L'Avocat de sa cause (Camille DOUCET)

Comédie en un acte et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Odéon, le 5 février 1842.

 

Personnages

 

LÉON DARCY

ALEX DE SAINT-ROMAIN

MADAME DE PUISIEUX

MADAME DUPRAT

JENNY

 

La scène se passe à Meudon.

 

Le théâtre représente une petite chambre de travail. Fenêtre à droite ; table à gauche ; porte derrière ; porte au fond, entre deux demi-latérales.

 

 

Scène première

LÉON, JENNY

 

LÉON, à la porte du fond.

Jenny...

JENNY.

Monsieur Léon... enfin !

LÉON.

Peut-on entrer ?

JENNY.

Nos amis seuls chez nous ont droit de pénétrer...

Qui vous amène ici... l’amour ou la colère ?

Apportez-vous la paix ?

LÉON, entrant.

Vous méritez la guerre...

Je le sais... je devrais me fâcher...

JENNY.

Et nous donc !

Quatre jours pour venir de Paris à Meudon !

Peste !... les amoureux d’aujourd’hui sont ingambes,

Et ne marchandent pas pour prodiguer leurs jambes !

Vous arrivez déjà...

LÉON.

Trop tôt peut-être encor.

Au moins explique-moi...

JENNY.

Pardonnez-nous d’abord.

LÉON.

Non pas, je veux savoir...

JENNY.

À quoi bon ?

LÉON.

C’est l’usage :

Plaide, et je vais juger...

JENNY.

Un pur enfantillage.

LÉON.

Je le crois parbleu bien ! et n’ai jamais pensé

Qu’en tout ceci l’honneur pût être intéressé...

Je connais trop Julie et lui rends trop justice

Pour imputer à mal ce qui n’est que caprice ;

Mais ces caprices-là doivent m’inquiéter :

Le premier vent qui souffle est sûr de l’emporter ;

Aujourd’hui, c’est ceci ; demain, c’est autre chose,

Dont on ne peut prévoir ni comprendre la cause ;

Cette instabilité peut séduire un amant ;

Mais un mari futur pense différemment...

Madame de Puisieux d’ailleurs n’est plus d’un âge

Où la légèreté soit un enfantillage :

Tant qu’on est jeune, on peut faire tout ce qui plait.

JENNY.

On lui croirait cent ans, si l’on vous entendait.

LÉON.

Pas encor, grâce au ciel ! mais enfin elle compte

Vingt-quatre hivers échus, plus un printemps d’à-compte,

Ce qui, joint au mari que je vais remplacer,

Doit raisonnablement lui donner à penser,

Je ne demande pas... j’en serais fâché même,

Qu’elle aille renoncer à des plaisirs que j’aime ;

Mais, sans être exigeant, sans la persécuter,

Je désire, à peu près, savoir sur quoi compter ;

Quand l’amant, par avance, est réduit à se plaindre,

Je crois pour le mari l’avenir fort à craindre.

JENNY.

Quoi ! vous prenez la chose au tragique...

LÉON.

Oui, parbleu !

Je trouve qu’avec moi l’on joue un mauvais jeu.

Comment de ta maîtresse expliquer la conduite ?

Vers neuf heures du soir, mercredi je la quitte...

« À demain, me dit-elle, en me tendant la main,

Vous le promettez ? – Oui. » J’y cours le lendemain...

JENNY.

Nous venions de partir...

LÉON.

Précisément... je sonne,

Un ne me répond pas... je redouble... personne !

Je descends... le portier me dit tranquillement :

« Madame de Puisieux n’est plus ici. – Comment ?

Cela ne se peut pas ! – Elle est à la campagne...

– Laquelle ? – Je ne sais. – Et Jenny ? – L’accompagne.

Il eût fallu venir dix minutes plus tôt.

– Et madame pour moi n’a rien dit ? – Pas un mot. »

Juge de ma surprise !

JENNY.

Et de votre colère !

LÉON.

Je pars, ne sachant plus que penser ni que faire ;

Je veux douter encor... mais, en rentrant chez moi,

Je trouve ton billet... et j’apprends... grâce à toi,

Que, désertant Paris sans daigner m’en instruire,

Madame de Puisieux à Meudon se retire...

Chez qui !... chez une femme...

JENNY.

Une femme d’esprit,

Qui fait des vers charmants...

LÉON.

Que personne ne lit !

Une femme d’esprit... dont la muse immorale

S’est fait partout proscrire à force de scandale ;

Une femme d’esprit... qui n’a pas le bon sens

De voir que, si l’on rit, on rit à ses dépens.

La voici maintenant, dans sa rage éternelle

De faire, à quelque prix que ce soit, parler d’elle,

Qui, voyant nos badauds déserter tous les jours,

Vient ennuyer Meudon de je ne sais quel cours...

Ce bel esprit bavard, dont elle se pavane,

Aux yeux de quelques sots cache la courtisane :

Mais le monde, sévère et juste en son mépris,

A condamné l’auteur, la femme et les écrits !

JENNY.

Comment ! vous penseriez... ?

LÉON.

Ce que tout Paris pense.

Pour mettre sur sa vie un masque de décence,

Et la légitimer jusque dans ses travers,

Elle se fuit honneur d’un tas de méchants vers ;

Elle s’en va, disant à qui veut bien bien l’en croire,

Que la philosophie est son unique gloire,

Qu’elle n’a nul souci des choses d’ici-bas ;

Mais, tout en les blâmant, elle en fait très grand cas ;

Veuve à trente-deux ans, et fort sotte de l’être,

Elle a cherché partout pour se trouver un maître ;

Et, comme aucun mari ne veut plus s’en charger,

Sur le tiers et le quart elle aime à se venger :

Chacun est, tour à tour, dupe de son manège ;

Son amitié jalouse est elle-même un piège...

En attirant Julie, elle veut l’abuser ;

Je suis sûr de mon fait et m’y viens opposer.

JENNY.

Que ferez-vous ?

LÉON.

Ma foi, je ne sais, mais la ruse

Est ici très permise, et tant pis pour la muse...

JENNY.

Vous l’aimez peu.

LÉON.

C’est vrai.

JENNY.

Vous êtes un ingrat !

Sachez donc que madame Albertine Duprat

Fait tout ce qu’elle fait pour un homme qu’elle aime !

LÉON.

Et ce mortel heureux, c’est... ?

JENNY.

C’est vous.

LÉON.

Moi ?

JENNY.

Vous-même.

LÉON.

Tu veux rire ?

JENNY.

Voilà trois semaines, je crois,

Qu’elle vous vit chez nous pour la première fois ;

N’ayant pas découvert encor notre mérite,

Elle ne nous faisait par an qu’une visite ;

Tout à coup... dans vos yeux c’était sans doute écrit,

Nous devenons pour elle un prodige d’esprit...

Elle vous voit, nous aime, et, changeant de langage,

D’une estime subite elle nous fait hommage...

Un coup d’œil a suffi... dès lors, matin et soir,

Elle vient chaque jour pour vous... non... pour nous voir ;

Pour nous, elle vous porte un intérêt extrême,

« Que fait-il donc ? » dit-elle. « Il part à l’instant même, »

Répond madame... Moi, je n’ose l’avertir

Qu’en la voyant entrer vous venez de sortir,

Ce serait peu flatteur, quoique vrai... De plus belle,

Elle refait vingt fois une épreuve nouvelle ;

Lasse enfin de se voir aussi mal réussir,

Aux moyens décisifs elle veut recourir...

