La Vie de Brueys et catalogue raisonné de ses pièces

Bibliothèque des Théâtres contenant les Chefs-d’Œuvre dramatiques de nos meilleurs Auteurs tragiques, comiques, lyriques et bouffons, Brueys et Palaprat-Lafont, tome I, Billois, Libraire, Paris, 1810.

 

 

VIE DE BRUEYS

 

DAVID-AUGUSTN DE BRUEYS, originaire d’une ancienne famille du Diocèse d’Uzès, en Languedoc, anoblie par Louis XI, en 1481, naquit à Aix, en Provence, en 1640.

Son père, qui avait été Directeur de la Monnaie à Grenoble, en Dauphiné, revenu en Provence, l’éleva dans le Calvinisme où il avait été élevé lui-même, et il le fit étudier et recevoir Avocat à Aix.

Une inclination amoureuse engagea BRUEYS à se marier fort jeune. Il eut plusieurs enfants de sa femme ; mais l’inconstance naturelle à son caractère le fit bientôt négliger la Jurisprudence pour se livrer à la Théologie. Il se jeta dans la controverse, et devint, en peu de temps, l’une des plus fermes colonnes du Consistoire de Montpellier. Il publia des Entretiens sur l’Eucharistie, et attaqua la présence réelle. Il se chargea de répondre au livre de l’Exposition de la Doctrine de l’Église, que Bossuet, étant encore Évêque de Condom, avait fait paraître. Bossuet ne répliqua point à BRUEYS : il entreprit de le convertir ; et, après un très petit nombre de conférences, il y parvint complètement. BRUEYS abjura le Calvinisme en 1682, et il consacra dès lors sa plume à la défense de la Religion qu’il venait d’embrasser. Son premier Ouvrage dans cette circonstance fut un Examen des raisons qui ont donné lieu à la séparation des Protestants. On l’engagea à l’aller présenter au Roi ; et s’il s’y détermina, ce ne fut point dans la vue de profiter des bienfaits accordés aux nouveaux convertis, car il pria Bossuet de ne rien demander pour lui, dans la crainte qu’on ne le soupçonnât de s’être réuni à l’Église Romaine par quelque motif d’intérêt, ou d’ambition. Il voulut même aussitôt retourner dans sa Province ; mais Louis XIV, qui avait jeté les yeux sur lui pour l’opposer aux Protestants, et qui désirait qu’il tâchât à les instruire autant par son exemple que par ses écrits, l’engagea à rester à Paris, et lui dit : « Vous me ferez plaisir de vous y employer, car ayant été dans leurs sentiments, vous savez mieux qu’un autre ce qu’il faut leur dire. »

BRUEYS ne songea donc plus qu’à remplir sa nouvelle mission. Il renonça, tout-à-fait, à la profession d’Avocat, et se fixa à Paris. La mort de sa femme lui laissa la liberté de prendre l’habit Ecclésiastique, convenable aux occupations que le Roi venait de lui prescrire, et il reçut, en 1685, la tonsure des mains de Bossuet, de venu Évêque de Meaux.

Depuis cette époque, BRUEYS publia plusieurs Ouvrages en faveur de la Religion Romaine, dont les principaux furent une Défense du culte extérieur de l’Église, une Réponse aux plaintes des Protestants contre les moyens qu’on a employés pour leur réunion, etc., un Traité de l’Eucharistie, un Traité de l’Église, un Traité de la Messe, une Histoire du fanatisme du temps, un Traité de l’obéissance des Chrétiens aux Puissances temporelles, un Traité du légitime usage de la raison, sur les objets de la foi, et plusieurs Répliques aux Réponses faites par Bayle, Jurieu, Claude, L’Enfant et La Roque, à ses divers écrits controversistes.

Tous ces Ouvrages lui attirèrent la reconnaissance du Clergé, qui lui fit une pension ; et, en 1700, Louis XIV y en ajouta une de cinq cents livres, dont le Brevet portait, entr’autres termes honorables, qu’elle lui était accordée « en considération des Ouvrages qu’il avait faits pour la défense de la Religion Catholique contre les Protestants. »

BRUEYS cultiva aussi d’autres branches de Littérature. Il donna une Paraphrase, en prose, de l’Art Poétique d’Horace, et il la dédia au Duc du Maine, en 1684.

Pendant son séjour à Paris, BRUEYS fréquenta beaucoup le Théâtre Français. Soit que son esprit fût naturellement porté à ce genre d’amusement, et qu’il cédât, avec facilité, au penchant de son esprit, ou que, comme Théologien, il ne jugeât pas si sévèrement l’Art Dramatique que l’ont fait la plupart des Théologiens, il se livra à son goût pour cet Art. Cependant, n’osant pas d’abord donner sous son propre nom ses essais dans ce genre, il s’associa un de ses amis, qui avait le même goût que lui pour le Théâtre. Cet ami était Palaprat. Nés tous les deux sous le même Ciel, il n’est pas étonnant qu’ils eussent, à peu près, les mêmes affections.

Palaprat nous apprend, dans son Discours sur la petite Comédie du Concert ridicule, que cette Pièce fut l’origine de la société Théâtrale que BRUEYS fit avec lui. Ce fut Palaprat qui songea le premier des deux à travailler pour le Théâtre. Il fit, d’abord, seul, le Concert ridicule, et sans en prévenir son ami ; mais il le lui alla montrer, dès qu’il l’eut achevé, et il le pria de le retoucher et d’en faire disparaître tous les défauts qu’il y trouverait. BRUEYS répondit à l’intention et à la confiance de Palaprat. La Pièce revue et corrigée, Palaprat fut chargé de la présenter, sous son nom, aux Comédiens. Il en fut de même des Pièces que BRUEYS composa ensuite, d’après ses idées ; mais quelquefois aussi avant qu’elles fussent en état d’obtenir des succès, le véritable Auteur se vit obligé à profiter des conseils de son ami, l’Auteur supposé, et même à adopter les changements qu’il lui proposait. Cette considération engagea BRUEYS à partager le plus souvent le travail avec Palaprat ; et de cette société sont nées plusieurs bonnes Comédies, telles que Le Muet et Le Grondeur, qui ont été comparées à quelques égards, aux Pièces du père de notre Théâtre Comique, l’inimitable Molière.

Palaprat nous dit encore, dans le Discours déjà cité, que BRUEYS et lui n’eurent d’autres vues dans leurs premiers travaux Dramatiques, que d’obtenir leurs entrées au Théâtre Français, où ils allaient tous les jours, l’un et l’autre. Que ce soit, en effet, ce motif, ou leur propre penchant pour ce genre d’ouvrage qui les ait déterminés à composer leurs premières Pièces, nous ne leur en sommes pas moins redevables de quelques-unes que l’on reverra toujours avec plaisir.

BRUEYS entreprit et acheva seul, d’après une ancienne Farce, très célèbre, sa Comédie de L’Avocat Patelin, dans le dessein d’être agréable à Louis XIV, qui désirait une Pièce d’un genre différent de celui des Comédies qu’il avait vues jusqu’alors. Ce Prince ne crut pas que le même homme qui avait travaillé, par ses ordres, à détruire des erreurs, en matière de Religion, ne dût point s’occuper à corriger les vices, et à pour suivre les ridicules qui infectent la société. Il apprit, au contraire, avec satisfaction, que BRUEYS, jaloux de lui plaire à plus d’un titre, avait fait, pour lui, de la Farce de Patelin une charmante Comédie, qui ne cesserait point d’amuser les siècles futurs, et qui perpétuerait en épithète ridicule le nom du principal personnage de cette Pièce.

BRUEYS se plaignit quelquefois, et même avec beaucoup de chaleur, de ce qu’il regardait comme des mutilations faites à ses Pièces par son ami Palaprat ; mais ces plaintes qui partaient d’un esprit vif, né sous un Ciel ardent, n’altérèrent jamais l’imperturbable amitié qui les unissait.

Pendant quelques voyages que les affaires de BRUEYS le forçaient à faire dans sa Province, il laissait ses Pièces entre les mains de Palaprat, qui se voyait, le plus souvent, contraint, par les Comédiens, à des coupures de scènes, et quelquefois d’actes entiers. Les succès durables de ces Pièces ont prouvé que le goût avait présidé aux changements qu’elles ont subis ; mais il eu est trop souvent d’un Auteur comme d’un père, qui voit avec une égale prédilection tous ses enfants, sans vouloir reconnaître en eux le moindre défaut. C’est-là ce qui rendait, quelques moments, BRUEYS injuste envers Palaprat, sans qu’il cessât pourtant de l’aimer et de l’estimer.

Leur association de travaux Dramatiques, qui dura plus de dix ans, n’aurait vraisemblablement pas cessé, sans la résolution que prit enfin BRUEYS de se retirer à Montpellier, en 1720. Il s’y livra, de nouveau, à la controverse, continua ceux des Ouvrages de ce genre qu’il avait commencés, et en composa d’autres, en entier. Il ne renonça pourtant point encore aux Ouvrages de Théâtre. Plusieurs Comédies, et même quelques Tragédies furent les fruits de ses derniers loisirs ; et, comme il les conçut et les enfanta absolument seul, il ne dut accuser que lui de l’excessive faiblesse dans laquelle il les laissa. Ces dernières productions, en effet, se ressentent beaucoup de l’extrême vieillesse de leur Auteur, qui n’eut pas le temps de les rendre meilleures, comme il le désirait, car la mort vint le surprendre, au moment où il s’en occupait encore, le 25 Novembre 1723, à l’âge de quatre-vingt quatre ans.

« Il laissa ses enfants dans une médiocrité de fortune que sa probité et son désintéressement ne lui avaient jamais permis de chercher à augmenter, » dit le Père Niceron, dans ses Mémoires des Hommes illustres de la Littérature.

BRUEYS mérita et sut conserver la bienveillance des Grands et celle des Gens de Lettres. Les Noailles, les Basville, les Roquelaure se faisaient un plaisir et un honneur d’être comptés au nombre de ses amis ; et il fut généralement regretté de tous ceux qui l’avaient connu. Il sut aussi se concilier, à la fois, l’estime des Docteurs Catholiques et celle des Ministres Protestants. Lorsqu’il combattit ces derniers, ils ne lui refusèrent jamais la justice que méritaient la pureté de son intention et l’honnêteté de ses écrits.

Titon du Tillet, dans son Parnasse Français, dit que « BRUEYS était un homme tout-à-fait agréable dans le commerce de la vie ; sachant se proportionner aux personnes de toutes sortes d’états, et amuser jusqu’aux enfants. »

« Comme il avait la vue extrêmement basse, il portait presque toujours des lunettes, et même jusques dans les repas. »

« Louis XIV, qui avait des bontés pour lui, s’informant un jour comment il se trouvait de ses yeux, qu’il savait l’incommoder beaucoup, BRUEYS lui répondit : Sire, Sidobre, mon neveu et mon Médecin, dit que j’y vois un peu mieux. »

« Son ami Palaprat, avec lequel il a demeuré quelques années au Temple, chez le grand Prieur de Vendôme, n’avait la vue guères plus étendue que lui. On dit que comme ils prenaient ensemble du thé tous les matins, ils étaient obligés d’attendre sur l’escalier que quelqu’un passât, pour le prier de voir si l’eau qu’ils avaient mise devant le feu bonillait, afin d’y mettre le thé. »

« Ces deux amis joignaient à une naïveté des plus aimables les saillies les plus brillantes, » ajoute Titon du Tillet.

BRUEYS s’amusait souvent à jouer sur les mots, à faire ce que nous appelons aujourd’hui des calembours. Un jour que quelqu’un lui parlait de Baron et de Madame Champmêlé, et que l’on lui demandait ce qu’il pensait de ces deux personnes-là : Elles ont fait passer plus de mauvaises Pièces que tous les faux-monnayeurs du

Royaume, répondit-il.

Selon une note du Comédien Grandval, le père, rapportée par les frères Parfaict, dans leur Histoire du Théâtre Français, « BRUEYS était grand, et assez bel homme. Il avait la voix extrêmement claire : il portait toujours une lorgnette à la main, et en faisait usage à tout moment. »

Cette remarque prouverait, en quelque sorte, que les Gens de Lettres du siècle dernier avaient de meilleurs yeux que ceux d’aujourd’hui. Leur vue, à presque tous, est si faible, ou si courte, que l’on n’en connaît plus guères qui ne soient obligés à l’aider d’un verre ; et maintenant on y est si accoutumé que l’on ne s’occupe plus à en faire l’observation. Il serait pourtant assez curieux de savoir si cette faiblesse de vue, si commune parmi les Gens de-Lettres de nos jours, ne viendrait pas de ce qu’ils travaillent plus que ceux des siècles passés, ou si, en général, l’espèce humaine n’est pas un peu dégénérée, depuis quelques siècles, et moins susceptible de supporter les influences des corps élémentaires et les variations des temps et des saisons.

