Le Mari anonyme (Adolphe D’ENNERY - Jean-Baptiste-Pierre LAFITTE)

Comédie-vaudeville en deux actes.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Gymnase, le 31 juillet 1847.

 

Personnages

 

LE ROI

DOM FERNAND

DOM ENRIQUE, père d’Éléna

PÉRALÈS

DOM GARCIAS

LA REINE

ÉLÉNA

 

La scène se passe en Portugal, au XVIIe siècle.

 

 

ACTE I

 

Une salle de réception. Croisée au milieu, laissant voir le paysage. Deux entrées dans l’intérieur de la maison. Deux autres portes sur les côtés. Une armoire dans la boiserie. Une table sur laquelle est une élégante corbeille de mariage.

 

 

Scène première

 

DOM ENRIQUE, ÉLÉNA, DOMESTIQUES

 

DOM ENRIQUE.

Allons, allons, enfants, du courage, de l’activité !... Jonchons les planchers de fleurs... semons des boutons de roses ; c’est ton image, mon Éléna... Jetons des feuilles de laurier : ce sera l’emblème de ton futur... si jamais il devient militaire...

ÉLÉNA.

Pensez-vous, mon père, qu’il arrive aujourd’hui ?

DOM ENRIQUE.

Je l’espère...

ÉLÉNA.

Il y a longtemps que vous l’espérez ; car voilà huit fois que vous convoquez vos amis, qui ne l’ont jamais vu, pour leur présenter mon futur.

DOM ENRIQUE.

Ce n’est ni ma faute, ni la sienne, si le Portugal, notre belle patrie, est en guerre avec les Espagnols... si don José de Péralès, mon gendre, qui habite Madrid, est forcé d’attendre une trêve pour venir s’unir à toi.

ÉLÉNA.

Mais la guerre ne semble pas prés de finir, car il n’y a pas de jour que ces maudits Espagnols ne ravagent cette contrée.

DOM ENRIQUE.

Chut !... ne disons jamais de mal de nos ennemis... Notre château étant sur la frontière des deux royaumes, nos opinions politiques doivent être comme notre château... des opinions limitrophes.

ÉLÉNA.

Mais vous avez reçu des lettres de mon cousin...

DOM ENRIQUE.

J’ai reçu mieux que cela, puisque voilà ses malles et la corbeille... la corbeille, qui nous vient du fond de l’Espagne, qui a traversé les rangs ennemis, en attendant que ton futur puisse en faire autant.

ÉLÉNA, soupirant.

Hélas !... oui, c’est vrai...

DOM ENRIQUE.

Hélas ?... comment, hélas ? Voilà toute la gaieté que t’inspirent ces charmants précurseurs du plus heureux hyménée ?...

ÉLÉNA.

Mon père... c’est que je crois que je serais bien aise de ne pas me marier...

DOM ENRIQUE.

Ne pas te marier... Tu voudrais rester fille ?...

ÉLÉNA.

Rester fille ! moi !... j’en serais désolée...

DOM ENRIQUE.

Pardon, mon enfant, je trouve quelque vague dans les discours... Entendons-nous... Tu dis que tu serais désolée de rester fille ?...

ÉLÉNA.

Sans doute...

DOM ENRIQUE.

Et tu ajoutes que tu serais bien aise de ne pas te marier... Ce sont deux dires... qui se contredisent.

ÉLÉNA.

Mais non, mon père... ça prouve tout simplement que je ne voudrais pas épouser... mon futur...

DOM ENRIQUE.

Ah !... et pourquoi donc ?...

ÉLÉNA.

Parce que je ne l’aime pas...

DOM ENRIQUE.

Tu ne l’aimes pas... lui !... un homme qui se porte si bien !...

ÉLÉNA.

Mais vous savez qu’il n’est pas spirituel du tout...

DOM ENRIQUE.

Oui... mais il est si riche !... ça le dispense de...

ÉLÉNA.

Vous croyez ?

DON ENRIQUE.

Sans compter que, s’il voulait, il irait à la cour... tandis que moi... j’ignore pourquoi l’on m’en tient éloigné... On m’a fait, je crois, la malheureuse réputation d’avoir l’esprit trop belliqueux.

ÉLÉNA, riant.

Vous, mon père ?

DOM ENRIQUE.

Aussi, maintenant, je prêche le calme, je prêche la paix, je prêche la peur... Je suis même par venu à m’en donner un peu à force de bien prêcher...

ÉLÉNA, à part.

C’est vrai.

DOM ENRIQUE.

J’ai encore bien des ordres à donner... bien des détails à surveiller : gourmander nos gens, faire prévenir le chapelain... Au revoir !... je te laisse en tête-à-tête avec la corbeille... fais-toi bien jolie...

 

 

Scène II

 

ÉLÉNA, seule

 

Il a raison... pour un jour de noce, je ne suis pas bien gaie... pas bien heureuse !... Ah ! si dom Péralès ressemblait seulement un peu à ces jeunes cavaliers si fiers, si brillants, qui traversent chaque jour ce pays !... Mais chassons ces idées, et essayons du conseil de mon père.

Elle ouvre la corbeille, se pare et se regarde dans la glace.

 

 

Scène III

 

ÉLÉNA, DOM GARCIAS

 

Dom Garcias est entré sans qu’Éléna l’ait aperçu.

DOM GARCIAS, à Éléna.

Mademoiselle...

ÉLÉNA, se retournant.

Quelqu’un !...

Elle salue.

Un de nos invités, sans doute...

DOM GARCIAS.

C’est à la fille du seigneur Enrique que j’ai l’honneur de parler ?...

ÉLÉNA.

Vous le voyez, monsieur, j’allais me parer en attendant mon prétendu.

DOM GARCIAS.

Ah ! c’est un mariage qu’on va célébrer ici ?...

ÉLÉNA.

Mais ne veniez-vous pas pour y assister ?

DOM GARCIAS.

Non, señora, non... Je n’ai pas l’honneur de faire partie des invités. Officier de l’armée royale, je suis appelé ici par le devoir. Cet ordre, signé de la main même du roi, vous dira ma mission.

ÉLÉNA, lisant.

« De par le roi, ordre à tout fidèle Portugais de prêter appui et main-forte an seigneur dom Garcias, chargé d’arrêter et de faire exécuter... »

DOM GARCIAS.

Sur l’heure !... Lisez, lisez !...

ÉLÉNA, continuant.

« Les rebelles qui, hier, ont attenté à notre royale personne... » Un attentat à la vie de notre bien-aimé roi !...

DOM GARCIAS.

Sinon à sa vie, du moins à sa liberté.

ÉLÉNA.

Mais ce complot a été déjoué ?...

DOM GARCIAS,

Grâce à un avis secret qu’on a fait parvenir au roi... Par cet avis, on prévenait Sa Majesté que cinq conspirateurs, voulant mettre fin à la guerre, avaient résolu de pénétrer dans le camp de l’armée royale et d’enlever le roi...

ÉLÉNA, avec étonnement.

Enlever le roi !...

DOM GARCIAS, souriant.

On enlève aussi les rois, mademoiselle... Cette nuit, cinq hommes masqués allaient franchir les limites du camp, un cri d’alarme imprudemment jeté par une sentinelle les avertit qu’on veillait... Ils prirent la fuite en se dirigeant du côté de l’Espagne... Je reçus l’ordre de les poursuivre, et je suis sur leurs traces.

ÉLÉNA.

Et s’ils sont atteints ?...

DOM GARCIAS.

Pendus !...

ÉLÉNA, à part.

Oh ! mon Dieu !...

DOM GARCIAS.

La fatigue nous accable... Vous êtes trop bonne Portugaise, j’en suis certain, pour refuser à mes soldats une hospitalité de quelques heures.

ÉLÉNA.

Oh ! monsieur l’officier, disposez de ce château. Tout ce qu’il renferme appartient à notre bon roi.

Dom Garcias salue et sort.

 

 

Scène IV

 

ÉLÉNA, DOM ENRIQUE

 

DOM ENRIQUE, qui a vu dom Garcias s’éloigner.

Hein ?... Quoi ?... Qu’est-ce que c’est que ça ?...

ÉLÉNA, lui faisant signe de se taire.

Parlez plus bas, mon père !... C’est un officier, un officier de l’armée portugaise qui demande l’hospitalité.

DOM ENRIQUE, de mauvaise humeur.

Je passe ma vie à donner l’hospitalité à l’Espagne et au Portugal... Mais ce château n’est pas un château, c’est une auberge !... ton père n’est pas un père, ma fille, c’est un aubergiste !...

ÉLÉNA.

Un jour comme celui-ci, quelques invités de plus ou de moins...

DOM ENRIQUE.

Il n’est donc pas seul ?...

ÉLÉNA.

Il a une escorte.

DOM ENRIQUE, s’emportant.

Qu’on le mette dehors !...

ÉLÉNA.

Mais son escorte ?...

DOM ENRIQUE, de même.

Son escorte l’escortera... dehors !... c’est son devoir...

ÉLÉNA.

Mais ils sont nombreux !...

DOM ENRIQUE, se calmant.

Ah ! ils sont nombreux ?...

ÉLÉNA.

Bien armés !...

DOM ENRIQUE, de même.

Ah ! ils sont bien armés ?... Alors ce sont des amis... Ils nous défendront contre les autres... nos autres amis... moins nombreux... Ce sont des Espagnols, m’as-tu dit ?

ÉLÉNA.

Du tout... des Portugais... de bons Portugais...

DOM ENRIQUE.

C’est ce que je voulais dire... des amis... Il est aimable cet officier ?...

ÉLÉNA.

Du tout... il ne parle que de pendre les ennemis du Portugal.

DOM ENRIQUE.

Diable !...

Criant.

Vive le Portugal !...

ÉLÉNA.

Chut !... attendez du moins que le Portugal soit victorieux.

DOM ENRIQUE.

Tu as peut-être raison, ma fille ; ne précipitons rien.

On entend un grand tumulte au dehors.

ÉLÉNA.

Quel est ce bruit ?

DOM ENRIQUE.

Ah ! mon Dieu !... serait-ce déjà l’Espagne qui vient se venger de moi ?... Un instant... Vive l’Esp...

On entend un coup de fusil.

Le canon !... c’est le canon, ma fille ?

Il se met à trembler.

ÉLÉNA, à la fenêtre.

Non, mon père, non !... c’est un pauvre jeune homme qui fuit... Ils sont plusieurs à sa pour suite.

DOM ENRIQUE, sans quitter sa place sur l’avant scène.

Plusieurs contre un ?... Ma fille, ce jeune homme a tort... Ne reste pas là ; n’épousons pas le parti de l’injustice.

ÉLÉNA.

Mon père ! mon père !... ils vont l’atteindre !... Imprudent ! il tourne la tête par ici ; il s’arrête au lieu de se hâter...

Elle fait des signes inquiets au dehors.

Sauvez-vous ! sauvez-vous donc, monsieur !

DOM ENRIQUE.

Éléna ! Ô ciel ! que fais-tu ?... tu vas compromettre mes jours... non, tes... nos jours... Attends, je vais fermer.

Il fait retirer Éléna et ferme vivement la croisée où elle se tenait.-Alors, à la croisée qui est vis-à-vis de celle-ci, paraît Fernand. Il se trouve face à face avec dom Enrique, qui reste pétrifié.

 

 

Scène V

 

ÉLÉNA, DOM ENRIQUE, FERNAND

 

DOM FERNAND, encore debout près de la croisée.

Je ne vous dérange pas ?

DOM ENRIQUE, tremblant.

Mais... mais il me semble que si... Vous entrez donc sans vous faire annoncer, monsieur ?

FERNAND.

Pardon... c’est que je n’ai pas trouvé de domestiques à la porte.

DOM ENRIQUE.

Je crois bien... quand on entre par la fenêtre.

FERNAND.

Je n’avais pas le choix des moyens... Mais si ma visite est trop indiscrète, et pour peu que vous y teniez, je vais me retirer.

