Cornélie (Alexandre HARDY)

Tragi-comédie en cinq actes et en vers.

Représentée pour la première fois, en 1609.

 

Personnages

 

DOM JUAN DE GAMBOA

DOM ANTHOINE ISUNÇA

SIMPLICIE

CORNÉLIE

BENTIVOLE

NOURRICE

ALPHONSE D’EST, Duc de Ferrare

LAURENS BENTIVOLE

FRANCISQUE

SERVANTE ou GOUVERNANTE

SANTISTEVAN, page de Dom Juan

PAGE de Dom Anthoine

L’HERMITE

COURTISANE

FABIE

 

 

ARGUMENT

 

Alphonse d’Est, Duc de Ferrare, sous promesse de mariage jouit de Cornélie, sœur de Jean Bentivole, Seigneur de Boulongne, et des plus accomplis de son temps ; sa grossesse donne on suffisant indice à son frère de la vérité ; mais avec mauvais jugement de la saine intention du Duc. Cornélie accouchée donne son fruit à transporter du logis à certaine Damoiselle, qui le pensant mettre sur la brune entre les mains d’un Gentilhomme du Duc, s’adresse fortuitement à un brave Cavalier Espagnol, ne soupçonnant rien moins que cela ; et comme au cri de l’enfant il se connaît pris pour Duppe, il ne laisse de le porter à son logis, et avec un soin paternel le faire pourvoir de Nourrice. Ce Cavalier vivait et logeait dans Boulogne avec un sien frère d’amitié, qui de fortune le cherchait lors par la ville, crainte de quelque mauvaise rencontre à son ami ; Le hasard veut que celui-ci retournant sur ses pas, pour la même considération, trouve Alphonse seul, et le Bentivole assisté de plusieurs aux mains ; Il protège le Duc tombé, avec une telle résolution, qu’au murmure du bourgeois qui commençait à s’émou voir le Bentivole avec sa troupe se retire ; ce qu’il fait aussi après mille remerciements du Duc, qui lui laisse son cordon de pierreries, ramassé dans la mêlée pour arres d’amitié, et marque de sa valeur ; Au retour Cornélie fugitive du logis fraternel, parmi les ténèbres de la nuit trouve ce Cavalier, nommé Dom Juan, se met en sa protection, et accepte le logis des deux Cavaliers pour franchise, où elle reconnut son enfant. Le Bentivole désespéré de l’affront qu’il prétend fait à sa sœur, implore l’entremise de Dom Juan, 36 pour faire appeler Alphonse en duel ; ce que l’autre accepte gaiement, assisté de son ami. Il porte donc parole au Duc, qui le contente, ainsi que le frère, promettant épouser Cornélie, qu’il avoue seule et légitime femme ; elle cependant persuadée d’une vieille Nourrice, se dérobe du logis des Cavaliers Espagnols, avec son enfant, se retire à un Hermitage, où le Duc (après plu sieurs incidents trop longs à raconter) la trouve, et où en présence, tant du frère que des Cavaliers, s’accomplit le mystère de leur mariage. Ce riche sujet étant imité de Cervantès, esprit net, poly, judicieux et inventif entre tous ceux de sa nation.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

DOM JUAN, DOM ANTHOINE

 

DOM JUAN.

Entre tous les travaux que notre triste vie

Qu’on atteigne un repos qui ne redoute plus

Du bon et mauvais sort le flux et le reflux,

Un suprême soulas en l’amitié consiste,

Nulle félicité sans elle ne subsiste,

Plus utile aux mortels que la lampe du jour,

Hôtesse qui leur vint du céleste séjour,

Sitôt que nos aïeuls changèrent de nature,

Qui du gland retirez (brutale nourriture)

Peu à peu les unit dans l’enclos des Cités,

Où chacun se pourvut ne ses nécessités,

Se poliça des lois sur l’équité bâties,

Aux diverses humeurs des peuples assorties,

Comme un mors imposé, qui retient en devoir

Quiconque entreprendrait par dessus son pouvoir ;

Or lui devons-nous plus de louange et de gloire,

Qu’onc la postérité presque ne saura croire,

Conjoints assemblement d’un plus ferme lien,

Que jadis Pyritois à son Cécropien,

Plus résous au hasard de même destinée,

Que le fidèle Achate à son pieux Enée,

Bonheur incomparable, et d’autant précieux,

Qu’il advient rarement sous la voûte des Cieux !

DOM ANTHOINE.

Depuis tantôt deux ans que l’Espagne natale

Nous changea son climat à celui de l’Itale,

Qu’un louable désir d’apprendre curieux,

Voir mille antiquités même dessus les lieux,

Dans Boulongne, de nom plus fameuse qu’Athènes,

Borna notre voyage, et ses fertiles peines ;

(Vu que dorénavant disposez au retour,)

Je jure que ce temps me dura moins qu’un jour,

Communs d’affections, de soucis, de pensées,

Qui n’avons rien senti des fatigues passées,

Rien plus qu’un songe heureux à son ressouvenir,

Qu’on voudrait derechef voir soudain revenir ;

Mais proches de la nuit, qui prend sa robe noire,

Nous allions au logis feuilleter quelque histoire,

Et d’autres passe-temps ordinaires jouir,

Qui fait l’oisiveté damnable évanouir.

DOM JUAN.

Que pourrait-on de mieux ? Toutefois je désire,

Premier en certain lieu détourné me conduire,

Vous allants retrouver dans un quart d’heure au plus.

DOM ANTHOINE.

Tel certain lieu me donne à juger le surplus,

Qu’ainsi ne soit, prêtez l’oreille.

DOM JUAN.

Cela même,

Un désir furieux passant jusqu’à l’extrême,

Idolâtre m’attache à ce divin portrait,

Plus content d’un regard à sa beauté soustrait,

D’entr’ouïr un accent de sa douce parole ;

Que tout l’or butine du Tage, et du Pactole.

DOM ANTHOINE.

Gardez que néanmoins à force d’approcher,

La nef de la raison heurte en fin ce rocher,

Qui le choque invincible, et qui toujours funèbre,

Ruinera d’honneur la vertu plus célèbre.

DOM JUAN.

Ma servitude encor volontaire, n’a pas,

D’obstacle qui l’empêche à rebrousser d’un pas,

Chimérique amoureux, qui sème sur l’arène,

Sans prétendre aucun fruit d’une stérile peine,

Autre que de pouvoir adorer en passant,

Сe beau bouton parmi les halliers fleurissant.

DOM ANTHOINE.

Excusez un avis que l’amitié vous donne.

DOM JUAN.

Je l’approuve, le loue, et guide me l’ordonne.

DOM ANTHOINE.

Attendant j’irai donc donner ordre au souper.

DOM JUAN.

Et moi par cette rue opposite couper,

Et moi d’une Cypris les œillades surprendre,

Et moi l’hommage du, et sa dette lui rendre,

Fantastique repu de l’espoir qui me fuit ;

Que sait-on ? quelquefois une paresse nuit :

Fortune les Amants hasardeux favorise,

Et sur l’occasion leurs desseins trouvent prise ;

Frivole pansement, qui porte audacieux,

De la terre son vol plus outre que les Cieux :

Aux seules Déités la belle Cornélie

Disperse ses faveurs, plus qu’humaine s’allie.

