Le Singe de Nicolet (Henri MEILHAC - Ludovic HALÉVY)

Comédie en un acte, mêlée de chants.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés, le 29 janvier 1865.

 

Personnages

 

BOISGARNIER, journaliste

MARTINEAU, employé dans un chemin de fer

SAINTE-AMARANTHE, entrepreneur de mariages

TURQUET, photographe

CASIMIR, domestique de Martineau

FERDINAND, aide de Turquet

MADAME DELAUNAY

LOUISE, sa nièce

ANNETTE, femme de chambre de madame Delaunay

 

À Paris, de nos jours.

 

Un petit salon chez Martineau. Porte au fond. Dans les pans coupés, à droite, une autre porte ; à gauche, une fenêtre. À droite, premier plan, une cheminée. À gauche, sur le devant, un bureau garni de tous ses accessoires, faisant face au public. Fauteuils, chaises, tableaux, statuettes.

 

 

Scène première

 

CASIMIR, ANNETTE

 

ANNETTE.

Pas de nouvelles, monsieur Casimir ?...

CASIMIR, d’un air chagrin.

Pas de nouvelles ! Je crois bien que nous ne reverrons plus monsieur.

ANNETTE.

Il était cramponné à la corde, cependant, et il se tenait bien !

CASIMIR.

À la longue, ses mains se seront fatiguées... et alors...

ANNETTE.

Ne me dites pas ça...

CASIMIR.

Je voudrais pouvoir vous dire autre chose...

ANNETTE.

Enfin !... je m’en retourne chez nous... Madame sera désolée... et mademoiselle donc, mademoiselle que votre maître devait épouser dans quinze jours...

CASIMIR.

Que voulez-vous !... Elle se mariera avec un autre...

ANNETTE.

Je sais bien, mais c’est toujours désagréable...

On entend du bruit.

Qu’est-ce que c’est que ça ?...

CASIMIR, courant à la fenêtre.

Une voiture !... suivie de tous les gens du quartier... Elle s’arrête devant la maison...

ANNETTE.

Ah ! mon Dieu !... le corps de monsieur... qu’on rapporte !...

CASIMIR.

Non !... il est vivant... très vivant. Il s’élance hors de la voiture...

ANNETTE.

Ah !...

CASIMIR.

Il bouscule la fruitière, il écarte l’épicier... il entre... nous allons le voir...

ANNETTE.

Allez donc lui ouvrir !...

CASIMIR, passant à droite.

Ah ! je n’ai pas la force... L’émotion, et puis, d’ailleurs, il a sa clef.

ANNETTE.

Le voici !

Entre par le fond Martineau, dans le plus grand désordre.

 

 

Scène II

 

ANNETTE, MARTINEAU, CASIMIR

 

MARTINEAU.

Ils ne me lâcheront pas !... Casimir !...

CASIMIR.

Ah ! monsieur, que je suis content !

MARTINEAU.

Fermez la porte à double tour !... poussez les verrous !... ne laissez entrer personne !...

CASIMIR.

Bien, monsieur.

Il sort par le fond.

MARTINEAU.

Bonjour, Annette. C’est madame Delaunay qui vous a envoyée ?

ANNETTE.

Oui, monsieur, afin d’avoir de vos nouvelles ; mademoiselle est dans un état...

MARTINEAU.

Cette bonne Louise !... Dites-lui bien, ainsi qu’à madame Delaunay, qu’il ne m’est rien arrivé de fâcheux, et que j’aurai avant une heure le plaisir d’aller les rassurer moi même !...

Casimir rentre par le fond.

CASIMIR.

Monsieur, il y a le pharmacien qui s’obstine à entrer... Il dit que vous devez être blessé... contusionné tout au moins !...

MARTINEAU.

Qu’il aille au diable !... Je n’ai pas besoin de lui... Tout ça, c’est de la curiosité, voilà tout.

ANNETTE,

Je m’en vais, monsieur...

MARTINEAU.

Adieu, Annette !... Casimir, entr’ouvrez la porte pour laisser sortir Annette, et ne laissez pas pénétrer le pharmacien !...

CASIMIR.

Soyez tranquille !... Je suis bien content, monsieur...

Sortent par le fond Annette et Casimir.

 

 

Scène III

 

MARTINEAU, seul

 

J’arrive de Juvisy !... Je ne comptais pas aller aussi loin... Hier, dimanche, j’avais offert l’adorable Louise et à sa jeune tante, madame Delaunay, de les conduire à l’Hippodrome, pour voir partir un ballon... Ces dames avaient accepté... Nous arrivons... le ballon était là, commençant à se gonfler... Tout autour des cordes qui frétillaient... On demande pour tenir ces cordes une quarantaine de gaillards solides... À ce mot, un éclair passa devant mes yeux ; l’idée de montrer à l’adorable Louise que si j’avais un cœur pour la chérir, j’avais également un bras pour la... je bondis dans l’enceinte, je saisis une des cordes et je m’arc-boutai. Cela me fut d’autant plus facile, qu’il y avait au bout de la corde une sorte de noud coulant... Je me sentais fort et posé d’une façon qui n’était pas vulgaire... le pied passé dans le nœud coulant, les deux mains serrant la corde, la tête renversée avec une certaine grâce et les yeux attachés sur Louise, qui me souriait... En ce moment, une voix aigrelette cria : Lâchez tout !... Moi, je continuais à contempler l’adorable Louise ; tout à coup, je m’aperçus que je la contemplais à vol d’oiseau. J’étais déjà à une hauteur prodigieuse... Alors, il me vint une idée excellente... il me vint l’idée de ne pas lâcher la corde... Je m’y cramponnai, au contraire !... Au-dessous de moi, bien au dessous... les populations, avec de grands gestes et des clameurs immenses, me désignaient... Moi, je criais, j’appelais l’aéronaute... Il ne m’entendait pas, tout occupé qu’il était de saluer et d’agiter un petit drapeau de ci et de là... Enfin, au bout d’un temps qui me parut long, il m’aperçut... nous étions au-dessus des nuages... Qu’est-ce que vous faites là ? me dit-il d’un air mécontent... J’avoue qu’à cette question ma surprise fut telle que les bras faillirent m’en tomber... Heureusement, je réfléchis que, si mes bras tombaient, il était plus que probable que le reste du corps suivrait... je me contins... Pendant cette conversation, le ballon descendait... nous retraversâmes les nuages... je revis la terre... je tombai au milieu d’un champ... Des agriculteurs accoururent... on me transporta... J’étais à Juvisy !... J’y passai la nuit... dans un hôtel... une nuit abominable... non pas à cause de ma chute, j’en avais été quitte pour quelques foulures... mais j’avais peur d’être grotesque... Ce matin, j’ai pris le chemin de fer, et pour rentrer chez moi, je me suis caché au fond d’un fiacre... Mais j’ai été reconnu... on a couru après mon fiacre... pour me voir... Ce que je craignais est arrivé... je suis passé à l’état de bête curieuse...

 

 

Scène IV

 

MARTINEAU, CASIMIR, puis BOISGARNIER

 

CASIMIR, entrant par le fond.

Monsieur !... c’est un des amis de monsieur... l’ami de monsieur qui écrit dans les journaux...