ÉLÉNA, vivement.

Mon père ! mon père ! ne le laissez pas partir... Un proscrit, peut-être !

FERNAND, se retournant.

C’est vous, mademoiselle, qui éliez à cette croisée ?

Il s’avance vers Éléna.

Oui, je vous reconnais, et je vous remercie.

À dom Enrique.

Je vous remercie aussi, monsieur, d’un accueil si gracieux.

DOM ENRIQUE.

Comment ! un accueil ?... Mais je ne vous accueille pas du tout, monsieur !

FERNAND.

N’importe, je ne vous en suis pas moins reconnaissant.

DOM ENRIQUE, s’emportant.

Ah ! mais...

FERNAND.

Seulement, comme lorsqu’on reçoit quelqu’un chez soi, il faut savoir... à peu près, à qui on a affaire.

Lui offrant un siège.

Prenez donc la peine...

DOM ENRIQUE.

Comment, monsieur... c’est inutile...

DOM FERNAND.

Je vous en prie... sans quoi, moi-même, je ne saurais... et j’ai grand besoin...

Il s’assied.

DOM ENRIQUE.

Mais, enfin, qui êtes-vous ?

Il se retourne, et voyant Fernand assis, il s’assied aussi avec mécontentement.

FERNAND.

Je vous dirai que je suis aussi gai compagnon que vous pouvez l’être... aussi bon gentilhomme qu’il y en ait en Portugal, et aussi mauvaise tête qu’il puisse s’en rencontrer sur les terres du gracieux Jean de Bragance... que le diable puisse emporter !

DOM ENRIQUE.

Monsieur, monsieur ! vous donnez à cet illustre prince une monture...

FERNAND.

Que j’aurais bien voulu avoir pour moi-même, il n’y a qu’un instant. Figurez-vous, seigneur châtelain...

DOM ENRIQUE, impatient.

Mais tout ceci ne nous dit pas...

FERNAND.

M’y voici, monsieur... Je suis de ceux qui font courageusement de l’opposition à S. M. Jean de Bragance depuis le jour où il est remonté sur le trône de ses ancêtres, comme disent messieurs les poètes de la cour... Je me crois aussi bon Portugais que qui que ce soit ; mais vous savez que les opinions politiques peuvent avoir deux faces.

DOM ENRIQUE.

Elles peuvent même en avoir trois.

FERNAND.

Ça dépend de la manière de s’en servir... Or, nous étions cinq ; jeunes tous les cinq ; braves tous les cinq, et assez jolis hommes...

DOM ENRIQUE.

Tous les cinq...

FERNAND.

Tous les cinq !... Ennuyés de cette guerre qui ne finissait pas, nous avions résolu, mes amis et moi, une charmante expédition pleine d’originalité et d’imprévu, et dont vous auriez voulu être, si je vous l’avais proposée.

DOM ENRIQUE.

Je ne le crois pas, monsieur.

FERNAND.

Permettez-moi de penser le contraire !... Mais notre beau projet a échoué... Trahis, découverts, séparés les uns des autres, on nous a poursuivis, et, pour ma part, je l’étais avec une vigueur, un acharnement qui dépassaient de beaucoup mon attachement pour la vie... Aussi, fatigué de la course, ennuyé de fuir devant quelques soldats, j’étais décidé à me livrer... Je ralentissais déjà le pas et je prêtais l’oreille aux coups d’arquebuse qu’on allait me tirer... j’attendais, insouciant et calme, comme un homme qui ne laisse, après lui, ni famille, ni amis, qui ne sera pleuré ni par une sœur, ni par une mère, lorsqu’en levant les yeux j’aperçus, à cette fenêtre, la plus délicieuse tête de jeune fille ! un regard charmant ou se peignait l’intérêt le plus tendre, des traits divins où se montraient, à la fois, la terreur et la sollicitude, une bouche adorable qui me criait :

Se levant.

« Sauvez-vous, monsieur, par pitié, sauvez-vous !... » Comprenez-vous toute ma surprise ?...

Dom Enrique se lève.

Quelqu’un s’intéressait à moi... quelqu’un me suppliait de vivre... me le demandait... avec des larmes !... Je ne sais quelle douce émotion s’est alors glissée dans mon âme, quel pouvoir surhumain est venu réveiller à la fois toutes mes belles illusions ; mais il m’a semblé que je n’avais pas le droit de mourir...

Air : Céline.

En vous voyant tout attendrie,
Surtout en voyant votre effroi,
Tout ce qui fait aimer la vie
Soudain a paru devant moi.
J’allais me livrer ; je m’arrête :
Votre regard est obéi...
Ce qui nous fait perdre la tête
A sauvé la mienne aujourd’hui.

Oui, j’ai voulu vivre, parce que vous le demandiez, mademoiselle...

ÉLÉNA.

Moi !... Comment... monsieur... c’est pour cela...

DOM ENRIQUE.

Ah bah !... il faut qu’on vous demande ces choses-là ?...

FERNAND.

Félicitez-vous, mon cher hôte ! car si vous me sauvez, c’est à mademoiselle que vous devrez cela !...

DOM ENRIQUE.

Que je me félicite !... mais je trouve que c’est plutôt à vous de vous... qu’à moi, de me...

On entend du bruit sous les fenêtres.

ÉLÉNA.

Ah !...

Elle va à la croisée.

DOM ENRIQUE.

Qu’est-ce encore ?

ÉLÉNA, à la fenêtre.

Ô mon Dieu ! on vient de ce côté !... ce sont les gens qui vous poursuivaient !

FERNAND, froidement.

Vous croyez ?...

DOM ENRIQUE.

Chut !...

ÉLÉNA.

Ils regardent par ici !... il est perdu... mon père, il est perdu !

FERNAND.

Bah ! après tout, que m’importe ?...

ÉLÉNA.

Fi, monsieur !... c’est mal de parler ainsi...

DOM ENRIQUE.

C’est vrai... je veux bien y mettre un peu du mien et lâcher de vous sauver... mais que diable, monsieur, mettez-y donc aussi du votre !...

ÉLÉNA.

Ils approchent, mon père ; si nous cachions monsieur...

DOM ENRIQUE.

Une idée !... dans cette vaste armoire !...

ÉLÉNA.

Il y étouffera, mon père !...

FERNAND, avec calme.

J’y étoufferai, monsieur.

DOM ENRIQUE.

Une autre idée !... Cet habit le fera reconnaître ; mais en prenant un de ceux de mon gendre...

ÉLÉNA, tirant un des habits de la malle.

Oui, vous avez raison, mon père...

DOM ENRIQUE.

Ôtez donc votre pourpoint !...

FERNAND.

Allons, je vous obéis...

VOIX, au dehors.

De par le roi, ouvrez !...

DOM ENRIQUE.

Ciel !... endosser... endossez donc vite...

Il lui met l’habit et s’agite dans le plus grand trouble.

Mais laissez-vous donc faire, au moins !...

FERNAND.

Pardon, vous me mettez les deux bras dans la même manche ! ça serait trop gênant...

DOM ENRIQUE.

Là, à merveille !... vous êtes un des invités !...

DOM FERNAND.

Que cela ?...

Regardant Éléna.

J’aimerais mieux... autre chose.

VOIX, au dehors.

Ouvrez ! ouvrez donc !...

DOM ENRIQUE.

Les gants blancs sont dans la poche ; donnez-vous un air de fête... tenez, comme moi !...

FERNAND, le regardant trembler.

Non, permettez ; si je devais avoir cet air-là... Eh bien ! vrai, j’aimerais mieux me laisser pendre...

DOM ENRIQUE, avec colère.

Ah ! monsieur !...

VOIX, en dehors.

Ouvrez, de par le roi !

DOM ENRIQUE, tremblant.

Voilà, voilà, messieurs !...

Il ouvre.

 

 

Scène VI

 

ÉLÉNA, DOM ENRIQUE, FERNAND, DOM GARCIAS, OFFICIERS, SOLDATS

 

DOM GARCIAS, avec sévérité.

Vous avez bien tardé, monsieur !... Je croyais qu’en se présentant au nom du roi, on était toujours bien accueilli chez vous, monsieur le comte ?

ÉLÉNA.

Vous ne vous trompiez pas, seigneur officier, et quand vous êtes venu tout à l’heure, vous avez vu avec quel respect...

DOM ENRIQUE, imitant l’air gracieux de sa fille.

Vous avez vu avec quel respect...

ÉLÉNA.

Vous avez été reçu par moi.

DOM ENRIQUE, de même.

Vous avez été reçu par moi... c’est-à-dire non, par elle... Je n’étais pas là... mais c’est égal, je vous ai bien reçu... d’intention...

DOM GARCIAS, l’interrompant.

Un devoir sévère m’amène, dom Enrique... Un homme fuyait tout à l’heure sous les croisées de votre château.

DOM ENRIQUE, tremblant.

Je ne l’ai pas vu...j’ai la vue très basse !

FERNAND, bas, à dom Enrique.

Dites donc, je le reconnais ce monsieur... Je l’ai vu... c’est celui qui m’a tiré mon dernier coup d’arquebuse... Il n’est pas adroit !...

DOM ENRIQUE, bas.

Chut, donc !

DOM GARCIAS, apercevant Fernand.

Quel est ce gentilhomme ?...

DOM ENRIQUE, tremblant.

Ce gentilhomme...

FERNAND.

Moi, monsieur ?...

DOM GARCIAS.

Oui, vous, monsieur... Votre nom ?...

FERNAND, à part.

Diable !... nous ne sommes pas convenus de mon nom.

DOM GARCIAS.

Eh bien ?...

ÉLÉNA, à part.

Que va-t-il dire ?...

FERNAND.

Ma foi, monsieur, puisque, d’un côté, vous paraissez fort désireux de le savoir... et que, de l’autre, je ne tiens pas beaucoup à le cacher...

ÉLÉNA, saisissant une idée.

Ah !...

Elle va à la table.

FERNAND.

Je vous dirai que je suis...

ÉLÉNA, prenant un bouquet de marié sur la table, le lui présente.

Si vous aviez gardé votre bouquet, monsieur... le seigneur officier ne vous ferait pas cette question...

FERNAND.

Mon bouquet ?

DOM ENRIQUE.

Hein !... comment ?...

DOM GARCIAS.

Son bouquet... Ah ! bon, bon !...

FERNAND.

Mon bouquet ?... Ah ! bon, bon !...

DOM GARCIAS.

Je comprends...

FERNAND, à dom Enrique.

Monsieur comprend !

DOM ENRIQUE, bas.

Mais taisez-vous donc !...

DOM GARCIAS.

Ainsi, voilà le futur qu’on attendait ici...

ÉLÉNA.

Justement...

FERNAND, à part.

Et qui ne s’attendait guère à y venir.

DOM GARCIAS, à Fernand, en lui prenant la main.

Recevez mes compliments, monsieur...

FERNAND.

Merci !... Ils me flattent d’autant plus qu’ils me viennent de vous, capitaine...

DOM GARCIAS.

Mais notre mission n’est pas encore achevée... nous tenons quatre des coupables...

FERNAND, lui serrant la main, à part.

Quatre !... Pauvres diables !...

Haut.

Et vous avez peut-être le cinquième... sous la main.

DOM GARCIAS.

Je l’espère... Et nous allons, seigneur dom Enrique, voir si, à votre insu, il ne se serait pas glissé dans la maison. Il ne doit pas être loin, car je crois que je l’ai blessé.

Il remonte pour sortir.

ÉLÉNA.

Blessé !... Ô mon Dieu !...

FERNAND, bas, à Éléna.

Non ! non ! rassurez-vous... il n’est pas adroit, le capitaine !...

Haut.

Parbleu, capitaine, je ne serais pas fâché de me trouver face à face avec lui.

Rappelant dom Garcias.

Quand vous l’arrêterez, obligez-moi de me prévenir ; je vous jure que si on le pend, je serai là...