Mortel contente-toi, si tu tires ta part

Des rais que le Soleil à l’univers départ,

Hé ! Cieux, sans y penser j’aperçois que mon âme,

D’une simple flammèche éclot une grand flamme,

S’élance vis à vis de sa porte arrivé,

Amour m’étreint le cœur de nouveau captivé ;

Approchons, la voilà sur son seuil, ce me semble,

Ou quelqu’autre beauté du moins qui lui ressemble.

 

 

Scène II

 

SIMPLICIE, DOM JUAN

 

SIMPLICIE.

Venez, Seigneur Fabre, on vous commet le soin

De le pourvoir de tout ce qui sera besoin,

Mais il faut au besoin user de diligence ;

Madame vous en prie, à son extrême urgence,

Qui n’espère d’ailleurs escorte, ni support,

N’attendant que le coup d’une honteuse mort.

DOM JUAN.

J’accomplirai dévot son oracle, et m’assure,

Qu’elle n’eût su choisir protection plus sûre.

SIMPLICIE.

Sus donc, sans prolonger un ocieux discours,

Courez vite à l’effet des l’imploré secours,

Je rentre là dedans de crainte d’être vue.

DOM JUAN.

Aventure joyeuse autant comme impourvue,

Aventure trouvée en faveur de la nuit,

Qui dedans le palais des grâces m’introduit,

Au lieu d’un autre pris, que la malavisée

N’a pas peu discerner, de frayeur maîtrisée ;

Bref, d’un gage nanti qu’elle tient précieux,

Et que l’obscurité ne laisse voir aux yeux,

Un débile voix en armes se débonde,

Qui commence à goûter les misères du monde.

Cesse d’examiner dessus ce beau présent,

Et dis que tu es pris dans ton piège à présent ;

Car de le rapporter, scandalise la mère,

Ce serait ajouter misère sur misère,

Ta parole donnée, encor que sans savoir,

Au salut de l’enfant t’oblige de pourvoir.

Allons donc lui trouver chez nous quelque Nourrice,

Que le voyage après imparfait j’accomplisse,

Qu’ainsi que commandé sur mes pas retournant,

Ce qui se passe ici je sache maintenant.

 

 

Scène III

 

DOM ANTHOINE, CORNÉLIE

 

DOM ANTHOINE.

Une appréhension sinistre m’épouvante,

Lorsque du sort humain l’état me représente,

Mille infélicité vraie ombre de nos jours,

Que nous voyons trop tard, et prévenus toujours ;

Outre qu’assez souvent l’homme se fait la bute

Des périls mérités, qu’à fortune il impute :

L’un se perd sur l’espoir conçu de sa valeur,

Celui-ci curieux appelle son malheur,

Accident au sujet d’un ami redoutable,

De qui le moindre mal m’offense insupportable,

Le voilà que l’Amour promène vagabond ;

Ores que la nuit cause un silence profond,

Qu’étranger on lui peut, sa flamme reconnue,

Mille embûches dresser la résistance nue,

Facile à opprimer sous le nombre excédant,

De semblables raisons ma crainte procédant ;

Je reviens sur la piste, où l’honneur me convie,

Afin qu’à l’un sans l’autre on n’ôte point la vie,

Que qui l’affrontera, trouve un second aussi ;

Mais, quels cris parmi l’ombre arrivent jusqu’ici ?

CORNÉLIE.

Las ! chétive, où sera ta retraite à cette heure ?

DOM ANTHOINE.

C’est sans doute la voix d’une Dame qui pleure,

Et m’aborde entrevu.

CORNÉLIE.

Hélas ! qui que soyez,

Un, ou plusieurs du Ciel à mon aide envoyez,

Si la pitié vous tient d’une désespérée,

D’une, qui fuit le dard de la Parque assurée,

Hé ! que de grâce au moins on lui daigne choisir

Un lieu, pour disposer de son âme à loisir.

DOM ANTHOINE.

Qui êtes-vous, ma belle, et quelle aspre infortune,

Seule vous met en fuite ainsi dessus la brune ?

Il n’y a (près de moi ! homme dans l’univers,

Qui vous osât jeter un regard de travers,

Ma parole servant d’inviolable otage.

CORNÉLIE.

Monsieur dans le logis vous saurez davantage,

Remise en sauveté, la voix me reviendra,

C’est où de mes frayeurs la cause s’apprendra.

DOM ANTHOINE.

Allons, je le veux bien, les généreuses âmes

Vont préférant à tout le service des Dames ;

Joint que requis prêter sa dextre à l’innocent,

L’immortelle vertu d’un Alcide ressent.

 

 

Scène IV

 

DOM JUAN, NOURRICE, ALPHONSE, BENTIVOLE

 

DOM JUAN.

Vous ôterez l’enfant hors de ses riches langes,

Enfant tel de beauté que l’on nous peint les Anges,

Dessur l’heure pourvu d’autres de moindre pris,

Tenu clos et couvert, tant que l’on ait appris

Quelque chose de plus en ce qui le regarde.

Or sus, je le lairrai commis en votre garde,

Pressé de retourner à la ville soudain.

NOURRICE.

Monsieur, assurez-vous qu’il est en bonne main !

Mille témoigneront que j’ai prêté l’office

De mère aux Nourrissons, plutôt que de Nourrice,

Affluente d’un lait qui porte la santé,

Et digne d’être au fils d’un Prince présenté.

DOM JUAN.

Tant mieux la récompense égalera la peine.

NOURRICE.

Acquérir des amis plus que le gain me mène.

DOM JUAN.

Il suffit, retournez vaquer à ce devoir,

Ce qu’oirez et verrez feignant n’ouïr et voir.

NOURRICE.

La ville n’en connaît aucune plus discrète,

Et où il est besoin de se taire secrète.

DOM JUAN.

Or l’heure presse fort, faisons trêve aux discours,

Cas étrange ! qu’un siècle entretiendra leur cours,

Qui ce sexe croirait, babillard de nature,

Propre à toujours parler sans raison, sans mesure ;

Mais ores, de ce faix importun libéré,

Voyons de rencontrer d’un pas délibéré,

Mon Achate, craintif, qu’il ne face rencontre,

Par la ville rodant, de quelque malencontre,

M’oblige à le chercher, et la foi d’autre-part,

Aux erres me remet d’un amoureux hasard ;

Ta circonspection ridicule t’abuse,

Le devoir divisé sert de commune excuse,

Lui sachant averti, le sujet de tes veux,

Ta peine ailleurs en vain prodiguer tu me veux,

On se trouve la nuit prêts à toute occurrence :

Donc relevé d’espoir, et muni d’assurance,

Poursuis, poursuis ta route, achevant de savoir,

Qui ce rare dépôt a mis en ton pouvoir.

Mais tandis qu’un penser à l’autre m’achemine

J’approche le séjour de la belle Cyprine,

Ô Cieux ! quel bruit confus de divers combattants

Sa porte environnée éclate en même temps ?

Éclairé de ce feu qui jaillit sous les armes,

Un horreur m’apparaît indigne de Gendarmes,

L’infinité du nombre accable ce chétif,

Qui brave se défend, et n’a rien de craintif.

Courage Cavalier, un secours vous assiste,

Qui dessus le motif du diffèrent n’insiste,

Et croit votre querelle ainsi juste, voyant

Ce monde contre un seul déborder, foudroyant,

Que nous dissiperons ; la multitude infâme

Des traîtres ne leur sert que d’injure, et de blâme.

