La Jeunesse de Marie-Stuart (Ferdinand DE VILLENEUVE - Louis-Émile VANDERBURCH)
Drame en deux parties, mêlé de chant.
Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Gymnase, le 27 juins 1829.
Personnages
LE DAUPHIN, fils aîné de Henri II, depuis François II
LE COMTE D’ESSEX, envoyé de la reine d’Angleterre
CHATELARD, petit-fils de Bayard, jeune écuyer, élevé avec le Dauphin, maître de musique de Marie, et son premier écuyer, poète de la cour
BRANTÔME, poète, chroniqueur et courtisan de la reine de Navarre, âgé d’environ 60 ans
GAURICCI, Italien, nécromancien, astrologue et parfumeur, attaché à la personne et faisant l’office d’espion de la reine Catherine de Médicis
MARIE STUART, reine d’Écosse, âgée de 17 ans
MARGUERITE DE VALOIS, reine douairière de Navarre, sœur de François Ier, grand’tante du dauphin, âgée de 56 ans environ
COURTISANS
POÈTES
PAGES
DAMES
GARDES
PEUPLE DE CALAIS
SUITE DES PRINCES et PRINCESSES
ÉCHEVINS
Première partie : la scène est à Paris, au palais des Tournelles. Deuxième partie : la scène est à Calais, à l’Hôtel-de-ville.
PREMIÈRE PARTIE
Le théâtre représente une des salles de l’appartement de Marie Stuart, dans le palais des Tournelles. Au fond, une galerie vue à travers trois portes ; une tapisserie retombe à volonté, et ferme ainsi l’entrée de la salle. À droite de l’acteur, un orgue gothique, autour duquel on peut tourner. Tout est préparé pour un bal. Partout des fleurs ; les lustres sont allumés.
Scène première
LE DAUPHIN, CHATELARD
Au lever du rideau, quelques seigneurs et quelques dames traversent la galerie.
CHATELARD, surpris.
Le dauphin !... Vous, à Paris, Monseigneur ! et au palais des Tournelles ! Quel bonheur imprévu ! ah ! je comprends... le bal que donne ce soir la jeune reine d’Écosse dans ses appartements...
LE DAUPHIN.
Mon ami, les vieux murs de Saint-Germain sont bien noirs... la cour de la reine Catherine, ma mère, n’a rien qui me séduise ; et au milieu de tant de monde, de tant de plaisirs... je m’ennuyais de me trouver toujours seul.
CHATELARD.
Ah ! prince !... je vous reconnais à cet esprit de liberté, que j’osais partager quand nous étions enfants.
LE DAUPHIN.
Qui, je m’en souviens... tu me donnais même parfois des conseils que la reine, ma mère, trouvait un peu trop philosophiques.
CHATELARD.
Ah ! je n’ai pas oublié non plus que, sans vos généreux efforts, le pauvre Chatelard, traité comme un hérétique, gémirait aujourd’hui dans une prison d’état... ou du moins se verrait banni de sa patrie.
LE DAUPHIN.
Je ne devais pas faire moins pour toi...
Il lui prend la main.
Nous avons toujours été amis, camarades.
CHATELARD.
Monseigneur, ce titre...
LE DAUPHIN.
Ah ! ne me le refuse pas.
Air : Je vous revois, séjour de mon enfance (de Caleb).
Combien de fois, en te nommant mon frère,
Dans nos travaux j’acceptai tes secours !
Plus l’amitié vieillit, plus elle est chère :
Aussi mon cœur t’appartiendra toujours.
Enfant des rois, du poids d’une couronne
Mon front encor n’est chargé qu’à demi ;
Ah ! laisse-moi, sur les degrés du trône,
Presser la main d’un véritable ami !
Mais voyous, donne-moi des nouvelles... Que se passe-t-il à la cour de ces dames ?... Les poètes y sont toujours bien venus ? Ma vieille tante, la reine de Navarre, les a mis à la mode ; la belle Marie les protège.
CHATELARD.
On y fait toujours des merveilles, Monseigneur... Malgré la politique de MM. de Guise, le démon poétique l’emporte. Sous ce manteau, la galanterie va plus loin que jamais. On fait en vers des déclarations aux belles, qui n’ont pas le droit de s’en fâcher... Desportes pourtant est encore consigné tous les matins. Rabelais nous expédie de Meudon ses petits contes guillerets. Clément Marot charge de bouts-rimés ses courriers d’ambassade. Le pédant Ronsard radote toujours en grec ou en latin ; et le vieux Brantôme commence à radoter en bon français, surtout depuis qu’il soupire tout bas pour votre gracieuse tante, Marguerite de Valois... Les dames qui composent le gentil troupeau de la reine Marie nous applaudissent, et nous préfèrent aux grands seigneurs, tout en nous gratifiant du titre d’extravagants ; le tout, avec l’agrément du roi Henri II, votre illustre père... Voilà, prince, le tableau fidèle de notre cour... qui n’est pas la plus redoutable, mais qui peut passer pour la plus gaie... pour la plus joyeuse du monde.
LE DAUPHIN.
Mais tu ne me dis rien de celle qui doit en faire le plus bel ornement ?
CHATELARD, un peu trouble.
Vous voulez parler de la jeune reine d’Écosse ?... Elle s’est chargée de couronner les vainqueurs... Les poètes, les chevaliers les plus obscurs, tous sont captivés par ses charmes... elle seule paraît insensible à tous les hommages... Elle se montre souvent bizarre, capricieuse. Depuis quelque temps, une tristesse, une mélancolie, un chagrin secret, dont personne n’a pu deviner le motif, contrastent avec la gaîté de son âge.
LE DAUPHIN.
En effet, ou me l’avait dit... Et toi, tu es poète aussi... tu veux t’illustrer par la plume, comme Bayard, ton aïeul, s’illustra jadis par l’épée.
CHATELARD.
Oh ! je n’ai pas renoncé à son héritage... Avant peu, je serai armé chevalier, je l’espère... je compte pour cela sur le roi Henri... C’est une dette que François Ier lui a laissée à acquitter.
LE DAUPΗΙΝ.
Il n’est pas homme à l’oublier... Mais parlons d’autre chose... j’ai presque un secret à te confier.
CHATELARD.
À moi !
LE DAUPHIN.
Oui... je suis extravagant aussi... je suis amoureux.
CHATELARD.
Vraiment, Monseigneur ! quelle noble dame a donc eu l’honneur de séduire votre altesse ?
LE DAUPΠΙΝ.
Une noble dame !... mais, oui, oui... Depuis longtemps j’adresse mes hommages à une personne qui ne paraît pas encore avoir deviné tout l’amour qu’elle m’inspire... Je ne suis même venu ici que pour éclaircir des soupçons... Mais plus tard... je te ferai la confidence entière.
CHATELARD.
Vrai dieu ! mon prince, toutes les beautés de la cour de Henri II seraient fières...
LE DAUPHIN.
Chut ! j’aperçois ton illustre confrère, le vieux chroniqueur Brantôme... le chevalier courtois de ma vieille tante de Navarre.
Scène II
CHATELARD, LE DAUPHIN, BRANTÔME
LE DAUPHIN.
Comment, seigneur Brantôme, c’est vous que je vois !... vous, philosophe... à un bal de cour ?
BRANTÔME, s’inclinant.
Monseigneur doit bien penser que je n’y suis pas venu pour figurer dans quelque sarabande... Je laisse cela aux jeunes fous de la cour.
LE DAUPHIN.
Ah ! j’y suis... la reine de Navarre, l’auteur des Cent Nouvelles Nouvelles, est de retour de son petit voyage de Béarn... et, fidèle poursuivant, vous reparaissez avec la Marguerite des Marguerites.
BRANTÔME.
Monseigneur, de grâce... Vous compromettriez la princesse.
Air : J’en guette un petit de mon âge.
Depuis trente ans je soupire en silence,
N’allez pas trahir mon secret...
Car je serais perdu, je pense,
Si sa majesté le savait.
L’idolâtrer, voilà ma seule étude :
Oui, Marguerite a toutes mes amours.
LE DAUPHIN.
Depuis trente ans vous l’adorez toujours ?
BRANTÔME.
C’est un vieux péché d’habitude.
CHATELARD.
Au surplus, ce soir votre attente ne sera point trompée... Marie donne bal dans ses appartements ; elle en fera elle-même les honneurs.
BRANTÔME.
C’est ce que j’ai appris en entrant, et je m’étonne... Ah çà ! mais... mon cher Chatelard, vous, qui ne quittez pas la cour des poètes, dites-nous donc s’il est vrai que la belle Marie Stuart votre illustre élève dans l’art d’Orphée, soit devenue tout-à-coup inquiète, bizarre même dans sa conduite et dans son caractère.
LE DAUPHIN.
Chatelard me parlait à l’instant même de ce changement subit.
BRANTÔME.
Il est bien extraordinaire... et pourtant j’en avais un pressentiment secret.
CHATELARD, surpris.
Que voulez-vous dire ?
BRANTÔME.
Tenez, s’il m’est permis de dire toute ma pensée devant Monseigneur... je crois que le cœur de la jeune reine n’est plus libre.
LE DAUPHIN, à part, avec un peu d’inquiétude.
Se pourrait-il !
CHATELARD, agité, mais avec précaution.
Sur qui donc pensez-vous qu’elle ait daigné jeter les yeux ? elle n’a montré d’amour pour personne.
BRANTÔME, souriant.
Sans doute... mais est-ce dose une raison ?... Marie est femme... et si son cœur a parlé pour quelqu’un, ce ne doit pas être pour un de ceux qui l’entourent, et qu’elle paraît distinguer ; mais bien plutôt pour un de ceux qu’elle feint de détester.
