La Fausse antipathie (Pierre-Claude NIVELLE DE LA CHAUSSÉE)

Comédie en trois actes et en vers avec un Prologue et la Critique de cette pièce.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain, le 27 avril 1744.

 

Personnages du Prologue

 

LE GÉNIE de la Comédie Française

LA FOLIE

LE BON-SENS

UN BOURGEOIS

UNE PRÉCIEUSE

UN CRITIQUE

UN PETIT-MAÎTRE

UN HOMME SENSÉ

THALIE

 

La scène est sur le Théâtre de la Comédie Française.

 

Personnages de la Comédie

 

LÉONORE

DAMON, amant de Léonore

GÉRONTE, oncle de Léonore

ORPHISE, femme de Géronte

FRONTIN, valet de Damon

NÉRINE, suivante de Léonore

 

La scène est dans une Maison de campagne de Géronte.

 

 

À MESSIEURS DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

 

MESSIEURS,

Permettez-moi de mettre sous vos auspices, ces essais d’une muse qui vous était déjà dévouée, et qui reconnaît ne devoir attribuer ses succès qu’à vous seuls, c’est un témoignage public qu’elle doit aux bontés et aux secours qu’elle a reçus des illustres Amis que son bonheur lui a procurés parmi vous. Oui, MESSIEURS, la seule reconnaissance fera tout le prix de l’hommage que vous rend un de vos nourrissons ; c’est en cette qualité, que j’ose vous offrir un tribut que vous m’avez aidé à payer ; c’est le fruit de vos leçons que je vous présente et dont je vous rends grâce. Je suis avec un très profond respect,

MESSIEURS,

Votre très humble et très obéissant Serviteur,

 

NIVELLE DE LA CHAUSSÉE

 

 

PROLOGUE

 

 

Scène première

 

LE GÉNIE de la Comédie Française, seul

 

On ne se plaindra plus que je suis indocile :

Sur le goût du Public je vais être éclairci :

Lui-même, il m’apprendra ce secret difficile...

Que vois-je ? La Folie et la Bon-Sens aussi !

 

 

Scène II

 

LE GÉNIE, LA FOLIE, LE BON-SENS

 

LA FOLIE.

Si je n’étais pas la Folie,

Oh ! je voudrais être Thalie :

Son projet est digne de moi.

LE GÉNIE.

Voulez-vous bien me dire en quoi ?

LA FOLIE.

Ah ! L’extravagance est complète.

LE GÉNIE.

Si vous ne daignez pas vous en expliquer mieux...

LA FOLIE.

Comment ? Vous ajournez le Public en ces lieux,

Pour le mettre sur la sellette ;

Et lui faire avouer en quoi, comment, par où,

On peut le contenter ? Eh ! mais rien n’est plus fou.

Demander au Public le secret de lui plaire !

Vous allez bien l’embarrasser.

LE GÉNIE.

Vous m’étonnez. Puis-je mieux faire ?

À qui faut-il donc m’adresser ?

LA FOLIE.

À tout autre. Sait-il ce qu’il veut, ce qu’il aime,

Lui, qui ne fut jamais d’accord avec lui-même ?         

Ne lui demandez pas ce qu’il ne jamais su.

Ce qui le détermine est toujours imprévu :

Le Caprice est son guide et sa loi naturelle :

Son goût est pour lui-même une énigme éternelle.

LE BON-SENS.

Le Public n’est pas tel que vous le dépeignez ;

Du moins, le véritable : et vous vous méprenez.

LA FOLIE.

Qu’appelez-vous le véritable ?

Combien en comptez-vous ?

LE BON-SENS.

Autant qu’il est de gens,

Dont les goûts sont entre eux plus ou moins différents.

Le moindre cercle usurpe un nom si respectable ;     

C’est là qu’un suffisant décide à tout hasard,

Suivant les préjugés, les goûts, et les usages

De tous ces différents et Faux Aréopages,

Chaque Société forme un Public à part :

Mais il en est un autre, et c’est le véritable,      

Le moins nombreux de tous, et le plus redoutable,

Qui sait ce qui lui plaît, qui sait ce qu’il lui faut,

Qui, tous les jours ici, le déclare assez haut.

N’attendez pas de lui ces louanges frivoles,

Ces ris contagieux, ces éclats indécents,

Enfants de l’ignorance, ennemis du bon-sens,

Qu’excite tous les jours aux pièces les plus folles,

Un premier mouvement qui ne se soutient pas.

Sa joie et ses plaisirs ne sont point un délire,

Un accès passager qui n’a qu’un faux appas :

Il ne rougit jamais de ce qui l’a fait rire ;

Ce Public m’appartient, les autres sont à vous.

LA FOLIE.

Bon-Sens, vous radotez. Ils m’appartiennent tous,

De quel droit venez-vous ici me tenir tête ?

LE BON-SENS.

Ou par droit naturel, ou par droit de conquête.          

LA FOLIE.

Vous allez discourir, et m’ennuyer à mort.

Eh, que m’importe, à moi, d’avoir raison, ou tort ?

Ici la préséance entre nous est réglée.

LE BON-SENS.

Ne vous lassez-vous point de vous y voir sifflée ?

Vous l’êtes tous les jours ; jamais je ne le fus.

LA FOLIE.

On m’aime ; et l’on vous craint : Voilà la différence.

Lorsque vous paraissez, on baille ; et rien de plus.

Ah ! Je ressens déjà l’effet de sa présence.

Elle baille.

Oh ! Vous allez jouer un rôle fort plaisant.

LE BON-SENS.

On va plaider ma cause, et j’y serai présent.

LA FOLIE.

Tant pis.

LE BON-SENS.

Peut-être.

 

 

Scène III

 

LE GÉNIE, LA FOLIE, LE BON-SENS, UNE PRÉCIEUSE, UN BOURGEOIS, UN CRITIQUE, UN ADMIRATEUR, UN HOMME SENSÉ

 

Ils font tous amitié au Bon-Sens.

LA CRITIQUE, caressant le Bon-Sens, à la Folie.

Ah ! Serviteur, Déesse.

LA FOLIE.

D’où vient donc que ces gens lui font tant de caresses ?

LA CRITIQUE, au Bon-Sens.

Ah ! parbleu, mon Patron, je vous sers assez bien,

Envers et contre-tous ; je ne ménage rien.

Vous êtes ce que j’ai de plus cher au monde.

Sans cesse, à tout propos, je critique, je fronde.

Malheur à tous les sots, y compris les Auteurs ;

Sans compter les Admirateurs.

Il fait une révérence à l’Admirateur.

Quand, suivant leur coutume, ils vous font quelque outrage,

Ventrebleu ! je m’élève, et contre eux je fais rage.      

LE BON-SENS.

Je vous suis obligé. Mais loin de me servir,

Si vous continuez, vous me ferez haïr.

LA PRÉCIEUSE.

Le sexe dont je suis ne vous rend guère hommage ;

Mais je déroge à notre usage,

Et mets en non-valeur ma dispense de vous.

Je veux bien vous devoir mes charmes les plus doux.

L’ADMIRATEUR.

Madame fait valoir la moindre bagatelle.

Personne, en vérité, ne s’exprime comme elle.

LA CRITIQUE.

Tant pis, morbleu.

LA FOLIE.

Voyons ; ce n’est pas d’aujourd’hui

Que je vois les plus fous se réclamer de lui.

LE BOURGEOIS, au Bon-Sens.

Touchez-là, notre ami ; je suis aussi le vôtre.

Demandez à ma femme, à qui, soir et matin,

je vous prône sans cesse ; et c’est, comme dit l’autre,

Perdre son temps et son latin.

LE GÉNIE.

Vous savez l’embarras que mon emploi me donne ;

Je suis chargé du soin de vos amusements.

Je voudrais, s’il se peut, ne déplaire à personne ;

Et réunir enfin vos applaudissements.

Donnez m’en le secret ; vous le savez ?

TOUS.

Sans doute.

LE GÉNIE.

Convenez entre vous ; déterminez ma route ;

Et vous serez servis au gré de vos désirs.

Dites-moi votre goût ; ordonnez vos plaisirs.

LA FOLIE.

Qui, mieux que moi, peut vous le dire ?

N’est-ce pas moi qui les inspire ?

LE BOURGEOIS.

Or sus, pour commencer, tout d’abord je conclus      

Que la meilleure pièce est où l’on rit le plus.

Pour moi, la plus joyeuse est celle où je me livre.

Du reste, serviteur ; je m’ennuie en entrant ;

Et fut-elle un chef-d’œuvre, et propre à faire un livre

Malgré moi, ventrebleu, je baille, en admirant.           

L’ADMIRATEUR.

Oui, j’aimerais assez une Pièce égayée.

LE BOURGEOIS.

En un mot, j’aime à rire, à gorge déployée.

LA PRÉCIEUSE.

Est-ce qu’on rit encore ?

LE BOURGEOIS.

Est-ce qu’on ne rit plus ?

Vous me la donnez belle ! Et, par quelle aventure...

LA PRÉCIEUSE.

La joie est tombée en route.         

LE BOURGEOIS.

Et le Bon-Sens aussi. Je m’en moque. Au surplus,

Je veux rire ; ou sambleu ! Je prendrai ma revanche,

Monsieur l’Ordonnateur, adieu, jusqu’à Dimanche.

 

 

Scène IV

 

LE GÉNIE, LA FOLIE, LE BON-SENS, LA PRÉCIEUSE, LE CRITIQUE, L’ADMIRATEUR, L’HOMME SENSÉ

 

LE BON-SENS.

Et d’un Public.

LA FOLIE.

Eh bien ? Celui-là par hasard

N’est-il point à vous ?

LE BON-SENS.

Non : je n’y prends point de part.

LA FOLIE.

Ainsi du reste.

Au Critique.

À vous, caustique impitoyable.

LE GÉNIE.

Dites-nous votre avis. Que trouvez-vous de bon ?

LE CRITIQUE.

Rien.

LE GÉNIE.

Rien ?

LE CRITIQUE.

Oui, rien de bon, ni même de passable.

LE GÉNIE.

Vous ne louez donc jamais ?

LE CRITIQUE.

Non ;

Je n’en eux de mes jours la sotte complaisance.

LE GÉNIE.

Quoi, vous n’approuvez rien ?

LE CRITIQUE.

Je n’ai jamais été

Réduit à cette extrémité !

Et pour n’y pas tomber, je blâme tout d’avance.

Le titre de l’Ouvrage, et le nom de l’Auteur,

Suffisent pour cela, quand on est connaisseur.

C’est le Bon-Sens qui fait que jamais je ne loue.

LE BON-SENS

Moi ? Soyez assuré que je vous désavoue.

Je n’approuvai jamais cette extrême rigueur

Que l’on exerce autant par air, que par humeur.

Mais au contraire, je me prête ;

En faveur des beautés, je fais grâce aux défauts.

Trop de délicatesse est souvent indiscrète.

Un dégoût général désigne un esprit faux.

Qui n’est jamais content, n’est pas digne de l’être.

Tel épluche un Ouvrage, en croyant s’y connaître

Et trouve des défauts partout,

Qui ne sont bine souvent que dans son propre goût.

LE CRITIQUE.

Ah ! Vous êtes trop bon.

LE GÉNIE.

Et vous, trop intraitable.

Je n’ai rien à vous demander.

LE CRITIQUE.

Cependant je puis vous aider

À donner un spectacle un peu moins détestable.

Je connais le public. Il est malin, cruel ;

Il aime à voir la bile avec le fiel.

Quittez tout autre goût ; embrassez la Critique ;

Armez-vous de ses traits ; devenez satyrique.

Ce genre a trouvé du crédit ;

On l’a rendu facile : Il y faut moins d’esprit.

LE BON-SENS.

La Critique, autrefois moins âpre et moins amère,

Instruisait les Auteurs, savait les redresser ;

Comme on voit une tendre mère

Corriger des enfants qu’elle craint de blesser.