BENTIVOLE.

Tu as menti, l’honneur vengé sur un méchant,

Du crime ne sent rien que tu vas reprochant.

DOM JUAN.

N’importe, néanmoins pareille procédures

Ne peut qu’aux gens de bien elle ne semble dure,

Sus, évertuons-nous, ô Céleste rigueur !

Le voilà qui chancelle, et n’a plus de vigueur,

Et pour le sang perdu n’a plus de résistance,

Réclamant de ses yeux mon unique assistance.

Renforce-toi, mon bras, il faut mourir ici,

Plutôt qu’abandonner ce corps à leur merci.

Hé ! comment Citoyens, âmes molles et viles,

Un massacre à vos yeux souffrez vous immobiles ?

Ma prière a porté, chacun bruit, chacun sort ;

Relevez-vous, Monsieur, si n’êtes du tout mort,

Ces assassins transis de frayeur font retraite,

Ha ! que d’un seul ami la dextre je regrette !

ALPHONSE.

Invincible Héros, digne de plus d’Autels,

Qu’Alcide n’en obtint par ses faits immortels ;

Grâces au Tout-puissant, et à votre défense,

Le corps, quoique bronché, n’a point reçu d’offense,

Un plastron repoussant l’orage de leurs coups,

Savoir sans plus qui m’a secourable recouds

Des griffes de la mort, contente mon envie,

Quant au nom de ce Mars, à qui je dois la vie.

DOM JUAN.

Quiconque de l’honneur fera profession,

Doit ce même secours à même oppression,

Et ce plaisir ne vaut que l’on s’en ressouvienne ;

Issu (pour mon regard) de famille ancienne,

L’Espagne m’allaita, qui visite étranger,

L’Itale, où nous avons appris de voyager,

Juan de Gamboa est le nom que je porte.

Mais, un péril reclus, à l’autre ouvre la porte,

Vos ennemis plus forts retournent dessus nous,

Avisons de les fendre à l’extrême résous.

ALPHONSE.

Ce sont plutôt amis, imbus de mon esclandre,

Oui, je leur vais trois mots faire à l’oreille entendre,

Ne bougez cependant.

DOM JUAN.

Le respect qu’on lui rend,

Donne de sa grandeur un indice apparent.

ALPHONSE.

Tout va bien désormais, leur plus belle conquête

N’est qu’un chapeau perdu au fort de la tempête.

DOM JUAN.

Monsieur, acceptez donc celui-ci remplacé,

À la charge en mes mains d’aventure passé.

ALPHONSE.

Non, non, mille mercis, gardez-le à la bonne heure,

De signal, qui trophée immortel vous demeure,

Son maître assez connu, capable quelque jour

De rendre à ce bienfait l’usure du retour,

Adieu mon Cavalier, certain cas d’importance

M’interdit le bonheur de plus grande accointance.

DOM JUAN.

À votre aise ; Or la rue alarmée en rumeur,

Me fait changer d’avis ainsi comme d’humeur,

Je ne poursuivrai, pas l’amoureuse entreprise,

À une occasion plus commode reprise,

Tirant vers le logis, résolu de trouver

Mon désiré Pilade, et son sort éprouver.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

DOM ANTHOINE, DOM JUAN

 

DOM ANTHOINE.

Combien m’a fait de peur votre ennuyeuse absence !

Et combien l’habitude a sur nous de puissance !

Être à ne se point voir un seul jour condamnés,

Surpasserait chez nous la peine des damnés,

Le lierre d’un vieil mur, cent fois plus séparable,

Nulle antique amitié à l’égal mémorable,

De dire qu’aucun lieu ne me reste à chercher,

Importun semblerait sa peine reprocher,

Tant y a soucieux, de l’âme inquiétée,

J’aperçois ce quartier d’une beauté vantée,

Où le charmeur Amant qu’elle cache en ses yeux,

Clouait à mon avis les vôtres curieux,

Lorsque parmi l’horreur de la nuit étoilée,

Comme l’ombre paraît d’une Dame voilée,

Qui peu à peu se hausse, et debout devant moi,

D’une voix douloureuse informe qui j’étais,

Espagnol avéré, somme la courtoisie,

(Qui chez ma nation sa retraite a choisie)

De la vouloir conduire en lieu de sauveté,

Où elle et son honneur fussent en sûreté ;

Prière plus soudain, que faite, exécutée,

Car au logis d’abord en la chambre montée,

J’ai fait hâtivement le Page retirer,

Ne souffre autre que moi la voir et l’éclairer,

Qui peut à peine un lit atteindre, que pâmée,

Et la porte sur nous vitement refermée ;

Ainsi que mon secours la visite de près,

Un Soleil de beauté me découvre ses rais,

Me ravit de merveille, et à soi revenue

Demande si je l’ai quelqu’autre part connue,

Ce que nié, tant mieux (dit-elle) veuillez donc

Une Dame obliger, si vous le fîtes onc,

Qu’en premier lieu, sur tout, homme vivant ne sache

L’asile fortuit qui pour l’heure me cache,

Un second bénéfice à ce besoin requis,

Que le temps ne permet sur son motif enquis,

Vous conjure d’aller où m’avez rencontrée,

Et la rue au dessous plus avant pénétrée,

Si quelque affreux tumulte entre des combattants

Peut de votre secours se prévaloir à temps,

Neutre, sans affecter un des partis contraires,

Au nom de vos vertus, mes armes tutélaires

Mettez la paix par tout, car, (cruel déconfort !)

En telle part que Mars douteux tourne le sort,

Je souffre également, ma mauvaise fortune

Reçoit des deux côtés une perte commune,

Engagé de parole à lui plaire en cela,

Mon cœur marche résout d’arriver jusques là.

DOM JUAN.

S’appelle que n’avez rien davantage à dire.

DOM ANTHOINE.

Est-ce peu de tenir échu sous un Empire,

Le Phœnix des beautés et des perfections ?

DOM JUAN.

L’Empire me plairait de ses affections ;

Or veux-je réciter aussi mon aventure, 

D’apparence incroyable, et d’étrange nature.

Coulé près des lauriers où reçoit ma Cypris

Les yeux humiliez des captifs qu’elle a pris,

Certaine Damoiselle attendait sur la porte,

Que le nom de Fabye à mon oreille porte,

S’informe si c’est lui du murmure confus,

Et dessus mon ouï, (car soudain je le fus)

Me charge d’un fardeau, par exprès me commande,

Qu’ailleurs, mais en lieu sûr, là même je me rende,

Imaginez de quoi consistait ce fardeau ?

DOM ANTHOINE.

D’équipage de femme.

DOM JUAN.

Ains d’un enfant plus beau,

Que la plus belle Image, et qui venait de naître,

Soudain ses cris piteux demandent à repaître,

Exclus de la maison, force me fut alors,

De porter ébahi, chez nous ce petit corps,

D’illustre extraction, vu que ses langes riches

Ne peuvent procéder de gens pauvres et chiches,

Une Nourrice vint secourable soudain,

Qui ce sacré dépôt a reçu de ma main,

Qui changea de maillots cette innocence nue,

Crainte qu’elle ne fût à son dam reconnue,

La chose succéda selon ma volonté,

Qui tourne bride après d’un courage indompté,

Devers le rendez-vous donné à l’indiscrète,

Proche, un bruit de combat court par l’ombre muette,

L’air brille étincelant aux coups réitérés,

Que donnent se croisant les estocs acérés,

Au milieu de la troupe, un seul (brave sans doute)

Se trouve enveloppé, qui la mort ne redoute,

Qui plutôt qu’aperçu secourable me sent,

Mais tombé de malheur sur le pavé glissant,

Son extrême péril redouble mon courage,

Je détourne opposé la fureur de l’orage.