CHATELARD.
Ciel ! vous penseriez ?...
BRANTÔME, à Chatelard.
Oui, mais quel est ce mortel heureux ?... Voilà ce que personne ne peut savoir, pas plus moi que vous.
Air d’Aristippe.
À son aimable et vive étourderie
A succédé l’air triste et soucieux...
Quelqu’un sans doute a su plaire à Marie ;
Mais pour voir exaucer ses vœux,
Trop bas peut-être elle a jeté les yeux.
Mouvement de Chatelard.
Héritière du rang suprême,
Elle doit se taire, et souffrir...
Quand on se cache un secret à soi-même,
À d’autres yeux... c’est qu’on craint d’en rougir.
CHATELARD, à part.
Ah ! dans quel trouble il m’a jeté !...
Haut.
Mais j’aperçois toutes ces dames, que les reines de Navarre et d’Écosse s’empressent de recevoir dans cette galerie.
Scène III
CHATELARD, LE DAUPHIN, MARIE, MARGUERITE, BRANTÔME, GAURICCI, derrière les deux reines, DAMES, COURTISANS, POÈTES
CHŒUR.
Air : Du Comte Ory (de Rossini).
Hommage à la belle Marie
Qui charme cet heureux séjour !
Par les grâces toujours embellie
Qu’elle règne à la cour d’amour !
Pendant ce chœur, les reines sont entrées et ont salué les dames.
MARGUERITE, apercevant le dauphin.
Comment ! cher neveu, vous à notre cour ?
MARIE.
Le dauphin !
Le dauphin s’incline devant Marie, qui répond gracieusement à son salut. Mouvement général.
LE DAUPHIN.
De grâce, Mesdames, que mon arrivée ne change rien à vos projets de fête.
MARIE.
Soyez le bienvenu, Monseigneur... votre présence est une faveur dont nous sentons tout le prix.
LE DAUPHIN.
Eh quoi ! belle cousine !... toujours me tenir le langage de l’étiquette !... c’est une rigueur dont j’aurais droit de me plaindre.
MARIE, timidement, et évitant ses regards.
Excusez-moi, Monseigneur.
LE DAUPHIN, à part.
Encore la même indifférence !
MARGUERITE, à Brantôme.
Bonjour, bonjour, Brantôme... vous venez peut-être m’offrir la main pour danser... c’est très galant pour un historien.
BRANTÔME, à part.
Elle a daigné jeter les yeux sur moi... ah !
MARIE.
Sire Chatelard, nous vous dispensons de remplir ce soir vos fonctions de premier écuyer... les soins de la fête que nous donnons devront souvent vous tenir loin de notre personne.
CHATELARD, à part.
Toujours affecter de m’éloigner d’elle !
MARIE, apercevant Gauricci.
Vous aussi, célèbre Gauricci, vous voulez bien honorer notre fête de votre présence ?
MARGUERITE.
Notre sœur Catherine songerait-elle donc à assister à notre fête ?
GAURICCI.
Il se pourrait, Madame, que Sa Majesté voulût admirer cette réunion brillante...
MARGUERITE.
Ah ! oui... oui... elle a fait connaître ses intentions d’avance à monsieur l’astrologue, qui les devine après.
GAURICCI.
Je sais que la très gracieuse reine de Navarre n’ajoute pas toujours foi à mes prédictions... J’espère cependant la convaincre... et si elle daignait permettre...
MARGUERITE.
Non... non... je vous en dispense, mon cher devin... à mon âge, on a bien des souvenirs du passé ; mais on n’a plus guère de confiance dans l’avenir !... Encore, si vous nous apportiez quelques prédictions consolantes, on aimerait à vous croire... mais non... vous n’êtes jamais qu’un prophète de malheur... il n’y a pas de compensation avec vous.
Air : Amusez-vous, jeunes fillettes.
Jadis aussi j’eus quelques charmes,
À mes genoux j’ai vu des rois ;
Mais si j’ai fait couler des larmes,
Ma main les sécha quelquefois :
Aussi, là-haut, dans la balance,
Quand tout un jour se pèsera,
Au fond du cœur j’ai l’espérance
Qu’un peu de bien l’emportera.
Deuxième couplet.
Dans mes écrits, avec licence,
Plus d’un petit conte est rendu...
Oui, j’ai fait rougir l’innocence,
Mais j’ai pratiqué la vertu.
Aussi, là-haut, etc.
MARIE.
Moi, je ne suis pas plus crédule, signor Gauricci... mais je suis plus curieuse...
S’approchant de lui.
M’en permettez-vous la folie, bonne reine ?
MARGUERITE.
Faites, mon enfant... Liberté tout entière.
MARIE, présentant sa main à Gauricci.
Allons... j’attends mon arrêt.
GAURICCI, à part.
Servons les projets de Catherine...
Haut.
Lire dans la main !... oh ! c’est bon pour un astrologue vulgaire !... mais moi...
Il tire un livre rouge qu’il cachait sous son manteau. Ici tout le monde se rapproche. Il lit d’un ton emphatique.
Cette étoile est la vôtre... elle m’annonce bien des orages... Brillante encore... elle peut s’obscurcir bientôt... Cette ligne qui penche vers. l’Occident me fait présager bien des malheurs... Je vois pourtant que vous serez deux fois reine... Mais une double couronne pourra vous coûter des larmes !... Avant peu, triomphant de certains obstacles qui se cachent encore au fond de votre cœur... un prince royal deviendra votre époux. L’orchestre, qui pendant cette prédiction s’était fait entendre en sourdine, cesse. Ceux qui s’étaient approchés reculent de quelques pas. Chatelard, qui écoutait avec attention, a fait un mouvement que Marie et Gauricci ont remarqué. Gauricci suit des yeux Chatelard.
MARIE, avec effroi.
Assez... assez...
CHATELARD, à part.
Que dit-il ?
LE DAUPHIN, à part.
Je devine qui a pu dicter une pareille prédiction, et ma mère...
MARGUERITE, à Marie.
Qu’avez-vous ?
MARIE, bas à Marguerite.
Ah ! mon amie !... que ce mot m’a fait mal !
MARGUERITE, bas à Marie.
Comment, vous craindriez d’épouser un prince royal ?
MARIE, bas à Marguerite.
J’étais un enfant... Pardonnez-moi.
MARGUERITE.
Silence !... on a les yeux sur vous.
BRANTÔME, s’approchant de Gauricci, lui dit à voix basse.
Vous triomphez, signor Gauricci.
Air du Vaudeville de l’Ours et le Pacha.
La mode est tout chez les Français,
Le siècle est à l’astrologie...
Vous avez beaucoup de succès,
Sans avoir beaucoup de génie.
Mais attendez : un jour viendra
Où vous n’imposerez plus guères
Même à des oreilles vulgaires ;
Car votre masque tombera
Devant le flambeau des lumières.
Scène IV
LES MÊMES, UN OFFICIER DU PALAIS
L’OFFICIER.
Sa Majesté la reine Catherine arrive en ce moment au palais des Tournelles.
LE DAUPHIN, à part.
Bon... le duc de Guise m’a tenu parole...
MARIE.
Quel motif l’amène ?...
Bas à Marguerite.
Bonne amie, je ne sais pourquoi je tremble... serait-ce un présage de malheur ?
MARGUERITE, bas à Marie, qui est subitement devenue pensive.
Eh bien ! qu’avez-vous, petite reine ? vous voilà tombée dans votre rêverie ordinaire !... et vous aussi, Mesdames, vous paraissez effrayées de tant d’honneurs ! Ah ! jugez mieux les intentions et les prévenances de notre sœur de Médicis... Venez, venez-avec moi... Puisque la reine régnante daigne nous visiter, allons lui rendre nos hommages...
Bas à Marie.
et faire comme si nous étions contentes.
Elle regarde Brantôme, qui prend aussitôt une attitude triomphante.
Venez, noble chevalier, rendons-nous au bal ; allons figurer au milieu des grâces et des amours.
BRANTÔME.
Des amours !...
Avec un soupir étouffé.
Majesté, je suis toujours à vos ordres.
CHŒUR.
Hommage à la belle Marie
Qui charme cet heureux séjour !
Par les grâces toujours embellie,
Qu’elle règne à la cour d’amour.
Tout le monde sort ; le dauphin donne la main à Marie, et Brantôme offre la sienne à Marguerite.
Scène V
CHATELARD, seul, regardant sortir
Qu’il est heureux d’être prince ! il est sûr de plaire à celle qu’il aime ; et moi, petit-fils d’un héros, pouvant à peine aspirer au titre de chevalier, j’ose lever les yeux sur une reine !... Ô fatal jour où je fus présenté à la cour de Marie ! que de fois j’ai béni et maudit tour-à-tour l’instant qui me rapprocha d’elle. Accoutumé à la voir, à l’approcher chaque jour, j’avais souvent rêvé qu’un regard favorable... Était-ce présomption !... était-ce folie ?... Pourtant, à la suite de cette fête brillante qui célébrait la naissance du due d’Alençon, lorsque le feu, éclatant de toutes parts, se communiquait déjà à la salle où se trouvait Marie, le premier j’eus le bonheur de l’arracher au danger qui l’environnait ; je la reçus dans mes bras ; elle était pâle, évanouie... mais je sentais son cœur battre contre le mien... et quand ses yeux se rouvrirent, c’est sur moi qu’ils étaient fixés. Dès cet instant, je me crus quelques droits à sa bienveillance. Dernièrement encore, quand je fus proclamé vainqueur à la cour des poètes, c’est par ses mains que je fus couronné... Comme Alain Chartier, je reçus un baiser pour prix de mes vers. Ah ! je crois y être encore !