L’Auteur du Nouveau Dictionnaire historique des Hommes Illustres, s’exprime ainsi sur BRUEYS : « Cet Auteur aimable imita, tour-à-tour, Bellarmin et Molière, et se mit quelquefois à côté de ses modèles. »

Bellarmin fut un des plus éloquents et des plus célèbres controversistes du seizième siècle, et il fut fait Archevêque et Cardinal, pour prix de ses travaux Apostoliques.

Ce rapprochement de Bellarmin et de Molière en la seule personne de BRUEYS, nous semble le plus beau et le plus complet de tous les éloges que l’on puisse faire de lui ; et il nous fournit l’idée de ces vers, que l’on pourrait graver sur sa tombe, ou au bas de son portrait.

Aux vices, à l’erreur, BRUEYS fit la guerre.
Sur les traces de Bellarmin
Il combattit trente ans la secte de Calvin ;
Et pour bannir les vices de la terre
Il emprunta les armes de Molière.

 

 

CATALOGUE DES PIÈCES DE BRUEYS

 

Le Concert ridicule, Comédie en un acte en prose ; représentée au Théâtre Français, le 14 Septembre 1689 ; imprimée, à Paris, la même année, in-12, et, depuis, dans les éditions des Œuvres réunies de Brueys et Palaprat.

« Voici une bagatelle qui eut une réussite bien au-dessus de mes espérances, dit Palaprat, dans le Discours qu’il a placé au-devant de cette Pièce, en faisant l’édition de celles de Brueys et de lui réunies. Après quelques représentations qui avaient toujours, de plus en plus, le bonheur de plaire, elle eut cela de particulier qu’on la joua sept jours de suite, et sans alternative pour profiter de l’engouement du Public, parce que les Comédiens étaient obligés à aller à Fontainebleau. Elle fut reprise à leur retour, et l’on y courait avec tant de fureur, qu’elle fut jouée bien au-delà du temps ordinaire aux petites Pièces nouvelles. Je crois qu’outre la mode et la nouveauté du badinage sur l’absence des Officiers, sa simplicité, surtout, fit son succès. Ce n’est qu’un rien. La première idée m’en vint dans une compagnie, fort enjouée, avec laquelle je vis le feu d’artifice de la Saint-Jean, devant l’Hôtel de Ville. Voilà où j’établis, dès-lors, le lieu de ma scène, qui me fournissait quelques traits, et pourquoi il est parlé de feu d’artifice et d’autres choses, qui devinrent presque hors d’œuvre, par les changements qui furent faits à mon premier dessein... Quand j’eus broché cette Pièce à ma façon, qui vraisemblablement n’était d’abord qu’un petit monstre pour le Théâtre, je la portai, même sans me donner la patience de la relire, à mon ami, l’Abbé de Brueys, qui en savait plus que moi. Nous résolûmes de la refaire ensemble, et, par considération pour son mérite et son ancienneté d’Écrivain sur moi, je lui déférai la plume, sûr que, bien loin d’affaiblir la première vivacité de mes traits, il laisserait dans tout leur naïf ceux qui le mériteraient, et qu’il perfectionnerait ceux qu’il ne trouverait pas assez bien rendus. Le Concert ridicule fut donc l’origine de la société comique et théâtrale que nous fîmes dès-lors ensemble, ce savant ami et moi. Nous n’eûmes d’abord d’autre objet que l’entrée du Théâtre, chose très commode à des gens qui l’aiment et qui y vont tous les jours, comme nous y allions en ce temps-là En effet, nous n’y étions guères moins assidus que les Acteurs mêmes, et, le spectacle fini, nous passions une bonne partie de nos jours avec quelques-uns de ces Messieurs qui étaient d’une très bonne compagnie, et dont les maisons avaient beaucoup d’agréments. »
« Palaprat a raison d’appeler la Comédie du Concert ridicule une bagatelle, disent les frères Parfaict, dans leur Histoire du Théâtre Français : ce n’est pas autre chose ; mais elle est vivement et plaisamment écrite. Voilà tout son mérite, qui lui a fait avoir vingt et une représentations de suite, dans sa nouveauté, et qui l’a conservée au Théâtre, où elle paraît encore de temps en temps. »
Voici le sujet de cette Pièce.
Madame de Pontéran, veuve d’un Colonel, a une fille, nommée Mariamne, qui est aimée de Clitandre, jeune Militaire, qu’elle aime ; mais à qui, n’étant pas très riche, on la voit préférer pour gendre un M. Courtinet, Avocat, et fils d’un Procureur opulent. Clitandre est parti pour l’armée, et Madame de Pontéran profite de son absence pour terminer le mariage de sa fille. La maison qu’elles habitent à Paris, est voisine de l’Hôtel de Ville, et l’on doit tirer un feu d’artifice sous leurs fenêtres, à l’occasion de la fête de Saint-Jean. C’est ce jour même que l’on a choisi pour la signature du contrat, après le feu d’artifice ; et Madame de Pontéran, voulant rendre la fête plus complète, a demandé un concert, que doit lui faire exécuter un Musicien, nommé Martinet, qui loge au-dessus de chez elle. Pendant tous ces préparatifs, qui désolent Mariamne, Clitandre, désirant acheter un Régiment, vaquant depuis peu, revient pour en obtenir l’agrément, et, en arrivant, il envoie son valet, Lépine, chez Mariamne, pour lui apprendre son retour précipité. Clitandre reparaît bientôt lui-même, à la faveur de quelques courses que Madame de Pontéran est allée faire au-dehors. Sa suivante Javotte, qui aime Lépine et en est aimée, s’intéresse trop à Clitandre pour ne pas tâcher à rompre les nouveaux projets de Madame de Pontéran, et elle instruit Lépine des caractères de MM. Courtinet, père et fils. Entre diverses ruses que Lépine veut employer pour les éloigner, il s’arrête à celle dont le concert lui fournit l’idée. Il connaît beaucoup M. Martinet, qui est l’ami d’un certain La Motte, sergent recruteur de Clitandre, et, de plus, Poète. Lépine et La Motte, habillés en femme, par Madame Martinet, et passant pour deux chanteuses, prêtes à débuter à l’Opéra, viennent former le Concert ridicule, qui donne son nom à la Pièce, et où La Motte, chantant la disette des chapeaux, que la guerre éloigne de Paris, fronde les Robins qui veulent remplacer les Officiers auprès des femmes. La Motte parodie la première scène du troisième acte de l’Opéra des Fêtes de l’Amour et de Bacchus, de Quinault et Lully, et MM. Courtinet, père et fils, se reconnaissent dans les vers de cette Parodie. Ils se fâchent de cette insulte, à laquelle Madame de Pontéran leur déclare n’avoir aucune part ; mais, ne pouvant le leur persuader, et se trouvant par-là éclairée elle-même sur leur caractère, elle les laisse aller, en renonçant à l’alliance projetée, et elle veut seulement s’assurer des deux prétendues chanteuses, et les faire punir de leur insolence. Clitandre vient s’accuser du tour joué aux Robins, et se livrer au ressentiment de Madame de Pontéran. Le Notaire chargé du contrat préparé, reconnaît dans Clitandre le neveu du Comte d’Orsan, mort à l’instant, et qui a testé entre ses mains en faveur de ce neveu. Cette circonstance détermine Madame de Pontéran à accorder enfin Mariamne à Clitandre, et Lépine obtient Javotte pour prix de son industrie.
Palaprat nous apprend, dans le Discours cité, qu’un événement arrivé lors de la dernière répétition de cette Pièce, « promise et affichée pour le soir du même jour, obligea Brueys et lui à en retrancher, adoucir et changer beaucoup de traits. »
« Nos armes, dit-il, étaient victorieuses en Allemagne, comme elles l’étaient partout. On admirait l’opiniâtre défense de Mayence. La plupart des fanfaronnades, ou, si l’on veut, des gasconnades de Lépine, (arrivant de l’armée, à la quatrième scène et aux suivantes) faisaient des allusions à cette courageuse défense. Nous apprîmes pendant cette dernière répétition la reddition de cette place, quelque bien qu’elle eût été défendue. La sensibilité française était vive sur les pertes. Nous étions bien loin d’y être accoutumés ; et le Public aurait mal reçu l’après-dînée des plaisanteries à contretemps. Il fallut prendre le parti de couper, changer, raturer. Cela ne se put faire sans que la Pièce y perdît des agréments. Il est bien dangereux de faire tort à la beauté d’un arbre, quand on est contraint à l’élaguer avec précipitation ! »
Palaprat avait fait la Parodie de la première scène du troisième acte des Fêtes de l’Amour et de Bacchus, et qu’il appelle, dans son Discours, La disette des chapeaux, à l’occasion de l’absence des Officiers, avant qu’il songeât à l’insérer dans une Comédie. Ce fut dans cette même société avec laquelle il dit qu’il vit le feu d’artifice de la Saint-Jean, qu’il composa cette Parodie, qui parut très plaisante ; ce qui l’engagea à la mettre en scènes dans une petite Comédie. C’est de là qu’est né le canevas du Concert ridicule, et que Brueys remplit en grande partie.

 

Le Secret révélé, Comédie en un acte, en prose ; représentée, au Théâtre Français, le 13 Septembre 1690 ; imprimée, la même année, à Paris, in-12, et, depuis, dans les éditions des Œuvres réunies de Brueys et Palaprat.