DOM GARCIAS, aux soldats.

Suivez-moi, messieurs !...

Ils sortent.

 

 

Scène VII

 

ÉLÉNA, DOM ENRIQUE, FERNAND

 

DOM ENRIQUE.

Vous osez rire !... Mais je voudrais savoir où vous avez la tête ?

FERNAND.

Moi, je voudrais savoir où je l’aurai demain.

ÉLÉNA.

Voyons, ne perdons plus de temps... tandis qu’ils sont occupés... fuyez...

FERNAND.

Fuir... encore !...

ÉLÉNA.

Mais il le faut, monsieur !... je vous en conjure...

FERNAND.

Si vous saviez quelle vilaine figure fait un gentilhomme qui s’enfuit !...

DOM ENRIQUE.

Aimez-vous mieux la figure que fait un gentilhomme que l’on pend ?

FERNAND, cherchant.

Ma foi !... non. Décidément, je pars... Adieu, mon hôte ; adieu, ma charmante fiancée d’un instant... adieu, vous dont le sourire vient de me rattacher à la vie !...

Détachant le bouquet de marié qu’il porte à son côté, et le présentant à Éléna.

Air de Couder.

Ce talisman prévint les coups
Du malheur qui devait m’attendre,
Un instant je le tins de vous,
Il est cruel de vous le rendre !...
Pourtant, reprenez cette fleur,
Ce don précieux que j’envie,
Car aujourd’hui, si je lui dois la vie,
Un autre en attend le bonheur !

ÉLÉNA.

Adieu, monsieur.

Fernand se présente à la porte qu’il ouvre.

UNE SENTINELLE.

On ne passe pas !

La porte se referme.

FERNAND, à dom Enrique, avec calme.

Dites donc... on ne passe pas !...

DOM ENRIQUE.

Mais cette fenêtre... par laquelle vous êtes venu...

FERNAND.

C’est juste, il nous reste la fenêtre !

Il passe la jambe.

UNE SENTINELLE, en bas.

Qui vive ?...

ÉLÉNA.

Ô ciel !...

FERNAND, tranquillement.

Qui vive ?... on ne passe pas !... Vous voyez, beau-père, que j’ai mis toute la bonne volonté possible !... Vous n’avez pas de reproches à me faire.

DOM ENRIQUE.

Comment, vous allez ?...

FERNAND.

Je vais me dénoncer !...

Appelant à la porte à gauche.

Appelez le capitaine !

ÉLÉNA.

Vous dénoncer !... mais défendez-le-lui donc, mon père !

DOM ENRIQUE.

Ma foi, j’ai fait tout ce que je pouvais.

Les soldats sortent, dom Garcias descend en scène.

 

 

Scène VIII

 

ÉLÉNA, DOM ENRIQUE, FERNAND, DOM GARCIAS

 

FERNAND.

Capitaine, je désirerais vous dire quelques mots.

Fernand parle bas à Éléna pendant ce qui suit.

DOM GARCIAS, à Fernand.

Dans un instant, je suis à vous.

S’approchant de dom Enrique.

Monsieur !...

DOM ENRIQUE, à part.

Je tremble !...

DOM GARCIAS.

Je vous félicite de ce qu’on n’a trouvé personne chez vous...

DOM ENRIQUE.

Oh ! j’étais bien tranquille !...

DOM GARCIAS.

Car, ainsi que l’annonce une proclamation que je fais répandre dans tout le pays, quiconque aura donné asile à celui que nous poursuivons subira la même peine que lui.

DOM ENRIQUE, avec effroi.

La même peine !...

DOM GRACIAS, bas.

Pendu !...

Haut, allant à la table, à gauche.

Monsieur le futur voulait me parler tout à l’heure...

S’asseyant et examinant quelques papiers.

Je suis à vous...

FERNAND.

Ma foi, mon cher monsieur, je voulais vous dire...

DOM ENRIQUE, s’élançant entre eux.

Rien... absolument rien...

Bas, à Fernand.

Jeune homme, au nom de ce que j’ai de plus cher ! je vous défends de parler...

FERNAND, bas.

Mais cependant, monsieur...

DOM ENRIQUE, bas.

Pendu, malheureux !... Songez donc que je ser... que vous seriez pendu !...

FERNAND.

Bah ! ça m’est égal.

DOM ENRIQUE.

Mais ça ne me l’est pas à moi.

FERNAND, serrant la main de dom Enrique.

Merci de ce tendre intérêt !

DOM GARCIAS.

Mais monsieur me disait tout à l’heure...

DOM ENRIQUE, vivement.

Que, sans votre mission, nous... nous aurions été heureux de vous inviter à la noce !

DOM GARCIAS, se levant.

Vous m’auriez invité ?...

DOM ENRIQUE.

Sans votre mission, avec le plus grand plaisir... mais votre mission...

DOM GARCIAS.

Qu’à cela ne tienne !... Mes soldats poursuivent le dernier fugitif. J’ai deux heures encore à vous donner avant de remonter à cheval. Et je reste !

DOM ENRIQUE.

Hein ?...

FERNAND, bas, à dom Enrique.

Bon !... ça vous apprendra à faire des invitations.

DOM GARCIAS, se plaçant entre Fernand et Éléna.

Il ne faut pas demander s’il s’agit ici d’un mariage d’inclination...

FERNAND.

Non, il ne faut pas le demander !

DOM GARCIAS.

Je parie qu’ils se sont aimés tout de suite ?

FERNAND.

De mon côté, au moins, il y a eu quelque chose d’à peu près pareil.

DOM GARCIAS, se tournant vers Éléna.

Et de ce côté-ci ?... Vous baissez les yeux, jeune fille... c’est une réponse aussi.

FERNAND.

Le fait est que si mademoiselle m’aimait un peu, il faudrait que cela fût venu tout d’un coup.

ÉLÉNA, entendant une ritournelle.

Voici nos invités !...

DOM ENRIQUE.

Il rit, il plaisante...

Bas.

Vous pouvez plaisanter, monsieur, c’est affreux !

ÉLÉNA, avec effroi.

Mon père, voilà nos parents, nos amis...

DOM ENRIQUE, à Fernand.

Déjà !... que faire ? Que devenir ?... Mais nous sommes perdus, monsieur !...

DOM GARCIAS, qui l’observe.

Qu’avez-vous donc, seigneur comte ?... Vous êtes bien ému, bien tremblant...

DOM ENRIQUE.

Moi ?... Oui, j’ai le frisson... c’est la chaleur !

DOM GARCIAS, à part.

Voilà qui est étrange !

DOM ENRIQUE, bas, à Fernand.

Mais parlez donc !... aidez-moi, monsieur !...

FERNAND.

Je le veux bien... je vais me dénoncer, beau-père...

DOM ENRIQUE, bas.

Du tout, je vous le défends !... D’ailleurs, j’ai encore de l’espoir... personne ne connait le futur !

FERNAND.

C’est fort heureux !...

 

 

Scène IX

 

ÉLÉNA, DOM ENRIQUE, FERNAND, DOM GARCIAS, TOUS LES INVITÉS

 

CHŒUR.

Air de Christophe Colomb.

Fêtons ce mariage
Par nos chants joyeux,
Le ciel, comme un présage,
Accepte nos vœux.
Que l’hymen vous couronne
De ses jours les plus doux,
Et que l’amour vous donne
Le bonheur des époux !

DOM GARCIAS, d’un air soupçonneux.

Allons, seigneur dom Enrique, présentez donc votre gendre à vos amis.

TOUS.

Son gendre !...

DOM GARCIAS.

Oui, messieurs, oui, mesdames ; voilà ce futur dont vous chantez l’arrivée.

Il présente Fernand.

DOM ENRIQUE, troublé.

Oui... c’est... le futur...

FERNAND, bas.

Décidément, beau-père, nous prenons donc la chose au sérieux ?... Vous m’accordez la main de ma femme ?...

DOM ENRIQUE.

À vous ! un proscrit !... Jamais !...

FERNAND.

Vous voyez bien, alors, que je n’ai plus qu’à me dénoncer...

DOM ENRIQUE.

Du tout !... Mais si vous vous livrez, monsieur...

FERNAND.

Parbleu ! je serai pendu...

DOM ENRIQUE.

Eh ! s’il n’y avait que cela...

FERNAND.

Plaît-il ?...

DOM ENRIQUE.

Mais je le serais aussi, moi, monsieur !...

FERNAND, riant.

Vous !... Je comprends alors...

DOM ENRIQUE, avec force.

Ah !... j’ai une idée !...

FERNAND.

Vraiment !

À part.

Alors elle doit être bonne, car cela me paraît assez rare.

DOM ENRIQUE.

Je vais écrire au chapelain qu’il se mette au lit avec une forte indigestion... à mes frais... Nous n’aurons pas de chapelain !...

UN DOMESTIQUE, entrant.

M. le chapelain attend les fiancés à l’autel !...

DOM ENRIQUE, accablé.

Ah ! grand Dieu !...

ÉLÉNA.

Qu’avez-vous, mon père ?...

DOM ENRIQUE.

C’est mon moyen qui croule !

DOM GARCIAS.

Allons, rendons-nous à la chapelle !

DOM ENRIQUE.

À la... oui, oui... à la chapelle !...

FERNAND.

À la chapelle !

CHŒUR.

Air de Mademoiselle de Bois-Robert.

Ô suprême instant !
On nous attend
À la chapelle...
L’hymen vous appelle
Pour vous unir
Et vous bénir.

ÉLÉNA.

Mais, mon père...

DOM ENRIQUE, bas.

Le ciel m’enverra peut-être une autre idée en route !...

Tout le monde sort. On entend le chœur qui se continue au loin pendant quelques instants.

 

 

Scène X

 

DOM PÉRALÈS, puis GARCIAS

 

Péralès entre par le fond ; il écoute le chant qui s’éloigne.

PÉRALÈS.

Enfin, me voilà arrivé ! dire qu’en deux jours j’ai fait trente-cinq lieues à cheval !...

Il s’assied et se relève vivement ; avec intention.

Trente-cinq lieues à cheval !... Je crois que l’on m’attend avec quelque impatience !... Personne pour me recevoir... n’importe, profitons-en pour quitter ce costume de voyage... Mes malles m’ont pré cédé... justement, les voilà !...

Il fouille dans une malle, après avoir ôté son habit.

Ai-je eu de la peine à parvenir jusqu’ici... partout des soldats, des capitaines des deux camps, auxquels il fallait décliner mes noms, prénoms et qualités... Qui êtes-vous ? d’où venez-vous ? où allez-vous ? Dieu merci, c’est fini, me voilà arrivé... et j’ai le droit de ne plus répondre...

Tirant de l’une des malles l’habit de dom Fernand.

Qu’est-ce c’est que cet habit-là ?...

DOM GARCIAS, entrant.

On les marie... Je suis sûr maintenant qu’on ne m’a pas trompé...

PÉRALÈS.

Quel diable d’habit de noce m’a-t-on fourré là ?...

DOM GARCIAS.

Quel est cet homme ?... on dirait qu’il cherche à se déguiser !... Si c’était...

PÉRALÈS.

Je ne vois ni le bouquet, ni les gants... Dans les poches, peut-être...

Il rouille et en tire un masque.

DOM GARCIAS.

Hé ! l’ami, vous avez là une singulière occupation...

PÉRALÈS.

Bonjour, l’ami ; faites-moi le plaisir d’appeler le maître de ce château...

DOM GARCIAS.

Faites-moi le plaisir, d’abord, de me dire qui vous êtes ?...

PÉRALÈS.

Qui je suis ? nous allons recommencer... Ah ! non, non, non, pas jusqu’ici... J’en ai assez... mon cher, je...

Se troublant devant le regard sévère de dom Garcias.

Je... vou... drais... je...

DOM GARCIAS.

Qui êtes-vous ? d’où venez-vous ?

PÉRALÈS.

Et, ou allez-vous ?... toujours la même formule...