MARTINEAU.

Boisgarnier ?...

CASIMIR.

Oui, monsieur.

MARTINEAU, à part.

Il vient pour se moquer de moi.

Haut.

Dites-lui que je suis désolé, mais que maintenant il est impossible...

BOISGARNIER, ouvrant brusquement la porte du fond.

Impossible !... Qu’est-ce qui est impossible ? Ce que c’est que la célébrité !... La tienne date seulement d’hier, et aujourd’hui tu refuses ta porte à tes amis !...

Casimir passe à gauche.

MARTINEAU, à part.

Voilà qu’il commence à se moquer...

Haut.

Je te demande pardon... c’est que...

BOISGARNIER.

Je te pardonne tout de suite, parce que je suis pressé...

S’asseyant au bureau.

Dépêchons-nous, Casimir... Du papier, des plumes... de l’encre... tout ce qu’il faut pour... lancer une gloire naissante...

Il prend la plume.

Parle maintenant, j’écoute et j’écris...

MARTINEAU.

Que je parle ?...

CASIMIR.

Parlez, monsieur, parlez.

BOISGARNIER.

Oui, vite... quelques particularités sur ton existence...

MARTINEAU.

Pourquoi faire, ces particularités ?...

BOISGARNIER.

Pour les mettre dans mon journal, pardieu ! le nouveau journal... Cinq centimes pour Paris... un sou pour la province... Cent mille abonnés ce matin... Deux cent mille ce soir !... Parle donc... mes postillons attendent !...

CASIMIR, à part.

Ah ! quel homme !

MARTINEAU.

Ah bien ! ils attendront longtemps !...

BOISGARNIER.

Par exemple !...

MARTINEAU.

Si tu crois que je te permettrai d’aller raconter à cent mille, à deux cent mille abonnés... C’est bien assez d’être ridicule dans ma rue...

BOISGARNIER.

Ridicule !... Tu as dit ridicule ?

CASIMIR.

Monsieur l’a dit !...

BOISGARNIER, se levant.

Ridicule !... l’homme qui a occupé, qui occupe l’attention de tout Paris !... l’homme dont tous les journaux par lent ce matin !... Non, Martineau, tu n’es pas un homme ridicule... Tu es un homme remarquable, Martineau !... tu es un grand homme !... Qu’est-ce que je dis, un grand homme ?... mieux que cela, car il y a nombre de grands hommes qui n’ont jamais pu arriver à être ce que tu es...

MARTINEAU.

Qu’est-ce que je suis donc ?...

BOISGARNIER.

Tu es le singe à la mode !...

MARTINEAU.

Le singe ?...

BOISGARNIER.

À la mode !

CASIMIR.

Monsieur est un singe ?

BOISGARNIER.

Tu sais ce que c’était que Nicolet ?...

MARTINEAU.

De plus fort en plus fort ?...

BOISGARNIER.

Tu l’as dit. Nicolet avait un théâtre...

MARTINEAU.

La Gaîté...

BOISGARNIER.

Un théâtre et un singe... et avec ce singe, Nicolet s’entendait merveilleusement à remplir son théâtre, en singeant l’événement ou le héros du jour... événement sérieux ou bouffon... héros sublime ou grotesque !... Molé, l’acteur, se dit souffrant, et Paris est en l’air... Aussitôt, voilà le singe qui s’affuble d’une robe de chambre, et qui se plaint, et qui se pâme... et qui, avec des grâces impertinentes, remercie les duchesses des trois mille bouteilles d’excellent vin qu’elles lui ont envoyées pour hâter sa guérison... Le lendemain, autre chose... le surlendemain, autre chose encore... Combien de formes a-t-il pris, avant de se fourrer Scène dans ton paletot, combien de noms a-t-il portés ?... Tout y a passé !... hier, le singe de Nicolet s’appelait...

MARTINEAU.

Comment s’appelait-il ?...

BOISGARNIER, s’arrêtant net.

Mais qu’importe le nom que le singe avait hier ?... Aujourd’hui, il s’appelle Martineau... Saute donc, Martineau ! Fais les grimaces et tes gambades ! Paris est à toi... demande lui tout ce qu’il peut donner... Devant toi, la gravité des hommes sérieux s’inclinera ; les femmes garderont pour toi leurs sourires les plus significatifs. Ouvre ta porte, Martineau ; aujourd’hui, c’est toi que Paris adore... et son choix est au moins justifié en un certain sens, car tu as... – ton tour de force vient de le prouver, tu as, toi, au moins la moitié de ce qu’il faut pour faire un homme célèbre : tu es un saltimbanque assez distingué...

Il va se rasseoir au bureau.

MARTINEAU, abruti.

Moi, un homme célèbre !

CASIMIR, à Boisgarnier.

Si j’avais un conseil à donner à monsieur, ce serait de faire un article avec ce qu’il vient de dire ; c’était bien tapé !

BOISGARNIER, se préparant à écrire.

Sois tranquille, ça ne sera pas perdu... c’est de la copie... Cent lignes avec cette tirade...

À Martineau.

Cent autres lignes avec l’histoire de la vie... que tu vas me raconter...

Casimir passe à gauche.

MARTINEAU.

Mon histoire... mais je n’ai pas d’histoire. Jusque-là, je n’avais rien fait d’extraordinaire...

BOISGARNIER.

Des détails, vite, des détails !

CASIMIR.

Racontez, monsieur, racontez ; parlez de mon dévouement, de ma probité.

MARTINEAU.

Mais je n’ai rien à dire... rien à dire... Après être sorti du collège, j’ai passé un examen pour entrer dans un chemin de fer... On m’a interrogé sur l’algèbre, et j’ai été reçu parce que j’avais une jolie écriture... Une fois dans les bureaux, j’ai tracé mon sillon... surnuméraire d’abord... ensuite commis à douze cents francs... puis à quatorze, à dix-huit, à deux mille et trois mille... et enfin, commis principal à trois mille six...

BOISGARNIER, écrivant.

« Parti d’en bas, il préluda, par des progrès successifs, à une élévation définitive et suprême... »

MARTINEAU.

Une élévation ?... Ah ! si tu parles de mon élévation avec le ballon, bien... mais dans mon bureau, je ne me suis pas élevé du tout... On m’a laissé commis principal...

Amèrement.

C’est parce qu’on sait que j’ai une petite fortune, sans doute, alors on ne juge pas nécessaire...

BOISGARNIER.

Bien... bien... mais autre chose maintenant... je parlerai de toi dans deux, dans trois, dans quatre journaux... Je suis bien obligé de varier un peu...

MARTINEAU.

Je ne sais pas alors...

CASIMIR.

Monsieur est sur le point de se marier...

BOISGARNIER.

Il va se marier ! Parlait ! parfait ! Le nom de la jeune personne ?

MARTINEAU.

C’est l’adorable Louise... la nièce de madame Delaunay.

BOISGARNIER.

Madame Delaunay, la veuve d’un banquier, n’est-ce pas ? qui a fait fortune en Amérique ?...

MARTINEAU.

Justement !

BOISGARNIER, écrivant très vite.

Une jeune femme un peu coquelle... Trente lignes avec ça...

