La Lectrice (Jean-François Alfred BAYARD)

Sous-titre : une folie de jeune homme

Comédie-vaudeville en deux actes.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Gymnase Dramatique, le 16 septembre 1834.

 

Personnages

 

LE CAPITAINE SIR COBRIDGE, vieillard aveugle

CLACTOWN, son neveu

SIR ARTHUR, jeune officier

EDGAR, son ami

TONY, domestique de lady Gérald

LADY GÉRALD, tante d’Arthur

CAROLINE

JEUNES GENS, amis d’Arthur

 

La scène est en Écosse : au premier acte, chez lady Gérald ; au second acte, chez sir Cobridge.

 

 

ACTE I

 

Un salon de la maison de lady Gérald. Porte au fond et portes latérales. Une vue d’Écosse dans le fond, qui reste ouvert. Sur le devant du théâtre à gauche une table et tout ce qui est nécessaire pour écrire.

 

 

Scène première

 

ARTHUR, EDGAR, PLUSIEURS JEUNES GENS, sortant de table

 

Ils entrent en scène par la porte latérale à gauche de l’acteur.

EDGAR.

Bravo, mon cher Arthur, le déjeuner était excellent.

ARTHUR.

C’est vrai ; et le Porto de ma tante est délicieux... Nous voilà bien lestés pour la chasse... par saint Dunstan ! elle sera bonne, je vous le jure.

EDGAR.

Comme hier, mon pauvre Arthur.

Ils se mettent à rire.

ARTHUR.

Oh ! hier, c’était différent !... je connaissais à peine ce diable de pays... arrivé ces jours-ci chez milady Gérald, une tante qui me tourmentait depuis longtemps pour que je vinsse jouir d’un congé dans les montagnes de l’Écosse, il faut d’abord que j’étudie le terrain ; et c’est ce que j’aurais dû faire avant de vous prier, vous, jeunes et riches habitants de la ville voisine, de venir chasser avec moi... Mais qu’importe ?... je ne regrette pas de vous avoir invités trop tôt... nous avons battu le pays ensemble ; et si nous n’avons rien tué, nous avons eu du moins le temps et le plaisir de nous connaître... car maintenant, entre nous, c’est à la vie et à la mort, n’est-ce pas ?

Il leur tend la main.

EDGAR.

Assurément.

ARTHUR.

Oh ! vous riez ; ma franchise et ma gaieté vous étonnent ! habitués que vous êtes à l’air sombre et réfléchi des officiers anglais... vous ne comprenez pas que moi, lieutenant au service du roi d’Angleterre, je déroge aux habitudes de mes cama rades... c’est que, voyez-vous, je ne suis Anglais que par le grade et l’uniforme.

Air : Amis, voici la riante semaine.

Mon père était un soldat de l’Écosse,
Qui prit pour femme une Française ; et moi
Je vis le jour neuf mois après la noce,
En pleine mer, sur un vaisseau du roi.
Ainsi je vais, joyeux cosmopolite,
Sans trop savoir à quels lieux j’appartiens...
J’ai mes amis où le plaisir m’invite,
Et ma patrie où je me trouve bien.

EDGAR.

Ce sera dans nos montagnes, sir Arthur.

ARTHUR.

Bien volontiers... et d’abord, héritier présomptif de ma tante, qui me fera attendre sa succession et ses titres longtemps encore, si Dieu m’écoute... je suis tout naturellement du pays de mes espérances et de mes propriétés... et vous me verrez souvent. J’aime ce château, ces superbes domaines... depuis que j’y suis arrivé, je n’ai pas eu un moment d’ennui... Si fait, pourtant... ce matin, en me réveillant.

EDGAR.

Pas possible ! vous qui riez toujours.

TOUS.

Qu’est-ce donc ?

ARTHUR.

Ah ! voilà... des réflexions philosophiques sur le personnel du château... La race humaine y est dignement représentée, je ne dis pas... d’un côté... du nôtre... nous sommes fort bien, en général ; mais de l’autre côté...

TOUS, riant.

Ah ! ah ! ah ! ah !

EDGAR.

Voilà les réflexions philosophiques.

ARTHUR.

Que voulez-vous ?... j’aime à voir la nature en beau, moi... ma tante n’est pas mal... pour une tante... certainement, je la respecte trop pour dire le contraire. D’ailleurs, la vieillesse, c’est sacré !...

Avec colère.

Mais toutes ces vieilles figures qui sont autour d’elle... c’est indigne !... c’est affreux !... Cinquante ans au moins !... pas un seul petit minois chiffonné ! Hein ! quelle population ! Mais laissons cela ; que d’autres plaisirs nous consolent... et partons pour la chasse.

TOUS.

Partons pour la chasse.

ARTHUR.

Je regrette de ne pas avoir avec nous notre voisin... le jeune Clactown, le plus intrépide chasseur du pays.

EDGAR.

Qui ?... ce petit fashionable de village que nous avions invité ?... Au fait, il paraît connaître vos propriétés mieux que vous-même.

ARTHUR.

Je crois bien... ma tante lui abandonne ses terres à dépeupler... et, comme vous avez pu en juger, il ne s’en acquitte pas mal... c’est un gai compagnon... du reste, je vais lui faire dire de nous rejoindre au bois de Saint-André.

Voyant Tony qui entre par la porte latérale à droite.

Voici ce qu’il me faut pour ça.

 

 

Scène II

 

TONY, ARTHUR, EDGAR, JEUNES GENS

 

TONY, à la cantonade.

Bien, milady... dans une petite heure !...

Arthur le prend au collet.

Ah ! mon Dieu !

ARTHUR.

Écoute un peu, Tony.

TONY.

Votre seigneurie est d’une gaieté... j’ai cru qu’elle m’étranglait.

ARTHUR.

Tu connais sir Clactown, qui demeure à deux milles d’ici ?

TONY.

Le neveu de l’aveugle ?

ARTHUR.

Bah ! son oncle est aveugle ?

TONY.

Oui, milord... un ancien capitaine de vaisseau qui a perdu la vue après la bataille de Navarin, où il fut laissé pour mort... Il habitait l’Angleterre ; mais il est venu dans ce pays près de son neveu, il y a bientôt un an.

EDGAR.

Ah ! le capitaine Cobridge, qui fait, dit-on, beaucoup de bien dans le canton.

TONY.

Lui-même !... mais un véritable ours... toujours triste, toujours farouche... Il est enfermé chez lui, comme dans un château fort où personne n’est admis... et madame, qui l’a invité plusieurs fois, n’a jamais pu le décider à venir chez elle.

ARTHUR.

Je comprendrais ça s’il voyait clair... mais j’irai lui faire visite, moi... j’aime les vieux marins, les vieux soldats... Il n’a pas une fille... une nièce auprès de lui ?

TONY.

Il n’a que son neveu, qui ne le quitte jamais... le capitaine exige qu’il soit toujours là, pour lui faire la lecture, ou pour écouter le récit de ses voyages sur mer.

ARTHUR.

Eh bien ! il lui donnera congé pour aujourd’hui... Tu vas monter à cheval.

TONY.

Moi, milord ?

ARTHUR.

Tais-toi... Tu vas te rendre à la résidence du capitaine...

TONY.

Mais...

ARTHUR.

Te tairas-tu !... Pour dire à son neveu...

TONY.

Mais c’est impossible.

ARTHUR.

Hein ?

TONY.

Sans doute... puisque madame m’envoie à la ville voisine.

ARTHUR.

Paresseux... ce n’est pas vrai.

TONY, lui montrant deux lettres.

Tenez, voyez plutôt... je vais porter ces deux lettres... l’une à l’homme d’affaires, pour ce grand procès qui va peut-être nous faire partir tous pour Édimbourg ; et l’autre...

ARTHUR, la prenant.

C’est juste...

Lisant l’adresse.

Miss Caroline Volsey... Caroline... à la bonne heure... voilà un joli nom pour une jeune fille...

Regardant Tony et avec anxiété.

car... elle est... jeune... hein ! au dessous de quarante ans ?

TONY.

Dame ! j’ai entendu dire à lady Gérald, votre tante, que c’était une jeune fille bien jolie.

ARTHUR.

Bah !... et elle habite ce pays-ci !... et ma tante la connaît ? et nous ne la voyons pas ?

TONY.

Arrivée de France depuis peu, elle a écrit à milady, et mi lady lui mande de venir.

ARTHUR.

De venir... ici ?... Et vite, mon garçon, pars... crève ton cheval, s’il le faut.

TONY.

Mais, monsieur...

ARTHUR, le poussant dehors.

Va donc, dépêche-toi... Dis-lui qu’on l’attend... ramène-la, ou je te fais chasser par ta maîtresse...

Tony sort par le fond.

Jeune et jolie !... Parbleu, je serai enchanté de la voir... ne fût-ce que pour la rareté du fait.

 

 

Scène III

 

EDGAR, ARTHUR, LES JEUNES GENS

 

EDGAR.

Eh ! mais, sir Arthur, voilà un petit incident qui va égayer vos réflexions philosophiques.

ARTHUR.

Oh ! ce n’est rien... Partons-nous, messieurs ?... nos fusils...

À part.

Caroline !...

EDGAR.

Ce nom-là vous tient au cœur.

ARTHUR.

Oui, c’est vrai, je l’avoue ... Il y a quelques noms comme ça.

Air de Turenne.

Anna, Jenny, Camille, Caroline,
Tous ces noms-là sont pour moi des plaisirs.
C’est singulier...

EDGAR.

Mais non ; car j’imagine,
Ce sont pour vous autant de souvenirs.

ARTHUR.

Eh oui, vraiment, j’aime les souvenirs.
Quand chaque nom qui frappe ma mémoire.
Me rappelle, dans mes amours,
Quelque bataille...

EDGAR.

Et ce n’est pas toujours
Le souvenir d’une victoire.

ARTHUR.

Vous croyez ?... En effet, quelquefois... et tenez... il y a un de ces noms... je ne vous dirai pas lequel... qui m’a rappelé une défaite.

EDGAR.

Une jeune fille...

ARTHUR.

Non, celle-là était mariée... c’était en Angleterre... il y a un an... dans une ville de garnison où je m’ennuyais fort, comme ce matin... lorsque je rencontrai chez un riche négociant une jeune femme dont l’air languissant m’inspira d’abord un intérêt...

Edgar se détourne en souriant.

Non, vrai, un intérêt véritable... de grands yeux bleus... une figure ravissante... J’appris qu’elle avait pour mari l’homme le plus jaloux des Trois-Royaumes... cela ne m’empêcha pas de la revoir... au contraire ; et même plusieurs fois... je lui parlai avec un air de compassion qui parut la toucher... enfin je lui dis que je l’aimais...

EDGAR.

Allons donc... vous êtes bien lent à en venir là... Elle vous répondit...

ARTHUR.

Rien... mais ces grands yeux, pleins de larmes, me donnaient du courage... J’insistai... je demandai un rendez-vous... elle me le refusa, ce qui ne fit qu’irriter mon amour !... D’ailleurs, un refus, ça ne prouve rien... aussi, la veille de notre départ, je me décidai à brusquer les adieux... Son mari était absent...

Lady Gérald entre par la porte latérale à droite, et descend lentement la scène.

Je me glissai lentement dans le jardin de la maison... et à l’aide d’une échelle de jardinier...

 

 

Scène IV

 

EDGAR, ARTHUR, LADY GÉRALD, LES JEUNES GENS

 

LADY GÉRALD, sans être aperçue.

Tu entras par la fenêtre.

ARTHUR.

Ah ! ma tante !

EDGAR.

Madame !

LADY GÉRALD.

N’est-ce pas ainsi que cela commence toujours ?

ARTHUR.

Et que cela finit souvent... mais il faut que la fenêtre s’ouvre d’abord.

LADY GÉRALD.

Elle ne s’ouvrit pas ?

ARTHUR.