DOM GARCIAS.

De par le roi, répondez !... Et, d’abord, pour quoi vous trouvé-je habit bas ?

PÉRALÈS.

Pourquoi ?... mais, dame !... je changeais de costume...

DOM GARCIAS.

Vous en convenez... vous vouliez vous débarrasser de cet habit que je reconnais...

PÉRALÈS.

Cet habit... du tout... ce n’est pas le mien...

DOM GARCIAS.

Et ce masque ?

À part.

Plus de doute, c’est mon homme !...

Haut.

Ce masque ne vous appartient pas non plus, sans doute ?...

PÉRALÈS.

Ce masque ; ma foi non !...

DOM GARCIAS.

C’en est assez, monsieur !... préparez-vous à me suivre.

PÉRALÈS.

Vous suivre... mais du tout ; mes jambes et ma volonté s’y refusent...

Il va pour s’asseoir et se relève tout d’un coup.

Trente-cinq lieues !... Et pour en finir, ou plutôt pour continuer le métier que je fais depuis trois jours, je vous dirai que je me nomme dom José de Péralès...

DOM GARCIAS, avec ironie.

Vraiment !...

PÉRALÈS.

Que je suis parti de l’autre côté de la frontière et que je viens ici...

DOM GARCIAS.

Pour épouser la fille de dom Enrique !... Comment donc ! voilà qui ne souffre aucune réplique... et je vous en fais mon sincère compliment...

PÉRALÈS.

Merci ! couvrez-vous donc, je vous prie...

DOM GARCIAS.

Vous êtes plein d’imagination et d’esprit, monsieur...

PÉRALÈS.

On me l’a dit quelquefois.

Un officier entre, suivi de deux soldats.

L’OFFICIER.

Capitaine, le mariage est accompli !...

PÉRALĖS.

Le mariage ?...

DOM GARCIAS, changeant de ton.

Oui, monsieur, le mariage de mademoiselle Éléna, la fille de dom Enrique...

PÉRALÈS.

Ah bah !

DOM GARCIAS.

Avec le seigneur dom José de Péralès...

PÉRALÈS.

Et vous dites que l’hyménée est accompli ?...

DOM GARCIAS.

On vient de bénir les deux époux...

PÉRALÈS.

Les deux époux... Je suis confondu !

DOM GARCIAS.

Ah ! vous en convenez !... vous êtes confondu !... Il est confondu, messieurs !...

Aux soldats.

Emparez-vous de lui...

PÉRALÈS.

De moi !... Mais du tout... je demande à m’expliquer... il y a erreur !...

DOM GARCIAS.

Suivez-nous.

PÉRALÈS.

Mais je vous dis qu’il y a erreur.

DOM GARCIAS.

Emmenez-le, c’est notre homme.

PÉRALÈS, sortant, entraîné par les soldats.

Mais, monsieur, on épouse ma femme !

Il sort avec les soldats par une porte, tandis que la noce entre par l’autre.

 

 

Scène XI

 

TOUT LE MONDE, excepté PÉRALÈS

 

CHŒUR.

Air de Christophe Colomb.

Fêtons ce mariage
Par nos chants joyeux !
Le ciel, comme un présage,
Accepte nos vœux.
Que l’hymen vous couronne
De ses jours les plus doux
Et que l’amour vous donne
Le bonheur des époux !

DOM ENRIQUE.

Il n’y a plus à s’en dédire. Le ciel ne m’a rien envoyé du tout !...

FERNAND.

Je suis marié !... marié dans toutes les formes !

DOM GARCIAS.

Recevez mes compliments, monsieur, et faites moi les vôtres, car ma mission est heureusement achevée...

FERNAND.

Comment ?

DOM GARCIAS.

Je tiens mon cinquième fugitif.

FERNAND.

Vous... le tenez ?...

ÉLÉNA.

Que dit-il ?

DOM ENRIQUE.

Le... le... cinquième...

DOM GARCIAS, à Fernand, bas.

Afin de nous tromper, l’audacieux prenait votre nom.

FERNAND.

Mon nom...

DOM ENRIQUE, qui a remonté la scène avec Éléna, accablé.

C’est Péralès...

DOM GARCIAS, à Fernand.

Tout à l’heure je vais le confronter avec vous... ce sera assez piquant...

FERNAND.

On ne peut plus piquant. Seulement, capitaine, est-ce que nous ne pourrions pas la remettre... à demain matin... cette petite... confrontation ?

DOM GARCIAS.

À demain !... pourquoi donc ?...

FERNAND.

J’avoue que cela m’allait mieux... J’aurais tranquillement passé, près de ma jolie femme, la journée, la soirée... et le reste !... et demain, après la confrontation, qui ne peut manquer de tout éclaircir, on aurait pendu le scélérat... j’aurais mieux aimé ça.

DOM GARCIAS.

Non ; je préfère en finir tout de suite.

FERNAND.

Allons ! comme il vous plaira, capitaine.

Dom Garcias sort.

ÉLÉNA et DOM ENRIQUE.

Eh bien ?...

FERNAND.

Eh bien ! c’est arrangé... il va me confronter avec le...

DOM ENRIQUE, bas.

Mais il faut fuir, malheureux !

FERNAND.

Du tout ! je suis curieux de voir comment ça va tourner.

DOM ENRIQUE.

Comment ! vous êtes curieux...

FERNAND.

Oui !... je veux faire connaissance avec mon homonyme... Je reste !...

ÉLÉNA.

Oh ! non ! non ! vous partirez, monsieur !...

FERNAND.

Comment ?...

ÉLÉNA.

Vous n’aviez à vous conserver, disiez-vous ce malin, ni pour une sœur, ni pour une mère...

Baissant les yeux.

mais... maintenant...

FERNAND.

Ô ciel ! vous ai-je bien comprise ? Ah ! vous venez de décider de mon sort !

À dom Enrique.

Oui ! je vivrai pour elle !... et pour vous aussi, beau-père !...

DOM ENRIQUE.

Pour moi ! ça m’est bien égal !...

Air de Juanita (Couder).

Naguère encor, dédaignant ma défense,
J’allais périr sans peur, sans hésiter ;
Mais à présent j’emporte une espérance.
Que l’on m’attaque, et je saurai lutter !
Oui, quand son cœur à mon cœur se révèle,
Qu’un doux aveu m’assure l’avenir,
Je défendrai des jours sauvés par elle...
Si vous m’aimez, je ne veux plus mourir.

Il sort.

 

 

Scène XII

 

LES MÊMES, DOM GARCIAS, PÉRALÈS, GARDES

 

DOM GARCIAS.

Le voilà !...

ÉLÉNA, bas.

À tout prix, il faut gagner du temps !

DOM GARCIAS.

Nous allons confondre l’imposteur.

PÉRALÈS.

L’imposteur ! Vous allez voir ! embrassez-moi, beau-père !...

DOM ENRIQUE, embarrassé.

Moi... vous... je...

ÉLÉNA, bas.

Monsieur, je ne vous connais pas.

DOM ENRIQUE, haut.

Monsieur, je ne vous connais pas !

PÉRALÈS, avec force.

Ah !...

Il se laisse tomber, accablé, sur un siège, et se relève aussitôt avec l’intention déjà indiquée.

 

 

ACTE II

 

Un jardin du palais. À droite, un pavillon de musique.

 

 

Scène première

 

PÉRALÈS, DOM ENRIQUE, ÉLÉNA, SEIGNEURS et DAMES

 

CHŒUR.

Air.

Le plaisir nous invite,
Oublions la grandeur
Et courons à sa suite,
C’est déjà le bonheur.

PÉRALÈS.

Oui, messieurs, oui, mesdames, le roi va reparaître à l’instant au milieu de nous. Il donne quelques minutes à l’État, et ensuite il sera tout à la fête.

Peu à peu les groupes de seigneurs et de dames s’éloignent.

DOM ENRIQUE.

Quel roi !... quel grand roi, ma fille !

ÉLÉNA, distraite.

Oui, oui, mon père !...

DOM ENRIQUE.

Comme il mène de front les affaires et les plaisirs !

PÉRALÈS.

Ah ! oui, j’en sais quelque chose, moi, pour qui Sa Majesté a créé un nouveau poste à la cour.

Montrant des lettres.

Il me charge des affaires les plus délicates, les plus graves, c’est à moi qu’il confie toutes ses lettres, pour les plier, pour les cacheter !... Je suis grand-cacheteur et grand-plieur du roi !...

ÉLÉNA.

Ainsi la confiance de Sa Majesté vous dédommage de la prison qu’on vous a fait subir...

PÉRALÈS.

Voilà près d’une année que ce désagrément m’est arrivé ; voilà aussi prés d’une année que je maudis mon voleur inconnu !... Dire que je lui ai fourni une toilette entière pour se marier à ma place... habit, veste... et le reste.

DOM ENRIQUE.

Il vous a tout pris, le misérable !

ÉLÉNA.

Mon père !...

PÉRALÈS.

Heureusement qu’il est parti à temps, et que malgré ce qui s’est passé, je peux me dire pas mal de choses rassurantes... car enfin, depuis le jour de ce mariage, votre fille ne l’a plus revu ?...

ÉLÉNA.

Si, monsieur...

DOM ENRIQUE et PÉRALÈS.

Hein ?... Est-il possible !...

ÉLÉNA.

Une fois... une seule !...

PÉRALÈS.

Comment cela ?...

DOM ENRIQUE.

Et tu ne m’en as jamais parlé !...

ÉLÉNA.

Vous ne me l’avez pas demandé.

PÉRALÈS.

Mais moi, je le demande...

ÉLÉNA.

C’est bien simple... Vous vous rappelez, mon père, qu’il y a six mois j’allai, comme tous les ans, passer la semaine sainte au couvent de la Visitation... Vous prétendiez que tout était tranquille dans la campagne et qu’il n’y avait pas de danger...

DOM ENRIQUE.

C’est Péralès qui me l’avait dit.

PÉRALÈS.

Je vous l’avais dit de confiance... je n’y avais pas été voir... Je suis très confiant... et puis la señora était partie avec une escorte de quatre hommes.

DOM ENRIQUE.

Les plus braves de mes gens... commandés par mon majordome... qui répondait de tout...

ÉLÉNA.

Et qui, au détour du petit bois, entendant un galop de chevaux et un coup d’arquebuse, a piqué des deux sans retourner la tête...

DOM ENRIQUE.

Et les autres ?...

ÉLÉNA.

L’ont suivi.

PÉRALÈS.

Les lâches !... quand il n’y avait peut-être pas de danger ; quand ceux qui arrivaient...

ÉLÉNA.

C’étaient des partisans qui battaient la campagne... Me voyant sur une belle haquenée et richement habillée... ils voulaient me faire descendre... pour me voler peut-être...

PÉRALÈS.

Vous croyez ?

ÉLÉNA.

J’en avais grand’peur, lorsque sortit du bois un beau cavalier, qui semblait leur chef, et qui s’écria : Misérables que vous êtes, insulter une femme !... et me regardant, il ajouta : et la mienne encore !...

PÉRALÈS.

La sienne ?...

ÉLÉNA.

C’était l’étranger... l’inconnu d’il y a un an... ce mari anonyme... qui me saisissant dans ses bras, m’enleva de terre, me plaça devant lui sur son cheval et partit au galop...

DOM ENRIQUE.

Ô ciel !... et tu tremblais de tomber ?...

ÉLÉNA.

Oh ! non... car il me pressait bien fort contre lui...

PÉRALÈS, à dom Enrique.

Il la pressait bien fort, le scélérat !...

À Éléna.

Et cette course a-t-elle duré longtemps ?...

ÉLÉNA.

Oh ! non... une petite demi-heure tout au plus.

PÉRALÈS.

C’est déjà bien gentil comme ça !... Et au bout de ce temps, vous êtes arrivée ?...

ÉLÉNA.

Dans une belle prairie... au bord d’un ruisseau... Il y avait là plusieurs tentes dont une plus belle que les autres... c’était la sienne... il m’y conduisit...

