Le pauvre Jacques (COGNIARD Frères)

Comédie-Vaudeville en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Gymnase-Dramatique, le 15 septembre 1835.

 

Personnages

 

JACQUES, vieux musicien

MARCEL, jeune poète

BERNARD, propriétaire

AMÉLIE

ANTOINE, domestique d’Amélie

 

La scène se passe à Marseille, chez Jacques.

 

Le théâtre représente une pauvre mansarde. Au fond, à gauche du spectateur, une porte donnant sur le carré ; à droite, deuxième plan, une autre porte. Au milieu, au fond, une petite fenêtre ayant vue sur la mer. À droite, premier plan, un piano, sur lequel sont plusieurs feuilles détachées et une partition ; à gauche, premier plan, un buffet ; petite table, au fond ; au-dessus de la table, un casier contenant quelques livres et quelques cahiers de musique.

 

 

Scène première

 

BERNARD, AMÉLIE

 

Au lever du rideau, la scène est vide. On entend frapper deux fois à la porte d’entrée du fond. Bernard entr’ouvre ensuite la porte.

BERNARD, la tête à la porte.

Peut-on entrer ? personne !

Il entre.

Où diable est-il ?

À Amélie.

Entrez, signora, entrez.

AMÉLIE.

C’est ici ?

BERNARD.

Oui, signora... Je suis désolé de vous avoir fait monter aussi haut... mais quand on loue un appartement, on aime à tout voir soi-même... même les chambres de ses domestiques. Arrivée depuis peu à Marseille, et désirant vous y fixer pour quelques mois, vous ne pouviez mieux tomber que dans ma maison ; et je suis trop heureux de vous avoir rencontrée hier, à la soirée musicale de M. le préfet... Quel concert admirable !... Mes oreilles se dressent rien que d’y penser ! Ce serait faire injure à la signora que de lui demander si elle est musicienne.

AMÉLIE.

Mais... un peu.

BERNARD.

Raison de plus pour devenir ma locataire ; car tel que vous me voyez, belle dame, je suis fou de la musique... oh ! mais fou à lier !... Je ferais dix lieues à jeun pour assister à un concert... et j’ai la faiblesse de croire que j’y fais ma partie avec quelque agrément, jouant avec familiarité de tous les instruments à vent.

AMÉLIE.

Je sais, monsieur, que nous vous sommes redevables d’une foule de romances délicieuses... et celle d’hier...

BERNARD, avec suffisance.

Oh ! vous voulez parler de ma romance Aux yeux bleus... Quand vous connaîtrez mes Cheveux noirs, vous me jugerez mieux... c’est ma romance favorite !... Quelques personnes pourtant lui préfèrent ma Barque d’azur. Voilà quinze ans que je me livre à la composition... mais j’ai la fatuité d’enfanter mieux que des romances. Je ne m’occupe de ces niaiseries, que pour peupler les pianos des dames de Marseille.

AMÉLIE.

Vos romances vont plus loin, monsieur ; car elles se vendent dans toute l’Italie.

BERNARD.

En vérité ! Eh ! quoi... le nom de Bernard voyagerait sur la terre classique de la musique ?... Que d’honneur !... Ah ! comment avez-vous pu, belle dame, abandonner ce beau sol pour notre terre ingrate, anti-musicale ?

AMÉLIE.

Des affaires graves m’appelaient en France... D’ailleurs, quoique née en Italie...je suis d’origine française.

BERNARD.

D’origine française ? Alors, je ne m’étonne plus que vous ayez entrepris un tel voyage... jeune comme vous l’êtes... car la signora ne me paraît pas majeure... et... vous êtes venue...

AMÉLIE, l’interrompant.

C’est donc cette chambre que vous destinez à mon domestique ?

BERNARD, à part.

Je ne saurai rien.

AMÉLIE.

Vous m’aviez fait espérer mieux que cela ; et je tiens beaucoup à ce que mon vieil Antoine soit bien logé... car c’est plutôt un homme de confiance, un ami... qu’un serviteur.

BERNARD.

Vous n’avez pas tout vu, belle dame ; il y a encore une chambre et un cabinet, avec une autre sortie, ce qui est très commode... Je ferai mettre un joli papier perse à vingt-deux sous le rouleau, et ce sera délicieux... une vraie bonbonnière.

Il va vers la chambre de Jacques à droite.

Si vous voulez voir l’autre pièce.

Il va pour ouvrir la porte.

Eh bien ! la porte est fermée !

Il regarde par le trou de la serrure.

Allons, bon... il dort encore... à cette heure !... il n’en fait jamais d’autres... je vais l’éveiller.

AMÉLIE.

N’en faites rien, monsieur... je ne veux déranger personne... je reviendrai.

BERNARD.

Par exemple !... je n’ai pas tant de ménagements à prendre... c’est un très mauvais locataire... ça ne paie jamais son terme... il m’en doit quatre, et je suis las d’attendre.

AMÉLIE, examinant le piano.

C’est un musicien... à ce que je vois.

BERNARD.

Oui, signora... un pauvre diable, venu je ne sais d’où... Il donnait des leçons de musique qui le faisaient vivre... mais la tête voyageait quelquefois... il avait des absences, et cela lui a fait perdre ses élèves.

AMÉLIE.

Mais ne pourrait-on lui trouver un emploi ?... Vous, monsieur, qui êtes connu de tout le monde musical, il vous serait facile de lui faire obtenir une place de musicien, au théâtre, par exemple.

BERNARD.

Sans doute, si c’était un homme comme un autre... mais je vous le répète, signora, le pauvre diable a le cerveau dérangé... Ce n’est pas précisément un fou... car il a des moments lucides... par exemple, quand il s’agit de musique... Oh ! alors, semble avoir recouvré toute sa raison... son œil s’anime, pétille... il court à son piano, et exécute d’inspiration des morceaux... que je ne désavouerais pas, foi de Bernard !... mais bientôt il retombe dans sa stupeur... il parle à un être chimérique... et dans sa folie, il fait faire les répétitions d’un opéra qu’il se figure avoir composé... ouvrage sans doute aussi imaginaire que l’être fantastique que sa démence lui a créé... Souvent encore il passe des heures entières, la tête appuyée contre cette petite fenêtre, il guette l’arrivée d’un bâtiment, et dès qu’il en voit entrer un dans la rade... zest ! il descend les escaliers quatre à quatre... il court sur le port, examine avec soin tous les passagers qui débarquent... puis il revient tristement chez lui.

AMÉLIE.

Le pauvre homme !

BERNARD.

Vous comprenez qu’il n’est pas besoin de se gêner pour un individu à demi fou... et qui ne paie pas son terme.

Il va vers la chambre de Jacques.

AMÉLIE.

Arrêtez... Votre récit m’a vivement intéressée... et, pour tout au monde, je ne voudrais pas être la cause du renvoi de ce pauvre musicien.

Elle va vers le piano, et regarde la musique qui se trouve dessus.

BERNARD.

Soyez tranquille, signora, tout s’arrangera... À la rigueur, je pourrais vous donner le logement de son voisin, un poète... un jeune homme qui s’est déclaré l’ami, le protecteur du vieux musicien... c’est un garçon de génie... à ce qu’on dit... Pauvre chose que le génie !

AMÉLIE, qui tient un papier de musique.

Ceci est étrange !

BERNARD.

Qu’a-t-il, belle dame ?

AMÉLIE.

C’est votre musique d’hier au soir, que je trouve ici, écrite à la main.

BERNARD, embarrassé.

Ma... musique...

AMÉLIE.

Voyez.

BERNARD, avec embarras.

Ah ! oui... oui... C’est que je donne souvent à ce pauvre diable ma musique à copier.

À part.

Le drôle qui avait le double... Si l’on savait qu’elle est de lui, je serais perdu de réputation...

Haut.

Ah ! je crois entendre votre domestique.

 

 

Scène II

 

AMÉLIE, BERNARD, ANTOINE

 

BERNARD, à Antoine.

Eh bien ! monsieur Antoine, avez-vous visité les caves et les écuries ?... tout est-il convenable ?

ANTOINE.

Parfaitement... et j’engage ma maîtresse à se fixer dans cette maison.

AMÉLIE, allant près d’Antoine.

Alors, Antoine, entendez-vous avec monsieur pour votre logement, et ce sera une affaire terminée.

BERNARD.

Si vous voulez voir le logement du poète ?

AMÉLIE.

Antoine vous dira s’il lui convient.

ANTOINE.

Oh ! mon Dieu ! ce n’est pas la peine ; je serai toujours bien.

Bas à Amélie.

D’ailleurs, madame, j’ai besoin de vous parler.

AMÉLIE, bas à Antoine.

Aurais-tu découvert quelque chose ?

ANTOINE, bas.

Je l’espère... Venez... Je vais vous conter cela.

AMÉLIE, bas.

Oh ! à l’instant...

Haut.

Monsieur Bernard, je loue votre appartement : avant peu je viendrai en prendre possession.

BERNARD.

Belle dame, je suis ravi d’avoir dans ma maison une personne dont le rang, la beauté, le talent musical.

AMÉLIE.

Pardonnez... Une affaire très importante m’occupe en ce moment... partons, Antoine.

 

 

Scène III

 

AMÉLIE, BERNARD, ANTOINE, MARCEL

 

MARCEL, entrant vivement, un papier à la main.

Mon cher ami, voilà mon chœur final...

S’arrêtant tout à coup.

Pardon, madame.

AMÉLIE, à part.

Encore ce jeune homme !

MARCEL, à part.

Ah ! mon Dieu ! mon inconnue du bord de la mer !

ANTOINE, à part.

Nous rencontrerons donc toujours cette figure-là...

BERNARD, à Amélie.