MARTINEAU.

Tu parles de madame Delaunay ?

BOISGARNIER, écrivant toujours.

Certainement... J’ai besoin de trente lignes...

On sonne.

CASIMIR.

Ne vous dérangez pas, monsieur... je vais voir.

Il sort par le fond.

BOISGARNIER, se levant.

Là !... Maintenant, j’ai un service à te demander.

MARTINEAU, un peu inquiet.

Quel service ?

BOISGARNIER.

Sois tranquille... ce n’est pas de l’argent... On donne ce soir au théâtre de...

Lui donnant un papier.

voilà le billet... un petit acte assez inepte... il est de moi...

Modestement.

et de quatre autres... J’annonce dans mes journaux que tu iras ce soir... Tout le monde voudra te voir... la salle sera comble, ça fera une recette !...

Rentre Casimir par le fond.

Eh bien ! Casimir ?...

CASIMIR, à Martineau.

C’est une personne qui désire parler à monsieur.

Il donne une carte.

MARTINEAU, lisant la carte.

Monsieur Turquet !

BOISGARNIER.

Un de nos photographes les plus achalandés !... Il vient chez toi ?... Qu’est-ce que je te disais ?

À Casimir.

Faites entrer M. Turquet...

Turquet entre par le fond.

 

 

Scène V

 

MARTINEAU, CASIMIR, BOISGARNIER, TURQUET, puis FERDINAND

 

TURQUET, à Martineau.

Monsieur, je suis bien votre serviteur...

Amicalement.

Bonjour, monsieur Boisgarnier.

BOISGARNIER.

Bonjour, monsieur Turquet.

TURQUET, allant au fond.

Entrez, Ferdinand, et préparez tout ce qu’il faut...

Entre le préparateur. Il dépose l’appareil avec Casimir à droite près de la cheminée.

Mon habitude n’est pas d’opérer moi-même...

Saluant Martineau.

à moins qu’il ne s’agisse, comme aujourd’hui, d’une personne...

MARTINEAU.

Monsieur...

BOISGARNIER, bas à Martineau.

Tu entends ?...

Allant à Turquet.

Je me doutais bien, monsieur Turquet, que l’on ne tarderait pas à vous voir ici, vous et votre appareil...

TURQUET.

Je n’ai pas été surpris de vous y rencontrer... nous marchons rarement l’un sans l’autre, et il se fabrique bien peu d’hommes célèbres dont la célébrité n’ait d’abord passé par nos mains...

BOISGARNIER.

Monsieur Turquet a raison... Un article dans le nouveau journal, une photographie exposée dans les principaux débits de tabac... voilà la gloire à présent... Le temps est bien loin où Apelles était le seul à qui il fût permis de faire le portrait d’Alexandre !... Apelles, aujourd’hui, s’appelle Turquet... je te laisse dans ses mains et je vais porter mon article à l’imprimerie.

BOISGARNIER.

Air : Vive la lithographie.

Vive la photographie,
Et celui qui l’inventa !

TURQUET.

Vive aussi l’imprimerie !
Pour vos postillons, hourrah !

BOISGARNIER, à Martineau.

Cher ami, tu vas voir comme
Un écrivain comme moi,
Fait d’une bête un grand homme !...
Je ne dis pas ça pour toi.

Reprise ENSEMBLE.

Vive la photographie... etc.

Boisgarnier sort par le fond.

 

 

Scène VI

 

MARTINEAU, CASIMIR, TURQUET, FERDINAND

 

TURQUET.

Est-ce prêt, Ferdinand ?

FERDINAND.

Oui, monsieur.

TURQUET, offrant une corde à Martineau.

Monsieur... ayez la bonté de prendre ceci...

MARTINEAU, prenant la corde.

Cette corde ?

TURQUET.

Oui, ayez la bonté de passer votre pied dans ce nœud.

MARTINEAU.

Vous voulez ?...

TURQUET.

Tendez la corde maintenant... comme cela. Très bien !

MARTINEAU.

Vous allez me photographier avec cette corde ?... Est-ce que vous ne craignez pas... Un employé... je suis employé...

TURQUET.

Je ne connais pas l’employé, je ne veux pas le connaître... s’il s’agissait de l’employé, je ne serais pas ici... Ferdinand suffirait... Je m’occupe de l’homme célèbre, moi, et tout naturellement, je le représente avec les instruments de sa célébrité.

CASIMIR, à Turquet.

Monsieur, si vous vouliez me photographier avec mon plumeau ?

TURQUET.

Pour vous, Ferdinand suffira.

À Martineau.

Tâchez, autant que possible, de vous souvenir de la pose que vous aviez là haut.

MARTINEAU.

Là-haut ?... Ah ! je ne sais pas si je me rappellerai...

TURQUET.

Autant que possible. Ah ! et le vent dans vos cheveux... ne vous dérangez pas, je vous prie...

À Casimir.

Mon ami, faites le vent dans les cheveux de monsieur.

Casimir passe à gauche, derrière son maître, dont il dérange un peu les cheveux, puis va se placer au fond.

Y êtes-vous, monsieur ? Souriez, je vous prie, souriez.

MARTINEAU.

C’est que là-haut je ne souriais pas. Enfin...

Il sourit.

TURQUET, tout en se préparant.

Très bien ! M. Boisgarnier est un homme que j’aime beaucoup... sa tête vient très bien... mais il se trompe lourdement en mettant sur la même ligne, comme influence, sa prose et ma photographie !... Je rends illustres en quinze jours des gens que, lui, ne ferait pas connaitre en six mois... Ainsi, il ya une jeune comédienne qui demeure justement en face de vous...

Martineau se trouble.

Saviez-vous, monsieur ?

MARTINEAU, se troublant de plus en plus, et s’embarrassant le pied dans la corde il manque de tomber.

Hein... si ça m’était arrivé là haut ?...

TURQUET.

Gardez la pose, je vous prie. M. Boisgarnier a écrit, en l’honneur de cette demoiselle, je ne sais combien d’articles... ça a été de l’encre perdue... Alors elle m’est venue trouver, j’ai inondé Paris de ses portraits... vous avez dû les voir ; la pose était hardie, et...

Il se courbe sur son appareil, puis se relevant.

le succès a dépassé toutes ses espérances !... Reprenez la pose... Vous faut-il un autre exemple ?... Je vous citerai, parmi les gens en place, un de nos plus éminents... Ne bougeons plus, monsieur...

Entrent par le fond madame Delaunay et Louise.

 

 

Scène VII

 

MARTINEAU, CASIMIR, TURQUET, FERDINAND, MADAME DELAUNAY, LOUISE

 

Scène muette.

Casimir reçoit madame Delaunay et Louise. Martineau exprime par ses regards qu’il ne peut pas bouger ; madame Delaunay et Louise l’engagent tendrement à se tenir tranquille.

TURQUET.

Là... voilà qui est fait !... Ferdinand, enlevez tout cela.

Ferdinand, aidé de Casimir, emporte l’appareil. Ils sortent par le fond.

MADAME DELAUNAY, à Martineau.

Ah ! que je suis heureuse de vous revoir !

TURQUET, à Martineau.

Je vais en faire coller trois mille pour commencer...