« Voici ce qui donna occasion à cette Pièce. (Discours de Palaprat, sur le Secret révélé). L’incomparable Acteur (Raisin le cadet) avec lequel nous passions notre vie, Brueys et moi, et qui contait dans le particulier aussi gracieusement qu’il jouait en public ; nous fit un jour le conte d’un chartier qui conduisait une voiture de vin de grand prix. Les cerceaux d’un de ses tonneaux cassèrent. Le vin s’enfuyait de toutes parts. Il y porta d’abord avec empressement tous les remèdes dont il put s’aviser ; déchira son mouchoir et sa cravate pour boucher les fentes du tonneau, le vin ne cessait point de s’enfuir, quelque grand mouvement qu’il se donnât. L’agitation cause la soif. Il s’en sentit pressé, et, pendant qu’il avait envoyé un garçon chercher du secours, il s’avisa de profiter, au moins, de son malheur pour se désaltérer. Il commença par nécessité : il continua par plaisir. Il y prit goût, et tant procéda qu’il en prit trop. Or, cet excellent Acteur le rendait avec une grâce infinie, dans tous les degrés de l’éloignement de sa raison : commençant à être en pointe de vin, affligé de la perte qu’il faisait, et réjoui par la liqueur qu’il avait avalée ; pleurant et riant à la fois ; chantant et s’arrachant les cheveux, en même temps. Brueys trouva que cela pouvait fournir une scène plaisante au Théâtre. Je ne fus pas de son avis. La proposition m’effraya. Il s’en aperçut, et, se moquant de moi : Vous êtes un poltron, me dit-il. Tout se peut mettre à la scène, pourvu qu’on n’y veuille pas travailler, comme la plupart des gens, en courant la poste ; et, si je l’entreprenais, je mettrais les Tours de Notre-Dame sur le Théâtre. L’expression était du pays ; nous en rîmes : il se piqua, et à quelques jours de là, il me montra le plan de cette petite Comédie, à laquelle nous donnâmes le titre de Secret révélé, sur ce passage d’Horace. Quid non ebrietas designat ?Operta recludit. Je trouvai ce plan fort à mon gré. Il avait même enchéri sur le conte, en jetant l’effet du vin sur Colin et sur Thibault ; ce qui en faisait voir les suites plaisantes et dangereuses dans deux personnages différents. La scène était parfaitement bien intéressée. Les deux Acteurs (Raisin le cadet et de Villiers) qui la devaient jouer, en rendaient le succès infaillible, et il ne manquait que d’y pouvoir arriver agréablement. Nous la fondîmes et refondîmes, à plus d’une reprise, et nous l’égayâmes, dès son but, le plus qu’il nous fût possible. »
« Voilà l’histoire de cette Comédie. Cette bagatelle ne pouvait manquer d’avoir le succès qu’elle eut, de la manière surprenante et agréable dont le rôle de Thibault fut caractérisé. Nous en fûmes étonnés Brueys et moi. L’Acteur (Raisin le cadet) y ajouta des grâces auxquelles nous n’avions jamais pensé, et fit de cette espèce de manant, mais rusé, malin et goguenard, à sa manière, et s’étant érigé en homme qui fait le plaisant et le bon compagnon, par le commerce que son métier de jardinier lui a donné avec le monde, il en fit, dis-je, un ridicule excellent et original, qui pouvait convenir à des personnes de toutes sottes de conditions, et qui, depuis, m’a fait rire souvent en des gens de qualité, même dans l’épée, à quoi je n’aurais peut-être pas fait réflexion si le caractère de ce Thibault ne m’était repassé dans l’esprit. Ce sont de ces diseurs des choses du monde les plus plates, qu’ils vous débitent avec l’étalage d’un visage épanoui, en s’applaudissant les premiers par des risées qu’on pourrait noter, et dont on est forcé à rire, non par la bonté des choses, mais par la sottise qu’ils ont de les croire bonnes De Villiers, qui avait, de sa part, la réputation de jouer les rôles d’ivrognes du dernier bien, redoubla encore d’art et de finesse dans celui de Colin, piqué de l’émulation de combattre aux côtés du grand maître, et de jouer un de ces rôles en même temps que lui et en sa présence. »
« Palaprat avait laison de craindre l’événement de l’entreprise de Brueys, disent les frères Parfaict. (Histoire du Théâtre Français.) Le conte de Raisin le cadet est plaisant, et l’on peut dire que les Auteurs qui l’ont employé l’ont bien comiquement rendu ; mais l’intrigue et les scènes qui conduisent à celle du Secret révélé, tout en est froid et mal arrangé. En un mot, sans le jeu des grands Acteurs qui représentèrent Thibault et Colin, la Pièce serait peut-être tombée à la première représentation ; mais, grâce à eux, elle en eut douze. »
Voici comment ces deux Auteurs ont traité ce sujet.
Angélique est aimée de Léandre qu’elle paye de retour, et ils désirent également tous les deux d’être unis l’un à l’autre ; mais Orphise, tante d’Angélique, veut la donner à Oronte, un de ses vieux amis, chez lequel elle demeure, à Paris, avec Angélique. Pour que ce mariage se fasse secrètement, et ne soit point troublé par Léandre, Oronte imagine de prétexter un voyage en quelque lieu éloigné, et il va réellement se cacher à une petite maison, qu’il a dans un faubourg Orphise engage Angélique à accompagner Oronte, dans sa voiture, jusqu’à une petite distance, comme partie de promenade, d’où elles reviendront aussitôt, dans la voiture d’Orphise, ordonnée, par elle, en apparence, à cet effet. Angélique se laisse emmener, et est véritablement conduite à la petite maison d’Oronte, qui a mis son jardinier, Thibault, dans son secret, pour qu’il transporte à la petite maison un quartaut de vin d’Espagne, nécessaire au festin du mariage projeté. Thibault a été obligé à faire part de ce secret à sa femme, Margot, dont il craint beaucoup l’indiscrétion, et à son valet, Colin, qui doit l’aider au transport du quartaut. Léandre, son Valet, la Rose, et Toinon, suivante d’Angélique, soupçonnent quelque trahison d’Orphise et d’Oronte ; mais ils ne peuvent deviner où ils se sont retirés avec Angélique. Léandre a mis dans ses intérêts Damis, tuteur d’Angélique, et il est sûr de l’épouser s’il peut découvrir sa retraite à temps. Il met vainement tout en usage pour arracher volontairement ce secret à Thibault ; mais le hasard le sert mieux que tous ses efforts, réunis à ceux de Damis, de la Rose et de Toinon. Thibault et Colin ont chargé le quartaut sur une brouette. Ce dernier se mettant en devoir de le rouler vers la petite maison, laisse rudement tomber la brouette ; les cerceaux se brisent et le vin s’enfuit. Thibault se désole d’abord, se croyant menacé de payer le prix du vin. Il emploie, ainsi que Colin, tous les moyens possibles pour en arrêter la perte ; mais, n’y pouvant parvenir, ils se mettent, chacun de son côté et tout en pleurant, à en boire dans leurs chapeaux. Le plaisir qu’ils éprouvent leur fait bientôt oublier l’accident dont ils sont la cause : et Léandre et la Rose, profitant de l’ivresse où ils tombent, en apprennent le secret qu’ils désiraient savoir. Léandre vole à la petite maison, armé du pouvoir de Damis ; Orphise est obligée à consentir au mariage des deux amants, et Oronte, enrageant de la perte de son vin d’Espagne et de l’indiscrétion que l’ivresse causée par ce vin a occasionnée, se voit contraint à céder l’objet de ses vœux à son rival.

 

Le Grondeur, Comédie en trois actes en prose, précédée d’un Prologue en vers libres, intitulé, Les Sifflets, représentée, pour la première fois, au Théâtre Français, le 3 Février 1691 ; imprimée, avec une Préface, à Paris, en 1693, chez Thomas Guillain, in-12, et, depuis, avec un Discours préliminaire, dans les éditions des Œuvres réunies de Brueys et Palaprat.

 

Le Muet, Comédie en cinq actes, en prose ; représentée, pour la première fois, au Théâtre Français, le 22 Juin 1691 ; imprimée à Paris, en 1693, chez Thomas Guillain, in-12, et, depuis, avec un Discours préliminaire, dans les éditions des Œuvres réunies de Brueys et Palaprat.

 

Le Sot toujours Sot, ou Le Baron Paysan, Comédie en un acte, en prose ; représentée, pour la première fois, au Théâtre Français, le 3

Juillet 1693 ; refaite en cinq actes, puis en trois, et remise au Théâtre Français, en cinq actes et en vers, par Dancourt, sous le titre de La Belle-Mère, et au Théâtre Italien, en trois actes en prose, par un ami de Brueys, sous le titre de La force du Sang, ou Le Sot toujours Sot, le même jour, 21 Avril 1725 ; imprimée, sous ce dernier titre, avec un Discours préliminaire, à Paris, la même année, chez Pierre Prault, in-12, et, depuis, dans les éditions des Œuvres réunies de Brueys et Palaprat.

« Le sujet de cette Pièce, et une grande partie de l’intrigue, ne doivent pas avoir beaucoup coûté à l’imagination de l’Abbé de Brueys, disent les frères Parfaict, (Histoire du Théâtre Français) puisque ce n’est qu’une copie de Crispin Gentilhomme, Comédie en vers et en cinq actes de Montfleury, à l’exception d’un rôle d’intriguant, assez mal amené, qui, par hasard, découvre la fourberie du Paysan, qui a substitué son fils à la place de celui du Gentilhomme. »
Voici pour ce qui regarde Le Sot toujours Sot, ou Le Baron Paysan, de Brueys, joué, en un acte, en 1693, au Théâtre Français, et qui eut dix représentations, avec « un grand succès, » si l’on en croit l’Histoire abrégée de ce Théâtre, par le Chevalier de Mouhy. Quant à La Belle-Mère et à La force du Sang, voici ce que dit au-devant de cette Pièce, l’Éditeur des Œuvres réunies de Brueys et Palaprat, Paris, Briasson, 1756, cinq volumes in-12.
« Cette Pièce fut composée par Brueys, depuis sa retraite à Montpellier. (C’est-à-dire, refaite, en trois actes, car il l’avait composée en un, à Paris, sept à huit ans auparavant.) Dès qu’il l’eût finie, il l’envoya à son ami Palaprat, afin qu’il l’examinât et la présentât aux Comédiens ; mais soit négligence de la part de Palaprat, soit que la Pièce ne lui parût pas en état d’être donnée au Théâtre, il la garda dans son cabinet, sans en faire usage Brueys, qui a conservé jusqu’à la fin un feu et une vivacité peu ordinaires aux gens de son âge, écrivit à son ami plusieurs fois à ce sujet ; et quoique la vieillesse et les infirmités de Palaprat ne lui permissent pas d’agir suivant les intentions de Brueys, il se préparait néanmoins à faire tous ses efforts pour satisfaire à ce que son ami craignait de lui, lorsque la mort l’enleva. Brueys, après avoir pleuré la perte qu’il venait de faire, pensa aux intérêts de sa Muse, et craignant que la copie du Sot toujours Sot, qu’il avait envoyée à Palaprat, ne fût perdue, ou ne passât en des mains étrangères, il en envoya une autre à un autre ami, dont il avait fait la connaissance à Montpellier, et qui était venu depuis à Paris. Cet ami, imaginant, sans doute, que cette Pièce aurait un succès plus favorable chez les Italiens, par la nouveauté de leur Théâtre que chez les Français, se détermina pour les premiers Il la leur présenta : on la lut : et elle ne fut reçue qu’à condition d’y faire quelques changements. Le nouvel ami de Brueys, qui sentit qu’avec un Auteur de soixante-dix-huit ans il n’y avait point de temps à perdre, et que c’était risquer de ne plus revoir la Pièce que de la renvoyer à Brueys, pria les Comédiens d’y faire eux-mêmes les corrections qu’ils jugeraient nécessaires, en les assurant de l’aveu de l’Auteur à cet égard. Comme elles étaient de peu de conséquence, la Pièce fut bientôt en état d’être représentée, et lorsque l’on fut, suivant l’usage, en demander la permission au Lieutenant de Police, on apprit que les Comédiens Français avaient reçu la même Pièce sous le titre de La force du Sang, ou de La Belle-Mère, et qu’ils avaient même la permission de la jouer. On confronta les deux Pièces, et l’on connut que c’était la même. L’ami de Brueys prouvait ses pouvoirs par des lettres d’autorisation, et Madame Palaprat, qui avait fait donner cette Pièce au Théâtre Français, sous le nom de son mari, avait aussi des titres pour soutenir ses droits. Chacun des deux partis, cependant, ne voulait point de concurrent Le cas était nouveau ; et il fallait, pour les mettre d’accord, rendre un jugement convenable à la singularité du fait. Le Lieutenant de Police trouva moyen de décider cette affaire d’une manière qui ne mécontenterait personne, en ordonnant que les deux l’idées seraient jouées le même jour sur les deux Théâtres, que celle des deux qui aurait le plus de représentations resterait au Théâtre qui l’aurait représentée, et que l’autre serait supprimée. Ce jugement fut exécuté le 21 Avril 1725 ; et le Théâtre des Italiens eut l’avantage sur celui des Français. »
L’Abbé de la Porte, dans ses Anecdotes Dramatiques, présente celle-ci d’une autre manière, d’après la Bibliothèque du Théâtre Français, du Duc de Vallière. « Le Sot toujours Sot, ou Le Baron Paysan, de Brueys ayant eu le plus grand succès, ses amis trouvèrent qu’il y avait assez de sujet dans cet acte pour en faire une Pièce en cinq. Ils lui conseillèrent de la retirer, ce qu’il fit. Des occupations plus sérieuses l’empêchèrent longtemps d’y travailler. Enfin, dans un moment de loisir, il la mit en cinq actes, sous le titre de La Belle-Mère, et l’envoya à son ami Palaprat pour la donner aux Comédiens, qui la refusèrent, Palaprat la lui renvoya, et lui conseilla de la réduire à trois actes ; ce qu’il fit. Il changea encore le titre, en celui de La force du Sang, ou Le Sot toujours Sot, et il la lui renvoya en cet état, Palaprat la reporta aux mêmes. Comédiens, qui demandèrent encore quelques corrections. Cela rebuta l’Auteur et son ami, qui garda ce dernier exemplaire que Brueys lui avait envoyé. Peu de temps après, il mourut ; et sa femme qui trouva cette Pièce dans ses papiers, la fit donner aux Comédiens Français, sous le nom de son mari. Ils la reçurent, etc. »
Quant au reste, cette Anecdote est absolument conforme à ce que nous avons rapporté d’abord sur cette Pièce.
En voici le sujet, tel, à-peu-près, que le donnent les Auteurs du Dictionnaire Dramatique.
« Almédor, bon Gentilhomme ; mais faisant un très gros commerce maritime, étant obligé à passer dans l’Inde, a confié à Thibault, fermier d’une de ses Terres, en Brie, un fils âgé de six mois, qu’il a eu d’un mariage secret, en lui recommandant de s’en faire croire le père. Thibault avait un fils du même âge, et par une tendresse coupable, il a projeté de le faire passer pour le fils d’Almédor, et de le lui donner à son retour de l’Inde. Le fils d’Almédor, élevé sous le nom de Clitandre, a quitté la ferme de Thibault, dès l’âge de quinze ans, s’est fait soldat, et s’étant avancé au service, par sa conduite et sa valeur, est parvenu de grade en grade, jusqu’à celui de Major. Il est même près d’obtenir la Lieutenance Colonelle, s’il peut donner quatre cents pistoles à celui qui en est pourvu, et qui pour la lui céder exige cette somme. Clitandre vient voir Thibault, qu’il croit toujours son père, et lui demander deux cents pistoles pour terminer cette affaire, espérant trouver les deux autres cents en réformant une partie de son équipage. Almédor, après vingt ans d’absence, est aussi revenu à Paris, et est prêt à marier Arlequin, fils de Thibault, et qu’il a reçu pour le sien, sous le nom du Vicomte Almédor, avec Angélique, fille d’un de ses anciens amis, nommé Accurse, Docteur en Droit et fort riche. Almédor rencontre Clitandre, qui est venu chez lui, à Paris, pour y chercher Thibault. Almédor voit dans Clitandre un jeune homme bien différent d’Arlequin, dont les inclinations sont basses comme sa véritable origine, et qui, malgré deux fourbes, apostés par Thibault pour lui servir d’instituteurs, fait sans cesse des balourdises révoltantes, Almédor s’intéresse vivement à Clitandre, et lui donne les quatre cents pistoles qui lui sont nécessaires, et dont Thibault lui refuse la moitié qu’il lui demandait seulement. Mais Clitandre qui a vu Angélique, en est devenu éperdument amoureux, et lui a inspiré la même passion pour lui. Lisette, suivante d’Angélique, et qui a été aimée d’Arlequin, avant que l’on songeât à lui faire épouser Angélique, met tout en usage pour servir les amours de sa maîtresse et de Clitandre, espérant parvenir à épouser Arlequin, qu’elle aime aussi. Elle suppose à Arlequin et à Clitandre un rival aimé, dont elle joue elle-même le rôle, sous un habit de Robin, pour dégoûter Almédor de l’alliance d’Accurse. Almédor y renonce, en effet, et veut envoyer le prétendu Vicomte dans ses habitations de l’Inde, afin de s’en débarrasser. Prenant toujours le plus vif intérêt à Clitandre, il fait chercher une jeune personne, que, sous le nom de Géronte qu’il portait autrefois, il a nommée au baptême, et qu’il veut lui faire épouser, en la dotant richement. Lisette se trouve être cette filleule d’Almédor. Arlequin, ne voulant point aller dans l’Inde, trahit le secret de la supposition de Thibault, qui, avec sa femme, déclare à Almédor que Clitandre est son fils. On unit Clitandre et Angélique, et Almédor donne Lisette à Arlequin, avec la ferme de Brie pour dot. »
« Cette Pièce offre plusieurs scènes divertissantes ; mais qu’il faut voir jouer plutôt que lire, » ajoutent les Auteurs du Dictionnaire Dramatique.
Pour donner à ce sujet le titre de La Belle-Mère, il a fallu que Brueys fît de grands changements au fonds. Comme c’est d’après ces changements que Dancourt remit ce sujet en vers et en cinq actes, nous ferons connaître plus particulièrement cette Comédie de La Belle-Mère, dans le Catalogue des Pièces de Dancourt.
Il y a eu aux divers Théâtres, et de divers Auteurs, d’autres Pièces sous le titre de La force du Sang, et sous celui de La Belle-Mère ; mais dont les sujets ne ressemblent en aucune manière à celui de cette Pièce-ci.