La guerre est commencée, il faut qu’elle l’achève,

Il faut vous enlever... donc, elle nous enlève !

LÉON.

Bravo, madame !

JENNY.

Un jour... précisément jeudi,

Elle vient, tout courant, chez nous, avant midi...

Elle s’y prend si bien, qu’elle nous persuade

Que le ciel nous destine à faire... une Iliade !

Que tarder plus longtemps à sortir du repos,

C’est déserter la lice et trahir les drapeaux...

Nous avons trop d’esprit sans doute pour la croire ;

Mais l’encens est si doux... et c’est si beau, la gloire !

D’ailleurs, tout par ses soins est déjà préparé,

Un château nous attend dans un lieu retiré ;

Là, nous pourrons en paix, et dans la solitude,

Jouir tranquillement des plaisirs de l’étude ;

De plus, dans un recueil des mieux accrédités,

Nos ouvrages futurs sont d’avance acceptés.

LÉON.

Vous ferez... ?

JENNY.

De grands vers... de petits épisodes,

Et l’article de fond... dans le Journal des Modes !

LÉON.

Peste ! cela promet !

JENNY.

D’abord nous hésitons ;

Mais la voiture est prête... elle part... nous partons !

LÉON.

Sans songer au mari que vous deviez attendre.

JENNY.

C’est vrai.

LÉON.

Bien obligé d’un souvenir si tendre.

JENNY.

Que voulez-vous !... la gloire...

LÉON.

Ah ! je me vengerai !

JENNY.

C’est déjà fait.

LÉON.

Comment ?

JENNY.

Nous avons bien pleuré !

LÉON.

Se peut-il ?

JENNY.

On vous aime, et madame est si bonne !

Quand on se voit, on parle, on gronde... et l’on pardonne ;

Mais de loin... Hier soir, elle pleurait encor.

LÉON.

Ô ciel ! et maintenant que fait-elle ?

JENNY.

Elle dort.

LÉON.

Elle dort ! sa douleur est très inquiétante...

JENNY.

Elle a passé la nuit.

LÉON.

À quelque œuvre importante ?

JENNY.

Le travail est pour elle une distraction...

Quand elle s’est couchée, il faisait grand jour.

LÉON.

Bon.

JENNY.

À sept heures, au plus, voulant être éveillée,

De revenir bientôt elle m’avait priée.

Mais j’ai pensé...

LÉON.

Fort mal... ! une femme d’esprit

Ne doit pas fermer l’œil ni le jour ni la nuit.

Va vite l’avertir.

JENNY.

Vous voulez... ?

LÉON.

Je l’exige.

JENNY.

Elle en sera malade.

LÉON.

Eh ! tant mieux !... va, te dis-je !

Elle sort.

 

 

Scène II

 

LÉON, seul

 

Oui, dussiez-vous, madame, avoir quelque vapeur,

Je saurai vous guérir du beau métier d’auteur.

Je connais tel mari dont le bonheur m’engage

À préférer la prose aux vers dans mon ménage.

D’un astre trop brillant satellite effacé,

N’ayant que la valeur d’un zéro mal placé,

Il n’est, grâce aux amis qui lui viennent en aide,

Ni marié, ni veuf, ni garçon... il possède

La nue propriété d’une femme d’esprit,

Dont le premier venant lui souffle l’usufruit,

Et j’irais comme un sot...

 

 

Scène III

 

LÉON, JENNY

 

JENNY.

La toilette s’avance.

LÉON, à part.

Mais au fait... pourquoi pas... ?

Haut.

J’ai ma double vengeance.

Où puis-je me cacher ?

JENNY, à la croisée.

Dans le jardin anglais ;

On le trouve charmant... mais on n’y va jamais.

Là-bas, à droite...

LÉON, à la croisée.

Tiens...

JENNY.

Quoi ?

LÉON.

Quel est ce jeune homme ?

JENNY.

Où donc ?

LÉON.

Là !

JENNY.

Ce n’est rien.

LÉON.

Comment, rien ?

JENNY.

Il se nomme

Alex de Saint-Romain...

LÉON.

Un auteur ?

JENNY.

En projet,

Il a tout ce qu’il faut pour l’être... hors un sujet.

Depuis plus de deux ans il est à la poursuite

Du titre qu’il doit mettre à son œuvre inédite ;

Mais il a beau chercher, rien n’est encor venu...

Ce qui n’empêche pas qu’il ne soit très connu.

On l’estime, on le choie, on l’aime, on le vénère !

LÉON.

Il a donc de l’esprit ?

JENNY.

Il est millionnaire !

LÉON.

C’est différent...

JENNY.

Son père, honnête s’il en fut,

Travailla quarante ans, fit fortune et mourut.

LÉON.

Bien !

JENNY.

Alors, noble et riche, il lui prend fantaisie

D’avoir le goût des arts et de la poésie !

De madame Duprat tout Je monde parlait ;

Il se fait présenter, la voit, l’aime, lui plaît,

Se cramponne à sa gloire, et, remorqué par elle,

Devient subitement littérateur modèle,

Poète et romancier... un génie en un mot !

Ôtez un million, et ce n’est plus qu’un sot.

LÉON.

Le portrait est flatteur !

JENNY.

Flatté, je vous assure,

Il lui ressemble en beau...

LÉON.

Peste !

JENNY.

En miniature.

À ses réflexions profondément livré,

Il cherche le sujet si longtemps désiré ;

Il ne vous verra pas... Partez... je crois l’entendre.

LÉON.

Si je pouvais la voir !

JENNY.

Hâtez-vous de descendre...

C’est elle.

LÉON.

Je t’attends...

JENNY.

J’y vais.

Léon sort.

 

 

Scène IV

 

MADAME DE PUISIEUX, JENNY

 

MADAME DE PUISIEUX.

Eh bien, Jenny ?

JENNY.

Personne !... ce n’est pas encor pour aujourd’hui.

MADAME DE PUISIEUX.

Et pas de lettre ?

JENNY.

Non.

MADANE DE PUISIEUX.

C’est bien !

À part.

C’est incroyable.

Haut.

Il faut que je travaille... approchez cette table.

Elle s’assied.

Que faites-vous là ?

JENNY.

Moi ?... j’attends.

MADAME DE PUISIEUX.

Sortez... non... si.

JENNY, à part.

Je crois que le remède a déjà réussi.

Elle sort.

 

 

Scène V

 

MADAME DE PUISIEUX, seule

 

Rien ! pas un mot... ces vers sont froids, c’est, vieux, c’est fade !

Hier, je les trouvais charmants... j’en suis malade !

Quatre jours... c’est si long ! j’ai mal fait de partir...

Oui, j’aurais dû l’attendre... ou du moins l’avertir.

l’ai cru qu’il comprendrait... il connaît Albertine,

C’était si naturel... quand on aime, on devine.

Mais les hommes seraient honteux de faire un pas ;

Ils ne nous aiment plus dès qu’ils ne nous voient pas.

Si j’étais seule au moins... mais ce sot personnage

Dont il me faut subir et les vers et l’hommage,

Ce monsieur Saint-Romain !... tout bien considéré,

Je n’y puis plus tenir... je me rends... j’écrirai.

Quel bonheur quand demain il recevra ma lettre ;

De son étonnement d’abord il n’est pas maître,

Il regarde, il hésite, il doute, il ouvre, il lit...

« C’est d’elle !... » je le vois ! j’entends tout ce qu’il dit !

En attendant, l’ingrat m’accuse et me soupçonne...

Mais je vaux mieux que vous, monsieur, je vous pardonne.