Remontant et saluant les dames.

Mesdames, je suis votre serviteur. Monsieur Martineau, je ne tarderai pas à vous envoyer des épreuves.

Il sort par le fond.

 

 

Scène VIII

 

MARTINEAU, MADAME DELAUNAY, LOUISE

 

MADAME DELAUNAY, avec effusion.

La première sera pour moi, n’est-ce pas ?... J’ai un album,

MARTINEAU.

Certainement, madame...

MADAME DELAUNAY.

Mon ami... mon neveu... Laissez-moi vous appeler mon neveu !

MARTINEAU.

Croyez, madame, que de mon côté, je suis...

À Louise.

Et vous, mademoiselle, est-ce que ça ne vous fait pas un peu de plaisir ?...

LOUISE, baissant les yeux.

Ah ! monsieur...

MADAME DELAUNAY.

Ne la tourmentez pas ; pour être contenus, ses sentiments n’en sont pas moins d’une violence !... Vous le saurez un jour...

MARTINEAU.

Il me semblait que dans une pareille circonstance, mademoiselle pouvait...

LOUISE.

N’accusez pas mon cœur. Ma maîtresse de pension, ma demoiselle Caroline, m’a appris qu’il ne fallait jamais rien dire quand il y avait du monde.

MARTINEAU.

C’est très bien, sans doute... mais permettez-moi de vous faire observer que si tout le monde était élevé de cette façon-là, ça rendrait la conversation fort difficile.

Il rit ainsi que Louise.

MADAME DELAUNAY, comprimant d’un regard le rire de Louise.

Vous êtes un folâtre. Nous sommes venues vous voir, parce que nous avions une bonne nouvelle à vous annoncer...

MARTINEAU.

Une bonne nouvelle ?...

LOUISE, avec feu.

Oh ! oui, une bonne nouvelle...

Elle s’arrête tout à coup sur un regard de sa tante.

MADAME DELAUNAY.

Vous vous rappelez la lettre que vous avez écrite à l’ancien ami de mon mari... M. Bernier... N’étant pas satisfait de la position qui vous a été faite au chemin de fer, vous lui de mandiez une place dans sa maison de banque...

MARTINEAU.

En effet ; il m’a répondu que, pour le moment, il lui était impossible...

MADAME DELAUNAY.

Il vous a fait cette réponse, à vous, il m’en a fait une autre, à moi ; il m’a déclaré tout net qu’il vous refusait cette place parce qu’à son avis vous étiez un homme d’une intelligence médiocre...

MARTINEAU.

Par exemple !...

MADAME DELAUNAY, souriant.

C’est un peu brutal... et je ne me serais certes pas permis... si je n’avais à ajouter quelque chose qui doit tout réparer...

MARTINEAU.

À la bonne heure !

MADAME DELAUNAY.

Il a ajouté qu’il ne comprenait même pas comment vous aviez pu arriver à être commis principal... il m’a dit encore...

LOUISE.

Ma tante, vous pourriez peut-être arriver tout de suite à ce qui doit tout réparer... Je crois que M. Martineau aimerait mieux ça...

MARTINEAU.

En effet...

LOUISE, riant.

N’est-ce pas ?...

MADAME DELAUNAY, lui jetant un regard.

Je veux bien. Je viens de recevoir une lettre de M. Bernier... Dès qu’il a su que c’était vous qui aviez fait cette promenade aérienne, il a tout de suite changé d’avis sur votre compte... « Comment, a-t-il dit, c’est ce monsieur... Ça m’amusera beaucoup d’avoir un homme comme ça dans mes bureaux... Qu’il vienne me voir... je lui donnerai très volontiers la place qu’il désire... »

MARTINEAU.

Est-ce possible ?... Mais je ne comprends pas bien comment cette promenade au bout d’une corde a pu...

MADAME DELAUNAY.

Vous allez donner votre démission, je pense ?...

MARTINEAU.

Je crois bien... J’en ai assez, de mes trois cents francs par mois...

MADAME DELAUNAY.

Je vais faire savoir à M. Bernier que vous acceptez...

MARTINEAU.

Avec reconnaissance...

MADAME DELAUNAY.

Viens, Louise.

Elle remonte.

LOUISE, la suivant.

Oui, ma tante.

MARTINEAU.

Pas un mot en partant, mademoiselle ?

LOUISE, s’arrêtant.

Oh ! monsieur...

MADAME DELAUNAY, l’interrompant.

Assez, chère enfant, assez !

À Martineau.

Un jour, il lui sera permis de parler, et alors...

MARTINEAU.

Je l’espère... et je le mérite ; je l’aime bien, madame, et je n’aime qu’elle...

MADAME DELAUNAY.

Je le sais, mon ami... Je vous ai fait surveiller... à votre insu. C’était mon droit et mon devoir... J’ai appris tout ce que je voulais apprendre.

Avec bonheur.

Je n’ai rien appris du tout !... À bientôt... dépêchez-vous d’envoyer votre démission !

Ensemble.

Air : Du serment (Auber).

MARTINEAU.

Mon sous-chef, je te brave !
Et je te quitte en ce jour,
Je ne suis plus esclave
Que de mon amour.

LOUISE.

Ô ma tante, est-il brave !
Et qu’il me plaît en ce jour !
Il ne veut être esclave
Que de son amour !

MADAME DELAUNAY.

Mon enfant, il est brave !
Pour nous tous c’est un beau jour !
Alfred n’est plus esclave
Que de son amour !

Sortent par le fond Louise et madame Delaunay.

 

 

Scène IX

 

MARTINEAU, seul, s’asseyant à son bureau

 

Écrivons-la tout suite, cette bienheureuse démission... et de ma plus belle écriture... afin de leur montrer ce qu’ils perdent...

Tout en écrivant.

Ma chère belle-tante qui me faisait surveiller... C’est un peu vif... heureusement on n’a rien à me reprocher...

En riant.

Il faut bien avouer que ce n’est pas précisément de ma faute s’il n’y avait rien... Cette petite actrice... Le photographe qui me demande si je sais qu’elle demeure en face de moi... Je crois bien que je le sais !... J’ai essayé plusieurs fois d’établir une correspondance... télégraphique par la croisée... je n’ai pas été agréé...

En disant ces mots, il a terminé sa lettre et la mise sous enveloppe.

Là !...

Écrivant l’adresse.

« À monsieur... monsieur le directeur du personnel... » Il n’y a plus qu’à envoyer...

Il se lève et va à la fenêtre.

Tiens !... elle est chez elle, la petite actrice... elle soulève le rideau de sa fenêtre. Ah çà, mais... on dirait qu’elle me fait des signes... qu’elle me sourit... Ce que Boisgarnier me disait tout à l’heure... les femmes garderont pour toi leurs sourires... les plus significatifs... Voyons... voyons... avant tout... est-ce bien à moi qu’elle s’adresse ?... Il faut prendre garde. Je me rappelle, au théâtre, avoir une fois répondu, pendant trois quarts d’heure, à des agaceries qu’elle envoyait à une personne placée derrière moi... C’est que ça arrive très souvent, ces choses-là !

Regardant de nouveau.