 

L’Important, Comédie en cinq actes, en prose ; représentée, pour la première fois, au Théâtre Français, le 16 Décembre 1693 ; imprimée avec un Discours préliminaire, à Paris, l’année suivante, in-12, et, depuis, dans les éditions des Œuvres réunies de Brueys et Palaprat.

« Quoique je ne sois pas l’Auteur de cette Comédie, dit Palaprat, dans le Discours qu’il a placé au-devant, j’en sais les particularités aussi bien, et, peut-être, mieux que Brueys qui l’a faite. »
« L’excellent comique (Raisin, le cadet) qui brillait dans ce temps-là, et avec qui nous avions un continuel commerce, nous donna la première idée de L’Important. Ce grand Comédien était un homme d’une profonde réflexion sur son métier, et qui rêvait avec application aux caractères qu’il devait représenter. Il avait imaginé pour celui ci un sérieux comique, une sotte gravité dans un fat, une manière de grandeur affectée et artificielle, pour ainsi dire, dans un impertinent, qui, à coup sûr, aurait fait mourir de rire. Un jour, qu’il soupait avec nous, (car la table était presque toujours le bureau de nos conférences) il nous dit et joua mille choses merveilleuses dans ce caractère, et nous exhorta fort à y travailler. »
« Ce caractère me plaisait infiniment à traiter. Je voyais tant d’originaux de notre Important dans le monde, où j’étais fort répandu, que je n’ai jamais tant souhaité de m’associer à un ouvrage qu’à celui-ci, où j’espérais pouvoir fournir des traits naïfs et d’après nature ; mais je devais partir, en très peu de jours, pour suivre les Princes de Vendôme à l’armée du Piémont. J’abandonnai donc à Brueys toutes mes flatteuses espérances sur cette Pièce ; et il la fit tout seul. Je n’y eus d’autre part que, peut-être, quelques idées que je pus lui donner dans plusieurs repas, qu’avant mon départ nous fîmes encore ensemble avec l’excellent Acteur dont j’ai parlé. »
« Il y avait longtemps que je ne recevais plus, en Piémont, de nouvelles de L’Important, quand son Auteur me consulta enfin sur la distribution de ses rôles, avant que je susse qu’il fut achevé. Le célèbre Acteur, qui avait donné la première idée de ce caractère, et qui le devait jouer, venait de mourir. Grande question à qui le donner. Je ne balançai pas à mander à mon ami que c’était à de Villiers, qui jouait les ivrognes, les Gascons, les fats, (non que je regarde ces deux derniers comme synonymes, à Dieu ne plaise !) et, enfin, les Marquis ridicules, parce que tout Marquis ridicule est un fat, et que généralement l’idée que chacun se fera d’un Important sera l’idée d’un fat. Il me crut. Le rôle fut bien joué, et si bien reçu qu’il réussit beaucoup. J’en fus très satisfait quand je le vit à mon retour. Mais mon avis sur le choix du principal Acteur de cette Pièce devint funeste à Brueys. J’ignorais que Beaubour qui jouait avec applaudissement les grands rôles tragiques eût le même succès dans le comique, où je ne l’avais jamais vu, et la préférence donnée à de Villiers dans cette occasion, excita le ressentiment de Beaubour et de sa belle-mère, Mademoiselle Beauval, lesquels, peu de temps après, refusèrent de jouer les premiers rôles dans la Tragédie de Gabinie, que donna Brueys. J’avoue, depuis que je connais mieux Beaubour, qu’il aurait joué l’Important avec beaucoup plus de noblesse que de Villiers, et que, par-là, il aurait fait encore plus de plaisir, car, enfin, il n’y a rien, à mon gré, de plus divertissant que la gravité, l’affectation, l’impertinence et l’importance ; en un mot, ou, pour mieux dire, ces airs d’un important, d’un pied plat, d’un vrai Chevalier de l’industrie, tels que ceux du héros de cette Pièce. Rien ne me paraît plus risible que de voir trancher du petit Ministre, un colifichet, un embryon, un avorton de commis, par exemple, sans un poil au menton, sans un brin de jugement en tête, et qu’on n’aura mis dans un bureau que pour le balayer, ou, tout au plus, pour faire des liasses des papiers les moins nécessaires ; ou tel autre, que quelque petite relation qu’il aura eue, par hasard, à la Cour, a enflé comme un ballon ; ou, sans aller à la Cour, et tout au beau milieu de la plus franche bourgeoisie, un glorieux, qui se croira homme de conséquence, parce qu’il sera applaudi dans sa famille, car chaque famille a son idole. Or, je me représente le ridicule d’un homme sot et vain, (l’un suit l’autre) qui préside dans une assemblée de sots à ses gages, parmi lesquels se mêlent d’autres francs sots de bonne foi, qui ne lui coûtent rien, et auxquels il débite également toutes les sottises qu’il dit comme autant d’oracles. Je soutiens donc que plus on jettera du sérieux, de la noblesse et du clinquant d’une fausse majesté (si j’ose prostituer ici l’expression de majesté, même fausse) dans les caractères de tous ces fats, plus on en relèvera le ridicule, et voilà ce que Beaubour aurait fait dans la perfection. »
« J’aurais ici un beau champ pour dire du bien de cette Comédie, avec d’autant plus de liberté que je n’y ai point de part, et qu’il y a beaucoup de bien à en dire. J’aurais de quoi m’étendre sur les règles du Théâtre, sur les finesses de son art. Je pourrais faire voir la différence qu’il y a entre les Pièces seulement d’intrigue et les Pièces de caractère, qui ont un double mérite, en ce qu’elles ne doivent être guères moins intriguées, et que c’est sur le caractère que toute l’intrigue, tous les incidents doivent rouler. Je pourrais faire voir avec qu’elle exactitude ce principe a été observé dans L’Important, la nouveauté de ce caractère, la constitution de la fable, sa conduite, ses mœurs, ses tours de scènes, son plaisant, sa sagesse, sa chasteté, etc. »
« Je sais que bien des gens ont fait la guerre à mon ami de ce qu’il n’a pas traité L’Important suivant leur idée. Je leur répondrais volontiers, pour lui, qu’il a mis sur le Théâtre son Important, et non le leur, si c’était une réponse valable, et s’il ne fallait pas représenter les caractères selon l’idée générale qu’on en a dans le monde. C’est pour cela que j’ai pris la liberté, sans lui en avoir demandé la permission, d’intituler sa Comédie, L’Important, tout court, et non L’Important de Cour, qui était dans les premières éditions ; addition non-seulement inutile, mais préjudiciable à la Pièce. Cette addition de Cour me déplut, dès que je la vis. Je trouvais qu’elle faisait tort à l’Ouvrage, parce qu’en effet L’Important qui y règne, et qui est un petit hobereau de province, qui se donne pour un Comte qualifié, n’est, à proprement parler, qu’un coquin, sans honneur et sans mœurs ; et on peut avoir des mœurs et être fort ridicule. Je dirai plus : c’est le véritable ridicule qui doit être reçu sur le Théâtre ; témoin le Misanthrope, qui est le plus vertueux des hommes, et ne laisse pas d’être fort ridicule. J’aurais bien souhaité que mon ami n’eût pas fait un coquin et un fripon de son Important : il n’en aurait été que plus risible ; car la friponnerie n’est pas risible : elle est odieuse, parce qu’elle est criminelle. »
« Mon ami bâtit cette Pièce en trop peu de temps ; et si Molière ne nous avait pas accoutumés à ne point excuser un Auteur par-là, c’est par-là que je le trouverais excusable. D’ailleurs, la multitude infinie qu’il y a d’espèces d’importants, rendit son sujet plus difficile à traiter. Il n’y a point, à mon sens, de caractère, en ridicule, plus général que celui de L’Important. La raison en est, ce me semble, parce que la simplicité n’est guères moins facile à être blessée que la pudicité : or, blesser la simplicité, c’est-à-dire sortir de ses bornes, c’est viser à l’importance. Faisons-nous le procès sincèrement : nous sommes presque tous un peu importants, et ce n’est que selon l’esprit que nous avons, en sentant ce ridicule dans les autres, que nous en profitons pour nous en corriger : mais il n’y a pas, peut être, de plus de différentes espèces de poissons dans la mer, qu’il y a de diverses sortes d’importants sur la terre. Il est surprenant qu’un caractère si familier et si commun ait échappé à tant d’Auteurs avant mon ami. Nous lui en avons d’autant plus d’obligation ; mais la matière est si féconde qu’on pourrait faire une Comédie toute nouvelle sur ce sujet, sans prendre un seul trait de celle-ci. Cet Important n’est pas dans la bonne-foi comme je voudrais qu’il fût. C’est un escroc, qui se connaît pour ce qu’il est, et ne se masque que pour attraper des dupes. En un mot, c’est en homme, par ses tours, ce qu’est La Femme d’intrigues, de Dancourt, à cela près que celle ci ne fait point l’importante, et qu’il y a une variété infinie dans ses souplesses et dans ses artifices. C’est dans la nature : sur cette matière une femme en sait toujours plus qu’un homme. »
« Je sens bien que je serais mieux diverti d’un bon franc et loyal important, qui, se trompant lui seul sur son crédit, sur son mérite, sur ses amis, ne cherche à tromper personne que du seul côté de l’orgueil, qui se croit effectivement un homme d’une grande conséquence, de beaucoup d’autorité et un personnage considérable, et fait tout ce qu’il peut pour qu’on le croie encore davantage. Dans cette dernière sorte d’importants les espèces sont aussi très nombreuses. Combien j’en envisage, depuis les gros, les importants du premier ordre, jusqu’à des faquins qui plus importuns et moins nécessaires que ces grosses mouches qu’on appelle taons, pour faire comme elles quelques tours et bourdonner un peu sur les chevaux d’un coche, sont assez fats pour se vanter qu’ils ont seuls toute la peine de le faire rouler ! Je ne vois autre chose tous les jours que de pareils fats qui ont la bêtise de venir me conter à moi même qu’ils font tout dans des affaires où ils ne peuvent ignorer que je ne sache bien qu’ils ne sont pas seulement appelés. »
« Le sentiment de vérité qui a forcé Palaprat à convenir que le caractère de l’important, tel que l’a traité l’Abbé de Brueys, est celui d’un fripon et d’un voleur, devait lui faire ajouter que ce personnage a encore deux autres défauts presqu’aussi essentiels, la lâcheté et le manque d’esprit, et, de plus, que le rôle de la Marquise est celui d’une folle qui approche beaucoup de l’imbécilité, et que le personnage de M. Cornichon est très peu nécessaire à la Pièce, qui, au reste, est assez bien écrite et conduite avec assez d’art, mais dont le dénouement n’est pas vraisemblable et trop précipité, » disent les frères Parfaict, dans leur Histoire du Théâtre Français.
C’est aussi, à-peu-près, le jugement que portent de cette Pièce le Chevalier de Mouhy, dans son Abrégé de l’Histoire de ce Théâtre, et les Auteurs du Dictionnaire Dramatique. Ces derniers trouvent dans L’Important « de l’invention, du feu, de l’action et du comique. »
En voici le sujet.
M. de Clincan, fils d’un vitrier de Nevers, et qui fait précéder son nom, qu’il tire d’une très médiocre terre du Nivernois, par le titre de Comte, n’ayant qu’un modique revenu, joue à Paris le rôle d’un homme de qualité, opulent, fort en crédit à la cour et à la ville. Il s’est introduit chez une riche Marquise, veuve, suivant un procès considérable, en lui offrant ses bons offices auprès du Rapporteur de ce procès, et en lui promettant de faire avancer ses enfants au service. La Marquise est à la veille de marier sa fille, Mariamne, avec Dorante, fils de M. de Vieusancour, Résidant auprès d’un Prince d’Italie. Mariamne et Dorante s’aiment ; et la Marquise qui avait promis Mariamne à un certain Cléonte, a bien voulu rompre cet engagement pour consentir à l’union des deux amants. Mais le fracas imposant que Clincan fait chez la Marquise, où il loge à dessein d’obtenir Mariamne, l’engage à la lui proposer de même, et à manquer de parole à Dorante. Elle est encore excitée à ce changement par Marton, sa suivante, qui espère épouser La Branche, valet de Clincan, et qu’il fait passer pour un Gentilhomme, son Écuyer, à qui il doit donner dix mille francs pour ce mariage. Un faux acte, portant l’obligation de cette somme, et que La Branche a mis entre les mains de Marton, la fait entrer dans les intérêts du prétendu Comte, et détruire tous les rapports d’une petite sœur de Mariamne, nommée Ninon, qui s’aperçoit de l’intelligence qu’il y a entre Marton et La Branche pour empêcher le mariage de Mariamne avec Dorante. Marton trouve le moyen de brouiller les deux amants, en donnant à Dorante un billet de congé, que Mariamne, par l’ordre de sa mère, écrit à Cléonte ; et M. de Vieusancour, arrivant d’Italie, et venant presser le mariage de Dorante avec Mariamne, se trouve sollicité par Dorante même à rendre la parole de la Marquise. Un M. Cornichon, oncle de Clincan, vient de Nevers pour voir son neveu. Il est rencontré par La Branche, qui lui apprend les projets de son maître, en le priant de n’y pas nuire par son indiscrétion, et il le fait passer chez la Marquise pour son oncle à lui-même. Cependant Clincan revêt d’habits magnifiques M. Cornichon, qui, endoctriné par La Blanche, fait à la Marquise la demande de la main de Mariamne pour le prétendu Comte. Mais Dorante, rencontrant l’occasion de s’expliquer avec Mariamne, reconnaît l’erreur où il a été un moment, et revient avec son père prier la Marquise de renouer leur alliance projetée. Ils lui font voir toutes les impostures de Clincan ; et le Banquier de la Marquise, auquel Clincan doit beaucoup d’argent, achève de la désabuser sur cet aventurier, qui est forcé à se retirer et à renoncer à Mariamne, comme La Branche à Marton, et la Marquise donne enfin sa fille à Dorante.