Et pourtant je frappai si tendrement !... Ce bruit léger qui veut dire : c’est moi... Vous savez, ma tante ?

LADY GÉRALD.

Mais pas du tout... je ne sais pas.

ARTHUR.

Ah ! pardon... Il faisait petit jour ; l’heure du départ approchait... et je fus obligé de descendre de l’échelle avec une onglée de dix-sept degrés.

EDGAR.

Ah ! ah ! pauvre garçon !

LADY GÉRALD.

Et tu ne craignais pas d’outrager une femme honorable, peut-être !

EDGAR, à Arthur.

Ah ! le sermon.

LADY GÉRALD.

Car vous voilà, messieurs... audacieux, impertinents... vous ne pensez pas seulement qu’à la fin de ces tentatives, il y a trop souvent, pour celles qui en sont l’objet, des larmes, du désespoir !

ARTHUR.

Cela finit plus gaiement, ma tante.

LADY GÉRALD.

Une existence entière compromise.

ARTHUR.

Jamais... par moi, du moins !... je n’ai pas sur la conscience une seule faute... une seule !

LADY GÉRALD.

L’honneur d’une femme...

ARTHUR.

C’est égal... je réponds de moi.

Air du Piège.

Jamais remords n’est entré dans mon cœur ;
Toujours discret, toujours tendre et fidèle,
De la beauté je ferais le malheur !
Moi, qui voudrais donner mes jours pour elle !
Non... bien souvent les femmes m’ont béni,
Et si du moins... ô moments pleins de charmes !
Elles pleuraient... c’est que parfois aussi
Le bonheur fait couler des larmes.

LADY GÉRALD.

Fou que tu es !

ARTHUR.

D’ailleurs, je suis prudent.

LADY GÉRALD.

Tu veux dire : honnête.

ARTHUR.

Parbleu ! et vous auriez ici une belle personne que j’aimerais... que j’adorerais... Eh bien ! vous auriez beau veiller, épier... vous ne vous en douteriez même pas.

LADY GÉRALD.

Comment !... mais il me fait peur.

EDGAR.

Ô ciel des cris...

Il regarde par la fenêtre du fond.

Une voiture qui va verser !...

Il sort ; les jeunes gens sortent avec lui.

ARTHUR.

Ah ! mon Dieu !... c’est peut-être Caroline.

LADY GÉRALD.

Caroline !... comment sais-tu ?

ARTHUR.

Oui, ma tante, oui... une jeune fille que vous attendez...

Mouvement de lady Gérald.

Courons au secours...

Ils vont pour sortir. Clactown paraît et les arrête.

 

 

Scène V

 

ARTHUR, CLACTOWN, LADY GÉRALD

 

CLACTOWN, en habit de chasse.

Ne vous dérangez pas... il n’y a pas de danger.

LADY GÉRALD.

Monsieur Clactown.

ARTHUR.

Notre jeune voisin.

LADY GÉRALD.

Mais cette voiture...

CLACTOWN.

Ce n’est rien, vous dis-je, c’est mon oncle...

LADY GÉRALD.

Monsieur Cobridge !

CLACTOWN.

Un petit accident, dont je suis un peu la cause.

ARTHUR.

Comment cela ?

LADY GÉRALD.

Mais d’abord des secours.

CLACTOWN.

Du tout... il n’y a pas de mal... figurez-vous... c’est une histoire... mon oncle, le capitaine, tient toujours à ce que je sois là... près de lui, pour lui faire la lecture, et pour écouter ses batailles... ce qui m’amuse à me démonter la mâchoire... il me fait lire Shakespeare, et Milton, un autre aveugle comme lui... Hein ! quelle société !... c’est gentil !... pour moi surtout, qui ai des yeux superbes... Et puis il ne veut recevoir personne ; il ne sort jamais, il se fâche toujours... enfin, c’est le vieillard le plus... ce qui ne m’empêche pas d’avoir pour lui les égards qu’on doit à un oncle qu’on aime et dont on hérite.

ARTHUR, partant d’un éclat de rire.

Ah ! ah ! ah ! vous êtes son héritier ?

CLACTOWN.

Seul et unique... c’est une autre histoire, ça... On le croyait marié dans quelque île déserte, et même père d’un nombre prodigieux d’enfants... parce que les marins... Eh bien ! pas du tout... un jour, il tombe chez nous comme une bombe... je ne le connaissais pas, je ne l’avais jamais vu. « Je suis seul au monde, nous dit-il, je viens mourir près de vous... je vous laisserai ma fortune, car je suis riche. » Vous concevez qu’un parent qui vous parle comme ça...

LADY GÉRALD.

Mais enfin, monsieur, ce qui vient de lui arriver...

CLACTOWN.

Ah ! oui, l’autre histoire... m’y voici. Depuis quelque temps, il ne veut plus que je le quitte... et je me résignais, lorsqu’hier M. Arthur m’a invité à une partie de chasse et à un bon dîner... moi, j’adore la chasse, et je ne hais pas les bons dîners... Cependant, le moyen de quitter mon oncle ou de l’amener ici !... Ma foi, tant pis... j’ai une idée... je lui propose une promenade, il accepte nous montons dans le char-à-banc, il ordonne de prendre à droite : bien, je laisse faire... Mais, arrivé au bois de Saint-André, je fais tourner à gauche, sans qu’il s’en aperçoive, et nous filons jusqu’à votre château par la traverse. Par malheur, plus nous approchions, plus les chemins étaient affreux ; si bien, qu’en vue de votre pigeonnier, v’lan ?... notre imbécile de cocher nous verse sur des foins qui embaumaient.

ARTHUR.

Sans vous blesser ?

CLACTOWN.

Ah ! c’est une autre histoire : j’ai une bosse au front.

LADY GÉRALD.

Mais votre oncle ?

CLACTOWN.

Rien, il est tombé sur moi.

Air De sommeiller encor, ma chère.

Moi, je m’étalais sans colère,
Les pieds en l’air, la tête en bas ;
Mais sans penser que Bélisaire
Allait me tomber sur les bras.
Oh ! la bagarre était complète,
Et ce qui le plus m’amusait...
C’est moi qui me cassais la tête,
Et c’est mon oncle qui criait.

Et il crie encore après les ouvriers... il jure, il s’emporte, parce qu’ils ne peuvent pas raccommoder la voiture à l’instant même j’y ai mis bon ordre.

LADY GÉRALD.

Et il reste ainsi dehors ?

CLACTOWN.

Impossible de le faire entrer avec moi... aussi, je voulais vous prier de le faire inviter.

ARTHUR.

Mais tout de suite... Venez-vous ?

LADY GÉRALD.

Sans doute. Allez ; dites-lui que je l’attends... et, s’il le faut, moi-même...

CLACTOWN.

Certainement, il restera.

Arthur et Clactown sortent par le fond. Au moment où lady Gérald va les suivre, Tony entre par la porte latérale à gauche.

 

 

Scène VI

 

LADY GÉRALD, TONY, ensuite CAROLINE

 

TONY.

Milady...

LADY GÉRALD.

Ah ! c’est toi ?

TONY.

J’ai remis vos lettres ; votre homme d’affaires doit venir ce soir il faut que vous partiez cette nuit pour Édimbourg, où votre grand procès doit se juger après-demain jeudi.

LADY GÉRALD.

Ah ! mon Dieu !... si tôt !

TONY.

Quant à la jeune personne...

LADY GÉRALD.

Eh bien !

TONY.

Elle a voulu partir sur-le-champ... elle est ici.

LADY GÉRALD.

Ici ! dis-tu ?... Ah ! j’en suis presque fâchée... à présent que mon neveu...

TONY.

La voilà.

Caroline entre par la porte latérale à gauche. Tony sort par la droite.

LADY GÉRALD.

Ah ! miss, je ne vous attendais pas si tôt, je l’avoue... mais je vous remercie d’un empressement...

CAROLINE.

Dont tout me faisait un devoir, milady. Ce billet obligeant que vous m’avez écrit... vous avez daigné vous souvenir de moi.

LADY GÉRALD.

Et comment vous aurais-je oubliée ?... vous qui avez eu pour moi, en France, des soins si touchants... et pourtant vous paraissiez alors bien malheureuse !... et je vous plaignais sur tout d’être entrée au service de lady Brown, ma cousine, la femme la plus acariâtre !...

CAROLINE.

Je ne lui dois que de la reconnaissance, milady, pour m’avoir recueillie chez elle, quand je ne savais plus où reposer ma tête.

LADY GÉRALD.

C’est singulier ! À vous entendre, à peine si je vous reconnais... vous avez perdu cet accent irlandais, pour lequel on vous faisait toujours la guerre : mais vous teniez tant...

CAROLINE.

Lady Brown ne pouvait s’y accoutumer.

LADY GÉRALD.

Et vous vous en êtes corrigée ?

CAROLINE.

Elle m’avait prise pour lectrice : il fallait bien qu’elle pût m’entendre.

LADY GÉRALD.

Toujours bonne.

Air : Un page aimait la jeune Adèle.

De vos vertus, de votre caractère,
On me faisait l’éloge avec plaisir ;
Et de la France où vous étiez naguère,
Avec regret on dut vous voir partir.
Nous vous retiendrons sur la route...
Cet intérêt qui s’attache à vos pas,
Fait que chacun vous aime...

À part.

Et que, sans doute,
Mon neveu n’y manquerait pas.

CAROLINE.

Milady !

LADY GÉRALD.

Mais parlez, mon enfant... vous avez désiré causer avec moi.

CAROLINE.

Oui, milady... Après la mort de votre cousine, lady Brown, que j’avais accompagnée en Écosse, je me suis trouvée seule, sans refuge...

LADY GÉRALD.

Et vous n’avez pas pensé à retourner en Angleterre... dans votre famille...

CAROLINE.

Ma famille !... je n’en ai pas, milady... mais, quand j’ai entendu prononcer votre nom, je me suis rappelé la bienveillance dont vous m’aviez honorée... et j’ai cru pouvoir m’adresser à vous.

LADY GÉRALD.

Et vous avez bien fait... Il s’agira de vous placer quelque part, comme demoiselle de compagnie... lectrice... je chercherai... je verrai parmi les dames que je connais... par malheur, j’en vois fort peu...

CAROLINE.

Mais on m’avait dit que vous-même, milady...

LADY GÉRALD, avec embarras.

Moi !... sans doute... je serais heureuse... mais plus tard... en ce moment, je m’éloigne pour un voyage... et puis d’autres raisons encore...

À part.

Si jolie !...

Caroline paraît essuyer quelques larmes.

Eh bien !... qu’est-ce donc ?... Je promets de m’occuper de vous... à mon retour... vous m’attendrez...

CAROLINE.

Milady, je n’ai plus d’asile... je suis seule au monde...

LADY GÉRALD.

Grand Dieu ! oh ! je ne vous abandonnerai pas... j’entends du bruit... ils reviennent...

CAROLINE.

Vous avez du monde... ma présence est importune.

LADY GÉRALD.

Que dites-vous ? enfant que vous êtes ! vous resterez ici, jusqu’à ce soir, du moins...

Elle sonne.

Je veux absolument trouver ce qu’il vous faut...

Tony paraît.

Conduisez mademoiselle à mon appartement... Allez, miss, allez... je vous rejoins dans un instant.

CAROLINE.

Oui, milady...

À part.

Ah ! ce n’est pas là ce que j’avais espéré.

Elle sort.

LADY GÉRALD, seule.

À qui puis-je parler pour elle ?... Chez moi, c’est impossible.

 

 

Scène VII

 

LADY GÉRALD, ARTHUR, SIR COBRIDGE, CLACTOWN, EDGAR, JEUNES GENS, ensuite TONY

 

CLACTOWN, entrant le premier.

Milady, voici mon oncle.

ARTHUR, conduisant sir Cobridge.

Allons, capitaine, il faut vous rendre... Laissez-vous conduire.

CLACTOWN.

Oui, laissez-vous faire... le gîte est bon... nous ne pouvions pas mieux tomber.

