Les Cheveux de ma femme (Léon BATTU - Eugène LABICHE)

Comédie-vaudeville en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le théâtre des Variétés, le 19 janvier 1856.

 

Personnages

 

LARDENOIS

RIFOLET

GALIPOINTE

EULALIE, femme de Lardenois

GUDULE

 

La scène est aux eaux de Spa, dans un hôtel.

 

Le théâtre représente une salle commune dans un hôtel : une porte au fond, deux portes à droite et à gauche, au deuxième plan ; deux autres portes au troisième plan, à droite et à gauche, dans des pans coupés. La porte du pan coupé de droite porte le n° 7 ; celle du deuxième plan, à gauche, le n° 6 ; et enfin celle du pan coupé de gauche, le n° 8. À gauche, sur le devant, une table avec une corbeille à ouvrage, une broderie commencée, des oiseaux, etc. ; à droite, un guéridon avec journaux, fauteuils, chaises, tableaux.

 

 

Scène première

 

GUDULE, puis RIFOLET

 

GUDULE, entrant par le fond, avec un panier à bouteilles.

Je viens de la source chercher de l’eau pour le déjeuner des baigneurs...

Posant son panier au fond à droite.

Cristi ! elle n’est pas légère l’eau de Spa... Après ça, on dit qu’elle contient du fer... C’est pas moi qu’en boirais ! j’aurais peur de me rouiller !...

RIFOLET, entrant mystérieusement par la porte du fond, et appelant à voix basse.

Garçon !

Il tient à la main une valise.

GUDULE, se retournant.

Tiens ! un voyageur !

RIFOLET.

Chut ! Si on t’interroge... tu ne me connais pas ! tu ne m’as jamais vu !... Voilà cent sous.

Il les lui donne.

GUDULE.

Cent sous !... Monsieur veut-il boire un verre d’eau ?

RIFOLET.

Non ! je me fiche de ton eau... garçon !

Regardant Gudule.

Tiens ! tu es une femme ? N’importe ! Garçon, est-il descendu ici un mari exaspéré... cherchant un jeune homme bien mis ?

GUDULE.

Non, Monsieur !

RIFOLET.

Très bien ! alors, donne-moi une chambre.

GUDULE, montrant la porte du pan coupé de droite.

Le n° 7 est libre.

RIFOLET, allant regarder dans la chambre.

N° 7. Un mur pour vis-à-vis... la vue me convient... Je prends ton n° 7.

GUDULE, passant à droite, et prenant la valise par un bout.

Je vais mettre des draps au lit.

RIFOLET, la retenant, en gardant dans sa main l’autre bout de la valise.

Attends... souviens-toi que si l’on me demande, tu ne me connais pas !... tu ne m’as jamais vu !... Voilà cent sous.

Il les lui donne, et lâche la valise.

GUDULE, à part.

Encore ! voilà un bon baigneur !

Haut.

Monsieur veut-il me dire son nom ?

RIFOLET, avec méfiance.

Pourquoi veux-tu savoir mon nom ? Tu as une raison pour me demander mon nom ?

GUDULE.

Dam ! c’est pour dire que vous n’y êtes pas si on vous demande.

RIFOLET.

C’est juste ! Oscar Rifolet... pour vous seule !... mais pour les autres... tu répondras que ton n° 7 est occupé par une famille de nègres... fortement atteinte de la fièvre jaune !

À part.

Comme ça, je ne recevrai pas de visites.

Haut, fouillant à sa poche.

Tiens ! voilà cent sous !

Se ravisant.

Ah ! non ! je te les ai déjà donnés.

GUDULE, à part.

C’est égal ! c’est un bon baigneur !

Elle entre au n° 7 avec la valise.

 

 

Scène II

 

RIFOLET, puis GUDULE

 

RIFOLET, seul.

Sapristi ! ma position est épineuse ! Il y a huit jours, j’étais à Saint-Sauveur... dans les blanches Pyrénées, entre une tante très sourde... et une brune... plus qu’indulgente... dont le mari nous charmait... par son absence... Nous ne parlions jamais de cet homme, et nous étions bien heureux ! Hélas ! un beau matin, je reçus ce billet.

Il tire de sa poche un billet qu’il lit.

« Mon mari vient d’arriver... il a trouvé votre portrait... il a juré de vous tuer, fût-ce au bout du monde ! Si vous tenez à la vie, fuyez ! »
Comme j’y tiens énormément... à la vie... je me jetai dans le premier chemin de fer venu, décidé à ne m’arrêter que lorsqu’il s’arrêterait... et me voilà à Spa... dans la blonde Belgique, avec un mari sur les talons... car il me suit, j’en suis sûr... À Malines, il y a un Monsieur qui m’a demandé du feu d’un air singulier, serait-ce lui ? C’est affreux ! Je ne le connais pas cet homme, je ne l’ai jamais vu... tandis que lui, il a mon portrait... au daguerréotype... Je n’ai qu’un moyen de le dépister... c’est de passer six mois là... dans mon n° 7. Je m’y créerai des occupations... le papier est vert... j’en collerai du bleu... ça me distraira ! Il paraît qu’il est très violent cet homme... à ce que m’a dit Edgarine. Edgarine ! c’est le nom de la brune... plus qu’indulgente !... nom charmant ! comme elle !... une taille ! des yeux ! et des cheveux... comme un cheval arabe !... elle en a tant, qu’elle en donne à ses amies... qui en manquent, et il n’y paraît pas ! ça repousse en huit jours... comme la luzerne !...

GUDULE, sortant du n° 7.

Monsieur !

RIFOLET, effrayé.

Quelqu’un ! je n’y suis pas !

GUDULE.

Votre chambre est prête.

RIFOLET.

Ah ! c’est toi !...

GUDULE.

Qu’est-ce qu’il faut vous servir ?

RIFOLET, passant à droite.

Quatre rouleaux de papier bleu... et de la colle !

À part.

Je vais m’amuser à coller !

Il entre au n° 7.

 

 

Scène III

 

GUDULE, puis LARDENOIS

 

GUDULE, seule, étonnée.

Est-ce qu’il compte déjeuner avec ça ?

Lardenois entre par le fond et va écouter à la porte n° 6, au deuxième plan à gauche. Il tient à la main une petite fiole de pharmacien. À part, l’apercevant.

Tiens ! voilà le n° 6 qui revient de faire sa promenade... il est toujours triste, il a un drôle de tic aussi... sa femme se porte comme M. le bourgmestre... il veut absolument qu’elle soit malade !

LARDENOIS, se retournant, voyant Gudule et allant à elle, tristement.

Ah !... Eh bien ! Gudule !... comment va-t-elle, ce matin ?

Il met la fiole dans sa poche.

GUDULE.

Qui ça ?

LARDENOIS.

Eulalie ! ma pauvre Eulalie !

GUDULE.

Très bien ! Madame vient de déjeuner.

LARDENOIS.

Tu me caches quelque chose... Qu’est-ce qu’elle a mangé ?

GUDULE.

Un gros beefsteak.

LARDENOIS.

Ah ! elle a consenti à sucer un beefsteak... pauvre femme !...

GUDULE.

Elle a encore sucé une omelette... du thé... et deux tranches de jambon !...

LARDENOIS.

C’est désolant ! J’incline pour une maladie de langueur. Le médecin est-il venu ?

GUDULE.

Non, Monsieur ! il a dit hier que c’était inutile...

LARDENOIS.

Encore un qui l’abandonne !

GUDULE.

Mais, Monsieur, puisque Madame n’a rien... elle dit qu’elle ne souffre nulle part.

LARDENOIS.

Elle est si courageuse !

GUDULE.

Elle mange bien, elle dort bien.

LARDENOIS.

Oui, mais quand elle court... ou quand elle valse, son cœur bat...

GUDULE.

Parbleu !

LARDENOIS.

Et elle entend des cloches... ses oreilles lui tintent !...