Tel chamaillis adonc émeut le Citoyen,

Aux fenêtres pendant, salutaire moyen ;

Qui chasse l’ennemi troublé, sur l’apparence

D’un qu’il répute mort en pareille occurrence,

Soudain voici venir devers nous du renfort,

À part entretenu de ce Seigneur accort,

Que (prié) j’abandonne, après mille louanges,

Mille submissions de complaintes étranges,

Si que bon gré, malgré, ce Héros valeureux

Me donne ce chapeau de monument heureux,

Si qu’un calme venu nous retire de peine,

Et ores que la chose à son point se ramène ;

La querelle se passe entre gens relevés,

Aux principaux honneurs de la ville élevés.

DOM ANTHOINE.

Onques ces Paladins, que la Gaule féconde

Fait jadis renommer aux quatre coins du monde,

Ne reconnut hasards, selon la qualité,

Plus dignes d’acquérir une immortalité,

Bien que moins de labeur me germe plus utile,

Un trésor précieux autant comme inutile.

DOM JUAN.

La feinte à part, je crois que ne lairrez vieillir

Cette fleur de beauté chez vous sans la cueillir.

DOM ANTHOINE.

La feinte à part, je suis auprès d’elle de glace,

L’honneur et le respect campent dessus sa face.

DOM JUAN.

« Peu à peu le cheval plus farouche dompté,

« Traitable prend le mords de l’Écuyer monté,

« Peu à peu les Taureaux adoucis de courage,

« Viennent d’eux-mêmes au joug faire le labourage,

Ainsi ne dépendant que de votre vouloir,

Tôt, ou tard, elle y vient, cela ne peut chaloir.

DOM ANTHOINE.

Si de son mouvement la fortune m’arrive,

Il n’est pas vraisemblable alors que je rétive,

Et que vous ne tiriez de cet heureux hasard,

(Heureux outre mesure,) une seconde part.

DOM JUAN.

Allons la visiter.

DOM ANTHOINE.

Ma parole donnée,

Qu’aucun ne la verrait, porte sa destinée ;

Toutefois on pourra faire si dextrement,

Qu’elle ne s’en saurait offenser nullement,

Comme j’ouvrirai l’huis, lancez à l’impourvue

Un regard au travers, feignant ne l’avoir vue,

Ce qui sera jeter de l’amorce à ses yeux,

Sur ma relation devenus curieux.

DOM JUAN.

La fourbe me conçoit ne sais quel bon présage.

DOM ANTHOINE.

Ne reste de ce pas qu’en pratiquer l’usage ;

Mais un riche cordon de diamant reluit,

Qui fend sur votre chef les ombres de la nuit,

Vive présomption que ceux de la mêlée

Ont une qualité de grandeur signalée.

DOM JUAN.

Maxime indubitable, or dépêchons d’aller

Cette tendre beauté seulette consoler.

 

 

Scène II

 

ALPHONSE, seul

 

Infâme, déloyal, sacrilège, parjure,

Quelle expiation suffit à telle injure ?

Suffit à réparer le bris de ton honneur,

Suffit à recouvrer la source de ton heur ?

Infâme, déloyal, scélérat et perfide ;

Encor serait-ce peu, absent du parricide,

Que tu viens de commettre, abandonnant craintif,

Celle qui tient l’amour en ses liens captif,

Celle que Jupiter accepterait d’Épouse.

Le divorce permis de sa rogue jalouse,

Laissée à la rigueur cruelle d’un germain,

Qui mère et fils possible étouffe dans demain,

Qui pour ne lire pas dans ta saine pensée,

Sur elle assouvira sa rancune insensée.

Ha ! chère Cornélie ! Ah ! mon âme, où et-tu ?

N’attends plus de discours sinon de ta vertu,

Ma dextre qui pensait profiter secourable ;

Le Cautère appliqué rend son mal incurable ;

Orphée impatient sur le seuil des Enfers,

Le Soleil de tes yeux dorénavant je perds.

Ô malheur ! plus cruel que du chantre de Thrace ;

La perte entrainera notre petite race,

Ô justes Cieux ! plutôt éclatez ce méchef,

(L’un et l’autre affranchis) sur mon coupable chef,

Coupable, pour avoir d’une servile crainte

Caché les honneurs deuz en public à ma sainte,

Pour avoir sous le mors du respect maternel,

Entaché mon renom d’un diffame éternel,

Pour avoir préféré l’impieuse folie

De parole de femme, à ce Dieu qui me lie ;

Pardonne Amour pardonne, Hélas ! pardonne-moi,

Et l’hommage reçois d’une nouvelle foi,

Si tu me rends jamais la moitié de mon âme,

Si tu me rends jamais dans le sein de ma Dame,

Au cas que je lui nie un office d’Époux,

Nôtre Hymen célébré à la face de tous,

Emprunte alors ce trait que Jupiter desserre,

Horrible de fureur sur les fils de la terre ;

Lorsque sur le parjure il décoche à deux mains

Mon supplice exemplaire au reste des humains.

Ha ! l’extrême douleur me coupe la parole,

L’esprit qui veut courir après sa belle Idole,

Abandonne ce corps tant assoupi d’ennuis,

Que les membres debout plus tenir je ne puis.

 

 

Scène III

 

CORNÉLIE, DOM ANTHOINE et DOM JUAN

 

CORNÉLIE.

Entrez Monsieur le Duc, l’éclat de mes misères

Ne souffre qu’entre vu on me tienne aux altères,

Le Soleil de vos yeux après tant de séjour,

Ne me dût envier son aimable retour.

DOM ANTHOINE.

Madame, assurez-vous que de l’ombre séduite

Aucun Duc n’est ici qui se coule à ma suite,

Trop bien un Gentilhomme, un brave Cavalier,

De ce grade capable, ains d’un Royaume entier.

CORNÉLIE.

L’éclat de ce cordon de diamant m’assure

Sa présence certaine, allège ma blessure.

DOM ANTHOINE.

À peine de la voir, il mérite cela,

On vous peut libérer de ce scrupule là.

CORNÉLIE.

Espagnol naturel, non pas ?

DOM ANTHOINE.

Même patrie,

Comme deux rares fleurs de vrais amis nous trie.

CORNÉLIE.

Faites-le donc entrer, que dessus son rapport,

Un point soit éclairci, qui me martèle fort.

DOM ANTHOINE.

Voyez Seigneur Juan, la Reine des Carites

Donne le sauf-conduit chez elle à vos mérites.

DOM JUAN.

Prêt d’accomplir heureux un Oracle entendu,

J’ose rendre l’hommage à sa Déité du.

J’ose lui faire ici l’offre de mon service,

Suis-je en Amathe, ô Cieux ! en Paphe, ou en Érice ?

Une Vens ici au teint plus que mortel,

S’érige dans ce lit son plus superbe Autel.

CORNÉLIE.