C’est le voisin... le poète dont je vous parlais.

AMÉLIE.

Oui, oui... je connais monsieur... j’ai causé une fois, je crois...

MARCEL.

Oui, madame... ou mademoiselle... c’est moi... sur les bords de la mer...

ANTOINE.

Partons-nous, madame ?

AMÉLIE.

Oui, partons.

Air de Gustave ou Venez, paresseuse, à votre (Des Danseuses à la classe.)

Ensemble.

AMÉLIE.

Faut-il que j’espère ?

Dois-je encore souffrir ?

Ce profond mystère

Va-t-il s’éclaircir ?

MARCEL.

Ici quelle affaire

L’a donc fait venir ?

Si c’est un mystère

Comment l’éclaircir.

BERNARD.

C’est ma locataire

Pour moi quel plaisir !

Pour toi, pauvre hère,

Tu vas déguerpir.

ANTOINE.

Venez, car, j’espère,

Vos maux vont finir,

Ce profond mystère,

Je puis l’éclaircir ?

MARCEL.

Près de mon inconnue

Mon âme est tout émue.

AMÉLIE, à Bernard.

Je vous quitte à regret.

BERNARD.

Quel plaisir ! ma maison se trouve au grand complet.

Reprise de l’ensemble.

Marcel salue timidement Amélie qui sort avec Bernard et Antoine.

 

 

Scène IV

 

MARCEL, seul

 

Elle !... elle !... chez lui... chez Jacques !... que venait-elle faire ici ?... chez le pauvre Jacques !... elle m’a reconnu !... et moi je suis resté là, sans pouvoir trouver une seule parole.

Il va regarder à la fenêtre.

Elle s’en va... si je la suivais ?... en connaissant sa demeure, je pourrais peut-être en apprendre davantage... c’est une folie, je le sais, mais n’importe... c’est plus fort que moi.

Il va vers la porte de Jacques.

Jacques... ou plutôt... non... il me questionnerait... je l’entends... laissons-lui mon chœur final, et courons.

Il sort après avoir placé son chœur final sur le piano.

 

 

Scène V

 

JACQUES, seul

 

Jacques sort de sa chambre à droite... Il paraît tout à la fois distrait et pensif... après avoir fait quelques pas inégaux sur la scène, il court tout-à-coup à la fenêtre ; il appuie sa tête sur un des côtés, et regarde la mer en soupirant. Bientôt il quitte la fenêtre, et vient tristement s’asseoir sur le devant à gauche. Il tire de sa poitrine une petite lettre toute usée et la lit. Musique à l’orchestre pendant cette entrée. Il lit.

« Pars, fuis, mon cher Jacques ; je volerai sur tes traces aussitôt que je pourrai... bientôt nous nous reverrons ! »

Répétant sans lire.

« Je volerai sur tes traces aussitôt que je pourrai, bientôt nous nous reverrons. »

Avec tristesse.

Il y a vingt ans qu’elle a écrit cela... et elle n’est pas encore arrivée... l’âge ou plutôt la souffrance a déjà ridé mon visage... et elle n’est pas encore arrivée... pourtant ces paroles que sa main a tracées...

Il baise la lettre à plusieurs reprises.

Oh ! ce ne sont pas là des paroles légères...

Il relit.

« Je volerai sur tes traces aussitôt que je pourrai. » C’est qu’elle n’aura pas pu... mais je suis tranquille... elle viendra... oh ! oui ! elle viendra, car elle sait bien que je l’attends... que je l’attends depuis vingt années !...

Il plie sa petite lettre avec soin, et la cache dans son sein.

Mariana !... chère Mariana ! voyons encore...

Il se lève, et va regarder à la fenêtre.

Rien, que des bateaux de pêcheurs !...

Il revient sur le devant.

Allons, ce ne sera pas encore pour aujourd’hui... mais demain peut-être. Attendons à demain.

Air : Muses des bois et des accords champêtres.

Demain, demain !... ce mot qui nous console,

Vient à mon cœur : quelqu’espoir ;

Mariana !... mon bonheur, mon idole !

Dépêche-toi si tu veux me revoir.

Quand chaque jour mes forces me trahissent,

De plus en plus lorsque tremble ma main,

Quand j’aperçois mes cheveux qui blanchissent,

Plus bas, vois-tu, je murmure... à demain ! (bis.)

Allons, allons, chassons ces idées-là...

Il va vers son piano, et aperçoit le papier que Marcel y a laissé.

Qu’est-ce que cela ?... mon chœur final !... ah ! tant mieux... Marcel est déjà venu... bon jeune homme ! il n’aura pas voulu m’éveiller.

Il lit le chœur.

Très bien !... comme tout le reste... son poème est admirable... et moi... oh ! j’en suis sûr, ma musique est belle aussi... cette nuit, pendant le silence, tout seul... là... j’ai exécuté mon ouverture... et à l’émotion que j’ai éprouvée... oui, j’en suis sûr, ma musique est belle ! et s’ils veulent l’entendre... je ferai ce chœur après déjeuner... Voyons... déjeunons.

Il va ouvrir le buffet qui est à gauche du théâtre.

Tiens, il n’y a plus rien.

Il referme le buffet.

Ah ! c’est vrai !... j’ai mangé hier pour mon souper les deux poires qui me restaient... c’est dommage, j’aurais bien mangé aujourd’hui !... mais il faudrait encore demander du crédit au boulanger... je ne veux pas... d’ailleurs, il est déjà tard, et la journée sera bientôt finie !... Pensons à Mariana !... à mon opéra !... faisons ma musique, et j’oublierai mon estomac... Voyons le premier Vers.

Soldats, célébrons sa victoire.

Il fredonne, puis va vers son piano, et range des feuilles de musique en désordre.

 

 

Scène VI

 

BERNARD, JACQUES, à son piano

 

BERNARD, entrant.

Ah ! le voilà... il est seul, bon... en disposant de son logement, je lui donnerai cette petite chambre qui est au fond de la cour... De cette manière, je l’aurai toujours sous la main, pour avoir sa musique.

Haut.

Mon cher Jacques.

JACQUES, se levant.

C’est un chœur de triomphe... j’y mettrai un accompagnement de trompettes... En général, les cuivres font bien... quand on n’en abuse pas...

Il fredonne en cherchant.

Soldats, célébrons sa victoire.

BERNARD.

Monsieur Jacques.

JACQUES, chantant toujours.

Célébrons, célébrons sa victoire.

BERNARD, plus haut.

Bonjour, mon cher Jacques.

JACQUES.

Hein !... Ah ! c’est vous, monsieur Bernard ?... ah ! mon Dieu ! vous venez peut-être chercher vos deux romances ?

BERNARD.

Non, pas précisément ; mais je les emporterai par la même occasion... je viens pour vous dire.

JACQUES, quittant le piano.

Oh ! je suis bien fâché ; mais je n’ai pas eu le temps... la musique n’est pas faite... j’étais malade hier... je me suis couché de bonne heure.

BERNARD, finement.

C’est donc ça que je vous ai entendu faire de la musique jusqu’à près de deux heures du matin ?... hein ?

JACQUES, embarrassé.

Comment ?

BERNARD.

J’ai laissé ma fenêtre ouverte exprès pour vous écouter.

JACQUES, de même.

Vous avez entendu...

BERNARD.

Une symphonie admirable... tudieu ! quelle vigueur !

JACQUES.

Vous l’avez trouvée belle ?

BERNARD.

C’est un chef-d’œuvre... ah ! ça, d’où est-ce tiré ?

JACQUES, le tirant à part, et en confidence.

C’est tiré de là...

Il se frappe le front.

Mon opéra est terminé ! C’est mon ouverture que vous avez entendue.

BERNARD.

Vraiment ?... Diable !...

À part.

Je m’en doutais.

JACQUES.

Je n’ai plus à faire que le chœur final.

Il se frotte les mains et cherche dans sa tête en répétant.

Soldats, célébrons sa victoire.

Célébrons, amis, célébrons.

BERNARD, à part.

Un opéra !... un opéra ! oh ! si je pouvais... ce diable-là a du talent... quel honneur ça me ferait dans tout Marseille !... Voyons un peu.

JACQUES, fredonnant.

Sa victoire, sa victoire.

Pram ! pramm ! pramm !

BERNARD.

Vous voilà dans le feu de la composition !... Pauvre Jacques !... Quel malheur que tant de peines soient inutiles !... quel malheur que ce travail, le fruit de votre talent et de vos veilles soit perdu !

JACQUES.

Perdu !... et pourquoi cela ?

BERNARD.

Pourquoi ?... eh ! mon cher ami... parce que votre ouvrage ne sera jamais représenté... que vous ayez composé votre musique dans le but d’occuper vos loisirs, je le conçois ; mais que vous espériez la voir exécuter... raisonnablement, cela ne se peut pas ?

JACQUES.

Cela ne se peut pas.

BERNARD.

Vous n’irez pas sans doute vous présenter au grand théâtre. Vous savez fort bien qu’on ne voudrait seulement pas vous entendre.

JACQUES.

Et pourquoi ?... est-ce parce que mon costume annonce la souffrance et la pauvreté ?

BERNARD.

Hélas ! mon cher... ce n’est que trop vrai ! et malheureusement, de toutes les professions, la vôtre est la plus à plaindre... Le peintre, lui, quand il a achevé son tableau, il dit à la foule : Regardez, et la foule applaudit à son chef-d’œuvre,  quand chef-d’œuvre il y a... mais le musicien, il faut qu’on l’écoute... qu’on exécute sa musique, pour la juger... et quand la misère l’accompagne, on s’en éloigne avec défiance, on le repousse... Hélas ! mon pauvre ami ! c’est cruel à dire... mais, croyez-moi, votre partition mourra avec vous.

