Julien et Justine (Charles DESNOYERS - DUBOIS-DAVESNES)

Tableau villageois, mêlé de couplets.

Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Ambigu-Comique, le 12 août 1828.

 

Personnages

 

ROGER

JUSTINE sa pupille

JULIEN son pupille

MARCELINE, femme âgée

LISE, sa fille

GEORGETTE, paysanne

SIMON, usurier

GUILLAUME, paysan

PAYSANS

PAYSANNES

CHASSEURS

 

La scène se passe Suisse.

 

 

Scène première

 

LISE, MARCELINE, JULIEN, JUSTINE, GEORGETTE, VILLAGEOIS, VILLAGEOISES

 

Au lever du rideau, ils sont tous rassemblés en plusieurs groupes ; les jeunes filles, filent ou tricotent ; d’autres battent du beurre ; des jeunes gens sont à tiller du chanvre ; quelques autres à faire des paniers ou des chapeaux de paille ; un groupe de vieillards joue aux cartes, etc. etc. Enfin, le tableau d’une assemblée villageoise, telle qu’on les voit journellement en Bourgogne et en Suisse.

Lise, Marceline, Georgette, Justine, Julien, sont sur le devant de la scène.

CHŒUR.

Air : du Vaudeville de la rue du Carousel.

Allons, amis, travaillons, du courage,
En attendant le moment du loisir ;
Dépêchons-nous, prenons cœur à l’ouvrage,
Après l’travail arrive le plaisir.

JUSTINE.

Le travail fait la bonne ménagère,
Et lorsqu’on veut trouver à s’marier,
On dit partout qu’c’est un chos’nécessaire,

GEORGETTE.

Vraiment ? eh bien je m’en vais travailler.

CHŒUR.

Allons, amis, etc.

On entend un roulement de tambour, tout le monde se lève.

GEORGETTE.

Ah ! ah ! c’est nos amis qui partent pour la chasse, et mon prétendu, le gros Guillaume, est à leur tête.

 

 

Scène II

 

LES MÊMES, GUILLAUME, CHASSEURS

 

GUILLAUME.

Bonjour, ma petite Georgette, bonjour, mes amis. Écoutez tous :

Il lit.

« Au nom de M. Blumfeld, bailli de Linthal, canton de Glaris, il est fait savoir à tous les habitants que celui qui tuera le loup enragé qu’on a signalé dans ce canton, aura droit à une récompense de 800 fr. »

Roulement de tambour.

TOUS.

Huit cents francs !

GUILLAUME.

Air de chasse.

Allons, amis, partons pour la chasse,
D’un tel fléau délivrons le pays.
On peut montrer toute son audace
Quand huit cents francs doiv’t’en être le prix.

GEORGETTE.

Dans le village tout le monde répète
Qu’tu terrass’ras c’ loup qui caus’ not effroi,
Aussi tout le monde en pensant à la bête,
Mon cher Guillaume, pense toujours à toi.

CHŒUR GÉNÉRAL.

Allons amis, { partons  pour la chasse, etc.
                    { partez

 

 

Scène III

 

LES MÊMES, excepté GUILLAUME et LES CHASSEURS

 

JULIEN.

L’fait est qu’huit cents fr. çà s’rait bon à gagner.

JUSTINE.

Oui, mais j’espère bien que tu n’ l’essaieras pas.

JULIEN.

Ma foi, j’ai bien envie...

LISE.

Et moi, Monsieur, je n’le veux pas.

JULIEN.

Ah ! c’est différent, du moment qu’çà vous déplaît, mademoiselle Lise, j’y renonce.

À demi voix.

Et pourtant, c’est pour vous, pour vot’ mère, que je désirais gagner c’ t’argent ; y aurait de quoi payer c’ vilain M. Simon.

LISE, bas.

N’importe, je ne veux pas que vous vous exposiez... Je parlerai à M. Roger.

JULIEN, bas.

Mon parrain... oh, oui ! Çà lui f’ra plaisir, j’en suis sûr, il est si bon, et puis il a d’l’argent.

LISE, bas.

Chut ; on nous regarde.

GEORGETTE, les examinant, à part.

Non, je m’trompais, ils n’ s’aiment pas...

JUSTINE.

Eh ben ! mademoiselle Georgette, qu’est-ce que vous faites donc là les bras croisés ?

GEORGETTE.

Dam, si vous croyez qu’c’est amusant d’rester là toute une journée à filer et à battre du beurre.

JULIEN.

Ah ? çà vous ennuie de travailler ?

GEORGETTE.

Et vous, est-ce que ça vous amuse ?

JULIEN.

Certainement, parce que ça fait passer l’temps, et puis on est tous réunis, et en travaillant’ on jase, on rit, on chante...

GEORGETTE.

Oui ; mais moi qui n’suis ni rieuse, ni chanteuse, ni...

JULIEN.

Ni bavarde, n’est-ce pas ?

GEORGETTE.

Dam !

JULIEN.

Dites donc, vous autres, elle dit qu’elle n’est pas bavarde...

TOUS, riant.

Ah ! ah ! ah ! ah !

GEORGETTE.

Eh ben ! allez-vous bentôt finir ?

TOUS.

Ah ! ah ! ah ! ah !

GEORGETTE.

C’est bon, c’est bon... vous ne voulez pas vous taire... Eh bien, soyez tranquilles. Puisque vous m’appelez bavarde, je m’vengerai et j’dirai partout c’que je sais... j’di rai qu’ mamselle Thérèse a un amoureux, qu’ mamselle Augustine en a deux ou trois... enfin

Air : L’ombre s’évapore.

Puisqu’on me regarde
Comme une bavarde,
De m’venger il m’tarde,
Et j’dirai tout haut
Que mamsell’ Pauline,
Qui toujours badine,
Tourmente et lutine
Not’voisin Charlot ;
J’sais qu’la meûnière
Qu’est si sévère,
N’fait pas la fière
Avec son grand valet ;
Que d’puis l’veuvage,
Ell’ l’encourage
À fair’ l’ouvrage
Qu’ son mari faisait.
Je sais qu’on clabaude,
Sur la femme à Claude,
Et qu’on voit d’la fraude
Dans c’ménage-là,
Qu’son homm’qu’elle attrape,
Quand le vin le tape,
S’endort sur la nappe
Pour s’consoler d’çà.
La grand’ Clémence
Vant la constance,
C’est là, je pense,
De beaux sentiments...
Mais c’te d’moiselle,
Qu’est si fidèle,
Jou’ de la prunelle
Avec trois amants.
Si j’n’étais discrète,
J’dirais que Nanette
Joue à la cachette
Avec le p’tit berger...
Oui, j’les ai vu rire,
Et même j’ai vu pire,
Mais j’veux pas vous l’dire,
Car j’n’aim’ pas parler.

Enfin, y a ben d’autres choses que j’sais et que je ne dis pas... Par exemple, je n’dis pas...

MARCELINE.

C’est bon, c’est bon, nous n’avons pas besoin de tes bavardages.

GEORGETTE.

Non, mais c’est qu’ils ont un air...

MARCELINE.

Dites-moi, mes enfants, où donc est le bon Roger ? nous ne l’avons point encore vu ce matin.