Ô funeste rencontre ! ô funeste présage !

Hé ! Monsieur dites tôt, où vous eûtes ce gage,

Ce gage du trépas, de qui, tint autrefois

(Ainsi que Duc) le frein du peuple Ferrarois,

Ne me celez sa perte. Hélas ! trop reconnue,

Comment, ne depuis quand déplorable avenue,

Aurait bien votre fer les beaux jours désourdis

D’Alphonse d’Est, Seigneur de ce cordon jadis.

Ô pauvre ! ô pauvre femme ! Où te vois-tu réduite ?

Entre deux étrangers, adresse de ta fuite

De l’honneur incertaine : Ah ! tu doutes à tort,

La nation te sert de pleige et de confort,

Qui me démentirait sa belle renommée,

D’abstinence et de foi par le monde semée.

DOM JUAN.

Gloire de l’univers, l’effet vous dira plus,

Que des propos en l’air proférés superflus,

Nôtre langue toujours se mesure au courage

Appris de relever ceux que fortune outrage.

Outre que le Cordon, monument de valeur,

À qui me le bailla ne causa que de l’heur,

Ma vie à son secours utile aventurée,

Remportant le dépôt d’une amitié jurée,

Qui hors de tout péril, sain et sauf le remis

Au pouvoir du renfort venu de ses amis,

Le nom fut interdit à ma prière vaine,

Et une occasion me l’éclipse soudaine.

CORNÉLIE.

S’il est ainsi, le Ciel favorable ennemi,

M’afflige d’un malheur tolérable à demi ;

S’il est ainsi, ma nef voisine du naufrage

Peut encore franchir la fureur de l’orage.

DOM JUAN.

S’il n’est ainsi, jamais je ne trouve pour moi

Entre les gens d’honneur, de créance et de foi.

CORNÉLIE.

Ce présent plus que tout m’éclaircit informée ;

Donc l’effort ennemi tournant en fumé

Vous dites qu’au besoin une troupe survint,

Qui son péril mortel d’apparence retint.

DOM JUAN.

Oui, pleine d’un respect, qui eût fait voir en somme,

Au moins judicieux la qualité de l’homme

CORNÉLIE.

Sans que l’autre parti souffre dommage aucun.

DOM JUAN.

Cela ne se pouvait, dix ou douze contre un.

CORNÉLIE.

La fièvre de ma peur plus lente diminue,

Puisque sans autre mal a crevé cette nue,

Un seul souci me reste, un souci renaissant,

À ton occasion (déplorable innocent,)

Ô sensible regret ! apaise ta furie ;

Quelle voix ici près enfantine s’écrie ?

Renfort d’un crève-cœur qui ne s’ose exhaler,

Ne me veuillez que c’est davantage celer ?

DOM JUAN.

Naguères dans la rue où l’on vous a dépeinte,

Du combat advenu la véritable feinte,

Paravant la mêlée un désir curieux

Me tenait attaché de l’esprit et des yeux,

Lorsque certaine Dame en ténèbres confuse,

M’a chargé d’un enfant, qui le trompeur abuse,

Finesse trop fréquente à nous, par chaque jours

Battus et rebattus de tels semblables tours ;

Sa débile clameur m’a transi le courage,

Je l’apporte en mes bras, m’informant davantage ;

Or pourvu de Nourrice, il est à présumer,

Que l’on l’entend d’ici son tétin réclamer.

CORNÉLIE.

Ha ! quels coups redoublés m’élancent les entrailles,

Les pincettent plus fort de flambantes tenailles ;

Faites, faites venir le chétif langoureux,

Qui présage au crier son destin rigoureux,

Qui m’oblige en ses cris au secours que Lucine

Peut du sexe exiger sortant de la gésine.

DOM ANTHOINE.

Vous serez obéie.

CORNÉLIE.

Hé ! que ne puis-je voir

Sur quelques ennemis résulter ce devoir ?

Et combien doit sembler dure l’obéissance,

Qui saura du sujet la douloureuse essence,

Qui saura ma misère incroyable au récit.

Ô qu’un chaste dessein honteux me réussit :

Approche, approche ici petite créature.

Ô Céleste miracle ! Ô Céleste aventure !

Ô portrait animé d’un père généreux,

Gage de son amour cent mille fois heureux ;

Quel Ange protecteur, quel gardien génie

Modère mes ennuis, ma douleur a finie ?

La merveille ravit mes sens et mes esprits,

D’une syncope à coup stupidement surpris.

DOM JUAN.

Semblable affection qui l’ordinaire passe,

Montre un instinct de Mère à l’endroit de sa race,

Qu’en dites-vous ?

DOM ANTHOINE.

Le cœur me le présage ainsi,

Vu les conformités qui s’assemblent ici.

CORNÉLIE.

Ne permettez, Seigneurs, de grâce, qu’on emporte

Celui hors de céans, qui mon deuil réconforte,

Trop récente accouchée, il n’est en mon pouvoir

De l’allaiter encor, pitoyable devoir,

Et qui lui voudra mieux le tétin faire prendre,

Il faut d’un peu de miel oindre son palais tendre ;

Donc ôté, donnez-moi quelque chose à manger,

Qui libre, veux après de soupçon vous purger,

Vous dicter d’un Amour la véritable histoire,

Qui ne mérite moins de pitié que de gloire.

DOM ANTHOINE.

Madame, le bonheur me tient prêts là dedans

Certains fruits, qu’on dirait dessus l’arbre pendants,

Qu’ainsi que curieux moi-même ai fait confire,

Vous pourrez différents selon le goût élire.

CORNÉLIE.

Cuite de soif j’aurai besoin d’un verre d’eau.

DOM JUAN.

Cela sera ma charge.

CORNÉLIE.

Ô Céleste flambeau !

Soleil, vis-tu jamais pareille courtoisie ?

Ou d’une affliction retraite mieux choisie ?

DOM ANTHOINE.

Sus, Madame ; courage, avisez un petit

Plus gaie à vous remettre ores en appétit.

CORNÉLIE.

Suprême Déité qui gouvernes le monde,

S’il advient que l’effet à mes vœux ne réponde,

Ingrate demeurée aux plaisirs conférés.

Que les auteurs un jour de toi rémunérés,

Prospèrent à jamais en toutes entreprises ;

Or les erres suivant de mon discours reprises,

Je suis la Cornélie, à qui mal à propos

Un renom de beauté déroba le repos ;

Fille extraite du sang noble de Bentivole,

En prouesse élevé jusques dedans le Pole,

Orpheline laissée à régir sous la main

Favorable jadis de mon propre Germain,

La puberté venue, une mienne cousine

Fit inviter le Duc à sa noce voisine,

Où mon frère me mène, où ce jeune Soleil

Admiré de chacun ne trouva son pareil,

Nos yeux coup dessus coup, en paroles muettes

Se semblent défier pleins d’ardentes bluettes ;

De regards le désir s’allume peu à peu,

Les devis familiers jettent de l’huile au feu,

Escarmouchent de loin nos âmes disposées

À recevoir d’Amour les pointes aiguisées.

Si qu’avant le repas, et au dessus de tous,

Un Hymen accordé se consomme entre nous.