PÉRALÈS.

Seule !...

ÉLÉNA.

Oh ! non... plusieurs officiers vinrent le recevoir...

PÉRALÈS, à dom Enrique.

Ah ! du moment qu’il y avait des officiers...

ÉLÉNA, continuant.

« Ma femme que je vous présente, messieurs, leur dit-il... » Et me faisant entrer... « Pardon, señora, de vous recevoir aussi mal... vous aurez-un mauvais repas, mais à la guerre comme à la guerre... »

PÉRALÈS.

Et vous n’avez pas réclamé l’appui de ces autres seigneurs ?...

ÉLÉNA.

Ils étaient tous partis !...

PÉRALÈS.

Tous !... Il n’en est pas resté un ?...

ÉLÉNA.

Mon Dieu, non, pas un !...

PÉRALÈS.

Lâches officiers !... Alors, vous étiez seule avec lui ?...

ÉLÉNA.

Oui, vraiment... et ses yeux brillaient de joie... et il me disait des choses si tendres et si respectueuses.

PÉRALÈS, à dom Enrique.

Il lui disait des choses tendres...

DOM ENRIQUE.

Mais respectueuses...

PÉRALÈS.

Mais tendres !...

À Éléna.

Enfin, que vous disait-il ?...

ÉLÉNA.

Il me disait : « Je suis votre mari... je suis votre... »

PÉRALES.

Oh !...

ÉLÉNA.

Je ne pouvais pas lui dire le contraire !... Il m’accablait d’attentions, de prévenances ; et moi, cherchant à dégager ma main, qu’il prenait dans les siennes, je répétais : Je veux partir...

PÉRALÈS.

Très bien !

ÉLÉNA.

« Demain, me répondait-il, demain, vous partirez... »

PÉRALÈS.

Comment, demain ! mais c’est affreux !

ÉLÉNA.

« Au point du jour... je vous le jure... » En ce moment, des officiers se sont précipités dans sa tente...

PÉRALÈS.

Braves officiers ! je les reconnais !

ÉLÉNA.

En s’écriant : « Aux armes ! un parti ennemi s’approche ! vous, notre commandant, notre chef... »

PÉRALÈS.

Eh bien ?... eh bien ?...

ÉLÉNA.

Il hésitait.

PÉRALÈS.

Il avait peur !...

ÉLÉNA.

Du tout !... Il était comme en délire... Il s’est élancé vers moi, m’a serrée contre son cœur...

PÉRALÈS.

Encore !...

ÉLÉNA.

Je crois même qu’il m’a embrassée...

PÉRALÈS.

En êtes-vous sûre ?

ÉLÉNA.

Plusieurs fois !... Il ne savait ce qu’il faisait... « Adieu ! adieu ! me disait-il... je cours à l’ennemi... » Et il a dû lui faire un mauvais parti, car il était furieux !... Moi, je ne l’ai plus revu !

PÉRALÈS.

Voilà tout ?

ÉLÉNA.

Ah ! mon Dieu, oui !

PÉRALÈS, à part.

Pourvu qu’elle n’ait rien oublié !

ÉLÉNA.

Et depuis, appelée ici par la reine, je n’ai pas quitté la cour...

PÉRALÈS.

Où les hommages, les adorations pleuvent de toutes parts sur mon Éléna !...

DOM ENRIQUE.

Oh !... votre Éléna !...

PÉRALÈS.

Elle le sera bientôt, car nous allons le tenir, ce mari inconnu, ce lâche anonyme !... Nous allons le dénoncer !

ÉLÉNA.

Le dénoncer !... vous ?...

PÉRALÈS.

Avec bonheur ! Mais songez donc que c’est mon ennemi le plus mortel... Je l’ai poursuivi, même à la guerre... où j’ai éprouvé bien des émotions...

DOM ENRIQUE.

Vous avez été à l’armée ?...

PÉRALÈS.

J’ai été très alarmé.

DOM ENRIQUE.

Comment, très alarmé !... Je vous dis : Vous avez été... vous êtes allé à l’armée ?...

PÉRALÈS.

Ah ! bon ! au camp... Mais certainement ; j’y ai même laissé mon meilleur ami, un jeune homme charmant, qui me remplace maintenant dans mes recherches.

ÉLÉNA, à part.

Oh ! le ciel les rendra vaines... je l’espère !...

PÉRALÈS.

Mais je cause et j’oublie ma charge de grand-plieur... Tous ces paquets... toutes ces lettres...

Il les parcourt.

Ah ! mon Dieu !...

DOM ENRIQUE.

Qu’est-ce donc ?

PÉRALÈS.

Parmi ces quatre messages royaux... une lettre d’amour !...

DOM ENRIQUE, riant.

Ah bah ! d’amour !... d’amour !... du roi ?...

ÉLÉNA, à part.

Ô ciel !...

PÉRALÈS.

Oui, oui, du roi... et d’amour !...

DOM ENRIQUE.

Et la personne ?...

ÉLÉNA, vivement.

Mon père, y pensez-vous ?...

DOM ENRIQUE.

C’est juste... c’est un secret... un secret d’État !...

PÉRALÈS, à part, après avoir lu.

Oh ! quel feu !...

DOM ENRIQUE, qui regardait au fond.

Le roi !... chut !...

PÉRALÈS.

Il demande un rendez-vous... pour ce soir... là, dans ce pavillon de musique !... Mais à qui ?... pas d’adresse !...

Avant l’entrée du roi et à son entrée, l’orchestre Joue comme si cette musique venait du palais.

 

 

Scène II

 

PÉRALÈS, DOM ENRIQUE, ÉLÉNA, LE ROI, LA REINE, SEIGNEURS

 

LE ROI, à un ambassadeur.

Eh bien !... monsieur l’ambassadeur, trouvez vous que nous approchions un peu des merveilles de votre royal château de Saint-Germain ?... Vous voyez que nous aimons à faire venir nos modes de France...

L’ambassadeur s’incline.

LA REINE, à dom Enrique.

Seigneur dom Enrique, au milieu de cette fête, nous sommes heureux de trouver sur notre pas sage les gens qui nous aiment.

DOM ENRIQUE, saluant.

Gracieuse Majesté...

LA REINE, à Éléna.

Et d’aller à la rencontre de ceux que nous aimons... Toujours triste !... Soyez tranquille ; je m’occupe de votre bonheur.

LE ROI, bas, à Éléna.

Nous sommes deux pour cela...

ÉLÉNA, froidement.

Sire...

La reine parle bas à Éléna.

PÉRALÈS.

Pardon, mille pardons, Majesté !...

LE ROI.

Que voulez-vous, seigneur Péralès ?...

PÉRALÈS.

Sire... c’est une lettre... un message sans adresse, qui s’est glissé dans la correspondance de Votre Majesté.

LE ROI, prenant la lettre.

Un billet ?...

À part.

Qu’ai-je vu ?... ma lettre à Éléna !...

Haut.

C’est... c’est ma correspondance secrète... avec... avec la Grande-Bretagne !...

PÉRALÈS.

Ah bah !... il est amoureux de la Grande-Bretagne !...

LE ROI.

Il s’agit... d’un traité...

PÉRALÈS, avec une ironie contenue.

D’un traité... d’alliance...

LE ROI.

Justement... avec la Grande-Bretagne...

Il lui tourne le dos.

PÉRALÈS.

Ah ! c’est la Grande-Bretagne qui doit venir dans ce pavillon !...

DOM ENRIQUE, se rapprochant de Péralès.

Vous dites ?...

LE ROI, allant à Éléna.

Voilà pour tous une brillante soirée, Éléna ; il dépendrait de vous qu’elle devint pour moi une soirée heureuse.

ÉLÉNA.

Sire... par grâce,

LE ROI.

Eh bien !... daignez du moins accepter ce billet !... comme vous avez déjà consenti à accepter les autres...

ÉLÉNA, avec intention.

Comme j’ai accepté les autres ?... Oui, sire.

Elle prend le billet.

PÉRALÈS, à dom Enrique.

Je voudrais bien savoir laquelle de ces dames est la Grande-Bretagne...

LE ROI, regardant Éléna.

Elle le lira... j’aurai mon rendez-vous.

LA REINE.

Eh bien ! dom Enrique, avez-vous des nouvelles de cet audacieux qui s’est fait votre gendre presque malgré vous-même ?

DOM ENRIQUE.

De ses nouvelles !... des nouvelles de ce monstre qui a osé attenter à la liberté du monarque !... Mais si je savais où il est... si je le voyais, Majesté... je m’écrierais aussitôt : le voilà...

Apercevant Fernand qui entre.

Ah ! ah !...

 

 

Scène III

 

LES MÊMES, FERNAND

 

FERNAND, vêtu en aide-de-camp, et présentant un message au roi.

Sire !...

DOM ENRIQUE, bas.

Ah ! mon Dieu ! mais c’est...

ÉLÉNA, bas.

Silence !... Au nom du ciel, taisez-vous, mon père !

FERNAND.

De la part du général en chef.

PÉRALÈS.

Qu’ai-je vu ?...

ÉLÉNA, bas, à Péralès.

Vous connaissez ce gentilhomme ?...

PÉRALÈS.

Parbleu !... mais c’est lui !...

ÉLÉNA, avec effroi.

Lui !...

DOM ENRIQUE, ému.

Qui... lui ?...

PÉRALÈS.

Mon compagnon, mon frère d’armes...

LE ROI.

Monsieur, ce sont d’heureuses nouvelles que vous apportez là... Le général en chef vous désigne comme un officier plein de courage et de dévouement... Monsieur...

Il cherche son nom sur la lettre.

FERNAND, avec intention, regardant Éléna et dom Enrique.

Le capitaine d’Elvas...

LE ROI.

Recevez donc nos félicitations, monsieur le colonel...

PÉRALÈS.

Colonel... ce cher d’Elvas !...

FERNAND, allant à lui tandis que le roi lit la dépêche, passe devant Éléna, qu’il salue très bas ; celle ci lui fait une révérence et se soutient à peine.

Péralès !...

Apercevant Éléna.

Éléna !

PÉRALÈS, à dom Enrique.

C’est l’ami que j’avais laissé là-bas, en le chargeant de continuer mes recherches et de trouver mon ennemi...

DOM ENRIQUE.

Je vous félicite de ce choix, vous avez eu la main heureuse...

PÉRALÈS, à Fernand.

Mon ami, je te présente mon beau-père... futur et mon épouse... future.

FERNAND.

Reçois mon compliment...

Avec amertume.

J’ai bien souvent déjà entendu prononcer le nom de madame... et je comprends, en la voyant si belle, qu’elle ait fait naître bien des passions.

ÉLÉNA, à dom Enrique.

Mais que dit-il donc, mon père ?

DOM ENRIQUE.

Je n’en sais rien... Je ne connais pas cet homme-là !...

LE ROI, montrant le message.

Messieurs, voici qui nous appelle pour quelques instants dans notre conseil...

Ensemble.

Air des Mousquetaires.

LE ROI.

Pardon, mais promptement j’espère
Vous revenir,
Car j’aime à presser une affaire
Pour un plaisir.

TOUS.

Il part, mais bientôt il espère
Nous revenir,
Car il sait presser une affaire
Pour un plaisir.

PÉRALÈS.

Quel grand roi ce mot annonce !

LE ROI, bas, à Éléna.

Je reviens sur mes pas !...

ÉLÉNA.

Sire !...

LE ROI.

Je veux ma réponse !...

FERNAND, à part.

Le roi lui parle bas !...

Reprise de l’ensemble.

LE ROI.

Pardon, mais promptement j’espère, etc.

CHŒUR.

Il part, etc.

DOM ENRIQUE.

Entr’eux formons une barrière
Pour l’avenir ;
Empêchons un destin contraire
De les unir.

ÉLÉNA.

Ô toi que le destin prospère
Fait revenir ;
Désormais, pour toi seul j’espère
Dans l’avenir.