Air de la Chapelle de l’amour.
Je reçois aussi la couronne,
Avec la faveur d’un baiser ;
Mais la bouche qui me le donne,
Au même instant vient m’embraser !
Jamais à telle récompense
Poète ne fut appelé...
Alain Chartier dormait, je pense ;
Mais moi, j’étais bien éveillé.
Bruit d’orchestre au loin.
Des danses... une fête... toujours paraître calme au milieu de cette foule brillante... que de fois entraîné par mon délire, je me suis approché de Marie pour lui faire connaître mes tourments... Ah ! maintenant je dois l’éviter... car je n’aurais pas la force de garder plus longtemps le silence.
Scène VI
CHATELARD, LE DAUPHIN
LE DAUPHIN.
Ah ! c’est toi, Chatelard ! je te cherchais... Je quitte la salle du bal... j’ai laissé Marie auprès de la reine ma mère, et je suis accouru... Je t’ai dit ce matin que j’avais un secret... Apprends donc que depuis longtemps j’aime, j’adore la jeune reine d’Écosse... et cet amour, ma mère seule l’avait su deviner.
CHATELARD, à part.
Ô ciel ! Marie !
LE DAUPΗΙΝ.
Jusqu’à présent, j’avais voulu cacher à tous les yeux une passion qu’il ne m’est plus possible de renfermer au fond de mon cœur.
CHATELARD, à part.
Il l’aime !... Ah ! j’aurais dû craindre ce dernier malheur !
LE DAUPHIN.
Juge de ma joie... de mon espoir !... le roi désire cette alliance... Messieurs de Guise seraient fiers d’unir leur nièce à l’héritier du trône de France... Ma mère elle-même ne vient aux Tournelles que pour décider la reine d’Écosse à m’accorder sa main.
CHATELARD.
La volonté de votre mère, les vœux secrets de Messieurs de Guise, si puissants à la cour, sont de sûrs garants...
À part.
Que je souffre !
LE DAUPHIN.
Cependant Marie est reine aussi... sa volonté est libre, et si son cœur ne lui appartenait plus !
CHATELARD, cherchant à cacher son trouble.
Rassurez-vous... tous les seigneurs, tous les chevaliers de la cour seraient fiers de sacrifier leur vie et leur fortune pour la jeune reine... mais jusqu’à présent son indifférence les a tous condamnés au silence... au respect.
LE DAUPΗΙΝ.
Depuis quelque temps, je lui adressais en secret mes hommages... Souvent, je me suis trouvé seul auprès d’elle... mais, te le dirai-je... je n’ai pas encore osé lui avouer la passion qu’elle m’a inspirée... je ne puis lui laisser ignorer plus longtemps mon secret... il faut qu’elle le connaisse ce soir même... C’est sur toi, sur ton amitié que je compte en ce moment.
CHATELARD, dans le dernier trouble.
Sur moi !
LE DAUPΗΙΝ.
Oui, mon sort, ma vie sont entre tes mains. Je ne veux pas me prévaloir à ses yeux de mon titre et de mon rang... ce n’est pas comme héritier du trône d’Henri Il que je veux lui plaire... c’est pour moi-même que je serais fier d’obtenir son cœur !... Chaque jour, à toute heure, ta position près de Marie te donne le droit d’approcher d’elle... Deviens mon interprète... réussis à la persuader de mon amour.
CHATELARD, à part.
Grand Dieu ! s’il savait !...
LE DAUPHIN.
Tu m’as souvent parlé de ton dévouement... Si j’ai assuré ton sort, si tu dois à ma protection la charge brillante que tu remplis près de la jeune reine... si j’ai sauvé tes jours du danger qui les menaçait... voici l’instant de me prouver ta gratitude, Chatelard ; et c’est encore moi qui te devrai de la reconnaissance.
CHATELARD, après un moment d’hésitation, étouffant un soupir.
J’obéirai, Monseigneur.
LE DAUPHIN, lui serrant la main.
Ah ! je n’oublierai jamais un tel service...
Regardant dans le fond.
Je l’aperçois... elle revient ici... Quelle occasion !... Chatelard, je m’abandonne à toi.
Il sort par la gauche.
Scène VII
CHATELARD, puis MARIE
CHATELARD, après un moment d’abattement.
Cette confiance me tue !... Lui parler pour un autre !... Comment l’aborder ?... n’importe, il le faut !... je devinerai du moins mon sort dans ses regards.
Il remonte le théâtre à droite, pendant que Marie, sans le voir, entre d’un air agité.
MARIE.
Enfin, je suis seule... Ah ! que je souffrais en présence de la reine !... Ses caresses, ses airs affectés... j’ai vu qu’elle avait décidé de mon sort... Mais quels sont ses projets... et que veut-elle faire de la pauvre Marie ?
CHATELARD, s’avançant respectueusement.
Madame...
MARIE, jetant un cri d’effroi.
Ah ! vous ici, Chatelard !... Pourquoi ? qu’y venez-vous faire ? Je croyais... je voulais être seule.
CHATELARD, cherchant à cacher son trouble.
Votre Majesté daignera m’excuser... sans une obligation impérieuse, j’aurais craint de montrer à ses yeux une personne qui ne paraît plus devoir trouver grâce devant elle.
MARIE, avec douceur.
Eh bien ! que me voulez-vous ?
CHATELARD, hésitant.
Parmi les seigneurs, les nobles chevaliers, qui tout à l’heure entouraient Votre Majesté, il en est un sur lequel votre vue a depuis longtemps produit une impression éternelle.
Marie, qui jusque-là le regardait fixement, détourne aussitôt les yeux, redevient sévère, et paraît très agitée.
MARIE.
Que voulez-vous dire, sire Chatelard ?... nous avons peine à concevoir un tel langage.
CHATELARD.
Le devoir, la reconnaissance m’obligent à cette pénible démarche.
MARIE, très agitée.
La reconnaissance !... Et quel seigneur, quel grand de la cour adonc assez de pouvoir sur vous-même ?...
CHATELARD.
Ah ! Madame ! qui pourrait oser élever ses espérances jusqu’à celle que tout le monde ici doit respecter... si un prince du sang royal... si monsieur le dauphin lui-même...
MARIE.
Le dauphin !...
Moment de silence.
Depuis quand notre cousin croit-il avoir besoin d’un interprète pour nous exprimer ses sentiments ?
CHATELARD.
Grand Dieu ! aurais-je eu le malheur de déplaire encore à Votre Majesté !... quand, malgré moi... je n’ai fait que me rendre à une prière ?...
MARIE.
Oui, Chatelard... le dauphin pouvait parler lui-même.
CHATELARD.
Je ne sais comment expliquer une telle réponse... De grâce, Madame, songez aux suites d’un refus...
MARIE.
Un refus !... il serait motivé peut-être par un procédé si nouveau à la cour de France... Si notre cousin nous avait fait l’honneur de nous confier lui-même son amour, au lieu d’en charger un ambassadeur, nous aurions pu lui répondre alors qu’une reine n’est pas toujours maîtresse de donner son cœur au prince que la politique lui destine... que ce cœur repousse quelquefois ceux que le trône nous impose... et c’est surtout quand ils éprouvent de tels tourments, que les grands regrettent d’être plus élevés que les autres.
Air : Époux imprudent, fils rebelle.
On peut dicter des lois au monde,
Mais non commander à son cœur :
Nous gémissons ; et pourtant à la ronde,
On proclame notre bonheur. (bis.)
Ah ! c’est surtout, quand on le brave,
Que le sort impose un devoir...
Lorsqu’il nous donne le pouvoir,
Trop souvent il nous rend esclave.
CHATELARD, à part, et dans la plus grande agitation, après avoir remarqué le trouble de Marie.
Qu’ai-je entendu !... Ah ! si je savais !...
Semblant revenir à lui-même.
Malheureux ! j’allais me trahir !
Scène VIII
CHATELARD, MARIE, LE DAUPHIN
Il entre avec mystère, et prête l’oreille avec inquiétude.
MARIE, vivement, ayant remarqué le trouble de Chatelard.
Qu’avez-vous ?
CHATELARD.
Que Votre Majesté pardonne à mon trouble, et qu’elle daigne m’écouter encore ! Le prince ne peut vivre sans vous... son bonheur, sa destinée, sont entre vos mains... il aime !... comme on peut vous aimer... votre refus le réduirait au désespoir... et n’auriez-vous pas à craindre aussi la haine de Catherine ?... les suites pour l’Écosse d’une rupture avec la France ? Que Votre Majesté écoute ma prière !... qu’elle rende un fils à son père... un prince à la patrie... et si quelque regret entrait un jour dans l’âme de Marie... elle se consolerait en entendant dire autour d’elle : « Du moins, elle a rempli les devoirs d’une reine. »
LE DAUPHIN, à part.
Ah ! j’avais tort de le soupçonner !... Gauricci m’a trompé.
MARIE.
C’est bien, sire Chatelard... nous admirons le zèle avec lequel vous plaidez la cause de celui qui vous envoie... mais nous ne pouvons vous faire connaître notre décision : ce n’est pas à vous que nous devons une réponse... D’ailleurs, elle ne serait pas favorable...
Mouvement du dauphin.
En ce moment, moins que jamais, je me sens disposée à me soumettre aux caprices, à la politique de la reine de France... Elle persiste à ne voir en moi qu’un enfant élevé à sa cour... Mais je suis reine aussi... je sens toute ma dignité... et si monsieur le dauphin exige une réponse, il viendra nous la demander lui-même.
CHATELARD.
Ah ! je le vois, Madame, le plus grand tort du prince est de m’avoir envoyé auprès de vous.
MARIE.
