est-ce pas Charles ?

CHARLES.

Oui sans doute, ma mère.

MADAME LAMBERT, à Thomas.

Ah ! çà, c’est un conte que vous leur faites là ?

THOMAS.

Non vraiment ce n’est pas un conte.

MADAME LAMBERT.

Eh ! mais, écoutez-donc, c’est que ce monsieur Dorneuil est aussi mon correspondant.

 

 

Scène VII

 

MESDAMES DESJARDINS, GERVAULT, LAMBERT, THOMAS, CHARLES, CÉCILE, TATILLON

 

TATILLON.

Ah ! les voilà. J’ai tant couru. Je ne m’étonne pas si je n’ai pas trouvé ces dames chez elles. Madame Lambert aussi ! Enchanté... essoufflé.

THOMAS.

Allons, encore monsieur Tatillon !

MADAME GERVAULT.

Ah ! monsieur, dites-nous ; cette lettre est-elle bien authentique ? vient-elle d’une personne sûre ?

TATILLON.

Quelle lettre ?

MADAME DESJARDINS.

Eh ! oui, la lettre qui nous annonce que monsieur Dorneuil a fait banqueroute.

TATILLON.

Je n’ai pas reçu de lettre, je ne connais pas monsieur Dorneuil.

MADAME LAMBERT.

Ah ! je respire.

MADAME DESJARDINS.

Comment ! que dites-vous !

TATILLON.

C’est un conte qu’on vous aura fait. Parlons d’affaires plus importantes, il ne s’agit que de s’entendre. Il est certain que monsieur Desjardins est un entêté, monsieur Gervault un chicaneur ; que le jeune homme est susceptible, la jeune personne exigeante...

THOMAS.

Comment, monsieur !

TATILLON.

Eh ! laissez donc, laissez donc. C’est pour amener la réconciliation.

THOMAS.

Un joli moyen !

À madame Lambert.

Tâchez de l’éloigner.

MADAME LAMBERT, à Thomas.

Vous avez raison.

Haut.

Ce qu’il y a de plus important pour monsieur, c’est de me raccommoder avec Granville ; car c’est lui qui nous a brouillés. Monsieur Granville n’est-il pas là-dedans ?... J’exige de monsieur qu’il vienne sur-le-champ démentir les propos qu’il a tenus.

TATILLON.

Je n’ai pas tenu de propos... mais c’est égal, je vais avec vous... Au fait, monsieur Thomas suffira pour vous convaincre... Elle est aimable cette madame Lambert... C’est votre affaire d’ailleurs...

À Thomas.

N’allez pas dire à ma femme que je trouve madame Lambert aimable.

THOMAS.

Non, non, soyez tranquille.

MADAME LAMBERT.

Venez, monsieur, venez.

TATILLON.

De tout mon cœur, madame.

Il sort avec madame Lambert.

 

 

Scène VIII

 

CÉCILE, MADAME DESJARDINS, THOMAS, MADAME GERVAULT, CHARLES

 

MADAME GERVAULT.

Eh ! mais, monsieur Thomas, expliquez-nous donc...

MADAME DESJARDINS.

En vérité je ne conçois pas...

CÉCILE.

Eh ! quoi, ma mère, ne voyez-vous pas que tout ceci n’était qu’une feinte de monsieur Thomas ?

CHARLES.

Qui voulait vous prouver à toutes deux que, malgré votre querelle, vous êtes encore meilleures amies que vous ne pensez.

CÉCILE.

Vous avez vu quel intérêt madame Gervault a pris à la fausse nouvelle de votre malheur.

CHARLES.

Vous avez vu comme, au milieu de son chagrin, madame Desjardins a été sensible à votre amitié.

MADAME DESJARDINS.

Est-il possible ?

MADAME GERVAULT.

J’en suis tout interdite.

THOMAS.

Monsieur Dorneuil n’a pas manqué ; monsieur Tatillon n’a pas reçu de lettre ; en faveur de votre raccommodement, monsieur Dorneuil me pardonnera d’avoir supposé un moment sa faillite ; en faveur de votre amitié bien réelle, de vos excellentes qualités, soyez mutuellement indulgentes, passez-vous mutuellement quelques légers défauts et aidez-moi à rendre vos maris aussi raisonnables que vous et vos enfants. Justement voilà monsieur Granville qui nous amène monsieur Desjardins.

 

 

Scène IX

 

CÉCILE, MADAME DESJARDINS, DESJARDINS, GRANVILLE, THOMAS, MADAME GERVAULT, CHARLES

 

GRANVILLE.