Non... cette fois, je ne me trompe pas... il n’y a que moi... c’est bien à moi !... Elle m’appelle... ma parole d’honneur, je crois qu’elle m’appelle...

Il répond par gestes. Entre Casimir par le fond.

 

 

Scène X

 

MARTINEAU, CASIMIR

 

CASIMIR, tirant Martineau par son habit.

Monsieur ?...

MARTINEAU, quittant vivement la fenêtre.

Qu’est-ce qu’il y a, Casimir ?...

À part.

Est-ce qu’il m’a vu ?...

CASIMIR, lui donnant une lettre.

C’est une lettre, monsieur...

Il ferme la fenêtre et repasse à droite.

MARTINEAU.

Une lettre...

En l’examinant.

Une lettre de femme. Boisgarnier avait raison, c’est une lettre de femme. Voilà que ça commence.

Après avoir décacheté.

C’est d’elle...

Lisant.

« Venez, je vous attends toute cuite. » La malheureuse ! Il ne peut pas y avoir ça... C’est écrit pourtant... Casimir ?...

CASIMIR, s’approchant.

Monsieur ?...

MARTINEAU, lui montrant la lettre.

Dites-moi...

À part.

Cachons le nom.

Haut.

Dites-moi ce qu’il y a d’écrit là ?

CASIMIR, lisant.

« Venez, je vous attends tout de suite. »

MARTINEAU.

Tout de suite... c’est juste. Je n’y avais pas pensé... ce que c’est que l’éducation. Je vous attends toute cuite... tout de suite, veux-je dire... Je cours... je vole...

À lui-même.

Elle a eu un sourire !... et je suis bien sûr que cette fois... Si ma belle-tante savait ça !... Ah ! bah !... elle ne le saura pas !

Il prend son chapeau que lui tend Casimir et sort par le fond.

 

 

Scène XI

 

CASIMIR, seul, s’asseyant à droite

 

Mettons au courant mes comptes personnels... Acheté six mètres de corde à cinquante centimes le mètre... – ci, trois francs. – Revendu au détail à diverses personnes, par morceaux de deux ou trois pouces, ladite corde, comme étant celle à laquelle monsieur était accroché pendant son voyage : ci... cent vingt-neuf francs. Qui de cent vingt-neuf paye trois francs, reste cent trente-quatre...

Se levant.

bénéfice net : cent trente-quatre francs. – Acheté de nouveau, pour continuer la même opération, plus en grand, douze mètres...

Entre Sainte-Amaranthe par le fond.

 

 

Scène XII

 

CASIMIR, SAINTE-AMARANTHE

 

SAINTE-AMARANTHE.

Monsieur Martineau, je vous prie ?

CASIMIR.

Il n’est pas ici... monsieur...

SAINTE-AMARANTHE.

J’arrive trop tard... où pourrai-je le trouver ?...

CASIMIR.

Il rentrera tout à l’heure...

SAINTE-AMARANTHE.

Ah ! je l’attendrai alors... permettez que je l’attende...

Il s’assied à droite et respire à plusieurs reprises, comme un homme essoufflé.

CASIMIR, à part.

C’est une machine à vapeur !

SAINTE-AMARANTHE.

Mais, en attendant, êtes-vous marié ?

CASIMIR, étonné.

Monsieur me demande ?...

SAINTE-AMARANTHE.

Si vous êtes marié ?...

CASIMIR.

Non, monsieur...

SAINTE-AMARANTHE.

Pas marié ?

Tirant un carnet de sa poche.

Comment vous appelle-t-on ?

CASIMIR.

Casimir.

SAINTE-AMARANTHE.

Votre âge ?

CASIMIR.

Vingt-trois ans...

SAINTE-AMARANTHE, écrivant.

Joli garçon... agréablement tourné...

CASIMIR, flatté.

Monsieur...

SAINTE-AMARANTHE.

Oh ! vous savez... c’est une formule... J’écris ça à la suite de tous les noms... ça ne peut pas faire de mal... Vous gagnez ?...

CASIMIR.

Mais, monsieur...

SAINTE-AMARANTHE.

Répondez vite, c’est pour votre bien...

CASIMIR.

Six cents francs.

SAINTE-AMARANTHE.

Et les menus profils... l’anse du panier... ça fait bien quinze cents francs.

CASIMIR.

Oh ! monsieur ! je vous jure...

SAINTE-AMARANTHE.

Il suffit ! Je vous trouverai quelque chose... dans les mêmes prix...

CASIMIR.

Vous dites ?...

SAINTE-AMARANTHE, se levant.

Soyez tranquille, avant six semaines vous serez loti... J’aurai seulement mon petit prélèvement sur la dot...

CASIMIR, à part.

Qu’est-ce que c’est que cet homme-là ?

Rentre par le fond Martineau. Haut.

Ah ! voilà monsieur.

Martineau descend la scène sans apercevoir Sainte-Amaranthe et Casimir.

 

 

Scène XIII

 

CASIMIR, SAINTE-AMARANTHE, MARTINEAU

 

MARTINEAU, à part, sur le devant de la scène, d’un air déconfit.

Eh bien ! non !... ce n’était pas pour ce que je pensais... c’était pour me montrer à un prince russe... un homme superbe qui était là comme chez lui... Il m’a beaucoup regardé, puis il m’a dit :

Accent russe.

« Je vous en prie, mon cher, vous êtes donc la personne dont déjà tout Paris s’occupe absolument ? »

SAINTE-AMARANTHE, qui a examiné Martineau et à qui Casimir parle bas.

Vous dites... commis principal...

MARTINEAU, toujours à part.

J’avoue que dans le premier moment, la déception... Je n’étais pas content... Et bien !... j’avais tort... car en me reconduisant elle m’a glissé à l’oreille ces trois mots : « À ce soir !... »

Avec joie.

C’est pour ce soir !

CASIMIR, s’approchant.

Monsieur... il y a là une personne...

MARTINEAU, légèrement.

Une femme ?...

CASIMIR.

Eh ! non, c’est...

MARTINEAU, apercevant Sainte-Amaranthe et allant à lui.

Ah ! pardon, monsieur... Casimir ?...

CASIMIR.

Monsieur ?...

MARTINEAU, montrant la lettre qui est sur le bureau.

Vous allez porter tout de suite cette lettre... c’est ma démission... En revenant, vous achèterez tous les journaux du soir et vous me les apporterez...

CASIMIR, qui a pris la lettre.

Oui, monsieur.

Il sort par le fond.

MARTINEAU, à lui-même.

On doit parler aussi de moi dans les journaux du soir.

 

 

Scène XIV

 

MARTINEAU, SAINTE-AMARANTHE, puis CASIMIR

 

SAINTE-AMARANTHE.

Vous me connaissez, monsieur ?...

MARTINEAU.

Pas que je sache, monsieur.

SAINTE-AMARANTHE.

Sainte-Amaranthe.

MARTINEAU.

Il me semble, en effet, avoir vu ce nom.

SAINTE-AMARANTHE, très vite et du ton d’un boniment débité.

Quoi de plus agréable pour une mère de famille que de pouvoir, par l’entremise de M. de Sainte-Amaranthe, trouver dans les vingt-quatre heures un parti pour sa fille, soit dans la plus haute noblesse, soit dans la...