Et, quand il l’aura lue, il viendra... je l’attends.

MADAME DUPRAT, dans la coulisse.

Sans doute elle est visible...

MADAME DE PUISIEUX.

Ô ciel ! quel contretemps !

Albertine !... tâchons de ne pas être émue.

 

 

Scène VI

 

MADAME DE PUISIEUX, MADAME DUPRAT, ALEX

 

JENNY, annonçant.

Madame, c’est...

MADAME DUPRAT, entrant.

C’est moi !

Jenny sort.

MADAME DE PUISIEUX.

Toujours la bienvenue.

MADAME DUPRAT.

Bonjour, chère... Venez, Alex...

À madame de Puisieux.

Vous permettez ?

ALEX, à madame de Puisieux.

Belle dame, je suis confus de vos bontés...

Je n’osais, si matin...

MADAME DUPRAT.

Assez !

À madame de Puisieux.

Je viens vous prendre,

C’est aujourd’hui mon cours, tout Meudon doit s’y rendre.

MADAME DE PUISIEUX.

J’irai...

ALEX.

Je vous promets un sublime discours !

MADAME DUPRAT.

Sublime... non... c’est beau...

MADAME DE PUISIEUX.

Sur quel sujet ?

ALEX.

Toujours

L’émancipation, la liberté de l’âme,

L’abaissement de l’homme au profit de la femme.

MADAME DE PUISIEUX.

Je comprends... ce sujet doit vous plaire...

ALEX.

Beaucoup.

Il est des plus heureux !

MADAME DE PUISIEUX.

Pour les hommes surtout.

ALEX.

Le sexe n’y fait rien, croyez-moi, belle dame !

MADAME DE PUISIEUX.

Je pense comme vous, monsieur ; mais je suis femme !

MADAME DUPRAT, à madame de Puisieux.

Votre conversion n’est faite qu’à demi,

Je la veux achever à mon cours d’aujourd’hui.

MADAME DE PUISIEUX.

En attendant, je vais achever ma toilette.

ALEX.

La nôtre nous réclame et sera bientôt faite.

Nous partirons ensemble.

MADAME DUPRAT, bas, à madame de Puisieux.

À propos, et Léon ?

MADAME DE PUISIEUX.

Il viendra.

MADAME DUPRAT.

Vraiment !

MADAME DE PUISIEUX.

Oui.

MADAME DUPRAT.

Vous avez écrit ?

MADAME DE PUISIEUX.

Non.

Mais mon cœur me le dit.

MADAME DUPRAT.

On croit ce qu’on désire...

On se trompe souvent... pourquoi ne pas écrire ?

C’est tout simple... il n’attend qu’un mot de votre main.

Nous ne le verrons pas...

MADAME DE PUISIEUX.

Nous le verrons... demain.

Elle sort.

 

 

Scène VII

 

MADAME DUPRAT, ALEX

 

MADAME DUPRAT, à part.

Demain ?... c’est impossible ! elle croit... elle espère...

Elle espère toujours !

ALEX, à part, cherchant son sujet.

Une fille... un vieux père...

J’y suis.

MADAME DUPRAT.

Alex !

ALEX.

Plaît-il ?

MADAME DUPRAT.

Vous allez à Paris

Porter à l’instant même un billet que j’écris.

ALEX.

À Paris ?

MADAME DUPRAT.

Sur-le-champ... Tenez.

ALEX.

Pour une lettre ?

MADAME DUPRAT.

Vous l’avez entendu.

ALEX.

Si vous vouliez permettre,

J’enverrais quelqu’un...

MADAME DUPRAT.

Oui... mais je ne permets pas,

Et veux que vous alliez vous-même, de ce pas,

La porter chez monsieur...

ALEX.

Un jeune homme, Albertine !

MADAME DUPRAT.

Un jeune homme : monsieur Darcy... place Dauphine...

Prenez votre cheval et partez.

ALEX.

Mais...

MADAME DUPRAT.

Allez !

ALEX.

Je... Vous faites de moi tout ce que vous voulez.

Il sort.

 

 

Scène VIII

 

MADAME DUPRAT, seule

 

Il viendra !... ce moyen était le seul sans doute.

D’ailleurs, j’en ai trop fait pour m’arrêter en route.

J’ai tort ; mais c’est égal.

 

 

Scène IX

 

MADAME DUPRAT, LÉON

 

JENNY, dans le fond, à Léon.

Arrivez, la voici.

LÉON.

Elle est seule ?

JENNY.

Oui.

LÉON.

Va-t’en...

Elle sort.

MADAME DUPRAT, se retournant.

Ô ciel ! monsieur Darcy !

LÉON.

Madame... j’ai... Pardon !... je crois que je vous gêne.

MADAME DUPRAT.

Au contraire, monsieur... Quel bon vent vous amène ?

LÉON.

Vous me le demandez ? mais il n’est question,

Madame, dans Paris, que des cours de Meudon,

Et je venais chez vous, avant que de m’y rendre,

Empressé de vous voir comme de vous entendre.

MADAME DUPRAT.

Que dit-il ?... Quoi ! monsieur...

LÉON.

Si je suis indiscret,

Dites un mot... je pars...

MADAME DUPRAT.

Comment, il se pourrait...

C’est pour moi... ?

LÉON.

Pour qui donc, madame, je vous prie ?

MADAME DUPRAT.

Je ne sais... j’avais cru qu’une autre... que Julie...

LÉON.

Madame de Puisieux ?... Ah ! ne m’en parlez pas ;

Longtemps un fol espoir m’entraîna sur ses pas,

Vous le savez... eh bien... pardonnez-moi, madame,

D’épancher devant vous tout le fiel de mon âme ;

Mais comment se résoudre à passer pour un sot,

Qui se laisse insulter et n’ose dire un mot ?

À ce rôle honteux qui pourrait se contraindre ?

On est dupe deux fois, quand on l’est sans se plaindre.

Non, non, il faut parler, mais parler franchement

Et dire : « Je sais tout, vous me trompez... »

MADAME DUPRAT.

Comment ?

LÉON.

Vous êtes, j’en suis sûr, de mon avis, madame.

MADAME DUPRAT.

Je ne vous comprends pas...

LÉON.

Vous pensez que la femme

Qui se serait de moi jouée imprudemment

Aurait bien mérité ce petit châtiment ;

Et que si, par hasard, infidèle et parjure,

Madame de Puisieux m’avait fait cette injure...

MADAME DUPRAT, à part.

Madame de Puisieux !

LÉON.

Je pourrais, n’est ce pas ?

Lui dire : « Je sais tout, vous me trompez ! »

MADAME DUPRAT.

Plus bas !

LÉON.

Et si, las d’un lien-dont elle me dégage,

Je voulais mieux placer mes vœux et mon hommage,

J’aurais droit de le faire, et pourrais sans retour

Venger, en l’oubliant, l’oubli de mon amour !

MADAME DUPRAT.

Quoi, monsieur, vous voulez... ?

LÉON.

Je m’emporte, madame...

Mais, si je le voulais, quelle indulgente femme,

Acceptant le rebut d’un cœur humilié,

Pour doubler ma vengeance en prendrait la moitié ?

MADAME DUPRAT.

Toutes s’honoreraient d’un cœur comme le vôtre.

LÉON.

Même en leur avouant que j’en aimais un autre ?

MADAME DUPRAT.

Qu’importe ? cet aveu n’aurait rien d’offensant...

On pardonne au passé, quand on a le présent.

LÉON.