GEORGETTE.

Il est p’t-être allé à la chasse au loup.

JUSTINE.

Pourvu qu’il ne lui arrive pas de mal.

MARCELINE.

Cela f’rait bien d’la peine à tout l’monde. Oh ! mes enfants, voilà un exemple à suivre ; si vous voulez être chéris, respectés, imitez toujours le bon Roger.

JULIEN.

Toujours, toujours, mère Marceline.

JUSTINE.

Il est si bon, si généreux, aussi je l’aime !...

GEORGETTE.

Pardine, vous n’avez pas besoin d’le dire, j’m’en suis ben aperçue, qu’vous l’aimiez.

JULIEN.

C’est si naturel, après tout c’qu’il a fait pour Justine et pour moi. C’n’est pas seulement à cause qu’il est not’parrain, qu’il nous a recueillis ; nous étions pauvres, orphelins, tout d’suite l’bon Roger nous a pris avec lui. Il n’peut pas voir des malheureux sans leur tendre la main.

JUSTINE.

Aussi n’y a pas d’jour qu’y n’fasse queuqu’bonne action.

MARCELINE.

C’est par ses soins que vous avez été élevés ensemble, que vous avez appris à vous chérir.

JUSTINE.

Comme un frère.

JULIEN.

Et comme une sœur, ma p’tite Justine. Vous aussi, mademoiselle Lise, j’ vous aime beaucoup.

GEORGETTE.

Oh oui ! mais c’t’amitié-là c’est un aut’genre, c’est comme mamselle Justine et M. Roger.

JULIEN et JUSTINE.

Comment !

GEORGETTE.

Pardine, est-ce que vous croyez qu’on n’s’aperçoit pas...

JUSTINE.

D’quoi donc ?

GEORGETTE.

Rien, rien, j’veux pas l’dire, j’aime pas les propos.

JUSTINE.

Et pourquoi donc que j’m’en cacherais ? Je dois tout à ses bontés et je n’le chérirais pas plus que tout l’monde.

GEORGETTE.

Oui, mais il y a aimer et aimer.

JUSTINE.

Je n’sais pas c’que vous voulez dire ; c’qu’y a d’vrai, c’est que, s’il fallait me séparer d’lui, j’crois qu’j’en mourrais d’chagrin.

GEORGETTE.

Laissez donc, çà s’dit ces choses-là, mais çà n’se fait pas. Guillaume m’en dit autant, mais je n’le crois pas plus que les autres.

Air : Des plaisirs du village.

Dieu ! qu’ les amoureux sont plaisants !
De chacun d’eux c’est là l’histoire,
Ils ont tous de grands sentiments,
Mais qu’on serait bête de les croire.
Mourir d’amour ! oui, je le sais,
Ils dis’nt ça dans leurs tendres flammes !
Mais les homm’ n’en meurent jamais,
Et mêm’c’est ben rar’chez les femmes.

Ils sont tous comme ça.

On entend Roger fredonner dans la coulisse.

GEORGETTE.

Eh ! pardine, le v’là, Roger.

 

 

Scène IV

 

LES MÊMES, ROGER

 

ROGER, d’une main il tient son fusil, et de l’autre une corbeille pleine de bouquets.

Bonjour, bonjour tout le monde... ah ! çà, mes enfants, il faut que chacun de vous laisse là son ouvrage.

GEORGETTE.

Oh ! mon Dieu, tant qu’vous voudrez.

MARCELINE.

Mais pourquoi donc ?

ROGER.

Pourquoi ? Quel jour sommes-nous donc aujourd’hui ?

MARCELINE.

Ma foi, nous sommes...

JULIEN.

Le jour de la sainte Marceline.

GEORGETTE.

Mère Marceline, je vous souhaite une bonne fête et une bonne santé, accompagnées de plusieurs autres.

Tout le monde s’empresse au tour de Marceline et lui remet des bouquets que Roger a apportés.

MARCELINE.

Mes amis, mes enfants, mon cher Roger ! grand merci Georgette.

ROGER.

Allons, allons, qu’on me mette tout çà en ordre... qu’on me range les quenouilles, les rouets, et tout ce qui s’en suit, et qu’il ne soit plus question de travail aujourd’hui. De la joie ! morbleu, de la joie ! je ne connais que çà.

GEORGETTE.

Dites donc, père Roger, il m’semble nécessaire à moi que nous allions nous rajuster un brin, pas vrai.

ROGER.

Çà va sans dire.

MARCELINE.

Viens, ma fille, c’est aujourd’hui le jour de ma fête... Il faut aussi que je fasse un peu de toilette. Je suis bien coquette n’est-ce pas ? à mon âge. Ah ! dam ! il fut un temps où j’en valais d’autres... J’étais fraîche, j’étais gentille... dans ce temps-là.

Air : De sommeiller encore, etc.

Mais ces trésors de ma jeunesse,
Depuis longtemps, ils ne sont plus ;
Tout est détruit, et la vieillesse
Vient m’apporter des regrets superflus.
C’était le temps des soupirs, des alarmes,
Des noirs chagrins, des amours délaissés ;
Dans ces temps-là, j’ai versé bien des larmes...
Pourquoi faut-il, hélas ! qu’ils soient passés.

Mais chut ! faut pas parler d’çà devant les enfants... Çà leur donne des idées, et ils en ont assez comme ça...

Bas.

Père Roger, je reviens dans un instant, j’ai à vous faire une proposition qui ne vous sera pas désagréable.

ROGER.

Quand vous voudrez.

LISE, bas.

M. Roger, ne vous éloignez pas, je vous en prie, j’ai deux mots à vous dire.

ROGER, bas.

Je suis prêt à vous entendre... que signifie !

JULIEN.

Viens, Justine.

JUSTINE.

Me v’là, Julien ; sans adieu, mon cher tuteur.

GEORGETTE.

Au revoir, père Roger.

Ensemble.

Air des Blouses.

Il faut aller mettr’ nos habits de fête,
C’est nécessaire un jour comme celui-ci ;
Dans un instant notr’ toilette sera faite,
Et sur-le-champ nous reviendrons ici.

JUSTINE.

Moi, Dieu merci, je ne suis pas coquette,
Vous le savez, mais je l’dis sans détours,
Quand on voudra que j’aille à ma toilette,
Avec plaisir j’obéirai toujours.

CHŒUR.

Il faut aller, etc.

Marceline et Lise rentrent à gauche ; tous les acteurs sortent par le fond, et Roger reste seul en scène.

 

 

Scène V

 

ROGER, seul

 

La mère et la fille veulent l’une et l’autre me parler en secret, à quel propos ? ma foi, nous verrons çà tout-à l’heure... et moi aussi, j’aurais bien à faire un aveu à quel qu’un... cette petite Justine, je crois morbleu qu’en ma qualité de tuteur je me suis accoutumé à avoir trop d’amitié pour elle... que de fois, séduit par ses innocentes caresses, n’ai-je pas été tout près de lui faire connaître ce que je ressens pour elle ; mais à mon âge... et d’ailleurs je ne me suis que trop aperçu de sa tendresse pour Julien, et c’est bien naturel : le même âge, les mêmes goûts... oui, oui, je dois les unir, ils seront heureux... et moi... moi, je le serai de leur bonheur. Allons, allons, du courage...