Venez, monsieur Desjardins.

À Desjardins.

Monsieur Thomas a quelque chose à vous dire.

À Thomas.

En voilà déjà un, je vous le livre, et je cours chercher l’autre.

Il sort.

 

 

Scène X

 

CÉCILE, MADAME DESJARDINS, DESJARDINS, THOMAS, MADAME GERVAULT, CHARLES

 

DESJARDINS.

Tous vos discours, toutes vos représentations sont inutiles ; Gervault veut plaider ; eh bien ! nous plaiderons.

THOMAS.

Eh ! que diable ! voisin, avez-vous oublié combien le papier timbré est cher ?

DESJARDINS.

C’est égal.

THOMAS.

À la bonne heure, mais votre fille qui a pardonné à Charles !

DESJARDINS.

Je te croyais un peu plus de caractère, Cécile.

THOMAS.

Votre femme qui s’est réconciliée avec madame Gervault !

DESJARDINS.

Ma femme est une folle.

THOMAS.

Madame Gervault qui convient qu’il y a bien des torts de son côté !

DESJARDINS.

C’est impossible.

MADAME GERVAULT.

Je vous demande pardon, mon voisin, c’est très possible.

MADAME DESJARDINS.

Et je suis bien forcée de convenir que j’ai été beaucoup trop vive.

DESJARDINS.

À merveille, vous voilà tous ligués contre moi.

THOMAS.

Eh bien, liguez-vous à votre tour avec nous contre Gervault. Je l’entends.

 

 

Scène XI

 

CÉCILE, MADAME DESJARDINS, DESJARDINS, THOMAS, GRANVILLE, GERVAULT, MADAME GERVAULT, CHARLES

 

GRANVILLE.

Allons, monsieur Gervault, vous qui êtes d’un caractère doux, d’un esprit sensé, cela doit vous coûter de garder rancune aux gens. Embrassez monsieur Desjardins.

GERVAULT.

Moi ? l’embrasser !

THOMAS, à Gervault.

Ma foi, voisin, si vous avez tant envie de disputer, vous disputerez tout seul ; car votre femme, votre fils et Desjardins sont de la meilleure intelligence.

DESJARDINS.

Un moment donc. Vous me faites aller un peu vite ; il s’en faut que je sois décidé...

THOMAS.

Non ? vous ne l’êtes pas ? Eh bien ! soit plaidez, détestez-vous bien cordialement ; mais mariez vos enfants, ils s’aiment ; vos femmes le désirent, vous voulez leur bonheur...

GERVAULT.

Sans doute.

DESJARDINS.

C’est vrai.

THOMAS.

Et quand vous devriez rompre même, après avoir signé le contrat, aujourd’hui au moins, comme vous en étiez convenus en présence de vos parents, des étrangers, de monsieur et madame Tatillon surtout, ne donnez pas une mauvaise opinion de votre caractère : feignez d’être de bonne intelligence, embrassez-vous s’il le faut.

CHARLES.

Ah ! oui, mon père, je vous en prie.

CÉCILE.

Mon père, si mon bonheur vous est cher...

GERVAULT.

Soit mais que sa femme et lui se modèrent, ou je ne réponds de rien.

 

 

Scène XII

 

CÉCILE, MADAME DESJARDINS, DESJARDINS, THOMAS, GRANVILLE, GERVAULT, MADAME GERVAULT, CHARLES, MADAME TATILLON

 

MADAME TATILLON.

Ah ! vous voilà tous rassemblés. C’est fort heureux ! Dieu merci, on se donne assez de mal pour les autres ; et voilà assez de fois que je fais le voyage de chez l’un chez l’autre, et de chez tous deux chez monsieur Thomas.

À Thomas.

Eh bien ! réussissez-vous ? ces bonnes gens s’apaisent-ils ?

THOMAS.

Oui, madame, tout est fini.

Bas à Desjardins.

Dites comme moi. Voilà le moment.

GRANVILLE.

Oui, madame ; et vous allez voir Gervault et Desjardins s’embrasser devant vous.

Bas à Gervault.

Songez qu’il est de la dernière importance devant cette femme...

MADAME GERVAULT, à son mari.

Allons, mon ami, ne fais pas mentir monsieur Granville.

GERVAULT, bas à sa femme, en faisant quelques pas vers Desjardins.

C’est par politique au moins.

MADAME DESJARDINS, bas à son mari.

Vous voyez qu’il fait les premiers pas, monsieur Desjardins. Vous ne resterez pas en arrière.