Depuis malgré le soin des Argus domestiques,

(Obstacles que ce Dieu dissipe Chimériques)

Nos yeux continués produisent leur effet,

Un enfant, non sans crainte, est par avance fait,

Proche du temps préfix, aux douleurs amenée,

Le Duc qui me prévoit en prison confinée,

Se résout de la rompre, et décevoir ainsi

Le courroux fraternel, mon principal souci 

Tant que ce dernier soir, suivi de son courage,

Comme il vient m’affranchir et de doute et d’outrage ;

Mon frère soupçonneux se trouve de malheur,

Je le présume au bruit, perdant voix et couleur,

Dessur l’heure accouchée, immobile de crainte ;

À un acte impieux, déplorable contrainte ;

Mon fils à peine né, mon fils à peine vu,

(Que si le Ciel n’eût mieux à son salut prévu)

Perdait une indiscrète. Après seule craintive

Le logis j’abandonne, et en vos mains j’arrive,

Favorable refuge, asile inespéré,

Port qui tire ma nef hors du flot colère,

Qui rend la mère au fils, et le fils à la mère,

Tel récit à peu près embrasse ma misère,

Que vous adoucirez, fables reconnus,

Et dignes d’être au rang d’un Alcide tenus.

DOM JUAN.

Madame, reprenez une face plus gaie,

Le bras qui l’entama vous guérira la plaie,

Premier que reconnue en votre qualité,

Le traitement reçut de l’inégalité ;

Mais on va réparer l’imprudence commise

D’une femme d’honneur en notre place mise,

Qui de rares vertus, et de louables meurs,

Adhère entièrement docile à vos humeurs,

Qui d’un clin se prosterne à vos pieds secourable ;

Tandis ne présumez que le Ciel secourable,

De son secours laissât le chef-d’œuvre imparfait,

« La cause bonne doit produire un bon effet,

Ce vertueux Héros ne peut manquer à celle

Qui de chastes vertus ne ressemble qu’à elle,

Doncques reposez-vous, certaine de n’avoir

Object qui puisse à crainte, et tristesse émouvoir.

CORNÉLIE.

Ja n’avienne qu’après tant de preuves données,

Aucunes actions me fussent soupçonnées,

D’un couple valeureux que l’honneur et la foi

Conjoint, et de qui dût l’univers prendre loi.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

BENTIVOLE, seul

 

L’homme pourrait heureux exercer un Empire

Obtenu de là haut sur tout ce qui respire,

Sur tant d’hôtes félons, que l’horreur des forêts,

N’empêche de tomber captifs dedans ses rets,

Qui vivent au plus creux des roches de Scythie,

Qui peuplent les déserts de l’Afrique rôtie,

Qui repairent aux bords de ce fleuve fameux,

En sept canaux féconds qu’il débonde écumeux,

Tous contraints d’obéir de force et d’industrie,

Un seul sexe indomptable a sa gloire flétrie,

Sexe de qui le front masqué de trahison,

Qui cache en sa douceur le fiel de sa poison,

Sexe que le courant des voluptés emporte,

Qui ne reçoit de soin, ni de garde assez forte ;

Sexe qui fit entrer au monde le péché,

Qu’à régir, le plus sage est le plus empêché.

Las ! ma juste douleur tire de ma pensée,

Faute de pouvoir mieux, cette plainte forcée,

Une qui ne saurait plus près m’appartenir,

Son plus chaste renom n’a pas craint de ternir ;

Suit fugitive un traître, un suborneur infâme,

Qui sans la mériter, à jamais nous diffame :

Un hydre qui revit avorté de l’enfer,

Naguères abattu dessous ce même fer ;

Quoi qu’avienne, je veux, et dans peu, le rejoindre,

D’un laurier différé la gloire n’est pas moindre,

L’éclat de sa grandeur ne m’épouvante pas,

Eût-il un monde armé compagnon de ses pas,

Quelle grandeur ? On sait par la bouche commune

Que nous ne différons de sang, ni de fortune,

La Gent de Bentivole, et celle d’Est ne sont

Que l’égalité même, et davantage n’ont.

Or certain Espagnol connu de renommée,

Sa vaillance au besoin seconde réclamée,

Après l’outrage su, ne me saurait nier

La chose à quoi l’honneur oblige un Cavalier ;

Appelant de ma part en duel ce perfide,

Ce voleur effronté de mon los homicide.

Allons sur ce sujet son courage éprouver,

Le logis assez proche on le pourra trouver.

 

 

Scène II

 

CORNÉLIE, SERVANTE, DOM JUAN, PAGE, DOM ANTHOINE

 

CORNÉLIE.

Apportez-le m’amie, apportez que je voie

En ce jeune Orient le reste de ma joie,

Que mille et mille fois je baisotte ses yeux,

Que j’admire en son front l’abrégé précieux.

D’un père la valeur et l’ornement du monde,

Pourvu qu’à mon plaisir la vérité réponde.

Que dessus l’apparence il ne se soit déçu,

Fils trouvé de quelqu’autre à même heure conçu.

SERVANTE.

Madame le voici.

CORNÉLIE.

Quelle métamorphose !

Ce superbe équipage à un autre s’impose,

Ses langes premiers vus loqueteux, déchirés,

Qui ceux-ci comme vrais en leur place a tirés ?

Ceux-ci trop reconnus de notre appartenance,

Qui mon fils à ton sort ont plus de convenance,

Ne me tenez l’esprit en doute suspendu,

Ains dessus le tourment d’une gêne étendu.

SERVANTE.

Autre enfant n’a paru que celui que je porte.

CORNÉLIE.

Du moins l’a-on toujours revêtu d’autre sorte,

Ou on l’a rechangé de ses maillots, ou bien

L’enfant venu d’ailleurs, que je vois, n’est pas mien.

SERVANTE.

Madame, imaginez nulle leur différence.

CORNÉLIE.

Las ! qui discernerait que sur la conférence ?

Qui croira, si ce n’est avec illusion,

Un même corps en deux souffrir division ?

Ô nouvelle tristesse ! ô pauvre Cornélie !

DOM JUAN.

Madame, un mot oui ce doute vous délie.

Survenant à propos je m’en venais ici,

Pour vous venir ôter de peine et de souci ;

Moi le petit reçu de votre Damoiselle,

Crainte aux riches maillots d’en semer la nouvelle ;

Tel change commandai, tenu secret exprès,

Afin que votre joie en fût plus grande après,

Comme chacun la sent croître démesurée,

Plus elle arrivera de chose inespérée,

Que cela vous contente.

CORNÉLIE.

Hélas ! mille mercis,

Excusez un cerveau débile, et peu rassis,

Facile à concevoir la triste défiance

Après tant de malheurs reçus d’expérience.

Ores doncque reviens, petit surjon guerrier ;

Vient les pleurs, que pour toi j’épanchai m’essuyer,

Commence le secours à ta dolente Mère,

Qui sur ton frêle appui dorénavant espère.

DOM JUAN.

Il me semble à la porte entendre quelque bruit.

CORNÉLIE.

Cieux ! perdez-moi, toujours en conservant ce fruit.

DOM JUAN.

Le Page nous dira que cela signifie.

CORNÉLIE.

Sur vous seul (après Dieu) ma misère se fie.

PAGE.

Monseigneur, il y a là bas un Cavalier,

Bentivole nommé, qui vous veut supplier,

De trois mots à l’écart proférez bouche à bouche.

CORNÉLIE.