Oui, car vos discours me font mal... Ne dites plus rien... éloignez-vous.
CHATELARD.
Elle ne l’aime pas... j’en suis sûr maintenant.
Il s’incline et sort.
Scène IX
MARIE, LE DAUPHIN, s’avançant
MARIE, troublée.
Monseigneur !
LE DAUPHΙΝ.
Je ne vous ferai point de reproches ; quand l’intérêt de votre royaume... quand celui de la France devaient cimenter notre union... une froide indifférence, un refus cruel sont votre seule réponse... Marie !... qu’attendez-vous donc ?... à quel trône voulez-vous aspirer ?
MARIE.
Un nouveau trône !... de l’ambition !... Ah ! que vous me jugez mal !... Si j’avais été maîtresse de mon sort, j’aurais préféré l’obscurité à tout l’éclat qui m’environne.
LE DAUPHIN.
Ah ! que n’êtes-vous sortie de cette classe ignorée à laquelle vous portez envie !... j’eusse été fier alors de vous élever jusqu’à moi.
MARIE.
Monseigneur !... je connais tous les droits que vous avez sur moi... je respecte les volontés du roi mon bienfaiteur... Accusez-moi d’indifférence, mais n’employez pas la contrainte... Oubliez Marie !... cessez de lui offrir un titre qu’elle ne peut accepter... François Ier fut grand et généreux !... que François II, encore dauphin, l’égale en générosité.
Elle s’incline devant lui d’une manière suppliante.
LE DAUPHIN, la faisant relever.
Marie, que faites-vous ?...
À part, et comme anéanti.
Ah ! je n’en puis plus douter !... son cœur appartient à un autre...
Haut à Marie, qui fait quelques pas pour s’éloigner.
Marie, demeurez, je vous en supplie... On m’a dit, mais je n’ai pas voulu le croire, que le refus dont vous m’accablez avait un motif caché... que vous aviez un secret ; que vous vouliez le dérober à tous les yeux... qu’enfin votre cœur ne vous appartenait plus... et qu’un simple écuyer...
MARIE.
Grand Dieu ! on aurait osé supposer... Non, je n’aime personne... je ne veux aimer personne !... Prince, ne me faites point un tel outrage !...
Pleurant.
Ah ! je ne saurais supporter une pareille idée... et si mes larmes ne pouvaient vous convaincre... recevez ici le serment que je vais vous faire... Je jure, si je ne puis être à vous, de ne jamais être à un autre.
LE DAUPHIN.
Que dites-vous ?... Marie !... ah ! pardonnez-moi... j’allais former des soupçons injurieux !... je vous crois... j’accepte votre serment... mais songez à quoi il vous engage... il me donne sur vous des droits...
Scène X
CHATELARD, MARIE, LE DAUPHIN
CHATELARD.
Madame... la reine se dispose à quitter les salles du bal.
MARIE, donnant la main au dauphin, et remarquant son agitation.
Rendons-nous près d’elle.
Elle sort avec le dauphin, Chatelard s’incline, Marie ne peut s’empêcher de lui jeter un regard où se peint le regret. Les rideaux tombent ; et ferment les portes latérales de la galerie.
Scène XI
CHATELARD, seul
Ils s’éloignent... Le dauphin est agité... Marie interdite... J’ai cru lire dans ses regards... jamais ma présence n’avait produit sur elle une telle impression !...
Il regarde dans la galerie.
Mais la foule se porte dans la galerie... sans doute que la reine Catherine se retire... Quel moment ! que faire ?... Ah ! Marie ! Marie !... je ne peux me résister à moi-même... Me taire est un supplice trop cruel !... je ne me sens plus le courage de le supporter... Vingt fois j’ai voulu fuir... malgré moi, je reviens toujours près d’elle... C’en est fait ! je dois sortir de cet état d’incertitude, plus cruel encore que le malheur... À tout prix... dussé-je trouver l’exil... la mort même... il faut qu’elle connaisse mon amour...
L’orchestre commence en sourdine la ritournelle du morceau suivant.
Voilà son appartement... elle va venir... seule !... Ah ! je reste... je braverai tout.
CHŒUR, dans l’intérieur.
Air : Entendez-vous du bal (De Léonide).
Il faut quitter le bal,
Saluons la belle Marie ;
La soirée est finie
La reine a donné le signal.
CHATELARD, à part.
De crainte et d’espérance,
Mon cœur tremble d’avance ;
Mais voilà qu’on s’éloigne... Silence !
CHŒUR, dans l’intérieur.
Il faut quitter le bal, etc.
À la fin du chœur, Chatelard se glisse derrière la tapisserie d’une croisée, pendant que Marie entre, suivie de quatre de ses femmes. Les rideaux du fond tombent, et ferment l’entrée.
Scène XII
MARIE et SES FEMMES
Marie s’assied auprès de l’orgue, à droite ; ses femmes enlèvent les parures de ses cheveux, son collier, ses bracelets, et se retirent ensuite dans la pièce voisine.
MARIE, à elle-même.
Sourire à tout le monde... quelle contrainte ! malgré mes efforts, on avait donc pu découvrir le secret de mon âme !... ah ! chaque jour ma position à la cour de France devient plus cruelle !
CHATELARD, à lui-même, en se montrant à demi.
Elle est seule !
MARIE, pensive, et regardant autour d’elle.
Enfin me voilà délivrée de tous les regards... Maintenant, je n’ai plus besoin d’imposer silence à mon cœur.
Après un silence.
Et l’on envie notre sort !... Éloignons des idées pénibles... essayons cette ballade que j’ai composée sur un air chéri... et que personne ne doit entendre.
Elle se place devant l’orgue, et s’accompagne. L’orchestre doit imiter le son de l’orgue.
Air : Je suis contente de moi. (De Valentine.)
Au fond du cœur éprouve peine extrême,
Puisque le sort doit, de celui que j’aime,
Pour jamais me séparer...
Ne laissons pas deviner mes alarmes ;
Si, malgré moi, je sens couler mes larmes...
Ah ! cachons-nous pour pleurer.
CHATELARD, à part.
Ô ciel ! qu’ai-je entendu !... l’air que moi-même j’ai composé pour elle !
MARIE.
Même air.
Combien de fois ai maudit la puissance,
Qui, pour toujours, va causer ma souffrance :
Ne dois plus rien espérer.
Chatelard sort de l’endroit où il se tenait caché.
Sans crainte, hélas ! faut endurer ma peine,
J’ai des sujets, une cour, je suis reine...
Ah ! cachons-nous pour pleurer.
CHATELARD, ne pouvant plus se contenir vient tomber aux genoux de Marie.
Ah ! mon délire l’emporte... Madame, au nom du ciel... écoutez-moi.
MARIE, avec effroi.
Que vois-je ! vous ici !... à cette heure !... imprudent !...
CHATELARD.
Ne refusez pas de m’entendre... J’avais juré de vous cacher éternellement mon secret... Un tel effort était trop pour moi... Oui, Marie ! je vous aime !... je vous aime comme un malheureux en délire... Depuis deux ans... je ne vis, je ne respire que pour vous !... Cent fois j’ai voulu vous oublier... vous fuir !... mais la raison, l’absence... rien n’a pu triompher de mon fatal amour.
MARIE.
Téméraire ! arrêtez...
Troublée, et jetant les regards de tous côtés.
Où suis-je !... qu’ai-je entendu !... C’est devant moi, qu’on ose me braver ainsi ?... Sortez.
CHATELARD.
Je sais que je me perds... mais je reste... qu’importe le sort qui m’attend !... En ce moment, j’oublie et votre rang et le respect que je vous dois... Me taire n’est plus en mon pouvoir... Appelez vos gardes ; faites-moi traîner à l’exil que j’ai mérité... Maintenant j’ai parlé... vous savez mon secret... je puis braver votre pouvoir, puisque je vous ai bravée vous-même.
MARIE.
M’outrager ainsi !... et c’est vous ?...
CHATELARD.
Oh ! oui... en ce moment, je suis coupable, je le sens... je vous outrage !... Mais connaissez-vous comme moi les efforts que j’ai faits... tout ce que m’a coûté un silence aussi cruel !... concevez-vous le tourment de celui qui aime ; et qui, contraint par la reconnaissance... doit peindre pour un autre tout l’amour qu’il éprouve, et demander un bonheur qui va pour jamais lui ravir le sien.
MARIE.
Cessez, cessez ce langage...il m’offense... au nom du ciel ! éloignez-vous...
Chatelard s’éloigne ; Marie reprend d’un ton plus doux.
Chatelard !...
CHATELARD, s’arrêtant.
Eh quoi ! mon nom prononcé d’une voix si douce...
Revenant auprès de Marie et se jetant à ses genoux.
Ah ! Marie ! ne me dites plus que vous êtes reine.
MARIE, avec noblesse.
Si... je le suis... je veux l’être... pour vous plaindre... et vous pardonner...
On frappe à la porte à gauche.
Grand Dieu ! on frappe à cette porte ! Qui peut venir ici ?
On frappe une seconde fois.
Encore !... et personne auprès de moi... Ah ! vous m’avez perdue !
CHATELARD.
Ciel !... où me cacher...
MARIE.
Le dauphin !...
Au moment où la porte s’ouvre, il se place derrière l’orgue.
Scène XIII
CHATELARD, caché, MARIE, LE DAUPHIN
Le dauphin est pâle, s’avance précipitamment et vient s’arrêter près de Marie.
LE DAUPΗΙΝ.
Pour parvenir jusqu’à vous, j’ai bravé toutes les convenances, Madame... mais je me rappelais votre serment... j’ai cru qu’il me donnait le droit d’éclaircir les soupçons qu’on m’avait fait concevoir... car on vous accusait, Madame ; mais je refusais de vous croire coupable... Pourtant une autre voix que la vôtre vient de frapper mon oreille... Vous n’étiez pas seule ici... Votre trouble m’en donne l’assurance.