Par réflexion.

Est-ce que cela viendrait de l’estomac ?

GUDULE.

Allons donc !

Elle va reprendre au fond son panier de bouteilles.

LARDENOIS, à lui-même, tirant une carte de sa poche.

On m’a remis cette carte dans ma promenade.

Lisant.

« Mademoiselle Prudence, maîtresse somnambule de Paris, vient d’arriver à Spa, où elle se dispose à donner des séances et des consultations. – Mystère et guérison ! »

Parlé.

Si je la consultais... je n’y crois pas !... je ne suis pas assez bête... mais puisque les médecins nous abandonnent...

À Gudule.

Sais-tu où demeure mademoiselle Prudence ?

GUDULE.

Oh ! pour ça oui, Monsieur ! Elle reste dans l’hôtel... il n’y a qu’un étage à monter... c’est au n° 13.

LARDENOIS.

Merci.

Gudule sort par le fond, en emportant son panier. Eulalie sort du n° 6.

 

 

Scène IV

 

EULALIE, LARDENOIS

 

EULALIE, entrant, figure souriante et pleine de santé.

Bonjour, mon ami !

LARDENOIS, à part.

Comme elle a maigri !... c’est un spectre !

Haut.

Tu te lèves trop matin... tu vas te fatiguer.

Lui montrant un fauteuil.

Tiens ! repose-toi.

EULALIE.

Mais je ne suis pas lasse... je me porte à merveille, j’ai déjeuné comme un ogre !

LARDENOIS.

Voyons ta langue ?

EULALIE.

Ah ! tu m’ennuies ! en vérité, tu finirais par me persuader que je suis malade.

LARDENOIS.

Malade ! par exemple !

À part.

Sa voix est fiévreuse et saccadée.

EULALIE.

Et tout cela, parce qu’il y a huit jours, j’ai eu l’imprudence de valser un peu trop longtemps... je me suis sentie mal à l’aise.

LARDENOIS.

Oui... les cloches... ding ! ding !... c’est horrible !

EULALIE.

Un étourdissement qui a duré cinq minutes... mais c’est fini, je me porte mieux que toi, maintenant... Veux-tu faire une promenade ?

LARDENOIS, à part.

Quel courage ! c’est un zouave !

Haut, lui prenant la main.

Pauvre amie !

À part, consultant sa montre.

Le pouls est nonchalant.

Haut.

Voyons ta langue ?

EULALIE.

Ah ! encore !

Elle prend une broderie dans la corbeille à ouvrage.

LARDENOIS.

Non, non !

À part.

Il n’y a pas à hésiter, je vais consulter mademoiselle Prudence.

Il remonte.

EULALIE, passant à droite.

Où vas-tu ?

Elle travaille en marchant.

LARDENOIS, redescendant.

Nulle part... je me promène.

À part.

Il me faudrait quelque chose... une collerette... ou une mèche de cheveux !... c’est encore meilleur !

S’approchant d’Eulalie avec une paire de ciseaux qu’il vient de prendre sur la table de gauche.

Si je pouvais sans qu’elle s’en aperçût...

EULALIE, se retournant.

Que regardes-tu donc ?

LARDENOIS.

Rien... rien... c’est-à-dire si... je regarde tes cheveux.

EULALIE.

Oh ! voilà une idée !...

Elle remonte et passe à gauche.

LARDENOIS, la suivant.

Tes beaux cheveux qui retombent en cascades...

Cherchant à couper.

en cascades...

EULALIE.

Eh bien ! qu’est-ce que tu fais là avec tes ciseaux ?...

LARDENOIS.

Moi ?... rien... c’est pour causer...

Avec sentiment.

Eulalie... accorde-moi une mèche !

EULALIE, se reculant.

Ah ! non, par exemple !

LARDENOIS.

Par derrière... ça ne se verra pas... c’est pour mettre dans un médaillon.

EULALIE.

Ah çà ! qu’est-ce qui te prend ?

Elle va s’asseoir près de la table de gauche et continue à broder.

LARDENOIS.

C’est la mode... tous les lions se promènent avec des cheveux... dans des médaillons...

Air.

Vois ce hardi chasseur du Nouveau Monde,
Montrant partout un glorieux tribut :
Il a ravi vingt toupets à la ronde ;
Un bouquet seul orne son occiput.
Ainsi, chez nous, bien souvent on procède ;
Fier des trésors par son amour acquis,
Notre lion quelquefois ne possède
D’autres cheveux que ceux qu’il a conquis.

Il lui coupe vivement une mèche.

Voilà !... c’est fait !...

Il remet les ciseaux sur la table.

EULALIE, se levant et posant sa broderie.

Ah !...

LARDENOIS, vivement.

Au revoir, ma femme !... ça repoussera, va, ça repoussera !...

 

 

Scène V

 

EULALIE, puis GALIPOINTE

 

EULALIE, seule.

Ça repoussera !

Portant la main derrière sa tête.

Ah ! bien ! il a juste coupé au milieu de ma fausse natte ! et il va mettre les cheveux de mon amie Edgarine dans un médaillon ! Pauvre homme ! j’ai eu tort de ne pas lui avouer... Mon coiffeur a prétendu que mes cheveux tombaient... alors, il m’a conseillé de les couper... mais dans un mois il n’y paraîtra plus.

GALIPOINTE, en dehors.

Monsieur Lardenois ?... c’est ici ? bien... merci !

Il entre par le fond.

EULALIE.

Monsieur Galipointe !...

GALIPOINTE, à part.

C’est elle !

Haut et très respectueusement.

Madame, permettez-moi de vous présenter mes très humbles respects.

À part.

Que cette femme est belle !

EULALIE.

Quelle surprise de vous voir à Spa ! Vous nous amenez Edgarine, sans doute ?

GALIPOINTE.

Non... ma femme est d’un autre côté... elle a ses eaux et j’ai les miens !...

Se reprenant.

les miennes !

EULALIE.

Comment ! vous l’abandonnez ?

GALIPOINTE.

Que voulez-vous ? nous n’avons pas le même tempérament... on lui recommande les sulfureux... et à moi les ferrugineux... alors, j’ai expédié madame Galipointe avec sa tante, qui est sourde, sur Saint-Sauveur, et moi, je suis venu à Spa... Quand j’ai su que vous y étiez, vous si bonne, si belle, si...

EULALIE, l’arrêtant.

Monsieur Galipointe... je n’aime les compliments que devant mon mari.

GALIPOINTE.

Oh ! pardon ! pardon !

EULALIE.

Il ne peut tarder à rentrer... et il sera heureux, j’en suis certaine, de pouvoir serrer la main d’un ami...

Appuyant.

d’un véritable ami.

GALIPOINTE, embarrassé.

Certainement, Madame...

EULALIE, saluant.

Monsieur !

Elle entre au n° 6.

 

 

Scène VI

 

GALIPOINTE, puis LARDENOIS

 

GALIPOINTE, seul.

J’ai encore raté ma déclaration... c’est toujours la même chose... je suis pourtant parti de Paris tout exprès... avec quatre petites phrases... bien tapées ! je les ai fait rédiger par mon premier commis, un jeune homme qui fait des vers... très longs !... Mais au moment de parler... c’est plus fort que moi... ma langue se fige... Elle est si imposante, cette femme ! on dirait la statue de la pudeur sculptée par la main de la décence !

Il va à la porte du n° 6 et envoie des baisers.

LARDENOIS, entrant par le fond, et à part.

J’en viens !... dormait-elle ? ne dormait-elle pas ? voilà le hic !

GALIPOINTE, se retournant.

Tiens ! c’est Lardenois !

Il va à lui.

LARDENOIS, lui serrant la main.

Toi ici, mon vieux ! par quel hasard ?

GALIPOINTE.

J’ai mal à l’estomac... je viens boire du fer.

LARDENOIS.

As-tu vu ma femme ?

GALIPOINTE.