JACQUES, avec chagrin.

Ma partition mourir avec moi ! oh ! non... elle doit me survivre, immortaliser mon nom peut-être.

BERNARD.

Oui, si vous parvenez à trouver un orchestre pour l’exécuter... Mais ce ne sera pas à Marseille... Il faudrait pour cela trop de protections... il faudrait connaître le directeur du grand théâtre, être son ami... avoir déjà une position musicale.

JACQUES, avec désespoir.

Mon opéra perdu !... mes veilles, mes travaux... perdre tout cela !

BERNARD.

Il y aurait bien moyen de le faire représenter... mais vous ne le voudriez pas.

JACQUES.

Je ne voudrais pas !... Oh ! mais, pourquoi me dites-vous ça ?... je ne voudrais pas... Ah ! parlez... parlez !...

BERNARD.

Écoutez-moi, mon cher Jacques... Un véritable artiste se soucie peu des flatteries du monde... de cette gloriole que procure un succès... sa récompense à lui, c’est d’écouter son ouvrage, de jouir de l’émotion de la multitude... d’entendre les applaudissements qu’il fait naître !... Son âme alors est heureuse et fière ! mais fière seulement du cri de sa conscience qui lui dit : Bravo ! tu as bien fait !... Le reste n’est que fumée... pure fumée.

JACQUES.

Où voulez-vous en venir avec votre fumée ?

BERNARD.

J’arrive au fait, mon cher monsieur Jacques... Puisque dans vos mains votre ouvrage serait perdu ; puisqu’il ne peut arriver à la publicité que par un canal étranger... de même que vous m’avez cédé vos romances, cédez-moi votre opéra... et je m’engage à le faire représenter avant trois mois.

JACQUES.

Vendre mon opéra !... oh ! jamais, jamais, monsieur.

BERNARD.

Vous préférez le perdre, n’est-ce pas ?... à votre aise !... Songez-y... je suis connu, j’ai de la réputation, je suis riche... Le directeur s’empressera de mettre l’ouvrage à l’étude, s’il m’en croit l’auteur ; tandis qu’il refusera net, s’il sait qu’il est de vous... Que vous importe qu’on jette au public les noms de Jacques, Pierre ou Paul ?... ce qu’il vous importe, c’est d’entendre exécuter votre musique... c’est de voir tout ce que la ville a de mieux réuni au théâtre ; car je vous aurai la meilleure loge... Entendez-vous d’ici frapper les trois coups d’annonce... pomb... pomb... pomb... L’ouverture commence... un silence religieux règne dans toute la salle... et ce silence n’est interrompu que par les bravos, les trépignements de l’assemblée.

JACQUES, transporté.

Je verrais tout cela !

BERNARD.

Vous verrez tout cela. Remettez-moi votre manuscrit aujourd’hui, et je vous donne une quittance des quatre termes arriérés, de l’argent que vous me devez... et de plus, je joins à tout cela un beau billet de cinq cents francs.

JACQUES.

Cinq cents francs !... et je verrais jouer mon opéra...

À part.

Cinq cents francs !... et je pourrais, en abandonnant cette somme à Marcel, reconnaître ce qu’il a fait pour moi jusqu’à ce jour.

BERNARD.

Eh bien ?

JACQUES, avec hésitation.

Eh bien !... eh bien... nous verrons... je ne dis pas non... Vous me pressez tant !

BERNARD.

C’est une affaire conclue... Allons, mon ami, donnez-moi votre partition ; et dans une heure, je vous apporte la somme.

Il va vers le piano.

JACQUES, allant vite prendre sa partition, et la serrant contre lui.

Que je vous donne mon opéra !... comme cela... tout de suite... Oh ! non... pas encore.

Air des Amazones, ou Que parlez-vous ici de gloire.

Eh quoi ? sitôt... lui, quitter ma demeure,

Ah ! laissez-moi retarder ce moment.

Depuis cinq ans... chaque jour... à toute heure,

Du pauvre Jacques il calme le tourment !

C’est mon ami, monsieur, c’est mon enfant !

C’était ma vie et ma seule espérance !

Auprès de moi qu’il reste encore un peu ;

Après cinq ans... c’est bien le moins, je pense,

Qu’en se quittant on se dise un adieu.

BERNARD.

Oh ! soit !... je veux bien attendre... mais donnant, donnant... Je vais chercher votre quittance, vos cinq cents francs... et tout sera dit... Au revoir.

Il fait quelques pas pour sortir, et revient à Jacques.

Surtout, pas un mot... vous comprenez.

JACQUES.

Oui, oui...

Il considère avec amour son opéra. Bernard va sortir, lorsque Marcel entre.

 

 

Scène VII

 

JACQUES, absorbé, MARCEL, BERNARD

 

MARCEL, entrant.

Encore le propriétaire.

BERNARD.

Ah ! c’est vous, monsieur Marcel... Eh bien ! jeune homme, avez-vous enfin de l’argent à me donner ?

MARCEL.

Non, monsieur... mais j’espère que bientôt...

BERNARD.

Bientôt, bientôt... c’est là votre refrain... On a beau être patient... on se lasse, mon cher ami... et ma foi, je vous préviens qu’avant peu vous aurez de mes nouvelles... Bonjour.

Il sort.

 

 

Scène VIII

 

MARCEL, JACQUES

 

MARCEL.

Qu’est-ce qu’il veut dire ?... j’aurai de ses nouvelles... ça m’est bien égal !... ce n’est pas lui qui m’occupe... Impossible de la suivre... ses chevaux allaient si vite... j’ai eu beau courir derrière la voiture... il a fallu y renoncer... et je n’en sais pas davantage.

JACQUES, assis auprès du piano.

Cinq cents francs !... un navire... à Palerme... à Palerme bien vite !... que je la revoie encore une fois avant de mourir.

MARCEL.

Allons, voilà mon pauvre ami dans un de ses mauvais moments... Palerme !... ce mot lui revient sans cesse... lorsque sa raison s’égare...

JACQUES.

Cinq cents francs !... et de la gloire.

MARCEL.

Toujours ses rêves de fortune et de bonheur !...

Il s’approche de Jacques.

Monsieur Jacques.

JACQUES, sortant de sa préoccupation.

Ah ! bonjour, Marcel.

MARCEL, lui serrant la main.

À la bonne heure.

JACQUES, se levant.

Eh bien ! mon ami, quoi de nouveau ?

MARCEL.

Rien de bon... Je suis allé de rand matin chez mon libraire : il refuse : mon second volume de poésies... Il prétend que mon premier a été payé trop cher, et que les journaux n’en ont pas même encore rendu compte.

JACQUES.

Il fallait aller chez un autre.

MARCEL.

C’est ce que j’ai fait... mais je rougirais de vous dire combien il m’a offert... et encore. un billet à trois mois d’échéance... et qu’il ne paierait pas peut-être... Oh ! les libraires, les libraires !... bande noire liguée contre le talent.

JACQUES.

Les barbares !... des vers aussi beaux !

MARCEL.

Et cela, parce que je n’ai pas de barbe pointue... de chapeau ridicule... de canne extravagante !

JACQUES.

Au fait, mon ami, pourquoi n’auriez-vous pas aussi une barbe pointue... un chapeau ridicule... ou une canne extravagante ?... puisqu’il paraît que ça indique le génie... Les éditeurs alors vous accueilleraient mieux.

MARCEL.

Être sous leur dépendance, à leurs ordres !...

Se frappant la tête.

Et sentir là quelque chose qui bouillonne... qui vous dit : « Tu parviendras... tu es poète !... »

JACQUES.

Au surplus, mon ami, consolez-vous... vous saurez...

MARCEL, à part.

Ah ! pourvu qu’elle les lise ! peu importe le reste.

JACQUES.

Hein ? Je vous disais donc que j’ai une bonne nouvelle à vous annoncer.

MARCEL, à part.

Quel malheur de ne pouvoir connaître sa demeure.

JACQUES.

Ah ça ! Marcel, qu’avez-vous donc ?... vous voilà aujourd’hui comme vous étiez hier, comme vous étiez avant-hier... tout triste et préoccupé... Savez-vous que cela commence à m’inquiéter ?

MARCEL.

Vous inquiéter ?

JACQUES.

Oui ; vous n’êtes pas gentil depuis plusieurs jours... vous êtes cachotier... vous me cachez quelque chose qui vous tourmente... oh ! j’en suis sûr... Voyons, à qui confierez-vous tous vos chagrins... si ce n’est à votre vieux Jacques ?... Est-ce qu’il n’a plus votre confiance, votre amitié ?

MARCEL.

Oh ! vous ne le pensez pas... vous, mon seul ami. Oh ! tenez, je ne veux pas vous cacher cela plus longtemps.

JACQUES.

À la bonne heure.

MARCEL.

Apprenez donc... que je suis amoureux... amoureux fou.

JACQUES.

Amoureux !

MARCEL.