MARTINEAU.

Ah ! j’y suis... vous êtes...

SAINTE-AMARANTHE, s’inclinant.

Oui, monsieur ; vous, vous n’êtes pas...

MARTINEAU.

Quoi, monsieur ?

SAINTE-AMARANTHE.

Marié, parbleu !

MARTINEAU.

Non, mais je suis sur le point.

SAINTE-AMARANTHE.

Vous ne l’êtes pas, cela suffit. Un homme comme vous, marié et pas par moi... je ne me serais jamais consolé...

MARTINEAU.

Il faudra pourtant bien que vous vous en consoliez.

SAINTE-AMARANTHE, tirant son carnet.

J’ai apporté sur moi des échantillons choisis... inutile de dire que je ne vous parlerai que de ce que j’ai de mieux. J’ai là un assortiment complet de vertus bourgeoises... tout ce qu’il y a de plus solide comme vertus bourgeoises. Mais monsieur a le droit d’aspirer à mieux que cela, je lui pro poserai tout de suite quelque chose qui est plus à la mode...

MARTINEAU.

Ah ! il y a quelque chose qui est plus à la mode que les vertus bourgeoises ?

SAINTE-AMARANTHE.

Assurément, monsieur... Mais laissons de côté la bourgeoisie... et arrivons à la plus haute noblesse.

MARTINEAU.

À la noblesse ?

SAINTE-AMARANTHE, tirant de sa poche un paquet de photographies.

Non, ce n’est pas ça, la noblesse... c’est la série des veuves de province... de cinquante à soixante ans... Tenez, j’ai là sur moi une comtesse moldave... Elle m’a parlé de vous.

MARTINEAU, flatté.

Une comtesse !... une comtesse !... C’est beaucoup.

SAINTE-AMARANTHE.

Nullement. Un homme comme vous a le droit de prendre les choses d’un peu haut.

MARTINEAU.

D’un peu haut ?... C’est une plaisanterie, cela...

SAINTE-AMARANTHE, se fouillant.

Où diable ai-je fourré ma comtesse ?...

Trouvant la carte.

Ah ! la voici !...

La lui présentant.

La comtesse monte à cheval comme un ange... et elle joue la comédie... comme la première figurante venue... Voici la carte.

MARTINEAU, la prenant.

Son adresse ?

SAINTE-AMARANTHE.

Non pas... sa photographie. « Turquet operavit !... »

MARTINEAU.

Turquet... Je connais... C’est mon photographe !...

SAINTE-AMARANTHE.

Regardez ! regardez !

MARTINEAU, regardant la carte avec admiration.

Oh ! oh !

SAINTE-AMARANTHE.

Elle s’est fait représenter en pêcheur napolitain... comme vous voyez. C’est ingénieux, parce que, de cette façon-là, on est tout de suite fixé sur certains détails...

MARTINEAU, en extase devant le portrait.

Oh ! oh ! oh !

SAINTE-AMARANTHE.

Charmante, n’est-ce pas, charmante !...

MARTINEAU.

Il est incontestable que si tous les pêcheurs à la ligne ressemblaient à celui-ci, il y aurait du monde sur les ponts...

SAINTE-AMARANTHE.

N’est-ce pas ?... Il n’y a plus qu’à fixer un rendez-vous...

MARTINEAU, rendant la carte.

Pas du tout pas du tout ! Je regrette de ne pas pouvoir donner suite... Je vais me marier avec mademoiselle Louise Delaunay...

SAINTE-AMARANTHE.

Louise Delaunay... Ce nom-là n’est pas sur mes registres...

Prenant son carnet.

Je l’inscris sur mon carnet... Vous dites : Louise Delaunay...

Il écrit.

MARTINEAU.

Mais c’est inutile, puisque je vous dis que je vais...

SAINTE-AMARANTHE.

Une petite bourgeoise... j’en suis sûr... Allons donc !... vous ne pouvez pas l’épouser... ce serait une mésalliance. Je trouverai un autre mari pour cette demoiselle.

MARTINEAU.

Comment ?

SAINTE-AMARANTHE.

Il faut rompre...

MARTINEAU.

Je ne veux pas.

SAINTE-AMARANTHE.

Il le faut...

En allant à lui il le prend presque au collet. Entre Casimir par le fond.

CASIMIR.

Monsieur, monsieur !

MARTINEAU.

Qu’est-ce que c’est ?

CASIMIR.

Je vas vous dire, monsieur, mais d’abord...

Il va à Sainte-Amaranthe.

J’ai pensé à ce que vous m’avez proposé... un mariage... ça me va... seulement, je voudrais une Flamande.

SAINTE-AMARANTHE.

J’en ai trois disponibles... vous choisirez...

MARTINEAU, à Casimir.

Qu’est-ce que tu avais à m’annoncer ?

CASIMIR.

Ah ! oui, au fait... C’est madame Delaunay, monsieur, elle est furieuse.

Entre madame Delaunay par le fond. Casimir sort après son entrée.

 

 

Scène XV

 

MARTINEAU, MADAME DELAUNAY, SAINTE-AMARANTHE

 

MADAME DELAUNAY, à Martineau.

Qu’est-ce que cela veut dire, monsieur ?

MARTINEAU.

Quoi donc... madame ?

MADAME DELAUNAY.

Un article dans lequel on parle de moi !

Sainte-Amaranthe passe à gauche, en examinant madame Delaunay.

MARTINEAU.

C’est Boisgarnier... je sais...

MADAME DELAUNAY.

Vous savez !... et savez-vous ce qu’on dit dans cet article ? On dit que mon mari a fait sa fortune en tenant une maison de jeu à San-Francisco.

SAINTE-AMARANTHE, à part.

Un mari !... rien à faire !

MADAME DELAUNAY.

On raconte que j’ai été enlevée plusieurs fois !

MARTINEAU.

Mon Dieu, madame... c’est Boisgarnier... il lui manquait trente lignes. J’avoue que ce n’est pas une raison...

SAINTE-AMARANTHE, à Martineau.

Voilà votre prétexte ! Rompez !

MADAME DELAUNAY.

On ajoute que depuis mon veuvage...

SAINTE-AMARANTHE, allant à madame Delaunay, et bousculant Martineau.

Vous êtes veuve, madame, parfait !... Je me charge de vous... Madame Delaunay, n’est-ce pas ?

Il prend son carnet et écrit.

MADAME DELAUNAY, surprise.

Qu’est-ce que cet homme-là ?

MARTINEAU.

Est-ce que je sais ?... Il s’est installé ici... et il prend des notes... et il me maltraite !...

MADAME DELAUNAY.

Peu importe, d’ailleurs !... Je n’avais qu’une chose à vous dire et je vous la dis... tout projet de mariage est brisé. Vous ne reverrez plus ni ma nièce ni moi...

MARTINEAU.

Mais laissez-moi répondre.

SAINTE-AMARANTHE, l’arrêtant.

Mais non, ne répondez pas !

À madame Delaunay.

Madame, je trouverai, dans les vingt-quatre heures, pour vous et pour votre nièce, des partis, soit dans la plus haute noblesse... soit dans la finance... soit dans la...