Elle me quitte à l’instant.

LARDENOIS, d’un air dolent.

Eh bien ? mon pauvre ami !

GALIPOINTE.

Quoi ?

LARDENOIS.

Elle est bien changée, n’est-ce pas ?

GALIPOINTE.

Pas trop !... un peu engraissée.

LARDENOIS.

Engraissée !... ma femme !

GALIPOINTE.

Mais oui ! elle est fraîche ! elle est rayonnante...

LARDENOIS, avec une poignée de main bien sentie.

Merci, mon ami !... merci ! mais, c’est inutile... j’ai du courage !...

GALIPOINTE, à part.

Qu’est-ce qu’il a ?

LARDENOIS.

Je viens de consulter une somnambule.

GALIPOINTE.

Pour ta femme ?

LARDENOIS.

Je lui ai mis entre les mains une mèche de ses cheveux...

GALIPOINTE.

Eh bien ?

LARDENOIS.

Elle a d’abord dit... Oh ! oh !... tu comprends ma position... un mari auquel on dit : Oh ! oh !

GALIPOINTE.

Après ?

LARDENOIS.

Après... elle a dit : Ah ! ah ! je te l’avoue cela m’a rendu la vie ! tu comprends... Ah ! ah !... ça à l’air de dire... Ah ! ah !...

GALIPOINTE.

Enfin, qu’a-t-elle ordonné ?

LARDENOIS.

Rien... elle m’a conseillé de traiter Eulalie par le magnétisme... en m’assurant que sa maladie ne résisterait pas à des effluves savamment dirigées.

GALIPOINTE.

Et tu vas la faire magnétiser ?

LARDENOIS.

Mieux que cela !... je vais la magnétiser moi-même.

GALIPOINTE.

Tu sais donc ?

LARDENOIS.

Dans le temps, j’ai suivi des cours... et je viens de m’y remettre... Pour 20 francs, mademoiselle Prudence m’a donné une leçon... Je lui ai pris les deux pouces... je l’ai regardée dans le blanc des yeux... C’est une charmante femme !

GALIPOINTE.

Ah ! mon gaillard !...

LARDENOIS.

Oh ! non ! je pense bien à cela !... quand on a une femme qui entend les cloches...

GALIPOINTE.

Quelles cloches ?

LARDENOIS, passant à gauche.

Plus tard... tu sauras... mais j’ai hâte d’essayer ma puissance magnétique... Tu permets ?

À part.

Voudra-t-elle me confier ses pouces ?

Il entre au numéro 6.

 

 

Scène VII

 

GALIPOINTE, puis RIFOLET

 

GALIPOINTE, seul.

Elle entend les cloches... quelles cloches ? ah çà ! est-ce que la tête de Lardenois ?...

Il remonte.

RIFOLET, sortant du numéro 7 en brossant un habit.

Décidément je m’ennuie dans mon numéro 7... je vais m’amuser à brosser mes habits.

Il gagne la gauche.

GALIPOINTE, l’apercevant.

Un baigneur !

Il redescend.

RIFOLET, à part.

Fichtre ! du monde !...

GALIPOINTE, saluant Rifolet.

Monsieur...

RIFOLET.

Monsieur...

À part.

c’est l’homme qui m’a demandé du feu à Malines... d’un air singulier... Je file.

Il se dirige vers sa chambre.

GALIPOINTE, à Rifolet, en lui barrant le passage.

Monsieur est depuis longtemps à Spa ?

RIFOLET.

Non, Monsieur, non... c’est-à-dire depuis neuf ans...

À part.

Serait-ce le mari ?

GALIPOINTE.

Depuis neuf ans ? alors, vous devez connaître le pays... Oserais-je vous prier de me donner quelque renseignement ?...

RIFOLET.

Je ne sais rien... je ne connais rien... nous sommes-là une famille de nègres atteints de la fièvre...

GALIPOINTE, riant.

Vous êtes nègre ? vous ?

RIFOLET, vivement.

Oui, Monsieur, oui... c’est-à-dire... non... pas moi... mon père et ma mère sont nègres !

GALIPOINTE, riant.

Ah ! alors je vous demanderai l’adresse de votre blanchisseur.

RIFOLET, à part.

Comme il me regarde !

GALIPOINTE.

Vous m’avez l’air gai, vous ! S’amuse-t-on ici ?

RIFOLET, gagnant la porte du n° 7.

Beaucoup... Serviteur, Monsieur, serviteur !

Il disparaît.

GALIPOINTE, seul.

Voilà un homme qui n’est pas liant !

 

 

Scène VIII

 

LARDENOIS, GALIPOINTE, puis EULALIE

 

LARDENOIS, sortant du n° 6 et à voix basse.

Galipointe !

GALIPOINTE.

Hein ?

LARDENOIS.

Ça y est !... elle dort !

GALIPOINTE.

Comment ?

LARDENOIS.

Vrai ! je n’y croyais pas... je lui tenais les pouces en me disant : Faut-il qu’un homme soit bête !... quand tout à coup ses yeux... Il paraît que j’ai du fluide magnétique.

GALIPOINTE.

Pas possible !

LARDENOIS.

Tiens !... veux-tu la voir ?...

GALIPOINTE.

Oui...

LARDENOIS.

Oh ! il n’y a pas besoin de nous déranger... je vais la faire venir...

Il étend le bras, Eulalie sort du n° 6 en état de somnambulisme et vient au milieu du théâtre.

La voici... une chaise...

Galipointe avance une chaise derrière Eulalie. Lardenois fait un geste de commandement, Eulalie s’assied.

Hein !... tu vois...

Il passe à la droite de sa femme.

Ce qu’il y a de plus curieux... c’est qu’elle ne sent rien...

GALIPOINTE.

En vérité ?

LARDENOIS.

Je l’ai pincée, elle n’a pas crié... Je l’ai chatouillée, elle n’a pas ri... Tiens ! je l’embrasse !... et je n’ai pas fait ma barbe.

Il embrasse Eulalie.

GALIPOINTE, de l’autre côté de la chaise.

C’est extrêmement curieux... Voyons donc ? voyons donc ?

Il l’embrasse de son côté.

LARDENOIS, embrassant de nouveau et enchanté.

Elle ne sent rien !

GALIPOINTE, l’embrassant une seconde fois.

Elle ne sent rien !

Il va pour recommencer.

LARDENOIS, allant à lui, et l’arrêtant.

Assez ! assez !... Il ne faut pas fatiguer le sujet !

GALIPOINTE.

Oui... nous recommencerons tout à l’heure !

LARDENOIS.

Dis donc... je pense à une chose... Si je l’interrogeais sur sa maladie ?...

GALIPOINTE.

Quelle maladie ?

LARDENOIS.

Justement... j’ai une mèche de ses cheveux... Voilà !

Il tire de sa poche la mèche de cheveux.

GALIPOINTE, la regardant.

Ah ! c’est curieux !... la même nuance que ceux de ma femme !

À part.

Mais quelle différence ! ceux-ci sont bien plus soyeux.

LARDENOIS.

Ça serait drôle, si elle allait être lucide !... Attention !

Il pose la main sur la tête de sa femme, et d’un ton solennel.

Eulalie... m’entendez-vous ?

EULALIE.

Oui, mon ami.

LARDENOIS.

Elle m’entend !

GALIPOINTE.

Je crois bien... tu lui cries dans les oreilles...

LARDENOIS, à Eulalie.

Vous sentez-vous disposée à répondre à mes questions ?

EULALIE.

Oui !

LARDENOIS.

Nous allons voir.

Lui mettant entre les mains la mèche de cheveux.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

Faisant des signes à Galipointe.

Chut ! ne dis rien !

EULALIE.

C’est...

Après une longue hésitation.

ce sont des cheveux !

LARDENOIS, transporté.

Elle est lucide. Galipointe, ma femme est lucide !

GALIPOINTE, à part.