Alors, elle pouvait briller sur le Théâtre :

Mais son utilité n’a pas duré longtemps ;

Ce n’est plus aujourd’hui qu’une affreuse marâtre,

Qui dès le berceau même étouffe ses enfants.

LA FOLIE.

Vous voulez supprimer la plaisir de médire ?

LE CRITIQUE.

Qu’importe que l’on nuise aussitôt qu’on fait rire ?

Tombera sur ce peuple d’Auteurs

À qui l’appas du gain et sa fainéantise

Font apporter ici sottise sur sottise,       

Dont ils savent trop bien empaumer les Acteurs :

Aides-les à se faire une guerre cruelle ;

Empoisonnez encore leur haine mutuelle,

Et la rage qu’ils ont à s’entre-déchirer ;

N’épargnez à pas un la plus forte satyre ;        

Fut-ce même Apollon. Le Public aime à rire

De ceux que tous les jours on lui voit admirer.

LE GÉNIE.

En suivant votre avis...

LE CRITIQUE.

Vous ne pouvez mieux faire.

LE GÉNIE.

Je serai donc sûr de vous plaire ?

LE CRITIQUE.

Point du tout. Quant à moi, ce que je vous en dis,     

C’est pour votre profit. Jamais je n’applaudis.

 

 

Scène V

 

LE GÉNIE, LA FOLIE, LE BON-SENS, LA PRÉCIEUSE, L’ADMIRATEUR, L’HOMME SENSÉ

 

L’ADMIRATEUR.

Cette guerre d’auteurs aurait bien son mérite.

LA PRÉCIEUSE.

Vous moquez vous des spectateurs ?

Quoi ! Nous aurons toujours des bisbilles d’Auteurs ?

Ces sujets sont trop bas. La Public vous en quitte,     

Génie ; élevez-vous à des objets plus grands.

Prenez le ton Philosophique ;

Ajustez la Métaphysique

À l’usage du sexe et des honnêtes gens ;

Pour la mettre à portée, ôtez-lui ses échasses :

Mais ne lui donnez pas des allures trop basses ;

Ayez le badinage abstrait et clair-obscur,

Toujours enveloppé d’un tendre crépuscule.

Faites-vous deviner, vous plairez à coup sûr.

Ayez pour votre langage un peu moins de scrupule ;

Osez-en disposer comme de votre bien :

Pour dire ce qu’on veut, c’est l’unique moyen.

D’heureuses libertés sont bine récompensées.

Soyez maniéré dans vos réflexions ;

Et toujours imprévu dans vos expressions.

Agencez votre style à l’air de vos pensées.

L’ADMIRATEUR, battant des mains.

Ah ! Miracle !

LE BON-SENS.

Monsieur entend apparemment

Ce jargon-là tout couramment ?

L’ADMIRATEUR.

J’imagine l’entendre, ou du moins je l’admire.

LA FOLIE.

Hé ! Mais rien n’est plus clair. Je ne pourrais mieux dire.     

Au Bon-Sens.

Ah ! Vous haussez les épaules à tout ce que l’on dit.

Ce langage n’est pas la vôtre ;

C’est celui de l’esprit. Quiconque en parle un autre,

Encanaille à la fois sa langue et son esprit.

LE GÉNIE, au Bon-sens.

Donnerons-nous encor dans ce tatillonnage ?

LE BON-SENS.

La nouveauté du genre a d’abord ébloui ;

Mais le charme est évanoui.

La raison a repris son ancien langage ;

Et c’est celui de vos aïeux :

Il doit être pour vous aussi bon que pour eux.

LA PRÉCIEUSE.

J’en appelle.

LE GÉNIE.

À qui donc ?

LA PRÉCIEUSE.

Au Bon-Sens.

LE GÉNIE.

C’est lui-même.

Qui vient de décider.

LA PRÉCIEUSE.

Votre erreur est extrême.

Je m’y connais : ce n’est point lui.

Ismène ouvre, ce soir, son cercle Académique.

On doit en sa faveur y relire aujourd’hui         

Une Pièce d’un goût Métaphysi-comique ;

C’est de l’esprit tout pur, passé par l’alambic,

Trop fin pour le goût du Public ;

La Bon-Sens ; mais je dis le Bon-Sens véritable.

LE BON-SENS.

Vous verrez que nous sommes deux.

LA FOLIE.

Autant que de Publics ; cela n’est pas douteux.

LA PRÉCIEUSE.

Il y fera, vous dis-je, et ce Juge équitable

Approuvera mon goût, et me rendra raison

De l’accueil si bourgeois qu’on me fait en son nom.

 

 

Scène VI

 

LE GÉNIE, LA FOLIE, LE BON-SENS, L’ADMIRATEUR, L’HOMME SENSÉ

 

LE BON-SENS.

La bonne connaissance !

LA FOLIE.

Allez, ma chère amie ;

J’aurai soin de me rendre à votre Académie.

L’ADMIRATEUR.

Pour moi, l’on satisfait aisément mes désirs.

Je suis de tous les goûts et de tous les plaisirs.

J’ai pour tous les auteurs une estime infinie :

Je ne sifflai jamais aucun d’eux de ma vie.       

Tout homme qui s’adonne à divertir autrui,

Mérite que l’on ait un peu d’égard pour lui.

Aussi malgré ma femme, et ses façons maussades,

J’en ai toujours sans vanité,

Chez moi deux ou trois accolades,         

À l’heure du dîner, pour leur commodité ;

Mon cuisinier fait des merveilles.

Ces Messieurs, à leur tour, enchantent nos oreilles.

Ainsi...

LE GÉNIE.

De vos avis on se passera bien.

Quiconque admire tout, ne se connaît à rien.

 

 

Scène VII

 

LE GÉNIE, LA FOLIE, LE BON-SENS, L’HOMME SENSÉ, LE PETIT-MAÎTRE

 

LE PETIT-MAÎTRE.

Je viens tard ; excusez. Je me sauve au plus vite.

À la Folie.

Déesse, vous voilà ! Je vous en félicite.

Je vous trouve partout ou l’on trouve quelqu’un,

Montrant le Bon-Sens.

Quel est ce visage importun ?

Je n’ai vu sa figure en aucun lieu du monde.

Cela sent son Poète une lieue à sa ronde.

LA FOLIE.

C’est toute une autre espèce, un être de raison.

LE BON-SENS.

Avez qui vous n’aurez jamais de liaison.

LE PETIT-MAÎTRE.

Qu’on nomme ?

LA FOLIE.

Le Bon-Sens.

LE PETIT-MAÎTRE.

Oui, je me le rappelle.

LE BON-SENS.

C’est du plus loin.

LE PETIT-MAÎTRE.

Quelle nouvelle ?

Hé bien ! Qu’a-t-on conclu ?

LE GÉNIE.

Rien encore entre nous.

LE PETIT-MAÎTRE.

Qu’attend-on ?

LE GÉNIE.

Votre avis.

LE PETIT-MAÎTRE.

Soit.

LE GÉNIE.

D’abord, aimez-vous ?...

LE PETIT-MAÎTRE.

Beaucoup.

LE GÉNIE.

La Comédie ?

LE PETIT-MAÎTRE.

Oui, quand elle est meublée.

LE GÉNIE.

Qui vous la fait aimer ?

LE PETIT-MAÎTRE.

Le monde, et l’assemblée.

LE GÉNIE.

Mais...

LE PETIT-MAÎTRE.

Le monde se cherche, et je le cherche aussi.

LE GÉNIE.

C’est là tout ce qui peut vous attirer ici ?

LE PETIT-MAÎTRE.

Oui, l’affluence est tout ce qui m’est nécessaire,

Je jette, en arrivant, un coup d’œil circulaire.

Nous ne valons qu’autant que nous nous faisons voir.

Si quelque femme d’importance,

Fière d’être à la Cour un peu sur le trottoir.

Veut éluder ma révérence,

Je me fais un plaisir d’abaisser son orgueil

Jusqu’à me saluer : Je fais la guerre à l’œil,

Je le tiens en arrêt, et je m’opiniâtre       

Tant qu’au milieu d’un Acte enfin l’on m’aperçoit.

Je me lève, on me rend le salut qu’on reçoit ;

Cela fait un coup de théâtre.

LE GÉNIE.

Et la Pièce ?

LE PETIT-MAÎTRE.

Elle va son train, et moi, le mien.

LE GÉNIE.

Sans qu’elle vous occupe en rien ?         

Car vous n’êtes pas homme à prendre la fatigue

D’entrer dans les détails, et d’en suivre l’intrigue.

LE PETIT-MAÎTRE.

L’intrigue ! Ah ! par sambleu, l’Auteur peut arranger

La sienne pour le mieux. J’ai la mienne à songer.

Avant qu’on soit au fait des nouvelles courantes,      

Que l’on ait décliné vingt femmes différentes,

À qui, de loge en loge, on va faire sa cour,

Et qu’on ait au foyer été faite son tour,

La Pièce est aux abois ; le dernier Acte expire.

LE GÉNIE.

Et vous jugez alors ?...

LE PETIT-MAÎTRE.

Définitivement.

LE GÉNIE.

Mais encor, que pouvez-vous dire ?

LE PETIT-MAÎTRE.

Ma décision roule alternativement

Sur ces deux mots...

LE GÉNIE.

Qui sont ?

LE PETIT-MAÎTRE.

Divin, ou détestable.

Et souvent le dernier est le plus véritable.

LE GÉNIE.

Ah ! Je vous reconnais pour être d’un Pays,

Où d’abord on sait tout, sans avoir rien appris.

LE PETIT-MAÎTRE.

Enfin, les spectacles que j’aime,

Sont ceux où la presse est extrême.

LE GÉNIE.

Pour l’attiser ici, savez-vous un moyen ?

LE PETIT-MAÎTRE.

Parbleu, rien n’est plus simple.

LE GÉNIE.

Hé bien ?

LE PETIT-MAÎTRE.

Les nouveautés sont toujours belles.

Sans vous embarrasser du choix,

Ne nous donnez jamais que des Pièces nouvelles ;

Affichez-les d’abord pour la dernière fois ;

Prenez double, rendez vos plaisirs impayables ;        

Exceptez le Parterre. Il pourrait au surplus

Vous envoyer à tous les diables.

C’est du reste à quoi je conclus.

 

 

Scène VIII

 

LE GÉNIE, LA FOLIE, LE BON-SENS, L’HOMME SENSÉ

 

LA FOLIE.

Voilà bien des publics qui passent en revue.

Vous voyez qu’à la ville aussi bien qu’à la Cour,       

Vous n’étrennerez pas, si cela continue.

LE BON-SENS.

Peut-être que j’aurai mon tour.

LE GÉNIE, à l’Homme sensé.

Passons à vous, Monsieur.

L’HOMME SENSÉ.

Moi, sur cette matière

Je n’ai qu’un faible usage, et fort peu de lumière.

Je pourrais me tromper.

LA FOLIE.

C’en est le pis-aller. 

Cela ne doit jamais empêcher de parler.

Comment ? Vous rougissez ?

L’HOMME SENSÉ.

J’ai lieu d’être timide.

LA FOLIE.

On pense mal des gens qui n’osent dire un mot.

LE BON-SENS.

Souvent il n’en faut qu’un pour passer pour un sot.

LA FOLIE.

Bon, bon, dites toujours.

L’HOMME SENSÉ.

Jamais je ne décide. 

LA FOLIE.

Peut-on s’en empêcher ?

L’HOMME SENSÉ.

J’écoute ce qu’on dit ;

Et je tâche au surplus de la mettre à profit.

LE BON-SENS, à part.

Cet homme, par hasard, serait-il raisonnable ?

J’aime sa retenue, et sa timidité.

Quand on compte si peu sur sa capacité,         

On ne dit jamais rien qui ne soit convenable.

L’HOMME SENSÉ.

Je vais, puisque vous l’exigez,

Dire à peu près ce que je pense,

Mais ce sera sans conséquence.