SIR COBRIDGE, avec colère.

Malheureux !

ARTHUR.

Capitaine, voici lady Gérald, ma tante, qui est heureuse de vous recevoir.

SIR COBRIDGE, ôtant son chapeau.

Lady Gérald !

LADY GÉRALD.

Point de rancune, sir Cobridge, car je pourrais bien vous en vouloir un peu... ce refus obstiné de venir chez moi.

SIR COBRIDGE.

Mais, milady... il me semble que m’y voilà.

ARTHUR, regardant Clactown.

Ah ! ce n’est pas tout à fait votre faute...

Clactown lui fait des signes.

Et sans l’idée de votre neveu...

CLACTOWN, vivement.

Asseyez-vous donc, mon oncle.

Il le fait asseoir.

SIR COBRIDGE.

Allons... tu vas encore me faire verser... sors, presse un peu les ouvriers.

CLACTOWN.

Oui, mon oncle...

À Arthur, bas.

Soyez donc tranquille.

LADY GÉRALD.

Oh ! ne croyez pas que nous vous laissions partir ainsi, capitaine... vous êtes à moi aujourd’hui... je ne vous quitte pas... c’est moi qui me charge de vous tenir compagnie.

ARTHUR.

Et votre neveu va venir chasser avec nous.

SIR COBRIDGE.

Mon neveu !... mais cela ne se peut... il n’est pas préparé.

CLACTOWN.

Si fait, mon oncle... mon fusil est là, dans la voiture... et j’ai le costume.

ARTHUR.

Rien n’y manque.

SIR COBRIDGE.

Bah ! c’était donc convenu ?

CLACTOWN.

C’était convenu.

SIR COBRIDGE, avec colère.

Comment, drôle ! et ce voyage à travers champs ?... cette voiture renversée...

CLACTOWN, bas à Edgar.

Il y voit clair... il y voit clair...

Ils se mettent à rire.

SIR COBRIDGE.

Misérable !... il rit encore, je crois...

LADY GÉRALD.

Allons, calmez-vous... je lui rends grâce, moi, d’une idée qui vous arrache enfin de votre retraite pour vous jeter parmi nous.

SIR COBRIDGE.

Jeter !... c’est le mot... mais, milady, vous ne savez pas à quoi vous vous exposez... c’est une triste chose que la compagnie d’un vieillard aveugle, qui gronde souvent, qui ne sourit jamais, et dont le cœur toujours gonflé par les souvenirs qui l’oppressent...

LADY GÉRALD.

Que dites-vous ?

SIR COBRIDGE.

Vous voyez bien... cela commence déjà... mes paroles ont glacé la gaieté de cette folle jeunesse.

ARTHUR.

Nous vous rendrons la vôtre... et ce soir, le verre en main, vous nous conterez quelque chapitre de vos campagnes... ce serait du plaisir pour tout le monde, et de l’instruction pour moi, qui suis lieutenant au service du roi d’Angleterre.

SIR COBRIDGE.

Vous, jeune homme !... vous, soldat, lieutenant... un camarade... ah ! donnez-moi donc votre main.

Il tend sa main à Arthur qui la saisit.

ARTHUR, qui est passé auprès de lui.

Avec plaisir, mon capitaine.

SIR COBRIDGE.

Votre âge ?

ARTHUR.

Vingt-quatre ans.

SIR COBRIDGE.

Vingt-quatre ans et une épée ! que d’avenir ! que d’espérances !

Air d’Aristippe.

Lorsque parfois un jeune camarade
Vient, comme vous, pour me serrer la main,
En souvenir, je descends à son grade,
Je rajeunis... pour moi plus de chagrin...
Mon sang bouillonne et mon cœur bat soudain.
Mes yeux éteints mouillés de douces larmes
Sont rallumés par un plaisir nouveau ;
Car il me semble encore, au bruit des armes,
Que je revois passer mon vieux drapeau.

Oh ! alors, j’ai bien des malheurs de moins.

CLACTOWN.

Des malheurs !... mais je vous demande un peu ce qui vous manque ?... Vous êtes tranquille... vous êtes riche... vous avez un neveu qui ne vous donne que de la satisfaction... c’est votre enfant.

SIR COBRIDGE.

Tais-toi.

CLACTOWN.

Votre famille.

SIR COBRIDGE.

Tais-toi.

LADY GÉRALD, s’approchant de Sir Cobridge.

Allons, capitaine, je suis bien aise qu’Arthur vous convienne... vous resterez au moins pour lui.

SIR COBRIDGE.

Certainement, milady... Il est en congé ?...

ARTHUR.

Pour un mois encore... après cela, il faudra rejoindre mon régiment.

SIR COBRIDGE.

Votre régiment... lequel ?

ARTHUR.

Troisième dragons.

SIR COBRIDGE, se levant vivement.

Troisième dragons !

ARTHUR.

Le plus beau et le plus brave de l’armée !

SIR COBRIDGE.

Un régiment de lâches et de misérables !

ARTHUR.

Qu’entends-je !

TOUS.

Ciel !

CLACTOWN.

Mon oncle !

SIR COBRIDGE, hors de lui.

Oui, de lâches et de misérables !... je l’ai dit, je le répète.

ARTHUR.

Capitaine, capitaine !... vous oubliez que ce régiment est le mien.

SIR COBRIDGE.

Tant pis pour vous... je ne vous connais pas... et si vous êtes un de ces infâmes qui se font un jeu de l’honneur...

ARTHUR, l’arrêtant.

Jamais... et si tout autre que vous me tenait un pareil langage, je sais quel serait mon devoir... et il n’y a pas un de mes camarades...

SIR COBRIDGE.

Ah ! puissent-ils m’entendre tous... et venir, jusqu’au dernier, affronter la colère d’un vieillard qui les méprise, qui les défie !

ARTHUR.

Monsieur ! apprenez que tous les officiers de mon régiment ont droit au respect de leur pays... ils se sont montrés braves à l’étranger et bons citoyens en Angleterre.

SIR COBRIDGE.

Tous !

ARTHUR.

Demandez à toutes les villes qu’ils ont occupées... à Derby ; à Worcester, à Lincoln, à Warwick.

SIR COBRIDGE, d’une voix tonnante.

Lincoln !

Mouvement d’effroi.

CLACTOWN.

Mon oncle !

TOUS.

Capitaine !

SIR COBRIDGE, d’une voix étouffée et se laissant tomber dans son fauteuil.

Lincoln !

Il se cache la tête dans ses mains.

CLACTOWN, à Edgar.

C’est qu’il n’est pas commode, le vieux.

Moment de silence, pendant lequel les jeunes gens qui entourent Arthur cherchent à le calmer.

LADY GÉRALD.

Eh bien ! messieurs, il est tard... vous oubliez votre partie de chasse.

CLACTOWN.

Milady a raison... Allons courre le daim, cela vaudra mieux que de se fâcher ainsi...

ARTHUR.

Sans doute ; car, en vérité, c’est d’une folie !...

S’approchant du capitaine et lui prenant la main.

N’est-il pas vrai, capitaine, que vous ne pensiez pas ce que vous me disiez là, tout à l’heure ? Vous ne vouliez pas m’offenser... moi, cœur franc et pur qui n’ai rien à me reprocher.

SIR COBRIDGE, revenu à lui, et avec calme.

Non, jeune homme, ni vous, ni aucun de vos amis, sans doute... mais il y a des lieux, des noms qui vont au fond du cœur remuer tant de haine !... adieu... adieu...

ARTHUR.

À ce soir, capitaine...

À part.

Quelle folie ! un vieillard !

SIR COBRIDGE.

Clactown... Clactown !

CLACTOWN.

Mon oncle !

SIR COBRIDGE.

Vois si notre voiture est prête... partons.

CLACTOWN.

Comment ! partir ?... Ah ! çà, et la chasse avec ces messieurs ? j’y vais... vous me l’avez permis.

SIR COBRIDGE.

Clactown !

CLACTOWN.

Si fait... Que diable ! me couper mes plaisirs comme ça... c’est de l’esclavage, c’est de la servitude !

LADY GÉRALD, à sir Cobridge.

Calmez-vous ; je reste ici, près de vous, jusqu’au retour de nos chasseurs.

ARTHUR.

Et nous ne nous ferons pas attendre longtemps...

Seul et à part sur le devant de la scène.

Je ne sais... je n’ai plus envie de courir la campagne... Ah ! voyons un peu...

Haut.

Retrouvons notre gaieté, en attendant que notre hôte nous fasse raison... à table.

TONY, entrant.

Tout est prêt, milord.

ARTHUR.

Bien...

Prenant Tony à part.

Et dis-moi, cette jeune fille aux yeux bleus... tu l’as vue... tu lui as remis la lettre !... Où est-elle, arrive-t-elle bientôt ?

LADY GÉRALD, qui a écouté Arthur.

Cela ne te regarde pas.

Embarras d’Arthur.

D’ailleurs, je t’an nonce que cette nuit nous partons pour Édimbourg.

ARTHUR.

Comment ?

LADY GÉRALD.

Mais je te ramène bientôt à ces messieurs.

CLACTOWN, ARTHUR, EDGAR, LES JEUNES GENS.

Air du Diplomate. (Chœur des chasseurs.)

Oui, partons pour la chasse,
Cherchons dans les bois
De nouveaux exploits...
Chaque moment qui passe
Échappe au plaisir,
Il faut le saisir.

Ils sortent tous.

 

 

Scène VIII

 

SIR COBRIDGE, LADY GÉRALD

 

SIR COBRIDGE, assis.

Ils ne me retrouveront pas ici... mais Clactown qui s’en va, qui me laisse.

LADY GÉRALD.

Non pas seul du moins.

SIR COBRIDGE, se levant.

Ah ! milady, pardon mille fois d’une scène fâcheuse.

LADY GÉRALD.

Que nous avons tous oubliée, sir Cobridge... Il y a là, sans doute, un secret qu’il faut respecter... et dont je ne vous demanderai pas compte.

SIR COBRIDGE, lui serrant la main.

Merci, madame.

LADY GÉRALD.

Mais je vous demande grâce pour votre neveu, qui trouve si rarement un moment de plaisir.

SIR COBRIDGE.

Oui... encore un à qui je suis à charge... qui se plaint de moi, qui me maudit tout bas.

LADY GÉRALD.

Ah ! quelle pensée !

SIR COBRIDGE.

 Eh ! milady, quel sentiment peut l’attacher à moi, toujours sombre, toujours grondeur ? parce que je porte là un poids qui m’étouffe, qui me tuera bientôt, je l’espère !... alors, il sera libre, et ma fortune que je lui laisserai à lui... à lui... paiera quelques mois d’une complaisance forcée... Voilà mon sort... je n’ai fait que des ingrats... C’en est un de plus.

LADY GÉRALD.

Je conçois... jeune, léger, ami du plaisir, il doit s’ennuyer d’une retraite, d’une solitude, qui vous plaît à vous, mais qu’il ne peut comprendre.

SIR COBRIDGE.

Eh ! que lui demandé-je ? de guider mes pas... de me lire mes auteurs chéris... mon vieux Shakespeare, le seul ami qui me soit resté... de me parler quand je l’interroge... de se taire quand je souffre.

LADY GÉRALD.

Enfin d’avoir pour vous ces soins, cette amitié, qu’on ne peut attendre que d’une femme peut-être.

SIR COBRIDGE.

Oui, c’est vrai... aussi, ce n’est pas sur lui que j’avais compté pour soutenir ma vieillesse, pour égayer un peu mes mauvais jours... Mais maintenant qui voudrait venir partager ma retraite ?

LADY GÉRALD.

Eh !... une personne qui aiderait, qui remplacerait votre neveu.

SIR COBRIDGE.

Mon neveu... qu’à cela ne tienne... je voudrais pouvoir l’en voyer en Angleterre... à Lincoln, pour un mois peut-être... Mais où trouverai-je une personne ?