 

Les Empiriques, Comédie en trois actes, en prose ; représentée, pour la première fois, au Théâtre Français, le 4 Juin 1697 ; imprimée, à Paris, la même année, in-12 ; et, depuis, précédée d’une Lettre de Palaprat, adressée à M. Boudin, premier Médecin de la Dauphine, et d’un Avis sur cette Lettre, dans les éditions des Œuvres réunies de Brueys et Palaprat.

« Si le Public était d’humeur à joindre la réflexion au plaisir, quand il voit dans une Comédie un ridicule qui le divertit, on n’aurait guères donné de Pièces de Théâtre plus utile que celle ci, dit Palaprat, dans sa Lettre au Docteur Boudin. Cette Comédie joue le plus dangereux de tous les ridicules, le ridicule qui n’expose pas à moins qu’à perdre la vie ; en un mot, le ridicule et le fol entêtement qu’ont aujourd’hui mille personnes de se servir des Empiriques préférablement aux Médecins. Voilà le ridicule que mon ami Brueys joue dans cette Comédie, d’une manière tout-à-fait agréable. La raison trouva en lui de grandes dispositions à prendre le parti de la Médecine, dont il est proche allié. Beau-frère du célèbre Barbeyrac, oncle de MM. Sidobre et Carquet, tous les trois de la Faculté de Montpellier, il a, pour le moins, autant de Médecins dans sa famille que Despréaux a pris soin d’apprendre à la plus reculée postérité qu’il y a d’illustres Greffiers dans la sienne. »
« Mille gens, qui ne se donnent guères la peine d’approfondir le sens des plaisanteries, ont cru qu’il était du bel esprit de se moquer de la Médecine, parce que Molière a joué les Médecins Qui raisonne de la sorte conclu que Molière a déclaré la guerre à toutes les personnes de condition et à tous les gens de bien, parce qu’il a joué les Marquis ridicules et les hypocrites. Il n’est point de plus grand panégyrique pour la vertu que de démasquer ceux qui la falsifient ; et rien ne relève davantage l’excellence d’un Art, aussi nécessaire que celui de la conservation des hommes, que d’exposer à la risée publique l’impudence des ignorants qui en abusent, Molière n’a joué ni la Médecine, ni les Médecins ; c’est-à-dire, ceux qui méritent de porter ce beau nom : il n’a joué que les ânes bâtés qui embrassent cette profession, sans connaissances et sans lumières. Malheureux qui s’adresse à ceux-là, dans une ville comme Paris, où il y en a tant d’autres à choisir ! »
« Je ne saurais me vanter d’avoir quelque part dans cette Comédie, pas même celle que je me suis donnée dans L’Important, en vertu de la maxime de droit civil : Si quis in alieno solo, etc. Mon ami ne logeait plus chez moi, au Temple, quand il la composa : il était à Montpellier ; et il me la montra quand je passai en Languedoc, en 1697, pour suivre le grand Prieur de Vendôme en Catalogne. Elle eut le succès qu’elle méritait ; c’est-à-dire qu’elle réussit fort. Toutes les apparences sont qu’elle ne réussirait pas moins aujourd’hui, si on daignait la jouer quelquefois ; mais la scène est si féconde en excellentes nouveautés, qu’elle peut négliger les petits profits qui pourraient lui revenir par la reprise de vieilles Pièces, qui, quelque bien reçues qu’elles aient été de leur temps, paraîtraient en celui-ci fort médiocres, comparées aux bonnes choses qu’on nous donne tous les jours. (Cette Lettre fut écrite en 1711.) Je regarde cette Pièce comme une bataille gagnée sur les ennemis de la Médecine. »
« En examinant avec quelqu’attention la Comédie des Empiriques, on ne peut assez s’étonner des éloges que Palaprat lui donne, disent les frères Parfaict, dans leur Histoire du Théâtre Français. Cette Pièce est peu de chose pour le fonds, extrêmement faible par la conduite, et les caractères des personnages sont ou mal imaginés, ou ressemblants à d’autres déjà mis au Théâtre, et le tout très faiblement écrit. »
En voici le sujet, tel, à-peu-près, que le rapportent les Auteurs du Dictionnaire Dramatique.
« Un Baron, qui se croit malade, s’est mis entre les mains d’un Empirique, nommé de Romarin, espèce d’Alchimiste, en qui il a tant de confiance et qu’il estime tant qu’il lui a donné un logement dans sa maison, pour être plus à portée de faire usage de ses remèdes. Le Baron à une fille, nommée Mariamne, qui est aimée d’un jeune Officier, nommé Éraste, qu’elle paye de retour, et à qui le Baron a promis de l’unir, dès qu’il se croira en bonne santé .Mais Éraste, contraint à partir pour l’armée, voudrait terminer ce mariage avant de s’éloigner. Un second Charlatan, sous le nom de Paquinoy, s’introduit encore dans cette maison, et la facilité avec laquelle le Baron accueille de tels aventuriers, fournit à Éraste l’idée de faire passer son valet, Pasquin, pour un Empirique, qui, en changeant le régime du Baron, et en lui faisant prendre les choses les plus simples, auxquelles il doit donner des noms étrangers, remettra sa santé en bon état. Ariste, frère du Baron, est informé de ce projet ; et le désir qu’il a de le voit guéri de sa prévention pour les Empiriques, autant que l’envie de contribuer à l’union de Mariamne avec Éraste, l’engage à seconder cette entreprise, à laquelle Mariamne et sa suivante, Marton, se prêtent aussi. La recette de Pasquin consiste, tout uniment, en un très bon potage et en une grande dose d’excellent vin, dont l’effet égaye tellement le Baron, qu’on lui persuade qu’il se porte bien ; et sa mémoire devient si confuse qu’on le fait convenir qu’il a mandé le notaire pour le contrat de mariage de sa fille et d’Éraste, et il se décide à le signer. Quant à de Romarin, une alarme d’incendie donnée dans la maison, et qu’on dit être causé par ses fourneaux alchimiques, le fait fuir à toutes jambes, surtout lorsqu’on lui fait entendre que le Commissaire venu pour maintenir le bon ordre pendant ce désastre, s’est emparé d’une cassette qui contient tous ses prétendus secrets, et Paquinoy est chassé, avec menaces de bastonnades, par le suisse de la maison, qui le reconnaît pour avoir fait mourir une Comtesse du voisinage. »
« Cette Comédie rentre dans le fonds du sujet du Malade imaginaire de Molière ; mais lui est bien inférieure, » ajoutent les Auteurs du Dictionnaire Dramatique.

 

Gabinie, Tragédie Chrétienne, en cinq actes, en vers ; représentée, pour la première fois, au Théâtre Français, le 14 Mars 1699 ; dédiée au Comte d’Ayen, et imprimée, avec une Préface, à Paris, la même année, chez Pierre Ribou, in-12, et, depuis, dans les éditions des Œuvres réunies de Brueys et Palaprat.