 

 

Scène VI

 

ROGER, LISE

 

ROGER.

Eh bien ! Mademoiselle Lise, que m’voulez-vous ?

LISE.

Monsieur Roger, écoutez-moi.

ROGER.

Parlez.

LISE.

Vous connaissez M. Simon.

ROGER.

Qui ? c’gros richard, qui loge à vingt-cinq pas d’ici ; ce ladre, qui fait métier, dit-on, de prêter d’l’argent à raison de trois pour cent par semaine.

LISE.

Précisément... Il a dans les mains une lettre de change de mon père, échue quelque temps avant sa mort, et d’après un jugement rendu à cette époque, il est maître de faire saisir tout ce qui nous appartient.

ROGER.

Achevez.

LISE.

Pendant quelque temps mes prières ont eu quelqu’empire sur ce méchant homme... toujours j’avais un prétexte qui m’servait à l’éloigner d’ma mère, mais enfin tous les moyens ont été épuisés ; hier il est sorti d’ici plus furieux, que jamais, en me disant qu’aujourd’hui même le juge ment serait exécuté.

ROGER.

Le misérable ! et combien lui devez-vous ?

LISE.

Cinq cents francs.

ROGER.

Cinq cents francs ! et c’est aujourd’hui qu’il faut les trouver.

LISE.

Aujourd’hui même.

ROGER.

Diable ! c’est difficile ! cinq cents francs... mais n’importe... ne vous alarmez pas, mon enfant ; tout s’arrangera... Oui, quand ce vieil usurier arrivera, c’est à moi qu’il aura affaire... je m’charge de tout.

À part.

Trois mois de mes revenus y passeront, mais c’est égal.

LISE.

Ah ! M. Roger, ma reconnaissance...

MARCELINE, appelant à la cantonade.

Lise !... Lise ! eh bien ! ou est-elle donc cette petite fille ?

LISE.

Me voilà, maman, me voilà.

À Roger.

Surtout ne lui dites rien.

ROGER.

Soyez tranquille.

MARCELINE, qui est arrivée sur le seuil de la porte.

Lise !

 

 

Scène VII

 

ROGER, LISE, MARCELINE

 

MARCELINE.

Avec qui causais-tu donc, mon enfant ?

ROGER.

Avec moi, mère Marceline.

MARCELINE.

Avec vous, bon Roger... tant mieux... Je ne suis pas fâchée de vous trouver ensemble, car ce que j’ai à vous dire vous intéresse l’un et l’autre.

ROGER.

L’un et l’autre...

LISE.

Comment ?

MARCELINE.

Tenez, j’vas vous expliquer tout bonnement le petit projet que j’ai formé. Lise, tu vas avoir dix-huit ans.

LISE.

C’est vrai, maman.

MARCELINE.

Et à cet âge-là, il est assez ordinaire... 

ROGER.

Oui, j’vous comprends, mère Marceline, à c’t’âge-là, il est temps de se marier.

MARCELINE.

Précisément.

LISE.

De s’marier, ma mère ?

MARCELINE.

Oui, mon enfant.

ROGER.

Et, sans doute, vous avez fait un choix ?

MARCELINE.

Oui, un choix qui doit nous convenir à tous les trois.

ROGER.

Ah ! ah !... voyons un peu ; quel est le jeune homme ?

MARCELINE.

Le jeune homme... c’est vous.

ROGER.

Moi !

LISE.

Qu’entends-je ?

MARCELINE.

Vous-même ; qu’en dites-vous, Roger ?

ROGER.

Moi, mais vous sentez bien, mère Marceline, qu’en pareil cas, ce n’est pas à moi d’hésiter... mais je crains bien que votre fille...

MARCELINE.

Moi, j’suis tranquille de c’côté-là, n’est-ce pas, Lise ?

LISE.

Ma mère...

ROGER.

Allons, allons, mère Marceline, il faut lui laisser le temps de réfléchir, à cette chère enfant ! Un mari de quarante ans... avant d’ dire qui... une jeune fille y regarde à deux fois.

LISE.

Ah ! M. Roger, croyez...

On frappe à la porte ; elle va ouvrir ; Simon, entre. Bas à Roger.

Grand Dieu ! M. Simon !...

ROGER, bas à Lise.

Simon ! l’usurier ! ne craignez rien ; je m’en charge.

 

 

Scène VIII

 

ROGER, LISE, MARCELINE, SIMON

 

MARCELINE.

Qu’est-ce que c’est ?

ROGER.

Eh ! parbleu, c’est ce cher M. Simon.

MARCELINE.

M. Simon !

SIMON.

Moi-même ; je venais...

ROGER.

Vous veniez souhaiter’ la fête à la bonne Marceline, n’est-ce pas ?

MARCELINE.

Vraiment !

LISE, à part.

Je tremble.

SIMON.

Permettez donc, M. Roger ; je...

ROGER.

Allons, mon cher ami, que je ne vous gêne pas : faites vot’ compliment.

SIMON.

Mon compliment !

ROGER.

Eh bien, avancez donc.

MARCELINE.

Comment ! vous avez eu la bonté de penser à moi ?

SIMON.

Sans doute, j’y ai pensé, Madame, mais...

ROGER.

Est-ce qu’il ne pense pas à tout, le père Simon ?

SIMON.

Écoutez-moi, je vous prie : je suis venu.

ROGER.

Eh ! mon Dieu ! est-ce qu’il faut faire des phrases, dire de belles paroles dans une occasion comme celle-ci ? le langage du cœur, v’là tout ce qu’il faut.

MARCELINE.

C’est bien mon avis.

SIMON.

Je le crois, Madame, mais souffrez...

LISE.

Monsieur Simon !

SIMON.

Mais écoutez-moi donc enfin... Je viens...

ROGER.

Vous venez... eh ! parbleu ! est-ce que nous ne l’savons pas pourquoi vous venez...

Bas.

Maudit usurier, sois chez moi dans une heure, et tu seras payé...

SIMON, bas à Roger.

Comment... vous vous chargez...

ROGER.

Va-t’en, te dis-je ; et après çà, si tu remets le pied dans cette chaumière, je t’payerai encore quelque chose ; mais la monnaie que tu recevras sera solide, entends-tu ?

Haut.

Je ne puis en revenir ; ce cher M. Simon, il a su que c’était aujourd’hui votre fête, et il est venu... c’est bien, c’est très-bien de sa part.

Bas à Simon.

Vous m’avez entendu : chez moi, dans une heure...

SIMON, bas.

J’y serai.

ROGER, haut.

Comment ! vous partez déjà !

MARCELINE.

Ah ! restez, je vous en prie.

SIMON.

Madame, je le voudrais, mais...

ROGER.

Mais vous avez des affaires, n’est-il pas vrai ; allons, ne vous gênez pas.

MARCELINE.

Promettez-nous alors que vous reviendrez nous voir l’plus souvent qu’il vous sera possible.

SIMON.

Sans doute... je...

ROGER, haut.

Ça nous f’ra plaisir.

Bas.

N’vous avisez pas d’y r’paraître, ou ventrebleu !... suffit...