LADY GÉRALD.

J’ai quelqu’un à vous recommander... quelqu’un qui ne peut manquer de vous convenir... ici, ici même...

Elle sonne.

Ah ! que je suis contente !

SIR COBRIDGE.

Que dites-vous ?

LADY GÉRALD.

Acceptez... C’est un service que je vous demande... C’en est un que vous me devrez.

TONY, entrant.

Milady...

LADY GÉRALD.

Cette jeune fille qui vient d’arriver, faites-la venir, je l’attends.

TONY.

Tout de suite.

SIR COBRIDGE.

Une jeune fille.

TONY, revenant.

Mais, milady, pour avoir des chevaux, ce soir à l’heure de votre départ, il faudrait un mot de vous.

LADY GÉRALD, allant à la table à gauche.

C’est bien... je vais écrire.

Tony sort.

SIR COBRIDGE.

Une jeune fille... ça ne se peut pas.

Il s’assied.

LADY GÉRALD.

Je vous réponds d’elle... c’est la sagesse, la vertu même... entourée d’estime et de respect.

SIR COBRIDGE.

Je ne veux pas.

LADY GÉRALD.

Bien... mon Dieu ! n’en parlons plus.

 

 

Scène IX

 

SIR COBRIDGE, LADY GÉRALD, CAROLINE

 

CAROLINE, entrant par la porte latérale à  droite.

Milady.

LADY GÉRALD.

Ah ! miss, pardon de vous avoir dérangée... j’espérais vous donner un asile, un ami... Mais cela dépendait de sir Cobridge.

Elle écrit.

CAROLINE, s’élançant pâle et tremblante.

Sir !...

Elle s’arrête, regarde Sir Cobridge, et fuyant vers la porte à gauche.

Oh ! non, jamais...

SIR COBRIDGE.

C’est impossible.

LADY GÉRALD, allant à Caroline.

Eh bien !... où allez-vous ?... ce trouble...

CAROLINE, s’arrêtant dans le fond et à demi-voix.

Moi ! non... mais un étranger... Quand c’était vous qui deviez...

À part.

Oh ! je ne me soutiens plus...

Elle s’appuie sur un fauteuil.

LADY GÉRALD.

Rassurez-vous... je le voulais... pour un mois seulement... mais cela ne se peut pas... sir Cobridge refuse.

SIR COBRIDGE.

Certainement, une jeune fille !... des souvenirs qui me briseraient le cœur... et puis, condamnée à endurer mes caprices, mes brusqueries.

CAROLINE, vivement.

Moi ! n’importe... jamais.

Se contenant et changeant de ton.

J’aurais du courage, et si cela convenait à milady.

SIR COBRIDGE, l’écoutant.

Oh ! oh !

LADY GÉRALD.

Vous dites...

SIR COBRIDGE, à lady Gérald.

Pardon, milady...

À Caroline.

Parlez... vous, mon enfant, parlez...j’écoute.

CAROLINE.

Soumise à vos lois, j’aurais pour vous, milord, les soins que réclament votre âge et votre état.

Lady Gérald passe à la droite de Sir Cobridge.

SIR COBRIDGE, à lady Gérald.

C’est une jeune fille ?

LADY GÉRALD.

Protégée par miss Brown.

SIR COBRIDGE.

Et son nom ?

CAROLINE, vivement au moment où lady Gérald va parler.

Miss Volsey.

SIR COBRIDGE.

C’est singulier... cette voix... par moments... Votre main, miss Volsey.

Caroline lui donne la main.

CAROLINE, à part.

Je me meurs.

Air (Musique de M. Hormille.)

Ensemble.

CAROLINE.

Contrainte cruelle !
Hélas ! à mon cœur
Tout ici rappelle
Des jours de bonheur.

SIR COBRIDGE.

Quels pensers près d’elle
Font battre mon cœur !
Sa voix me rappelle
Des jours de bonheur.

LADY GÉRALD.

Il semble près d’elle
Calmer sa douleur ;
Sa voix lui rappelle
Des jours de bonheur.

CAROLINE.

Je respire à peine !

SIR COBRIDGE.

Ah ! ce souvenir
Vient doubler la haine
Qui me fait mourir.

Reprise de l’ensemble.

CAROLINE.

Contrainte cruelle, etc.

SIR COBRIDGE.

Quels pensers près d’elle, etc.

LADY GÉRALD.

Il semble près d’elle, etc.

LADY GÉRALD, à sir Cobridge.

Allons, voilà le guide et la lectrice qu’il vous faut.

SIR COBRIDGE.

Vous croyez ?... c’est possible... en effet, jeune fille, votre voix m’a touché... j’aimerais à l’entendre souvent... mais vous feriez vous à ma tristesse... à la solitude qui me plaît ?

CAROLINE.

Je tâcherais...

SIR COBRIDGE.

Et vous me suivriez aujourd’hui même !

CAROLINE.

Aujourd’hui.

SIR COBRIDGE, à lady Gérald.

Elle est libre ?

LADY GÉRALD.

Je vous l’ai dit.

SIR COBRIDGE.

Vous verrez souvent lady Gérald, à son retour.

LADY GÉRALD, à sir Cobridge.

Ainsi vous acceptez ?

SIR COBRIDGE.

Oui...

À Caroline.

Mais vous ne dites rien. Parlez-moi donc toujours... votre famille... votre pays ?

CAROLINE.

Je suis née dans le comté de Stafford, de parents pauvres, qui m’ont laissée orpheline, sans fortune... et que je pleure encore.

SIR COBRIDGE.

Vous aimiez bien votre père, n’est-ce pas ? il vous avait élevée avec amour... et si vous étiez sa consolation, son espérance, vous n’avez pas démenti tout cela ?... il n’est pas mort de chagrin.

CAROLINE.

Oh ! non... je l’aime...

Se reprenant.

je l’aimais tant !

 

 

Scène X 

 

SIR COBRIDGE, LADY GÉRALD, CAROLINE, TONY

 

TONY, entrant par le fond.

Milady, encore un malheur ! ces messieurs reviennent... il y en a un qui est tombé de cheval.

SIR COBRIDGE, sortant de sa rêverie.

C’est mon neveu.

LADY GÉRALD.

Il n’est pas blessé ?

TONY.

Non ; mais il boite un peu... votre homme d’affaires vient aussi d’arriver.

LADY GÉRALD.

Bien... je vais le voir, et m’assurer en même temps... Soyez sans inquiétude, je vous ramène sir Clactown.

Elle sort ; Tony la suit.

CAROLINE, tombant à genoux.

Ô mon Dieu ! je te rends grâces.

SIR COBRIDGE.

Miss Volsey, je veux partir... je veux quitter cette maison... ces jeunes gens, cette société, tout cela m’est insupportable...

On entend rire aux éclats en dehors.

CAROLINE, se levant vivement.

Ah ! quelqu’un.

 

 

Scène XI

 

SIR COBRIDGE, CAROLINE, ARTHUR

 

ARTHUR, entrant en riant aux éclats.

Ah ! ah ! ah ! le pauvre garçon !

Il voit Caroline.

Ah ! la jeune personne !

Caroline se retourne, il la reconnaît.)

Ciel ! milady !

Il ôte son chapeau avec respect.

CAROLINE.

Ah !

Elle lui impose silence. Arthur reste stupéfait.

SIR COBRIDGE.

Qu’est-ce donc ?

CAROLINE.

Lady Gérald et toute sa société.

 

 

Scène XII

 

SIR COBRIDGE, CAROLINE, LADY GÉRALD, CLACTOWN, ARTHUR, EDGAR, JEUNES GENS

 

Ils entrent tous en riant.

CLACTOWN.

Oh ! quand vous vous moquerez tous de moi... si vous croyez que c’est aimable ?

EDGAR.

C’est que vous êtes tombé avec tant de grâce.

LADY GÉRALD.

Rassurez-vous, capitaine... il n’y a pas de danger... votre neveu en a été quitte pour la peur.

CLACTOWN.

Du tout ; je n’ai pas eu peur... c’est le cheval... c’est mon ombre qui se dessinait devant lui, qui l’a effrayé... j’ai crié... ça l’a mis en fureur... alors il s’est dressé sur ses pieds de derrière, et moi, je suis tombé sur les miens... ou à peu près.

On rit plus fort, Clactown passe à la droite de sir Cobridge.

EDGAR, à Arthur.

Demandez à sir Arthur qui vous a relevé... Ah ! mon Dieu... qu’avez-vous donc ?

Apercevant Caroline. Bas à Arthur.

Ah ! charmante !

Finale.

Musique de M. Hormille.

EDGAR et LES JEUNES GENS, bas à Arthur.

C’est la jeune fille, je pense,
Caroline...

ARTHUR, bas.

Messieurs, silence !

CLACTOWN, à sir Cobridge.

Rassurez-vous, je suis très bien.

SIR COBRIDGE.

Ainsi donc, tu ne sens plus rien ?

CLACTOWN.

Non, plus rien...

SIR COBRIDGE.

Tant mieux ; j’ai trop longtemps prolongé ma visite ;
Je vais partir, tu vas m’accompagner.

CLACTOWN.

Partir ! y pensez-vous, mon oncle, avant dîner ?
Non, non, je ne pars pas si vite,
Je veux me reposer après un pareil saut.

LADY GÉRALD.

Pour vous remettre en route,
Vous l’attendez, sans doute ?

SIR COBRIDGE.

Je pars, il le faut ;
Mais je ne suis plus seul... voici mon Antigone.

CLACTOWN.

Hem ! encore une idée !... et celle-là, parbleu !
Elle est gentille et bonne.

LADY GÉRALD, à Arthur.

Toi, mon neveu, reconduis...

CAROLINE, à part.

Son neveu !

Ensemble.

ARTHUR, à part.

Quel est ce mystère ?
Que faut-il que j’espère ?
Hélas ! j’ai beau faire,
Je tremble malgré moi.

CAROLINE, à part.

Il saura se taire,
Ah ! du moins je l’espère.
Hélas ! j’ai beau faire,
Moi, je tremble d’effroi.

CLACTOWN, à part.

Bientôt, je l’espère,
Assuré de te plaire,
Fraîche ménagère,
Je serai près de toi.

SIR COBRIDGE.

À bientôt, j’espère...
Allons, partons, ma chère,
Pour me satisfaire,
Venez et guidez-moi.

LADY GÉRALD, à sir Cobridge.

Oui, moins solitaire,
Ici l’on peut vous plaire ;
Bientôt, je l’espère,
Vous reviendrez chez moi.

EDGAR et LES JEUNES GENS.

Quel air de mystère !
Qui donc peut lui déplaire ?
Mais il a beau faire,
On devine pourquoi.

CAROLINE, seule.

Grand Dieu ! protège-moi.

Reprise de l’ensemble.

Sir Cobridge, conduit par Clactown et Caroline, sort par le fond ; lady Gérald l’accompagne ; Arthur, Edgar et les jeunes gens le saluent.

 

 

ACTE II

 

La chambre à coucher de sir Cobridge. Porte à droite et à gauche. Au fond une alcôve, où se trouve le lit du capitaine.

 

 

Scène première

 

CAROLINE, SIR COBRIDGE, CLACTOWN

 

Au lever du rideau, le capitaine est assis dans un grand fauteuil, à côté d’une table. Clactown est assis de l’autre côté de la table, à la gauche du capitaine. Caroline, assise à sa droite, auprès d’un petit guéridon qui est entre eux deux, fait la lecture.

CAROLINE, lisant

LE ROI LÉAR, à sa fille.

Par les rayons sacrés du soleil qui m’éclaire,
J’abjure ici les droits et le titre de père ;
Nos liens sont rompus, tu n’es plus rien pour moi...
Hélas ! et je t’aimais, et j’espérais en toi,
Pour livrer à tes soins ma paisible vieillesse.

CLACTOWN.

Ah ! mon oncle dort !

SIR COBRIDGE.