« Je dois avertir que j’ai tiré le sujet de cette Pièce d’une Tragédie Latine, intitulée Susanna, faite par Adrian Jourdain, Jésuite, et imprimée à Paris, chez Mâbre Cramoisy, en 1654, » dit Brueys dans sa Préface.
« J’ai cru qu’il me pouvait être permis de me servir d’un Ouvrage Latin fait depuis près de cinquante ans, comme on se sert de ceux des anciens quand on veut les mettre sur notre Théâtre, c’est-à-dire que je l’ai traité autrement, que même mon dessein est différent de celui de cet Auteur, car il ne s’attache qu’au martyre de Susanne, et je me suis principalement proposé de représenter dans ma Tragédie la Religion Chrétienne s’établissant miraculeusement, sans aucun secours humain, malgré les efforts et la rage de Dioclétien, que tout le monde sait avoir été le plus grand persécuteur des Chrétiens. Ainsi, quoique j’aie imité les endroits qui m’ont paru les plus beaux dans cette Pièce, en leur donnant un autre tour, j’en ai retranché plusieurs personnages et beaucoup de choses qui ne me paraissaient pas convenir à nos Spectacles, et j’en ai ajouté d’autres qui convenaient à mon dessein, et qui m’ont fourni de nouvelles situations et une catastrophe différente. Au reste, je n’expose aux yeux des Spectateurs que ce que la Religion Chrétienne a de grand et de merveilleux, fondé sur des faits certains, connus de tout le monde, et dont les Historiens, même profanes, font mention. »
« J’ai donné à mon héroïne le nom de Gabinie, que j’ai tiré de celui de son père, parce qu’il m’a semblé que celui de Susanne, que l’Histoire des Martyrs lui donne, n’avait pas assez de noblesse pour le Théâtre. »
« J’ai suivi l’Histoire sainte et profane avec assez de fidélité. Il est certain que Galérius fut associé à l’Empire par Dioclétien, que Séréna, femme de Dioclétien, était secrètement Chrétienne ; que Galérius fut amoureux de la fille de Gabinius, laquelle était Chrétienne et mourut Martyre à Rome ; que la légion Thébaine se convertit à la foi, avec Maurice, qui en était le chef ; que cette légion souffrit le martyre et y fut exhortée par le Pape Saint-Marcellin ; que Dioclétien, après vingt ans de règne, abandonna l’Empire et se retira à Salone, en Dalmatie, environ l’an 296, à cause, dit Zonare, que le Christianisme qui s’établis soit malgré lui, lui suscitait trop d’affaires. Enfin il est certain que ce fut peu de temps après que le grand Constantin, qui avait appris le métier de la guerre sous Galérius, fut le premier Empereur Chrétien sous qui l’Église jouit d’une grande tranquillité, et commença à établir à Rome, avec éclat, le siège de l’Empire de Jésus-Christ, Constantin ayant donné au Pape Saint-Melchiade, pour sa demeure, une maison Impériale, qui s’appelait le Palais de Latran, avec un domaine et des revenus convenables pour soutenir honorablement la suprême dignité de chef de l’Église. »
« Je n’ai pris d’autre licence que de rapprocher un peu de l’action théâtrale certains événements mémorables qui sont pourtant arrivés sous le règne de Dioclétien, et presqu’au temps que la fille de Gabinus souffrit le martyre. »
Voici le sujet de cette Tragédie.
Galérius, que Dioclétien vient de s’associer à l’Empire de Rome, est près d’épouser Camille, sœur de l’Impératrice Séréna, épouse de Dioclétien ; mais Séréna, qui, en secret, protège autant les Chrétiens que l’Empereur est ouvertement acharné à leur poursuite, a découvert que Gabinie, fille de Gabinus, l’un des chefs de l’armée, est Chrétienne, et que Galérius l’aime, et elle engage Dioclétien à rompre le mariage projeté entre Camille et Galérius, et à unir ce nouveau César à Gabinie. Dioclétien y consent ; mais Camille éprouvant le plus violent amour pour Galérius, est au désespoir de s’en voir abandonnée, et apprenant que sa rivale est Chrétienne, elle en instruit Dioclétien, qui exige de Galérius qu’il la fera renoncer à cette religion avant de l’épouser. Galérius ignorait la croyance de Gabinie, et il tente vainement tout ce que son amour peut lui suggérer pour l’y faire renoncer. Gabinie lui avoue qu’elle l’aime plus que tout au monde, mais elle reste ferme dans sa foi, qu’elle préfère à la main de son amant et au trône où l’on veut la placer. Le Peuple, le Sénat, excités par la vengeance de Camille, demandent la mort de Gabinie. Dioclétien charge Galérius de la condamner au supplice, ou de renoncer à sa part à l’Empire, et il envoie contre les Chrétiens la légion Thébaine qui est au service de Rome, avec ordre de les massacrer tous. Camille prévient l’arrêt qu’on attend contre sa rivale : elle paye des gens pour l’assassiner, et, allant se repaître de ce meurtre cruel, elle se sent changer, tout-à-coup, et devient Chrétienne. La légion Thébaine, toute entière, suit cet exemple. Séréna et Camille viennent elles-mêmes l’apprendre à Dioclétien, en lui déclarant qu’elles abjurent ses Dieux et qu’elles se livrent à sa vengeance. Dioclétien, abandonné de tous les siens, renonce enfin à poursuivre les Chrétiens, cède l’Empire en entier à Galérius, et se retire à Salone, lieu de sa naissance.
« Les personnages, les caractères, les incidents de cette Pièce sont réels et n’ont rien de romanesque. Ils y représentent conformément à leurs passions, à leurs intérêts particuliers. Ils y sont peints d’après l’Histoire, sans avoir de ces grands coups de force, familiers aux Sophocles de la France, disent les Auteurs du Dictionnaire Dramatique. Cette Tragédie a des situations touchantes et de véritables beautés. La plus tragique est celle où Galérius doit prononcer l’arrêt de mort de sa maîtresse, ou renoncer à l’Empire et se perdre avec elle. Que de craintes, que d’espoir, que ne fait-il point pour la fléchir ! »
Gabinie eut dix représentations de suite dans sa nouveauté ; mais elle fut reprise en 1708, et n’en n’eut que trois.
« Lorsque l’Auteur présenta cette Tragédie aux Comédiens, ils la reçurent avec applaudissement, dit l’Éditeur des Œuvres Dramatiques de Brueys. Il fut question de la distribution des rôles. Celui de Séréna avait été fait pour la Demoiselle Beauval, et lorsque Brueys voulut l’en charger, il reçut un refus sec et obstiné, dont il ne fut pas possible de la faire revenir. Il se ressouvint alors de la distribution du rôle de L’Important, (dont nous avons parlé plus haut) qu’il avait donné à de Villiers, tandis que Beaubourg désirait de l’avoir, et la Demoiselle Beauval, belle-mère de Beaubourg, avait tellement pris part à la querelle de son gendre, que, selon les expressions de Palaprat, dans son Discours sur L’Important, elle porta ce ressentiment jusqu’à refuser un Empire. Mon pauvre ami, dit-il, eut beau la prier, à genoux, de vouloir bien être l’épouse de Dioclétien dans sa Tragédie, il ne trouva point de moyen de la fléchir. Elle traita, dans cette occasion, le titre d’Impératrice avec le même mépris que les Romains avaient jadis pour le nom de Roi. Brueys, obligé de se rendre à l’opiniâtreté de cette Actrice, donna le rôle de Séréna à la Demoiselle Duclos, qui le joua avec les talents et la noblesse qui ont toujours accompagné les grâces de sa personne, ainsi l’exécution de la Tragédie en souffrit peu, et elle eut le succès qu’elle mérite. »
« Il y aurait un peu trop de sévérité à placer Gabinie dans le rang des plus froides Tragédies, selon le jugement des frères Parfaict dans leur Histoire du Théâtre Français. Cependant, sans entrer dans l’examen de cette Pièce, après avoir dit que sa conduite est assez exacte, et que la versification en est coulante, on peut ajouter que cette versification est peu élevée et souvent prosaïque ; que les caractères des principaux personnages sont mal peints et encore plus mal soutenus, et qu’enfin le prétendu succès de ce Poème Dramatique, lorsqu’il parut pour la première fois au Théâtre, est moins dû à l’Auteur qu’à l’art des Acteurs qui rendirent parfaitement quelques scènes pathétiques, non par la façon dont elles sont traitées, mais par le fonds et l’ordonnance du sujet : prestige qui cesse à la lecture de cette Tragédie, laquelle se présente alors telle qu’elle est, c’est-à-dire médiocre et peu intéressante. »
Lors de la nouveauté de cette Tragédie, Palaprat fit ces vers, louangeurs pour son ami Brueys, et épigrammatiques pour quelques-uns des détracteurs de l’Auteur de Gabinie.

« Peut-on faire une Tragédie,
« Qui, sans aucune exception,
« Soit de tout le monde applaudie ?
« Non, il n’est pas possible ; non, –
« Vous vous trompez. On dit que Gabinie
« Plaît généralement à tous les spectateurs. –
« Eh ! non, elle déplaît à deux ou trois Auteurs. »

 

L’Avocat Patelin, Comédie en trois actes, en prose, avec un Prologue et trois Intermèdes, mêlés de déclamation, de chants et de danse ; représentée, pour la première fois, au Théâtre Français, sans Prologue et sans Intermèdes, le 4 Juin 1706 ; imprimée dans les Œuvres réunies de Brueys et Palaprat.

 

L’Opiniâtre, Comédie en trois actes, en vers ; représentée, pour la première fois, au Théâtre Français, le 19 Mai 1722 ; imprimée, à Paris, en 1725, chez Pierre Prault, in-12, et, depuis, dans les Œuvres réunies de Brueys et Palaprat.

« La Comédie de L’Opiniâtre, composée d’abord en cinq actes, puis remise en trois, et ainsi représentée, eut un succès assez favorable, dit l’Éditeur des Œuvres de Brueys et Palaprat, dans des Remarques placées au-devant de cette Pièce. On prétendit cependant que l’Auteur n’avait pas tiré tout le parti qu’il aurait pu du caractère qu’il traitait et des situations que ce caractère lui pouvait fournir. On remarqua que ses trois principaux traits d’opiniâtreté n’étaient pas assez marqués, ou assez comiques »
Voici le sujet de cette Pièce.
Éraste, fils d’un Baron, est accordé avec Dorise, fille d’une Marquise, qui habite une de ses Terres au près de Toulon, et se croit veuve, parce que le bruit a couru que le Marquis, son époux, avait été tué dans un combat en Asie. Dorise avait été précédemment promise, par le Marquis, à Clitandre, qu’elle aime et dont elle est aimée ; et elle en avait reçu une bague, que la Marquise a voulu qu’elle donnât à Éraste. Dorise, ne voulant point faire ce sacrifice, mais n’osant désobéir à sa mère, a fait faire une bague semblable et l’a donnée à Éraste, qui, par inadvertance et sans s’en souvenir, l’a cachée dans sa bourse, et soutient opiniâtrement que Dorise la lui a reprise. Toinon, suivante de Dorise, a vu mettre la bague dans la bourse, et contraint Éraste à l’y chercher. Il la trouve ; mais ne se corrige pas pour cela de son opiniâtreté, car perdant, ensuite, une partie d’hombre contre Dorise, il ne veut pas convenir d’avoir perdu, quoiqu’il soit condamné par la Marquise, le Baron et Clitandre, qui ont vu le coup. Cependant, Dorise et Clitandre sont désolés d’être forcés à renoncer l’un à l’autre. Toinon leur conseille de se servir d’un Turc, nommé Ibraïm, nouvellement arrivé dans le village et logé dans l’hôtellerie d’un certain La Ramée, ancien fermier du Marquis ; lequel Ibraïm démentira le bruit de la mort du Marquis, et annoncera son prochain retour : ce qui fera différer, et, peut-être, empêchera le mariage projeté par la Marquise. Ce stratagème réussit d’autant mieux que le Turc prétendu n’est autre que le Marquis lui-même, de retour de son long voyage, pendant lequel il a en effet manqué de périr dans un naufrage. En arrivant dans sa Terre, sous des habits turcs, il ne s’est d’abord fait reconnaître que de La Ramée, de qui il a appris ce qui se passait dans son Château, et il se prête volontiers aux vues de sa fille et de Clitandre. Éraste ne veut non-seulement point croire à la nouvelle de l’arrivée prochaine du Marquis, mais quand celui ci paraît, sous ses propres habits, que La Ramée a su lui procurer du Château, il soutient que ce ne peut être le Marquis, même après qu’il a été reconnu par la Marquise, par Dorise, Clitandre, le Baron, Toinon, La Ramée, et par tout le village. Tant d’opiniâtreté suffirait pour éloigner le Marquis de l’alliance d’Éraste, quand il n’aurait pas promis de donner sa fille à Clitandre. Cette promesse est réalisée, au grand contentement des deux amants. Le Marquis fait voir un testament, dont il était dépositaire, dès avant son départ, et par le quel Clitandre hérite de tous les biens d’un de ses oncles, intime ami du Marquis, et Éraste se retire, sans paraître encore persuadé d’avoir été, contre toute raison, opiniâtrement opposé à l’avis de tout le monde, et même à l’évidence.
« Il y a dans cette Comédie un rôle de complaisant, sous le nom de Damis, qui sert à faire ressortir celui de l’opiniâtre ; mais qui n’est complaisant que pour Éraste, » remarquent fort bien les Auteurs du Dictionnaire Dramatique, et qui, de plus, n’est d’aucune autre utilité à la Pièce.
Le Chevalier de Mouhy dit, dans son Abrégé de l’Histoire du Théâtre Français, que, « le tumulte fut si grand à la première représentation de cette Pièce qu’à peine fut-elle écoutée, et qu’elle fut cependant jouée huit fois de suite. » Et l’Auteur du Mercure, second volume de Mai 1722, nous apprend que « le principal personnage en fut parfaitement joué par Quinault, et que l’intrigue, qui en parut imaginée avec art, fit beaucoup de plaisir. »
Palaprat venait de mourir, depuis peu, lorsqu’on donna L’Opiniâtre, et cette Comédie ayant été annoncée comme étant de l’Auteur du Grondeur, un neveu de Palaprat fit insérer au volume suivant du Mercure, un fragment de Lettre, adressé à un ami de Province, dans lequel il proposa comme un problème cette question.
« On demande si l’Abbé de Brueys, qui a fait présenter L’Opiniâtre aux Comédiens comme de lui, a eu dessein de faire entendre au Public que Palaprat en a partagé le travail, ou s’il veut s’arroger la gloire d’avoir fait seul le Grondeur ? »
« On répond à ceux qui soutiennent le premier de ces sentiments, qu’il n’est pas naturel de croire que cet Abbé ait voulu partager avec quelqu’un la réputation qu’il espérait de cet Ouvrage, puisqu’il n’a pris aucunes mesures pour en partager le bénéfice avec les héritiers de Palaprat ; et à ceux qui soutiennent le second sentiment, que ce serait faire injure à Brueys que de le soupçonner de vouloir flétrir la mémoire de son ancien associé, que la bonté de son cœur lui aurait fait absolument abandonner un tel projet, ou les lumières de son esprit choisir un temps moins suspect, par exemple, celui où il donna Les Empiriques, Palaprat vivant alors aurait repoussé vivement la calomnie, ou souscrit modestement à la vérité. Voilà ce qui se dit dans le monde, etc... »
Brueys répondit, dans le Mercure suivant, en s’adressant à un ami de Paris.
« Je ne sais de quoi s’avise l’héritier de notre cher ami. Il est vrai que nous avons été autrefois associés, mais il y a plus de quarante ans que notre société est finie, et, depuis ce temps-là, Palaprat et moi avons donné des Pièces de Théâtre pour notre compte particulier et sans partage, lesquelles nous nous communiquions l’un à l’autre, comme amis qui se consultent ; et c’est ainsi que je puis avoir envoyé à Paris, il y a quinze ou seize ans, un canevas de L’Opiniâtre en cinq actes, qu’on peut avoir trouvé parmi les papiers de ce cher ami ; mais il n’a jamais ni travaillé, ni prétendu, ni pu prétendre aucune part au produit de cette Pièce, qui, de son vivant, et sans sa participation, a été présentée par vous aux Comédiens. »
« Je ne suis pas moins surpris de ce que cet héritier trouve mauvais qu’on ait annoncé L’Opiniâtre de l’Auteur du Grondeur. Les Comédiens et tout Paris ne savent-ils pas que j’en suis véritablement le père, quoique Palaprat l’ait produit dans le monde, l’ait enrichi de ses biens, et m’ait fait l’honneur de l’adopter, ainsi que je le lui écrivis à lui-même, il y a huit à dix ans ; ce qu’il ne désavoua point par la réponse qu’il me fit, que j’ai heureusement conservée, et que je fis voir au Duc de Roquelaure, parce qu’il s’était élevé chez lui sur ce sujet une querelle de Parnasse, qui fut décidée par-là ? Palaprat lui-même ne laissa t-il pas annoncer la Tragédie de Gabinie, de l’Auteur du Grondeur, quoiqu’elle fût imprimée sous mon nom, et dédiée au Comte d’Ayen, devenu Duc de Noailles ? Les Empiriques et Patelin n’ont-ils pas été annoncés de même du vivant et au su de Palaprat, sans qu’il ait tiré aucune part de ces Pièces, ni qu’il m’ait cherché aucune chicane sur l’annonce ? Que veut donc dire le ridicule problème de cet héritier ? Je ne veux ni partager avec lui le produit d’une Pièce qui est de moi seul, ni flétrir la mémoire de mon cher ami, en le privant de la gloire d’avoir quelque part à la production du Grondeur. Je veux même, par le respect que j’ai pour sa mémoire, avoir assez de considération pour son neveu, pour ne pas dire tout ce que je pense sur un procédé si extraordinaire, etc... »
L’Auteur du Mercure ajoute à la fin de cette querelle de paternité Littéraire. « Brueys est encore l’Auteur de la Tragédie d’Asba, qui doit être représentée cette année. On ne peut trop admirer la fécondité de son génie, qui à quatre-vingt-quatre ans, a la même vivacité, la même solidité, la même netteté et le même feu qu’il avait dans sa jeunesse. Il n’est pas surprenant qu’un homme dont le mérite se soutient si bien, malgré le poids des années, ne veuille céder, ni partager sa gloire avec personne. »