Que dites-vous, ô ciel !... combien vous êtes bonne !

Vous ne condamnez pas celui qu’on abandonne.

Ah ! je le savais bien, madame !... apprenez donc

Que, si je suis venu ce matin à Meudon,

C’était... qu’allais-je dire ?...

MADAME DUPRAT.

Eh bien ?

LÉON.

Je dois me taire...

MADAME DUPRAT.

Achevez...

LÉON.

Je ne puis, je crains votre colère...

MADAME DUPRAT.

Mais, monsieur...

LÉON.

Permettez qu’un silence discret

Pour toujours, dans mon cœur, renferme mon secret.

Je voulais seulement vous voir et vous entendre ;

De mon émotion je n’ai pu me défendre.

J’eus tort... un nom... le sien, qui vous est échappé,

M’a rappelé d’abord combien on m’a trompé ;

Mais au ressentiment de cette lâche offense

Succède dans mon cœur une chère espérance...

MADAME DUPRAT.

Je ne vous blâme pas... mais peut-être à vos yeux

A-t-on calomnié madame de Puisieux ;

Peut-être ignorez-vous...

LÉON.

Je sais tout, je vous jure,

Et la punition égalera l’injure.

Une femme s’est fait un jeu de mon amour :

Je veux, pour la punir, qu’elle m’aime à son tour.

Une fois satisfait, laissant là toute feinte,

Vers un plus digne objet je reviendrai sans crainte,

Sûr de voir excuser un caprice innocent...

On pardonne au passé, quand on a le présent.

MADAME DUPRAT.

Je ne dis pas cela...

LÉON.

Pourquoi vous en défendre ?

Vous l’avez dit...

MADAME DUPRAT.

Monsieur, j’ai peur de vous comprendre.

Dans un autre moment vous vous expliquerez ;

Mais je dois obéir à des devoirs sacrés.

Autant que je l’ai pu, d’une voix impuissante,

J’ai protégé les droits de mon amie absente,

Maintenant, j’appartiens à d’autres intérêts.

Allez m’attendre au cours et revenez après.

LÉON.

Ah ! madame, je pars... L’espérance est permise,

N’est-ce pas ?...

À part.

Elle hésite.

MADAME DUPRAT, lui tendant la main.

À bientôt.

LÉON, à part.

Elle est prise !

Il baise la main de madame Duprat. Madame de Puisieux et Alex entrent chacun par une porte de coté, et les voient. Madame Duprat sort.

 

 

Scène X

 

MADAME DE PUISIEUX, ALEX

 

MADAME DE PUISIEUX, à part.

Ah !

ALEX, à part.

Oh !

LÉON, à part.

Elle m’a vu... je reviendrai bientôt.

Il sort.

ALEX, à part.

À merveille !

MADAME DE PUISIEUX, à part.

Il s’en va, sans me dire un seul mot.

ALEX, à part.

J’arrive au bon moment... on m’attendait, je pense...

MADAME DE PUISIEUX, à part.

Tout à l’heure Albertine accusait son absence,

Elle ne voulait pas croire qu’il vint demain,

J’entre et trouve monsieur qui lui baise la main.

Oh ! je n’en puis douter...

ALEX.

Vous l’avez vu, madame ?

MADAME DE PUISIEUX.

C’est une chose affreuse !

ALEX.

Horrible !... lâche !... infâme !

MADAME DE PUISIEUX.

Il se moque de moi.

ALEX.

De moi, s’il vous plaît.

MADAME DE PUISIEUX.

Non.

Lui seul a tort, tandis qu’Albertine...

ALEX.

Pardon !

MADAME DE PUISIEUX.

Si de le recevoir elle eût eu la pensée,

Tranquillement ici m’aurait-elle laissée ?

ALEX.

Dites que, connaissant votre extrême bonté,

Elle aura cru pouvoir...

MADAME DE PUISIEUX.

Oh ! quelle indignité !

ALEX.

D’ailleurs, elle a tout fait, si je me le rappelle,

Pour que vous allassiez à son cours avant elle.

MADAME DE PUISIEUX.

Vous croyez ?

ALEX.

J’en suis sûr, et c’était pour le mieux.

MADAME DE PUISIEUX.

Mais vous qui voyez tout avec de si bons yeux,

Comment donc se fait-il qu’elle ait eu l’imprudence

De ne pas s’affranchir de votre surveillance ?

Est-ce que, connaissant vos extrêmes bontés,

Elle a, comme pour moi, cru pouvoir...

ALEX.

Permettez,

C’est précisément là que l’affaire s’explique...

Sachant bien que je suis d’humeur peu pacifique,

Elle avait pris l’avance, et sans plus se gêner,

M’avait tout bonnement envoyé promener.

MADAME DE PUISIEUX.

Ô ciel !

ALEX.

J’avais déjà fait le quart de la route,

J’étais à Billancourt, quand il me vient un doute.

À l’instant sur mes pas je retourne au galop,

Et j’arrive, ma foi, ni trop tard ni trop tôt,

Juste à temps pour bien voir que de moi l’on s’occupe,

Qu’on me prend pour un sot.

MADAME DE PUISIEUX.

Et moi pour une dupe.

ALEX.

C’est clair comme le jour... et direz-vous encor

Qu’Albertine ait raison, et que lui seul ait tort !

MADAME DE PUISIEUX.

Je dis, je dis, monsieur, que c’est une infamie !

Se jouer à ce point...

ALEX.

D’un amant !

MADAME DE PUISIEUX.

D’une amie !

ALEX.

Employer contre nous d’aussi lâches détours ;

M’envoyer à Paris !

MADAME DE PUISIEUX.

M’envoyer à son cours !

ALEX.

C’est une trahison !

MADAME DE PUISIEUX.

Qui demande vengeance.

ALEX, à part.

Avec quelle chaleur elle prend ma défense !

Haut.

Nous pourrions... Le moyen peut-être est hasardeux.

MADAME DE PUISIEUX.

Quel qu’il soit, je l’approuve.

ALEX.

Au surplus, j’en ai deux...

D’abord pour mettre au jour sa noire perfidie,

Je veux sur ce sujet faire... une comédie.

MADAME DE PUISIEUX.

Eh ! monsieur !

ALEX.

Croyez-moi, le moyen est fort bon ;

Mais je préférerais mille fois le second.

Albertine me trompe, et n’est qu’une infidèle...

MADAME DE PUISIEUX.

Eh bien ?

ALEX.

Pour la punir, si je faisais comme elle ?

MADAME DE PUISIEUX.

Quoi !

ALEX.

Ce moyen, madame, est le meilleur de tous ;

Et, si vous permettiez, je pourrais, grâce à vous...

MADAME DE PUISIEUX.

À moi !

ALEX.

Sans doute !

MADAME DE PUISIEUX, à part.

Oh ciel !... c’est Léon !... il s’avance...

ALEX.

Vous ne pensez donc plus, madame, à la vengeance ?

MADAME DE PUISIEUX.

Si fait, si fait...

ALEX.

Alors...

MADAME DE PUISIEUX, à part.

C’est pour elle qu’il vient...

ALEX.

Je vous demande un peu qu’est-ce qui vous retient ?

MADAME DE PUISIEUX.

Il la cherche, il approche...

ALEX.

Une innocente ruse

Ne peut...

MADAME DE PUISIEUX.

Eh ! qui vous dit, monsieur, que je refuse ?

ALEX.

Ah bah !

MADAME DE PUISIEUX.

Le voilà ! vite à mes pieds...

ALEX, s’y mettant.

J’y suis.