Tais-toi, ou va-t’en.

CLACTOWN.

Merci.

CAROLINE, lisant.

CORDÉLIA.

Mon père !...

LE ROI LÉAR.

Laisse-moi... renonce à ma tendresse.
Puissé-je, de mes jours déposant le fardeau,
M’endormir doucement dans la paix du tombeau !
Comme il est vrai, mon Dieu, que, prêt à la maudire,
Mon cœur qu’elle a brisé loin d’elle se retire !

CLACTOWN.

Oh ! comme sa voix tremble !

SIR COBRIDGE.

Te tairas-tu !... on ne peut pas lire deux vers sans qu’il interrompe !... Depuis que cette scène est commencée, c’est la septième fois.

CLACTOWN.

Mon Dieu ! mon oncle, s’il ne m’est pas permis de faire la moindre observation... que diable ! je ne suis pas un quaker ! c’est déjà si agréable d’être enfermé dans cette maison, qui est un véritable château fort, d’où vous n’êtes pas sorti depuis huit jours, et où personne n’est admis que votre Shakespeare !...

SIR COBRIDGE.

Oui, certes... et je ne veux pas d’autre compagnie que la sienne.

Air : T’en souviens-tu ?

Mon vieux Shakespeare est un ami fidèle
Que je retrouve à chaque instant du jour :
Il a sans cesse une verdeur nouvelle :
C’est mon premier, c’est mon dernier amour !
Quand j’étais jeune, à la ville, à la guerre,
Dans mes plaisirs il venait se mêler...
J’ai tout perdu... tout, jusqu’à la lumière,
Il est encor là... pour me consoler !

CLACTOWN.

C’est amusant !... ce diable d’auteur, avec ses batailles, ses coups de poignard et ses tirades... il me donne toujours la chair de poule... tenez, tout à l’heure encore, la voix de miss Volsey m’a touché !... elle dit cette malédiction du roi Lear, avec une émotion !...

CAROLINE.

C’est qu’en effet un père qui maudit sa fille !... cela serre le cœur !

SIR COBRIDGE.

Il a raison.

CLACTOWN.

On voit bien que vous n’avez jamais eu d’enfant.

SIR COBRIDGE, avec humeur.

Clactown, laissez-nous !... vous ne pouviez pas rester un instant près de moi... et depuis une semaine que miss Volsey est ici, et que, grâce à son zèle et à sa bonté, je n’ai plus besoin de vous, vous êtes toujours là.

CLACTOWN.

C’est que je ne puis pas vous quitter, mon cher oncle... je tiens à vous entendre, et...

Regardant Caroline.

à vous regarder !... avec ça que lady Gérald n’est pas encore revenue d’Édimbourg, et que j’ai promis d’attendre sir Arthur et ses amis pour chasser avec eux... ce qui ne m’a pas empêché de chasser hier sans eux... En les attendant, j’ai fait un carnage... comme votre Shakespeare.

SIR COBRIDGE.

Veux-tu lasser ma patience !

CLACTOWN.

Au contraire... on doit vous servir mon gibier ce matin...

Il se lève.

Il faut que je donne un coup d’œil au déjeuner.

Il passe à la droite de Caroline.

Air du Pot de fleurs.

Un chasseur sans peur, sans reproche,
Frappe tout ce qui s’offre à lui ;
Il met son butin à la broche,
Et ne le quitte que rôti.
Voilà quels plaisirs sont les nôtres :
Il est à table le premier,
Tout fier...

CAROLINE.

De manger son gibier...

CLACTOWN.

Non... de le voir manger aux autres.
Non pas de manger son gibier,
Mais de le voir manger aux autres.

Il va pour sortir.

SIR COBRIDGE.

C’est bien... va-t’en.

CLACTOWN, revenant jusqu’au fauteuil de sir Cobridge.

C’est égal... je suis de l’avis de miss Volsey... un père qui maudit sa fille...

SIR COBRIDGE.

Encore !

CLACTOWN.

Oh ! ne vous fâchez pas... je m’en vais.

Il sort.

 

 

Scène II

 

CAROLINE, SIR COBRIDGE

 

Ils sont toujours assis.

SIR COBRIDGE.

Il a raison de la maudire, s’il la croit coupable.

CAROLINE.

Ah ! il me semble à moi, monsieur le capitaine, qu’un père pardonne toujours.

SIR COBRIDGE.

Toujours !... et si sa fille avait déshonoré le nom qu’il porte... si elle le forçait à rougir, lorsque peut-être il avait tout sacrifié pour elle, lorsqu’il avait mis en elle toute sa gloire, toutes ses espérances.

CAROLINE.

Si c’est le monde qui l’accuse... le monde est souvent injuste.

SIR COBRIDGE.

Injuste... injuste... voilà ce qu’il faut prouver.

CAROLINE.

Et c’est pour cela qu’il condamne sa fille au désespoir, à la misère.

SIR COBRIDGE, devenant rêveur.

À la misère !... Oh ! non... à la misère !... cela ne se peut pas... Clactown partira demain... ce soir.

CAROLINE, vivement.

Sir Clactown !... il partira !... et pourquoi ?

SIR COBRIDGE, revenant à lui.

Oh ! rien, rien... un voyage... je veux l’éloigner... il me fatigue... il m’ennuie.

CAROLINE.

Votre neveu ? il vous aime pourtant.

SIR COBRIDGE.

Il aime ma succession.

CAROLINE.

Vous n’avez que lui de parent ?

SIR COBRIDGE.

Que lui.

CAROLINE.

Ah ! que lui... un autre aurait eu peut-être pour vous des soins encore plus désintéressés, plus tendres !... par exemple une...

Mouvement de sir Cobridge ; Caroline se reprenant.

une nièce.

SIR COBRIDGE, s’attendrissant.

Je suis seul... seul au monde... je le veux du moins... je mourrai seul, oublié... je n’ai de parents, d’amis, que ceux qui ont pitié du vieux Cobridge... comme vous...

Après un moment de silence.

Eh bien ! vous ne lisez donc plus ?

CAROLINE.

Si fait.

SIR COBRIDGE, lui tendant la main.

Miss Volsey, je suis bien malheureux.

Caroline lui saisit la main.

Allons, allons, lisez... j’écoute.

CAROLINE, lisant.

CORDÉLIA.

Monseigneur, c’est de vous que je reçus le jour :
J’eus vos soins les plus doux, votre plus tendre amour,
Pour prix de vos bontés, votre fille, ô mon père,
Du cœur le plus soumis vous aime et vous révère...
Je refuse aujourd’hui d’accepter...

Sir Cobridge laisse retomber sa tête, et paraît s’endormir. Caroline s’arrête et le regarde.

SIR COBRIDGE, à moitié endormi.

À la misère !

CAROLINE, reprenant vivement sa lecture.

D’accepter un époux,
Pour vous garder ce cœur et pour n’aimer que vous.

LE ROI LEAR.

Tu refuses...

Caroline s’arrête et se penche vers sir Cobridge.

Il dort !... ah ! si j’osais...

Caroline se lève, regarde autour d’elle et s’approche.

si j’osais l’embrasser... il y a si longtemps...

Elle va pour embrasser sir Cobridge, et au moment où elle se penche sur lui, Clactown entre en parlant. Elle s’éloigne vivement.

Ah !...

 

 

Scène III

 

CAROLINE, CLACTOWN, SIR COBRIDGE, endormi

 

CLACTOWN.

Me voilà... c’est prêt... je...

CAROLINE, lui faisant signe.

Chut !

Elle porte le guéridon au fond du théâtre.

CLACTOWN, à demi-voix.

Ah ! il dort !... ça ne m’étonne pas... il n’en fait jamais d’autres... Quelquefois nous nous endormions tous les deux ; et alors il se fâchait... car il se fâche toujours.

CAROLINE.

Lui, qui est si bon !... c’est que peut-être vous n’avez pas pour lui les égards...

CLACTOWN.

Dame !... ce n’était pas comme vous qui êtes aux petits soins... qui prévenez tous ses caprices... je ne pouvais pas m’y faire... Heureusement nous voilà deux auprès de lui... et j’y resterai avec plaisir, quand vous serez là.

CAROLINE.

Monsieur...

CLACTOWN.

Vous êtes aimable ! et moi aussi.

SIR COBRIDGE, rêvant.

Eh bien ! non, non.

CAROLINE.

Ciel !...

CLACTOWN.

Ne faites pas attention... il rêve...

À Caroline.

Je ne veux plus le quitter, puisque vous...

SIR COBRIDGE, rêvant.

Laissez-moi !... ma fille !

CLACTOWN.

Hein ? sa fille !

CAROLINE, dans le plus grand trouble.

Sa fille !

Clactown l’arrête.

SIR COBRIDGE, rêvant.

Ma fille !... je l’aimais tant !

CLACTOWN.

Hein ?... une héritière.

Caroline fait un mouvement, il l’arrête encore.

SIR COBRIDGE, de même.

Qu’elle ne vienne pas !... Un mari si bon... tué... ma fille... je n’en ai plus... je l’ai maud...

Caroline tremblante laisse retomber la chaise sur laquelle elle s’appuyait.

CLACTOWN.

Silence, donc ! 

SIR COBRIDGE, réveillé en sursaut.

Qu’est-ce ?... Qui est là ?...

CLACTOWN.

C’est nous, mon oncle, qui vous écoutions dormir... vous disiez des choses...

SIR COBRIDGE, se levant.

J’ai parlé... Et comment ?... de qui ?

CLACTOWN.

Vous avez dit : Ma fille... ma fille !

SIR COBRIDGE.

Ma f... non, non... cela ne se peut pas.

CLACTOWN.

Si fait.

CAROLINE, qui s’était éloignée, allant à lui vivement.

Ou plutôt, c’était sans doute la lecture de tout à l’heure qui vous préoccupait.

SIR COBRIDGE.

C’est cela... Ce ne peut être que cela.

CLACTOWN.

Bah !... au fait, c’est vrai... que je suis bête ! vous m’avez fait une peur... Le déjeuner est prêt.

SIR COBRIDGE, lui prenant le bras.

Bien... écoute-moi...

Faisant signe à Caroline de s’éloigner.

Tout à l’heure, miss Volsey.

Tirant Clactown à part, et à demi-voix.

Écoute-moi... j’ai une mission importante à te confier... Je voudrais mieux m’adresser... mais je n’ai que toi.

CLACTOWN.

Merci de la préférence.

SIR COBRIDGE, de même.

Demain tu partiras.

CLACTOWN.

Comment, je partirai !... quand les autres arrivent... car je viens d’entendre des coups de fusil, qui m’annoncent le retour de sir Arthur et de ses amis.

CAROLINE, à part.

Sir Arthur !

SIR COBRIDGE, de même.

Eh ! que m’importe... tu partiras pour l’Angleterre... pour le comté de Lincoln.

CLACTOWN.

Pour le comté de Lincoln !

CAROLINE, se rapprochant.

Comment !

SIR COBRIDGE.

Air de Victorine.

Mais, silence ! on peut nous entendre,
Quand tu seras seul avec moi,
Tout à l’heure je vais t’apprendre
Quel service j’attends de toi.

CAROLINE, à part.

Je tremble... quel est ce mystère ?

CLACTOWN.

Ces jours derniers, sans résister,
J’aurais visité l’Angleterre.

Regardant Caroline.

Aujourd’hui j’aime mieux rester.

Ensemble.

SIR COBRIDGE.

Mais, silence ! on peut nous entendre, etc.

CLACTOWN.

Personne ne peut nous entendre ;
Quel est donc ce secret ?... Pourquoi
Miss Volsey ne peut-elle apprendre
Quel service on attend de moi ?

CAROLINE.

Craint-il que je puisse l’entendre ?
À son neveu, seul et sans moi,
Quel secret veut-il donc apprendre ?
Mon cœur bat de trouble et d’effroi !