Silence.
Eh bien ! vous vous taisez... vous refusez de vous justifier à mes yeux... Ah ! votre silence vous condamne... Vous avez abusé mon cœur... Vous vous êtes fait un jeu de mes souffrances !... j’aurais le droit maintenant de vous refuser jusqu’à mon estime.
MARIE, accablée et se couvrant le visage de ses mains.
Ô mon Dieu !
CHATELARD, voyant le trouble de Marie, se précipite aux pieds du dauphin.
Prince, détrompez-vous... La reine d’Écosse mérite, plus que jamais, votre estime, votre admiration.
LE DAUPHIN, exaspéré.
Chatelard !... c’était lui !... et je refusais de le croire !
CHATELARD.
Eh bien ! oui... une folle passion m’a fait oublier le respect que je devais à ma souveraine... J’ai pu compromettre son honneur !... mais il me reste un moyen d’anéantir à jamais le secret que vous venez de découvrir...
Mettant la main sur son épée.
Je saurai l’employer.
MARIE, faisant un mouvement vers lui.
Malheureux !
LE DAUPHIN, à Chatelard.
Arrêtez !... De quel droit disposeriez-vous d’une vie qui n’appartient qu’à votre roi ?
Chatelard fait un pas pour sortir.
Restez, je vous l’ordonne...
À Marie.
Marie, à quelle pensée faut-il maintenant que je m’arrête ?
MARIE.
Aune seule... C’est que la reine d’Écosse avait fait un serment.
LE DAUPΗΙΝ.
Vous me le rappelez, Madame.
MARIE.
Oui, prince... car je veux l’accomplir aujourd’hui même.
LE DAUPHIN.
Que dites-vous ?
MARIE.
Le sir Chatelard ne fut qu’imprudent... vous le deviendriez vous-même, en m’outrageant par des soupçons... Mais Marie cessera bientôt de vous paraître coupable. Tout à l’heure, vous me parliez de votre amour... du prix que vous attachiez à ma main... Eh ! bien, dès cet instant, elle est à vous... la voici... Oserez-vous maintenant soupçonner l’épouse du dauphin.
Elle jette un regard sur Chatelard, qui réprime un mouvement.
LE DAUPHIN.
Ah ! loin de moi des doutes injurieux !... J’osais vous méconnaître... Ah ! Marie, pardonnez à mon amour... à mon égarement.
MARIE.
J’ai tout oublié... mais imitez mon exemple. Grâce pour le coupable !
LE DAUPHIN.
Sa grâce !... mais ne vous a-t-il pas outragée ?... n’a-t-il pas manqué au respect qu’il devait à sa bienfaitrice... à une souveraine ?
MARIE, avec douceur.
Je vous en prie.
LE DAUPHIN, après un moment d’hésitation, et s’approchant de Chatelard.
Chatelard, fléchissez le genou.
CHATELARD.
Fléchir le genou !... Prince, c’est un ordre auquel je n’ai point encore appris à obéir.
MARIE, à Chatelard avec un regard de douceur.
Obéissez.
Chatelard, tenant toujours les yeux fixés sur Marie, s’incline à demi devant le dauphin.
LE DAUPHIN.
Au nom du roi mon père... je t’arme chevalier...
Tirant son épée.
Prends mon épée... et dès demain quitte la France...
Bas, et en le faisant relever.
Tu l’aimais donc autant que moi ?
CHATELARD.
Il ne m’est plus permis de vous répondre... Demain j’aurai quitté ce séjour... pour jamais peut-être... De nouveaux devoirs m’appellent ; je n’oublierai pas que c’est votre épée que je porte.
Passant entre le Dauphin et Marie.
Adieu, Madame...
Au dauphin.
Prince, un temps viendra, sans doute, où vous n’aurez plus le droit de me soupçonner... Alors, si quelque danger vous menace... rappelez-moi, et vous verrez comment un chevalier sait expier une faute.
Final.
Musique de M. Fumery.
CHATELARD.
Prince, je pars !... Adieu, Marie !
En vous quittant, mes derniers vœux
Sont d’exposer pour vous ma vie,
Car elle appartient à tous deux.
MARIE.
Mais ici l’on peut vous surprendre...
Elle va vers la porte du fond à droite.
Ah ! de grâce quittez ces lieux...
Écoutant.
Déjà des pas se font entendre.
Ah ! fuyez... fuyez tous les deux.
À part.
Je l’ai sauvé.
Ensemble.
LE DAUPHIN.
Je suis heureux.
CHATELARD.
Fuyons ces lieux.
MARIE, à mi-voix.
Déjà des pas se font entendre.
LE DAUPHIN et CHATELARD.
Déjà des pas se font entendre.
MARIE.
Éloignez-vous sans plus attendre.
LE DAUPHIN et CHATELARD.
Éloignons-nous sans plus attendre.
LE DAUPHIN.
Oui, je vous quitte ; mais demain
Je présente à la cour l’épouse du dauphin.
Ensemble, à mi-voix.
Sans plus attendre,
Quittez } ces lieux.
Quittons }
MARIE.
Je l’ai sauvé.
LE DAUPHIN.
Je suis heureux !
ENSEMBLE.
Fuyez } ces lieux.
Fuyons }
Adieu.
Le dauphin s’éloigne par le fond ; Chatelard, par une porte latérale. Marie, accablée, fait quelques pas vers la chambre à droite, et s’appuie sur l’orgue.
DEUXIÈME PARTIE
Le théâtre représente une salle gothique de l’hôtel-de-ville de Calais. Elle est fermée par des vitraux coloriés ; des écussons, au chiffre de Marie Stuart, sont suspendus à la muraille ; les armes de France, d’Écosse et d’Angleterre y sont confondues et réunies. Dans le fond, on aperçoit le port et la mer ; à droite, une table recouverte d’un riche tapis : à gauche, une estrade élevée où l’on monte par quelques degrés.
Scène première
MARIE, MARGUERITE, L’ÉCHEVIN, SUITE DES PRINCESSES, PEUPLE DE CALAIS
Au lever du rideau, une foule d’habitants de divers états arrivent, précédés de l’échevin. Marie, en grand deuil de cour, est appuyée sur le bras de la reine de Navarre.
CHŒUR.
Air : Final du premier acte du Hussard de Felsheim.
Hommage à la belle Marie !
Chantons, célébrons son retour ;
Chez nous, comme dans sa patrie,
De chacun elle obtient l’amour.
MARIE.
Je vous remercie, bons habitants de Calais... je n’oublierai pas vos marques d’attachement... Deux ans à peine je fus reine des Français... J’aurais voulu consacrer ma vie au bonheur de ce peuple grand et généreux, mais le sort m’a privée de ce bonheur, en m’enlevant mon royal époux.
L’ÉCHEVIN.
Les ordres de votre majesté ont été exécutés... Tout est disposé pour recevoir l’ambassadeur d’Angleterre dans cette salle de l’hôtel-de-ville.
MARIE.
Je vous remercie de votre zèle... mais ne me rappelez pas l’éclat qui m’environnait... Je ne suis plus votre reine... je ne viens parmi vous que comme votre amie.
Tout le monde s’incline.
CHŒUR.
Hommage à la belle Marie !
Chantons, célébrons son retour ;
Chez nous, comme dans sa patrie,
De chacun elle obtient l’amour.
Pendant ce chœur, la reine de Navarre fait signe à tout le monde de se retirer.
Scène II
MARIE, MARGUERITE, SUITE DE MARIE, dans le fond
MARIE.
Bonne reine ! que de reconnaissance je vous dois... Vos soins m’ont consolée dans toutes mes peines.
MARGUERITE, avec bonté.
N’êtes-vous pas devenue ma fille ?
MARIE.
Ah ! oui... je veux mériter ce titre.
Air du Vaudeville du Maître du Château.
Votre amitié, j’ai su la reconnaître...
Quand je perdis mon époux et mon roi,
Tous les flatteurs, je les vis disparaître ;
Le même instant vous rapprocha de moi.
J’ai vu des cours la grandeur éphémère,
Je n’ai trouvé partout que des ingrats...
Ah ! votre cœur est celui d’une mère,
Car le malheur ne vous éloigne pas.
MARGUERITE.
Allons, allons, bannissez vos souvenirs affligeants.
MARIE.
Tout m’inquiète... me trouble... ma position dans cette France que je n’aurais jamais voulu quitter... la haine jalouse de Médicis, la situation de l’Écosse... l’ascendant de l’Angleterre ; et cet envoyé d’Élisabeth, que vient-il faire ici ? Que veut-il exiger de moi ?... Tenez, bonne tante, c’est à regret que j’ai fui ma solitude de Reims, pour revenir à Calais m’occuper d’une politique à laquelle je voudrais toujours rester étrangère.
MARGUERITE, après l’avoir observée.
Marie, vous cherchez depuis longtemps à me taire un secret.
MARIE.
Un secret ?...
MARGUERITE.
Oui... il date de loin ; mais ma tendresse pour vous me l’a fait deviner.
MARIE.
Que voulez-vous dire ?
MARGUERITE.
Oh ! l’amitié sait deviner bien des choses... Pauvre Marie ! c’est toujours là que vous souffrez.
MARIE, après avoir fait signé à ses femmes de sortir, à Marguerite, avec abandon.
Je n’ai donc rien pu vous cacher.
MARGUERITE.
Non... et je veux vous prouver que je méritais toute votre confiance.
MARIE.