C’est bien malin ! je parie qu’elle ne dort pas !

LARDENOIS.

Voyez-vous la personne à qui appartiennent ces cheveux ?

EULALIE, riant.

Ah ! oui !

LARDENOIS.

Elle a ri... elle reconnaît ses cheveux. Mon Dieu ! qu’elle est fine !

GALIPOINTE, à part.

Pose, mon bonhomme ! pose !

LARDENOIS.

Parlez-nous de cette personne.

EULALIE.

Oh ! je la vois bien... très bien !

Tout à coup.

Ah ! la malheureuse !

LARDENOIS, effrayé.

Quoi donc ? Est-ce qu’elle est en danger ?

EULALIE.

Ah ! oui !... en grand danger !

GALIPOINTE.

Que dit-elle ?

LARDENOIS, désespéré.

C’est la poitrine ! c’est la poitrine !

EULALIE.

C’est la faute de son mari...

LARDENOIS.

Ma faute ! Est-ce que je lui aurais fait prendre quelque chose de contraire ?

EULALIE.

C’est bien aussi un peu la sienne... car c’est une coquette.

GALIPOINTE.

Ah ! bah !

LARDENOIS.

Qu’est-ce qu’elle dit donc ! une coquette !

À Eulalie.

Elle a donc... un amoureux ?

EULALIE.

Elle en a trois !

LARDENOIS, stupéfait.

Trois !

GALIPOINTE, à part.

Sapristi ! et elle l’avoue !... Pour le coup, elle dort !

LARDENOIS.

Trois amoureux ! ça me fait un drôle d’effet... brrr !... Galipointe... est-ce que tu crois au magnétisme, toi ?

GALIPOINTE.

Non !

LARDENOIS.

Moi non plus !

GALIPOINTE.

Des bêtises !... réveille-la, va !

LARDENOIS.

Oui...

Il fait mine de la réveiller et se ravise.

Nous disons qu’elle a trois amoureux ?

EULALIE.

Un surtout... l’aime en secret...

GALIPOINTE, à part.

Corbleu ! elle va me dénoncer !

Haut.

Réveille-la !

EULALIE.

Il est venu la rejoindre pour se déclarer...

GALIPOINTE, à part.

Allons, la voilà lancée !

LARDENOIS.

Comment s’appelle-t-il ?

GALIPOINTE.

Non ! réveille-la ! réveille-là !

LARDENOIS, impatienté.

Mais tu m’ennuies, toi !

À Eulalie, impérieusement.

Comment s’appelle-t-il ?

EULALIE, après une longue hésitation.

Je ne puis le nommer !...

GALIPOINTE, à part.

Je respire !

EULALIE, se levant.

Mais je le vois... il est dangereux, il est séduisant, il est beau !...

Lardenois passe à gauche.

GALIPOINTE, à part.

Lardenois va me reconnaître.

Haut.

Assez ! en voilà assez !

LARDENOIS.

Mais laisse-moi donc tranquille !

Il prend les mains de sa femme.

EULALIE.

Il va lui proposer une partie d’ânes... à Gavarnie !

LARDENOIS.

Gavarnie !

GALIPOINTE, à part.

Ça doit être dans les environs.

EULALIE.

Elle voudra résister...

LARDENOIS.

C’est heureux !

EULALIE.

Mais son séducteur menacera de se tuer.

LARDENOIS.

Le lâche !

GALIPOINTE, à part.

Elle me dicte ma conduite !

EULALIE.

Ah ! mon Dieu !... Si elle accepte, elle est perdue !

LARDENOIS, furieux.

Mais elle n’acceptera pas ! je l’empêcherai bien d’accepter !

En gesticulant, il a secoué le bras de sa femme. Ce mouvement la réveille. Galipointe remet la chaise près du guéridon de droite, où il l’a prise. Lardenois a repris la mèche de cheveux.

EULALIE, s’éveillant.

Ah ! c’est singulier... je ne sais ce que j’éprouve... mon ami... monsieur Galipointe... vous étiez là... que s’est-il donc passé ?

GALIPOINTE.

Rien, belle dame...

À Lardenois.

N’est-ce pas ?

LARDENOIS, serrant les dents avec rage.

Rien du tout ! rien du tout !

EULALIE.

C’est étrange... il me semble que je viens de dormir... et pourtant je tombe de sommeil.

LARDENOIS, avec dignité.

Rentrez, Madame, rentrez dans votre chambre... dont vous n’auriez jamais dû sortir.

EULALIE.

Qu’as-tu donc, mon ami ?...

LARDENOIS.

Votre ami !

La prenant à part.

Je n’ai qu’un mot à vous dire ! j’ai l’œil sur les ânes !

Il remonte à droite.

EULALIE, étonnée.

Les ânes !...

GALIPOINTE, à Eulalie.

Permettez-moi de vous offrir mon bras.

Il lui donne le bras. Bas et vivement.

Vous êtes un ange !... je vais me procurer des ânes !

EULALIE.

Mais quels ânes ?

GALIPOINTE, bas.

Chut ! taisez-vous donc !

À part.

Est-elle maladroite ?

Ensemble.

Air.

EULALIE.

Je ne me sens pas bien,
Et j’ai très mal à la tête ;
Cet état m’inquiète ;
Je n’y comprends rien.

GALIPOINTE.

Quel espoir est le mien ?
Sa femme est une coquette.
Elle m’aime en cachette,
Et tout ira bien.

LARDENOIS.

Quel tourment est le mien !
Ma femme est une coquette ;
Je surveille et je guette,
Et tout ira bien.

Eulalie entre au n° 6.

 

 

Scène IX

 

GALIPOINTE, LARDENOIS

 

LARDENOIS, croisant ses bras.

Eh bien ! qu’est-ce que tu dis de ça ?

GALIPOINTE.

Dam ! mon ami... certainement... c’est désagréable.

LARDENOIS, avec éclat.

Tu y crois donc ?

GALIPOINTE.

À quoi ?

LARDENOIS.

Au magnétisme !

GALIPOINTE.

Non ! jamais !

LARDENOIS.

Moi non plus !... trois amoureux ! et moi qui cherchais sa maladie !... c’est une maladie de cœur !

GALIPOINTE.

Trois amoureux ! d’abord tu exagères... il n’y en a qu’un.

LARDENOIS.

Ce n’est peut-être pas assez ! un homme dangereux, beau, séduisant... Qui ?... mais qui ?... car elle n’a pas voulu le nommer !

GALIPOINTE.

Toutes les somnambules sont comme ça, quand elles ont une idée en tête... lis tous les ouvrages sur le magnétisme...

LARDENOIS, avec éclat.

Tu y crois donc ?

GALIPOINTE, vivement.

Non ! jamais !

LARDENOIS.

Moi non plus !... Mais comment le connaître ce polisson... qui offre des ânes ?

Tout à coup.

Oh ! quelle idée !

GALIPOINTE.

Quoi ?

LARDENOIS.

Rien !

À part.

Je vais la rendormir !... je l’écraserai de fluide !... et il faudra bien qu’elle me le désigne !

Il passe à gauche.

GALIPOINTE.

Où vas-tu ?

LARDENOIS.

Lire mon journal... Mais dis-moi donc si tu crois au magnétisme ?...

GALIPOINTE.

Non !...

LARDENOIS.

Moi non plus !...

À part.

Je vais l’écraser de fluide !

Il entre au n° 6.

 

 

Scène X

 

GALIPOINTE, puis GUDULE

 

GALIPOINTE, seul, avec joie.

Eh bien ! et moi qui me gênais !... Il paraît que c’est une gaillarde !... Trois amoureux ! Allons ! allons ! ça va marcher ! pourvu qu’il y ait des ânes à Spa !... Oh ! oui ! mon cœur me dit qu’il y en a !

Appelant.

Garçon !... la fille !... quelqu’un !...

GUDULE, entrant par le fond.

Votre chambre, Monsieur, c’est au n° 5...