FERNAND.

À temps ce message prospère
M’a fait venir ;
Mais je les surveille, et j’espère
Dans l’avenir.

Tous sortent, excepté Fernand et Péralès.

 

 

Scène IV

 

PÉRALÈS, FERNAND

 

FERNAND, à part.

Elle s’éloigne... elle n’a pas un mot à m’adresser... et je l’ai vue pâlir à mon arrivée et se troubler en me regardant lorsque le roi lui a parlé en secret... Oh ! plus de doute... je suis trahi !...

PÉRALÈS, qui a remonté la scène avec tout le monde, redescend vivement.

Eh bien... mon ami, quelle nouvelle de mon infâme ennemi ?...

FERNAND.

Aucune, jusqu’à présent... Mais parle-moi de la future...

PÉRALÈS.

D’Éléna... Ah ! mon ami ! si tu savais comme il me tarde de rentrer dans mes prérogatives d’époux... Tu comprends, si je dois en vouloir à mon infâme usurpateur ? Je suis le dernier des Péralès ; je tenais à me faire une petite famille, un héritier d’année en année... j’étais parti pour ça... Il se trouve que le scélérat m’a retardé d’un an ; ça fait que, l’année prochaine, mon ainé aura juste l’âge de son cadet !

FERNAND.

C’est grave !... mais dis-moi, es-tu bien sûr de ne pas rencontrer d’obstacle de la part de... ton Éléna ?...

PÉRALÈS, avec fatuité.

De sa part... ah ! ah ! mon ami !...

FERNAND.

Elle n’a donc gardé aucun souvenir de ce mari de quelques heures, de ce pauvre proscrit qu’elle a sauvé ?

PÉRALÈS.

Elle en parle à chaque instant pour le maudire !...

FERNAND.

Pour... le maudire ?...

PÉRALÈS.

Elle est de moitié dans toutes nos recherches, dans toutes nos démarches pour le trouver !... pour le livrer... pour le...

FERNAND, vivement.

Elle ! oh ! non, non, c’est impossible !

PÉRALÈS.

Comment ! impossible ?

FERNAND, se reprenant.

À moins qu’un autre amour...

PÉRALÈS, se pavanant.

Certainement, mon cher, un autre amour...

FERNAND.

Ainsi donc les bruits qui sont venus jusqu’à moi...

PÉRALES.

Les bruits... de quels bruits parles-tu ?

FERNAND.

Eh bien ! on dit partout que la señora Éléna est l’idole de toute la cour...

PÉRALÈS.

C’est vrai.

FERNAND.

On dit qu’elle tourne ici toutes les têtes...

PÉRALÈS.

C’est vrai.

FERNAND.

Que tu vois, que tu sais tout cela...

PÉRALÈS.

C’est vrai.

FERNAND.

Et que tu fermes les yeux comme un sot...

PÉRALÈS.

C’est... Ah ! mais dis donc ! tu vas un peu trop loin...

FERNAND.

C’est que je suis furieux... c’est que, dans cette circonstance, il y va de ton honneur... et que ton honneur... que diable !... c’est... c’est le mien...

PÉRALÈS.

Cher ami... merci... merci !...

FERNAND.

Il est donc vrai que tous ces gentilshommes sont amoureux d’elle ?

PÉRALÈS.

Tous...

FERNAND.

Et... le roi...

PÉRALÈS.

Le roi ? oh ! non ! Il est amoureux de la Grande-Bre... Non, je suis bête ! il est amoureux ; mais impossible de savoir de qui.

FERNAND, à part.

Oh ! je le devine, moi... Ce regard... ces quelques mots que j’ai surpris... Fou que j’étais, de croire que mon souvenir serait plus fort que les hommages de toute une cour... plus puissant que l’amour d’un roi !...

PÉRALÈS.

Ah !... j’oubliais... Le roi est au conseil, il doit avoir besoin de mes services... n’oublie pas celui que j’attends de toi. Tu dois m’aider à dé couvrir l’auteur de mes infortunes conjugales...

Ensemble.

Air de la Péri.

PÉRALÈS.

Par toi de mes projets
J’attends le succès ;
Comptant sur ton savoir,
Je renais à l’espoir.
Époux in partibus,
Fais cesser cet abus :
Je ne peux pas toujours
Ajourner mes amours.

FERNAND.

Grâce à moi, tes projets
Auront du succès,
Compte sur mon savoir
Et renais à l’espoir.
Époux in partibus
C’est vraiment un abus :
On ne peut pas toujours
Ajourner ses amours.

PÉRALÈS.

Bien ! je le vois déjà,
Tout me réussira !...

FERNAND.

Je conçois ton bonheur,
Quand de l’usurpateur
Que je mets sous la main
Tu pourras dire enfin,
En le tenant ainsi,
Mon voleur...

PÉRALÈS.

Le voici !...

Reprise de l’ensemble.

Péralès sort.

 

 

Scène V

 

FERNAND, seul

 

Le maladroit ! il ne voit rien, il ne comprend rien de ce qui se passe !... J’ai épousé pour lui... il épouserait pour un autre. Il se marierait les yeux fermés, sans se douter que Sa Majesté... Et j’ai la faiblesse de l’aimer toujours, elle qui m’a si indignement trahi !... Oh ! je ne partirai pas sans qu’elle sache que je ne suis pas sa dupe comme ce pauvre Péralès... Oui, oui !... écrivons-lui !... mais que l’indignation remplace la tendresse, que la colère lui cache bien mes regrets !...

Il tire ses tablettes et va écrire sous la charmille.

 

 

Scène VI

 

FERNAND, sous la charmille, ÉLÉNA, puis LA REINE

 

ÉLÉNA, entrant.

Pourquoi ne nous a-t-il pas suivis ?... La reine m’a ordonné de l’attendre dans cet endroit du parc ; elle a d’heureuses nouvelles à m’apprendre, a-t-elle dit... Que dois-je espérer ?... elle est généreuse et bonne... si je me confiais à elle ? si je la suppliais de me réunir à Fernand ?...

FERNAND, cessant d’écrire.

On a prononcé mon nom...

Regardant.

C’est elle !...

ÉLÉNA, sans le voir et regardant vers le fond.

La reine !... Aurai-je le courage de tout lui dire ?...

LA REINE, à Éléna.

Ah ! te voilà ?... c’est bien !

ÉLÉNA.

C’est ici que Sa Majesté m’avait ordonné de l’attendre ?...

LA REINE.

Oui, j’avais hâte de l’annoncer le résultat de nos démarches.

ÉLÉNA.

Vos démarches, madame ?...

FERNAND.

Que signifie ?...

LA REINE.

Éléna, au milieu de toutes ces fêtes, de tous ces hommages qui t’environnent, j’ai souvent surpris des larmes dans tes yeux...

FERNAND.

Des larmes !...

LA REINE.

Tu n’es pas heureuse.

ÉLÉNA.

Moi, madame !

LA REINE.

Et comment en serait-il autrement, dans la position étrange où tu te trouves placée ?

ÉLÉNA.

Les bontés de Votre Majesté m’ont fait oublier bien des choses...

FERNAND, à part, avec amertume.

Oui... même son mari !...

LA REINE.

N’essaie pas de me tromper... J’ai lu dans ton cœur et je pourrais te dire ce qui s’y passe.

ÉLĖNA.

Vous, madame !...

LA REINE.

Oui, moi, qui veux rendre la joie à ton âme, moi qui veux détruire les obstacles qui s’opposent à ton bonheur, qui le séparent de celui que tu aimes !

FERNAND.

Celui qu’elle aime !...

LA REINE.

Moi, qui veux enfin rompre cet odieux mariage.

FERNAND.

Rompre notre mariage !...

ÉLÉNA.

Oh ciel !

LA REINE.

Oui, Éléna... ce que ton père a vainement sollicité jusqu’à présent, je l’ai obtenu. Il suffit maintenant de la signature au bas de cet acte pour que cette union soit brisée.

FERNAND, à part.

Tout est fini !...

ÉLÉNA, fermement.

Cette signature, madame, je ne la donnerai pas !

FERNAND, étonné.

Elle refuse !...

LA REINE.

L’ai-je bien entendu, Éléna ? Mais ne savez-vous pas quel est celui dont vous refusez de vous séparer ?... Ne savez-vous pas que la condamnation qu’il a méritée pèse toujours sur sa tête ?...

ÉLÉNA.

C’est pour cela, madame, que je ne dois pas si gner cet acte... Tant que l’homme que j’ai sauvé sera malheureux, je resterai sa femme !...

FERNAND.

Ah ! si c’était par amour !

ÉLÉNA, continuant.

Que Votre Majesté lui fasse grâce ‘ et s’il revient, et s’il me dit alors que notre mariage n’a été à ses yeux qu’un moyen de salut, je signerai cette séparation ; mais si sa voix me criait : « Tu m’as sauvé et je t’aime !... » eh bien ! pardonnez-moi, madame, dussé-je me perdre avec lui, je répondrais : Je suis et je resterai ta femme, car je t’aime aussi, moi !

LA REINE.

Vous l’aimez !...

ENSEMBLE.

Air : Ô surprise nouvelle ! (Richelieu, acte 1er.)

Cachez bien ce mystère,
Retenez ces aveux :
Le roi, dans sa colère,
Vous perdrait tous les deux !

ÉLÉNA.

Mon cœur n’a pas su taire
Le secret de mes vœux ;
Que du roi la colère
Fasse un seul malheureux !

FERNAND.

Lorsque la voix m’éclaire,
Ô mon bien précieux !
C’est l’ange qui, sur terre,
Vient nous parler des cieux.

L’orchestre continue piano, jusqu’à la fin de la scène.

Elle m’aime !...

LA REINE.

Pas un mot de plus, Éléna ! que tout le monde ignore ce que je vous ai offert et ce que je vous avez refusé, car, sans cela, l’intérêt que je vous ai porté, la compassion que je vous garde encore ne suffiraient pas pour vous sauver...

Elle sort.

ÉLÉNA, tremblante.

J’ai fait ce que j’ai dû, ô mon Dieu !... et maintenant...

FERNAND, venant tomber à ses genoux.

Chère Éléna !...

ÉLÉNA.

Vous... vous, monsieur !...

FERNAND.

Éléna, tu m’as sauvé, et je t’aime...

ÉLÉNA.

Vous étiez là ?...

FERNAND.

Oui, j’ai tout entendu, et je rougis de mes indignes soupçons... Tant de générosité, de grandeur d’âme !... et je ne puis, devant toute la cour, me montrer près de toi ; je ne puis leur crier : Admirez-la tous, messieurs, c’est ma femme !... Félicitez-moi, car ce précieux trésor... c’est ma femme !... Enviez-moi mon bonheur, car elle, si noble, si tendre et si belle... c’est ma femme, messieurs, c’est ma femme !...

Il lui baise la main.

ÉLÉNA.

Fernand !... cher Fernand !...

 

 

Scène VII

 

FERNAND, ÉLÉNA, LA REINE, DOM ENRIQUE

 

DOM ENRIQUE, surprenant Fernand aux genoux d’Eléna, qui s’est appuyée sur lui.

Oh !

ÉLÉNA.

Mon père !...

FERNAND.

Venez, beau-père ! venez partager ma joie, mon bonheur, mon délire !...

DOM ENRIQUE.

Qu’est-ce ?... auriez-vous votre grâce ?...

FERNAND.

Ma grâce ?... belle misère vraiment mieux que cela, mille fois mieux que cela !...

DOM ENRIQUE.

Ah ! bah !... mille fois mieux !... mon gendre ?...

Avec joie.

Et qu’est-ce donc ?... qu’est-ce donc, mon cher gendre ?...

FERNAND.

Elle m’aime, beau-père ! elle n’a jamais aimé que moi !...

DOM ENRIQUE.

Après ?... après ?...

FERNAND.

Comment ! après ?...

DOM ENRIQUE.