MADAME DE PUISIEUX.

Bon !

Parlez.

ALEX.

Oui... je...

LÉON, entrant par la porte du fond.

Très bien...

MADAME DE PUISIEUX, à Alex qui veut se relever.

Restez... mais restez donc !

 

 

Scène XI

 

MADAME DE PUISIEUX, ALEX, LÉON

 

LÉON.

Ne vous dérangez pas, madame, je vous prie.

MADAME DE PUISIEUX.

Vous le voyez, monsieur, je n’en ai nulle envie.

LÉON.

Je ne veux pas troubler un entretien si doux.

MADAME DE PUISIEUX.

Je le regretterais au moins autant que vous.

ALEX, à part, en se relevant.

Diable ! mais...

LÉON.

Achevez, et dites-moi vous-même.

Qu’il vous plait que monsieur...

MADAME DE PUISIEUX.

Et pourquoi non, s’il m’aime ?

LÉON.

S’il vous aime !

MADAME DE PUISIEUX.

Cela paraît vous indigner ;

Suis-je donc, à vos yeux, si fort à dédaigner ?

LÉON.

Probablement alors c’est cette amour subite

Qui vous a de Paris fait partir aussi vite...

MADAME DE PUISIEUX.

Peut-être.

LÉON.

Et vous venez, c’est généreux vraiment,

Chez votre amie, afin d’enlever son amant !

MADAME DE PUISIEUX.

Vous en plaindre, monsieur, serait une injustice ;

En le faisant, j’ai cru vous rendre un grand service.

LÉON.

Ainsi vous l’avouez ?

MADAME DE PUISIEUX.

Oui, pourquoi m’en cacher ?

LÉON.

Vous aimez monsieur ?

MADAME DE PUISIEUX.

Mais... qui peut m’en empêcher ?

ALEX, à part.

Hein !

LÉON.

Votre aveu me touche et j’ai joie à l’entendre.

MADAME DE PUISIEUX.

Du moins, il est sincère et facile à comprendre.

LÉON.

C’est vrai, pour s’y tromper, il faudrait être sot.

ALEX, à part.

Je veux être pendu, si j’y comprends un mot.

LÉON.

Je dois donc m’éloigner, et vais, quoi qu’il m’en coûte..

MADAME DE PUISIEUX.

Albertine saura vous retenir sans doute,

Elle a tout ce qu’il faut pour cela...

LÉON.

J’en conviens.

À part.

De la mauvaise humeur, du dépit... Je la tiens !

Haut.

Elle a de l’esprit.

MADAME DE PUISIEUX.

Oui... plus que de l’esprit même...

LÉON.

Du talent, du goût...

MADAME DE PUISIEUX.

Oui, du goût... elle vous aime !

LÉON.

Madame...

MADAME DE PUISIEUX.

Vous prenez son parti, je le vois.

LÉON.

Je dis ce que je sais et fais ce que je dois.

MADAME DE PUISIEUX.

Aussi, j’admire fort votre franche conduite,

Et pour vous le prouver, franchement je l’imite.

Monsieur m’aime, je l’aime, et réponds à ses vœux.

Je dis ce qui me plaît et fais ce que je veux !

LÉON.

Votre choix est vraiment des plus heureux, madame.

ALEX, à part.

Je crois bien...

LÉON.

Mais voici quelqu’un qui me réclame.

MADAME DE PUISIEUX.

Vous l’attendiez ?

LÉON.

Peut-être.

 

 

Scène XII

 

MADAME DE PUISIEUX, ALEX, LÉON, MADAME DUPRAT

 

MADAME DUPRAT.

Eh ! quel honneur pour nous !

Monsieur Léon, enfin...

LÉON.

Madame...

MADAME DUPRAT.

Savez-vous

Que faire attendre ainsi, monsieur, les gens qu’on aime,

C’est mal...

ALEX, à part.

Plaît-il ?...

MADAME DE PUISIEUX, à part.

Comment ! elle ose...

MADAME DUPRAT.

Aujourd’hui même,

Madame de Puisieux avec moi s’en plaignait,

Et nous nous étonnions...

MADAME DE PUISIEUX.

Moi, pas du tout.

MADAME DUPRAT.

Si fait.

MADAME DE PUISIEUX.

C’est-à-dire que vous, en charitable femme,

Me parliez, soi-disant pour moi, de lui, madame,

Et même m’invitiez d’un air de bonne foi,

À le faire chez vous venir, comme pour moi !

MADAME DUPRAT, bas, à Léon.

Je vous expliquerai plus tard toute l’affaire...

MADAME DE PUISIEUX.

L’absence de monsieur ne pouvait rien me faire,

Il ne me savait pas à Meudon... S’il y vient,

C’est à vous, non à moi, que l’honneur en revient.

LÉON.

En effet... le hasard a dû seul m’y conduire,

Madame ayant pris soin de ne pas m’en instruire.

MADAME DUPRAT.

Quel que soit le motif qui vous ait amené,

Vous voilà, tout est dit, nous avons pardonné...

MADAME DE PUISIEUX.

Vous êtes vraiment bonne et pleine d’indulgence !

MADAME DUPRAT, à Léon.

Mais, comme tout péché mérite pénitence,

Pour aller à mon cours offrez-moi votre bras,

C’est votre châtiment.

LÉON.

Je ne m’en plaindrai pas.

MADAME DUPRAT, à madame de Puisieux.

Vous venez, chère...

MADAME DE PUISIEUX.

Non.

MADAME DUPRAT.

Si.

MADAME DE PUISIEUX.

Non.

MADAME DUPRAT.

Quelle manie...

MADAME DE PUISIEUX.

Je ne sors pas, monsieur me tiendra compagnie.

LÉON, montrant Alex à madame Duprat.

Monsieur...

MADAME DUPRAT.

Comment, Alex, vous étiez là ?

ALEX.

Parbleu !

Vous ne m’avez pas vu ?

MADAME DUPRAT.

Non...

ALEX.

Bah !

LÉON, offrant son bras à madame Duprat.

Partons.

MADAME DUPRAT.

Adieu !

Ils sortent.

 

 

Scène XIII

 

MADAME DE PUISIEUX, ALEX

 

ALEX.

C’est trop fort !

MADAME DE PUISIEUX.

Je suffoque.

ALEX.

Elle l’adore.

MADAME DE PUISIEUX.

Il l’aime !

ALEX.

C’est sûr !

MADAME DE PUISIEUX.

Monsieur, je veux partir à l’instant même.

Nous ne pouvons souffrir qu’on se moque de nous :

Elle part avec lui : moi, je pars avec vous !

ALEX.

Avec moi !

MADAME DE PUISIEUX.

Nous irons où vous voudrez, n’importe ;

Je m’abandonne à vous, mais il faut que je sorte,

Il le faut !

ALEX.

Comment donc ! tout de suite...

À part.

Très bien,

Chacun son tour, je vais avoir aussi le mien.

Haut.

Ma voiture est en bas, j’ordonne qu’on l’apprête...

Je descends et remonte...

MADAME DE PUISIEUX.

Allez... je serai prête.

ALEX.

J’y vais, j’y cours... Elle est adorable, ma foi !

À part.

Ah ! madame Duprat, vous faites fi de moi !

À votre aise...

MADAME DE PUISIEUX.

Allez donc !

ALEX.

Je reviens.

Il sort. Madame de Puisieux sonne, Jenny entre.

 

 

Scène XIV

 

MADAME DE PUISIEUX, JENNY

 

MADAME DE PUISIEUX.