Ce ne sont que des préjugés.

LE GÉNIE.

Sur le théâtre, enfin, que faut-il vous produire ?

L’HOMME SENSÉ.

Je cherche à m’amuser ; encor plus à m’instruire.

LA FOLIE.

À s’instruire ! Cet homme est de mauvaise foi.

L’HOMME SENSÉ.

Le vrai, le naturel ont des charmes pour moi.

Renvoyez aux Forains ces folles rapsodies,

Que l’on veut bien nommer du nom de comédie,

Qu’on ne voit qu’une fois, que jamais on ne lit,

Où l’esprit et le cœur ne font aucun profit.

Quoi ! nous aurons toujours des farces surchargées ?

Une intrigue cousue à des Scènes brochées ?

Des suppositions, des caractères faux,

Absurdes, indécents, chargés outre mesure ;

Des portraits inventés, dont jamais la nature

N’a fourni les originaux ?

Hé quoi ? Dans le siècle où nous sommes ;

Quelle nécessité d’imaginer des hommes !

De pousser leur folie au suprême degré !

C’est assez des travers que chacun d’eux se donne.

Peignez les tels qu’ils sont. Un ridicule outré

Fait rire, et cependant ne corrige personne.

Je m’explique peut-être avec témérité.

Bien d’autres cependant osent penser de même,

Toutefois je n’en tire aucune autorité.

À vos décisions, je soumets mon système.

 

 

Scène IX

 

LE GÉNIE, LA FOLIE, LE BON-SENS

 

LE BON-SENS.

Ah ! Je le reconnais à ce discours sensé.

La voilà ce public que j’avais annoncé,

À qui par préférence, il faut cherche à plaire.

LE GÉNIE.

Que ne m’est-il permis d’y borner tous mes soins ?

LA FOLIE.

Lui ? C’est un franc Visionnaire,

Et, de tous les Publics, celui qui vaut le moins ;         

Car il est sérieux. Avec la multitude

On ne gagne souvent que de l’incertitude.

Mais j’ai pitié de vous. Je serai votre appui.

Laissez-moi sur la scène un souverain empire ;

Surtout que le Bon-Sens pour jamais se retire ;

Je ne veux rien avoir à débattre avec lui.

À ce prix, j’entreprends d’entretenir Thalie,

Et Melpomène encor, par dessus le Marché.

LE GÉNIE.

Je ne puis. Au Bon-Sens je suis trop attaché.

Mais souffre qu’avec lui je vous réconcilie.     

Cet accord vous convient, et ferait mon bonheur.

LA FOLIE.

Qui, moi ? Que je m’unisse avec un raisonneur,

Qui s’oppose sans cesse à mon heureux délire,

Dont le but est d’apprendre à se passer de rire ?

Un pédant, dont le front toujours chargé d’ennui,      

Écarte le plaisir qui vient s’offrir à lui ?

Le fléau de tous ceux qui deviennent sa proie ;

Qui dispense à regret, et mettre la joie

Que je répands à pleines mains ;

Ce ridicule accord déplairait aux humains.

LE GÉNIE.

Vous vous corrigerez tous les deux l’un et l’autre.

LA FOLIE.

Entre nous, en un mot, il faut se déclarer.

LE GÉNIE.

Je n’oserais vous séparer.

Son secours m’est utile, et j’ai besoin du vôtre.

LA FOLIE.

Hé bien ! éprouve donc sa persécution,

Insensé ; je te livre à sa direction.

Bientôt tes Spectateurs aussi froids que des ombres,

Encor plus ennuyés que les Mânes plaintifs,

Épars sur les rivages sombres,

Rappelleront ici les plaisirs fugitifs ;

J’aurai conduit ailleurs leur folâtre cohorte.

À commencer dès aujourd’hui,

Ce lieu va devenir le Temple de l’Ennui.

Tu finiras par mettre écriteau sur la porte.

 

 

Scène X

 

LE GÉNIE, LE BON-SENS

 

LE GÉNIE.

Cette prédiction pourrait bien s’accomplir.

Je crains qu’elle aille s’établir...

LE BON-SENS.

Laisser, laissez aller cette folle immortelle ;

On peut ici se passer d’elle.

Vous ne manquerez pas de prodiges nouveaux.

Plus d’un vrai nourrisson des filles de mémoire        

Pour quelque temps encore assurent votre gloire.

Si ce n’est pas assez, ils auront des rivaux.

J’en sais qui n’ont besoin que d’un peu plus d’audace ;

Et je vais les encourager.

 

 

Scène XI

 

LE GÉNIE, seul

 

Je suis dépourvu. Que faut-il que je fasse ?     

La Folie en tout temps, est bonne à ménager.

 

 

Scène XII

 

THALIE, LE GÉNIE

 

LE GÉNIE.

Déesse, vous voyez mon embarras extrême.

THALIE.

Oui, le Public n’est pas d’accord avec lui-même.

LE GÉNIE.

J’ai reçu vingt avis tous différents entr’eux :

Un seul m’a paru bon ; mais il est dangereux.

THALIE.

Il faut pourtant le suivre.

LE GÉNIE.

Où prendrez-vous des pièces ?

THALIE.

Les Bon-Sens t’a promis ses soins officieux.

LE GÉNIE.

Oui : mais en attendant l’effet de ses promesses,

Je n’ai rien à donner.

THALIE.

Eh bien ? Faute de mieux,

Prends cette comédie.

Lui présentant un manuscrit.

LE GÉNIE.

Est-ce une bonne aubaine ?     

THALIE.

C’est l’essai d’un Auteur que je connais à peine.

LE GÉNIE.

Tant pis.

THALIE.

Au bas du Pinde on m’a fait ce présent.

LE GÉNIE.

Si c’en est un.

THALIE.

Peut-être. Et je n’ose à présent

Jurer de rien, en fait d’ouvrage,

Le Public qu’on prévient, refuse son suffrage.

Entre-nous, celui-ci paraît hasardeux.

Je ne sais ; j’y voudrais une fable mieux faite,

Un peu plus de comique, et l’intrigue plus nette.

LE GÉNIE.

Allons, prenons toujours ; les temps sont malheureux.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

FRONTIN, NÉRINE

 

NÉRINE.

Ton Maître et ma Maîtresse auraient bien dû s’aimer.           

C’est lui...

FRONTIN.

C’est elle...

NÉRINE.

Quoi ?

FRONTIN.

Qui devait l’enflammer.

Léonore a toujours une mélancolie

Qui lui fait bien du tort. L’amour suit la folie.

On veut qu’une maîtresse ait l’air vif, sémillant ;

Un peu moins de bon sens, un peu plus de brillant.

NÉRINE.

Un fou cherche une folle, et la trouve de reste.

L’état de Léonore est cruel et funeste.

Frontin, toute sa vie, est...

FRONTIN.

Défiez-vous-en ;

L’histoire d’une femme est toujours un roman.

NÉRINE.

Oui. Le sien commença par un sot mariage.

Ce ne fut point l’amour qui la mit en ménage ;

Et jamais on n’en eut un dépit plus mortel.

Il fallut obéir, et marcher à l’Autel :

Mais, en sortant du Temple, un jeune téméraire,

À qui, sans le savoir, elle avait trop su plaire,

Furieux de la perdre, attaqua son époux,

L’obligea de se battre, et tomba sous ses coups.

Pour dérober sa tête à l’injuste poursuite

D’un ennemi puissant, cet époux prit la fuite.

Léonore aussitôt saisit sa liberté ;

Et s’enfuit en secret dans un Cloître écarté,

Sous ce nom inconnu, qu’elle conserve encore.

Que ne ferait-on pas pour fuir ce qu’on abhorre ?

Sa mère, mais trop tard, en mourut de regret.

Géronte apprit enfin notre asile secret,

Et vint nous apporter...

FRONTIN.

Un brevet de veuvage ?

NÉRINE.

Oui. Nous vîmes la fin d’un si long esclavage.

Cet oncle généreux nous retira chez lui.

FRONTIN.

Mais je ne vois point là tant de sujet d’ennui ;

Car Léonore est veuve, et dans le plus bel âge.

NÉRINE.

Douze ans d’absence ont mis tous ses biens au pillage :

C’est pour les recueillir, ou du moins leurs débris,

Que Géronte est allé faire un tour à Paris.

S’il ne réussit pas dans ses justes poursuites,

Vois l’état malheureux où nous serons réduites.        

Géronte a pour sa nièce une tendre amitié ;

Mais tu sais qu’on ne peut vivre avec sa moitié.

Il le faudra, peut-être. Est-il enfer plus rude,

Que d’être à la merci d’une maudite prude,

Toujours contente d’elle, et jamais du prochain ;       

Dont la vertu bruyante insulte au genre humain ?

Joins à l’humeur d’Orphise un sujet infaillible,

Qui la rendra pour nous encore plus terrible :

Elle a, d’un premier lit, une fille à pourvoir.

FRONTIN.

Ceci m’ouvre l’esprit ; et je crois entrevoir...

Que je n’étais qu’un sot... Oui.

NÉRINE.

Cela peut bien être.

FRONTIN.

Je crois que Léonore arrête ici mon Maître ;

Mais qu’à cause d’Orphise il tient ses feux secrets.

Quand Damon acheta cette Terre ici près,

Tu sais que le château n’était pas praticable ;

Et qu’il était besoin pour le rendre habitable...

NÉRINE.

Oui, je sais qu’il fallut le faire rétablir.

FRONTIN.

Géronte, en attendant, s’en vint nous accueillir ;

Et, comme un bon voisin, nous offrir un asile.

Nous vînmes donc chez lui. Mais notre domicile       

Est depuis quelque temps en état d’y loger :

Mon Maître cependant paraît n’y pas songer.

NÉRINE.

Ta remarque est juste. Oui... mais la fille d’Orphise...

FRONTIN.

Julie ? Ah ! si mon Maître en avait l’âme éprise,

Son amour oserait paraître à découvert.

Léonore est trop fière ; et sa fierté nous perd.

NÉRINE.

Les femmes ne sont pas tout ce qu’elles paraissent.

J’en aurai le cœur net.

FRONTIN.

Les femmes se connaissent.

NÉRINE.

Léonore m’appelle. Adieu. Cela suffit.

Je m’en vais travailler sur ce que tu m’as dit.

 

 

Scène II

 

NÉRINE, seule

 

Tout ce que ma mémoire à présent me rappelle,

Me confirme encor plus cette heureuse nouvelle.

 

 

Scène III

 

LÉONORE, NÉRINE

 

NÉRINE.

Vous m’avez appelée.

LÉONORE.

Oui. Je voulais sortir.

Mais de la part d’Orphise on vient de m’avertir

Qu’elle veut me parler ; ainsi je vais l’attendre.          

Pour toi, l’on ne sait plus désormais où te prendre.

Tu sembles te lasser de l’état où je suis ;

Et pourtant je m’en plains tout le moins que je puis.

NÉRINE.

J’étais avec Frontin, puisqu’il faut vous le dire :

Je lui parlais de vous.

LÉONORE.

Je sais ce qui l’attire.     

NÉRINE.

Nous disions que Damon aurait dû vous aimer :

Il a pourtant bien fait de ne pas s’enflammer.

LÉONORE.

Tu n’es pas raisonnable.

NÉRINE.

Il serait trop à plaindre.

LÉONORE.

Va, ce malheur pour lui ne fut jamais à craindre.

Tu m’assurais pourtant...

NÉRINE.

Oui, je croyais d’abord

Que Damon vous aimait, madame, j’avais tort.

LÉONORE.

J’y prends peu d’intérêt. Mais sur quelle assurance

Accuses-tu Damon de tant d’indifférence ?

NÉRINE.

Si l’on aimait encore, ainsi que Céladon,

Peut-être je pourrais en soupçonner Damon.

Mais de pareils amants ne sont plus qu’en idée.

À présent une intrigue est bientôt décidée :

On ne se donne plus le temps d’être enchaîné :

L’amour prend son essor aussitôt qu’il est né.