Vous allez me traiter d’extravagant, je le suis, j’en conviens... mais si vous saviez comme elle est jolie !... c’est une étrangère... une jeune dame aussi riche que belle... depuis peu, je crois, arrivée à Marseille... Elle se nomme Amélie... Son nom, c’est tout ce que j’ai pu savoir... Dix fois, je l’avais aperçue dans mes promenades... dix fois ses yeux avaient rencontré les miens... et allumé là une passion ardente... Avant-hier, je me promenais sur le bord de la mer, je pensais à elle, lorsque tout-à-coup je la vois à deux as de moi... comme une apparition !... Elle était assise... elle lisait des vers qu’elle récitait tout haut, et une larme courait sur sa joue... Je crus rêver !... ces vers, mon ami, ils étaient de moi... Ah ! m’écriai-je alors, ne pouvant maîtriser ma joie : « Mille fois heureux le poète qui a pu vous inspirer de ses pensées !... mille fois heureux celui qui a pu vous agiter le cœur ! – Ce volume serait-il de vous, monsieur ? me demanda-t-elle. – Oui, madame, j’en suis l’auteur, » balbutiai-je. Alors, elle m’adressa, avec une grâce délicieuse, des louanges sur mon style, sur le choix de mes sujets... Je ne sais pas au juste ce qu’elle me dit ; car un voile couvrit mes yeux tout-à-coup... ma tête se perdit... je sentis mes jambes se dérober sous moi... et lorsque je revins à la raison... elle avait disparu... et je me trouvai assis sur les cailloux qui bordent la mer... et au beau milieu de l’eau.

JACQUES.

Pauvre garçon !... lui aussi !

Il devient rêveur et n’écoute plus Marcel.

MARCEL.

Ce n’est pas tout... Ce matin, je vous apportais le chœur final de notre opéra... eh bien ! savez-vous qui je rencontre ici, à cette place, causant avec Bernard, notre propriétaire ?... mon étrangère. encore mon étrangère !... comprenez-vous cela, Jacques ?... Hein !... vous ne m’écoutez plus ?

JACQUES.

L’amour !... oh ! mon ami... prenez-y garde... de l’amour pour une dame du grand monde ! oh ! Marcel, prenez-y garde !... Jamais je ne vous ai parlé de moi... du passé... vous m’avez vu pauvre et vieux, et vous m’avez tendu la main sans me demander davantage... il est temps que vous connaissiez mieux le pauvre Jacques. Venez vous asseoir près de moi, Marcel...

Il dispose deux chaises sur le devant, à gauche.

Oh ! c’est une histoire douloureuse, et qui va me rappeler des souvenirs amers... mais cette histoire vous sera utile... et il y aura du charme dans ma souffrance... car je vais parler d’elle.

Il s’asseoit.

MARCEL.

D’elle ?...

S’asseyant à la gauche de Jacques, et le regardant avec étonnement.

Je vous écoute, mon ami.

JACQUES, après avoir rassemblé ses souvenirs.

Je ne suis pas né pour être heureux, mon pauvre ami ; car j’étais tout petit quand je perdis ma mère ; et j’avais dix-neuf ans à peine, lorsque mon père mourut. C’était un digne et honnête homme, sans fortune, qui ne me laissa que quelques centaines d’écus. J’employai sa succession à lui donner une sépulture, et à acheter des habits de deuil... après quoi, il ne me resta rien... rien que du courage, ma liberté, et quelques talents en musique. Je restai en France pendant plusieurs années, tout en entier livré à mon art, pour lequel j’étais passionné. Une occasion se présenta de passer en Italie, je la saisis... car voir l’Italie, ce berceau de la musique, c’était le rêve de ma jeunesse !... Je partis, j’arrivai à Naples où je restai quelque temps... puis, je visitai la Sicile, et je m’arrêtai à Palerme... Palerme ! séjour de joie et de douleur... Palerme !... ah ! ma tête devient brûlante, au seul souvenir de cette ville.

MARCEL.

Remettez-vous.

JACQUES.

Oui, oui... J’étais muni de lettres de recommandation pour les premières maisons du pays, et j’acquis bientôt dans les salons une espèce de célébrité comme musicien exécutant, et plus encore comme compositeur... C’est à cette époque que je fis connaissance du comte San Marco... homme fier et dur... Un sort funeste le jeta au-devant de moi... Mon talent lui plaisait ; il m’invita à ses soirées, et voulut que je devinsse le professeur de sa fille... Ô mon ami ! qu’elle était différente de son père !... Rien d’aussi parfait n’avait encore frappé mes yeux... c’était un ange, c’était la vierge de Raphaël... c’était le beau idéal !... On ne pouvait la voir une seule fois sans l’aimer ; et moi, pendant six mois, je la vis tous les jours... Et je ne sais comment cela se fit... car la passion me rendait fou... mais un soir que nous étions seuls, je me trouvai à ses pieds... je balbutiai le nom d’amour... et elle ne fut pas courroucée, et elle ne chercha pas à me fuir... car déjà Dieu avait marqué nos deux âmes pour s’aimer et se confondre... Elle m’aimait... elle m’aimait !

MARCEL.

Que vous étiez heureux !

JACQUES.

Heureux !... oh ! oui, je l’étais ; cela tenait du délire ?... Mais un soir... ô mon ami !... un soir, on frappe à la porte de ma modeste demeure... une femme voilée se présente... c’était Mariana : « Jacques, me dit-elle, on veut me marier ; demain un odieux hymen s’apprête, mon père me sacrifie, demain, nous serons à jamais perdus l’un pour l’autre... mais je suis Italienne, et je t’aime... Fuyons cette nuit... viens ; un bâtiment met à la voile pour la France... J’y ai fait arrêter notre passage... Viens, viens... » Que j’étais fier de tant d’amour !... Nous partons, nous voilà sur le vaisseau... le vent est propice. On donne le signal du départ... je serre Mariana sur mon cœur... des pleurs de joie inondent mon visage... jamais je n’av... Oh ! mais quelle est donc cette barque qui fait force de rames ?...

Il se lève, et paraît montrer à Marcel la mer qu’il croit voir devant lui, et vers laquelle il étend la main.

Tiens, Marcel, vois-tu, là-bas ?... comme elle glisse sur la mer... comme elle approche... La voilà !... la voilà...

Marcel le fait rasseoir. Un instant de silence, et il continue son récit.

Mariana pousse un cri, et tombe évanouie... C’est le comte, c’est son père !... ce sont des soldats !... Ils m’arrêtent au nom du grand-duc... ils me lient les mains... me reconduisent à Palerme, et me jettent dans un cachot... On instruit mon jugement... Accusé de rapt, de séduction... j’allais être condamné... Comprends-tu, Marcel... c’étaient les galères... les galères !...

MARCEL.

Les galères !... mais comment pûtes-vous échapper ?

JACQUES.

Une nuit, la porte de ma prison s’ouvre... une main me saisit, me conduit dans l’ombre... me remet une bourse pleine d’or... et une lettre... Cette lettre, mon ami... cette lettre... « Pars, fuis, mon cher Jacques... Je volerai sur tes traces aussitôt que je pourrai... Bientôt nous nous reverrons... » Je partis en effet, un bâtiment me transporta à Marseille... Oui !... c’est bien cela...

Une pause.

Ici, il y aura une lacune dans mon histoire... car arrivé à Marseille... il se passa trois années dont je ne puis me rendre compte... si ce n’est que je fus bien malade... bien malade... et qu’on me jeta beaucoup d’eau sur la tête pour me guérir... Puis, un matin, on me mit à la porte de l’hospice, en me disant : « Mon brave, vous êtes bien à présent, bon voyage. » Il me restait quelque argent... quand il fut épuisé, une vieille dame charitable pourvut à mes besoins... mais elle mourut bientôt, et je me trouvais seul au monde... tout seul au monde, quand le ciel vous envoya vers moi, Marcel, ô mon ami ! Le bon Dieu est bon... Sans vous, je serais mort.

Il pleure et se penche sur l’épaule de Marcel qui pleure aussi.

MARCEL, après une courte pause.

Et vous n’eûtes jamais de nouvelles de votre Mariana ?

JACQUES.

Jamais !... les années s’accumulèrent sur ma tête, et je n’entendis pas parler d’elle !... Tant que je fus jeune, j’attendis une épouse... N’avait-elle pas été ma femme devant Dieu ?... Mais à présent je ne puis plus attendre qu’une amie... car, comme moi, Mariana aussi a dû vieillir... et cette amie... Ah ! voyez-vous, Marcel... malgré les apparences qui peuvent l’accuser à vos yeux... elle viendra... elle viendra... elle viendra... Attendez... attendez...

Il se lève et va regarder par la fenêtre. Motif de musique qui doit revenir chaque fois que sa tête s’égare.

MARCEL, après la musique.

Pauvre Jacques !... et voilà ce qui m’attend... un amour sans espoir... Cette Mariana... Elle l’aimait au moins... Amélie !... à peine si elle m’a remarqué... Ah ! je n’y dois plus penser... Il faut prendre une résolution... m’éloigner... partir !... je le puis... On m’a proposé une place de secrétaire sur un navire qui demain met à la voile...

Il regarde Jacques.

Mais que dis-je !... il faudrait donc l’abandonner, lui !... Oh ! non... cela ne se peut pas.

JACQUES, se retournant.

Rien encore !

On frappe à la porte.

MARCEL.

Entrez.

Antoine entre.

Ce domestique... encore ce domestique !...

 

 

Scène IX

 

ANTOINE, JACQUES, MARCEL

 

ANTOINE, à part.

D’après les renseignements que j’ai pris, ce doit être ici...

Haut.

Monsieur Jacques ?

JACQUES.

C’est moi, monsieur.

ANTOINE.

Vous.

Il le considère avec intérêt et semble le reconnaître.

Ma maîtresse désire vous voir.

JACQUES.

Moi ?

ANTOINE, à part.

Pauvre homme !

Haut.

Elle m’envoie vous demander si elle peut se présenter chez vous aujourd’hui.

JACQUES.

Comment donc ! mais quand elle voudra.

ANTOINE.

En ce cas, elle va venir.

Il prend la main de Jacques et la serre dans les siennes.

Elle va venir.

Il sort.

 

 

Scène X

 

JACQUES, MARCEL

 

JACQUES suit des yeux Antoine, et a l’air de chercher dans ses souvenirs.

Quel est donc cet homme ?

MARCEL.