Elle lui montre la porte du deuxième plan à droite.

GALIPOINTE.

Au n° 5... bien !... Avance ici...

Mystérieusement.

Trouve-t-on des ânes dans ce pays ?

GUDULE.

Oui, Monsieur, il y en a d’excellents !

GALIPOINTE.

Très bien !... j’en veux deux... très vicieux.

GUDULE.

Tiens !... cette idée...

GALIPOINTE.

Elle est profonde ! ne la creuse pas... tu n’en trouverais pas le fond ! Dépêche-toi.

GUDULE.

Tout de suite, Monsieur !

Elle sort par le fond.

GALIPOINTE, seul.

Il ne me reste plus qu’à prendre mes pistolets... non chargés... et je menacerai de me tuer... C’est très commode d’avoir son programme tout tracé !... Ah ! çà, je ne connais pas le pays... Où diable est situé Gavarnie ?

Prenant un livre sur la table de gauche.

Tiens ! le guide du voyageur...

Il le parcourt.

 

 

Scène XI

 

GALIPOINTE, RIFOLET

 

RIFOLET, à part, sortant de son n° 7 en bâillant, sans voir Galipointe.

Mon mur m’ennuie ! je ne savais que faire... ma foi ! j’ai mis un pantalon de nankin !...

GALIPOINTE, à part.

Ah ! le monsieur qui n’est pas causeur !...

Il remet le livre sur la table.

RIFOLET, à part.

Encore ce voyageur !... Ah çà ! il fait sentinelle à ma porte !... c’est louche !

Il fait mine de rentrer.

GALIPOINTE, l’arrêtant par le bras.

Pardon, Monsieur !...

RIFOLET, cherchant à se dégager.

Excusez-moi... je vais mettre un pantalon de coutil...

GALIPOINTE, le retenant.

Un moment !... Pourriez-vous me dire où est Gavarnie ?

Il le lâche.

RIFOLET, à part, terrifié.

Gavarnie !... c’est là que j’ai rencontré Edgarine !... Du sang froid !

Haut.

Gavarni !... Mais je pense qu’il est toujours au Charivari, Gavarni !...

Il rit.

GALIPOINTE, riant.

Au Charivari !... Ah ! très joli ! Monsieur est un farceur ?

RIFOLET.

Un peu... un peu !...

À part.

Il rit ! ce n’est pas lui !...

Il va s’asseoir près du guéridon de droite, sur lequel il prend un journal. Galipointe le suit et lui parle bas.

 

 

Scène XII

 

LARDENOIS, GALIPOINTE, RIFOLET

 

LARDENOIS, à part, sortant du n° 6, sans voir les autres personnages.

Elle me l’a désigné !... Il porte un gilet blanc et un pantalon de nankin !... les nankins n’ont qu’à bien se tenir !...

Apercevant le pantalon de Galipointe par derrière.

Tiens !... en voici un !...

Allant frapper sur l’épaule de Galipointe. Haut.

Monsieur !...

GALIPOINTE, se retournant.

Quoi ?...

LARDENOIS.

Ah ! bah !... toi ?... un ami ?... bonjour !...

Il veut lui donner la main et se ravise.

Non !...

GALIPOINTE.

Je causais avec Monsieur...

Il découvre Rifolet, et passe à gauche. Rifolet se lève.

LARDENOIS, à part.

Encore un !... deux nankins !... Lequel ?...

GALIPOINTE, à part.

Qu’est-ce qui lui prend !

LARDENOIS, à part.

Les gilets vont m’éclairer...

Voyant leurs habits boutonnés.

Boutonnés tous les deux !... il faut que je trouve un moyen...

RIFOLET, à part.

Comme il me regarde !... je rentre !...

LARDENOIS, ramenant par la main Galipointe et Rifolet qui s’esquivaient.

Pardon... pardon...

Avec une fureur concentrée.

Qui est-ce qui me prête un crayon ?

GALIPOINTE.

Moi !

RIFOLET.

Moi !

Tout deux déboutonnent leurs habits ; ils sont en gilet blanc.

LARDENOIS, à part.

Deux gilets blancs !... Ah ! c’est trop fort !

RIFOLET, lui offrant un crayon.

Monsieur, voici un crayon...

LARDENOIS.

Pourquoi faire ? Ah ! oui !...

Avec rage.

Je n’en ai plus besoin... entendez-vous, l’homme au gilet blanc ?

RIFOLET, à part.

Qu’est-ce qu’il a ?

 

 

Scène XIII

 

LARDENOIS, GALIPOINTE, RIFOLET, GUDULE, entrant par le fond

 

GUDULE, accourant et très haut.

Les ânes sont prêts !...

GALIPOINTE, à part, très effrayé.

Ah ! sapristi !

LARDENOIS.

Les ânes !... Ah ! on a demandé des ânes ?

GALIPOINTE, à part.

Je suis perdu !

LARDENOIS, à Rifolet.

Ne serait-ce pas vous par hasard... l’homme au gilet blanc ?

RIFOLET.

Non...

À part.

Qu’est-ce qu’il a donc après mon gilet ?

GALIPOINTE, bas et vivement, à Gudule.

Vingt francs pour toi si tu ne me nommes pas !

GUDULE, bas.

Comment !

LARDENOIS, à Gudule.

Voyons ! parle... l’instant est solennel !... Qui est-ce qui a demandé des ânes ?

GUDULE, hésitant.

Dame ! Monsieur... c’est...

Elle regarde Galipointe, qui lui fait des signes.

LARDENOIS.

Parle !... ou je t’endors... je t’écrase de fluide !

GUDULE.

Eh bien ! c’est... c’est vous !

LARDENOIS.

Moi ???

GALIPOINTE, à part.

Bravo !

RIFOLET, à part.

Il est toqué cet homme-là !... il demande des ânes, il demande des crayons... il ne s’en souvient plus !...

LARDENOIS.

Comment !... tu oses soutenir que c’est moi ?... moi !!!

GUDULE, avec résolution.

Oui, Monsieur.

GALIPOINTE.

Tu l’auras oublié.

RIFOLET.

Vous l’aurez oublié !

LARDENOIS, les regardant avec méfiance.

Probablement...

À Rifolet.

Probablement... l’homme au gilet blanc !

RIFOLET, à part.

Décidément il n’aime pas les gilets blancs !

Il remonte.

LARDENOIS, à part.

C’est clair... ils ont soudoyé cette naïve flamande !...

GALIPOINTE, à part.

Je l’échappe belle !...

Il remonte causer avec Rifolet.

LARDENOIS, à lui-même, sur le devant.

Soyons fin !... je vais leur tendre un collet !...

Bas, à Gudule.

Écoute ici !... Je te donnerai le double de ce qu’on t’a promis...

GUDULE, bas.

Quarante francs ?

LARDENOIS, bas, et vivement.

Là !... qu’est-ce que je disais ?...

À part, montrant le poing à Rifolet.

Ah ! gredin !...

S’arrêtant.

Après ça, c’est peut-être Galipointe !...

Montrant le poing à Galipointe

Ah ! gredin !...

Bas, à Gudule.

Tu vois bien ces deux hommes ?...

GUDULE, bas.

Oui, M’ssieur !...

LARDENOIS, bas.

Tu vas aller leur dire à chacun dans l’oreille : Méfiez-vous ! le mari sait tout !

GUDULE, bas.

Tout, quoi ?

Galipointe redescend à gauche et Rifolet à droite.

LARDENOIS, bas.

Ça ne te regarde pas !... Va !... je te paie !

GUDULE, à part.

Je veux bien, moi !...

LARDENOIS, mettant son binocle.

Attention !

GUDULE, bas, à Rifolet près duquel elle passe.

Monsieur !

RIFOLET, bas.

Quoi ?

GUDULE, bas.

Méfiez-vous ! le mari sait tout !

RIFOLET, s’affaissant sur la chaise près du guéridon, à part.