Dès qu’on aime, on en fait un récit infidèle ;

On exagère un feu qui n’est qu’une étincelle ;

Pour mieux en assurer l’objet de son amour,

Un amant en instruit et la ville et la cour.

La sotte vanité conduit tout le mystère ;

Et la fatuité l’empêche de se taire.          

Si Damon vous aimait, il en eût fait l’aveu.

Ainsi nous nous trompions... Cela vous fâche un peu ?

LÉONORE.

Vous vous émancipez. M’avez-vous reconnue

Pour être, en ma faveur, follement prévenue ?

NÉRINE.

Ainsi vous croyez donc mon discours conséquent.

Non, ma chère Maîtresse, il est extravagant,

Insoutenable.

LÉONORE.

En quoi ?

NÉRINE.

C’est que Damon vous aime.

LÉONORE.

Mais accorde-toi donc, Nérine, avec toi-même.

NÉRINE.

Un tiers voit mieux que ceux qui sont dans l’embarras.

LÉONORE.

Tu viens de me prouver...

NÉRINE.

Que Damon n’avait pas

Les défauts des amants qu’en ce siècle on voit naître.

Quoi ? parce que l’on n’est ni fat, ni petit-maître,

On ne peut vous aimer ? L’obstacle est imprévu.

LÉONORE.

Par où peux-tu juger...

NÉRINE.

Par tout ce que j’ai vu.

LÉONORE.

Mais encore, quoi donc ?

NÉRINE.

Premièrement, vos charmes.

LÉONORE.

Je n’ai jamais compté sur de si faibles armes.

NÉRINE.

J’ai démêlé, vous dis-je, à travers ses respects,

Des soupirs étouffés, des regards indirects,

Un silence pénible, autant qu’involontaire,

Des désirs, des égards, du trouble, du mystère,         

Un intérêt secret, un soin particulier.

Un homme indifférent est bien plus familier.

Ce sont-là mes garants. Tout cela fait en somme

De l’amour ; et, de plus, un amant honnête homme.

J’ai vu bien plus encore.

LÉONORE.

Achève ; dis-moi tout.

NÉRINE.

Que cet amant serait assez de votre goût.

LÉONORE.

Ah ! c’est trop voir. Finis ; je ne veux plus t’entendre.

Je te défends... Hélas ! que puis-je lui défendre ?

Quoi ! de faibles attraits flétris par les douleurs,

Ces yeux accoutumés à pleurer mes malheurs,

Pourraient causer encore une faiblesse ?

NÉRINE.

Et surtout à l’objet pour qui l’amour vous blesse ?

Car il faut vous aider.

LÉONORE.

Nérine, tu me perds.

NÉRINE.

De quoi m’accusez-vous ? Croyez que je vous sers.

Léonore et Damon sont formés l’un pour l’autre.       

C’est moi qui vous apprends sa défaite et la vôtre.

L’hymen peut réparer les maux qu’il vous a faits.

Il forme quelquefois des liens pleins d’attraits.

Quand on dépend de soi, pour soi l’on se marie.

LÉONORE.

Ne me rappelle plus le malheur de ma vie,

Ni les égarements d’un âge sans raison.

À peine j’achevais ma première saison,

On me tira du Cloître ; et j’entrai dans le monde,

Avec les préjugés dont la jeunesse abonde.

Une mère absolue, abusant de ses droits,         

Avait promis ma main, sans consulter mon choix.

Je me prévins d’abord. Mon dépit fut extrême.

Je croyais qu’on devait m’obtenir de moi-même.

Je croyais mériter du moins quelques soupirs :

Mais, loin de s’abaisser à flatter mes désirs,

On ne m’honora pas d’une seule entrevue.

Je fus au temple ; et là, sans détourner la vue,

Victime dévouée au cruel intérêt,

On me fit malgré moi prononcer mon arrêt.

Quel hymen ! Ou plutôt quelle union fatale !

L’aversion, sans doute, entre nous fut égale.

En sortant de l’autel, Sainflore disparut.

Moi-même je m’enfuis ; et mon époux mourut.

Mais j’ai connu l’erreur de mon antipathie,

Je crois, si mon époux n’eût pas perdu la vie,

Que sans doute l’hymen, mon devoir, et le temps,

Auraient mis dans mon cœur de plus doux sentiments.

NÉRINE.

En tout cas, par bonheur, il est en l’autre monde.

Pour vous montrer sur quoi mon préjugé se fonde,

Au sujet de Damon, il faut vous expliquer

Ce que m’a dit Frontin. Il m’a fait remarquer

Que Damon s’accoutume à la maison d’Orphise.

LÉONORE.

Peut-être que sa fille...

NÉRINE.

Eh ! souffrez qu’on vous dise...

Mais on vient.

LÉONORE.

C’est, sans doute, Orphise que j’attends !

NÉRINE, à part.

Le diable qui l’amène a bien mal pris son temps.       

 

 

Scène IV

 

ORPHISE, LÉONORE, NÉRINE

 

ORPHISE, à Nérine.

Vous pouvez demeurer. Vous avez quelque adresse ;

J’aurai besoin de vous, et de votre Maîtresse.

À Léonore.

Madame, vous savez qu’autant que je le puis,

Je me fais un devoir d’adoucir vos ennuis.

Entre ma fille et vous tout mon cœur se partage.        

J’espère que Géronte en fera davantage ;

Qu’il vous fera rentrer dans vos biens usurpés.

Si par malheur enfin ses soins étaient trompés,

Vous deviendrez, madame, une seconde fille,

Que la fortune aura mise dans ma famille ;

Et vos plus grands malheurs m’attacheront à vous.

NÉRINE, à part.

Que diantre signifie un exorde si doux ?

LÉONORE.

Madame...

ORPHISE.

Je prévois ce que vous m’allez dire.

LÉONORE.

Ma reconnaissance...

ORPHISE.

Est telle que je désire.

LÉONORE.

De grâce...

ORPHISE.

Épargnez-vous de vains remerciements. 

C’est tout ce que je crains quand j’oblige les gens.

LÉONORE.

Souffrez...

ORPHISE.

Je viens d’apprendre un départ qui m’afflige.

Damon va nous quitter. Et c’est ce qui m’oblige

À vous venir prier d’empêcher son départ.

LÉONORE.

Pour vos moindres désirs il aura plus d’égard.          

ORPHISE.

N’importe. Je voudrais, sans être compromise,

Que vous employassiez ici votre entremise.

LÉONORE.

Madame, sur Damon, ai-je assez de crédit ?...

ORPHISE.

Assez, pour l’amener au point dont il s’agit.

J’ai des desseins secrets qu’il faut que je vous dise.

Connaissez-vous Damon ? Parlez avec franchise.

LÉONORE.

Je le crois honnête homme.

ORPHISE.

Oh ! je n’en doute pas.

Le mystère a pour lui de furieux appas.

Je m’y perds comme vous. Depuis qu’il nous fréquente,

Il est d’une réserve incivile et piquante.

LÉONORE.

En quoi, Madame ?

ORPHISE.

En tout. En voici quelques traits.

Il est homme de guerre, et n’en parle jamais.

LÉONORE.

Tous ses pareils devraient imiter sa prudence.

ORPHISE.

Quand on est noble, on peut en faire confidence.

Il ne cite jamais ni lui, ni ses aïeux.        

LÉONORE.

Ceux qui font autrement sont toujours ennuyeux.

ORPHISE.

Quand on est riche, est-il naturel qu’on s’en cache ;

Le premier avantage est que chacun le sache.

LÉONORE.

Il n’appartient qu’aux sots d’en tirer vanité.

ORPHISE.

Ainsi vous approuvez sa singularité ?

Tant mieux. Du reste, il est homme assez sociable.

Je crois qu’on en peut faire un mari fort passable.

Léonore soupire.

Plaît-il ?

LÉONORE.

Rien.

À part.

Ciel ! de quoi va-t-elle me prier !

ORPHISE.

J’ai, comme vous savez, ma fille à marier.

Et ce serait me faire un plaisir véritable

De savoir si Damon est un parti sortable.

En ce cas, agissez, Madame ; servez-nous,

Comme on vous servirait ; faites comme pour vous.

NÉRINE.

Sans doute, c’est à quoi vous devez vous attendre.

ORPHISE.

Je veux, de votre main, l’accepter pour mon gendre.

Je crois qu’il va venir vous faire son adieu.

Je sors ; il ne faut pas qu’il me trouve en ce lieu.

Vous ne mettrez en jeu ni moi, ni la future.

LÉONORE.

En vérité, Madame...

ORPHISE.

En pareille aventure,

Il faut avec adresse employer les détours.       

Tout homme qu’on recherche en abuse toujours :

Se renchérit d’abord, sans valoir davantage :

Et, de rien qu’il était, s’érige en personnage.

Leur fatuité vient du cas que l’on en fait.

Il faut les maîtriser, malgré que l’on en ait,      

Se les assujettir, les faire à son caprice.

Nous perdons leur estime, en leur rendant justice ;

Nous nous avilissons, si nous sentons leur prix ;

Et la moindre indulgence attire leur mépris.

Je vous laisse.

 

 

Scène V

 

LÉONORE, NÉRINE

 

LÉONORE.

Nérine...

NÉRINE, riant.

Ah ! rien n’est plus risible. 

Orphise vous procure un moyen infaillible

De vous servir vous-même, en servant ses desseins.

Voilà des intérêts remis en bonnes mains.

LÉONORE.

Quelle commission dangereuse et cruelle !

Je ne puis y songer ni pour moi, ni pour elle.

Oui, cette occasion n’est qu’un piège fatal.

Je m’exposerais trop, je la servirais mal.

Laissons aller Damon ; il faut que je l’évite.

Imagine une excuse, et reçois sa visite.

NÉRINE.

Quel danger courez-vous ? Quoi ! vous n’osez saisir

La seule occasion qui peut vous éclaircir.

LÉONORE.

J’aime mieux à jamais ignorer ma victoire,

Que de mettre en danger mon honneur et ma gloire.

NÉRINE.

À ne point voir Damon, ne vous obstinez plus.

Que pourrait-il penser d’un semblable refus ?

Cette affectation serait plus dangereuse.

D’ailleurs, Madame Orphise en serait furieuse.

Madame, il faut céder à la nécessité.

Mais j’aperçois Damon.

LÉONORE.

Que ne l’ai-je évité !

 

 

Scène VI

 

DAMON, LÉONORE, NÉRINE

 

Damon fait deux ou trois révérences, avance, recule, et paraît déconcerté.

NÉRINE, à part.

Que deux amants sont sots, quand ils sont en présence !      

Il faut que je les aide à rompre le silence.

À Damon.

On dit que vous allez chercher en d’autres lieux

Une société qui vous amuse mieux.

DAMON, à Léonore.

L’ennui n’habite point le séjour où vous êtes.

Des motifs plus pressants, d’autres peines secrètes...

NÉRINE.

Quoi ! vous partez, Monsieur ?

DAMON, à Léonore.

Oui, Madame, je fuis ;

Je fais ce que je dois, et plus que je ne puis.

NÉRINE.

Si la maison vous plaît ?

DAMON, à Léonore.

Que trop ?

NÉRINE.

Hé ! qui vous presse ?

DAMON, à Léonore.

Mon honneur, ma raison, le danger, ma faiblesse ;

Votre repos, enfin.

LÉONORE.

Mon repos, dites-vous ?

DAMON, à Léonore.

Ah ! Madame, daignez m’écouter sans courroux.

N’y cherchez point un sens coupable et téméraire.

Oui, pour votre repos, ma fuite est nécessaire.

Orphise dans ces lieux cherche à me retenir ;

Et c’est ce qui m’a fait résoudre à me bannir.

Car enfin je dois voir ce qu’on rend trop visible,

Sa bonté m’est à charge, et vous serait nuisible.

NÉRINE.