Haut.

Adieu.

MARCELINE, fausse sortie de Simon.

Et veuillez, je vous prie, faire part à vos amis du mariage de ma fille avec M. Roger.

SIMON.

M. Roger ! comment...

LISE.

Lui-même.

ROGER.

Ainsi, décidément vous consentez...

LISE.

Oui, Monsieur Roger.

MARCELINE.

À la bonne heure donc ; monsieur Simon, n’oubliez pas de dire çà à tout l’monde.

SIMON.

Avec plaisir, Madame.

ROGER.

Oui, n’oubliez rien de ce que vous avez entendu.

Haut.

Encore une fois, adieu.

LISE et MARCELINE.

Adieu, monsieur Simon.

 

 

Scène IX

 

ROGER, LISE, MARCELINE

 

ROGER.

Mais est-il bien vrai, mademoiselle Lise, que c’mariage là n’vous déplaira pas ?

LISE.

Me déplaire !... Non, non, monsieur Roger.

MARCELINE.

Et pourquoi donc lui déplairait-il ?

ROGER.

Pourquoi ? pourquoi ? parbleu ! ça s’devine de reste, elle est jeune, jolie, tandis que moi, je ne suis plus jeune, et j’n’ai jamais été beau.

MARCELINE.

Mais, en revanche, vous avez été, vous êtes et vous serez toujours bon, ce qui vaut cent fois mieux.

LISE.

Oui, oui, monsieur Roger... et qui le sait mieux que moi ? Cette bonté, dont vous parle ma mère, que de fois n’en ai-je pas ressenti les effets ! que de fois...

Bas.

Tout à l’heure encore.

ROGER, bas à Lise.

Chut ! n’parlons pas d’çà, ou nous nous fâcherons en semble.

Haut.

Eh bien ! mère Marceline, nous verrons... nous reparlerons de çà ; et comme Justine et Julien, mes deux pupilles, sont aussi bien que mademoiselle Lise en âge de se marier, ma foi...

MARCELINE.

Excellente idée, deux mariages au lieu d’un.

ROGER.

C’est çà.

LISE, à part.

Qu’entends-je ?

ROGER.

Oui, ils ont été élevés ensemble, dès leur enfance, ils se sont habitués à s’aimer, à se chérir, et vous comprenez bien qu’avec le temps, cette amitié-là...

MARCELINE.

Oui, çà s’change en amour, je le conçois fort bien.

LISE, à part.

Grand Dieu ?

ROGER.

J’vous avouerai qu’du moment qu’j’ai cru m’en apercevoir, ça m’a déplu d’abord...

MARCELINE.

Pourquoi ?

ROGER.

Que sais-je ? j’avais tort, car enfin c’est une union très assortie ; mais qu’avez-vous, mademoiselle Lise, vous avez l’air pensif.

LISE.

Moi, monsieur Roger !... du tout, je vous assure.

ROGER.

Est-ce que par hasard cet hymen, auquel vous consentez, n’vous conviendrait pas autant qu’vous l’dites.

LISE.

Comment ! vous pensez... Ah ! détrompez-vous, mon sieur Roger, je sens que je dois être heureuse avec vous...

À part.

Ah ! tâchons de contenir mes larmes.

 

 

Scène X

 

ROGER, LISE, MARCELINE, GEORGETTE

 

GEORGETTE.

Me v’là, moi, qui vient de faire sa toilette. Mais dites-moi donc, père Roger, qu’est-ce que je viens de voir, à vingt-cinq pas d’ici ? c’vilain M. Simon qui s’en allait...

ROGER, bas à Georgette.

Bavarde, veux-tu bien te taire ?

GEORGETTE.

V’là que j’suis une bavarde, à présent.

MARCELINE.

Et une mauvaise langue, de plus... Je vous demande un peu quel mal lui a fait c’pauvre M. Simon, pour en parler de cette manière-là.

GEORGETTE.

Pardine, c’est un avare, un vilain, un juif, un turc, tout ce que vous voudrez.

MARCELINE.

Qu’est-ce que cela nous fait ? nous ne lui devons rien, ainsi...

GEORGETTE.

Par exemple, mère Marceline, vous m’permettrez d’vous dire...

ROGER, bas.

Te tairas-tu ?

GEORGETTE.

Ah ! c’est ennuyant à la fin ; quand j’suis avec vous, monsieur Roger, y faut toujours que j’me taise... j’vous l’dis une fois pour toutes, l’silence n’est pas mon élément, çà m’étouffe.

ROGER.

Oui, mais tu t’arranges d’manière à n’pas en mourir.

GEORGETTE.

Dam, c’est pas ma faute si j’en meurs pas. Pour en revenir à ce que je disais...

ROGER.

Encore !... Tenez, mère Marceline, nous f’rons bien d’passer dans la chambre voisine pour causer d’nos affaires. Parle donc, puisqu’il faut qu’tu parles absolument, mais parle toute seule, au moins çà n’fatiguera personne que toi.

GEORGETTE.

Mais monsieur Roger...

ROGER.

Hum ! la bavarde !

GEORGETTE.

Dites-moi donc, mère Marceline...

MARCELINE.

Taisez-vous, serpent !

GEORGETTE.

Figurez-vous, mamselle Lise...

LISE.

Laissez-moi, mamselle, j’suis ben en train d’causer avec vous...

Ils rentrent tous trois à gauche.

 

 

Scène XI

 

GEORGETTE, seule

 

Imitant tour à tour la voix des personnages précédemment en scène.

« Hum, la bavarde !... Taisez-vous serpent !... Laissez-moi, mamselle, j’suis ben en train d’causer avec vous ! » Sont-ils drôles tous les trois, sont-ils drôles... et c’l’iniquité du père Roger, d’vouloir que j’m’taise ! C’est une tyrannie qui n’a pas d’exemple, car enfin mes paroles sont à moi, et j’peux en disposer librement, sans en demander la permission à personne. D’abord, j’n’ai qu’çá pour me désennuyer... çà et puis l’gros Guillaume, mon prétendu, mais comme d’puis queuqu’temps il est occupé à chasser l’loup enragé et qu’il est éloigné toute la journée, alors moi pour m’consoler d’son absence

Air : Je pique, je pique.

Je parle,
Je parle,
Ça m’fait oublier mon chagrin ;
Je parle,
Je parle,
Soir et matin.
J’nai pas en tout vingt francs de rente,
Et d’mon sort pourtant j’suis contente ;
Mon cœur n’est jamais attristé,
J’ai, pour narguer la pauvreté,
Ma langue et ma gaité,
Se parle, etc.
Quelque soit le sort qui m’arrive,
Il faut que j’parl’pour que je vive.
Dans l’aut’mond’ p’tétr’que j’me tairai,
Mais dans celui-ci je parlerai,
Toujours je parlerai.

Interrompant l’air.

Et je vous demande un peu, sans çà, comment j’ferais pour vivre... Car, enfin, y a-t-il rien de plus insupportable que d’être comme çà, la bouche fermée, sans rien dire... Oh ! rien que d’y penser, çà m’fait mal : aussi, le matin, dès que j’ suis levée, je parle, et toute la journée, idem... et le soir, en me couchant, toujours la même chose ; enfin, que je sois triste ou gaie, en compagnie ou toute seule, dans une maison ou en plein air,

Je parle,
Je parle,
Çà m’fait oublier mon chagrin ;
Je parle,
Je parle,
Soir et matin.