Cet homme, mon ami... c’est le domestique de mon inconnue... d’Amélie... dont je vous ai parlé.

JACQUES.

Vraiment.

MARCEL.

Comprenez-vous quelque chose à une pareille visite ? Cette jeune femme, chez vous aujourd’hui... pour la seconde fois.

JACQUES.

En effet... c’est bizarre... ou plutôt c’est tout simple... Elle connaît ma profession, et elle vient pour prendre des leçons d’harmonie... ou pour me commander quelques romances.

MARCEL.

Vous croyez ?

JACQUES, gaiement.

Dans tous les cas, ce ne peut être qu’un bonne aubaine.

Il examine sa mise.

Mon Dieu ! je ne suis guère présentable comme ça... Dites-moi, Marcel, n’auriez-vous pas un habit à me prêter ?... Vous savez, votre petit marron.

MARCEL.

Volontiers... Je vais vous le chercher...

Il se dispose à sortir, fait quelques pus, et revient auprès de Jacques.

C’est comme un fait exprès... au moment où je veux l’oublier... la voilà qui revient... Oh ! c’est égal... je suis bien décidé à ne plus m’en occuper... je ne m’en occuperai plus... Vous tâcherez de savoir qui elle est, n’est-ce pas, mon ami ?... ce qu’elle pense de moi... de mes poésies ?

JACQUES.

Oui, oui... Je songerai à tout cela quand je serai dans votre habit.

MARCEL.

Je cours le chercher.

Il sort.

 

 

Scène XI

 

JACQUES, puis BERNARD

 

JACQUES, seul

Quel malheur que la blanchisseuse n’ait pas rapporté ma chemise à jabot !... Voilà comme on est... on met ces choses-là les jours ordinaires, et puis, dans les grandes occasions, ça vous manque... Il est vrai que je n’en ai que deux, et quand l’une est... Je ne peux pas... Mes meubles ont bien besoin aussi d’être frottés. je néglige ça, et j’ai tort...

Il se met à essuyer ses meubles avec son mouchoir.

Cette visite me produit un effet singulier... Oh ! mais quel espoir !... si cette dame est puissante et riche, comme le dit Marcel... Je pourrai peut-être, par sa protection, faire représenter mon opéra... Ce ne peut être que pour me faire du bien qu’elle vient me visiter... Le contraire lui serait difficile.

Air de Teniers.

Depuis vingt ans que je vis d’espérances,

J’ai vu venir en mon pauvre réduit

Chagrins, tourments, misères et souffrances,

Besoins affreux... et tout ce qui s’ensuit.

Des maux humains j’ai vu toute l’escorte :

Aussi, maintenant sans frayeur

Je vais ouvrir, quand on frappe à ma porte,

Je n’attends plus que le bonheur. (bis)

Quelle joie, si je pouvais conserver ma partition, et dire à tous : C’est ma musique... c’est l’ouvrage du vieux Jacques... La gloire serait à moi seul !... Et il a beau dire, M. Bernard : « Qu’est-ce que ça vous fait qu’on nomme Pierre, Paul, ou Jacques ? » J’aime tout autant, moi, qu’on nomme Jacques que Paul... Mon cher opéra !... Quel espoir enivrant !... Oh ! non, non... Je ne veux plus le vendre... Je ne le vendrai pas.

BERNARD, entrant tout joyeux.

Me voilà, mon cher locataire, me voilà... j’aime à agir rondement en affaires... je vous apporte un beau billet de banque, et de plus, la quittance de vos loyers.

JACQUES, examinant les papiers que lui présente Bernard.

C’est ma foi vrai !... un billet tout neuf... et la quittance aussi.

BERNARD.

Eh bien !... prenez donc... tout cela est à vous.

JACQUES.

À moi ?... oh ! non... parce que... voyez-vous... j’ai changé d’idée.

BERNARD.

Qu’est-ce à dire ?

JACQUES.

Oui, j’ai changé d’idée... je ne veux plus.

BERNARD.

Ah ça !... c’est une plaisanterie ?... c’était une chose convenue.

JACQUES.

Permettez, non... permettez...

BERNARD.

Prenez-y garde... ce serait vous moquer de moi, monsieur Jacques...

À part.

Moi, qui ai déjà parlé de l’opéra.

Haut.

Réfléchissez à ce que vous allez faire... vous me devez quatre termes.

JACQUES.

Je ne le nie pas.

BERNARD.

Je puis vous mettre à la porte.

JACQUES.

C’est vrai.

BERNARD.

Faire saisir vos meubles... faire tout vendre chez vous.

JACQUES.

C’est encore vrai... mais me séparer de mon opéra, voyez-vous, ça me coûterait trop... c’est impossible. si vous me chassez... eh bien ! j’irai ailleurs... je ne me plaindrai pas, pourvu qu’il me reste mon opéra et mon piano pour l’exécuter.

BERNARD.

Votre piano... votre piano !... mais je le ferai vendre comme le reste, votre piano.

JACQUES, dans la plus vive agitation.

Vous ferez vendre mon piano...

Il court à l’instrument.

Qu’avez-vous dit là ?... oh ! mais, vous ne savez donc pas tout ce e vous voulez m’enlever ?... vous ne savez donc pas que, depuis dix ans, il m’a fait supporter tout ce que la misère a de plus hideux ?... la faim !... oui, monsieur... la faim !... cela vous étonne, vous qui avez le superflu, qu’un pauvre musicien manque souvent du nécessaire... cela vous étonne... et pourtant je n’ai pas été vous demander l’aumône, moi... parce que je trouvais là, à cette place, l’oubli de mes souffrances... C’est à mon piano peut-être que je dois d’être vivant encore... et vous voulez le faire vendre !... oh ! non, non... vous ne le ferez pas... au malheureux que l’on dépouille, la loi ordonne qu’on laisse au moins son lit... eh bien ! faites vendre mon lit ; mais laissez-moi mon piano... car voyez-vous, jamais... on ne pourra m’en priver de mon piano... qu’ils viennent donc vos gens de justice, qu’ils viennent !... je suis vieux et faible ; mais Dieu me donnera la force de les chasser tous... ou bien, si je ne le puis... je me placerai entre eux et non cher piano... et nous verrons, nous verrons !!... je vous en avertis... il faudra qu’ils me tuent, avant de me l’enlever... il faudra qu’ils me tuent !!!... ils me tueront !!!...

Jacques accablé s’appuie sur son piano... bientôt il se relève, presse sa tête entre ses mains, et sa physionomie prend un air égaré.

Ah ! mon Dieu !... qu’ai-je donc ?... quoi ? Palerme ?... vous croyez !... bien vrai ?... oui... oui !... hein ?... que dites-vous ?... mon chœur final ?...

BERNARD.

Allons, voilà sa tête...

JACQUES, riant.

Je le tiens !... je le tiens...

Il chante.

Amis, célébrons sa victoire.

Il écoute attentivement. L’orchestre joue très piano le motif précédent.

C’est un navire qui glisse sur les eaux... fuis, mon cher Jacques...

Il court à sa petite fenêtre.

Oui, oui, c’est un navire... enfin !... je vais donc la voir !... la presser sur mon cœur...

Il court à Bernard, et lui baisant la main.

Mon cher ami, mon bienfaiteur... c’est vous... c’est vous qui la ramenez... que de reconnaissance !... mais... courons, courons vite... ne la faisons pas attendre... car on pourrait me l’enlever encore... vite... vite... vite.

Il sort précipitamment.

 

 

Scène XII

 

BERNARD, puis MARCEL

 

BERNARD, seul.

Est-il possible !... est-il possible !... eh bien ! parler donc d’affaires à un pareil homme !... vous croyez qu’il vous écoute... brrrrr... votre serviteur de tout mon cœur... la tête n’y est plus... il divague... il se promène dans les nuages... oh ! n’importe, j’aurai son opéra ; il me le faut... ma réputation en a besoin...

Regardant par la fenêtre.

Il est déjà en bas... allons, bon ! il coudoie tout le monde... le voilà sur le port... il interroge les matelots, les passagers...

MARCEL, apportant un habit.

Tenez, mon ami, voilà...

À part.

Encore le propriétaire...

Haut.

Où donc est M. Jacques ? je lui apportais...

BERNARD, refermant la fenêtre.

De l’argent ?

MARCEL.

Non... un habit dont il a besoin.

Il le pose sur une chaise.

BERNARD.

C’est que je vous avertis, mon cher, que je suis las de loger les gens sans être payé. M. Jacques vient de se jouer de moi... et aujourd’hui même... je le mets à la porte.

MARCEL.

À la porte !

BERNARD.

Et demain, je ferai vendre toutes ces vieilleries... afin de ne pas tout perdre.

MARCEL.

Oh ! ce n’est pas possible, monsieur Bernard... je vous crois incapable d’une pareille action.

BERNARD.

Oh ! oui, je vous vois venir, vous allez me lâcher vos grands mots... l’humanité, n’est-ce pas ?... la pitié ?... je comprends tout cela aussi bien que vous, monsieur.

MARCEL, à lui-même.

Lui !... sans asile !... sans ressources...

À Bernard.

Monsieur Bernard, quelle somme vous doit M. Jacques ?

BERNARD.

Dam !... deux cents francs, à peu près.

MARCEL, à lui-même.

Deux cents francs ! et ce capitaine qui m’a offert de m’en avancer quatre cents !... En acceptant, mon pauvre Jacques aurait du pain... pour quelque temps.

Haut, et avec fermeté.

Monsieur Bernard, vous ne ferez pas vendre ici.

BERNARD.

Eh ! qui m’en empêchera, monsieur ?

MARCEL.

Moi... car avant ce soir... je vous porterai votre argent.

BERNARD, à part.