Quoi ! vous savez déjà le bien qu’elle vous veut ?

DAMON.

Quelqu’un l’ignore-t-il ? Non, jamais on ne peut

Avec plus de mystère, être plus indiscrète.     

Mais je ne puis répondre à ce qu’elle souhaite.

LÉONORE.

On croyait que Julie aurait dû vous charmer.

Quoi ! ses attraits naissants n’ont pu vous enflammer ?

DAMON.

Ah ! tout autre que moi doit lui rendre les armes.

NÉRINE.

Vous ne l’aimez donc pas ?

DAMON.

Non. J’échappe à ses charmes.

Vous seriez exposée à des soupçons jaloux.

Orphise, avec raison, n’accuserait que vous

Du refus que je fais de prendre cette chaîne.

Sa pénible amitié se changerait en haine.

Sans compter d’autres maux trop aisés à prévoir,      

Je paierais trop cher le plaisir de vous voir.

LÉONORE.

Vous le voulez ? Il faut approuver votre zèle.

NÉRINE.

Allez, Monsieur, allez où l’amour vous appelle.

DAMON.

De quoi m’accusez-vous ? Je m’exile chez moi.

D’ailleurs, si quelqu’objet me tenait sous sa loi,         

Hélas ! je n’aurais point de retour à prétendre ;

Mon cœur s’entretiendrait dans l’amour le plus tendre,

Sans laisser éclater le moindre de ses feux.

NÉRINE.

Tenez Monsieur, j’ai peine à croire au merveilleux :

Tant de discrétion est hors de vraisemblance.

LÉONORE.

Sans entrer plus avant dans votre confidence,

Puisque vous nous quittez, vous avez vos raisons.

DAMON.

Moi, des raisons ? Je vois vos injustes soupçons.

Vous croyez que je vole où mon bonheur m’appelle.

Si vous saviez combien cette erreur m’est cruelle !...

Puisque vous m’y forcez, apprenez mon état.

Si j’aimais, mon amour éviterait l’éclat.

Je dis plus. Mon aveu deviendrait un outrage,

Qui déshonorerait l’objet de mon hommage.

Mon vainqueur ne pourrait répondre à mon amour.

Hé ! que me servirait le plus tendre retour ?

Il ferait le malheur de cette infortunée.

Je gémis dans les fers d’un cruel hyménée.

LÉONORE.

Vous êtes marié ?

DAMON.

Je le suis. Mais enfin

Un prompt événement peut changer mon destin.       

NÉRINE.

Partez, monsieur, partez ; vous ne pouvez mieux faire.

LÉONORE.

Orphise approuvera ce départ nécessaire.

DAMON.

Madame, j’obéis.

À part.

J’espère un prompt retour.

 

 

Scène VII

 

LÉONORE, NÉRINE

 

LÉONORE.

Il est donc marié ?... Que devient mon amour ?

Nérine, je l’aimais... Sa présence funeste          

N’eût fait qu’entretenir un feu que je déteste.

Est-ce là le bonheur dont mon cœur s’est flatté ?

Rassure-moi ; je crains d’avoir trop éclaté.

Ai-je pu contenir ma colère trop prompte ?

N’en ai-je point trop dit ? Ah ! je mourrais de honte.

NÉRINE.

Je ne puis qu’approuver un trop juste dépit.

Mais quel sens peut avoir un mot qu’il vous a dit.

Qu’un prompt événement peut changer sa fortune ?

LÉONORE.

Ah ! ne te donne point une gêne importune.

Quand la nécessité ramène ma raison,

Cesse de retarder encor ma guérison.

C’est assez... Va chercher l’épouse de Géronte.

De tout ce qui se passe, il faut lui rendre compte.

Pour ne plus voir Damon, qui part dans un moment,

Je vais me renfermer dans mon appartement.

 

 

Scène VIII

 

FRONTIN, NÉRINE

 

FRONTIN, tenant un paquet de papiers.

Ah ! te voilà, Nérine ! Enseigne-moi mon Maître.

NÉRINE.

Il faut que je t’étrangle. Approche, double traître.

Ton Maître est marié ; tu m’en fais un secret ?

FRONTIN.

Si j’en sais rien, je veux être étranglé tout net.

Mon Maître est un sournois comme on n’en trouve guère :

Oui, je crois que le diable est son homme d’affaires.

Je le trouvai jadis en pays étranger :

Il n’a, depuis ce temps, cessé de voyager.

Ce n’est que depuis peu, que nous sommes en France.

Il n’a fait, que je sache, aucune connaissance ;

Si ce n’est chez Géronte, où tu sais bien comment

Il n’a pu refuser de prendre un logement.

Oh ! s’il est marié, ce que je ne puis croire,

Ce n’est pas de mon bail : c’est quelque vieille histoire...

Bon ! il n’a point de femme appartenante à lui ;          

Partout il a roulé sur le compte d’autrui.

NÉRINE.

C’est un fait. D’où viens-tu ?

FRONTIN.

Je viens, à toute outrance,

De chez cet Avocat ici près en vacance ;

J’y vais dix fois pour une, et toujours sans succès ;

Mais à la fin...

NÉRINE.

Ton Maître a-t-il quelque procès ?     

FRONTIN.

Ma foi, je ne sais point quelle est leur manigance.

Le Robin m’a donné ce paquet d’importance,

En me disant : « Voilà votre Maître en repos...

Mais, à quoi rêves-tu ? »

NÉRINE.

C’est à certains propos...

Pourrais-tu deviner ce que ce papier chante ?

FRONTIN.

Oui, si j’étais sorcier. Ah ! l’enquête plaisante !

NÉRINE.

Ah ! tu n’es bon à rien. Va-t’en, sans différer.

Seule.

Je ne sais pas pourquoi j’ose encore espérer.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

LÉONORE, NÉRINE

 

LÉONORE.

Damon est-il parti ?

NÉRINE.

Sans doute qu’il doit l’être.

LÉONORE.

Orphise ne vient point ?

NÉRINE.

C’est qu’elle sait peut-être

Tout ce que vous avez à lui dire. En tout cas...

La voilà justement.

LÉONORE.

Ne m’abandonne pas.

 

 

Scène II

 

ORPHISE, LÉONORE, NÉRINE

 

ORPHISE, à Léonore.

Madame, en vérité, vous êtes admirable,

Une personne unique, une femme adorable.

LÉONORE.

Des noms aussi flatteurs ne me conviennent point :

Et vous me surprenez, madame, au dernier point.

ORPHISE.

Damon nous reste enfin, grâce à votre entremise :

Si je le sais déjà, n’en soyez pas surprise.

LÉONORE.

Madame, excusez-moi...

ORPHISE.

Ses gens l’ont dit aux miens.

Les Valets savent tout ; c’est d’eux que je le tiens.      

Vous me voyez sensible, on ne peut davantage.

Allons, Madame, il faut achever votre ouvrage.

LÉONORE.

Mon ouvrage ?

ORPHISE.

Quoi donc ?

LÉONORE.

Je n’y prends point de part.

ORPHISE.

Mais ne venez-vous pas d’empêcher son départ ?

LÉONORE.

Il vous plaît de le croire.

ORPHISE.

Et de plus, j’en suis sûre.

LÉONORE.

Madame, il n’en est rien.

ORPHISE.

Comment ?

LÉONORE.

Non, je vous jure.

ORPHISE.

Damon reste pourtant ; les ordres sont donnez.

LÉONORE.

Cela peut être vrai ; mais vous me l’apprenez.

ORPHISE.

Quoi, véritablement ?

LÉONORE.

Je vous le certifie.

Je n’ai parlé de rien.

ORPHISE.

J’en ai l’âme ravie.

Vous n’avez point écrit ?

LÉONORE.

Encore moins.

ORPHISE.

Tant mieux.

Je connais le motif qui l’attache en ces lieux.

Ma fille, j’en suis sûre, en a tout le mérite.

Damon ne peut quitter un séjour qu’elle habite.

Pour vous, madame, à qui cette affaire déplaît,          

Il faut vous dispenser d’y prendre d’intérêt.

Oui, je n’ignore pas qu’une femme à votre âge,

N’aime guère à jouer un second personnage.

Elle voudrait que tout lui devînt personnel ;

Être l’unique but, l’objet perpétuel        

Où tendent tous les cœurs, les yeux et les oreilles ;

Plaire, à l’exclusion de toutes ses pareilles ;

N’en reconnaître aucune, et dominer partout.

À votre âge, madame, on est fort de ce goût.

LÉONORE.

Oui, je sais qu’une femme aime un peu trop à plaire ;

C’est de l’âge où je suis la faiblesse ordinaire.

Dans l’arrière-saison, on ne fait qu’en changer ;

Du monde qui nous quitte on cherche à se venger,

Du plaisir qui nous fuit, des défauts qu’on regrette,

Auxquels on voudrait bien être encore sujette.

Alors, par désespoir et par nécessité,

On se masque ; l’on prend un air d’autorité ;

On se croit vertueuse en voulant le paraître,

Tandis qu’au fond du cœur, on néglige de l’être ;

Qu’au contraire on se fait un plaisir inhumain

De nourrir son orgueil aux dépens du prochain.

L’esprit de charité paraît une faiblesse ;

Et la mauvaise humeur prend le nom de sagesse :

Ainsi chaque âge apporte un travers différent.

On échange un défaut contre un autre plus grand ;

Et l’on corrige un vice avec un autre vice.

Mais je veux vous forcer à me rendre justice.

Un mot vous suffira, pour voir quel intérêt

Je dois prendre à Damon.

ORPHISE.

Voyons donc ce que c’est.

LÉONORE.

Apprenez que Damon ne peut être à Julie.      

ORPHISE.

Qui l’en empêchera ? Pourquoi donc, je vous prie ?

LÉONORE.

Par un hymen secret il se trouve lié.

ORPHISE.

Bon ! que me dites-vous ? Le traître est marié ?

LÉONORE.

En secret.

ORPHISE.

Avec vous ?

LÉONORE.

Non, je vous en assure.

Ainsi, vous voyez bien que c’est me faire injure.        

ORPHISE.

Ah ! l’énigme est assez facile à deviner.

Damon devait cesser de nous importuner.

Il n’est point retenu par moi, ni par Julie ;

Et cependant il reste.

LÉONORE.

Ah ! quelle calomnie !

 

 

Scène III

 

LÉONORE, NÉRINE

 

LÉONORE.

Je n’y saurais tenir ; je suis au désespoir.         

Quel trait injurieux ! En est-il un plus noir ?

Il reste ; je l’ignore ; et l’on m’en fait un crime :

Mon repos, mon honneur, tout en est la victime.

NÉRINE.

Vous connaissez Orphise, et sa malignité.

LÉONORE.

Et pouvais-je m’attendre à cette indignité,       

Et qu’on m’imputerait la dernière bassesse ?

Nérine, quelle horreur ! On me croit la maîtresse

D’un homme marié ?

NÉRINE.

Ce trait est inouï.

Une prude jamais n’a bien pensé d’autrui.

LÉONORE.

Que vais-je devenir ? Le bruit va s’en répandre.         

Orphise va le dire à qui voudra l’entendre.

NÉRINE.

Et l’on n’en croira rien.

LÉONORE.

Ah ! quelle est ton erreur ?

C’est assez qu’une histoire attaque notre honneur,

Elle passe aussitôt pour être véritable.

Tout ce qui peut nous nuire, ou nous perdre, est croyable,

On n’examine rien ; et la crédulité

Va toujours contre nous jusqu’à l’absurdité.

NÉRINE.

Je ne m’étonne plus si tant d’infortunées

Se plaignent, tous les jours, d’être à tort condamnées.

Je vois bien à présent qu’une femme d’honneur,        

Avec son innocence, a besoin de bonheur.

LÉONORE, avec vivacité.

Dis-moi la vérité. Ne m’as-tu point trahie ?

NÉRINE.

Moi, vous trahir, madame ? En quoi, je vous supplie ?