Si c’est un reproche, pardonnez-moi... Je m’efforçais d’être discrète, même envers vous. Je craignais de vous paraître coupable... Hélas ! j’étais reine... la politique m’imposait des devoirs... L’époux qu’elle me força d’accepter, mérita toujours mon estime... mon amitié.
MARGUERITE.
Mais votre cœur... il appartenait déjà à un autre !... et maintenant plus que jamais encore... Moi seule ai su le deviner... comprendre vos chagrins... mais depuis quelque temps, vous êtes libre ; quel projet avez-vous formé ?
MARIE.
C’est sur vous, bonne reine... sur vous, ma meilleure amie, que j’ai compté pour me dicter ma conduite.
Air du Vaudeville du Baiser au Porteur.
J’ai maintenant droit à votre franchise,
Dois-je imposer des devoirs à mon cœur ?
Souvent encor je me trouve indécise
Entre le trône et le bonheur.
MARGUERITE.
Sans hésiter... je prendrais le bonheur...
C’est le cœur seul qui nous le donne ;
De celui-là l’on peut se montrer fier :
Et l’acheter, au prix d’une couronne,
Ce n’est pas le payer trop cher.
MARIE.
Quoi !... vous voudriez ?...
MARGUERITE.
Oui, petite nièce... croyez-moi ; soyez assez philosophe pour suivre les conseils de la vieille reine de Navarre... Ce n’est un devoir pour nous de régner que quand nous nous en sentons la force et le caractère ; mais pour vous, si bonne, si douce, si indulgente... ce trône a des rigueurs qui vous répugneraient bien souvent... Pour vous enfin, Marie, un sceptre serait trop lourd à porter ; et heureusement, vous trouverez bien des gens qui vous en débarrasseront volontiers.
MARIE.
Que j’aime à vous entendre !... ce que vous dites fait tant de bien... Vous avez raison, je ne fus jamais ambitieuse ; et depuis longtemps, ma plus chère envie est de renoncer au pouvoir. Si vous saviez toutes les craintes qui m’assiègent... toujours des idées tristes, des songes pénibles... cette nuit encore, un rêve effrayant a augmenté mes alarmes. Je croyais être sur un vaisseau qui me transportait en Écosse... La France disparaissait peu à peu devant moi, et je pleurai quand je ne la vis plus... On me fit aborder... Ah ! que l’air était lourd ! je respirais à peine... On me conduisit à mon palais... Tout y était triste, lugubre !... Des cris menaçants retentissaient à mon oreille... des hommes armés se précipitaient en foule vers les portes... une femme cruelle fixait sur moi un œil d’envie et foulait aux pieds ma couronne... Un homme... d’une figure effrayante, et qui semblait obéir à ses ordres, s’approcha de moi... un fer étincelait dans ses mains... on jeta un cri affreux... épouvantable !... et je m’éveillai.
MARGUETITE.
Marie !... quelle agitation !... calmez-vous.
MARIE.
Oh ! jamais ce rêve affreux ne sortira de ma pensée.
MARGUERITE.
Vous êtes un enfant... Mais on vient... plus de raison... À d’autres yeux, ces craintes puériles paraîtraient de la faiblesse.
Scène III
MARIE, MARGUERITE, BRANTÔME, en costume de voyage
MARGUERITE.
Eh ! mais... c’est mon envoyé...
À Marie.
car j’ai aussi mon ambassadeur, moi...
Marie va s’asseoir auprès de la table à droite. À Brantôme.
Approchez... Eh quoi ! Messire, c’est vous ?... déjà de retour ?
BRANTÔME.
Oui, Majesté... vous savez que j’ai toujours à cœur de vous prouver mon activité... J’ai crevé trois chevaux... j’ai sué sang et eau... et votre chargé de pouvoirs est trop heureux de se sentir moulu ; rompu, harassé... pour votre royal service.
MARGUERITE, le prenant à part.
Au moins, avez-vous réussi ?
BRANTÔME.
Au-delà de vos désirs.
MARGUERITE, après avoir regardé Marie qui est triste et pensive.
Bien... mais taisez-vous...
BRANTÔME.
Oui, Majesté.
MARGUERITE, allant auprès de Marie.
Eh bien ! toujours pensive !...
Marie se lève.
Nous ne vaincrons donc jamais cette mélancolie ?... Pourtant quand on a des amis, à qui l’on s’est confiée... on peut tout attendre d’eux. Espérez encore... le bonheur n’est peut-être pas si loin que vous le présumez.
MARIE.
Que voulez-vous dire ?
MARGUERITE.
Plus tard vous me comprendrez.
MARIE.
Allons, j’aime à vous croire... et je vais espérer... puisque vous le voulez.
MARGUERITE.
Moi, je reste ici... j’ai un tête-à-tête obligé avec mon ambassadeur.
BRANTÔME, à part, pendant que Marguerite conduit amicalement Marie jusqu’à la porte de son appartement.
Un tête-à-tête !... mon cœur est défaillant... mes genoux se dérobent sous moi.
Marie sort en faisant un signe d’adieu à Marguerite, qui, après s’être assurée qu’il n’y a personne, revient et s’approche de Brantôme avec mystère.
Scène IV
MARGUERITE, BRANTÔME
MARGUERITE.
Chut !... nous sommes seuls ?
BRANTÔME.
Absolument seuls.
MARGUERITE.
Eh bien !... n’avez-vous rien à me dire ?
BRANTÔME.
Majesté ! je voudrais... certes, je pourrais... mais je n’oserais... le respect...
MARGUERITE.
Il ne s’agit pas de votre respect, mais seulement de votre mission.
BRANTÔME, comme piqué.
C’est juste, Madame... auprès de vous on peut tout oublier... Vous me rendez à moi-même... J’ai exécuté ponctuellement vos ordres... J’ai trouvé le comte dans un vieux manoir, au fond de la Normandie, vivant retiré dans une solitude, presque comme un ermite. Ce n’est pas sans quelque émotion qu’il m’a reconnu. Je lui ai remis vos dépêches ; il apâli... s’est troublé... « Messire, m’a-t-il dit, retournez près de la reine de Navarre, et assurez-la que demain je serai à Calais... » Et, selon toute apparence, il doit être déjà arrivé.
MARGUERITE.
J’en étais sûre... Et lui avez-vous indiqué l’heure et le lieu du rendez-vous ?
BRANTÔME.
Oui, princesse.
MARGUERITE.
Vous n’avez pas commis d’indiscrétion ?
BRANTÔME.
Cela m’était impossible, Majesté.
MARGUERITE.
Vous n’avez parlé que de moi ?
BRANTÔME.
Je le devais... j’ai obéi sans murmurer.
MARGUERITE.
Bien... je suis contente de vous.
BRANTÔME.
Mais oserai-je à mon tour vous demander quel intérêt si grand vous inspire le jeune comte de Savenay ?
MARGUERITE, riant.
Rassurez-vous... cet intérêt-là n’a rien qui doive vous inquiéter.
BRANTÔME.
Cependant, pour prix de tant de zèle... de soins... n’obtiendrai-je pas une récompense ?
MARGUERITE.
Si fait... si fait... tenez, voici ma main à baiser.
Elle la lui présente.
BRANTÔME, après l’avoir baisée avec transport.
Ah !...
MARGUERITE.
Et dès cet instant vous serez mon chevalier.
BRANTÔME.
Chevalier !
MARGUERITE.
Mon favori.
BRANTÔME.
Favori !
Marguerite rentre dans l’appartement de Marie, en souriant à Brantôme, et en lui faisant comme des signes d’intelligence.
Scène V
BRANTÔME, seul, après l’avoir suivie du regard, et dans l’extase
Favori !... l’ai-je bien entendu !... Heureux Brantôme !... Mais peut-être n’ai-je pas été assez hardi... Si j’avais osé... Ah ! c’en est fait... dès cet instant, j’aurai du courage, de l’audace... j’irai jusqu’à la témérité.
Scène VI
BRANTÔME, CHATELARD
BRANTÔME.
Mais si je ne me trompe... c’est le comte lui-même.
CHATELARD, entrant.
Est-ce bien ici ?
BRANTÔME.
Oui... entrez.
CHATELARD.
Que viens-je d’apprendre ?... la reine d’Écosse a quitté le château de Reims !... elle est à Calais !... Instruisez-moi, Brantôme... Depuis la mort du roi François II, quelques dangers menaceraient-ils Marie
Stuart ?
BRANTÔME.
Non pas que je sache, cher comte.
CHATELARD.
Mais quel a été le but de la reine de Navarre, en m’arrachant à ma solitude ?
BRANTÔME.
Vous saurez tout... Je vous avoue, mon cher Chatelard, que j’avais eu d’abord la faiblesse de m’en alarmer... mais j’ai eu le bonheur de faire une méprise.
CHATELARD.
Je ne vous comprends pas.
BRANTÔME.
Et moi, je ne puis vous en dire davantage... Je ne suis près de la reine qu’un être passif... Mais je crois entendre... Oui, ce sont elles... nous allons tout savoir.
Scène VII
MARIE, MARGUERITE, BRANTÔME, CHATELARD
Marie est revêtue des attributs de la royauté et des cordons de ses ordres.
Quatuor.
MARGUERITE, bas à Marie, qu’elle amène par la main.
Approchez-vous, petite amie,
Quelqu’un est là... qui vous attend.
MARIE fait quelques pas.
Ô ciel !
Elle a reconnu Chatelard.
CHATELARD, s’inclinant.
Je vous revois, Marie.
MARIE et GHATELARD.
Ah ! quel trouble mon cœur ressent !
MARGUERITE, bas à Marie.
Eh bien ! m’en voulez-vous ?
MARIE, bas, en lui pressant les mains sans être vue.