Mais à propos, il me semble que le père Roger a dit : « Il faut entrer dans la chambre voisine pour causer de nos affaires. » De nos affaires ! j’voudrais ben savoir de quoi y s’agit.

Elle écoute à la porte.

Hein, qu’est-ce que j’entends ? Du bonheur mutuel... du mariage... Ah ! il y a un mariage. Oui, mamselle Lise, j’espère que nous serons heureux ensemble... Comment, v’là donc c’que c’est... j’en apprends de belles... et c’te pauvre Justine, quand elle va savoir çà, queu peine çà va lui faire... car j’suis ben sûre...

Elle écoute encore de nouveau, lorsque Justine et Julien entrent, puis un instant après Roger.

 

 

Scène XII

 

GEORGETTE, JUSTINE, JULIEN, ROGER

 

JULIEN.

Eh bien ! qu’est-ce que vous faites encore là mamselle Georgette ?

GEORGETTE.

Moi ?... je me promène.

JULIEN.

Oui, vous vous promenez d’une drôle de manière. Pourquoi donc est-ce que vous écoutez aux portes ?

GEORGETTE.

Pourquoi ! c’est pour entendre.

JUSTINE.

C’est joli !

GEORGETTE.

Si vous saviez ce que j’ai entendu.

JULIEN et JUSTINE.

Çà m’est ben égal.

GEORGETTE.

Apprenez que mamselle Lise...

JULIEN et JUSTINE.

Nous ne voulons rien savoir.

GEORGETTE.

Et M. Roger...

ROGER se trouve derrière elle.

Bavarde !

GEORGETTE.

M. Roger !... y s’trouve toujours là pour me couper la parole.

ROGER.

Mademoiselle Georgette...

GEORGETTE.

Eh bien ?

ROGER.

Faites-moi le plaisir...

GEORGETTE.

Après.

ROGER.

Vous n’me comprenez pas ?

GEORGETTE.

Si fait ; mais d’abord il faut que vous sachiez...

ROGER.

Rien.

GEORGETTE.

Monsieur Roger.

ROGER.

Laissez-nous.

GEORGETTE.

C’est bon, c’est bon, vous n’voulez pas que j’parle, mais j’m’en vengerai sur le premier passant que je rencontrerai, et tout le monde dans l’village va savoir...

Elle est arrivée au seuil de la porte, Roger la ferme.

ROGER.

Adieu.

JUSTINE et JULIEN, riant.

Adieu, adieu, mamselle Georgette.

ROGER.

Enfin nous en voilà débarrassés.

GEORGETTE, reparaissant à l’une des fenêtres du fond qui est entr’ouverte.

C’est une abomination, c’est une infamie.

Roger va fermer la fenêtre.

 

 

Scène XIII

 

JUSTINE, JULIEN, ROGER

 

ROGER, à Julien et Justine.

Écoutez-moi mes enfants.

JUSTINE.

Parlez, mon cher tuteur.

ROGER.

Ma p’tite Justine...

À part.

Eh bien ! ventrebleu, on dirait que j’tremble en lui parlant... qu’est-ce que ça veut dire ?

JUSTINE.

Oh ! mon Dieu ! mon parrain, quel drôle d’air vous avez ?

ROGER.

Mes amis, mes chers enfants, je crois avoir rempli en vers vous tous les devoirs que je m’étais imposés en me chargeant du soin de vous élever.

JUSTINE.

Ah ! sans doute, et vous avez plus fait encore que vous ne croyiez devoir faire ; n’est-ce pas Julien !

JULIEN.

Tiens ! j’crois ben ; mais pourquoi donc, parrain, nous dites vous çà ? est-ce que nous avons jamais dit le contraire ?

ROGER.

Non, mes amis, non... mais j’aurais voulu pouvoir faire encore davantage, afin d’vous prouver combien vous m’êtes chers ; cependant le temps est venu ou j’dois vous en donner la preuve... aujourd’hui même vous l’aurez.

JULIEN.

Comment ! la preuve ! est-ce que nous en avons besoin ! est-ce qui nous manque queuqu’chose. La preuve ! la v’là, la preuve, c’est ce bel habit des dimanches que vous m’avez donné il y a huit jours... c’te blouse toute neuve que vous m’avez fait faire dernièrement... si nous savons lire et écrire, qu’est-ce qui a payé le maît’ d’école ? vous, toujours vous, enfin jusque dans les arts d’agrément : car, si je sais jouer du flageolet, c’est à vous que je le dois, à vous seul, et je ne l’oublierai jamais, parce que je n’suis pas un ingrat, comme vous avez l’air de le dire.

JUSTINE.

Il a raison, mon parrain ; croyez-vous que rien puisse augmenter encore notre tendresse pour vous ? non, c’est impossible... parce que c’t’amour-là c’est plus fort que nous... enfin c’est des choses qu’on sent, et qu’on ne peut pas dire.

ROGER.

Ma bonne Justine.

JULIEN.

C’est vrai au moins c’qu’elle dit là : nous n’vous aurions jamais connu, qu’nous vous aurions toujours aimé.

ROGER.

Allons, écoutez-moi, j’vas vous dire mon projet.

JULIEN et JUSTINE.

Vot’ projet !...

JUSTINE.

Quel est-il, mon parrain ?

ROGER.

Je veux vous marier.

JULIEN et JUSTINE.

Nous marier !

JULIEN.

Comment ! vous allez nous marier... ah ! c’est drôle... comment ! moi ! j’vas avoir une femme, je n’s’rai plus Julien tout court ! j’s’rai Monsieur Julien !

ROGER.

Oui, mon ami, sans doute.

JULIEN, sautant de joie.

Ah ! parrain, que j’vous embrasse, que j’t’embrasse aussi, Justine... j’vas être Monsieur Julien ! ah ! quel bonheur ! quel bonheur ! mais dites-moi donc, mon parrain, avec qui est-ce que vous allez me marier ?

ROGER.

Eh ben ! tu n’m’as donc pas compris ? c’est avec ta cousine Justine.

JUSTINE.

Quoi ! c’est...

JULIEN.

Ah ! c’est ensemble que vous voulez... Eh ben ! tant mieux, ça m’f’ra plaisir, et toi, Justine ?

JUSTINE.

Et moi aussi...

À part.

au fait, je n’vois pas pourquoi j’n’en s’rais pas contente.

JULIEN.

C’est drôle, quel singulier plaisir çà m’fait, je suis tout bête.

Pleurant.

quel bonheur ! quelle joie !...

JUSTINE.

Il paraît qu’ça m’fait le même plaisir, car j’suis tremblante... et j’ai les larmes aux yeux.

ROGER.

Eh bien ! mes enfants, bientôt nous signerons votre contrat, et en même-temps nous en signerons peut-être un autre.

JUSTINE.

Un autre contrat !

JULIEN.

Lequel donc ?

ROGER.

Le mien.

JUSTINE et JULIEN.

Le vôtre !

JULIEN.