LÉONORE.

Damon devait partir. J’ai reçu ses adieux :

Cependant il s’obstine à rester en ces lieux.

N’aurais-tu point parlé ?

NÉRINE.

Nullement, je vous jure.

LÉONORE.

Je ne sais que penser ; je ne sais que conclure.

Me serais-je oubliée ?... Aurait-il deviné ?

Dis-moi par quel motif il s’est déterminé ?

Après tant de respect, d’où lui vient tant d’audace ?

Il faut donc m’éloigner, il faut que je me chasse.

Mais il devinera que c’est lui que je fuis.

Il me suivra partout, puisqu’il reste où je suis.

Va le trouver. Dis-lui... Non, il vaut mieux écrire.

On ne dit par écrit que ce que l’on veut dire.

Et toi, tu lui feras remettre mon billet.

NÉRINE.

Allez.

 

 

Scène IV

 

NÉRINE, seule

 

Je vais tâcher de trouver son Valet.

S’il est intelligent, il me pourrait instruire

D’où vient ce changement, et qui peut le produire.

 

 

Scène V

 

DAMON, seul, et tenant des papiers

 

Faisons cesser enfin le bruit de mon trépas.

Mon ennemi s’apaise après tant de débats.

Celle à qui mon malheur avait uni ma vie,

Se porte à dénouer la chaîne qui nous lie ;

Du moins on se fait fort de lui faire agréer

Ce projet, que ses gens viennent de m’envoyer.         

J’ai donné ma parole ; on répond de la sienne.

Ainsi, dans quelque endroit que ma femme se tienne,

Nous nous verrons bientôt, pour ne nous plus revoir.

Mes amis en secret m’ont donné cet espoir.

Qu’il m’est doux de briser une odieuse chaîne !         

Je tiens notre rupture infaillible et prochaine ;

Il ne nous manque plus qu’une formalité

Pour achever enfin notre félicité.

En attendant, cessons une feinte importune ;

Allons à Léonore annoncer ma fortune.

Avant que je lui dise et mon nom et mon rang,

Pénétrons dans son cœur. C’est d’où mon sort dépend.

Voyons si mon amour... mais j’aperçois Nérine.

 

 

Scène VI

 

DAMON, NÉRINE

 

DAMON.

Peut-on voir Léonore ?

NÉRINE.

Ah ! Monsieur, j’imagine

Que vous rêvez.

DAMON.

Je veux lui parler un moment.

NÉRINE.

Vous me faites frémir d’y penser seulement.

DAMON.

Il faut que je la voie.

NÉRINE.

Ah ! je vous crois trop sage

Pour oser à ses yeux vous offrir davantage.

Votre présence ici cause assez d’embarras.

DAMON.

De grâce, annonce-moi.

NÉRINE.

Je ne le ferai pas.

DAMON.

Que je lui dise un mot.

NÉRINE.

Cela n’est pas possible.

DAMON.

Il m’est de conséquence.

Il jette sa bague à terre.

NÉRINE.

Elle n’est pas visible.

En vérité, monsieur, je ne vous comprends pas...

Que cherchez-vous ?

DAMON.

Ma bague.

NÉRINE, cherchant la bague.

Ah ! je la vois là-bas,

Ou je suis bien trompée. Oui, justement c’est elle.     

Elle ramasse la bague.

C’eût été grand dommage ; elle est vraiment fort belle.

Elle le rend à Damon.

DAMON, refusant la bague.

Elle est en bonnes mains ; et, puisqu’elle te plaît,

Profite du présent que le hasard te fait.

NÉRINE.

Moi, que je la garde ?

DAMON.

Oui ; c’est une bagatelle :

Nérine, je voudrais qu’elle eût été plus belle.

Ce n’est qu’un faible essai du bien que je te veux.

NÉRINE.

Voilà ce qui s’appelle un homme dangereux.

On ne saurait prévoir des tours de cette espèce.

DAMON.

Puisqu’on ne peut parler à ta belle Maîtresse,

Tu lui donneras bien un billet de ma part.       

NÉRINE.

Voilà donc l’encloueure ! Allons, à tout hasard.

L’avez-vous ce billet ? Il faut que je m’acquitte.

DAMON.

Je cours te le chercher, je reviens au plus vite.

 

 

Scène VII

 

NÉRINE, seule

 

Je ne sais, à présent que j’ai le diamant,

Je vois que je me suis oubliée un moment :     

Réfléchissons un peu sur mon étourderie.

Je devais refuser cette galanterie.

Mon petit intérêt m’a fait illusion.

C’est la première fois... Maudite occasion !

Tu sais apprivoiser l’honneur le plus sauvage ;         

Tu mènes où tu veux la fille la plus sage.

Sans toi, l’on pourrait l’être avec facilité.

Je ne me croyais pas tant de fragilité.

Cependant, si je rends la bague que j’ai prise

Je répare une faute avec une sottise.

Damon ne voudra pas reprendre son présent :

Au contraire, il croira qu’il n’est pas suffisant.

Il sera généreux ; je voudrai me défendre ;

Il ne démordra pas, je finirai par prendre :

Voilà pour cet article. Autre réflexion.

Mais comment m’acquitter de ma commission ?

 

 

Scène VIII

 

LÉONORE, DAMON, tenant chacun une lettre à la main, NÉRINE

 

LÉONORE, sortant d’un côté, à Nérine.

Tiens, fais rendre à Damon...

DAMON, sortant de l’autre côté, à Nérine.

Tiens, donne à ta Maîtresse...

NÉRINE, au milieu d’eux, croisant les bras.

Donnez, je remettrai chacune à son adresse.

LÉONORE, avec étonnement.

Damon !

DAMON.

Madame avait quelque ordre à me donner ?

LÉONORE.

Vous le deviez attendre ; et je dois m’étonner

De n’avoir pas reçu cette marque d’estime.

DAMON.

Une raison heureuse, ou du moins légitime,

Dont je vais vous instruire...

LÉONORE.

Épargnez-vous le soin

D’un éclaircissement, dont je n’ai pas besoin.

Nous nous devons toujours éviter l’un et l’autre.       

J’ai ma raison. Souffrez que j’ignore la vôtre.

Partez, monsieur, partez ; et cessons de nous voir ;

Que ce soit par égard, si ce n’est par devoir.

C’est pour vous en prier que j’ose vous écrire.

DAMON.

Mais...

LÉONORE.

Vous ne devez plus avoir rien à me dire.      

DAMON.

Ah ! Madame...

LÉONORE.

Damon ose me retenir ?

DAMON.

Apprenez donc mon crime, avant de me punir.

LÉONORE.

J’ai lieu de m’offenser de votre résistance.

DAMON.

Il est vrai. Pardonnez cette dernière instance.

Il y va de mes jours. Permettez en partant,       

Qu’on vous dise un secret qui peut m’être important.

LÉONORE.

Je ne veux rien savoir...

DAMON.

Hélas ! daignez m’entendre.

Enfin, je puis céder à l’amour le plus tendre.

Ces soupirs, si longtemps retenus dans mon cœur,

Peuvent enfin paraître aux yeux de mon vainqueur.

Moins je l’offense, et plus je ressens que je l’aime.

Je n’ai plus désormais que sa rigueur extrême...

NÉRINE.

Votre épouse n’est plus ?

DAMON, à Léonore.

Ah ! ce titre si doux

Aurait dû ne jamais appartenir qu’à vous.

Celle qui le portait n’a point perdu la vie ;      

Nous cédons l’un et l’autre à notre antipathie ;

Et ces nœuds que l’hymen avait désavoués,

Sont d’un commun accord entre nous dénoués.

LÉONORE.

Quoi ! vous vous séparez ?

DAMON.

Une heureuse rupture

Nous dégage tous deux d’une chaîne trop dure.        

Nos serments étaient nuls, ils ont été forcés ;

Notre bouche à regret les avait prononcés.

Nos cœurs ont réclamé contre la tyrannie

De ceux à qui le ciel nous fit devoir la vie.

La loi me restitue et ma main et mon cœur.

Nous pouvons tous les deux nous choisir un vainqueur.

Hélas ! mon choix est fait ; et vous devez m’entendre.

LÉONORE.

C’est donc-là ce secret que vous vouliez m’apprendre ?

Et vous croyez, monsieur, qu’il doit m’intéresser ?

DAMON.

Quoi donc ! ce faible espoir peut-il vous offenser ?

LÉONORE.

Malgré tous ces détours où votre esprit s’efforce,

Ce que vous m’annoncez est toujours un divorce.

Oui, tel que soit le nom dont vous les colorez,

C’est votre épouse enfin que vous déshonorez.

Vous prétendez, monsieur, me rendre la complice

D’un coupable abandon fondé sur un caprice.

C’est vous qui l’exigez. Peut-elle y consentir ?

Je sens le désespoir qu’elle doit ressentir

D’un si terrible affront. Je me mets à sa place.

Pour elle enfin, Monsieur, je vous demande grâce.

Si vous n’aimiez ailleurs... ah ! n’en espérez rien.

Elle m’accuserait... votre cœur est son bien.

Loin de favoriser cette indigne rupture,

Je ne puis profiter de sa triste aventure.

DAMON.

N’appelez point divorce un accommodement.

Quand je consens à rompre un faux engagement,

Une chaîne, à tous deux également cruelle,

Ce n’est point un affront ; c’est un bonheur pour elle.

Vous n’avez jamais su, vous n’éprouverez point

Que le plus grand malheur est celui d’être joint         

Au déplorable objet d’une haine invincible.

LÉONORE, à part.

Quelle conformité.

DAMON.

Soyez-y donc sensible.

Quand vous refuseriez de vous rendre à mes vœux,

Nous ne romprons pas moins nos liens rigoureux.

Ma femme n’eut pour moi qu’une haine mortelle ;

C’est ce que vous avez de commun avec elle.

LÉONORE.

Dites-moi donc comment elle a pu vous haïr ?

DAMON.

Vous me haïssez bien.

LÉONORE.

Ah ! laissez-moi vous fuir.

Oublions-nous tous deux.

DAMON.

Moi, que je vous oublie ?

Vous, sur qui je fondais le bonheur de ma vie,

Qui seule avez trouvé le secret d’enflammer

Un cœur que je croyais incapable d’aimer,

Dont vous allez causer l’éternelle souffrance !

Perd-on le souvenir, en perdant l’espérance ?

Ce n’est qu’en expirant d’amour et de douleur,          

Que je puis oublier l’auteur de mon malheur.

Vous l’apprendrez bientôt ; c’est l’espoir qui me reste.

LÉONORE.

N’ajoutez pas encore à mon état funeste

Cet affreux désespoir.

DAMON.

C’est vous qui le causez.

Ces frivoles raisons que vous me proposez,

Qu’invente contre moi votre délicatesse,

Ne l’emporteraient pas sur la moindre tendresse.

De votre aversion, c’est le plus sûr garant.

LÉONORE.

Restez dans votre erreur, et vivez seulement.

DAMON.

Ah ! puis-je interpréter ce que je viens d’entendre ?

Est-ce pitié ? Serait-ce un sentiment plus tendre ?

Il se jette aux genoux de Léonore.

Léonore, achevez.

LÉONORE.

Damon...

DAMON.

Éclaircissez...

LÉONORE.

Que vois-je ! Orphise ? Adieu ; fuyez, disparaissez.

 

 

Scène IX

 

LÉONORE, ORPHISE, NÉRINE

 

NÉRINE, bas à Léonore.

Ferme, tenez-vous bien.

ORPHISE.

Ce que j’ai vu m’enchante !

NÉRINE.

Quoi donc ?

ORPHISE.

En vérité, l’attitude est touchante.          

Je venais vous marquer que j’avais du regret

D’avoir conçu peut-être un soupçon indiscret.

L’excuse n’a plus lieu.

LÉONORE.

Pardonnez-moi, madame.

ORPHISE.

Vous souffrez que Damon vous parle de sa flamme ?

LÉONORE.