Jenny, vite,

Nos paquets, nous partons pour Paris tout de suite...

Mon voile, mon chapeau.

Elle s’assied.

JENNY, à part.

Je l’aurais parié...

Haut.

Au premier coup d’œil tendre, il a tout oublié !

MADAME DE PUISIEUX.

Oui, tout... qui l’eût pensé !

JENNY.

Qui ?... moi... j’en étais sûre.

Mon Dieu ! les hommes sont de si pauvre nature ;

Au lieu de marchander, ils cèdent tout d’abord ;

Chez eux la chair est faible... et l’esprit n’est pas fort !

MADAME DE PUISIEUX.

Après tant de serments...

JENNY.

Un geste, une parole,

Un sourire... colère et serments, tout s’envole !

Que voulez-vous !... D’ici, je le vois tout confus,

Pour expier des torts que vous seule aviez eus...

Vous dire : « Au rendez-vous j’eus grand soin de me rendre ;

Peut-être, à la rigueur, auriez-vous dû m’attendre,

Ou m’avertir au moins en partant pour Meudon ;

Mais c’est égal, moi seul suis coupable... pardon...

J’étais fou... quand on aime, on craint plus qu’on n’espère !

Je ne vous croyais pas infidèle... au contraire...

Cependant, j’avais peur, et, dans mon sot effroi,

Je voulais me venger de... je ne sais trop quoi.

J’ai, malgré tout le soin qu’elle met à me plaire,

Pour madame Duprat une haine exemplaire ;

Eh bien, uniquement pour vous mettre en courroux,

Je voulais l’adorer... tomber à ses genoux... »

MADAME DE PUISIEUX.

Se peut-il ?

JENNY.

La vengeance était fort bien choisie...

Jaloux, il s’attaquait à votre jalousie...

MADAME DE PUISIEUX.

D’où sais-tu... ? qui t’a dit... ?

JENNY.

Lui-même.

MADAME DE PUISIEUX.

Quoi ! Darcy...

JENNY.

C’est par moi qu’il savait que vous étiez ici.

MADAME DE PUISIEUX.

Il le savait...

JENNY.

Sans doute.

MADAME DE PUISIEUX.

Oh ! mon Dieu ! je devine,

C’est pour moi qu’il venait et non pour Albertine.

JENNY.

Parbleu ! la chose est sûre.

MADAME DE PUISIEUX.

Il ne l’aime donc pas ?

JENNY.

Il s’en garderait bien.

MADAME DE PUISIEUX.

Oh ! je cours de ce pas...

JENNY.

Où donc ?

MADAME DE PUISIEUX.

Il lui baisait la main... il m’avait vue ;

Je ne le savais pas... j’entre, troublée, émue,

J’ai pensé...

JENNY.

Quoi, madame !...

MADAME DE PUISIEUX.

Et tu ne m’as rien dit !

JENNY.

Écoutez donc, chacun ménage son crédit :

C’est votre époux futur ; moi, c’est mon futur maître ;

Il ne l’est pas encor... mais demain il peut l’être !

MADAME DE PUISIEUX.

Il fallait...

JENNY.

Après tout, c’est bien à lui, vraiment :

Il voulait vous punir, et l’a fait bravement...

MADAME DE PUISIEUX.

Ah ! si je l’avais su !

JENNY.

Vous auriez, je l’espère,

Aussi brave que lui, rendu guerre pour guerre...

MADAME DE PUISIEUX.

J’étais folle, j’étais jalouse, j’ai cru voir

Qu’il aimait Albertine, et, dans mon désespoir,

Je n’ai pas réfléchi... mon unique pensée

Fut d’offenser celui qui m’avait offensée...

Monsieur Alex m’offrait son secours odieux,

Il était à mes pieds, Léon vient... furieux,

Il n’en peut plus douter... il me croit infidèle...

JENNY.

Bien... très bien...

MADAME DE PUISIEUX.

Albertine entre, il sort avec elle...

Monsieur Alex est là... j’implore son appui...

JENNY.

Bravo !

MADAME DE PUISIEUX.

Je veux qu’il parte et m’emmène avec lui...

JENNY.

On ne peut mieux !

MADAME DE PUISIEUX.

Le fat doit croire que je l’aime...

Que faire ?... dans l’instant il va venir lui-même...

Il faut absolument que je parle à Léon ;

Je veux tout avouer, lui demander pardon.

JENNY.

Pas du tout.

MADAME DE PUISIEUX.

Ce moyen est le seul.

JENNY.

Au contraire ;

Ne vous avisez pas, madame, d’en rien faire.

Vous tenez les atouts, n’allez pas les lâcher.

Monsieur se fâche ; eh bien, laissez-le se ficher...

Il vous trompait, il faut lui rendre la pareille...

Il vous dressait un piège, il y tombe, à merveille !

C’est de très bonne guerre ! allez, ne craignez rien...

Ce que vous avez fait par dépit, est fort bien.

Seulement, vous serez, en manière d’excuse,

Censée avoir compris et déjoué sa ruse !

MADAME DE PUISIEUX.

Mais il n’en croira rien...

JENNY.

Il vous aime beaucoup...

Il vous croira, madame ; un amoureux croit tout !

Je l’entends...

MADAME DE PUISIEUX.

J’aurai tort.

JENNY.

Mais non, soyez tranquille

MADAME DE PUISIEUX.

Et l’autre qui bientôt...

JENNY.

L’autre est un imbécile.

MADAME DE PUISIEUX.

Cependant...

JENNY.

C’est un homme à n’y voir que du feu.

MADAME DE PUISIEUX.

Je devrais...

JENNY.

Par prudence, éloignez-vous un peu.

MADAME DE PUISIEUX.

J’ai peur...

JENNY.

Non... un amant n’est jamais redoutable.

Entrez, pour reparaître au moment favorable.

Elle lui ouvre la porte du cabinet à gauche.

MADAME DE PUISIEUX.

Mais je n’entendrai rien.

JENNY.

Essayez... Le voilà !...

Elle ferme la porte.

Il vous aime !

MADAME DE PUISIEUX, entr’ouvrant la porte.

On entend.

JENNY.

Rentrez vite...

Elle referme la porte. Léon voit le mouvement.

 

 

Scène XV

 

LÉON, JENNY

 

LÉON, à part.

Elle est là !

JENNY, à part.

À nous deux... Je commence à ne savoir que dire...

Il ne me paraît pas du tout en train de rire.

LÉON.

Que fait madame ?

JENNY, à part.

Allons, ferme, ne tremblons pas.

Haut.

Madame ! elle est sortie.

LÉON.

Hein !

JENNY.

Non... elle est en bas...

Mais elle va sortir.

LÉON.

Je le sais.

JENNY.

Quoi ?

LÉON.

Sans doute.

Avec monsieur...

JENNY.

Plaît-il ?

LÉON.

Alex.

JENNY.

Mais...

Elle se retourne du côté du cabinet.

LÉON, la voyant, à part.

Elle écoute.

C’est un complot.

JENNY.

Comment ! qui vous a dit... ?

LÉON.

Parbleu !

Il ne s’en cache pas... au contraire.

JENNY, à part.

Ô mon Dieu !

Haut.

Quoi ! lui-même ?

LÉON.

Au surplus, la chose est naturelle,

Je crois pour s’en vanter la victoire assez belle ;

Madame de Puisieux, malgré lui, tout à coup,

S’en vient éperdument se jeter à son cou,

Elle l’aime, elle veut qu’il l’enlève... que faire ?