Que dit-il ?...

Haut.

Ah ! bah !... promesse de poète, promesse de fou !

MARCEL.

Oui... mais cœur de poète, cœur généreux ! dans deux heures, vous toucherez ce qu’on vous doit.

BERNARD, à part.

Diable !... mais j’aimerais bien mieux mon opéra... tâchons de revoir Jacques, et de le décider.

BERNARD.

Air : Ne raillez pas la garde citoyenne.

Au revoir donc, adieu, monsieur le poète ;

À l’avenir, je veux être exigeant.

MARCEL.

Du pauvre Jacques, oui, je paierai la dette,

Avant ce soir, vous aurez votre argent.

Ensemble.

BERNARD.

Au revoir donc, adieu, monsieur le poète,

À l’avenir, je veux être exigeant ;

De votre ami venez payer dette,

Avant ce soir, il me faut de l’argent.

MARCEL.

Adieu, monsieur, oui, je vous le répète,

À votre gré, montrez-vous exigeant ;

Du pauvre Jacques, oui, je paierai la dette

Avant ce soir, vous aurez votre argent.

Bernard sort.

 

 

Scène XIII

 

MARCEL, seul

 

Allons, allons, plus d’irrésolutions... un bon parti pendant que j’ai encore un tout petit peu de force... je fais une bonne action, et je sens là que c’est le seul moyen d’oublier cet amour extravagant... Oh ! c’est qu’elle me revient à l’esprit l’histoire du pauvre Jacques !... oui, c’est bien décidé... D’ailleurs, ce voyage me fera du bien... j’ai besoin d’un air nouveau, d’un monde nouveau ; car ici, je suis las d’être méconnu, repoussé... elle va venir... je ne veux plus la voir... elle ferait faiblir mon courage... partons bien vite.

Il va vers la porte.

Ah ! mon Dieu, c’est elle... impossible de m’échapper... si je la regarde... je suis perdu... je ne pourrai plus partir ; car sa vue m’ôterait toute ma résolution... eh bien ! ne la regardons pas... ne hasardons pas un seul coup d’œil de son côté... oui, oui, c’est un bon moyen... la voici... attention.

Il se met devant le piano et feint d’être occupé.

 

 

Scène XIV

 

AMÉLIE, MARCEL

 

AMÉLIE, en entrant à la cantonade.

C’est bien... c’est bien, restez là, Antoine...

Sans voir Marcel.

Il vient de sortir, m’a-t-on dit.

Elle regarde autour d’elle avec attendrissement.

Oh ! que je me doutais peu ce matin... tout ici maintenant m’intéresse et me touche.

Apercevant Marcel.

C’est son ami...

Haut, et avec bonté.

Monsieur Marcel.

MARCEL, faisant un mouvement à part.

Ouf ! voilà le moment du danger... rien que sa voix... me produit un effet...

Haut et sans se retourner.

Madame, j’ai bien l’honneur...

AMÉLIE.

Je suis heureuse de me trouver seule un instant avec vous, monsieur Marcel.

MARCEL, à part.

Que dit-elle ?...

Haut, et toujours sans se retourner.

Comment, madame ?...

AMÉLIE.

J’ai besoin de vous parler de votre ami... de M. Jacques.

MARCEL, se rapprochant d’Amélie.

De Jacques ?... quel intérêt ?... peu importe, madame... je suis prêt à vous répondre.

AMÉLIE.

Une affaire m’amène auprès de lui... ce que je dois lui dire exige de sa part du calme et de la résignation ; et dans l’état où il se trouve, n’est-il pas à craindre qu’une secousse, qu’une nouvelle imprévue, par exemple... n’agisse violemment sur sa raison.

MARCEL.

Pourquoi cette question, madame ?

Il regarde Amélie et détourne vivement les yeux. Même jeu jusqu’à la fin de la scène.

AMÉLIE.

Je ne puis m’expliquer davantage... mais votre attachement pour le vieux Jacques m’est un sûr garant de l’intérêt que vous devez prendre à mes questions.

MARCEL.

Eh bien ! madame... il est vrai que l’état de mon pauvre ami exige de grands ménagements, et cela peut-il être autrement... à son âge, sans ressources... réduit à des privations continuelles.

AMÉLIE.

Comment ?

MARCEL.

Sans doute... les forces s’épuisent, les facultés s’éteignent... cette énergie qui soutient l’homme dans la misère disparaît, voyez-vous... lorsque le besoin se fait trop vivement sentir.

AMÉLIE, vivement.

Que dites-vous ?... votre ami se trouverait-il dans une position aussi affreuse ?

MARCEL.

Hélas ! madame... aujourd’hui même encore...

AMÉLIE, dans la plus grande agitation.

Il se peut !

Appelant au dehors.

Antoine. Antoine...

Antoine paraît, elle lui donne tout bas quelques ordres, il sort précipitamment.

MARCEL, à part.

Que fait-elle ?

AMÉLIE.

Rassurez-vous, monsieur, je viens de donner des ordres...

MARCEL.

C’est bien bon à vous, madame... mais j’aurais pu moi-même... car, Dieu merci... on a des ressources... on a des ressources.

AMÉLIE, avec âme.

Ah ! oui, monsieur Marcel... on ne peut pas douter de vous... de votre amitié... lorsqu’on connaît votre noble conduite envers un malheureux...

MARCEL, tout troublé.

Ma conduite !... par exemple !... ma conduite...

Il va pour la regarder, et se retourne vivement.

N’est-elle pas toute simple, toute naturelle ?

À part.

C’est-à-dire qu’il y a dans cette femme-là... de la fascination... de la magie... encore un mot, et je ne partirai pas.

AMÉLIE, à part.

Qu’a-t-il donc ? quel air embarrassé ?

MARCEL, à part.

Courons chercher mes papiers... courons chez le capitaine. courons jeter mon argent à ce misérable Bernard...

À Amélie.

Madame, daignez me pardonner... une affaire importante me force de vous quitter... daignez m’excuser...

Ici on entend la ritournelle de l’air suivant.

J’entends mon ami Jacques, je crois.

Il va écouter.

Oui, c’est bien lui... je vous laisse ensemble...

À part.

Comment l’éviter ?...

Désignant la porte à droite.

Ah ! par cette sortie.

Il sort brusquement par la droite, en saluant de côté et sans regarder.

 

 

Scène XV

 

AMÉLIE, puis JACQUES

 

AMÉLIE, seule.

Jacques vient, a-t-il dit... ah ! comme mon cœur bat !... je crains qu’à sa vue... oh ! soyons bien prudente... ménageons sa faiblesse... ma tâche est pénible à remplir... mais le ciel m’inspirera.

Air : Contrainte cruelle. (De la Lectrice.) Musique de M. Hormille.

C’est lui qui s’avance,

Cachons bien mes pleurs ;

Puisse ma présence

Calmer ses douleurs !

JACQUES, entrant.

Rien sur le rivage,

Seul, je reviens là ;

Mais prenons courage,

Elle reviendra.

Ensemble.

JACQUES.

Dieu ! vois ma souffrance,

Viens sécher mes pleurs ;

Et par sa présence

Finit mes malheurs.

AMÉLIE.

Dieu ! vois sa souffrance,

Viens sécher ses pleurs ;

Et par ma présence

Finis ses malheurs.

JACQUES, apercevant l’habit que Marcel a posé sur ce dos d’une chaise.

Ah ! voici l’habit de Marcel... cette dame ne tardera pas à venir...

Il va ôter sa redingote lorsqu’il aperçoit Amélie.

Ah ! mon Dieu ! la voilà !... et je n’ai pas eu le temps...

À Amélie.

Madame... que de pardons !... vous recevoir dans ce négligé... dans ce négligé du matin...

AMÉLIE.

C’est moi, monsieur, qui m’excuserai d’être entrée ici pendant votre absence.

JACQUES.

Comment donc... mais vous êtes chez vous... donnez-vous la peine de vous asseoir...

Il présente à Amélie une chaise à demi dépaillée, et la change aussitôt pour une meilleure.

Maintenant, si vous daignez m’instruire du motif de votre visite.

Pendant ce temps Antoine est entré ; il dispose un couvert sur la petite table du fond ; il a un panier couvert d’une serviette et en tire des provisions.

AMÉLIE.

Ce que j’ai à vous dire, monsieur, me forcera sans doute de rester longtemps près de vous.

JACQUES.

Mais... tant mieux, madame.

AMÉLIE.

Et je vous avoue que craignant de ne pas vous rencontrer plus tard, je suis sortie sans déjeuner.

JACQUES.

Il serait possible !... vous auriez oublié de déjeuner... oh ! ce n’est pas raisonnable... car cela fait mal... cela fait quelquefois bien mal. Il ne faut jamais sortir sans déjeuner... c’est mon système.

AMÉLIE.

Aussi, ai-je pris la liberté de le faire apporter ici... chez vous.

JACQUES.

En effet... je voyais là... une personne...

AMÉLIE.

J’espère que vous m’excuserez, et que vous serez assez bon pour me tenir compagnie.

JACQUES, embarrassé.

Madame !...

AMÉLIE.

Nous causerons de ce qui m’amène, en déjeunant.

ANTOINE, qui a mis le couvert.

J’ai fait le mieux que j’ai pu.

AMÉLIE.

C’est bien, approchez cette table.

JACQUES.

Je vais moi-même...

ANTOINE.

Non, monsieur... cela me regarde... laissez-moi faire.

JACQUES.

Mon Dieu, madame, je suis confus.

À part.

Et être aussi mal mis !

Il relève bien vite un de ses bas qui plissait et rattache la boucle de sa culotte au-dessus du genou, quand Amélie à la tête tournée. Antoine a placé la table sur le devant à gauche, et a mis le couvert. Cela doit se faire très vite.