Je fais plus ; car je l’aime.

ORPHISE.

Avez-vous oublié

Que Damon, par malheur, est déjà marié ?

Pour vous, apparemment, c’est une bagatelle ;

Ou bien vous m’avez dit une fausse nouvelle.

LÉONORE.

Elle était vraie alors ; mais tout est bien changé.

D’un malheureux hymen Damon est dégagé.

On va briser sa chaîne ; il me l’a dit lui-même.

Voilà ce qui me fait avouer que je l’aime :

Car je dois avec vous bannir un vain détour.

Toutefois à Damon j’ai caché mon amour.

Je le crois ; ou du moins je cherche à me séduire.       

Mais, Madame, en tout cas, vous pouvez l’en instruire.

ORPHISE.

On va briser ses fers ?

LÉONORE.

Ils vont être rompus.

ORPHISE.

Madame, il devient libre, et vous ne l’êtes plus.

LÉONORE.

Oui, je n’en rougis point ; je chéris ma défaite ;

Je perds ma liberté, sans que je la regrette ;     

J’ai rencontré l’objet que je devais aimer.

Un mutuel amour a su nous enflammer.

C’est une sympathie invincible, absolue,

Que j’ai d’abord sentie à la première vue.

Si le même rapport n’eût agi dans son cœur,

Jamais je n’aurais pu survivre à ce malheur.

ORPHISE.

Vous survivrez, madame, à de plus grandes peines.

La mort de votre époux n’a point brisé vos chaînes :

Il est encore vivant.

LÉONORE.

Mon époux est vivant !

ORPHISE.

Oui. C’est ce que Géronte a dit en arrivant.

Il va vous confirmer cette heureuse nouvelle.

Il était temps.

LÉONORE.

Il vit, et je suis infidèle !

Grand dieu ! dans quelle horreur me précipitez-vous ?

ORPHISE.

Est-ce un si grand malheur de revoir un époux ?

LÉONORE.

Ah ! vous n’ignorez pas quelle est l’antipathie,

Que m’inspira l’époux à qui je suis unie.

L’un et l’autre aux autels nous fûmes entraînés,

L’un à l’autre à regret nous fûmes enchaînés.

ORPHISE.

Une fille aisément se prévient, et s’entête ;

Et veut mal-à-propos se choisir sa conquête.

Je subis, à votre âge, un hymen plus fâcheux :

J’en ai fait un second plus conforme à mes vœux :

Et bien, je vous dirai qu’ils reviennent au même.

LÉONORE.

Hélas ! pour éviter une infortune extrême,

À quel triste moyen n’ai-je pas eu recours ?

Que ne me laissait-on finir mes tristes jours ?

J’avais passé douze ans ignorée et tranquille :

Devais-je consentir à quitter mon asile,

Pour venir retrouver celui que je fuyais ?

Sainflore n’était plus ; du moins je le croyais ;

Il ne m’en resta pas la moindre incertitude.

C’est-là ce qui me fit quitter ma solitude.

J’ai cru renaître. Hélas ! je n’avais point vécu.

Le plus beau de ma vie avait été perdu ;

Et l’amour en devait empoisonner le reste.      

Damon vint dans ces lieux. C’est l’époque funeste

Du plus grand de mes maux. Mon cœur en fut blessé.

Je crus pouvoir aimer. Mon cœur s’est trop pressé.

ORPHISE.

Il faudra bien éteindre une flamme importune.

Et d’ailleurs, quelle est donc cette grande infortune ?

LÉONORE.

C’est d’avoir cru pouvoir disposer de mon cœur.

Mais enfin, sous ce nom, qu’au moins pour mon bonheur

Votre époux a voulu que je gardasse encore,

Je peux fuir à jamais un époux qui m’abhorre.

De quel front à présent paraîtrais-je à ses yeux ?

Pourrais-je soutenir le reproche odieux

Dont il accablerait une épouse infidèle,

Que peut-être il voudrait retrouver criminelle ?

ORPHISE.

C’est la sujétion du sexe infortuné

De périr sous le joug quand il est enchaîné.

Abandonnez enfin le nom de Léonore.

La feinte vous rendrait plus criminelle encore.

Allez, Silvie, allez, retrouver votre époux.

Vous vous inspirerez des sentiments plus doux.

Aussi bien que l’amour, l’aversion s’épuise.

D’autre ressource enfin ne vous est plus permise.

LÉONORE.

On connaît son erreur sans pouvoir en guérir.

Adieu. Je pars, je fuis ; et je vais en mourir.

 

 

Scène X

 

GÉRONTE, ORPHISE

 

GÉRONTE.

Léonore est en pleurs ? D’où vient qu’elle m’évite ?

ORPHISE.

C’est vous, Monsieur Géronte ? Où courez-vous si vite ?     

GÉRONTE.

Je dois à Léonore un petit compliment ;

Je vais m’en acquitter.

ORPHISE.

Eh ! de grâce, un moment.

GÉRONTE.

À votre appartement, je me suis fait écrire.

Si vos gens sont exacts, ils pourront vous le dire.

ORPHISE.

Certes, pour un époux l’accueil est très galant ;          

Après un mois d’absence, il est fort consolant.

GÉRONTE.

Nous nous retrouverons ; et plutôt dix fois qu’une,

Ne nous imposons point une gêne importune,

Ni ces empressements follement amoureux,

Ridicules à l’âge où nous sommes tous deux.

ORPHISE.

Monsieur, parlez du vôtre.

GÉRONTE.

Oui, dans l’âge où nous sommes,

Vous croyez que le temps ne vieillit que les hommes ?

ORPHISE.

Autrefois...

GÉRONTE.

Est passé pour ne plus revenir.

ORPHISE.

Et vous anticipez toujours sur l’avenir.

Monsieur, entendons-nous une fois dans la vie.         

GÉRONTE.

C’est quand vous le voudrez.

ORPHISE.

Au sujet de Silvie...

GÉRONTE.

Eh ! Madame, pourquoi l’appeler de ce nom ?

Vous avez toujours eu cette démangeaison.

ORPHISE.

Monsieur, c’est que jamais je n’aimai le mystère.

GÉRONTE.

Vous savez cependant qu’il était nécessaire,

De peur d’effaroucher des gens intéressés

Entre qui tous ses biens se trouvaient dispersés :

Mais c’était un secret, et la charge est pesante.

ORPHISE.

L’apostrophe est commune, et même déplaisante.

GÉRONTE.

Tout va bien.

ORPHISE.

Son époux est vivant ?

GÉRONTE.

Ah ! d’accord.

Oui, cet homme prétend n’avoir pas été mort :

Il revient, c’est à quoi je ne m’attendais guère :

Les gens qu’il a chargé du soin de ses affaires,

Ont arrêté les miens, quand j’allais terminer :

Mais d’une autre façon j’ai su me retourner,

Sans paraître autrement, que par mes émissaires ;

J’ai pris les sûretés qui m’étaient nécessaires.

Léonore, en tout cas, n’y participe en rien.

C’est sur quoi nous allons avoir un entretien ;

Car elle ne sait pas ce que j’ai fait pour elle.

ORPHISE.

En vérité, j’ai plaint sa fortune cruelle.

GÉRONTE.

Tant mieux.

ORPHISE.

Mais cependant, pour certaine raison,

Il faudra, qu’elle ou moi, sortions de la maison.

GÉRONTE.

Parbleu, l’alternative est toujours quelque chose.

Pourquoi donc, s’il vous plaît ?

ORPHISE.

C’est que je me propose

De marier...

GÉRONTE.

Ah, ah !

ORPHISE.

Ma fille avec Damon.

GÉRONTE.

Oui-da, ce parti-là pourrait être assez bon.

Mais, pour cela, faut-il que je chasse ma nièce ?

ORPHISE.

C’est qu’en un mot ici sa présence me blesse.

Je n’en dirai pas plus, ni d’elle, ni de lui.         

Suffit. Je n’aime point à parler mal d’autrui.

GÉRONTE.

J’entends à demi-mot.

ORPHISE.

Disposez votre nièce

À suivre son époux. J’y compte. Je vous laisse.

Arrangez-vous ensemble ; et faites pour le mieux.

 

 

Scène XI

 

GÉRONTE, seul

 

Les femmes ont toujours des projets merveilleux.     

Ma nièce n’aura point regret à mon voyage.

D’abord, j’ai retiré tous ses biens du pillage.

Son époux, il est vrai, n’est pas mort. Cependant

Je n’en suis pas la cause ; et c’est un accident

Qui n’interrompra guère, ou très peu son veuvage,

Puisqu’il veut bien laisser casser son mariage.

Allons la préparer à cet événement.

Elle n’espère pas un si bon dénouement.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

ORPHISE, seule

 

Sachons ce que Géronte aura fait chez sa nièce.

S’il aime un peu ma fille, en cas qu’il s’intéresse        

À son hymen, il peut me servir à mon gré.

Damon est Gentilhomme ; il est même titré...

 

 

Scène II

 

GÉRONTE, ORPHISE

 

GÉRONTE, sortant de chez Léonore.

La femme est une espèce à qui rien ne ressemble ;

C’est tout bien ou tout mal ; et tous les deux ensemble.

Est-elle vertueuse ? elle l’est à l’excès.

Sa sagesse devient un véritable accès ;

La modération lui paraît insipide :

C’est toujours à l’extrême où son penchant la guide.

Ses moindres mouvements sont des convulsions ;

La vertu, dans son cœur, se change en passions,        

Dégénère en faux zèle, et devient fanatique.

ORPHISE.

Ah ! vous voilà, monsieur, dans votre humeur critique.

GÉRONTE.

Ne vous chagrinez pas d’un portrait si flatté.

Une femme, à tout âge, est un enfant gâté.

ORPHISE.

Le mépris pour le sexe est un air qu’on se donne,      

Qui n’est, en vérité, convenable à personne.

GÉRONTE.

Madame, je suis juste, et sans prévention.

J’avais fait jusqu’ici certaine exception...

ORPHISE.

Peut-on savoir combien vous en exceptiez ?

GÉRONTE.

Une.

Et c’était encor trop.

ORPHISE.

Pour nous quelle fortune !

GÉRONTE.

C’est Silvie. Ah ! morbleu, je me trompe de nom.

Son caprice imprévu me trouble la raison.

Diable ! Je ne sais plus ce que je voulais dire.

J’exceptais Léonore ; et cela vous fait rire.

ORPHISE, riant.

C’est votre nièce, à qui vous faisiez cet honneur ?      

GÉRONTE.

Léonore, elle-même.

ORPHISE.

Elle a bien du bonheur.

GÉRONTE.

Oui, d’avoir du mérite.

ORPHISE.

Autant que de sagesse.

GÉRONTE.

Que trop. Et c’est en elle un excès qui me blesse,

Un travers véritable, un faux raffinement,

Fondé sur le scrupule, et sur l’entêtement.      

Je m’en vais préparer Damon à sa disgrâce.

ORPHISE.

Bon ! je l’ai prévenu de tout ce qui se passe.

GÉRONTE.

Déjà ? Mais vous l’avez accablé de douleurs ?

ORPHISE.

Il fallait, tôt ou tard, qu’il apprît ses malheurs.

Plutôt on les apprend, plutôt on s’en console.

GÉRONTE.

J’espère cependant...

ORPHISE.

Espérance frivole.

GÉRONTE.

Peut-être que Damon, que j’ai fait avertir,

Aura plus de crédit...

ORPHISE.

Eh ! Laissez-la partir.

Elle est mariée...

GÉRONTE.

Oui.

ORPHISE.

L’affaire est terminée.

GÉRONTE.

Point du tout. Si ma nièce était moins obstinée,          

Elle pourrait...

ORPHISE.

Aller retrouver son époux.

 

 

Scène III

 

GÉRONTE, ORPHISE, DAMON

 

GÉRONTE, à Damon.

Venez, Monsieur, venez vous unir avec nous ;

La pauvre Léonore... Elle se croyait veuve.