Clactown sort le premier par la droite. Caroline et sir Cobridge vont sortir aussi, quand Arthur entre vivement par la gauche, et va vers Caroline.

CAROLINE, étouffant un cri.

Ah !

SIR COBRIDGE.

Qu’est-ce donc ?

CAROLINE, emmenant sir Cobridge.

Rien... rien.

Elle se tourne vers Arthur et d’un signe lui commande de rester.

 

 

Scène IV

 

ARTHUR, seul

 

C’est elle !... et toujours ce vieillard !... Heureusement il ne peut me voir... mais Caroline... c’est-à-dire lady Preston... car c’est bien lady Preston, de Lincoln... si riche, si honorée, si digne de l’être... trop digne !... Pourquoi ce mystère dont elle s’environne ?... Ah ! depuis que je l’ai revue, je ne sais quel trouble est le mien ; aussi, à Édimbourg, où lady Gérald m’avait emmené malgré moi, avec quelle impatience je pressais notre retour !... À peine arrivé, j’échappe à ma tante, à mes joyeux amis, que j’ai égarés à la chasse ! je veux absolument savoir... elle !... miss Volsey, demoiselle de compagnie !... et son mari... elle en avait un... ma foi, je m’y perds.

Air : Ces postillons sont d’une maladresse.

Eh ! que m’importe... ou dame ou demoiselle,
Je la retrouve enfin... et le roman
Que sans succès je commençai près d’elle,
Pour l’achever j’arrive en ce moment.
En la voyant, je me sens plus d’audace :
N’a-t-elle pas, pour mériter mes soins,
Plus de candeur encore et plus de grâce,
Et son mari de moins ?

Il regarde vers la porte à droite.

La voici... une figure pâle, mélancolique.

 

 

Scène V

 

CAROLINE, ARTHUR

 

Elle entre en regardant derrière elle avec effroi.

ARTHUR, allant à elle.

Milady.

CAROLINE.

Silence, sir Arthur, je viens vous le demander en grâce... Sortez, sortez de ces lieux, pour n’y rentrer jamais.

ARTHUR.

Qu’exigez-vous de moi ?... oh ! non, je reste, vous m’entendrez.

CAROLINE.

Malheureux !... vous voulez donc m’ôter ma dernière ressource... ma dernière espérance !

ARTHUR.

Moi !... moi, qui donnerais ma vie pour vous... Oh ! dites, quel est ce mystère ?... je le respecterai... le passé vous répond de moi.

CAROLINE.

De vous ?

ARTHUR.

Oh ! ne craignez rien, Caroline... vous savez si je vous aime.

CAROLINE.

Je sais que vous m’avez avilie...

ARTHUR.

Grand Dieu !

CAROLINE.

Je sais que par vous... à cause de vous... j’ai été condamnée aux larmes... à la misère, à la honte...

ARTHUR.

Oh ! ne parlez pas ainsi.

CAROLINE.

Vous vous êtes joué de mon honneur.

ARTHUR.

Caroline... Je ne puis vous comprendre... moi qui n’ai jamais fait verser de larmes... qui ai toujours couvert d’un voile discret mes amours, mon bonheur, mes projets.

CAROLINE.

Et cette nuit fatale... cette nuit où, vous élevant jusqu’à la fenêtre de mon appartement, en l’absence de mon mari...

ARTHUR.

Eh bien vous ne m’avez pas entendu ; ou plutôt, toujours inexorable, vous avez repoussé mes prières avec dédain... et cependant, depuis quelques jours, votre cœur semblait s’attendrir... vos yeux, plus doux, laissaient surprendre aux miens un trouble qui vous trahissait.

CAROLINE.

Et de quel droit interprétiez-vous ainsi mon silence ?...

Mouvement d’Arthur.

Fidèle à mes devoirs, je ne pouvais vous aimer... je ne vous aimais pas : et je vous adjure de le dire ici... Ai-je jamais autorisé d’une espérance, d’un mot, cette audace qu’il m’a fallu expier, moi, monsieur... oui, moi !... car on vous avait vu vous glisser jusqu’à ma demeure !... et plus tard, aux premiers rayons du jour, quand il fallut vous éloigner, on vous vit descendre de ma fenêtre, escalader le mur du jardin, fuir comme un amant que l’on croyait heureux... bientôt, ce fut le bruit du quartier... de la ville tout entière !... On me regardait avec mépris... les sociétés se fermaient pour moi... ou, si parfois j’y étais admise, on s’entretenait de moi tout bas... on se taisait à mon approche !... Sir Preston finit par tout apprendre... j’étais déshonorée, je fus perdue...

ARTHUR.

Ô ciel !... mais du moins, il fallait m’appeler à vous... il fallait...

CAROLINE.

Il fallait me taire... on ne me croyait pas... Qui donc eût voulu vous croire ?... et mon mari si fier, si implacable...

ARTHUR.

Nous nous serions battus...

CAROLINE.

C’est ce qu’il voulait... c’est ce que je devais empêcher au prix de mon sang, de ma vie tout entière... Je l’aimais, non pas d’amour peut-être... c’était l’estime, le respect le plus tendre !... et pourtant, si vous saviez comme il repoussait mes prières... avec quelle soif de vengeance il me demandait votre nom !... Je refusai, en pleurant... j’embrassai ses genoux, mais en vain !... il allait partir... lorsque le soir, en passant sur les remparts, il entend prononcer mon nom... il s’approche, un officier racontait à quelques étourdis cette aventure où j’étais cruellement nommée... Sir Preston s’élance vers lui, et par les mots les plus injurieux le provoque à un combat qui devait lui être fatal. On le rapporta pâle, défait... la poitrine déchirée !... il était blessé à mort !... Je voulus l’entourer de mes soins ; il les rejetait avec horreur... Dans l’espoir de prolonger ses jours, on le transporta sur le continent... Je le suivis malgré lui, et il mourut dans mes bras sans m’avoir pardonné... Son sang était retombé sur moi avec la malédiction de mon père.

ARTHUR.

Votre père !

CAROLINE.

Oui, mon père, que je n’avais pas vu depuis cinq ans... qui, jusque-là, fier du mari qu’il m’avait donné, comptait sur nous pour embellir sa vieillesse... pour l’entourer de bonheur et de joie !... Mon père ! un dieu pour moi, sir Arthur !... il avait quitté l’Angleterre où ma honte semblait peser sur lui... il m’avait déshéritée, maudite !...

Elle cache sa figure dans ses mains, et s’assied à droite du théâtre.

ARTHUR.

Malheureux !... et c’est moi...

Air de Téniers.

Voilà ce qu’une étourderie
Après moi laissait de malheur !
Livrant mes jours à la folie,
J’étais en paix avec mon cœur...
Du passé qui me déshonore,
Sans regret comme sans effroi,
En riant j’outrageais encore
La beauté qui souffrait pour moi.

CAROLINE.

Je n’avais plus d’appui sur la terre... sans fortune, sans asile... forcée de cacher mon nom, qui m’aurait perdue peut être... je fus trop heureuse de trouver en France lady Brown, qui voulut bien accepter mes services... Soumise, pendant six mois, à son humeur dure et capricieuse, je la suivis à Édimbourg, où nous l’avons perdue... et je venais chez votre tante que j’avais connue à Paris, lui demander sa protection... lorsque tout à coup, mon père, dont j’avais perdu les traces...

ARTHUR.

Votre père !... dites-moi son nom, sa demeure, et j’irai...

CAROLINE, se levant.

Vous êtes chez lui.

ARTHUR.

Sir Cobridge ?... le capitaine !... ah ! je comprends sa fureur, quand le nom de mon régiment lui a rappelé... mais je cours près de lui, me justifier... vous justifier vous-même.

Il fait quelques pas pour sortir.

CAROLINE, le retenant.

Air : Un jeune Grec.

Non, arrêtez... vous nous perdez tous deux !
Il vous tuerait ! Une fois reconnue,
Il me chassera de ces lieux,
Sans qu’à mes pleurs son âme soit émue.

ARTHUR.

Laissez-moi... je veux dans son cœur
Réveiller l’amour, la justice.

CAROLINE.

Comment dissiper son erreur ?

ARTHUR, lui prenant la main.

On en croit un homme d’honneur.

CAROLINE.

Mais on n’en croit pas un complice...
Et n’êtes-vous pas mon complice ?

ARTHUR.

Ah pardon ! pardon !

SIR COBRIDGE, en dehors.

Miss Volsey.

CAROLINE.

C’est lui...

 

 

Scène VI

 

SIR COBRIDGE, ARTHUR, CAROLINE

 

ARTHUR, allant à lui.

Capitaine.

SIR COBRIDGE.

Qui m’appelle ?

ARTHUR.

Moi... le neveu de lady Gérald.

SIR COBRIDGE.

Sir Arthur... Je croyais miss Volsey ici.

Caroline fait un mouvement, Arthur l’arrête.

ARTHUR.

Comment, vous me quittez ainsi, capitaine ?... vous oubliez donc que vous me devez une explication.

SIR COBRIDGE, se retournant vivement.

Une explication ?

ARTHUR.

Ah ! je savais bien que vous resteriez.

SIR COBRIDGE.

Une explication, monsieur ?

ARTHUR.

Sans doute... la manière dont vous m’avez parlé, il y a huit jours, dans le château de ma tante, du régiment auquel j’ai l’honneur d’appartenir.

SIR COBRIDGE, avec impatience.

Ah ! pourquoi me rappeler... je crois vous avoir dit, sir Arthur, que je n’avais pas l’intention de vous offenser personnellement... En effet, dois-je vous rendre responsable des fautes d’un lâche ?

ARTHUR, vivement.

Vous dites...

Caroline s’élance sur lui, il se calme.

Non, sans doute, ce ne peut être moi qui réponde pour un autre... mais je tiens à vous prouver qu’il n’y a pas un de mes camarades...

SIR COBRIDGE.

Assez, sir Arthur, assez... permettez...

ARTHUR, le retenant.

Vous m’écouterez, capitaine... vous m’écouterez... il n’y a pas un de mes camarades qui ne soit digne de votre estime... je les connais tous...

Caroline écoute avec anxiété.

Et si parmi eux il s’en est trouvé un... assez malheureux pour commettre une faute, même involontaire... je suis sûr que pour la réparer...

SIR COBRIDGE.

Et ce qui est irréparable, monsieur ?

ARTHUR.

Je vous comprends... à Lincoln...

SIR COBRIDGE, très agité.

Que parlez-vous de Lincoln ?...

ARTHUR.

Des malheurs de lady Preston...

SIR COBRIDGE, lui prenant vivement le bras.

Sir Arthur, silence... silence... silence sur votre honneur et sur le mien !

Caroline remonte doucement et va fermer la porte à gauche.

ARTHUR.

Pourquoi ?... on ne peut nous entendre, et je puis...

La porte se ferme. Caroline fait un pas pour revenir.

SIR COBRIDGE, montant.

Écoutez...

Caroline s’arrête.

ARTHUR.

Rien, rien... ses malheurs, vous dis-je, je les ai connus.

SIR COBRIDGE.

Ah !... mais que m’importe !... Pourquoi venez-vous, ici, me tenir un pareil langage ?... Lincoln... lady Preston !... qui vous a dit que je prisse à cela quelque intérêt ?

ARTHUR.

Mais j’avais cru... d’ailleurs, cet officier que vous accusez, il m’a dit un nom.

SIR COBRIDGE.

Ce n’est pas le mien... je ne le connais pas... Mais, vous... vous qui le connaissez... vous êtes brave, dites-vous ?... vous avez de l’honneur au fond de l’âme... et vous ne l’avez pas puni ?... et vous n’avez pas vengé la femme qu’il a déshonorée ?... l’honnête homme dont il causa la mort ? le vieillard qu’il a couvert d’opprobre ?... vous ne lui avez pas arraché ses épaulettes ? vous ne lui avez pas dit : « Mais viens donc, que je lave dans ton sang la tache que tu as faite à cet uniforme qui est le mien, et que tu es indigne de porter. »

ARTHUR.