 

Asba, Tragédie en cinq actes, en vers, non représentée ; imprimée avec un Avertissement de l’Auteur, dans les Œuvres réunies de Brueys et Palaprat, et avec des Remarques de l’Éditeur de ces Œuvres.

« J’ai eu dessein, dit Brueys, dans l’Avertissement, de représenter dans ce Poème la juste punition d’un fameux scélérat, qui après avoir commis mille crimes et une infinité d’assassinats, porta enfin le poignard dans le sein de son fils unique, sans le connaître ; et, s’abandonnant ensuite au désespoir, se livra lui-même à la justice. »
J’ai tiré ce sujet d’un histoire véritable, dont une pyramide, que l’on voit encore dans la ville de Poitiers, consacre la mémoire ; mais pour le rendre plus propre au Théâtre et conserver à la Tragédie la noblesse et la dignité qui lui conviennent, j’ai feint que ce qui s’est passé réellement dans une ville de ce Royaume, entre des personnes de condition privée, se passe en Tartarie, entre des Rois et des Princes : ainsi les noms des personnages sont de mon invention. L’amour d’Ondate, de Thalmis et de Palmire, le siège de la ville d’Azac et la bataille qui se donne sous ses murs, sont pareillement des fictions et des épisodes que j’ai liés et intéressés au sujet principal. »
Voici comment Brueys a traité ce sujet.
Asba, Prince Tartare, a été privé du trône de Tartarie, qui lui appartenait, par son frère puîné, qui, au moment de la mort de leur père, a trouvé moyen de se faire reconnaître Souverain. Asba, forcé à fuir, a perdu son fils Ondate, qu’il croit au pouvoir de ses ennemis. Mais Ondate est passé en Circassie, où il a rendu de tels services au Souverain de ce Royaume, en commandant ses armées et en formant le Prince Thalmis, son neveu et l’héritier de son sceptre, que ce Roi oublie ce qu’il doit à Thalmis, et nomme pour son successeur cet Ondate, dont il ignore la naissance, en ordonnant à la Princesse Palmire, sa fille, de lui donner la main et de régner avec lui. Ondate a pris de l’amour pour Palmire ; mais elle aime Thalmis, de qui elle est aimée aussi. Cependant, Asba, privé des États qui devaient lui appartenir, a porté le ravage dans tous les lieux où il a passé. Il est en guerre avec les Circassiens ; et, dans une escarmouche, il a fait enlever Palmire, qu’il sait être promise à leur Général Ondate. Il apprend ensuite que cet Ondate est son fils, et Thalmis, qui commande en chef, lui fait proposer de le lui rendre, avec la paix, s’il veut lui renvoyer Palmire. Asba fait arrêter l’Ambassadeur chargé de cette négociation. Cependant, la nouvelle de la mort du Roi de Circassie est apportée à Palmire et à Thalmis. Les dernières volontés de ce Roi ont toujours été qu’on date lui succédât et épousât Palmire, parce qu’il est mort sans savoir qu’il fût le fils d’Asba, mais les États assemblés et qui en sont instruits, donnent le trône et la Princesse à Thalmis. Les deux partis combattent sous les murs d’Azac, ville de la petite Tartarie, et qu’a choisie Asba pour sa résidence. Asba menace les jours de Palmire, qui est restée en sa puissance, si Thalmis ne fait cesser le carnage : mais Ondate est fait prisonnier, et Thalmis a le même sujet de crainte à offrir à Asba pour les jours de son fils que celui qu’il en reçoit pour ceux de la Princesse qu’il aime. On propose une trêve de trois jours, pour convenir du parti que l’on prendra, de part et d’autre, Thalmis et Asba l’acceptent. Ce dernier fait plus ; il rend Palmire au rival de son fils. Thalmis, qui ne sait pas encore s’il est aimé de la Princesse, promet de la laisser libre de son choix entre Ondate et lui. Mais le perfide Asba, au moment de la trêve, offre d’assurer à Ondate Palmire et le trône de Circassie, médite la perte de Thalmis, et veut l’immoler lui-même. Dans cc dessein, il s’introduit, en secret, chez la Princesse, y attend Thalmis, et, trompé par l’obscurité, il enfonce un poignard dans le sein d’Ondate qu’il prend pour son rival. Éclairé bientôt par son fils même, sur son parricide, il se donne la mort, et le nouveau Roi de Circassie emmène Palmire partager son trône avec lui.
« Brueys composa cette Tragédie à Montpellier, où il avait fixé son séjour, depuis l’année 1720, dit l’Éditeur de ses Œuvres, réunies à celles de Palaprat, dans les Remarques placées au-devant de cette Pièce. En 1722 son âge ne lui permettant pas d’entreprendre le voyage de Languedoc à Paris, il envoya cette Tragédie à un de ses amis, pour la présenter aux Comédiens, qui la reçurent, à condition de faire quelques changements dans la conduite et de retoucher la versification. La Pièce fut renvoyée à Brueys, qui sentît la justice des observations que l’on avait faites, et la nécessité des corrections qu’il convenait de faire. Il y travailla aussitôt. L’âge n’avait point refroidi son génie. Il connaissait le Théâtre, et son goût naturel le portait par préférence, et, pour ainsi dire, malgré lui, à ce genre de travail ; ainsi il n’eût pas de peine à corriger les défauts qu’il reconnut lui-même dans le plan, et il l’a mise dans l’état ou l’on la voit imprimée aujourd’hui. Il se préparait à jeter plus de noblesse dans la versification lorsque la mort l’enleva, et l’empêcha de donner la dernière main à cet ouvrage. L’estime que la famille de Brueys a pour sa mémoire lui a fait désirer que cette Pièce fût représentée, et les Comédiens l’ont jugée capable de plaire au public. On se flatte qu’il y trouvera une action soutenue, des incidents naissants naturellement du sujet, l’intérêt suspendu jusqu’à la fin, et un dénouement, qui, sans être précipité, surprend et satisfait le Spectateur, par la mort de celui qui, jusqu’à ce moment, a été l’objet de son attention et de sa haine. »
« À l’égard de la versification, on pourrait la justifier par l’exemple de plusieurs ouvrages, qui, dans le cas où elle est, n’ont pas laissé de plaire au public ; mais on sait que ces exemples ne sont point des règles pour lui. »
Malgré tous ces éloges, et même malgré l’acceptation des Comédiens, depuis plus de soixante ans, ils n’ont pas encore été tentés de jouer cette Tragédie. Il y a beaucoup d’apparence actuellement qu’elle n’aura jamais les honneurs de la représentation.

 

Lisimacus, Tragédie en cinq actes, en vers, non représentée ; imprimée, avec une Préface de l’Auteur, dans les Œuvres réunies de Brueys et Palaprat, et avec des Remarques de l’Éditeur de ces Œuvres.