Eh bien, il n’en est rien ; nous en avons la preuve.

Mais de son esclavage on pourrait l’affranchir.           

Peut-être mieux que moi vous pourrez la fléchir.

Un mot de ce qu’on aime a toute une autre force.

ORPHISE.

Quoi ! vous voulez, monsieur, la porter au divorce ?

GÉRONTE.

Déterminez un cœur fortement combattu.

Ne l’abandonnez pas à sa triste vertu.

Car je n’ignore plus qu’elle vous intéresse.

Vous l’aimez ?

DAMON.

Je l’adore. À quoi sert ma tendresse ?

ORPHISE, à Géronte.

Ce sont-là de vos tours. Vous servez en ami.

GÉRONTE.

Ma foi, sans le savoir, je travaillais pour lui.

Quand ma nièce peut rompre une chaîne cruelle,      

Elle n’approuve plus ce que j’ai fait pour elle.

Sous main, depuis un mois, j’ai mis l’affaire en train ;

Mais le diable jaloux, ou l’esprit féminin,

Ne veulent pas permettre une union si belle.

ORPHISE.

On s’en consolera. Modérez votre zèle.

DAMON.

Je m’en consolerai ?

ORPHISE.

Vous serez dans le cas.

DAMON.

Jamais ; et j’en mourrai.

ORPHISE.

Non, vous n’en mourrez pas.

GÉRONTE.

Eh ! Madame, tâchez d’être un peu plus tranquille.

ORPHISE.

Vous, donnez un conseil plus sage et plus utile.

GÉRONTE.

Jetez-vous à ses pieds.

ORPHISE.

Ne la voyez jamais.

GÉRONTE.

Employez les soupirs.

ORPHISE.

Oubliez ses attraits.

GÉRONTE.

Allez.

ORPHISE.

Quoi ? voulez-vous déshonorer Silvie.

DAMON.

Moi, la déshonorer ? En quoi, je vous supplie ?

Ah ! Silvie aurait tort de se plaindre de moi.

Je fais ce qu’elle veut ; et je lui rends sa foi.     

Elle a fait trop longtemps le malheur de ma vie.

Quand on ne s’aime point, aisément on s’oublie.

GÉRONTE.

Quand on ne s’aime point ?

ORPHISE.

Pour le coup, je m’y perds.

DAMON.

On cherche volontiers à sortir de ses fers.

ORPHISE.

Ceci ne laisse pas d’être incompréhensible.

Pour qui donc votre cœur était-il si sensible ?

Léonore n’est point l’objet de vos amours ?

DAMON.

Léonore est l’objet que j’aimerai toujours.

ORPHISE.

Nous extravaguons tous.

GÉRONTE.

Je m’en doutais, madame.

Ma nièce est cependant l’objet qui vous enflamme ?

L’équivoque des noms a pu nous embrouiller ;

Mais l’histoire en serait trop longue à détailler.

DAMON, à part.

Mon secret doit ici n’être su de personne.

Ce nom m’a fait frémir ; et ce rapport m’étonne.

GÉRONTE.

C’est peut-être le nom de certaine beauté,        

Qui vous a fait, sans doute, une infidélité.

 

 

Scène IV

 

GÉRONTE, ORPHISE, DAMON, LÉONORE, NÉRINE

 

LÉONORE.

Madame, à vos avis je rends plus de justice.

Vous arrêtez mes pas au bord du précipice.

Victime d’un penchant devenu criminel,

J’allais m’envelopper d’un opprobre éternel ;

J’allais me dérober au pouvoir légitime

D’un époux, qu’on ne peut abandonner sans crime.

GÉRONTE.

Ma nièce, en vérité, tous ces grands sentiments

Sont des inventions pour orner des romans.

ORPHISE.

La morale est légère, et ce n’est pas la mienne.

Monsieur, que voulez-vous que madame devienne ?

GÉRONTE.

Heureuse, apparemment.

ORPHISE.

Eh ! le moyen ?

GÉRONTE.

Est sûr.

ORPHISE.

Quoi ! faudra-t-il qu’au fond de quelque asile obscur,

Elle aille ensevelir une épouse craintive,

Ou mener une vie errante et fugitive ?

LÉONORE.

C’est un dessein coupable ; et je n’y pense plus.

Je reprends des liens que je croyais rompus.

Il m’en coûtera cher... Que dis-je, malheureuse ?

Mais la nécessité me rendra vertueuse.

J’ai gagné sur mon cœur, ou du moins je le crois.       

Apercevant Damon.

Ah, rencontre cruelle ! Et qu’est-ce que je vois ?

DAMON.

C’est un infortuné, qui n’a plus guère à vivre.

LÉONORE.

Je vous l’ai dit, vivez ; mais cessez de me suivre.

DAMON.

Eh ! le puis-je ? C’est vous qui voulez mon trépas.

LÉONORE.

Ah ! ne m’engagez point à de nouveaux combats.      

Mon cœur n’a pas besoin d’une épreuve cruelle.

DAMON.

Hélas ! que craignez-vous ? À quoi servirait-elle ?

LÉONORE.

À vous faire haïr, à me désespérer.

C’est me persécuter, c’est me déshonorer,

Que d’exposer encor mon cœur à se défendre.

Ce sont de vains regrets que je ne puis entendre.

Vous avez un rival qui n’en doit point avoir.

Je vais le retrouver, et remplir mon devoir.

DAMON.

Vous l’étendez plus loin qu’il ne devrait s’étendre.

Madame, si je crois ce qu’on m’a fait entendre,           

Sans blesser ce devoir, vous pourriez recourir

À des moyens plus doux, qu’on vient de vous offrir.

LÉONORE.

Non, je n’ai point assez d’audace, ni de force,

Pour aller mendier un malheureux divorce.

Je n’imagine pas qu’une femme de bien,          

Puisse jamais avoir recours à ce moyen.

Il faut un front d’airain pour donner ce scandale.

DAMON.

On vous excepterait de la loi générale.

ORPHISE.

Ne vous en flattez pas.

GÉRONTE.

Le cas est différent.

LÉONORE.

Sur l’espoir d’un succès toujours déshonorant,

Je ne risquerai point d’être tympanisée.

Le plus grand des malheurs est d’être méprisée.

Hé quoi ! sur un prétexte absurde et mendié,

Aller de porte en porte implorer la pitié,

Y faire de sa vie un journal équivoque,

Que personne ne croit, et dont chacun se moque

Suborner des témoins, gagner des partisans ;

Remplir les tribunaux de ses cris indécents ;

Y faire débiter des plaintes infidèles ;

Inonder le public d’injurieux libelles ;

Ébruiter des malheurs qu’on pouvait empêcher,

Ou qu’au moins la raison devait faire cacher :

Je ne puis seulement soutenir cette idée.

GÉRONTE.

Eh ! non. Rassure-toi. Ta crainte est mal fondée.

ORPHISE.

Eh ! mais, pardonnez-moi.

GÉRONTE.

Non. Il s’agit au plus

D’achever de briser des nœuds presque rompus,

De m’en laisser le soin ; en un mot, de reprendre

L’heureuse liberté qu’on offre de lui rendre ;

De quitter un époux.

LÉONORE.

Daignez lui pardonner.

À sa discrétion, je veux m’abandonner.

Peut-être que l’absence, et son état funeste

Auront changé son cœur ; le mien fera le reste.

GÉRONTE.

Erreur ! N’espérez pas de si tendres retours.

DAMON.

Vous allez exposer votre gloire, et vos jours.

Songez-vous qu’un mortel, insensible à vos larmes,

Va jouir, malgré vous, d’un bien si plein de charmes ?

Je ne vous parle point du désespoir affreux

Où vous allez jeter le cœur d’un malheureux,

Qui mourra, malgré vous, dans sa persévérance.

J’avais pris dans vos yeux une fausse espérance.       

Je perds tout, en perdant ce bonheur apparent.

Ce que je deviendrai vous est indifférent.

LÉONORE.

Ah, cruel ! D’où vient donc le remords qui m’accable...

Qu’ai-je dit ? Je me rends encore plus coupable.

Ne vous promettez rien des pleurs que je répands.

Non, quand je briserais les nœuds que je reprends,

Notre hymen ne peut plus devenir légitime.

Ce serait avouer, et consommer mon crime.

Vous avez une épouse. Imitez-moi tous deux :

Ou, plutôt, puissiez-vous l’un et l’autre être heureux.

Je sens que tôt ou tard il faut qu’elle vous aime.

DAMON.

N’exigez pas de moi cette faiblesse extrême.

Sa haine ou son amour ne m’intéressent plus.

Ne consent-elle pas que nos fers soient rompus ?

LÉONORE.

C’est vous qui le voulez.

DAMON.

Y consentirait-elle,

Si ce n’était pour prendre une chaîne nouvelle ?

Je n’eus jamais son cœur ; elle a repris sa foi.

LÉONORE.

Arrêtez. On pourrait en dire autant de moi.

C’est vous qui me jugez.

GÉRONTE.

Quelle bizarrerie !

ORPHISE.

Oh ! vous traitez toujours la vertu de folie.      

 

 

Scène V

 

GÉRONTE, ORPHISE, DAMON, LÉONORE, NÉRINE, FRONTIN

 

FRONTIN, à Damon.

Vos gens et vos chevaux, tout est prêt pour aller...

GÉRONTE.

Eh ! Ventrebleu, va-t’en les faire dételer.

 

 

Scène VI

 

GÉRONTE, ORPHISE, DAMON, LÉONORE, NÉRINE

 

GÉRONTE, à Léonore.

Pourquoi s’abandonner au torrent des scrupules ?

De trop grands sentiments sont souvent ridicules.

Si c’était un époux tel qu’eût été Damon,         

Passe ; mais c’en est un qui n’en eut que le nom ;

Un jeune écervelé qui laisse sa compagne,

Et, pour libertiner, va battre la campagne ;

Que je ne connais point ; car ma sœur, Dieu merci,

Ne consultait personne en tout, comme en ceci ;        

Un homme qui n’agit que par ses émissaires,

Et n’ose se montrer que par ses gens d’affaires ;

Qui, lorsqu’on le croit mort, revient après douze ans

Pour se démarier.

DAMON, à part.

Quels rapports étonnants !

LÉONORE.

Respectez ses malheurs.

DAMON.

Eh ! de grâce, Madame...

GÉRONTE.

Voilà pourtant l’époux que ma nièce réclame !

DAMON.

Peut-on savoir le nom...

LÉONORE.

Ne le sachez jamais.

DAMON.

Ne me refusez pas...

LÉONORE.

J’entrevois vos projets ;

Et le coupable espoir que vous gardez encore.

Voulez-vous achever de perdre Léonore ?

Son repos, son honneur devraient bien vous toucher.

DAMON.

Sous ce nom étranger, cessez de vous cacher.

Vous vous nommez Silvie, et non pas Léonore.

Que n’êtes-vous aussi l’épouse de Sainflore !

LÉONORE, à Damon qui se jette à ses genoux.

Ah ! qui m’a pu trahir !... Téméraire ! arrêtez.

Quelle horreur !... Laissez-moi...

DAMON.

Madame, permettez...

ORPHISE.

Damon, y songez-vous ?

NÉRINE.

Pour le coup, il s’oublie.

DAMON.

Je renais... Ah ! Madame... Ah ! ma chère Silvie...

Il donne un papier à Géronte.

Tenez... je suis...

À Léonore.

Voilà votre consentement ;

Retrouvez un époux dans le plus tendre amant.        

GÉRONTE.

Voyons donc.

LÉONORE.

Vous, Sainflore ?

ORPHISE.

Ah, grand Dieu !

GÉRONTE.

C’est lui-même.

LÉONORE.

Ô sort trop fortuné ! C’est mon époux que j’aime.

GÉRONTE.

La bonne antipathie ! Ah ! gardez-la toujours.

Haïssez-vous ainsi, le reste de vos jours.

PDF