Ce grand bonheur dont vous me parliez ?...

FERNAND.

Mais je vous l’ai dit : son cœur, son âme, sa vie, tout est à moi !

DOM ENRIQUE.

Et c’est là ce qui vous rend si heureux ?...

FERNAND.

Sans doute ; et vous-même, n’éprouvez-vous aucune joie, en songeant que nous serons deux à vous aimer ?...

DOM ENRIQUE, avec force.

Je ne veux pas que vous m’aimiez !

ÉLÉNA.

Mais, mon père !...

DOM ENRIQUE.

Mais, malheureuse enfant, tu oublies donc à quel point il est compromis ?...

ÉLÉNA.

Je me souviens, mon père, qu’il est mon époux...

DOM ENRIQUE.

Mais ce titre est un danger de plus ; il y a tant de gens qui voudraient le savoir veuve !...

FERNAND.

En effet... tous les gentilshommes vous entourent de leurs hommages... et, si je ne m’abuse, Éléna... le roi lui-même...

DOM ENRIQUE, indigné.

Le roi !... il ose encore s’attaquer au roi !...

ÉLÉNA.

Il est vrai que bien des hommages m’ont été adressés, mais tous les billets d’amour que l’on m’envoyait, je les conservais avec soin en me disant : Un jour viendra où je serai plus heureuse, et, lorsqu’il sera prés de moi, nous les lirons ensemble !...

FERNAND.

Vous avez fait cela ?... Oh ! c’est bien, c’est noble... c’est rare !

DOM ENRIQUE.

C’est rare, ma fille !

FERNAND.

N’est-ce pas, beau-père !

DOM ENRIQUE.

Je ne suis pas votre beau-père, monsieur...

ÉLÉNA, à Fernand.

Tenez, monsieur... les voici toutes !

Elle lui donne un paquet de lettres.

FERNAND.

Cachetées... toutes cachetées !... Voyez, voyez, c’est un ange !

DOM ENRIQUE.

C’est un ange !

FERNAND.

N’est-ce pas, beau-père ?

DOM ENRIQUE.

Je ne suis pas votre beau-père, monsieur...

ÉLÉNA.

Voilà aussi celle que m’a remis le roi, tout à l’heure...

DOM ENRIQUE.

Tout à l’heure ! Comment ! c’était donc loi que cet imbécile de Péralès appelait...

À part.

J’étais le père de la Grande-Bretagne !

FERNAND.

Chère Éléna !...

DOM ENRIQUE.

Le roi !... chut !...

Passant entre eux.

Je veille sur toi, ma fille, je le protégerai contre ces deux dangers !...

 

 

Scène VIII

 

FERNAND, ÉLÉNA, LA REINE, DOM ENRIQUE, LE ROI

 

LE ROI, entrant, à part.

Elle doit avoir lu mon billet... et je lui faciliterai les moyens de m’accorder ce rendez-vous...

Haut, à Fernand.

Colonel, voici votre réponse au général en chef.

DOM ENRIQUE, bas.

Bravo ! c’est un danger qui s’en va !

FERNAND.

Votre Majesté m’ordonne-t-elle déjà de partir ?

LE ROI.

Ces dépêches sont de la plus haute importance, et je tiens à ce qu’elles arrivent le plus promptement possible.

DOM ENRIQUE, bas, d’un air moqueur.

Le plus promptement possible !...

Il se frotte les mains.

Au revoir, mon gendre !...

LE ROI.

Mais comme, après tant de combats, de fatigues, le repos doit vous être nécessaire, nous vous gardons ici, et c’est à vous, dom Enrique, que nous réservons l’honneur de porter ce message...

DOM ENRIQUE, abasourdi.

Hein !...

FERNAND, bas.

Bon voyage, beau père...

DOM ENRIQUE, à part.

Il m’éloigne...

Haut.

Pardon, un million de pardons, sire ! je suis ravi... confus... mais...

ROI.

Mais ?...

DOM ENRIQUE.

J’ai un peu perdu l’habitude du cheval, et...

LE ROI.

C’est juste, vous avez raison...

DOM ENRIQUE, bas, à Fernand.

Je reste, monsieur !...

LE ROI.

Un de mes carrosses est tout prêt... et il vous attend... Allez !...

DOM ENRIQUE.

Il... m’attend ?

LE ROI.

Allez, seigneur dom Enrique !

DOM ENRIQUE.

Sire... pardon... je...

LE ROI.

Qu’est-ce donc ?

DOM ENRIQUE.

Je voulais demander à Votre Majesté... Pourrai-je emmener ma fille ?...

LE ROI, riant.

Au camp ?... Ah ! ah ! ah !...

FERNAND.

Au camp !

Riant.

Ah ! ah ! ah !...

DOM ENRIQUE, avec colère.

Eh ! monsieur, ce rire est inconvenant...

FERNAND, riant.

Pardon ! mais c’est Sa Majesté qui m’a donné l’exemple...

LE ROI, riant.

C’est moi qui lui ai donné l’exemple...

DOM ENRIQUE.

Ah ! du moment que c’est le roi...

Essayant de rire en voyant rire le roi.

Ah ! ah ! ah !...

LE ROI.

C’est qu’aussi l’idée est originale... Au camp !... Ah ! ah ! ah !...

FERNAND.

Au camp !... ah ! ah ! ah !...

DOM ENRIQUE, s’efforçant de rire.

Au camp !... ah ! ah ! ah !...

LE ROI.

Presque au milieu des ennemis... Vous n’y pensez pas, dom Enrique.

FERNAND, s’oubliant.

Vous n’y pensez pas, beau-p...

S’arrêtant.

Hum !... hum !... monsieur !...

DOM ENRIQUE.

C’est que... Majesté... ce ne sont pas ces ennemis-là que je redoute le plus pour elle... Et, ici, à cette fête... au milieu de ce bruit...

ÉLÉNA, avec intention, et glissant un regard à Fernand.

Tranquillisez-vous, mon père ; je resterai jusqu’à votre retour dans ce pavillon de musique.

FERNAND, à part.

Dans ce pavillon... J’ai compris !...

LE ROI, à part.

Dans ce pavillon !... C’est là que ma lettre lui demandait un rendez-vous, c’est ma réponse qu’elle donne...

Bas, à Éléna.

Vous êtes un ange !...

FERNAND, de l’autre côté.

J’y serai...

LE ROI, à dom Enrique.

Air de Couder.

Allez, monsieur, prouvez-nous votre zèle,
Il faut remplir un important devoir.

DOM ENRIQUE.

Je vais bien vite où mon emploi m’appelle,

À part.

Je meurs de peur !

LE ROI, à part, et FERNAND.

Ah ! pour moi quel espoir !

DOM ENRIQUE, bas, à Éléna.

Ma fille, au moins, pendant ma courte absence,
Préserve-toi ! je crains...

ÉLÉNA.

Rassurez-vous ;

Car j’oserai de beaucoup de prudence...

DOM ENRIQUE.

Use surtout de beaucoup de verrous !

Ensemble.

LE ROI.

Allez, monsieur, prouvez-nous votre zèle,
Il faut remplir un important devoir.

À part.

Pendant qu’il court où son devoir l’appelle,
Ici m’attend un doux espoir.

DOM ENRIQUE.

J’obéirai ; je dois prouver mon zèle,
Il faut remplir un illustre devoir...

À part.

Je cours au camp, où mon devoir m’appelle
Mais revenir bien vite est mon espoir.

FERNAND.

Obéissez et prouvez votre zèle,
Il faut remplir un important devoir.

À part.

Pendant qu’il court où son devoir l’appelle,
Ici m’attend un doux espoir.

ÉLÉNA.

Quand pour le roi vous prouvez votre zèle,
De mon côté je connais mon devoir.

À part.

Ô mon Fernand ! lorsque la voix m’appelle,
Déjà mon cœur a palpité d’espoir.

Tout le monde sort, excepte Éléna.

 

 

Scène IX

 

ÉLÉNA, puis FERNAND, ensuite LE ROI

 

La nuit vient peu à peu pendant le monologue suivant.

ÉLÉNA, seule.

Il m’a comprise... il sera au rendez-vous... Oh ! maintenant tous mes chagrins sont oubliés... Mais aucun obstacle ne viendra-t-il troubler notre bonheur ?... Ce mariage... il faudra le déclarer, et alors... tout sera contre nous... jusqu’à l’amour du roi... Le roi !... qu’a-t-il voulu me dire !... Pourquoi ces remerciements ?... Qu’importe... n’ayons qu’une pensée à présent... le revoir !... Après sa longue absence, nous parler sans contrainte de notre amour, de notre espoir... La nuit est venue... allons l’attendre !

Elle entre dans le pavillon, dont la porte et les volets se ferment doucement. À peine est-elle dans le pavillon, que Fernand arrive par le côté droit du théâtre, et le roi par le côté gauche. La nuit est venue tout à fait.

FERNAND.

Le pavillon est là... C’est singulier... le cœur me bal comme à ma première bataille !...

LE ROI.

Pauvre Isabelle !... le cœur ne m’a jamais battu ainsi prés de toi !... C’est égal... avançons !...

Tous deux se rapprochent de la porte du pavillon ; tous deux étendent le bras vers la serrure ; leurs mains se rencontrent et se saisissent sur la clé.

FERNAND, à part.

Quelqu’un !...

LE ROI, touchant le bras de Fernand.

Un homme !... un homme qui veut entrer là !...

FERNAND, à part.

Quelqu’un qui se rendait prés de ma femme !... Ce doit être une erreur !...

LE ROI, à part.

Il se trompait, sans doute...

FERNAND, haut.

Pardon, monsieur, de vous avoir arrêté au passage.

LE ROI.

Excusez-moi, vous-même... Si c’est l’obscurité qui vous empêche de retrouver le château, il est de ce côté... Tenez, les lumières vous l’indiquent assez.

FERNAND, à part.

Cette voix...

Haut.

Je vous rends mille grâces si...

Se reprenant.

monsieur ; mais c’est ici que je venais...

LE ROI.

Ici ?... Vous vous trompez, c’est un pavillon de musique, et, quelque amateur que vous puissiez être, l’heure serait mal choisie... Éloignez-vous donc... et livrez-moi passage.

FERNAND, à part.

C’est bien lui !

Haut.

Mais si l’heure est mal choisie pour moi, je ne pense pas qu’elle le soit mieux pour vous...

LE ROI.

Monsieur, vous ignorez à qui vous parlez !... Croyez-moi... retirez-vous... et laissez-moi passer !...

FERNAND.

Pardon... mais, qui que vous soyez vous-même, je vous préviens que vous n’entrerez pas là !...

LE ROI.

Vous oserez !... Et pourquoi prétendez-vous m’en empêcher ?... De quel droit vous y opposerez-vous ?...

FERNAND.

Pourquoi ?... parce que...

Avec force.

eh bien ! parce que, là, est une femme sans défense et que vous voulez perdre !...

LE ROI.

Monsieur !...

FERNAND, s’animant encore.

De quel droit ?... du droit qu’a tout bon gentilhomme de protéger une femme !...

LE ROI, avec force.

Je veux entrer, vous dis-je !...

FERNAND, résolument.

Et moi, je ne le veux pas !

LE ROI.

Arrière, monsieur, je suis le roi !

FERNAND, montant les marches du pavillon.

Vous ne passerez pas, sire !... je suis son mari !

LE ROI.

Son mari !...

ÉLÉNA, paraissant.

Fernand !...

FERNAND, allant à elle.

Et chez ma femme, Majesté... je suis le roi aussi !...

LE ROI.

Son mari !... Si ce que vous dites est vrai, monsieur, vous êtes un proscrit, un condamné que ma justice doit frapper !

ÉLÉNA.

Perdu !... il est perdu !...

LE ROI, au fond.

À moi, messieurs !...

On accourt de tous côtés ; des domestiques déposent des candélabres dans le pavillon, dont on ouvre la fenêtre ; un autre candélabre est placé sur la table du cabinet de verdure. Jour.