DESJARDINS, à sa femme.

Non, mais pas plus sincère que lui, je t’en réponds.

THOMAS.

Là, voilà ce que c’est.

Ils s’embrassent.

GERVAULT, à sa femme.

Eh bien... qu’est-ce ? il m’a embrassé de bon cœur, je crois.

DESJARDINS, à sa femme.

Il s’est attendri, je crois[1].

MADAME TATILLON.

C’est touchant, très touchant. Or çà, maintenant expliquez-moi à qui demeure le pré en définitif.

DESJARDINS.

À qui ? ma foi, je n’en sais rien.

GERVAULT.

Ni moi non plus.

MADAME TATILLON.

C’est pourtant ce qu’il est fort essentiel de savoir, car enfin...

THOMAS.

Permettez. Ils ont tout le temps de parler de leurs affaires. J’ai quelque chose, moi, à vous dire, madame, qui vous regarde personnellement.

MADAME TATILLON.

Eh quoi donc ?

THOMAS.

Cette madame Lambert qui loge chez moi, elle est fort jolie.

MADAME TATILLON.

Oh ! figure de fantaisie.

THOMAS.

Justement, on prétend que votre mari a une fantaisie pour elle.

MADAME TATILLON.

Allons donc !

THOMAS.

Demandez à ces dames si votre mari ne l’a pas trouvée fort aimable, s’il n’est pas dans ce moment auprès d’elle et s’il ne nous a pas recommandé de ne pas vous le dire.

MADAME TATILLON.

Ah, mon Dieu ! je vous suis bien obligée, monsieur Thomas. Je m’étais déjà doutée de la chose, à quelques mots qui lui sont échappés. Oh ! le monstre ! Mille pardons, messieurs et mesdames, de ne pouvoir m’occuper de vos intérêts ; mais quand il s’agit des miens... Ah ! perfide Tatillon !

Elle sort.

 

 

Scène XIII

 

CÉCILE, MADAME DESJARDINS, DESJARDINS, THOMAS, GRANVILLE, GERVAULT, MADAME GERVAULT, CHARLES

 

GERVAULT.

Quel diable de conte lui faites-vous là ?

THOMAS.

Vous saurez pourquoi. Revenons à vous. Je vous fais mon compliment. À voir la manière franche dont vous vous êtes embrassés, on eût juré que c’était sincère.

DESJARDINS.

Eh ! mais, si je ne me trompe, Gervault m’a sincèrement serré dans ses bras.

GERVAULT.

Et comment faire autrement quand je te vois sur le point de pleurer.

THOMAS.

Et moi, je l’avais prévu. Quelque violente que soit leur colère, deux amis de vingt ans ne peuvent pas impunément feindre de s’embrasser... Deux braves et honnêtes gens comme vous ne peuvent pas se donner, comme on dit, un baiser de Judas. Allons, mes voisins, un bon et véritable raccommodement. C’est ce qu’il nous faut.

GERVAULT.

Et vraiment je ferais volontiers ce que vous me conseillez tous, sans une inquiétude qui me reste.

THOMAS.

Laquelle ?

GERVAULT.

Qui nous répond que demain nos querelles commenceront pas ?

DESJARDINS.

En effet c’est de bon cœur qu’il y a quinze jours nous étions raccommodés.

MADAME DESJARDINS.

Et cependant, un rien, une bagatelle a suffi pour nous brouiller de nouveau.

GRANVILLE.

J’ai un moyen infaillible pour empêcher entre vous toutes querelles à venir. Convenons d’un fait. C’est ce monsieur Tatillon et sa femme qui vous ont brouillés tous ?

CHARLES.

En effet, c’est lui d’abord, et sa femme ensuite qui m’a fait me fâcher contre Cécile.

MADAME DESJARDINS.

C’est la femme qui, en nous racontant les querelles de nos enfants, m’a animée contre la voisine.

GERVAULT.

C’est le mari qui, en voulant s’établir notre arbitre, nous a mis de nouveau dans la tête de plaider.

GRANVILLE.

Chassez-moi d’ici ce couple turbulent, si adroit à brouiller, sans le vouloir, et si maladroit quand il veut réconcilier, et je vous garantis pour toujours en bonne intelligence.

GERVAULT, tendant la main à Desjardins.

Il a raison. Touche là, Desjardins.

MADAME DESJARDINS, embrassant madame Gervault.

Embrassez-moi, ma voisine.

CHARLES, à Cécile, en lui baisant la main.