« Le sujet de cette Tragédie est tiré de Justin, de Pline et de Sénèque, dit Brueys dans sa Préface. On y expose la constance de Lisimacus, qui, malgré les promesses et les menaces d’Alexandre le Grand, refuse de lui rendre les honneurs divins et surmonte tous les périls où l’on l’expose ; ce qui oblige Alexandre a revenir de cet entêtement, et l’engage à combler Lisimacus de ses bienfaits. »
« Arsinoé, (Princesse d’Épire) femme de Lisimacus, lui est ici donnée pour maîtresse, (et est aussi aimée d’Alexandre.) Ptolomée, (l’un des principaux chefs de l’armée d’Alexandre, ainsi que Lisimacus,) frère de cette Princesse et ami de Lisimacus, s’intéresse pour eux ; et Cléon, l’un des flatteurs de la cour d’Alexandre, et à qui il avait conseillé de se faire adorer, veut perdre Lisimacus, afin de se défaire d’un concurrent en faveur. Ainsi la constance de Lisimacus, l’entêtement d’Alexandre, l’impiété et la fureur de Cléon, l’amitié de Ptolomée, l’amour et les larmes d’Arsinoé produisent les passions qui animent l’action théâtrale. »
« On a mis la scène au pied de ce rocher affreux, (d’Aorne, au bord de l’Indus) qui, selon Quinte Curce, arrêta pendant treize jours l’armée d’Alexandre, lorsqu’il voulait entrer dans les Indes, et cela pour deux raisons : la première, parce que ce fut précisément là qu’il voulut passer pour fils de Jupiter et se faire adorer ; la seconde, parce que ce lieu et l’action qui s’y passe fournissent et des incidents intéressés au sujet principal et des épisodes propres au Poème Dramatique. Le sujet principal qu’on y traite est très convenable au temps et au goût d’aujourd’hui. On y voit un héros qui, tout païen qu’il est, ne laisse pas de fournir un bel exemple de vertu et de piété, et de donner de secrètes leçons aux libertins et aux simples... Si dans cette Tragédie Lisimacus surpasse Alexandre en vertu, c’est seulement en piété envers les Dieux, et cela ne choque nullement l’idée qu’on a d’Alexandre, parce que ce sont deux choses très différentes, et qu’il y a des héros de plus d’un caractère... Alexandre tient dans cette Pièce le premier rang pour la valeur. Il le garde jusqu’à la fin par ses actions et par ses sentiments ; et l’on s’est si fort attaché à conserver l’idée qu’on a de lui à cet égard que s’il paraît avec l’entêtement de vouloir être adoré, on voit d’abord qu’il n’y est tombé que par un excès d’élévation où sa valeur l’a porté... Pour ménager même sa gloire, on donne à la faiblesse qu’il a eue des raisons tirées de l’histoire. Les flatteurs de sa cour le lui ont inspiré ; sa mère Olympie avait dit en accouchant de lui qu’il était fils de Jupiter, et l’oracle de Jupiter Ammon l’a déclaré. Il n’a pourtant pas la faiblesse de le croire ; mais, à l’imitation de tous les vainqueurs d’Orient, il veut se prévaloir de ce bruit, pour régir en paix l’univers, qu’il a presque vaincu. Il ne prétend pas même s’exempter par là des travaux et des périls de la guerre. On voit enfin que si Lisimacus par sa constance fait revenir Alexandre de son entêtement, ce n’est pas proprement à Lisimacus qu’il cède, mais aux Dieux. En un mot, Alexandre a eu la faiblesse de vouloir être adoré ; c’est un fait d’histoire constant et qui ne surprend personne, parce que ce fait est connu de tous ceux qui ont ouï parler de ce héros... »
Brueys prévient encore dans cette préface l’objection qu’on peut lui faire d’avoir donné à son Lisimacus, un caractère aussi grand que celui d’Alexandre, dans le moment où il les met tous les deux en scène, en s’autorisant d’un précepte d’Horace et d’un de Saint-Évremont, et, surtout, de l’exemple de Racine, à qui l’on a fait le même reproche, à l’égard du personnage de Porus, dans sa Tragédie d’Alexandre ; et quand à la faiblesse momentanée de ce héros, si différent du reste de sa vie, Brueys cite le Néron de la Tragédie de Britannicus, ressemblant si peu dans sa jeunesse, où Racine la peint, au Néron plus âgé, dont la mémoire est devenue si odieuse.
Ce que nous venons de rapporter de la Préface de cette Tragédie de Lisimacus, en fait assez connaître le plan pour que nous soyons dispensés de le détailler davantage. Nous dirons seulement qu’outre que Lisimacus refuse l’encens à Alexandre, il envoie du poison au vieillard Calisthène, son ami, afin de le soustraire au supplice infâme qui lui est préparé pour la même offense ; qu’il se bat contre Cléon, et le tue, pour se venger des calomnies dont ce lâche Courtisan a cherché à le noircir auprès d’Alexandre ; que ce Prince, outré de tant d’audace, ordonne la punition exemplaire de Lisimacus ; mais qu’ensuite, craignant que l’armée qui chérit ce chef, par la valeur duquel elle vient encore de remporter une victoire signalée, ne s’oppose à sa mort, il décide qu’on l’expose, en secret, à la fureur d’un lion ; que Lisimacus terrasse le premier qu’on lâche contre lui, tout formidable qu’il est ; qu’une lionne, lâchée ensuite, recule d’horreur à la vue du lion abattu, et refuse de combattre ; qu’Alexandre averti de ce double prodige et le regardant comme un avis des Dieux, renonce enfin aux honneurs qui ne sont dus qu’à eux seuls ; qu’il pardonne à Lisimacus le refus qu’il a fait de les lui décerner, le nomme Roi de Pont et des peuples de Thrace, que lui-même lui avait soumis, et qu’il lui fait encore le sacrifice de son amour pour Arsinoé, en lui permettant de l’épouser.
« Quoique Brueys eût composé la Tragédie de Lisimacus peu de temps après celle de Gabinie, et peu avant celle d’Asba, il n’a cependant jamais témoigné avoir dessein de la faire représenter, dit l’Éditeur de ses Œuvres réunies à celles de Palaprat, dans les Remarques qui précèdent cette Pièce Soit qu’il n’en fût pas assez content, soit que, suivant le précepte d’Horace, il eût voulu, pour ainsi dire, l’oublier, afin d’être plus en état par la suite d’en découvrir les défauts, il n’en avait fait aucune destination, et il l’avait même mise à part, avec plusieurs autres Ouvrages que ‘on a trouvés après sa mort, et auxquels il n’avait pu mettre la dernière main. Il y a tout lieu de présumer qu’à l’égard de Lisimacus, Brueys, épris de son sujet, des situations et des personnages, a moins pensé à former un plan régulier qu’à rendre et à soutenir ses caractères. Les personnages d’Alexandre et de Lisimacus l’ont ébloui sur tout le reste. Il n a pensé qu’à les faire parler, et lorsque sa Pièce a été finie, temps auquel peut-être il a commencé à la faire connaître l’âge qu’il avait ne lui permettait plus de perdre le fruit d’un long travail, en composant un nouveau plan, et, par conséquent, une nouvelle Pièce. Ses amis, par cette même raison, et dans la crainte de lui ôter la seule satisfaction qu’il avoir alors, ont pu louer et approuver son Ouvrage, en lui conseillant seulement, pour occuper sa vieillesse d’en travailler les détails et la versification. Mais si cette Tragédie n’est pas en état de soutenir la représentation, la lecture, du moins, en fera connaître les beautés. On verra qu’en conservant à Alexandre son caractère fier et ambitieux, il en a écarté la dureté et l’inhumanité, en rejetant sur les pernicieux conseils d’un Courtisan en faveur ce qui empêcherait ce héros d’être vraiment grand. On sentira que la faiblesse qu’il a d’être adoré est, pour ainsi dire, si bien fondée qu’il devient presqu’excusable de se livrer à cette manie. On le plant d’y être entraîné, comme malgré lui, et l’on ressent une double satisfaction de le voir à la fin revenir de son erreur. On verra Lisimacus soutenir avec fermeté le culte des Dieux, mais sans petitesse, sans fanatisme, et sans cesser d’avoir pour son Roi le respect et l’obéissance que rien ne doit altérer dans le cœur d’un sujet fidèle ; et sa constance, que son Prince couronne d’une façon si glorieuse à l’un et à l’autre, est, comme dit Brueys, dans sa Préface, une leçon pour les libertins et pour les prétendus esprits forts. »
Il y a une autre Tragédie du même titre, Ouvrage posthume de M. de Caux, qui fut achevée par son fils, donnée au Théâtre Français, le 11 Décembre 1737, et imprimée à Paris, l’année suivante, in-12. Elle n’eut que quatre représentations, sans succès ; et, quoique le principal personnage soit le même que dans celle de Brueys, il est pris dans un autre moment, et le sujet en est tout-à-fait différent. Le Père La Rue a fait aussi une Tragédie Latine et une Française, sous ce même titre. Elles furent jouées dans des Collèges, et n’ont point été imprimées. Nous ne savons pas si elles sont sur le même sujet que celle de Brueys, ou que celle de M. de Caux.

 

Les Quiproquo, Comédie en un acte, en prose, non représentée ; imprimée dans les Œuvres réunies de Brueys et Palaprat, avec un Avertissement de l’Éditeur de ces Œuvres.

« Cette Pièce n’est pas du ton des autres Comédies du même Auteur qui la précèdent, dit l’Éditeur, dans l’Avertissement. Le fonds du comique de celle-ci est bien moins noble et les expressions bien plus dans le genre de la Farce : aussi ne la donne-t-on que sur ce pied-là ; et, vraisemblablement, Brueys n’avait pas eu d’autre intention en la composant. Il avait imaginé ces Quiproquo sur une aventure, à-peu-près, pareille, arrivée dans sa Province. »
Voici le sujet de cette Comédie.
« Un certain Éraste, qui a fait autrefois une promesse de mariage à une Présidente de Balivaux, est devenu amoureux de la fille de son hôtelier, Du Manoir, tenant l’hôtellerie du grand Turc, dans un faubourg d’Orléans. Mariamne, fille de Du Manoir, partage la tendresse d’Éraste ; mais le père l’a promise au Baron de la Joblinière, Gentilhomme de Beauce. La Présidente, logée près du grand Turc, apprend l’infidélité d’Éraste. Elle prend des habits d’homme, et va le trouver pour lui en demander raison. Elle se fait accompagner par des gens, couverts de manteaux gris, auxquels elle ordonne de l’enlever, et de l’emmener chez elle. De son côté, Éraste pour s’opposer au mariage du Baron, engage Mariamne à se laisser enlever, lui fait endosser un de ses habits, et charge des gens, couverts de manteaux rouges, de l’accompagner dans une voiture qu’il a fait disposer à ce dessein. Dans l’obscurité, les gens de la Présidente s’emparent de Mariamne, qu’ils prennent pour Éraste, et ceux d’Éraste enlèvent la Présidente qu’ils croient être Mariamne. Mariamne, enfermée chez la Présidente, et celle-ci conduite à la voiture d’Éraste, font des cris affreux, qui attirent au secours un Commissaire, des Commis aux aides et les domestiques de l’hôtellerie. Tout se vérifie et s’éclaircit. Le Baron renonce,  sans peine, à une fille qui se laissait enlever par un autre que lui. La Présidente, voulant produire la promesse de mariage d’Éraste, ne trouve dans le paquet qu’elle croyait la renfermer, qu’une chanson contre le mariage, et qu’il a eu l’adresse d’y faire substituer, en la lui envoyant par son valet Lavigne. Elle se retire furieuse, et Du Manoir unit Mariamne à Éraste.

 

Les Embarras du derrière du Théâtre, Comédie en un acte, en prose, non représentée ; imprimée dans les Œuvres réunies de Brueys et Palaprat.

« L’Éditeur de ces Œuvres Dramatiques dit, dans l’Avertissement qu’il a placé au-devant des Quiproquo, pour servir à cette Comédie et à celle des Embarras du derrière du Théâtre, que cette dernière n’est qu’une idée de Pièce, ou un nombre de scènes détachées qu’il a rassemblées sous un même titre, et dont il avait eu dessein de faire quelque chose de mieux. »
Voici quel en est le sujet.
La scène se passe derrière le Théâtre de la Comédie de Lyon. Une Madame Luce, veuve d’un Échevin, et qui a la manie de faire de mauvaises Pièces de Théâtre, avec un Poète ridicule, nommé Ménandre, en a lu une aux Comédiens, qui l’ont refusée, comme remplie d’inconvenances. Elle a un fils, qui à une autre manie, c’est celle de se faire passer pour un Baron. Malgré cela, il aime une Comédienne, nommée Mademoiselle Beauregard, qu’il veut épouser, et avec laquelle il veut jouer la Comédie. Madame Luce avait consenti à ce mariage ; mais le refus de sa Pièce l’indispose tellement contre les Comédiens, qu’elle cherche Mademoiselle Beauregard pour lui signifier qu’elle ne sera pas sa bru. On joue la Tragédie de Bérénice, et les Comédiens se chamaillent sur la distribution des rôles, qui ne conviennent point à ceux qui en ont été chargés par le Directeur de la Troupe, et auxquels le Public l’a manifesté, dès qu’ils ont paru devant lui. Le derrière du Théâtre est occupé par tous ces Acteurs et Actrices, qui repassent à haute voix ces rôles, et quelques autres de différentes Pièces ; par le Poète M. Ménandre, qui compose, tout haut aussi, des vers d’une Comédie nouvelle ; par Madame Luce et sa servante, Marotte ; par le prétendu Baron, et un autre fat, de ses amis, qui se fait appeler Marquis, quoiqu’il ne soit qu’un simple Bourgeois ; lesquels débitent des fadeurs aux Actrices et des fadaises aux Acteurs. Mademoiselle Beauregard, qui doit jouer Bérénice, n’ose sortir de sa loge, dans la crainte d’être querellée par Madame Luce, et le moment de son entrée en scène est près d’arriver. On est obligé de prendre la médiation de Marotte, entre Madame Luce et les Comédiens, et de promettre de jouer la Pièce refusée pour calmer les esprits, et Madame Luce consent, de nouveau, au mariage de son fils avec Mademoiselle Beauregard, qui, en attendant, va, sous le nom de Bérénice, se faire renvoyer de Rome par l’Empereur Titus, auquel les Romains ne permettent pas de l’épouser.

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