Hein ?... sapristi !

LARDENOIS, à part.

Il a chancelé !... c’est lui !...

Bas, à Gudule.

Va-t’en !

GUDULE, bas.

Et l’autre ?

LARDENOIS.

Ça suffit... mais tu n’auras que vingt francs !...

Haut, à Galipointe.

Laisse-nous aussi... j’ai à causer avec Monsieur !

RIFOLET, à part.

L’heure suprême est arrivée !

GALIPOINTE, à part.

Que se passe-t-il donc ?... Oh ! je le saurai !...

Ensemble.

Air.

RIFOLET.

Ô rencontre fatale !
Je n’ai pu t’éviter.
La bombe du scandale
Est bien près d’éclater.

GUDULE.

Ô rencontre fatale !
Il n’a pu l’éviter.
La bombe du scandale
Est bien près d’éclater.

GALIPOINTE.

Tandis qu’en ce dédale
Tous deux vont se jeter,
Ma chance est sans égale :
Sachons en profiter.

LARDENOIS.

Sans bruit et sans scandale
Il me faut l’écarter.
Je saurai bien, morale,
Te faire respecter.

Galipointe entre à droite au n° 5. Gudule sort par le fond.

 

 

Scène XIV

 

LARDENOIS, RIFOLET

 

LARDENOIS, venant se placer devant Rifolet.

Monsieur... le mari sait tout ! et le mari, c’est moi !

RIFOLET, se levant.

Je m’en doutais... Vous arrivez de Saint-Sauveur ?

LARDENOIS, étonné.

Hein ?...

D’un air fin.

Peut-être !... peut-être !... Qu’avez-vous à me dire pour votre justification ?...

RIFOLET.

Moi ?... rien !... Que voulez-vous ? je suis pincé !...

Il ôte ses favoris et sa perruque blonde et paraît avec des cheveux noirs.

La feinte est désormais inutile...

Il pose le tout sur le guéridon.

LARDENOIS, étonné.

Comment !... tout ça n’est pas à vous ?

RIFOLET.

Non !

LARDENOIS.

Pourquoi cette fourrure d’emprunt ?

RIFOLET.

Pour ne pas être reconnu... puisque vous avez mon portrait.

LARDENOIS, étonné.

Moi ?...

D’un air fin.

Peut-être !... peut-être !...

À part.

Qu’est-ce qu’il me chante ?...

RIFOLET.

À quoi m’avez-vous reconnu ?

LARDENOIS.

À votre pantalon...

RIFOLET.

Tiens !...

Cherchant à filer.

Je vais en changer !...

LARDENOIS, l’arrêtant.

C’est inutile à présent !... Ça ne peut pas se passer comme ça ! il me faut une satisfaction...

RIFOLET, à part.

Nous y voilà...

À part.

Je suis à vos ordres, Monsieur... mais dépêchons-nous... je n’aime pas m’endormir sur un duel !

LARDENOIS.

Un duel ?... quand j’ai le droit de vous tuer...

Tout doucement.

car j’ai le droit de vous tuer, mon ami !...

RIFOLET.

Comment !

LARDENOIS.

Mais je rêve une autre réparation !

RIFOLET.

Laquelle ?

LARDENOIS.

Plus terrible !... plus cruelle !... plus raffinée !...

RIFOLET, très agité.

Ah ! mais Monsieur !...

LARDENOIS.

J’ai entrepris de vous couler...

RIFOLET, effrayé.

Comment ! me couler !... Dans quoi voulez-vous me couler ?

LARDENOIS.

Je veux vous dépoétiser...

RIFOLET, rassuré.

Ah !...

LARDENOIS.

Je veux que vous cessiez d’être dangereux... de façon que lorsque vous proposerez vos ânes... on vous envoie promener bien loin... Comprenez-vous ?

RIFOLET.

Pas beaucoup !

LARDENOIS.

Ma femme va venir...

RIFOLET.

Elle est ici ?...

LARDENOIS, avec un rire sardonique.

Oui... elle est ici !

RIFOLET.

Elle est arrivée de Saint-Sauveur ?...

LARDENOIS, sans comprendre.

Saint-Sauveur !...

D’un air fin.

Peut-être !... peut-être !... Je vous laisserai seul avec elle...

RIFOLET.

Ah ! que vous êtes bon !

LARDENOIS.

Mais j’exige que vous lui paraissiez ignoble, grossier, manant !...

RIFOLET.

C’est impossible !

LARDENOIS.

Afin qu’elle se dise : Mon Dieu ! mon Dieu ! quel chaudronnier j’allais aimer ! Mais auprès de cet animal-là, mon mari est un ange !... Vous commencerez par garder votre chapeau sur la tête... ce qui est très goujat !

RIFOLET.

Devant une femme, jamais...

LARDENOIS, très doucement.

Vous oubliez que j’ai le droit de vous tuer...

RIFOLET.

C’est juste ! Allons ! je ne la saluerai pas...

LARDENOIS.

Ensuite, vous lui direz des petites choses malhonnêtes !

RIFOLET.

Comment ?

LARDENOIS, montrant le n° 6.

Air.

J’entendrai tout ; car de là je ne bouge.
Vous lui direz qu’elle a les cheveux roux,
Et les yeux verts, et le nez rouge...

RIFOLET.

Mais...

LARDENOIS.

Je le veux, moi, son époux !
Obéissez, ou craignez mon courroux !
Vous direz qu’elle a la peau noire,
Que sa taille est mal faite, et cætera...
Or, mon cher Monsieur, veuillez croire
Que pas un mot n’est vrai dans tout cela !
Non, dieu merci ! rien n’est vrai dans tout ça !

RIFOLET.

Eh bien ! alors...

LARDENOIS...

Ce n’est pas tout !

RIFOLET.

Il y a encore quelque chose ?

LARDENOIS.

J’entends que vous lui fassiez l’aveu de votre passion... pour une autre femme !... Une femme du commun !...

RIFOLET.

Comment !...

LARDENOIS.

Pour votre blanchisseuse... une grosse dondon, qui vous permet de fumer la pipe... Ça la dégoûtera ! vous lui paraîtrez dégoûtant !

Il se frotte les mains.

RIFOLET, protestant.

Mais, Monsieur !...

LARDENOIS.

Vous oubliez que j’ai le droit de...

RIFOLET.

Oui... c’est convenu...

LARDENOIS.

Je vais la chercher... Mettez toujours votre chapeau...

Rifolet le met.

...non pas comme ça !... sur le coin de l’oreille... en casseur... c’est très mauvais genre...

Il lui arrange son chapeau.

Bien... comme ça...

À part.

Il est repoussant !...

Haut, et lui faisant un petit geste amical de la main.

À bientôt... à bientôt.

À part.

Il est ignoble !

Il entre au n° 6.

 

 

Scène XV

 

RIFOLET, puis GALIPOINTE

 

RIFOLET, seul.

Sapristi !... en voilà une situation !... Pauvre Edgarine ! lui déclarer que ma blanchisseuse...

Galipointe qui est sorti du n° 5 sur la pointe des pieds, en lui frappant sur l’épaule.

GALIPOINTE.

À nous deux !

RIFOLET.

Quoi ?

GALIPOINTE, montrant le n° 5.

J’étais là... j’ai tout entendu !... Cette dame va venir... je vous préviens que je me déclare son chevalier...

RIFOLET.

À la bonne heure !

GALIPOINTE.

Et si vous n’êtes pas courtois et respectueux avec elle... je vous brûle la cervelle !...

RIFOLET, effrayé.

Vous ! avec quoi ?...

GALIPOINTE, tirant un pistolet de sa poche.

Avec ceci...

À part.

non chargé !

RIFOLET.

Bigre !

GALIPOINTE, montrant sa chambre.

J’entre là... et je ne vous perds pas de vue !... à la première inconvenance, à la première incivilité... en joue... feu !