MARTINEAU.

Laissez-moi donc parler !

SAINTE-AMARANTHE.

Rompez, monsieur, vous épouserez la comtesse !...

MADAME DELAUNAY, à Martineau.

La comtesse !... vous devez épouser une comtesse ?

SAINTE-AMARANTHE.

Certainement... Rompez, madame, rompez !

MARTINEAU.

Madame... je vous en prie...

MADAME DELAUNAY.

Ah ! vous devez épouser une comtesse !...

MARTINEAU.

Non, madame, non...

SAINTE-AMARANTHE.

Si fait ! si fait ! Rompez, monsieur, rompez !

MADAME DELAUNAY.

Cela se trouve à merveille... adieu, monsieur, Adieu !

Elle remonte.

MARTINEAU, courant à elle.

Madame, je vous en prie, madame...

SAINTE-AMARANTHE, courant de l’autre côté.

Sainte-Amaranthe, madame... Sainte-Amaranthe... prenez des prospectus.

Il lui en remplit les mains et en donne aussi à Martineau qui les jette.

MADAME DELAUNAY, impatientée.

Eh ! laissez-moi !

Elle sort par le fond.

 

 

Scène XVI

 

MARTINEAU, SAINTE-AMARANTHE

 

SAINTE-AMARANTHE, prenant Martineau sous le bras.

Parfait ! Trois mariages à faire avec les morceaux de votre mariage cassé ! Je n’ai pas perdu mon temps !

MARTINEAU, ahuri et se dégageant.

Qu’est-ce que vous avez fait ?

SAINTE-AMARANTHE.

Je vous ai sauvé !... Je cours chez la comtesse, lui faire savoir que tout est arrangé.

MARTINEAU.

Mais c’est que... l’adorable Louise... je l’aimais !...

SAINTE-AMARANTHE.

Qu’est-ce que ça fait ? Louis XIV aimait mademoiselle de Mancini.

MARTINEAU.

Louis XIV ?...

SAINTE-AMARANTHE.

Il ne l’a pas épousée, cependant... D’ailleurs, ne soyez pas inquiet... je vous marierai... je marier ai l’adorable Louise, je marierai la petite veuve, je marierai votre domestique, je marierai tout le monde ! Tel que vous me voyez, je descends en droite ligne de cette Frosine qui aurait marié le Grand Turc avec la république de Venise !... Au revoir !... Je cours chez la comtesse !...

Il sort par le fond, puis rentre.

Ah ! pardon... je ne vous ai pas donné de prospectus, je crois... quel oubli !... Prenez...

Il lui en donne une liasse et sort vivement par le fond, en débitant son boniment.

 

 

Scène XVII

 

MARTINEAU, puis CASIMIR

 

MARTINEAU, seul, tout étourdi.

Des prospectus, des prospectus... Si, il m’en avait donné !...

Il les jette avec colère, puis réfléchissant.

Une comtesse !... une comtesse !... Je sais bien qu’épouser une comtesse moldave... c’est flatteur, mais ça ne fait rien... Louise... ma pauvre Louise !...

Se frappant le cœur.

J’ai là quelque chose qui me...

Casimir entre par le fond, tenant des journaux.

CASIMIR.

Monsieur, voici les journaux que vous m’avez demandés...

Il lui donne les journaux et sort par le fond.

MARTINEAU, seul.

Les journaux !... Allons, la célébrité me consolera !...

Il regarde les journaux pendant un moment.

Tout cela parle de moi... tout cela est rempli de mon nom ! Ah ! ça fait plaisir tout de même ! Voyons !

Il ouvre un journal.

« Chronique du jour... Il n’est bruit que de l’arrivée à Paris d’un danseur à une jambe nommé... » Qu’est-ce que ça me fait ça ?... Voilà un journal bête !

Il le jette et en prend un autre.

« Le danseur à une jambe a été vu aujourd’hui sur le boulevard. On admirait l’élégance de sa démarche... » Mais qu’est-ce que cet homme-là ?

Autre journal.

« On annonce l’engagement du danseur à une jambe à un des quatorze théâtres de la compagnie générale... » Encore !

Autre journal.

« Nous publierons dimanche le portrait du danseur à une jambe... » Eh bien ! et moi ? et moi ? Pas un mot sur moi !

 

 

Scène XVIII

 

MARTINEAU, BOISGARNIER, entrant par le fond, puis CASIMIR

 

MARTINEAU.

Ah ! le voilà... toi !

BOISGARNIER.

Vite, mon ami... je viens ici n’ayant pas même le temps d’aller chez moi...

Allant s’asseoir au bureau.

Des plumes, de l’encre... vite !

MARTINEAU.

Tu vas me dire...

BOISGARNIER.

Tout ce que tu voudras... mais plus tard... Cent lignes avant tout... cent lignes sur ton successeur.

MARTINEAU.

Mon successeur ?

BOISGARNIER.

Eh oui, le danseur à une jambe... Est-ce que tu n’en as pas entendu parler ?... Tout le monde en parle cependant.

MARTINEAU.

Comment ! j’ai déjà un successeur, et ce successeur, c’est...

BOISGARNIER, se levant.

Certainement... Ne t’ai-je pas dit que ce qui faisait l’éternel succès du singe de Nicolet, c’était la rapidité vertigineuse avec laquelle il changeait de forme ?

MARTINEAU.

Je les ai lus, tes journaux. Personne ne parle de moi.

BOISGARNIER.

Eh bien ?

MARTINEAU.

Rien, rien ! Pas une ligne sur moi, pas un mot !

BOISGARNIER.

Et pourquoi, diable, veux-tu qu’on parle de toi ce soir ?... On en a parlé ce matin. Paris n’aime pas toujours parler de la même chose. Tu as eu ton jour... tu as été, tu n’es plus ! Tu es fini !

MARTINEAU.

Et toi qui me promettais de la célébrité...

BOISGARNIER.

Je t’en avais promis... tu en as eu... je l’en ai donné pour un sou... Je ne pouvais pas t’en donner pour un million !

MARTINEAU.

Et je le dis, moi !...

BOISGARNIER.

Tu me dis ?

MARTINEAU.

Je le dis que je ne suis pas fini... je te dis que je suis toujours le singe...

Se reprenant.

l’homme à la mode.

BOISGARNIER.

Je ne crois pas, mon ami.

Entre Casimir par le fond.

CASIMIR.

Des lettres pour monsieur.

Il lui donne deux lettres et sort.

MARTINEAU, à Boisgarnier.

Ah ! tu vas voir !

BOISGARNIER.

Nous allons voir !

MARTINEAU, lisant la première lettre.

« Monsieur, je vous annonce que la comtesse... »

S’interrompant, à Boisgarnier.

Hein !... une comtesse !...

Continuant de lire.

« Que la comtesse refuse énergiquement de devenir votre femme. »

BOISGARNIER.

La comtesse ?...

MARTINEAU.

Une comtesse moldave qui voulait m’épouser.

BOISGARNIER.

Maintenant elle ne veut plus... Je te disais bien... fini !

MARTINEAU, regardant l’autre lettre.

Ah ! je reconnais le cachet... c’est de la petite actrice... celle qui m’a dit : À ce soir...