Il obéit... Mais rien ne l’oblige à se taire :

L’aventure est piquante, il la racontera

Ce soir à Tortoni, demain à l’Opéra...

Dans deux jours, des salons elle sera la fable...

L’homme sera loué... Mais la femme coupable !

Sur elle vont pleuvoir les propos insultants,

Tous les sots en riront... on en rira longtemps !

Et l’on fera très bien...

JENNY.

Comment, monsieur, vous-même ?

LÉON.

Quand un homme de cœur, trahi par ce qu’il aime,

Reconnaît son affront, bien loin de le pleurer,

Il bénit le hasard qui vient de l’éclairer...

Madame de Puisieux, libre de sa tendresse,

Pour en aimer un autre aujourd’hui me délaisse :

Je regrette, il est vrai, que, pour me remplacer,

À faire un choix pareil elle ait pu s’abaisser,

Qu’à la merci d’un fat qui va la compromettre,

Elle ait mis son amour, et son honneur peut-être ;

Mais enfin mon bonheur et ma tranquillité

Me font de l’oublier une nécessité...

Ce matin, la croyant à peu près innocente,

Le pardon à la bouche ici je me présente :

Tu me dis et j’admets, de la meilleure foi,

Que madame Duprat est éprise de moi...

JENNY.

C’était...

LÉON.

La vérité, je le sais... et moi-même

Qui croyais la haïr, je me trompais, je l’aime...

JENNY.

Qui ?

LÉON.

Madame Duprat.

JENNY.

Ô ciel !...

LÉON.

Et pourquoi pas ?

Peu sensible à sa voix qui me charmait tout bas,

À la porte du cours, dès que je l’ai conduite,

Pour rejoindre Julie, empressé je la quitte,

J’entre et trouve d’abord ce monsieur Saint-Romain,

Qui m’accoste et me crie en me serrant la main :

« Ah ! monsieur... je n’ai pas l’honneur de vous connaître ;

Mais c’est égal, ma vie est en vos mains peut-être...

Les jeunes gens entre eux sont communs d’intérêts,

Ils s’obligent d’abord, font connaissance après.

Une femme est là-haut, qui m’aime, qui m’adore,

Qui veut que je l’enlève... et tout de suite encore !

Moi, je ne l’aime pas... mais c’est toujours cela...

Je voudrais l’enlever. – Eh bien, enlevez-la.

– Oui... mais... » Il me raconte alors que c’est Julie...

Madame de Puisieux, qui l’aime à la folie,

Qu’elle veut avec lui partir, qu’il le veut bien,

Que, hors une voiture, il ne leur manque rien,

Qu’Albertine est allée au cours avec la sienne,

Que je puis... Je comprends... et lui prête la mienne.

JENNY.

La vôtre !

LÉON.

Assurément... ne suis-je pas heureux

D’obliger à ce prix madame de Puisieux ?

Il accepte, et s’en va, dans ma propre voiture,

De mon consentement, enlever ma future.

JENNY.

Et vous avez souffert...

LÉON.

Devais-je me fâcher ?

Il faut souffrir ce que l’on ne peut empêcher...

Je n’avais pas le droit d’aller, puisqu’elle l’aime.

Prendre pour son honneur parti contre elle-même.

JENNY, à part.

Que faire ?...

LÉON, se rapprochant du cabinet où est madame de Puisieux.

Je l’avais si souvent répété :

Ce qui, de prime-abord, n’est que légèreté,

Tôt ou tard, dégénère en faute véritable ;

D’un caprice innocent l’habitude est coupable.

Mais, au lieu de se rendre à mes sages avis,

Madame de Puisieux ne les a pas suivis ;

Ils eussent préservé son inexpérience,

Elle n’a pas voulu... Voilà sa récompense !

Qu’elle parte !

JENNY.

Monsieur, je vais l’avertir.

LÉON.

Non !

Je ne veux pas la voir.

JENNY.

Cependant...

LÉON.

À quoi bon ?

JENNY.

Un mot d’elle pourrait...

LÉON.

Je ne veux pas l’entendre.

JENNY.

Mais elle va venir...

LÉON.

Je ne veux pas l’attendre.

Porte-lui mes adieux... elle est en bas ?

JENNY.

Oui... mais...

LÉON.

Il suffit... va-t’en.

JENNY.

Si... Diable d’homme... J’y vais !

Elle sort.

 

 

Scène XVI

MADAME DE PUISIEUX, LÉON

 

MADAME DE PUISIEUX.

Léon...

LÉON, à part.

C’est elle.

MADAME DE PUISIEUX.

Je... Léon, je suis coupable,

Je ne puis le nier... tout m’accuse et m’accable ;

Vous-même... écoutez-moi, de grâce, jusqu’au bout.

On ne condamne pas d’avance... Je sais tout...

J’étais là... j’entendais sans oser me défendre.

Ah ! monsieur, deviez-vous aussi vite vous rendre !

Vous l’avez dit, je vais m’éloigner sans retour :

Mais je veux votre estime, en perdant votre amour.

Je ne fus qu’égarée... Une femme légère,

Sans comprendre le mal, quelquefois peut le faire ;

Elle obéit d’abord au caprice, au hasard...

Et, quand elle s’arrête, il est souvent trop tard.

Je n’ai pas réfléchi... je vous aimais...

LÉON.

Madame...

MADAME DE PUISIEUX.

Ce n’est plus votre amour qu’aujourd’hui je réclame ;

Une autre le possède, et moi, je l’ai perdu...

Je ne vous en veux pas.., mais j’ai tout entendu.

Si vous saviez, lorsque je vous vis avec elle,

J’étais folle et voulus vous paraître infidèle...

Cet homme alors... cet homme, il plaignait mon tourment,

Je le pris pour complice et non pas pour amant ;

Il m’offrait un moyen de venger mon injure,

J’acceptai sans l’aimer, sans l’aimer, je vous jure !

Voilà mes torts, Léon, j’ai mal fait, je le sais ;

Je ne m’en défends pas ; mais vous qui m’accusez,

Voyons, n’êtes-vous pas bien injuste ? Les hommes

Nous traitent sans pitié toutes tant que nous sommes ;

Nous ne pouvons jamais trouver grâce auprès d’eux ;

L’ombre du mal devient criminelle à leurs yeux...

Que dis-je !... le bien même irrite leurs scrupules ;

Avons-nous du talent, nous sommes ridicules ;

Ils croient de leur honneur et de leur dignité

De vouer nos esprits à la stérilité ;

Ce qui n’empêche pas pourtant que chez les femmes,

On trouve quelquefois...

LÉON.

Oui, de puissantes âmes

Qu’inspire le génie, et qui du feu sacré

Ont reçu, par hasard, un rayon égaré...

Mais qu’on trouve bien plus de ces docteurs en jupes,

Prêtresses de boudoir et chercheuses de dupes,

Dont le seul intérêt fit la vocation,

Et qui de femme-auteur déshonorent le nom !

Celles-là croient en vain échapper aux risées,

Elles sont tôt ou tard en spectacle exposées ;

La ruse pour un temps leur a fait des flatteurs ;

Mais, aux regards surpris de leurs admirateurs,

La vérité fatale un beau jour se révèle...

Tout alors, gloire, honneur, disparaît devant elle,

Et le manteau d’esprit qu’elles ont emprunté

Laisse voir, en tombant, leur sotte nudité.

Voilà de quels faux dieux vous prenez la défense !