Et dites-moi, parrain, avec qui ?

ROGER.

Avec Lise.

JULIEN.

Heim ! qu’est-ce qu’il dit ?

JUSTINE.

Avec Lise.

ROGER.

Oh ! mon Dieu oui, sa mère vient de m’en faire la proposition : ce mariage adoucirait leurs malheurs, et peut être...enfin, nous verrons... mais à propos, mes enfants, j’oubliais... oui, M. Simon m’attend chez moi probablement.

Air du Carnaval de Béranger.

Pour une affaire il faut que je vous quitte,
Embrassons-nous, adieu, mes chers enfants ;
De vot’bonheur j’vais m’occuper ensuite,
Rassurez-vous, je n’serai pas longtemps.

À part.

Payons l’coquin qui chez moi doit se rendre,
Que d’sa créance il ne soit plus question ;
Pour le plaisir, faut pas nous faire attendre,
Encor bien moins pour une bonne action.

Il sort.

 

 

Scène XIV

 

JULIEN, JUSTINE

 

JULIEN.

Dis-donc, Justine ?

JUSTINE.

Eh bien !

JULIEN.

Nous allons donc nous marier.

JUSTINE.

Oui.

JULIEN.

Mon parrain a eu là une bonne idée... seulement... je songe à une chose.

JUSTINE.

À quoi donc ?

JULIEN.

Nous s’rons heureux... mais pas plus que nous n’l’étions.

JUSTINE.

Dam ! je l’crois aussi.

JULIEN.

Quelle différence y aurait-il donc pour nous ?

JUSTINE.

Que j’t’appellerai mon mari, au lieu d’t’appeler mon cousin.

JULIEN.

La belle avance !

JUSTINE.

Autant valait rester comme nous étions.

JULIEN.

Tiens, je ne sais pas si tu es comme moi, mais quand mon parrain m’a annoncé c’te nouvelle là, j’ai eu comme une espèce de chagrin.

JUSTINE.

Moi aussi,

JULIEN.

C’est singulier.

JUSTINE.

Et maintenant, si tu n’étais pas là, Julien, j’crois que j’pleurerais.

JULIEN.

Moi, j’voudrais pleurer, qu’je n’pourrais pas, j’ai un poids sur la poitrine... Çà m’étouffe.

JUSTINE.

Ah, mon Dieu ! mon Dieu, qu’est-ce que ça veut dire ?

Air : Contentons nous d’une simple bouteille.

Oui, malgré moi c’t’ hymen là me chagrine.

JULIEN.

Ah ! je te plains si tu souffres comm’ moi !

JUSTINE.

Pauvre Julien !

JULIEN.

Pauvre Justine !

JUSTINE.

Çà m’ fait bien mal.

JULIEN.

Moi de même... et pourquoi ?
Quel est enfin c’ tourment qui nous dévore ?

JUSTINE.

Je n’ sais, et toi ?

JULIEN.

Je n’ suis pas plus malin.

JUSTINE.

D’où ça vient-il !

JULIEN.

Comme toi je l’ignore :
Mais tout c’que j’sais... c’est qu’ça m’ fait du chagrin.

J’peux ben dire qu’c’est la première fois qu’pareille chose m’arrive.

JUSTINE.

Moi aussi.

JULIEN.

C’pendant queuqu’fois il m’a semblé... quand j’étais à côté d’Lise, la future d’mon parrain...

JUSTINE.

Eh bien ?

JULIEN.

Mon cœur battait... et je ne savais pas pourquoi.

JUSTINE.

Tu m’croiras si tu veux ; mais moi, je m’souviens que quand mon parrain m’prend la main, et qu’il me parle...

JULIEN.

Après ?

JUSTINE.

Ça m’fait tout juste l’effet que tu viens de dire.

JULIEN.

Vraiment ?

JUSTINE.

Mais pas si fort qu’aujourd’hui.

JULIEN.

Oh ! non, ni moi non plus... dis-donc, dis-donc, Justine.

JUSTINE.

Quoi.

JULIEN.

J’crois qu’la v’là.

JUSTINE.

Qui donc ?

JULIEN.

Lise... et v’là mon cour qui bat plus fort qu’à l’ordinaire.

JUSTINE.

Oh ! j’suis ben comme toi, j’sens qu’sa vue m’fait un mal.

JULIEN.

Oui elle me fait mal... mais elle me fait plaisir en même temps.

JUSTINE.

Il m’semble que je n’l’aime plus.

JULIEN.

Moi, j’suis ben sur que j’l’aime plus que jamais.

JUSTINE.

Et j’men vas, car j’aurais d’la peine à rester avec elle.

JULIEN.

Moi, j’aurais d’la peine à m’en aller.

JUSTINE.

Adieu Julien.

JULIEN.

Adieu Justine.

 

 

Scène XV

 

LISE, JULIEN, JUSTINE

 

LISE.

Qu’as-tu donc, ma bonne amie ? tu sors sans me rien dire, sans me regarder même, qu’as-tu donc ?

JUSTINE.

Rien du tout, laissez-moi, mademoiselle.

LISE.

Laissez-moi ! tu n’as pas l’habitude de me parler ainsi, Justine.

JUSTINE.

Allez, allez, mademoiselle, c’est affreux, je vous en voudrai toute ma vie de...

LISE.

De quoi ?

JUSTINE

De... de rien... pardonne, ma bonne amie, j’ai tort, je ne dois pas m’en prendre à toi... tu ne peux rien à tout ça... adieu ! Lise adieu !... j’suis toujours ton amie... mais j’suis bien malheureuse.

Elle sort.

 

 

Scène XVI

 

LISE, JULIEN

 

LISE.

Elle est bien malheureuse ! et pourquoi donc ?

JULIEN.

Dam’çà y est venu, quand elle a appris qu’elle serait ma femme ! et moi-même, moi qui vous parle çà m’fait ben d’la peine aussi, sans qu’j’en sache davantage.

LISE.

Cependant, vous aimez Justine.

JULIEN.

Tiens ! c’t’idée !

LISE.

Et moi, vous pensez bien que j’dois aimer Roger.

JULIEN.

Dam ! je n’dis pas... c’pendant...

LISE.

C’pendant ?

JULIEN.

Eh bien, j’crois qu’vous n’s’rez pas heureuse avec lui.

LISE.

Pourquoi ?

JULIEN.

Parce que.

LISE.

Il est si bon !

JULIEN.

Ma foi, pas déjà tant.

LISE.

Comment, pas déjà tant.

JULIEN.

Eh ben, si ! il est bon ! pardine, je le sais mieux qu’per sonne mais il a tort.

LISE.

Tort !

JULIEN.

Oui, d’vouloir vous épouser.

LISE.

Mais enfin, qu’est-ce que ça vous fait ?

JULIEN.