Non, je vous remercie.
Ensemble.
MARIE et CHATELARD.
Enfin, après deux ans d’absence,
En cet instant, je le } revois.
C’est elle encor, je la }
Cachons mon trouble en sa présence,
Il me trahirait malgré moi.
MARGUERITE.
Après une longue absence,
Leur embarras, je le conçois...
Bientôt, j’aurai ma récompense ;
Car leur bonheur viendra de moi.
BRANTÔME.
Après une longue absence,
Tout leur bonheur, je le conçois ;
Sur le mien gardons le silence,
Je me trahirais malgré moi.
BRANTÔME.
Ah ! princesse, combien je m’estime heureux d’avoir pu prendre quelque part...
MARGUERITE.
Chut ! chut !... vous parlez beaucoup... Vous devenez trop ambassadeur. Bornez-vous à votre emploi de favori... Un chevalier courtois doit être soumis aux volontés de sa dame.
BRANTÔME.
C’est son premier devoir.
MARGUERITE, le prenant à part.
Eh bien !... allez-vous-en.
BRANTÔME.
Ah !... à la bonne heure... Il s’incline et sort sur un nouveau signe de la reine.
Scène VIII
MARIE, MARGUERITE, CHATELARD
MARGUERITE.
C’est moi, chevalier, qui vous ai fait appeler ; mais ce n’est pas moi qui vous attendais.
Bas à Marie.
Me pardonnez-vous, reine, d’avoir usurpé vos droits ?
MARIE, bas.
Oui, bonne amie, je vous pardonne.
CHATELARD.
Mon émotion ne doit pas vous surprendre, Madame... Quelle eût été ma joie, si j’avais retrouvé la reine d’Écosse heureuse !... mais jugez de ma douleur, en revoyant ici la veuve de François II.
MARIE.
Vous avez perdu aussi un ami sincère, sire Chatelard.
CHATELARD.
Tous mes vœux eussent été de le revoir encore... et de remplir tout entier le serment que je lui avais fait en votre présence... Pourtant j’ai trouvé la force d’accomplir ma promesse.
MARIE.
Oui, vous aviez juré d’anoblir votre épée... et vos succès ne sont pas restés ignorés.
CHATELARD.
J’ai voulu prouver du moins que j’étais digne des faveurs qu’on daigna m’accorder... Banni de cette cour de France, où je ne devais plus reparaître, les champs de la Catalogne révoltés m’offrirent seuls un refuge, où, par un peu de gloire, je pouvais encore expier ma faute... et me rendre digne de reparaître à vos yeux. On admirait partout mon courage ; mais on ne pouvait comprendre mon secret... Personne n’avait deviné celle dont l’image chérie me faisait braver tous les dangers.
Air : Soldat français, né d’obscurs artisans.
Son souvenir, au milieu des combats,
Resta toujours présent à ma mémoire.
Quand j’appelais les dangers sur mes pas,
Je ne pouvais rencontrer que la gloire.
En tous lieux j’affrontais la mort,
Amon serment, pour demeurer fidèle,
Dans mon malheur, toujours le sort
Me condamnait à vivre encor,
Quand je voulais mourir pour elle.
MARIE, cherchant à cacher son émotion.
Votre gloire, comte de Savenay, vous la devez à vous-même... Les récompenses dont le roi votre maître se plut à vous honorer, étaient le prix de vos loyaux services.
CHATELARD.
Ah ! Madame !... ces titres, ces honneurs, que tous les autres chevaliers se seraient montrés fiers d’obtenir, eurent peu de prix à mes yeux. Une seule idée m’occupait sans cesse... celle de vous revoir, de vous entendre prononcer vous-même mon pardon... Dans ma retraite, dans mon exil, pas un jour, pas un instant ne s’est écoulé sans que votre image ne vint doubler encore et mes regrets et mes tourmens... Je devais pour toujours être éloigné de vous... Enfin, je vous revois... mes vœux sont exaucés ; mais rien, jusqu’à la mort, n’aurait pu me faire trahir le devoir qui m’était imposé.
MARIE, bas à la reine de Navarre.
Oh ! vous aviez raison, reine ; j’aurais trop à souffrir !... j’aime mieux être heureuse.
MARGUERITE, à Brantôme qui entre.
Ah ! c’est encore vous, messire Brantôme ?
Scène IX
MARIE, MARGUERITE, BRANTÔME, CHATELARD
BRANTÔME.
Pardon, Majesté... si j’ose vous interrompre... mais l’arrivée de l’envoyé d’Angleterre...
MARIE, troublée.
Déjà !... je l’avais oublié.
BRANTÔME.
Le comte d’Essex est sur mes pas.
MARIE.
On va l’introduire dans cette salle d’audience... je ne tarderai pas à le recevoir.
MARGUERITE.
Air : Je serais fier d’en être le parrain.
Je n’entends rien à la diplomatie,
La politique est peu de mon emploi ;
Mais s’il s’agit du bonheur de Marie,
Je serai là... Ma nièce, appelez-moi.
Comte de Sauvenay, vous m’accompagnerez.
Chatelard s’incline devant Marie, lorsqu’elle sort. La reine de Navarre donne la main à Chatelard, au moment où Brantôme s’apprête à lui offrir la sienne.
BRANTÔME.
Mais, princesse, il me semble...
MARGUERITE, souriant.
Ah ! ah ! ah ! ah ! pardon, je n’y songeais plus.
Même air.
Permettez-moi d’accepter son hommage,
Pour me guider, si je le prends ici...
Petit jaloux, n’en prenez point d’ombrage,
Vous n’en serez pas moins mon favori.
BRANTÔME, s’inclinant.
J’obéis encore, Majesté... j’obéirai toujours.
Marguerite sort avec Chatelard.
Scène X
BRANTÔME, LE COMTE D’ESSEX, DEUX OFFICIERS ANGLAIS
LE COMTE, introduit par un des officiers de Marie Stuart.
Aux officiers, avec fierté.
Messieurs, allez prévenir votre souveraine que le comte d’Essex attend son audience.
BRANTÔME, avec importance.
Sa Majesté ne peut tarder à paraître, Milord... elle est instruite de votre arrivée.
LE COMTE, regardant les écussons qui ornent la salle.
Mais que vois-je !... partout des écussons au chiffre de Marie... où l’on a réuni les armes d’Angleterre à celles de France et d’Écosse... aurait-on voulu offenser en ma personne l’orgueil de la nation anglaise ?
BRANTÔME.
À Dieu ne plaise, Milord... quoique depuis longtemps Élisabeth ajoute à ses titres celui de reine de France ; et pourtant...
LE COMTE, brusquement.
N’avons-nous pas conquis ce droit à la journée d’Azincourt... et lorsque Henri V fut couronné à Paris ?
BRANTÔME.
Mais votre grâce ne peut avoir oublié que, deux cents ans auparavant, nous avions vaincu à Bouvines... que notre roi Louis VIII s’était fait aussi couronner à Londres... et que la prise récente de Calais vous à enlevé cette précieuse et dernière clé de la France.
LE COMTE.
Qui êtes-vous, pour me tenir untel langage ?... Vous oubliez, je le vois, que vous parlez à l’envoyé de la reine d’Angleterre.
BRANTÔME.
Son favori même, je le sais... Je n’aurais peut-être rien à vous céder à cet égard, Milord... Quoique modeste historien, je suis aussi favori d’une reine... et je ne sache pas que notre vieille chevalerie française doive céder le pas, même devant les plus hauts gentilshommes d’Angleterre et d’Irlande.
LE COMTE.
De par saint Georges ! Messire... voudriez-vous établir une comparaison de gloire entre nos armes ?
BRANTÔME, avec ironie.
Une comparaison ?... Bien loin de là, Milord... quoique voisins, nous ne nous ressemblons guère.
Air : Aux temps heureux de la chevalerie.
Déjà les fastes historiques
Ont pu juger nos deux peuples rivaux ;
Vous avez de fins politiques,
Nous possédons quelques héros.
Dans vos revers, comme dans vos conquêtes,
L’adresse est de votre côté :
Et nous avons, même dans nos défaites,
Le courage et la loyauté.
UN OFFICIER, annonçant.
La reine.
BRANTÔME, se retirant avec importance.
Voici Sa Majesté...
À lui-même.
Je suis content de moi... l’honneur national est sauvé.
Scène XI
LE COMTE, MARIE et SA SUITE
Marie, en entrant, va se placer sur l’estrade à gauche ; deux de ses femmes sont à la droite et à la gauche de l’estrade, ses officiers sont dans le fond.
LE COMTE, à part.
Que vois-je ! c’est là cette jeune reine d’Écosse !... Quelle éclatante beauté ! Je comprends maintenant la haine d’Élisabeth.
MARIE.
Approchez, Milord... j’augure favorablement du motif qui vous amène à Calais, par le choix qu’a fait de vous notre sœur d’Angleterre.
LE COMTE.
J’ai plus encore le droit de m’en féliciter, envoyant Votre Majesté... Jamais tant de beauté n’avait frappé mes regards. Si tous les sujets d’Élisabeth connaissaient celle qui aurait pu les gouverner, elle courrait risque de voir diminuer le nombre de ses plus dévoués serviteurs.
MARIE.
De grâce, comte d’Essex, cessez ce langage... Depuis la mort de mon époux, je suis peu habituée à entendre des flatteurs. Pensez plutôt aux intérêts de celle qui vous envoie... Veuillez prendre place, et nous faire connaître le motif de votre mission... Nous sommes prête à vous écouter.
Elle s’assied, et fait signe au comte de s’asseoir sur le siège qu’un officier a placé derrière lui.
LE COMTE.