ANTOINE, à Amélie.

Tout est prêt.

AMÉLIE.

C’est bien... laissez-nous... mon bon Antoine.

Antoine sort. À Jacques.

Veuillez vous asseoir.

JACQUES.

Volontiers.

Il s’asseoit à la droite d’Amélie.

C’est pour vous obéir... car j’ai déjà pris un à-compte, et je ne suis pas d’un grand appétit...

Il regarde la table avec avidité. Amélie le sert, et mange un peu pour l’enhardir.

Grand merci !...

À part.

Si ce pauvre Marcel était là... il déjeunerait aussi... avec ça qu’il adore le pâté... il n’aura pas l’esprit de deviner ça...

Il mange très vite. Amélie lui verse à boire.

Vous êtes trop bonne...

À part.

Du vin !... qu’il y a longtemps que je n’en ai goûté !

Il boit. Haut.

Du vin ! Je vous avoue qu’il n’y en a pas tous les jours sur ma table !... les affaires vont si doucement.

AMÉLIE.

Et jusqu’à ce jour, vous n’avez donc pas cherché à améliorer votre position ?

JACQUES.

Je vous demande bien pardon... mais je vais vous dire... quand je me présentais pour avoir des élèves... on m’avait adressé dans quelques maisons, on me répondait : Vous êtes trop vieux, mon brave homme. Moi je me dis : il paraît que je ne suis plus bon à rien... alors, je me suis présenté dans une maison de bienfaisance pour les vieillards... mais là, on m’a répondu : Mon brave homme, vous êtes trop jeune. Je suis d’un âge très embarrassant.

AMÉLIE.

Permettez que je vous serve encore.

JACQUES, tendant son assiette.

C’est pour ne pas vous refuser... merci bien... maintenant ; madame, puis-je savoir ce qui m’a procuré l’honneur de votre visite ?... il me serait bien doux de pouvoir vous être agréable.

AMÉLIE.

Je vais satisfaire votre curiosité.

À part.

Mon Dieu !... comment lui apprendre ?... ah ! les plus grands ménagements.

Jacques prête la plus grande attention. Haut.

Je suis tout-à-fait étrangère en ces lieux... des motifs puissants m’ont amenée en France, et il y a deux mois seulement que j’ai quitté l’Italie.

JACQUES, faisant un mouvement.

L’Italie !... vous venez d’Italie ?

AMÉLIE, avec calme.

Cela n’est-il pas fort ordinaire ?

JACQUES.

C’est vrai... pardonnez-moi... mais des souvenirs...

AMÉLIE.

Dès mon plus jeune âge, la musique fut pour moi une passion dominante. Cet art devint l’occupation de tous mes instants... pleine d’admiration pour nos grands compositeurs, je cherchai à m’inspirer de leur génie ; et pour marcher sur leurs traces, je me livrai avec ardeur à la composition.je m’entourai de maîtres distingués, et je luttai courageusement contre les obstacles... je faisais des progrès assez rapides, lorsqu’il me fallut quitter mes études, et venir en France... Ce matin, le hasard m’a conduite chez vous... quelques morceaux de musique que j’ai aperçus sur votre piano, et les éloges qu’on m’a faits de vous, m’ont donné la plus haute idée de votre mérite.

JACQUES.

C’est trop d’indulgence... et vous êtes venue sans doute pour chercher des conseils près de moi ?

AMÉLIE.

C’est-à-dire, pour prendre des leçons.

JACQUES, la considérant avec une grande attention.

Des leçons... oh ! oui... dans un autre temps, j’ai aussi donné des leçons...

Il la fixe de nouveau, puis se calme.

Ah ! qu’il me sera agréable de vous guider de mon expérience, et de mon faible talent... je ne sais pourquoi... mais votre présence me cause un bonheur que je ne puis définir... je me sens bien auprès de vous... oh ! je veux faire de vous une élève distinguée...

Rapprochant sa chaise, et avec familiarité.

Dites-moi... sans doute, vous avez déjà composé plusieurs morceaux.

AMÉLIE.

Je n’ai encore osé m’essayer que dans de simples barcaroles... j’ai fait aussi quelques romances... une surtout... et si je ne craignais d’abuser de vos instants...

JACQUES.

Comment donc... mais ce sera pour moi un bien grand plaisir, au contraire... je regrette seulement que mon piano ne soit pas meilleur.

Ils se lèvent.

AMÉLIE, s’asseyant devant le piano.

Il me faudra de l’indulgence.

JACQUES.

Je suis sûr du contraire... êtes-vous bien comme cela ?... D’ailleurs, pour ne pas vous intimider, je vais me mettre un peu loin...

Il s’asseoit près de la table, un peu loin du piano.

Je vous écoute.

AMÉLIE, à part.

Allons...

Haut.

Le sujet de la romance est tiré d’un événement... arrivé... en... Sicile.

Amélie doit suivre tous les mouvements de Jacques.

JACQUES, agité, et se levant.

En Sicile !...

Se calmant.

Ah ! c’est en Sicile que cela est arrivé.

Il se lève et va s’asseoir plus près du piano.

AMÉLIE.

Je commence.

Air : Nanna m’appelle. (Musique de M. Lagoanère.)

Fille riche aimait tendrement

Jeune homme pauvre, au cœur brûlant,

Près de Palerme.

JACQUES, étonné.

Près de Palerme !

AMÉLIE, continuant.

Ils veulent fuir... on suit leurs pas ;

On les saisit... l’amant, hélas !

On le renferme.

JACQUES, se levant tout-à-coup.

On le renferme !

AMÉLIE, continuant.

Jacques se rassied doucement.

Rassurez-vous, quoique l’orage

Gronde avec rage

À l’horizon,

On vous surveille ;

Mais l’amour veille,

Mais l’amour veille,

Sur la prison.

JACQUES, agité et fixant Amélie.

Cette romance...

AMÉLIE.

Le second couplet.

Même air.

L’amant gémissant ; mais un soir,

Près de lui dans son cachot noir,

Quelqu’un pénètre.

JACQUES, dont l’émotion augmente de plus en plus.

Quelqu’un pénètre !

Il fixe de nouveau Amélie pendant les vers suivants, et cela, dans la plus grande agitation.

AMÉLIE, continuant.

Qui lui dit : Espérez encor,

Fuyez, fuyez... prenez cet or...

Puis cette lettre.

JACQUES, avec exaltation, l’interrompant et l’empêchant d’achever l’air. Saisissant les bras d’Amélie qu’il fait lever et passer à sa droite.

Puis cette lettre !... cette lettre !...

Il tire la petite lettre de son sein.

« Pars, fuis, mon cher Jacques, je volerai sur tes traces aussitôt que je pourrai... bientôt nous nous reverrons. » Cette lettre ! tenez, la voilà... la voilà ! Cette histoire... c’est la mienne !... Le prisonnier, c’est moi !... Cette femme c’est Mariana... Vous le saviez... vous le saviez... Oh ! madame, parlez, parlez... car c’est Mariana qui vous envoie, n’est-ce pas ?... C’est elle qui vous a dit d’aller consoler le pauvre Jacques... et, sans doute, elle va venir... Oh ! dites-moi, dites-moi qu’elle viendra... Elle me l’a promis.

Lui montrant la lettre.

« Je volerai sur tes traces, aussitôt que je pourrai. » Oh ! parlez... Vous ne répondez pas... vous détournez les yeux...

D’un air consterné.

Ah ! pourquoi donc ne répondez-vous pas ?... Je tremble... voyez comme je tremble... par pitié... un mot... un seul mot... quand reviendra-t-elle ?... quand la reverrai-je ?

AMÉLIE, avec crainte.

Appelez tout votre courage.

JACQUES.

Du courage !... du courage !... mais je suis calme, j’en ai, du courage... Quand la reverrai-je ?

AMÉLIE.

Jamais ! jamais maintenant...

JACQUES.

Jamais !... ô mon Dieu !... jamais !... Elle est donc ?...

Il fixe Amélie qui essuie une larme et va lui répondre. Avec force, lui mettant la main sur la bouche.

Ah ! taisez-vous... ne me le dites pas ?...

Il est accablé et s’appuie chancelant sur le piano.

Morte ?... morte !...

Sa tête tombe sur sa poitrine. Son égarement revient tout-à-coup, il cherche autour de lui.

Oh ! qu’est-ce donc ?...

Il semble entendre quelque chose et fait signe à Amélie de se taire.

Air : Prêt à partir pour la rive africaine.

Très lentement et très bas.

Chut ! écoutez... oui, c’est un bruit de cloches,

Là-bas... là-bas... entendez-vous gémir ?

C’est un cortège... il s’avance... il approche...

Chut !... taisez-vous... quelqu’un vient de mourir.

Il croise ses mains et prie.

AMÉLIE.

Je vous en supplie, calmez-vous... Écoutez-moi.

JACQUES, revenant à lui et passant à gauche du théâtre. Avec désespoir.

Même air.

Non... laissez-moi... c’est mon heure dernière...

Mariana ne doit plus revenir.

Puisqu’ici bas il n’a plus rien à faire

Le pauvre Jacques à présent peut mourir.

Il pleure dans ses mains.

AMÉLIE, à part.

a-t-il encore la force de m’entendre ?... Sa raison résistera-t-elle à cette secousse ?

Elle s’approche de Jacques qui revient à lui.

JACQUES.

Morte !... sans avoir cherché à me revoir. Moi ! pauvre insensé, qui comptais sur ses promesses...

Il déchire la lettre en deux morceaux qu’il jette à terre.

AMÉLIE.