Qu’un cereuil ne me tient au lieu de cette couche

Bentivole ? Monsieur c’est lui, c’est mon germain,

Qui sans doute viendra m’égorger de sa main.

DOM JUAN.

Nous mourrons paravant que le souffrir Madame.

CORNÉLIE.

Ô tardive Cloton ! coupe ma longue trame.

DOM ANTHOINE.

Plus constante chassez la peur de ce beau sein,

Me croyant qu’il a pris un tout autre dessein.

DOM JUAN.

Vous, demeurez armé son défenseur fidele,

Jusques à mon retour ne bougeant d’auprès d’elle,

Je m’en vais de ce pas sa volonté savoir.

CORNÉLIE.

Plutôt qu’à mon sujet aucun carnage voir,

Que de mes bienfaiteurs je cause la ruine,

Éclate sur ce chef la Céleste machine,

Hélas ! Hélas ! mon sang se caillote en glaçons,

L’âme flotte troublée en cent mille soupçons,

L’effroi, des sentiments l’usage me dérobe,

Convertie en rocher ainsi que fut Niobe.

DOM ANTHOINE.

Lors que l’orage noir s’élève sur les flots,

De plus fort en plus fort les vents soufflent déclos,

L’air de feux redoublés, horrible de ténèbres,

La mort accroît par tout les images funèbres,

Mais quand Neptune aussi commence à se calmer,

Que d’un clein gracieux il regarde la mer,

Rien plus beau n’apparaît que la face des ondes,

Les Naux de toutes parts reprennent vagabondes

Une route entreprise, et le joyeux nocher

À ses travaux passez n’a plus que reprocher.

Ainsi, belle Princesse, ainsi devez-vous croire,

Que la faveur du Ciel (visiblement notoire)

Augmentera toujours un prospère succès,

Qu’onques le mauvais sort chez vous n’aura d’accès,

Que ce frère avec vous en bonne intelligence,

Ne respirera point de plus dure vengeance,

Que la réunion d’un beau couple amoureux,

Hors des traits à présent du destin rigoureux.

CORNÉLIE.

L’ire que la raison maîtrise furieuse,

M’opprimera premier, qu’attendre injurieuse,

Ce cruel accident, dessus un faux rapport,

S’osera prendre à ceux qui furent mon support.

DOM ANTHOINE.

L’appréhension rend le facile impossible.

CORNÉLIE.

Souvent l’affection précipite insensible,

Laisse le misérable englouti du trépas,

Quitte pour dire après, je ne le pensais pas.

DOM ANTHOINE.

Si l’oreille un moment il prête à ce Mercure,

Je le pleige apaisé.

CORNÉLIE.

Ha ! que le temps me dure,

Le temps de son retour plus aimable à mes yeux,

Qu’après le mois d’Hiver un Printemps gracieux.

DOM ANTHOINE.

À votre occasion telle attente me tue.

CORNÉLIE.

La sienne en mon endroit même peine effectue.

DOM ANTHOINE.

Bienveillance qui vaut un Empire conquis.

CORNÉLIE.

Ains salaire trop vil à son labeur acquis,

À son labeur prodigue, important de la vie.

DOM ANTHOINE.

Elle ne lui sera qu’à bon compte ravie,

Et que le ravisseur ne m’éprouve soudain,

Avouez maintenant qu’on s’escarmouche en vain,

Car joyeux je le vois, qui dessus son visage

Imprime du futur un tout autre présage.

CORNÉLIE.

La gloire en soit à toi, Moteur de l’univers,

Qui tiens toujours les bons sous ton aile couverts.

DOM ANTHOINE.

Hâtez-vous de venir lui rendre l’assurance.

DOM JUAN.

Tout succède à désir mieux que notre espérance.

CORNÉLIE.

Comment cela Monsieur ?

DOM JUAN.

Son courroux généreux

Ne butte qu’à l’effet d’un mariage heureux.

CORNÉLIE.

Dieu le veuille.

DOM JUAN.

Appelé de second à sa suite,

Nous en allons presser, et faire la poursuite.

DOM ANTHOINE.

Éclaircissez un peu la sombre obscurité

De ce discours, mettant au jour la vérité.

DOM JUAN.

Sur la plainte équitable en trois mots entendue,

Et l’honneur acceptant d’une assistance due,

Quelque part que le Duc se trouve près ou loin,

Je lui mets le marché (comme l’on dit) au point,

D’épouser la beauté qui tient sa foi de gage,

Ou faire en Cavalier la raison de l’outrage,

On ne saurait pas mieux composer ce discord,

Ne par entremetteur possible plus accort.

CORNÉLIE.

Que pensez-vous, Monsieur, dés la moindre prière

De croire aux passions cruelles de mon frère,

Qui ne feindrait le Duc dans Ferrare attaquer,

Et au commun naufrage ainsi vous embarquer,

Attendu le pouvoir que tel grade lui donne,

Et qu’un grand peuple armé de gardes l’environne ;

Quoique pouvez tenir mon frère en qualité

De la même rondeur, de la fidélité.

DOM JUAN.

La fortune commune avec lui me contente,

Et mourrais paravant que frustrer son attente.

DOM ANTHOINE.

Pour mon regard aussi votre avis est le mien,

L’honneur à tels exploits astreint les gens de bien ;

Mais l’heure du départ ?

DOM JUAN.

Dedans demain précise.

DOM ANTHOINE.

Joignez-moi comme ami à si belle entreprise.

DOM JUAN.

Votre force incapable, à la mienne ajouter,

Serait sa lâcheté par trop manifester.

DOM ANTHOINE.

L’amitié de nous deux, qu’au soleil je préfère,

Veut que ce que fait l’un, à l’autre se réfère.

Allons de compagnie.

CORNÉLIE.

Ha ! que vous m’obligez.

« Deux à porter un faix se trouvent moins chargés.

DOM JUAN.

Vous laisser seule ici, l’apparence Madame ?

DOM ANTHOINE.

Assez demeureront qui sans crainte de blâme

Tous ces commandements peuvent exécuter,

Enfin je vous suivrai, que sert de disputer ?

DOM JUAN.

Faites donc avisé, que de loin telle escorte

Visible à ce Seigneur ne vienne en nulle sorte.

DOM ANTHOINE.

Donnons à cela prêts, tout (le langage ôté)

L’ordre au départ requis chacun de son côté.

DOM JUAN.

Madame, sans Adieu, une si brève absence

D’un tas de compliments superflus nous dispense.

DOM ANTHOINE.

J’oserai bien jurer que ce proche retour,

Vous rend les fruits perdus d’un véritable amour.

CORNÉLIE.

Ô Ciel guide leurs pas, et dessous ta défense,

Garde qu’aucun péril nos protecteurs n’offense

Exorable prospère un dessein vertueux,

Dessein chaste, qui n’a rien de voluptueux

Quant à notre Hyménée ; ou, si telle prière

Jusqu’à toi ne parvient, ore mise en arrière,

Que tout ce qu’il pourrait survenir de méchef,

Les autres garantis, ne touche que mon chef.

 

 

Scène III

 

ENTIVOLE, FRANCISQUE

 

BENTIVOLE.