La reine, ma souveraine, n’a d’autre but aujourd’hui que de pacifier vos deux nations... Ce sont vos intérêts plus que les siens qu’elle a consultés en me députant vers vous... Elle vous offre l’entrée libre de ses ports ; le secours de ses armées contre l’insurrection des puritains d’Écosse. Un vaisseau d’honneur vous attend dans la rade de Calais... Consentez à me suivre, à paraître à sa cour... Le palais de Whitehall sera votre demeure et la sienne... et l’Europe entière applaudira à cette alliance de deux reines puissantes. Pourtant de concessions, la seule qu’elle vous impose, c’est d’accepter le traité d’Édimbourg... de renoncer pour le moment à vos droits à la couronne d’Angleterre, dont elle vous assure la possession après elle comme à son héritière légitime.
MARIE.
Notre sœur ne m’avait pas encore montré tant de générosité... Elle croit à mon ambition ; c’est peu me connaître... Reine au berceau, je n’ai appris qu’à redouter la puissance... Rassurez la fille de Henri VIII, Milord, et dites-lui que, loin de prétendre à une double couronne, Marie, au contraire, voudrait pouvoir lui céder tous ses droits à la royauté... La paix est mon plus cher désir, et je ferai tout pour l’assurer. Je veux bien croire à la bonne foi d’Élisabeth... mais le souvenir de sa conduite envers la régente ma mère m’empêchera de consentir jamais à me rendre dans ses états.
LE COMTE.
Songez, Madame, qu’en perdant l’appui de l’Angleterre...
MARIE.
J’ai celui des Français !... Ceux-là, je puis compter sur eux.
LE COMTE.
Enfin, Madame, que dois-je répondre à ma souveraine ?
MARIE, pensive.
Je ne puis vous le dire encore... Avant j’ai besoin de consulter quelqu’un dont la réponse doit me dicter la mienne... Dans une heure, je vous reverrai, milord.
Le comte s’incline et sort.
Scène XII
MARIE, SUITE
MARIE, à un officier.
Qu’on cherche le comte de Savenay...
Elle fait signe à toutes les personnes de sa suite de sortir.
Je devine le but secret d’Élisabeth... Son empressement à m’appeler dans le palais de Whitehall n’est qu’un piège... en gardant ma couronne, je n’aurai que des ennemis ! et je le sens, mon rêve s’accomplirait un jour... Ah ! c’en est fait, maintenant je suis décidée... Pour la première fois l’espérance du bonheur vient d’entrer dans mon âme.
Elle s’approche de la table, y dépose sa couronne et quelques ornements royaux.
Ah ! je me sens soulagée !
En regardant sa couronne.
Air : Je pense à vous, pensez à moi.
Du pouvoir trop brillant emblème,
De votre éclat mon front n’est plus jaloux ;
Pour être heureuse, auprès de ce que j’aime ;
Je n’aurai plus besoin de vous.
Ah ! cet instant devient un jour de fête !
Et votre aspect ne peut plus m’attrister...
Quelques fleurs vont parer ma tête,
Je ne dois pas vous regretter.
Apercevant Chatelard qui entre, introduit par un officier.
Le voilà !... je me croyais plus de force.
Scène XIII
MARIE, CHATELARD
CHATELARD, défait et troublé.
Pardonnez-moi, Madame, de me présenter devant vous dans un tel moment... Mais je n’ai pu m’empêcher d’obéir à mon cœur, à ma reconnaissance.
Regardant autour de lui.
Je puis donc vous le dire maintenant... C’est vous ! vous seule qui m’avez secouru, protégé dans mon exil... J’étais coupable... vous deviez me haïr... et vous ne m’avez puni que par des bienfaits.
MARIE.
Qu’avez-vous, sire Chatelard ?... quel trouble semble vous agiter ?
CHATELARD.
En effet, Madame... j’ai peine à vous cacher mon émotion... Le peu d’instants que j’ai passés dans ce palais a fait renaître tous mes tourments... Aussi, je ne veux pas plus longtemps rester en ces lieux... en y demeurant, j’aurais de nouveaux reproches à me faire... Permettez-moi de m’éloigner à l’instant même.
MARIE.
Pourquoi tant me redouter ? restez, et écoutez-moi... Autrefois, si vous aviez un secret, peut-être en avais-je un aussi... Quand des études chéries nous rapprochaient souvent l’un de l’autre... quand je vous rencontrais, ce dédain, cette froideur, que vos regards semblent me reprocher... ah ! qu’ils étaient loin de mon cœur !... Je souffrais ; mais en silence ! Je ne pouvais me confier à personne ; et je me soumis, sans laisser deviner mes regrets. Tout changea pour moi !... des habits de deuil remplacèrent bientôt mes habits de fête... On me plaignit... J’étais à plaindre en effet... Pourtant une consolation me restait encore... celle d’être libre, de n’avoir plus de joug à m’imposer... Enfin, une amie me consola, me guida par ses conseils... Je consentis à lui obéir... Et mon titre de reine... ces honneurs qui font l’ambition de tous... je formai le projet d’y renoncer pour toujours. Oubliée des cours et du monde, me suis-je dit, je ne serai plus entourée d’hommages ; je n’aurai plus de puissance ; mais je vivrai pour lui seul !... et je serai heureuse !
CHATELARD, à part.
Qu’entends-je !... Ah ! ma raison s’égare.
MARIE.
Autrefois, on ne pouvait m’approcher sans m’outrager ; mais maintenant je ne suis plus reine... Parlez.
CHATELARD.
Malheureux !... Marie, laissez-moi fuir.
MARIE.
Qu’avez-vous ?
CHATELARD.
Celui vers lequel vous daignez abaisser vos regards...
MARIE.
Eh bien ?
CHATELARD.
Déjà le devoir l’avait guidé... Pour ne pas manquer à son serment, il s’était condamné à être éternellement malheureux... sa main appartient à une autre.
MARIE, anéantie.
À une autre !
À part.
Ce coup m’était réservé.
CHATELARD.
Ah ! Marie... pourquoi vous ai-je revue ?... pourquoi venez-vous de détruire l’erreur qui m’abusait encore ?... Lorsque le sort me séparait à jamais de vous... errant, fugitif, partout je cherchais une consolation ; je ne trouvais que la douleur... Je crus alors qu’il était possible de contraindre son cœur... que la raison, que l’absence... qu’enfin un lien sacré pourraient triompher d’un amour si funeste... eh bien ! non... mes efforts n’ont fait qu’augmenter mes tourments.
MARIE, très émue, mais avec fermeté.
Chatelard !... vous êtes donc bien malheureux ?
CHATELARD.
Autant qu’on peut l’être, quand on aurait pu être aimé de Marie, et qu’on la perd pour jamais.
MARIE, se couvrant le visage de ses mains.
Ah !...
Reprenant son calme.
Eh bien ! j’accepte mon destin...
Elle appelle.
À moi...
Haut avec fermeté, à un officier de sa suite, après avoir essuyé quelques larmes.
Qu’on introduise le comte d’Essex... qu’on prévienne la reine... qu’on avertisse les personnes de ma suite...
À Chatelard, qui va pour sortir.
Comte de Savenay, restez...
À part et avec fermeté.
Le sort le veut ; je serai reine.
Scène XIV
MARIE, CHATELARD, MARGUERITE, LE COMTE D’ESSEX, BRANTÔME, SEIGNEURS, DAMES, GARDES, PEUPLE DE CALAIS
MARGUERITE, bas à Marie.
Eh bien ! Marie ?
MARIE.
Mon sort est fixé maintenant.
Au comte d’Essex.
Milord, allez dire à Élisabeth que Marie Stuart quitte pour toujours la France... Ce n’est qu’à Édimbourg, au milieu des pairs du royaume, que je ferai connaître ma réponse à votre souveraine... J’accepte le vaisseau qu’elle veut bien m’offrir... mais permettez que je n’y sois accompagnée que par des Français... Notre sœur ne pourra me blâmer... leur attachement pour moi mérite bien un peu de reconnaissance.
MARGUERITE, tristement.
Eh quoi ! vous nous quittez ?
MARIE.
Je suis condamnée au malheur... il faut régner... Oui, ma meilleure amie... je le dois maintenant... pensez encore quelquefois à la pauvre Marie...
À Chatelard, en lui donnant un collier de l’ordre écossais.
Comte, recevez de ma main l’ordre royal d’Écosse ;
Chatelard s’incline devant elle.
qu’il vous rappelle que Marie s’est pour toujours éloignée de la France.
Au comte d’Essex.
Milord, veuillez donner le signal du départ.
Le comte donne un ordre à un de ses officiers qui sort aussitôt. On entend le canon, les portes du fond s’ouvrent, on voit le port de Calais et un vaisseau appareillé.
Final.
MARIE prend la main de la reine de Navarre, et lui dit bas.
Il faut régner, le sort l’ordonne,
Hélas ! je vous l’avais prédit...
Je dois reprendre la couronne,
Vous le voyez, mon rêve s’accomplit.
Faisant quelques pas vers le fond.
Adieu, gentil pays de France
Adieu, France !... adieu, mes amours !
Séjour de mon heureuse enfance,
Adieu ! France ! adieu mes beaux jours !
CHŒUR GÉNÉRAL.
Offrons à la belle Marie,
Et nos regrets, et notre amour ;
Puisse le ciel, dans sa patrie,
Protéger son heureux retour.
Tout le monde est tourné vers Marie qui s’éloigne. Marie prend la main de la reine de Navarre et se dirige vers le fond du théâtre, après avoir jeté un regard douloureux sur Chatelard. Le comte d’Essex la suit. Tout le monde se groupe avec empressement sur son passage. Le canon se fait entendre.