Ensemble.

Air : Finale de Satan. (1er acte.)

LE ROI.

À ma voix redoutable
Hâtez-vous d’obéir ;
Saisissez ce coupable !
Le roi doit le punir !

PÉRALÈS et LE CHŒUR.

Une voix redoutable
Parle, il faut obéir,
Saisissons le coupable,
Le roi veut le punir.

FERNAND et ÉLÉNA.

À la voix redoutable
Ils vont tous obéir...
Je ne suis pas           } coupable,
Fernand n’est pas    }
Devrait-on     { me punir ?
                         { le

LE ROI.

Votre épée, monsieur !... Comte de Péralès, faites garder les avenues, et que monsieur de puisse s’éloigner.

À Éléna.

Vous, madame... retournez près de la reine.

ÉLÉNA, bas.

Qu’avez-vous fait, Fernand !

FERNAND.

Courage, Éléna !... courage !

LE ROI.

Dom Péralès, je vais écrire à mon conseil... Tenez-vous prêt...

PÉRALÈS.

À plier ?... et à cacheter ? oui, sire.

LE ROI.

À faire exécuter nos ordres.

Il entre dans le pavillon.

FERNAND, à demi-voix, à Péralès.

J’attends un service de toi...

PÉRALÈS, de même.

Tout ce que tu voudras... pourvu que ça ne me compromette pas !...

FERNAND.

Ça doit assurer ton bonheur.

PÉRALÈS.

Je n’ai rien à te refuser.

FERNAND.

Écoute-moi : un seul homme empêche ce mariage, tant désiré de toi...

PÉRALÈS.

Et d’elle... et de mon Éléna !...

FERNAND.

Et d’elle... c’est convenu ; mais si tu veux me rendre le service que je te demande...

PÉRALÈS.

Eh bien ?...

FERNAND.

Eh bien ! cet homme odieux... je te le fais connaître.

PÉRALÈS.

Toi ! En échange de ce nom, que veux-tu ?...

FERNAND.

Peu de chose... Tu vas le charger de ce paquet de lettres, et du mot que je vais y joindre.

Il écrit sur ses tablettes. À part.

Vous écrivez ma sentence, sire !... Mais voici qui doit assurer mon salut.

LE ROI, sortant du pavillon, et venant à Péralès.

Ce billet à son adresse.

FERNAND, bas, à Péralès.

Et ce paquet à la sienne.

Sur un signe du roi, tout le monde se retire. Le roi et Fernand restent seuls.

 

 

Scène X

 

FERNAND, LE ROI

 

LE ROI, à part.

Je le tiens !...

FERNAND, à part.

Maintenant, à nous deux, Majesté !

LE ROI.

Après le crime que vous avez commis, mon sieur, vous n’avez pas de grâce à attendre de nous.

FERNAND.

Oui, sire ; je suis un grand coupable, c’est convenu... mais je me demande comment nous allons nous y prendre pour me faire condamner.

LE ROI.

Comment... nous allons nous y prendre ?

FERNAND.

Oui, sire... car enfin, avec la meilleure volonté du monde, je ne peux pas me dénoncer moi même.

LE ROI.

N’avez-vous pas avoué qui vous êtes ?

FERNAND.

C’est vrai ! mais je l’ai avoué à... quelqu’un qui ne se souciera peut-être pas beaucoup de venir dire devant un tribunal dans quelles circonstances il a reçu cet aveu.

LE ROI.

Oh ! nous trouverons bien un moyen de vous confondre et de prouver votre identité.

FERNAND.

Vous croyez, sire ?... Allons, tant mieux !

LE ROI, sévèrement.

Monsieur !

FERNAND.

Pardon, sire... Il est donc convenu qu’on prouvera qui je suis... c’est-à-dire un bien grand coupable... car, alors que les partis divisaient votre royaume, alors que vos droits, reconnus par les uns, étaient contestés par les autres, moi, je vous ai hardiment combattu ; depuis, je me suis, il est vrai, noblement racheté ; depuis, je me suis fait votre sujet le plus sincère, le plus dévoué, le plus fidèle... Mais j’ai commis une faute qui efface tous les services rendus... Je suis le mari de ma femme !... J’étais devenu, il est vrai, un bon et loyal serviteur ; mais je suis le mari de ma femme !... Le roi pouvait me pardonner ma rébellion d’autrefois... en faveur de mes nouveaux services... mais je suis le mari de ma femme !...

LE ROI, marchant à grands pas.

Votre femme... votre femme... Vous savez par quel dévouement cette jeune fille a accepté ce titre...

FERNAND.

Je le sais, Majesté, et je l’en aurais dégagée aujourd’hui même, si je n’avais acquis la certitude qu’elle désire le conserver.

LE ROI.

Elle... vous prétendez...

FERNAND.

Qu’Éléna, ma femme, a la faiblesse de m’adorer !...

LE ROI, avec force.

Vous !...

FERNAND, avec force.

Moi-même !...

LE ROI, de même.

C’est faux !...

FERNAND, de même.

C’est vrai !...

LE ROI, de même.

C’est faux, vous dis-je !...

FERNAND, avec calme.

Votre Majesté me dira-t-elle le nom de celui que ma femme me préfère ?...

LE ROI.

Son nom ? celui qu’elle aime, monsieur, c’est... la personne qu’elle attendait dans ce pavillon de musique.

FERNAND.

Nous sommes parfaitement d’accord sur ce point-là... car cette personne, c’était...

Il se désigne du doigt.

LE ROI, sans le regarder.

C’était... quelqu’un... dont le billet, remis un instant avant, avait sollicité un rendez-vous...

FERNAND.

Comment !... ce billet... Ah ! je comprends alors...

LE ROI.

C’est heureux !...

FERNAND.

Très heureux !... Oui, sire ; je comprends tout... Le... la personne en question a demandé ce rendez-vous, et lorsqu’Éléna l’a accordé... à son mari... la... personne a pris ce rendez-vous pour elle-même...

LE ROI.

Vous osez dire que la señora Éléna...

FERNAND.

N’a pas même ouvert la lettre de... la personne...

LE ROI.

Elle ne l’a pas lue ?...

FERNAND.

Ni celle-là ni aucune autre, et c’est à moi, c’est à son époux, sire, qu’elle a remis, sans les avoir décachetées, toutes les lettres... de la personne...

LE ROI.

Toutes ses lettres !...

FERNAND.

Avec celle des autres gentilshommes de la cour... ce qui fait que j’avais une assez jolie collection d’autographes...

LE ROI.

Et ces lettres, monsieur ?...

FERNAND.

Et ces lettres... Majesté... je ne les ai plus.

LE ROI, désappointé.

En quelles mains sont-elles donc ? en quelles mains ! Répondez !...

 

 

Scène XI

 

FERNAND, LE ROI, LA REINE

 

LA REINE, entrant.

Sire !...

LE ROI, à part.

Dieu ! la reine !...

Haut.

Quel sujet vous amène, madame ?...

LA REINE.

Un motif bien étrange ! Je reçois à l’instant ce paquet de lettres...

LE ROI, à part.

Ô ciel !...

LA REINE.

Enveloppé dans celle-ci qui m’est adressée... Elle est d’un coupable que je ne connais pas, mais qui avoue lui-même son crime... Voyez plutôt, sire !...

LE ROI, lisant.

« J’ai mérité la mort, madame !... »

Parlant.

Ah ! il en convient.

Lisant.

« Et je vais la subir... »

Parlant.

Il dit vrai, rien ne peut l’y soustraire.

Lisant.

« Mais je suis marié, madame, j’ai une femme que j’aime, et désirant qu’après moi elle demeure chaste et pure, c’est à la femme la plus pure et la plus chaste du royaume que je confie son honneur... »

Il regarde Fernand.

FERNAND.

Il me semble que ce cavalier, quel qu’il soit, a pris le bon parti.

LE ROI, avec dépit.

Peut-être !...

Continuant de lire.

« Bien des seigneurs ont adressé leurs hommages à ma femme et lui ont écrit... »

LA REINE.

C’est bien mal !

À Fernand.

N’est-ce pas ?

FERNAND, s’inclinant.

Il m’est impossible de ne pas être de l’avis de Votre Majesté.

LE ROI, lisant avec trouble.

« Et pour que Votre Majesté sache de quels pièges elle doit sauver ma veuve et contre quels dangers il faut la défendre, je lui envoie les lettres de tous ceux qui vont devenir mes rivaux posthumes... »

À la reine.

Et ces lettres... vous les avez ?...

LA REINE, montrant des lettres.

Les voici toutes.

LE ROI.

Toutes ?...

LA REINE.

Oh ! mon Dieu oui... et nous pouvons regarder ensemble les noms, car toutes ces lettres doivent être signées...

Elle va vers le cabinet de verdure où se trouve le candélabre.

LE ROI.

Arrêtez, madame !...

LA REINE.

Et pourquoi donc, sire ?... Je serais charmée de les connaitre.

LE ROI, à part.

C’est fait de moi !...

LA REINE, parcourant quelques lettres.

Ah ! sire, les coupables sont nombreux à votre cour !...

FERNAND, avec intention.

Et, sans doute, très choisis ?

LE ROI, bas, prenant Fernand à l’écart.

Monsieur, vous avez cru me forcer ainsi à la clémence, mais vous vous êtes trompé.

FERNAND.

Vous forcer !... Oh ! sire...

LE ROI.

Pour vous venger de moi, vous n’avez pas craint d’affliger le cœur de la reine, de détruire son bonheur en lui livrant mes lettres !... Monsieur, ceci est indigne d’un gentilhomme !...

FERNAND.

Arrêtez, sire !... ne m’accusez pas d’une lâcheté !...

LE ROI.

Comment ?...

FERNAND.

Que Votre Majesté se rassure ; elle peut sans crainte faire tomber ma tête... Il y a là les lettres de tous vos courtisans... mais j’ai gardé les vôtres... et les voici...

Il lui remet un paquet qu’il tire de son pourpoint.

LE ROI, bas.

Ah !... bien, bien, monsieur... Le roi peut pardonner maintenant !

Haut, allant à la reine.

Vous aviez raison, madame ; les coupables sont nombreux à notre cour, et pour vous épargner les embarras d’une trop grande surveillance... comte Fernand d’Oliva, vous veillerez vous-même sur votre femme !

FERNAND, s’inclinant.

Ah ! sire !...

 

 

Scène XII

 

FERNAND, LE ROI, LA REINE, DOM ENRIQUE, ÉLÉNA, PÉRALES

 

PÉRALÈS, qui a entendu le dernier mot du roi, va vivement à Fernand.

Ta femme !... Tu te maries aussi ?...

FERNAND.

Oui, mon ami, j’ai ma grâce.

ÉLÉNA.

Oh ! sire, je vous bénirai toute ma vie !

LE ROI, à part.

Ce n’est pas tout à fait ce que je demandais...

DOM ENRIQUE, se glissant, avec timidité.

Sire, elle vous bénira toute... ma vie.

LE ROI.

Encore ici, dom Enrique ?

DOM ENRIQUE.

J’étais déjà loin, sire... mais, dans mon empressement à remplir le message, j’avais oublié les dépêches.

PÉRALÈS, à part, à Fernand.

Ah ça ! tu vas me dire, maintenant, le nom de mon scélérat de rival !

FERNAND.

Mais certainement... mon ami ; ton scélérat de rival, apprends que c’est...

PÉRALÈS.

C’est ?...

FERNAND.

C’est moi, mon ami !

PÉRALÈS, stupéfait.

Ah !... encore un retard pour mon ainé !

CHŒUR.

Air : Polka du Diable à Quatre.

Jour enchanteur,
À nos maux tu fais trêve ;
La lutte s’achève,
Comme dans un rêve
Fuit la terreur.
Bonheur !
Ton jour se lève ;
Et ce doux moment
Finit gaiement
Notre tourment !

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