Ah ! Cécile.

 

 

Scène XIV

 

CÉCILE, MADAME DESJARDINS, DESJARDINS, THOMAS, GRANVILLE, GERVAULT, MADAME GERVAULT, CHARLES, MADAME LAMBERT

 

MADAME LAMBERT.

À merveille, on est d’accord ici. Oh bien ! il n’en est pas de même là-dedans ; on se querelle, Dieu merci, et tout de bon.

THOMAS.

Et qui donc ?

MADAME LAMBERT.

Monsieur et madame Tatillon.

GRANVILLE.

En vérité !

MADAME LAMBERT.

Monsieur Tatillon est galant je m’en étais déjà aperçue, mais je ne savais pas que madame Tatillon, fût jalouse ; et tenez, les entendez-vous ?

 

 

Scène XV

 

CÉCILE, MADAME DESJARDINS, DESJARDINS, THOMAS, GRANVILLE, GERVAULT, MADAME GERVAULT, CHARLES, MADAME LAMBERT, TATILLON, MADAME TATILLON

 

TATILLON, en entrant.

En vérité, madame, pour me faire une scène aussi affreuse et aussi injuste...

MADAME TATILLON.

En vérité, monsieur, il faudrait être douée d’une patience plus qu’humaine...

TATILLON.

Taisez-vous donc, madame. Ne voyez-vous pas madame Lambert ? Songez que c’est elle que vous insultez.

MADAME TATILLON.

Je respecte beaucoup madame. Mais vous, monsieur, vous devriez vous souvenir un peu plus des devoirs de l’hymen et de l’amitié, et songer que votre extravagance outrage à la fois, moi qui suis votre femme, et monsieur Granville qui est votre ami.

TATILLON.

Eh ! mon Dieu ! madame, vous prenez bien vivement la défense de monsieur Granville, que d’ailleurs j’estime infiniment. Savez-vous que, si j’étais jaloux, il ne tiendrait qu’à moi, d’après certains propos qui me sont revenus, de penser bien des choses ?

MADAME TATILLON.

Quels sont ces propos qui vous sont revenus ? quelles sont ces choses que vous penseriez ? voilà bien ce qui prouve que vous n’êtes, comme tout le monde le dit, qu’un brouillon, qu’un tracassier.

TATILLON.

C’est vous, madame, qui voyez des choses qui ne sont pas, qui vous mêlez de tout, hors de ce qui vous regarde.

THOMAS.

Là ; voilà qui est bien. Cette querelle ne fait de mal à personne. Tâchez de continuer comme vous commencez ; et puisque le ciel vous a doués tous les deux d’un esprit remuant, quand les accès vous en prendront, au lieu de vous entendre pour tourmenter les autres, vous, monsieur, exercez votre caractère sur madame ; vous, madame, satisfaites votre humeur aux dépens de monsieur disputez-vous bien ensemble, et laissez en repos votre prochain.

GRANVILLE.

Et voulez-vous que je vous donne un conseil ? vous avez quitté notre petite ville ; vous vouliez vous fixer dans ce bourg : ce n’est pas cela. Pour la tranquillité de ces bonnes gens et pour votre gloire, allez à Paris.

THOMAS.

Ah ! oui, monsieur. En province les tracasseries sont cruelles pour ceux qui en sont l’objet. Tout le monde se connaît ; chaque mot porte coup ; d’ailleurs point de variété : c’est la même vie, ce sont les mêmes habitudes.

GRANVILLE.

À Paris, on ne se connaît pas : on est isolé au milieu de la foule ; une nouvelle mode fait oublier une banqueroute ; une pièce nouvelle console de tous les malheurs. Les cabales, les sociétés littéraires, les anecdotes du jour ; quel vaste champ pour vous, sans danger pour autrui !

TATILLON.

Il y a un peu d’épigramme dans ce que vous dites.

MADAME TATILLON.

Mais il y a de la vérité.

TATILLON.

Ainsi donc, jaloux d’être témoin de votre bonheur, nous dînons avec vous aujourd’hui, et demain nous nous mettons en route pour Paris.

THOMAS.

C’est très aimable de votre part. Allons nous mettre à table.


[1] Ceci m’est arrivé. Je croyais avoir à me plaindre d’un ancien ami, et je lui en voulais bien cordialement. On nous persuada qu’il fallait avoir l’air de nous réconcilier. En feignant de nous embrasser, nous nous trouvâmes entraînés à nous embrasser de si bonne foi que, de ce moment, toute querelle fut oubliée.

PDF