BOISGARNIER.

Ah ! il y a une petite actrice qui l’a dit...

MARTINEAU.

Oui.

Lisant.

« Mossieu, ne venez pas ce soir, je vais voir le danseur à une jambe, et puis, quand vous me rencontrerez, ne m’ôtez pas votre chapeau, je ne vous le rendrais pas... »

BOISGARNIER, riant.

Eh bien ! te voilà brouillé avec l’actrice !... Il fallait profiter de ton heure.

MARTINEAU, désespéré.

Je ne pouvais pas... il y avait là... un prince russe... un homme superbe...

BOISGARNIER, accent russe.

Oh ! alors, donc... s’il y avait déjà un Russe, mon cher...

MARTINEAU, jetant la lettre.

Voilà donc ce que Paris fait de ses grands hommes !...

CASIMIR, rentrant par le fond.

Monsieur... une jeune personne qui désire vous parler... tout de suite.

Il remonte à gauche.

MARTINEAU, à Boisgarnier.

Une jeune personne... tu entends... il y a encore des cours fidèles... Il y en a un au moins...

BOISGARNIER, même accent russe.

Eh bien ! puisqu’il n’y a pas de prince russe ici... profite de ton heure, mon ami... dépêche-toi donc de profiter...

Reprenant sa voix ordinaire.

Je vais écrire mon article dans la chambre.

Il entre à droite

MARTINEAU, à Casimir.

Maintenant, faites entrer.

Casimir fait entrer Louise et Annette par le fond, puis il sort. Louise, en entrant, donne sa voilette à Annette, qui suit Casimir.

 

 

Scène XIX

 

MARTINEAU, LOUISE, puis CASIMIR et MADAME DELAUNAY puis BOISGARNIER

 

MARTINEAU, allant à Louise.

Louise !

LOUISE.

J’ai été fort étonnée, quand le bruit a couru que vous étiez devenu un grand homme ; j’ai été encore plus étonnée lorsque ma tante m’a fait entendre que vous ne m’aimiez plus, et que ce mariage annoncé à nos parents, à nos amis, ne se ferait pas. J’ai profité d’un moment où ma tante était sortie, et je suis venue avec Annette vous demander si tout cela était vrai.

MARTINEAU, ému.

Mademoiselle...

LOUISE, tranquillement.

Attendez... je n’ai pas fini... Ma tante a eu bien raison de vous dire que, pour être contenus, mes sentiments n’en étaient pas moins d’une violence... Ils éclatent aujourd’hui, mes sentiments... Je vous aime, monsieur, oui, je vous aime !

MARTINEAU.

Ma chère Louise !

LOUISE.

Attendez, je n’ai pas fini... Si vous saviez mes rêves, mes espérances... Notre bonheur, je ne pensais qu’à cela... De puis trois mois je travaille à de grandes tapisseries pour notre chambre... J’ai déjà fait les deux fenêtres avec des lambrequins et un baldaquin pour le lit... je n’ai plus à faire que deux fauteuils...

MARTINEAU, avec amour.

Oh ! un seul suffira.

LOUISE.

Je me disais : Nous appellerons nos deux premiers petits garçons Marcel et Fernand, et nos deux premières petites filles Louise et Gabrielle...

MARTINEAU.

Nos deux premiers petits garçons ! Nos deux premières petites filles !...

LOUISE.

Attendez... je n’ai pas fini... Ma perruche... vous savez, ma petite perruche verte... eh bien, en secret, je lui ai appris votre nom... elle le dit très bien...

Imitant la perruche.

Bonjour, Alfred... Alfred, mon ami... Vous voyez bien qu’il faut que nous nous mariions... ou je suis condamnée à rester fille...

Souriant.

à moins que je ne trouve un autre Alfred.

MARTINEAU.

Oh ! non, Louise, ma chère Louise !... Ne cherchez pas d’autre Alfred, je vous aime toujours, et ce mariage se fera...

CASIMIR, entrant par le fond.

Mademoiselle, voici madame Delaunay.

Il sort par la droite, madame Delaunay entre par le fond.

LOUISE, allant à sa tante.

Oh ! ma tante !

MADAME DELAUNAY, à Louise.

Quant à toi, Louise, je te pardonne... Depuis longtemps je connaissais la violence des sentiments que tu l’efforçais de contenir... Cependant ce mariage ne se fera pas.

MARTINEAU.

Oh ! madame...

MADAME DELAUNAY, à Martineau.

Le refus ne viendra pas de moi... il viendra de vous... Vous n’êtes pas dans une position de fortune qui vous permette de vous marier.

MARTINEAU.

Qu’est-ce que vous dites donc, madame ?... Au moment où j’obtiens cette place dans la maison de banque de M. Bernier !...

MADAME DELAUNAY.

Cette place ?... M. Bernier vous l’accordait, il y a deux heures, maintenant il vous la refuse.

MARTINEAU.

Que m’importe ! il me reste mes appointements de commis principal...

MADAME DELAUNAY.

Non pas, vous avez donné votre démission.

BOISGARNIER, sortant de la chambre à droite avec Casimir et lui donnant des papiers.

À l’imprimerie, Casimir !... à l’imprimerie tout de suite...

Il descend en scène.

MARTINEAU, abattu.

C’est vrai, Casimir l’a portée, cette malheureuse démission !

CASIMIR, descendant à gauche.

Votre démission, monsieur ?... Ah ! il faudra que monsieur ait la complaisance d’en écrire une nouvelle.

MARTINEAU.

Comment cela ?

CASIMIR.

Pardonnez-moi, mais au moment où j’allais la porter, j’ai été accosté par un riche Anglais qui n’a proposé de me payer très cher quelques lignes écrites par vous... je n’avais que cette grande lettre... et ma foi...

MARTINEAU.

Vous la lui avez donnée ?

CASIMIR, tombant à genoux.

Je la lui ai vendue.

MARTINEAU, le relevant.

Ah !... dans mes bras...

Il l’embrasse.

Que vous avez bien fait !

LOUISE.

Consentez, ma tante, puisqu’il a toujours sa place, et puis, vous savez, ma perruche...

BOISGARNIER, à madame Delaunay.

Il a traversé les grandeurs et il se retrouve sur ses pieds... laissez-vous fléchir, madame, à cause de la rareté du fait.

MARTINEAU.

Boisgarnier a raison, madame.

MADAME DELAUNAY.

Ah ! c’est monsieur Boisgarnier ?

BOISGARNIER.

Moi-même, madame.

MADAME DELAUNAY.

Eh bien, je consens... à la condition que vous vous rétracterez... de la façon la plus formelle... Vous écrirez dans votre journal que M. Delaunay n’a pas tenu de maison de jeu et que je n’ai été enlevée qu’une seule fois, et par mon mari... je crois.

BOISGARNIER.

Je me rétracterai volontiers.

Passant à gauche.

J’ai juste ment besoin de trente lignes.

Madame Delaunay a fait passer Louise près de Martineau.

CHŒUR FINAL.

Air : Des dragons de Villars (Maillart).

Ce qui nous conviendrait,
C’est qu’on vînt, pour nous plaire,
Comme on allait naguère
Chez Nicolet !
(Bis.)

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