Ne parlez pas ainsi... il n’était pas coupable... il me l’a juré.

SIR COBRIDGE.

Il a menti.

ARTHUR.

Sir Cobridge !

Caroline s’élance vers Arthur et le retient.

SIR COBRIDGE.

Il a menti, te dis-je... Pourquoi n’est-il pas venu trouver sir Preston... et moi-même ?... il me devait raison...

ARTHUR.

Mais il n’a rien su.

SIR COBRIDGE.

Et il vous a dit...

ARTHUR.

Il n’a rien su que par votre fille.

SIR COBRIDGE, avec éclat.

Ma fille !...

Il est hors de lui. Caroline s’éloigne avec effroi. Arthur paraît désolé d’avoir laissé échapper ce mot.

Ma fille !

ARTHUR.

Pardon, capitaine... je ne voulais pas...

SIR COBRIDGE.

Qui vous a dit que ce fût ma fille ? car vous l’ignoriez... qui vous a révélé ?... mais parlez donc !...

ARTHUR, regardant Caroline.

Qui me l’a dit ?... c’est...

Caroline effrayée lui fait un signe suppliant.

C’est votre neveu.

SIR COBRIDGE.

Mon neveu !... et qui donc a pu lui apprendre ?... Mais tout à l’heure, en effet, ce que je viens de lui confier... est-ce qu’il l’aurait compris ? Il faut que je l’interroge.

Effroi de Caroline.

ARTHUR, prenant la main de sir Cobridge et l’arrêtant.

Doutez-vous de ma discrétion ?

SIR COBRIDGE.

Non pas de la vôtre, je veux y croire. Vous êtes un brave jeune homme, vous ne ferez pas rougir un vieux soldat qui n’a pas eu le bonheur de mourir un jour de bataille. Ce n’est pas ma faute !... Puisque vous savez nos malheurs, ah ! vous ne me les rappellerez jamais, n’est-ce pas, sir Arthur ?

ARTHUR, faisant approcher Caroline.

Ils doivent finir, capitaine... et si lady Preston tombait à vos pieds, et vous demandait...

SIR COBRIDGE, froidement.

Je ne lui dois plus rien, je l’ai maudite !

ARTHUR.

Mais si elle revenait ?

SIR COBRIDGE, de même.

Je la maudirais...

Caroline recule effrayée.

ARTHUR.

Si elle se justifiait... si l’officier qui l’a offensée...

SIR COBRIDGE.

Ah ! qu’il vienne, lui ! qu’il vienne... je l’attends.

ARTHUR.

Si, pour réparer sa faute, il vous demandait votre fille...

Mouvement de Caroline.

SIR COBRIDGE.

Lui ! mon fils ? l’infâme ! Oh ! jamais !... plutôt le dernier des hommes... et s’il osait paraître devant moi...

ARTHUR.

Eh bien ! que feriez-vous ?

SIR COBRIDGE.

Ce que je ferais ?... je vous demanderais votre épée... ou plutôt, mon jeune camarade, je vous confierais la mienne.

ARTHUR.

Capitaine !

On entend en dehors un bruit de crosses de fusils et la voix d’Edgar.

EDGAR, en dehors.

Eh ! il n’y a personne.

Caroline va ouvrir la porte à gauche et sort un moment.

SIR COBRIDGE.

Qu’est-ce donc ?... qui vient ainsi ?

CAROLINE, rentrant.

Sir Cobridge, ce sont des jeunes gens... les jeunes chasseurs du château.

Elle est très émue, Arthur lui serre la main.

ARTHUR, bas.

Du courage.

 

 

Scène VII

 

SIR COBRIDGE, ARTHUR, CAROLINE, EDGAR, JEUNES GENS

 

EDGAR, entrant.

Sir Arthur ! nous devions le trouver ici.

SIR COBRIDGE, encore ému.

Messieurs...

ARTHUR.

Ah ! de grâce !...

SIR COBRIDGE.

Qu’est-ce donc ?

EDGAR.

Rien, rien.

Air : Des maris ont tort.

Nous venons ici, capitaine,
Pour réclamer un déserteur,
Qui nous a laissés dans la plaine
Morts de fatigue et de chaleur.
C’était à nous mettre en fureur.
Le gibier, je crois, nous devine :
Sur ses traces nous courons tous
Sans le trouver... Mais j’imagine,
D’autres sont plus heureux que nous.

ARTHUR, vivement, passant auprès de sir Cobridge.

Messieurs, je ne voulais pas passer si près de sir Cobridge sans le saluer... il me parlait de ses campagnes.

EDGAR.

Oui, je sais... vous veniez pour ça... Vous aimez beaucoup les campagnes, et les conquêtes.

Rire étouffé. Arthur fait un signe suppliant.

SIR COBRIDGE.

Soyez les bienvenus, messieurs... vous n’êtes pas ici dans le château de lady Gérald... mais le vieux Cobridge peut encore offrir l’hospitalité à des chasseurs malheureux.

ARTHUR, bas à Edgar et aux jeunes gens.

Refusez.

EDGAR.

Du tout... du tout... Nous acceptons avec plaisir, capitaine...

ARTHUR.

Ces messieurs gagneront bien vite le château.

EDGAR.

Vous en parlez bien à votre aise, vous qui étiez paisiblement à l’ombre, tandis que le soleil donnait en plein sur nos têtes.

SIR COBRIDGE.

Ces messieurs ont raison, et je vais donner des ordres...

À part.

J’ai besoin d’être seul.

À Caroline.

Venez... Sir Arthur et ses amis me pardonneront... Mon neveu doit être ici...

À sir Arthur, qui, à son nom, lui tend la main ; bas.

Sir Arthur, soyez plus discret que lui... mais je lui parlerai.

CAROLINE, à part.

Ciel ! comment empêcher...

SIR COBRIDGE.

Venez, miss Volsey...

Il sort avec Caroline par la porte à droite. Edgar et les jeunes gens le suivent jusqu’à la porte.

ARTHUR, seul sur le devant de la scène.

Et c’est une étourderie de jeune homme qui a plongé dans le deuil cette femme... sa famille... Ah ! c’est un remords qui me pèse là...

Quand sir Cobridge est sorti, les jeunes gens reviennent auprès d’Arthur.

EDGAR.

Ah çà ! sir Arthur, quelle diable de physionomie vous avez !... On dirait que les campagnes du capitaine ne vous ont pas beaucoup égayé... ou que peut-être la jeune miss est un peu farouche...

TOUS, gaiement.

Oui, oui, c’est cela.

ARTHUR.

Messieurs, messieurs, pas un mot de plus... Songez que l’honneur d’une femme... sa réputation...

EDGAR.

Bravo ! un sermon... comme votre respectable tante.

ARTHUR, à part.

Ma tante !... Mais comment prouver au capitaine... Ma tante ! je veux la voir... il le faut... lui parler.

EDGAR.

Quelle agitation !

ARTHUR.

Pardon, messieurs... je vous quitte un instant... mais je vous rejoindrai bientôt.

TOUS, le suivant.

Comment...

EDGAR.

Vous nous laissez encore ?...

ARTHUR.

Adieu, adieu...

Il sort par la gauche ; au même instant Clactown entre par la droite.

 

 

Scène VIII

 

CLACTOWN, EDGAR, JEUNES GENS

 

CLACTOWN, deux lettres à la main.

Ah ! sir Arthur est ici !... je viens... Eh bien ! eh bien ! sir Arthur s’en va ?

EDGAR.

On ne peut pas traiter ses hôtes avec moins de cérémonie.

TOUS.

C’est très mal.

CLACTOWN.

Et moi qui avais à lui parler.

EDGAR.

Quoi donc ? Une lettre à lui remettre ?

CLACTOWN.

Eh ! non... Vous ne savez pas... une autre histoire... je vais voyager.

EDGAR.

Il se pourrait !

CLACTOWN.

Encore une idée de mon oncle... Il veut que je prenne en secret, et sans me faire connaître, des renseignements sur une femme... je ne sais qui... à laquelle, quoi qu’il en dise, il m’a l’air de prendre beaucoup d’intérêt.

TOUS.

Pas possible !

CLACTOWN.

Mais ce n’est pas tout !... Il lui fait passer de l’argent... il veut que j’en remette de sa part à un homme d’affaires de Lincoln.

EDGAR.

Comment ! c’est à Lincoln ?

CLACTOWN.

Eh oui... et vous concevez... une inconnue, qui tire à elle l’argent de la succession... c’est inquiétant... pour moi... seul et unique héritier... seul et unique...

EDGAR, riant avec les autres.

Ah ! ah ! c’est juste... vous dites que c’est dans le comté de Lincoln ?...

CLACTOWN.

Que cet argent doit lui parvenir... et comme sir Arthur a habité ce pays-là, il m’aurait donné des renseignements.

EDGAR.

Que je vous donnerai peut-être aussi bien que lui... j’y ai passé six mortels mois, l’hiver dernier.

CLACTOWN.

Vrai !... Alors, vous avez peut-être entendu parler de lady Preston ?

EDGAR.

Parbleu !... C’est d’elle qu’il s’agit ?

CLACTOWN.

Eh oui... cette femme inconnue... vous la connaissez ?

EDGAR.

Non pas elle... mais sa réputation, qui était détestable... son mari est mort de chagrin... et le scandale de ses amours...

CLACTOWN.

Bravo !... vous allez me conter ça... c’est charmant... je vais faire mon voyage sans sortir de chez moi... et si les renseignements sont bons... c’est-à-dire s’ils sont mauvais, je déclarerai à mon oncle... Chut ! voici le vieux... voici le vieux.

 

 

Scène IX

 

CLACTOWN, EDGAR, JEUNES GENS, SIR COBRIDGE, CAROLINE

 

SIR COBRIDGE, entrant.

Pardon, messieurs... Sir Arthur, si vous voulez passer...

CLACTOWN.

Sir Arthur... mais il est sorti...

SIR COBRIDGE.

Clactown, c’est vous ?

CLACTOWN.

Oui, mon oncle, moi et deux lettres à votre adresse...

Il les lui donne.

SIR COBRIDGE, lui prenant la main ; à demi-voix.

Clactown, vous m’expliquerez comment il se fait qu’un secret... que vous avez pénétré...

CLACTOWN.

Hein ! plaît-il ?... un secret...

SIR COBRIDGE, de même.

Silence !... Ce que vous avez dit à sir Arthur.

CLACTOWN.

Moi !

CAROLINE, vivement à sir Cobridge.

Sir Cobridge, ces messieurs attendent.

SIR COBRIDGE, à Clactown.

Allez, allez... mais après leur départ, vous m’expliquerez...

CLACTOWN, retirant son bras.

Tout ce que vous voudrez...

À part.

Il m’a démis le poignet...

À sir Cobridge.

Tout ce que vous voudrez... Et quant aux renseignements que vous me demandez sur lady Preston, vous en aurez, bientôt... et sans sortir d’ici.

SIR COBRIDGE.

Que veux-tu dire ?

CAROLINE, à part.

Ciel !

CLACTOWN, allant au fond et s’adressant à Edgar et aux jeunes gens.

Air : Venez, mon père, ah ! vous serez ravi.

De la maison, si je fais les honneurs,
Vous, messieurs, qui m’aime me suive ;
Et pour ma part, je vais, joyeux convive,
Défier la soif des chasseurs.

Revenant auprès de son oncle.

Avec vous je m’expliquerai !...

À part.

Car je suis sûr de ma ruine,
S’il me faut payer l’arriéré
D’un capitaine de marine.

Ensemble.

CLACTOWN.

En attendant, si je fais les honneurs, etc.

EDGAR et LES JEUNES GENS.

De la maison puisqu’il fait les honneurs,
Allons, et qui l’aime le suive ;
Car, pour sa part, il va, joyeux convive,
Défier la soif des chasseurs.

SIR COBRIDGE, à part.