Comment, ce que çà m’fait ? çà m’fait... je ne sais pas, mais çà m’fait beaucoup, car enfin... Lise, me v’là tout-à-fait comme Justine ; je n’peux pas deviner ni c’que j’veux, ni c’que je ressens... mais j’crois... j’crois que j’vous... que j’t’aime à toi seule plus que tout le monde ensemble... Certainement, j’suis ben content auprès de ma p’tite Justine, j’sens qu’j’ai pour elle beaucoup d’attachement, beaucoup d’amitié ; quand j’suis près d’elle, çà m’fait plaisir, mais y m’manque queuqu’chose... Auprès d’toi, c’est ben différent, j’sens un je n’sais quoi que j’peux pas expliquer ; ça m’prend tout d’un coup là, au cœur... j’souffre un peu, mais c’est égal, j’suis content... et plus j’te vois, plus çà augmente... enfin je n’sais pas c’que c’est... j’ny comprends rien, mais j’suis heureux.

LISE.

Si c’était là de c’t’amour dont Georgette nous parlait ce matin.

JULIEN.

D’l’amour ! ah ! mon dieu, oui, d’après c’qu’elle nous a dit, ça doit être çà.

LISE.

N’est-ce pas ? moi, çà m’fait c’t’effet-là d’abord.

JULIEN.

N’y a pas de doute ; nous sommes amoureux.

LISE.

Oui, nous sommes amoureux.

JULIEN.

Oh ! mon dieu, mon dieu, quel malheur ! me v’là amoureux d’la femme d’mon parrain ; si ce n’est pas avoir du guignon !... Mais après tout, c’est lui qu’a tort, puisque j’t’aime... Mais, toi, est-ce que tu l’aimerais mieux que moi ?

LISE.

Mieux ! oh ! non, non, Julien...

JULIEN.

C’est donc parce qu’vot’mère l’ordonne, que vous allez l’épouser.

LISE.

Oui, d’abord... et puis...

JULIEN.

Et puis, quoi ?...

LISE.

Air : Dis-moi, mon vieux, etc.

J’n’ai pas besoin que ma mère m’ordonne
D’aimer Roger : il est si bienfaisant !
Son cœur est franc, son âme douce et bonne,
À tous les maux il est compatissant,
Aussi chacun l’estime et le révère.
De tout l’village il est chéri,
Moi j’l’aim’beaucoup, j’voudrais qu’il fut mon père.

JULIEN.

Et moi j’voudrais qu’il n’fût pas ton mari...

Tâche-donc qu’il n’soit pas ton mari.

LISE.

Comment faire ?

JULIEN.

Je n’sais pas, mais c’est égal : tâche.

LISE.

Non, non, Julien ; c’est impossible ; ce mariage, je ne puis, je n’dois pas le refuser.

JULIEN.

Pourquoi ?

LISE.

M. Simon...

JULIEN.

Eh bien ?

LISE.

Vous-même, vous m’avez conseillé de m’adresser au bon Roger...

JULIEN.

Enfin ?

LISE.

Enfin, il a promis...

JULIEN.

Il a promis d’le payer, n’est-ce pas ? Allons, c’est très bien... C’est donc parce qu’il a d’quoiqu’il va vous épouser...  tandis qu’moi... ah ! que j’suis malheureux d’n’avoir jamais eu ni père, ni mère, j’aurais p’t’êtr’ d’l’argent aussi, et comme lui, je pourrais être bon, généreux... Mais c’est égal, ça n’est pas déjà si bien d’sa part d’avoir profité d’çà pour exiger...

LISE.

Oh ! détrompez-vous, Julien, il n’a rien exigé ; moi seule.

JULIEN.

Vous seule ?... au fait, vous avez p’t’être raison, mam s’elle... il a deux mille livres de rente.

LISE.

Julien.

JULIEN.

Deux mille livres de rente ! ah ! c’est un parti magnifique... Ah ! mon dieu, mon dieu, que j’suis donc mal heureux... Comment, y m’arrivera pas un sac de cinq cents francs !

LISE.

À quoi bon ?

JULIEN.

À quoi bon ?... eh ben, on verrait qu’il n’y a pas qu’mon parrain qui soit capable de choses pareilles, et j’aurais du plaisir à l’empêcher de faire sa bonne action.

LISE.

Comment cela ?

JULIEN.

En la faisant moi-même.

On entend le son du cor.

Ah ! mon dieu, qu’est-ce que j’entends là ? adieu, Lise.

Il prend une fourche.

LISE.

Où courez-vous ?

JULIEN.

Adieu, j’te dis, si tu n’me revois pas.

LISE.

Qu’entends-je.

JULIEN.

Oui, si je suis dévoré, pense à moi après que j’serai mort, çà m’consolera du chagrin d’te voir mariée à un autre.

Il va pour sortir, Roger entre.

Mon parrain.

 

 

Scène XVII

 

LISE, ROGER, JULIEN

 

ROGER.

Air du Ballet des Pierrots.

De t’voir ici je suis bien aise,
Il faut qu’tu sach’ mon cher Julien,

JULIEN.

Non, mon parrain, ne vous déplaise,
Maint’nant, je n’puis entendre rien.

ROGER.

Mais ton contrat que l’on apprête...

JULIEN.

Plus tard nous parlerons de çà.
Tout l’mond’là bas cherche la bête,
Faut absolument que j’sois là ;
Vous voyez qu’on cherche la bête,
N’y a pas à dir’ faut que j’sois là.

Il sort précipitamment.

 

 

Scène XVIII

 

LISE, ROGER

 

ROGER.

Comment, comment ! qu’est-ce que çà veut dire ?

LISE.

Ah ! M. Roger, courez, courez après lui, dépêchez-vous, n’entendez-vous pas l’son du cor ? Le loup vient de c’côté, s’ils allaient se rencontrer.

ROGER.

À la fin, je commence à comprendre.

LISE.

Vite, volez à son secours.

ROGER.

Mon fusil.

Il va le prendre.

LISE.

Mais dépêchez-vous donc, M. Roger, dépêchez-vous !

ROGER.

Ah ! le petit scélérat ; c’est égal il a d’çà.

Il sort en courant.

 

 

Scène XIX

 

LISE, MARCELINE, JUSTINE

 

Villageois, Villageoises, puis un instant après Georgette ; on voit les chasseurs traverser le fond du théâtre, des femmes, des enfants, des vieillards viennent se réfugier dans la chaumière de Marceline.

LISE.

Air : Vaudeville du comte Ory.

L’son du cor
Est encor
Du côté d’l’église,
Grand Dieu ! qu’est devenu Julien ?

MARCELINE.

Que dis-tu, ma Lise ?

LISE.

Rien.

CHŒUR.

Dieu, quelle peur !
Quell’frayeur,
Malgré moi je tremble ;
J’crois qu’le loup vient par ici,
Restons tous ensemble,
Oui.

GEORGETTE. On entend crier dans la coulisse

Au secours ! au secours ! ah ! la la ! ah ! la la ! au secours !

Elle frappe au dehors.

Ouvrez-moi donc.

Elle entre.

Air : Les cancans.

Oh ! la la !
Ah ! la la !
Mon Dieu, qu’est-ce que j’ai vu là !
Oh ! la la !
Ah ! la la !
J’nai jamais eu peur comm’çà.
Figurez-vous qu’à l’instant...
Ah ! j’tremble en vous l’racontant !
J’ai vu...

JUSTINE.

Quoi donc ?

GEORGETTE.

Tout-à-coup...

MARCELINE.

Mais enfin ?

GEORGETTE.