RIFOLET, frissonnant.

Brrr !...

GALIPOINTE, lui ôtant son chapeau et le lui mettant sous le bras.

Ôtez votre chapeau... là... comme ça... sous le bras... en gentilhomme... et souvenez-vous que si vous n’êtes pas gentil...

Lui faisant un signe amical de la main.

À bientôt ! à bientôt !...

Il rentre au n° 5.

 

 

Scène XVI

 

RIFOLET, puis LARDENOIS et EULALIE

 

RIFOLET, seul.

Ah ! mais, ça se complique !... je ne peux pourtant pas être insolent avec politesse... et respectueux avec grossièreté. Qu’ils s’arrangent !...

Criant.

Arrangez-vous !...

Il remonte.

LARDENOIS, sortant du n° 6.

Chut !... voici ma femme !...

RIFOLET, à part, s’arrêtant.

Bien !... je vais avoir de l’agrément !

LARDENOIS, introduisant Eulalie.

Viens, chère amie... permets-moi de te présenter Monsieur... Monsieur !...

Bas à Rifolet.

votre nom ?...

RIFOLET, bas.

Oscar !...

LARDENOIS.

Monsieur Oscar !... un de mes amis qui désire vivement faire ta connaissance.

EULALIE, saluant.

Monsieur...

RIFOLET, saluant, sans la regarder.

Madame !...

LARDENOIS, bas, à Rifolet.

Mettez donc votre chapeau pour saluer...

Eulalie va s’asseoir devant la table de gauche et travaille.

RIFOLET, bas.

Tout à l’heure.

À Eulalie, sans la regarder.

Croyez, Madame, que c’est bien malgré moi...

La regardant.

Ah ! mon Dieu !...

LARDENOIS.

Quoi ?...

RIFOLET, entraînant Lardenois à l’écart, bas.

Comment ! c’est là votre femme ?

LARDENOIS, bas.

Sans doute !

RIFOLET, bas.

Mais ce n’est pas elle !... je ne la connais pas !...

LARDENOIS, incrédule, bas.

Allons donc !... elle est connue, celle-là ! papa la connaît, celle-là !...

RIFOLET, bas.

Quand je vous jure !...

LARDENOIS, bas.

Taisez-vous, et mettez votre chapeau !...

Haut, à Eulalie.

Ma bonne amie... ce cher Oscar prétend avoir déjà eu le plaisir de te rencontrer souvent dans le monde...

EULALIE.

Ah !...

Regardant Oscar.

Pardon, Monsieur, je ne me souviens pas...

LARDENOIS, à part.

Elle non plus !... elle est très forte !... mais nous allons voir !

Haut.

Je vous laisse... j’ai une lettre à écrire... ce bon Oscar te tiendra compagnie... C’est un jeune homme charmant...

Bas, à Rifolet.

Votre chapeau.

Haut, à sa femme.

Bien élevé...

Bas, à Rifolet.

Votre chapeau...

Haut, à sa femme.

et d’une politesse en vers les dames !...

Bas, à Rifolet.

Mais mettez donc votre chapeau !...

Il le lui plante sur la tête.

RIFOLET, à part et regardant avec inquiétude du côté de la chambre de Galipointe.

Sapristi !... et l’autre qui m’a défendu...

LARDENOIS, à Eulalie, en faisant passer Rifolet près d’elle.

Adieu, chère amie, cause avec Oscar... il est instruit... il a beaucoup voyagé !...

EULALIE.

Ah !... Monsieur aime les voyages ?...

LARDENOIS.

Lui !... il a été en Chine !

Bas, à Rifolet.

Vous vous rappelez nos conventions ?

RIFOLET, bas.

Mais vous vous trompez !...

LARDENOIS, bas, en montrant le n° 6.

J’entre là... et si vous n’êtes pas grossier comme un paveur... je vous brûle la cervelle !...

RIFOLET, bas.

Hein ?... avec quoi ?...

LARDENOIS, lui montrant un pistolet, bas.

Avec ceci !

Il passe au milieu.

RIFOLET, à part.

Ça fait deux !... je suis sûr de mon affaire !...

LARDENOIS, bas, à Rifolet.

Dites donc, commencez par votre blanchisseuse...

RIFOLET, bas.

Mais je vous proteste...

LARDENOIS, lui arrangeant son chapeau, bas.

Ah ! non... pas comme ça !... sur le coin de l’oreille !... c’est extrêmement canaille !

Haut, à Eulalie.

Je vais écrire ma petite lettre...

À part.

Quand je le trouverai assez malhonnête... j’entrerai... je le soufflèterai... et comme j’ai le choix des armes... je m’en choisirai aucune !...

Il se frotte les mains, bas, à Rifolet.

Allons !... votre blanchisseuse !... et vivement !...

Haut, à sa femme.

Cause avec Oscar... il a été en Chine...

Il entre au n° 6, après avoir fait de loin des signes à Rifolet.

 

 

Scène XVII

 

EULALIE, RIFOLET

 

RIFOLET, à part.

Ma blanchisseuse !... sapristi !... mais je ne la connais pas, moi, cette dame !... elle a l’air fort bien... très distinguée... comme c’est commode d’aller lui déclarer que j’ai une passion

EULALIE, tout en brodant.

Monsieur...

Elle lui indique une chaise au fond, Rifolet va la prendre et vient s’asseoir à une petite distance d’Eulalie. Remarquant qu’il a le chapeau sur la tête, à part.

Est-ce qu’il est enrhumé ?...

Haut.

Monsieur... est-ce qu’on pénètre facilement dans l’intérieur de la Chine ?

RIFOLET, cherchant ses paroles.

Mon Dieu ! Madame, on y pénètre... sans y pénétrer... il y a une grande muraille... mais par les brèches... on se faufile...

À part.

Ça nous éloigne !...

EULALIE.

Moi, je ne connais rien de plus beau que les voyages !... cette vie pleine d’aventures... d’imprévu, de périls exalte l’imagination et remplit le cœur de souvenirs !...

RIFOLET.

Oui... oui... sans doute...

À part.

Ça nous éloigne !

LARDENOIS, chantant en dehors.

Garde à vous !...

RIFOLET, à part.

Et le mari qui s’impatiente !...

EULALIE.

Voyons ?... Qu’est-ce qui vous a le plus frappé en Chine ?

RIFOLET, à part.

Elle est ennuyeuse avec sa Chine !

Haut.

Mais beaucoup de choses...

LARDENOIS, chantant en dehors.

Les blanchisseus’s font comm’ ça...

RIFOLET, après un mouvement.

Il y a d’abord les... blanchisseuses !

EULALIE, riant.

Comment !... les blanchisseuses !...

RIFOLET, barbotant.

Oui... des femmes qui blanchissent... il faut vous dire qu’en Chine... il y a les blanchisseuses de gros... et les blanchisseuses de fin... et alors... C’est un pays très curieux...

À part.

Dieu ! que je dois avoir l’air bête !

EULALIE, à part.

Est-ce qu’il se moquerait de moi ?

Haut.

Comptez-vous faire un long séjour à Spa ?

RIFOLET, vivement.

Oh ! non !... dès que je pourrai filer !... car je puis dire que je m’y ennuie bien !...

EULALIE.

Merci !... vous êtes galant !...

L’on entend tousser fortement Galipointe à droite.

RIFOLET, à droite, se levant.

Ah ! bigre !... j’ai été malhonnête !... c’est l’autre qui tousse...

Haut et vivement.

Quand je dis que je m’y ennuie... c’est lorsque je suis seul...

Galamment.

Mais dans une aussi aimable société...

EULALIE.

À la bonne heure !

On voit passer le pistolet de Lardenois qui tousse.

RIFOLET, se garant avec son coude.

Aye !...

À part.

J’ai été poli !

EULALIE.

Quoi ?...

RIFOLET, très haut.

Je ne parle pas de la vôtre !...

EULALIE.