Pour nous, du vrai talent faisant la différence,

Nous savons lui payer d’honorables tributs ;

Pour défendre ses droits, en combattre l’abus ;

Mesurer au mérite et le blâme et l’estime ;

Et, tout en flétrissant d’une voix unanime

Les spéculations de vos dames Duprat,

Rendre hommage à Corinne, et justice à Mauprat !

MADAME DE PUISIEUX.

Eh ! sachez donc aussi d’un crime véritable

Distinguer une erreur... Je ne suis pas coupable,

Je vous l’ai déjà dit... Mon Dieu ! si vous m’aimiez,

Je serais innocente et mes torts oubliés.

LÉON.

Vous parlez à la fois de torts et d’innocence...

MADAME DE PUISIEUX.

C’est qu’innocente au fond, j’ai tort par l’apparence.

L’apparence est trompeuse, injuste...

LÉON.

Je le sais...

Mais enfin, quand par elle on a les yeux blessés,

Quand on a vu le mal, on le croit, homme ou femme...

MADAME DE PUISIEUX.

Non, monsieur, on hésite, on doute...

LÉON.

Non, madame ;

Vous ne connaissez pas encor le cœur humain ;

On se dit : « Je l’ai vu qui lui baisait la main ! »

On se dit : « Je l’ai vu s’en aller avec elle ! »

Donc, il l’aime ! on le croit... la chose est naturelle.

MADAME DE PUISIEUX.

Quoi ! monsieur...

LÉON.

On se dit : « Là, dans ce cabinet,

Cachée à ses regards, quand il me condamnait,

J’ai compris que l’ingrat me croyait infidèle ;

Donc il ne m’aime plus ! la chose est naturelle. »

MADAME DE PUISIEUX.

Achevez, achevez...

LÉON.

Et l’on ne se dit pas :

« S’il m’accusait tout haut, il m’excusait tout bas...

Il m’aime... heureux et fier de me rendre justice,

Il voulut corriger sa femme d’un caprice... »

MADAME DE PUISIEUX.

Sa femme !

LÉON.

En lui donnant une utile leçon,

Dont il vient à ses pieds lui demander pardon.

MADAME DE PUISIEUX.

Ah ! monsieur !

Léon est à genoux et lui baise la main.

 

 

Scène XVII

 

MADAME DE PUISIEUX, LÉON, MADAME DUPRAT, ALEX, JENNY

 

JENNY, à la porte de droite.

Oh !

MADAME DUPRAT, à la porte de gauche.

Dieu !

ALEX, à la porte du milieu.

Ciel !

LÉON, à genoux.

Chacun son tour !...

À madame Duprat.

Madame,

Répétez donc de grâce à Julie... à ma femme...

ALEX, à part.

Hein !

LÉON.

Que ma trahison n’avait rien d’offensant...

Qu’on pardonne au passé, quand on a le présent.

ALEX, à part.

Sa femme !

LÉON, à Alex.

Vous vouliez me rendre un bon office...

Je comprends.

ALEX, à part.

Il comprend.

LÉON.

Tout à votre service...

Les jeunes gens entre eux sont communs d’intérêts,

Ils s’obligent d’abord, font connaissance après.

Je ne l’oublierai pas... je suis avocat...

ALEX.

Diable !...

Bel état !

À part.

Il me fait une peine incroyable.

LÉON.

Si jamais vous avez des procès...

ALEX.

J’en aurai !

LÉON.

Venez nous voir, mon cher, je vous les gagnerai...

J’en gagne quelquefois...

À madame Duprat.

N’est-ce pas, Albertine ?

MADAME DUPRAT.

Monsieur !

LÉON, à Alex en lui présentant sa carte.

Léon Darcy.

ALEX.

Darcy !... place Dauphine ?

LÉON.

Précisément.

ALEX.

Parbleu ! cela se trouve bien...

J’ai pour vous, dans ma poche, un billet...

MADAME DUPRAT, à part.

C’est le mien !

Haut.

Pardon, il est de moi...

Elle le prend.

Ce que l’on peut se dire,

On ne se l’écrit pas, ainsi je le déchire...

LÉON.

Madame...

MADAME DUPRAT.

Il est de moi, je vous l’ai déjà dit...

Pour vous faire venir, je vous l’avais écrit.

LÉON.

Je reconnais bien là votre bonté !

MADAME DUPRAT.

Julie

S’ennuyait loin de vous...

ALEX, à part.

La raison est polie !

MADAME DUPRAT.

Heureuse ainsi d’avoir pu vous servir tous deux...

Je vous quitte.

LÉON.

Pour faire encore des heureux...

Je ne vous retiens pas... vos disciples attendent ;

Portez-leur au plus tôt la manne qu’ils demandent ;

Vous faites tant pour nous, pour eux ferez-vous moins ?

C’est mal de les avoir quittés.

MADAME DUPRAT.

Je les rejoins !

À Alex.

Venez.

Elle sort.

 

 

Scène XVIII

 

MADAME DE PUISIEUX, LÉON, ALEX, JENNY

 

ALEX, à Léon.

Un bon mari dont sa femme se moque...

C’est, je crois, mon cher maître, un sujet de l’époque ?

LÉON.

Oui... des hommes dupés, on en voit...

ALEX.

Avant peu,

Je vous veux là-dessus lire une pièce... Adieu...

Vous comprenez ?

LÉON.

Très bien !

ALEX, à part.

Il comprend !

Haut.

Mon cher maître,

J’aurai besoin de vous avant, huit jours peut-être...

LÉON.

Tant mieux.

ALEX, bas, à madame de Puisieux.

Avant huit jours.

MADAME DE PUISIEUX.

Monsieur !

ALEX.

J’ai bien l’honneur

D’être...

À Léon.

Votre client...

À madame de Puisieux.

Et votre serviteur.

Il sort.

 

 

Scène XIX

 

MADAME DE PUISIEUX, LÉON, JENNY

 

MADAME DE PUISIEUX.

Le fat !

LÉON.

Eh bien, Julie ?...

MADAME DE PUISIEUX.

Oh ! je vous en conjure,

Léon, épargnez-moi...

LÉON.

Jenny !... notre voiture.

JENNY.

Oui, monsieur...

LÉON.

À propos...

JENNY.

Plaît-il ?

LÉON, à madame de Puisieux.

N’oubliez pas

Qu’un honnête conseil vient rarement d’en bas ;

Les dames, de nos jours, en place de soubrettes,

Ont des femmes de chambre... et n’en sont pas plus bêtes.

JENNY, à part.

Merci !... chacun sa part.

Elle sort.

 

 

Scène XX

 

MADAME DE PUISIEUX, LÉON

 

MADAME DE PUISIEUX.

Mais qui donc vous a dit ?

LÉON.

Une once de bon sens vaut mieux que deux d’esprit :

J’ai deviné le mal, et l’ai guéri, j’espère.

MADAME DE PUISIEUX.

Pour toujours !

LÉON.

Maintenant, ce qu’il nous reste à faire,

C’est de partir...

MADAME DE PUISIEUX.

Partons !

LÉON.

Et, si vous m’en croyez,

Vous laisserez ici vos chefs-d’œuvre oubliés.

 

 

Scène XXI

 

MADAME DE PUISIEUX, LÉON, JENNY

 

JENNY, annonçant la voiture.

Monsieur...

LÉON.

Bien.

MADAME DE PUISIEUX.

Contre vous je ne suis pas de force ;

Vous condamnez l’esprit, avec lui je divorce ;

Je ne veux plus, monsieur, en avoir désormais.

LÉON.

Au contraire, ayez-en ; mais n’en faites jamais.

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