Ah ! ne l’accusez pas, pour vous elle eût tout abandonné...sa fortune, son rang, sa patrie... Mais après votre fuite, elle fut gardée à vue... et sa vie s’écoula dans les larmes.

JACQUES.

Elle chercha à me revoir... Vous dites vrai, n’est-ce pas ?...

Il ramasse les morceaux de la lettre et les serre dans sa poitrine.

Ah ! tant mieux... Pardon à sa mémoire !... Si elle n’est pas venue, c’est son père qui l’a retenue ! Pauvre Mariana !... Elle fut donc bien malheureuse ?

AMÉLIE.

Oh ! oui, bien malheureuse... car quelques mois après votre fuite, elle était parvenue, à force de soins et de persévérance, à gagner tous les gens du comte... Le jour de son départ était fixé... elle allait accourir près de vous... rien ne pouvait plus mettre obstacle à ses projets.

JACQUES.

Qui donc a pu l’arrêter ?

AMÉLIE.

Elle allait devenir mère.

JACQUES, fortement.

Oh ! mon Dieu !...

AMÉLIE.

Peu après, elle mit au monde une fille.

JACQUES.

Une fille !...

AMÉLIE.

Mais hélas !... elle mourut en donnant le premier baiser à son enfant.

JACQUES, les yeux fixés sur Amélie.

Et cette fille... cette fille !...

AMÉLIE.

Dès qu’elle fut en âge de connaître l’histoire de sa naissance... un fidèle serviteur lui remit une lettre que sa malheureuse mère avait tracée avant de mourir... Cette lettre lui imposait le saint devoir de partir, de passer la mer, pour retrouver l’auteur de ses jours.

JACQUES, chancelant et fixant toujours Amélie.

Où est-elle ?... où est-elle ?... Oh ! je ne me soutiens plus... par grâce... répondez... où est-elle ?... où est ma fille ?... mon enfant ?

Il se laisse aller sur une chaise.

AMÉLIE.

Mon père...

Elle tombe aux genoux de Jacques.

JACQUES, prenant dans ses mains la tête d’Amélie et la couvrant de baisers.

C’est vous... c’est toi... Oh ! oui, c’est bien toi !... Mon cœur ne me trompait donc point... ma fille !... ma fille !...

Il la presse dans ses bras.

Air précédent.

Viens donc plus près... enfant, comme tu trembles,

C’est de bonheur, n’est-ce pas ?... de plaisir ?

Il la regarde avec joie.

Si tu savais comme tu lui ressembles !

Oh ! maintenant, je ne veux plus mourir.

Il l’embrasse en riant et pleurant tout à la fois.

AMÉLIE.

Mon père !... remettez-vous... tant d’émotions.

JACQUES, relevant Amélie.

Oh ! va... ce ne sera rien... laisse-moi pleurer... maintenant, c’est la joie... c’est le bonheur !... Ma fille. mon enfant, à moi !... Comme elle est grande !... comme elle est belle !... Oh ! si c’était encore une illusion... un de ces rêves de mon imagination... Ma pauvre tête est si faible.

 Avec frayeur.

Je ne déraisonne pas ? je ne suis pas fou... n’est-ce pas ?

AMÉLIE.

Non, non... rassurez-vous, mon père... C’est bien votre enfant que vous pressez dans vos bras... votre enfant qui ne vous quittera plus, vous consolera de vos chagrins... vous fera oublier vos malheurs.

JACQUES, très lentement.

Oui. Oh ! nous parlerons d’elle...

AMÉLIE.

Et maintenant, plus de privations... plus de pauvreté... Seule héritière du comte, je suis riche... que dis-je ?... vous êtes riche, mon père.

JACQUES.

Riche !... ça se pourrait !... Eh bien ! tant mieux... pas pour moi... il me faut si peu... mais pour celui qui m’a soutenu de ses faibles moyens... qui a souffert avec moi... Bon Marcel... Ah ! ma fille, tu ne sais pas... Quelle générosité ! quelle belle âme !... un fils n’aurait pas fait plus. Comme il va être étonné !... On vient... c’est lui, sans doute.

 

 

Scène XVI

 

BERNARD, JACQUES, AMÉLIE

 

BERNARD, une lettre à la main.

Mon cher monsieur Jacques... j’accours pour vous dire...

JACQUES, avec un petit air de fierté.

Qu’il me faut quitter votre logement... C’est bon ! on le quittera, votre logement...

BERNARD.

Vous ne me comprenez pas... Je viens, au contraire, vous prévenir que vous pouvez y rester à présent, je suis payé.

JACQUES.

Vous êtes payé ?

Il regarde Amélie qui indique qu’elle ignore tout.

BERNARD.

Tenez... cette lettre que je viens de recevoir vous instruira...

JACQUES prend la lettre et lit.

« Mon cher monsieur Marcel, vous trouverez ci-joint un mandat de quatre cents francs, que vous pourrez toucher chez mon homme d’affaires. Signé GEORGET, capitaine du vaisseau le Commerce.

« Passé à l’ordre de M. Bernard qui donnera quittance des loyers dus par M. Jacques, et lui remettra le surplus de la somme. »

Cher Marcel !... toujours le même... Quelle joie de lui apprendre !... Oh ! pour le coup... c’est bien lui !

 

 

Scène XVII

 

BERNARD, JACQUES, AMÉLIE, MARCEL, en costume de marin, casquette de cuir, etc.

 

JACQUES, courant à lui et l’embrassant tendrement.

Mon ami, que je t’embrasse !

MARCEL.

Volontiers...

À part.

Elle est encore là !

JACQUES.

Ce que tu as fait... cet argent... oh ! ça ne m’étonne pas de ta part... mais c’est inutile, mon ami... Grâce à cet ange, je n’ai plus besoin de rien... tiens, regarde.

Lui montrant Amélie.

Cette belle dame, cette inconnue dont tu me parlais tant... c’est ma fille, c’est mon enfant... c’est ma fille !

MARCEL.

Que dit-il ?... Il serait possible !

BERNARD.

Sa fille !... Allons !... le voilà qui redevient fou.

AMÉLIE, serrant la main de Jacques.

Non, monsieur, il dit vrai.

BERNARD.

Sa fille !

JACQUES.

Oui sa fille... sa belle fille !

À Marcel.

Tu l’entends. Que nous allons être heureux tous les trois !

MARCEL.

Tous les trois !... ne se peut plus.

JACQUES.

Comment, ça ne se peut plus ? Eh ! mais... je n’avais pas remarqué... Marcel, qu’est-ce que c’est que ce costume-là, hein ?... Je ne vous connaissais as cette veste-là... Il y a des ancres sur boutons !... oh ! je devine... tu veux partir... Ah ! Marcel ! je n’aurais jamais cru ça de toi... partir !... Eh ! que m’importait la misère avec toi ?... Si M. Bernard m’eût chassé...

BERNARD.

Oh !vous pouvez croire.

JACQUES.

Vous vouliez bien faire vendre mon piano.

À Marcel.

Est-ce que tu n’étais pas là, toi, pour me recueillir dans ta petite chambre ?

MARCEL.

Puisque vous savez tout, laissez-moi... Plus que jamais, maintenant, il faut que je m’éloigne. Vous êtes riche, heureux, je n’ai plus rien à faire ici.

JACQUES.

Ah ! c’est parce qu’à mon tour, je puis te rendre un peu du bien que tu m’as fait, que tu veux t’éloigner, égoïste ! Ah ! tu n’as rien à faire ici... Eh bien ! quand je serai tout-à-fait vieux, moi... et que je ne pourrai plus marcher... qui est-ce donc qui me soutiendra... hein ? Est-ce qu’elle aura la force, cette chère enfant ? De ce bras

Montrant son bras gauche.

je m’appuierai bien sur elle. mais cet autre... cet autre... qui donc viendra le prendre ?... Ah ! tu n’as plus rien à faire ici !...

AMÉLIE.

Monsieur Marcel.

Marcel fait un mouvement.

nous verrons votre capitaine... vous n’échapperez pas à notre reconnaissance.

Elle lui tend la main.

Vous ne partirez pas, n’est-il pas vrai ?

MARCEL, allant prendre l’autre bras de Jacques, et serrant la main d’Amélie.

Ah ! mademoiselle... si vous l’ordonnez.

JACQUES.

Voyez-vous ça... comme il est obéissant avec elle ! Ah ! mais, c’est juste... je me rappelle.

Marcel lui remue le bras pour le faire taire.

Eh bien... c’est bon, c’est bon... non, je ne dirai rien... mais plus tard, nous en causerons... Oh ! mon Dieu ! que je suis donc heureux !

À Bernard, en tenant toujours le bras de Marcel et celui d’Amélie.

Monsieur Bernard, vous voyez... je ne puis plus vous vendre mon opéra... je pourrai le faire représenter ; car moi aussi je suis riche.

Regardant Amélie et Marcel.

Oh ! oui, bien riche !... et maintenant... oh ! maintenant... il n’y a plus de pauvre Jacques.

CHŒUR.

Air : Gentille Moscovite. (De Lestocq.)

Plus d’ennuis, d’infortune,

Après tant de douleur,

La tristesse importune

A fait place au bonheur.

JACQUES, au public.

Air de Préville et Taconnet.

Quand aujourd’hui tout comble mes souhaits,

Je crois rêver... je crois entendre dire :

Bravo !... très bien... nous sommes satisfaits !

Et de tous les côtés chacun semble sourire.

Mais... par malheur... et c’est là mon effroi,

Souvent ma tête et s’égare et s’oublie...

Suis-je en délire ?... ah ! messieurs, prouvez-moi

Que non espoir n’est point de la folie. (bis.)

Reprise du CHŒUR.

Plus d’ennuis, d’infortune,

Après, etc.

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