Hein ?

On voit passer le pistolet de Galipointe qui tousse.

RIFOLET, se garant avec son coude, à part.

Aye ! j’ai été malhonnête !...

Il se gare tour à tour et vivement avec ses deux coudes.

EULALIE, se levant.

Qu’avez-vous donc ?

RIFOLET, très ému.

Rien !... rien !... il fait chaud ici... après ça entre deux feux...

Il ôte son chapeau par mégarde et le remet vivement, à part.

Non !... j’oubliais !...

EULALIE.

Mais vous pâlissez !... vous souffrez !... je vais appeler mon mari, M. Lardenois ?

RIFOLET, vivement.

Lardenois !... comment vous êtes madame Lardenois ?... l’amie d’Edgarine ?...

EULALIE.

Eh bien ?

RIFOLET.

Alors, je vous connais !... Vous avez une fausse natte ?...

EULALIE.

Mais non, Monsieur !...

Bas.

Taisez-vous donc !

RIFOLET.

Mais si, Madame !... j’en suis sûr !...

EULALIE, bas.

Mais taisez-vous donc !...

 

 

Scène XVIII

 

EULALIE, RIFOLET, LARDENOIS, puis GALIPOINTE

 

LARDENOIS, sortant vivement du n° 6 et venant près de Rifolet, à part.

Voilà le moment...

Haut, à Rifolet.

Vous en avez menti, Monsieur ! vous êtes un drôle !...

EULALIE.

Mon ami !...

LARDENOIS.

Non ! laisse-moi le corriger !

GALIPOINTE, sortant du n° 5 et venant entre Lardenois et Rifolet.

C’est moi que cela regarde !

EULALIE, à part.

Ah ! mon Dieu !... une querelle pour moi !

Haut, en passant près de Rifolet.

Arrêtez, Messieurs !... Monsieur, a dit vrai... ces cheveux ne sont pas à moi.

LARDENOIS et GALIPOINTE.

Comment !

EULALIE, à Lardenois.

Pardonne-moi, mon ami, un peu de coquetterie... les miens, dont tu es si fier, auront repoussé dans un mois !

LARDENOIS.

Ils sont faux !... mais alors cette mèche que j’ai coupée tantôt ?

EULALIE.

Ne m’appartenait pas...

LARDENOIS.

Est-il possible !...

Embrassant sa femme.

Ah ! que tu es gentille d’avoir du faux... dans les cheveux.

Passant près de Galipointe.

Comprends-tu ?... les ânes !... c’était pour l’autre !...

GALIPOINTE.

L’autre qui ?... à qui ces cheveux ?...

EULALIE.

À une de mes bonnes amies...

RIFOLET.

Madame Galipointe !...

GALIPOINTE.

Ma femme !...

LARDENOIS, à part.

Ah ! sapristi !...

RIFOLET, à part, avec explosion.

Le mari !... Quelle boulette !...

GALIPOINTE, étourdi.

C’est impossible !... cette partie d’ânes à Gavarnie... où est donc situé Gavarnie !...

EULALIE.

Dans les Pyrénées, près de Saint-Sauveur...

GALIPOINTE.

Saperlotte !...

 

 

Scène XIX

 

EULALIE, RIFOLET, LARDENOIS, GALIPOINTE, GUDULE

 

GUDULE, entrant par le fond, une lettre à la main.

M. Galipointe... une lettre pour vous !...

GALIPOINTE, prenant la lettre et l’ouvrant.

De Saint-Sauveur !... c’est de la tante de ma femme !

Gudule passe à droite.

LARDENOIS, bas à sa femme.

Sans doute pour lui faire part de l’événement.

EULALIE.

Quel événement ?

LARDENOIS, vivement.

Non... rien !...

GALIPOINTE, lisant.

« Mon cher neveu,
« Votre femme ne cesse de penser à vous ; c’est un ange ! Elle ne veut prendre aucune distraction. »

Parlé.

Je respire !...

LARDENOIS, à part.

Ah !... ce n’est pas drôle !...

GALIPOINTE, lisant.

« Cependant, sur mes instances, elle s’est décidée à faire, après-demain, avec un jeune voyageur nommé Arthur, une excursion à âne au cirque de Gavarnie !... »

Parlé.

Gavarnie !...

LARDENOIS, à part.

Ça devient plus drôle !...

RIFOLET, à part.

Arthur !...

Il pousse un cri de défaillance et s’affaisse sur Galipointe.

GALIPOINTE, à Rifolet qui s’appuie contre lui.

Qu’est-ce que vous avez ?... relevez-vous donc !...

RIFOLET.

C’est l’émotion !... si vous saviez !...

GALIPOINTE.

Quoi ?...

RIFOLET.

Rien !...

GALIPOINTE.

C’est pour après-demain !... j’arriverai peut-être à temps !...

Allant à Gudule.

Vite, ma valise !...

RIFOLET, allant à Gudule.

La mienne aussi !

GALIPOINTE, à Rifolet.

Vous partez ?...

RIFOLET.

Pour Saint-Sauveur !...

GALIPOINTE, lui prenant la main.

Moi aussi... Nous voyagerons ensemble !

LARDENOIS, à part.

Quelle chance !...

Haut à Galipointe.

Dis donc, tu nous tiendras au courant ?...

GALIPOINTE.

De quoi ?...

LARDENOIS.

Eh bien !... de la partie d’ânes...

GALIPOINTE.

Tu m’ennuies !

Gudule apporte à Galipointe et à Rifolet leurs valises.

LARDENOIS.

Cachotier !...

À part.

Heureusement que j’ai les cheveux de sa femme... et en endormant Eulalie... je pourrai suivre le cours des événements... ça m’amusera !...

Il se frotte les mains.

CHŒUR.

Air de Zerline.

LARDENOIS, EULALIE.

Je  { vois, par un hasard propice,
Tu {
S’envoler un fatal soupçon.
À { ma femme { je rends justice ;
    { ta               { tu
Le bonheur rentre à la maison.

GALIPOINTE, RIFOLET.

Hélas ! par un terrible indice,
Je sens naître un fatal soupçon.
Ma { femme, au bord d’un précipice,
Sa  {
Pourrait glisser sur le gazon,

LARDENOIS, au public.

Air : Un page aimait la jeune Adèle.

Messieurs, nous tremblons d’ordinaire,
Quand nous touchons au dénouement.
Que va décider le parterre ?
Sera-t-il sévère, indulgent ?

S’interrompant. Parlé.

Mais je suis bien bon de m’inquiéter... j’ai un moyen de le savoir... je n’ai qu’à endormir ma femme...

Aux autres personnages.

Éloignez-vous... que le fluide opère...

Il fait des passes magnétiques sur la tête de sa femme, qui s’endort.

Là !... elle dort !... Eulalie, m’entendez-vous ?...

EULALIE.

Oui, mon ami.

LARDENOIS.

Répondez... quel sera le sort...

Au public.

Ne dites rien... ne vous en mêlez pas... nous verrons si ça s’accorde...

À Eulalie.

Quel sera le sort de ce charmant ouvrage ?...-

EULALIE, souriant.

Charmant ouvrage ?... ce n’est pas du Molière.

LARDENOIS.

Non... pas précisément... quant à ça, je crois que tout le monde sera à peu près d’accord...

EULALIE.

Il y aurait beaucoup à dire sur les caractères... sur le fond... sur la forme... sur...

LARDENOIS, l’interrompant vivement.

Assez !...

La réveillant.

Comme elle y va !...

À Galipointe.

Est-ce que tu crois au magnétisme, toi ?...

GALIPOINTE.

Non !

LARDENOIS.

Moi non plus !... c’est égal...

Au public.

Suite de l’air.

Ces somnambules sont perfides !...
Pour nous faire un petit succès,
Vous, Messieurs, soyez moins lucides...
N’y regardez pas de trop près,
Et nous aurons notre succès.

Reprise du chœur.

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