J’ai vu le loup.

TOUS, en parlant.

Le loup !

GEORGETTE.

Oh ! la la !
Ah ! la la !
Mon Dieu, qu’est-ce que j’ai vu là !
Oh ! la la !
Ah ! la la !
J’nai jamais eu peur comm’çà.

On entend un coup de fusil.

TOUTES LES FEMMES.

Oh ! mon Dieu !

CHŒUR au fond du théâtre.

Air : Fragment de Fernand-Cortez.

Honneur ! honneur ! honneur !
Au vainqueur de la bête ;
Qu’à l’fêter on s’apprête :
Amis, gloire au vainqueur.

GEORGETTE.

Ah ! Dieu merci, j’crois qu’v’là la bête tuée.

JUSTINE.

Oui les v’là tous qui r’viennent.

 

 

Scène XX

 

LES MÊMES, ROGER, PAYSANS, PAYSANNES, CHASSEURS

 

ROGER.

A-t-on jamais vu un petit drôle pareil ?

JULIEN.

A-t-on jamais vu un malheur comm’c’lui là ?

ROGER.

De quoi te plains-tu, puisque tu es sauvé ?

JULIEN.

Comment d’quoi je me plains ! j’avais déjà blessé l’loup, déjà y s’précipitait sur moi, il allait m’dévorer, lorsqu’un coup de fusil, parti de je ne sais où, le renverse mort à mes pieds... est-on plus malheureux ?...

GEORGETTE.

Ah ! çà, est-il bête celui-là !

ROGER.

À la fin m’expliqueras-tu ce que tout ça veut dire ?

GEORGETTE.

Çà veut dire qu’il est amoureux.

TOUS.

Amoureux !

ROGER.

La belle nouvelle ! je le sais ben qu’il est amoureux, de sa cousine.

GEORGETTE.

Du tout, de mamselle Lise.

MARCELINE.

De ma fille !

ROGER.

De ma prétendue !

GEORGETTE.

Précisément.

JULIEN.

Eh ben, oui, puisque l’mot en est lâché, rien n’est plus vrai.

ROGER.

Eh ! pourquoi n’m’en avoir jamais parlé ?

JULIEN.

Tiens ! est-ce qu’je l’savais qu’j’en étais amoureux pour vous l’dire.

ROGER.

Comment !

JULIEN.

Oui, c’n’est qu’d’aujourd’hui que j’m’en suis aperçu, et c’était pour ça que j’roulais mourir, ou gagner les 800 francs... Si j’étais mort, il n’y aurait pas eu grand mal, puis que vous allez l’épouser : si j’avais gagné c’sac d’argent, j’aurais dit à Lise : tiens ! v’là qui te prouvera que j’suis généreux tout aussi bien qu’un autre... porte çả à c’vieil avare de Simon... qu’il ne reparaisse jamais ici.

MARCELINE.

M. Simon ! Eh quoi ! que signifie.

LISE.

Rassurez-vous, ma mère, ce méchant homme ne vous ruinera plus, M. Roger...

MARCELINE.

Ah ! je devine tout à présent, et ma reconnaissance...

ROGER.

Eh ! mon Dieu ! qu’il ne soit plus question de tout çà... c’est une affaire finie ; passons, et revenons à ce que nous disait ce gaillard-là : tu es donc amoureux ?

JULIEN.

D’vot’future, hélas ! oui, mon parrain.

ROGER, à Lise.

Et vous mamselle, qu’en pensez-vous ?

LISE.

Monsieur Roger, je...

GEORGETTE.

Elle est du même avis que lui, j’en réponds.

ROGER.

En vérité ?

Regardant Lise.

qui ne dit mot consent... mais toi, Justine, qu’en dis-tu ?

JUSTINE.

Moi ? çà m’est égal.

ROGER.

Comment ! Tu n’aimes donc pas ton cousin ?

JUSTINE.

Si fait ; mais...

ROGER.

Mais... achève.

JUSTINE.

Je n’suis pas fâchée qu’il épouse ma bonne amie.

ROGER.

Ainsi, tu n’as pas envie de te marier, toi ?

JUSTINE.

J’n’dis pas çà.

GEORGETTE.

Monsieur Roger, voulez-vous m’faire la grâce de m’en tendre ?

ROGER.

À quel propos ?

GEORGETTE.

Soyez tranquille, vous savez que je suis un peu curieuse.

ROGER.

Oui, beaucoup, trop même... personne ne l’ignore.

GEORGETTE.

C’est pour çà que j’ai observé, et que je peux vous dire ce que vous avez de mieux à faire... D’abord, j’ai bien remarqué que M. Julien n’avait que de l’amitié pour sa cousine, tandis qu’il avait d’ l’amour pour Mademoiselle...

Désignant Lise.

À près çà, je m’suis aperçu que vous, M. Roger, vous r’gardiez votre pupille que v’là, d’une manière et d’un air... oh ! mais d’un air... là... vous m’entendez.

ROGER.

Comment, que dis-tu ?

GEORGETTE.

Oh ! je sais ce que je dis, et j’suis bien sûre que vous aimeriez mieux cent fois être marié à Mamselle Justine qu’à Mamselle Lise.

JUSTINE.

Eh quoi ! mon cher tuteur, il serait vrai...

ROGER.

Eh bien !... eh bien ! oui, Justine, oui, je t’aime, mais je t’aime assez pour préférer ton bonheur au mien : c’est pour cela que je voulais t’unir à ton cousin.

JUSTINE.

Ainsi, vous m’aimeriez assez pour m’épouser ! ah ! je n’ai plus rien à désirer.

ROGER, attendri.

Justine, ma bonne Justine !

GEORGETTE.

Eh bien voyez-vous comme tout çà s’arrange... vous allez être heureux tous les quatre, et c’est à moi que vous le devrez... vous voyez bien que la curiosité n’est pas toujours une si vilaine chose.

ROGER.

Qu’en dites-vous, mère Marceline ?

MARCELINE.

Monsieur Roger, je crois qu’il faut suivre ses conseils...

JULIEN.

Vraiment... ah ! mère Marceline... ma petite Lise... quel bonheur ! vive la joie !

TOUS.

Vive la joie !

CHŒUR GÉNÉRAL.

Air de M, Adam, chanté dans les Comédiens par testament.

Célébrons, amis, par une fête,
Cet hymen heureux
Qui pour nos amoureux
S’apprête ;
Qu’en ces lieux
Rien ne trouble et n’arrête
Nos élans joyeux,
Nos chants, nos danses et nos jeux.

GEORGETTE, au public.

Notre auteur,
Messieurs, a cru vous plaire ;
Moi je meurs de peur,
À ce but est-il parvenu ?
J’crains pour lui les rigueurs du parterre,
Calmez ma frayeur,
Ne l’trouvez pas trop ingénu.
Par pitié pour la pauvre Georgette,
Qu’aucun bruit fâcheux
Ce soir ne vienne troubler nos jeux ;
Comm’c’est moi qui fus indiscrète,
Si l’auteur tombait,
C’est p’t’être à moi qu’il s’en prendrait.

Reprise du CHŒUR.

Célébrons, etc.

Tous les villageois se mettent à danser en répétant le refrain.

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