Que veut-il dire ? ah ! dans le fond du cœur,
Je sens la crainte la plus vive ;
Faut-il qu’ici la honte me poursuive,
Et vienne irriter ma douleur ?

CAROLINE, à part.

Que veut-il dire ?... Ah ! dans le fond du cœur
Je sens la crainte la plus vive ;
Faut-il qu’ici la honte me poursuive,
Et vienne irriter sa douleur ?

Clactown, Edgar et les jeunes gens entrent dans la chambre à droite de l’acteur.

 

 

Scène X

 

CAROLINE, SIR COBRIDGE

 

SIR COBRIDGE.

Des renseignements !

CAROLINE, à part.

S’il apprenait !... ô mon Dieu ! inspire-moi.

SIR COBRIDGE, avec humeur.

Miss Volsey...

CAROLINE.

Me voici, monsieur le capitaine.

SIR COBRIDGE.

Tenez, ouvrez ces lettres... voyez ce qu’elles renferment.

Brusquement.

Prenez donc.

CAROLINE.

Oui, monsieur le capitaine.

SIR COBRIDGE.

Lisez-les-moi.

CAROLINE.

Tout de suite...

Elle ouvre une lettre.

SIR COBRIDGE, grondant, à part.

Il m’expliquera comment il a pu apprendre à sir Arthur...

CAROLINE, qui l’a écouté.

Je suis perdue !

SIR COBRIDGE, avec impatience.

Eh bien ! vous ne lisez pas ?

CAROLINE.

Si fait... si fait... celle-ci est de l’amirauté... elle vous annonce que votre pension est échue.

SIR COBRIDGE.

De l’argent, de l’argent ! que veulent-ils que j’en fasse maintenant ?... est-ce tout ?

CAROLINE, ouvrant l’autre lettre.

Celle-là est d’un vieux marin, John Campbell, qui se recommande à vous.

SIR COBRIDGE.

Il fait bien... j’aurai soin de lui... les vieux marins, c’est ma famille !...je n’en ai plus d’autre...

À lui-même.

Clactown ! un fat !... Mais je me sens tourmenté, ému... je l’attends ici...

À Caroline.

Laissez-moi.

CAROLINE, tremblant ; n’ayant aucune autre lettre dans les mains.

C’est que j’ai là... encore... une lettre.

SIR COBRIDGE.

Ah ! une troisième !... je croyais... voyons, voyons...

Moment de silence.

Vous ne dites rien ?

CAROLINE.

Si fait... je vais vous la lire, si vous voulez.

SIR COBRIDGE, très brusquement.

Eh ! parbleu ! qu’avez-vous donc ?

CAROLINE, effrayée.

C’est que... vous me parlez avec une brusquerie... j’ai peur.

SIR COBRIDGE.

Ah !... c’est possible !... au fait, j’ai des moments d’humeur... mais avec vous, j’ai tort, miss Volsey... pardonnez-moi... c’est que, voyez-vous, j’ai des chagrins.

CAROLINE.

Vous !

SIR COBRIDGE.

Mais cela ne vous regarde pas... Voyons, mon enfant, lisez... de quel pays ?

CAROLINE.

C’est du comté de Lincoln.

SIR COBRIDGE.

Du comté de... et qui peut m’écrire ?... le nom ?

CAROLINE, hésitant.

Caroline...

SIR COBRIDGE, très agité.

Caroline !... Ah ! cette lettre... ce papier... donnez...

CAROLINE, avec embarras.

Monsieur le capitaine !...

SIR COBRIDGE.

Donnez donc...

Caroline se baisse vivement, ramasse une des deux lettres et la lui donne.

Elle m’écrit !... elle ose...

Regardant cette lettre comme s’il pouvait lire, puis la montrant à Caroline.

C’est bien Caroline, n’est-ce pas ?

CAROLINE, d’une voix étouffée.

Oui, oui... rendez-la-moi.

SIR COBRIDGE.

Je ne veux pas... une pareille audace !... qui donc lui a révélé ma demeure ?... je ne pourrai donc pas mourir tranquille !...

Déchirant la lettre.

Qu’on me laisse !...

Après un silence.

Mais, dans cette lettre, que peut-elle me dire ?... quel peut être son langage ?... je veux le savoir... je veux...

CAROLINE.

Donnez.

SIR COBRIDGE.

Je l’ai déchirée... vous ne pourrez peut-être pas...

CAROLINE.

Si fait, si fait... en rapprochant...

SIR COBRIDGE.

Ah ! bien... tenez...

Retenant la lettre.

Mais vous ne savez pas quelle est cette femme, cette Caroline ?...

L’attirant à lui et très bas.

C’est ma fille...

Mouvement de Caroline.

Oui, ma fille !... Silence !... n’en dites rien... elle était déshonorée... et moi... qui l’avais tant aimée...

D’une voix étouffée.

Je l’ai... je l’ai...

Ne pouvant achever.

Tenez, tenez... lisez bas... bien bas.

CAROLINE prend le papier, le laisse tomber... et avec un effort.

Mon père !... mon vénéré père !... je suis accusée, condamnée, sans qu’il me soit permis de voir mon juge... et cependant, je le sens au fond de mon âme, il se laisserait attendrir par mes prières et par mes larmes.

SIR COBRIDGE.

Non, non...

CAROLINE.

Car je ne suis pas coupable du crime dont on m’accuse.

SIR COBRIDGE.

Si fait.

CAROLINE.

Non, mon père, non... je vous le jure par la mémoire de ma mère.

SIR COBRIDGE.

Sa mère ?... c’était une brave et digne femme, elle.

À Caroline.

Lisez.

CAROLINE.

Je vous le jure par vos cheveux blancs, que je baise avec respect... Je ne suis pas coupable... la calomnie m’a perdue... et après m’avoir enlevé le cœur d’un mari, qui ne sut pas comprendre le mien... elle a fait tomber sur ma tête votre malédiction, qui me tue.

SIR COBRIDGE.

Assez.

CAROLINE.

Ah ! retirez-la, mon père... me voilà errante, sans refuge, sans appui. SIR COBRIDGE.

Elle doit être bien malheureuse.

Il se jette sur son fauteuil.

CAROLINE.

Et vous-même, seul, délaissé... quand votre fille devrait guider vos pas... et vous entourer d’amour et de bonheur.

SIR COBRIDGE.

Assez... assez...

CAROLINE, plus vivement.

Aussi, je pars... j’arriverai avant cette lettre, peut-être... je cours au fond de votre retraite... vous ne me repousserez pas, ou je mourrai à vos genoux.

SIR COBRIDGE.

Oh ! Caroline... jamais.

CAROLINE, se précipitant à ses pieds.

Mon père !

SIR COBRIDGE, dans le plus grand désordre.

Ce cri !... qui donc ? qui donc ?

CAROLINE, d’une voix étouffée.

C’est elle... c’est elle... la voilà.

SIR COBRIDGE.

Elle était ici !

CAROLINE, de même.

Oui... elle est à vos pieds... mais elle n’ose se jeter dans vos bras... elle attend un mot de vous...

SIR COBRIDGE.

Miss Volsey... miss Volsey.

CAROLINE.

Que me voulez-vous ?... me voici.

SIR COBRIDGE.

Vous ! mais elle... elle ?

CAROLINE.

Elle, c’est moi, mon père...

SIR COBRIDGE.

Ma fille !

CAROLINE, se levant vivement et se jetant à son cou.

Mon père !...

L’embrassant.

Oui, c’est moi... moi, qu’on a calomniée, perdue ! mais je reviens, digne de vous... mon père, je n’ai jamais cessé de l’être.

SIR COBRIDGE, avec abandon.

Toi, Caroline... oui, oui... tu es ma fille... que j’ai pleurée... ma fille... je t’attendais, n’est-ce pas ?

CAROLINE.

Ah ! revenez à vous...

Au bruit que font Clactown et les jeunes gens qui rentrent, elle s’éloigne.

 

 

Scène XI

 

CAROLINE, SIR COBRIDGE, CLACTOWN, EDGAR, JEUNES GENS

 

CLACTOWN.

Ah ! ah ! c’est délicieux... c’est vous, mon oncle... je vous cherchais.

SIR COBRIDGE, sans se lever.

Qu’est-ce donc ? qu’avez-vous ?

CLACTOWN.

Demandez à sir Edgar et à ces messieurs... Ah ! vous vouliez des renseignements sur lady Preston...

CAROLINE.

Grand Dieu !

SIR COBRIDGE.

Eh bien !

CLACTOWN.

J’en ai à votre service... j’en ai d’excellents... je les tiens de sir Edgar, ici présent, qui était, il y a six mois, à Lincoln... il vous dira si elle a mérité vos bienfaits... Ah ! ah ! ah !

SIR COBRIDGE.

Clactown !

CLACTOWN.

Une réputation affreuse !... un scandale... son mari...

CAROLINE.

Monsieur...

SIR COBRIDGE.

Et moi, j’allais l’oublier... Ah ! c’est trop d’infamie !... je ne saurais supporter...

EDGAR.

On disait que, partout repoussée...

SIR COBRIDGE.

Vous l’entendez, miss Volsey.

CAROLINE.

Malheureuse !

 

 

Scène XII

 

CAROLINE, SIR COBRIDGE, CLACTOWN, EDGAR, JEUNES GENS, SIR ARTHUR, entrant par la gauche

 

SIR ARTHUR.

Qu’est-ce, messieurs... que se passe-t-il ?

CAROLINE.

Sir Arthur, ah ! venez, venez... ils outragent... ils condamnent...

ARTHUR.

Qui donc ?

CAROLINE.

La fille de sir Cobridge !

TOUS.

Sa fille !

CLACTOWN.

Une héritière !

EDGAR.

C’est-à-dire qu’à Lincoln on accusait lady Preston.

ARTHUR.

Et moi, je la défends, messieurs... c’est la vertu même, je vous le jure à tous... Et s’il se trouvait quelqu’un d’assez lâche, d’assez infâme pour l’accuser d’un crime dont, sur l’honneur, je la déclare innocente... il m’en rendrait raison jusqu’à la dernière goutte de mon sang.

CLACTOWN, vivement.

Ce n’est pas moi qui l’ai dit.

SIR COBRIDGE, à Arthur.

Bien, jeune homme.

ARTHUR.

Capitaine, je viens, au nom de lady Gérald, ma tante, vous demander pour moi, Arthur de Bury, comte de Gérald, héritier de ses domaines, la main de votre fille.

CAROLINE.

Grand Dieu !

TOUS.

Que dit-il ?

ARTHUR.

Oui, messieurs.

Air : C’était Renaud de Montauban.

Je vois partout mes titres enviés,
Eh bien ! je mets, pour m’élever encore,
Mon nom, mon rang, ma fortune à ses pieds...
En acceptant, c’est elle qui m’honore.
Oui, messieurs, retenez-le bien,
Ainsi que moi, le respect l’environne,
Et désormais le nom que je lui donne
Met son honneur sous la garde du mien.

CAROLINE.

Arthur !

ARTHUR, allant à sir Cobridge.

Voilà mes preuves, capitaine... et maintenant, mon père, m’en croirez-vous ?

SIR COBRIDGE.

Oui, j’en crois ce langage, plus encore que ses larmes.

Ici l’orchestre commence le morceau du premier acte, Contrainte cruelle, qu’il continue jusqu’à la fin.

Caroline, ma fille...

CAROLINE.

Mon père.

Elle se jette à son cou.

SIR COBRIDGE.

Venez, sir Arthur.

Sir Cobridge se trouve entre Caroline et Arthur qui le pressent dans leurs bras.

CLACTOWN.

Hem !... voilà bien une autre histoire !

SIR COBRIDGE.

Et l’auteur de sa honte... le misérable...

CAROLINE.

Grâce !

ARTHUR.

Vous ne le connaîtrez jamais... quand celui qui répare vos malheurs rentrera au régiment, celui qui les a causés n’y sera plus.

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