Oncques ami n’usa de pareille franchise,

Ce brave Aventurier que la gloire maîtrise,

De ma querelle à peine entendit l’équité,

Qu’un superflu langage aux Courtisans quitté ;

Le voilà qui l’épouse, en fait la sienne, et jure

Tirer l’épée au poing, la raison de l’injure,

Si le Duc de plein gré ne s’offre d’épouser

Celle que suborneur il présume abuser,

Refus trop raisonnable, une rose cueillie

En moins de rien chez nous perd sa grâce, envieillie,

« De l’abondance naît le mépris, et dit-on,

Que la Vierge une fois veuve de ce bouton,

Facile peut ailleurs une faute commettre ;

Sans jamais au sentier de vertu se remettre ;

Joint que la vanité qui porte son désir,

En plus haut lieu voudra une femme choisir.

Allons, fût-il renclos dans les murs de sa ville,

Ce Paris ravisseur trouve en moi son Achille ;

Mais qui ne se lairra surprendre en trahison ?

Or le préparatif trop plus que de saison.

Francisque à moi, va tôt seller dedans l’étable

Ces trois meilleurs Courriers que le Thrace indomptable ;

Mars choisirait alors que les sanglants ébats

Poussent deux peuples fiers en armes aux combats.

FRANCISQUE.

Vous plaît-il que cela ?

BENTIVOLE.

Si, je veux qu’on assemble

Sur chacun des arçons deux pistolets ensemble.

FRANCISQUE.

Est-ce tout ?

BENTIVOLE.

Patience, après tu t’en iras

Chez ce brave Espagnol, de ma part lui diras,

Qu’ici même j’attends l’effet de sa promesse.

Cours vite, retournant avec plus de vitesse.

FRANCISQUE.

Je n’y manquerai pas, Ô Cieux ! une fureur

Étincelle en ses yeux qui me transit d’horreur.

BENTIVOLE.

Que depuis peu mon âme a senti d’allégeance,

L’espoir si bien fondé d’une prompte vengeance,

Combien ce fiel bouillant me demeure adouci,

Et combien diminue un douloureux souci !

Jaçoit que le danger menace l’entreprise,

Rien désormais ne peut me faire lâcher prise,

Ma perte ne m’importe affrontant le voleur,

Qui coupable, ne peut avoir de la valeur ;

Ma perte ne m’importe, heureuse je l’estime,

De nature semblable au Lyon magnanime,

Qui choisit dans l’épais des flammes et des dards

Quiconque l’a blessé, méprisant les hasards :

Ainsi me plaît le choix d’une fin glorieuse,

Qui du moins sur les ans sera victorieuse ;

Mais la difficulté consiste à l’aborder,

Sur ce sujet allons tous nos esprits bander.

 

 

Scène IV

 

SERVANTE, CORNÉLIE

 

SERVANTE.

Hélas ! Madame, Hélas ! et stupide et confuse

Aux propos entendus votre destin j’accuse,

Destin trop rigoureux, en ce que ne pensez

À prolonger le fil de vos jours avancez,

À prendre, mais hâtive, une fuite impourvue,

Qui ne soit de sa mort présente prévenue.

CORNÉLIE.

Pourquoi me voulez-vous ores intimider ?

SERVANTE.

Pourquoi doit le Soleil à la nuit succéder ?

Mille fortes raisons me forcent de le dire,

Que l’esprit plus grossier à conséquence tire.

CORNÉLIE.

L’innocence ne craint.

SERVANTE.

On l’opprime pourtant.

Si le coup à descendre, imbécile elle attend.

CORNÉLIE.

Plus clair exprimez donc le sujet de ma crainte.

SERVANTE.

Voire crainte en mon cœur si redoutable empreinte,

Qu’elle montre la Parque attachée à nos pas,

Prête de nous ouvrir le règne du trépas ;

Soit que le Duc lui face un refus de vous prendre

Pour légitime épouse, et qu’il n’y veuille entendre,

Que de là son trépas en purge le forfait,

C’est là certes, c’est là de ma peur un effet ;

Lors, fussiez-vous cachée au centre de la terre,

Ou ès bras de celui qui darde le tonnerre ;

Comme autrice du meurtre on vous y trouverait,

Et un peuple sur vous sa fureur dépolirait.

Évitons le péril Madame, et de bonne heure

Trouvant à ce besoin une retraite sûre,

Trouvant à ce besoin qui nous mette à couvert

De l’orage prochain dans le Ciel découvert ;

J’ai désigné le lieu chez ce dévot Hermite,

Qui sur ce roc voisin son domicile habite.

Le Duc las de chasser le plus souvent y vient ;

Ce repaire croyez, à nos desseins convient.

C’est là, j’en ai l’indice infaillible en mon âme,

Que se doit réunir à sa Thysbe un Pyrame.

CORNÉLIE.

J’approuve ton avis, allons présentement

Disposer ce qu’il faut pour notre partement.

 

 

ACTE IV

 

 

Scène première

 

BENTIVOLE, DOM JUAN, ALPHONSE, DOM ANTHOINE

 

BENTIVOLE.

L’Europe remettant une flotte navale

À celle qui reçut les Pergames égale,

Non pas celle que Xerxe osa dessus un pont

Soumettre à la merci du vagueux Hellespont,

N’eussent ainsi que vous redoublé mon courage,

Vous qui tenez l’honneur des armes en partage,

Vous qu’allaité de gloire enfanta la valeur,

Vous qu’époint l’aiguillon de ma juste douleur,

Vous qu’à l’extrémité seulement je conjure,

D’épouser l’équité contre une telle injure,

Ma dextre suffira, pourvu que le méchant

Ne se fie à l’excès du nombre m’empêchant,

Contrainte, qui la votre adonc trouvera prête,

Et un digne Laurier à son labeur apprête.

DOM JUAN.

Si d’aventure il veut accorder de douceur,

N’en venir jusque là, j’estime le plus sûr.

BENTIVOLE.

Si l’honnête désir d’un futur Hyménée

Eut prévalu dessus sa luxure effrénée ;

On sait bien qu’il pouvait autre chemin tenir,

Telle fille sachant de près m’appartenir.

DOM JUAN.

Possible ses raisons se trouveront solvables.

BENTIVOLE.

Le mariage seul me les rend recevables.

DOM JUAN.

C’est mon entente aussi.

BENTIVOLE.

Las de la posséder

Il ne voudra jamais qu’à la force céder.

DOM JUAN

Selon que l’amitié forte le passionne.

BENTIVOLE.

Un amour clandestin du mépris se guerdonne.

DOM JUAN.

Non pas toujours, ses feux dérobés plus ardents,

Heureux flambent par fois, à souhait succédants.

BENTIVOLE.

Ambitieux d’honneur, sa principale envie,

Chez le Duc Mantouan pourchasse une Livie

Comme unique héritière, autrement ma maison

Peut à la sienne en tout faire comparaison.

DOM JUAN.

Vous ne me dites là chose que je ne sache,

Une difficulté de le trouver me fâche.

BENTIVOLE.

Informant là dessus, on m’a de bonne part

Assuré qu’il n’a fait de Bologne départ,

Si que nous embusquez ici près de la porte,

Faut nécessairement le voir avant qu’il sorte,

Écoutons, quelque bruit, ô Cieux ! je l’aperçois

Mal suivi, qui n’a pas grand train derrière soi.

DOM JUAN.

Silence spectateur, sans plus laissez moi faire,

Qui puis, et veux venir à bout de cet affaire.

BENTIVOLE.

Scélérat, ne présume échapper de ma main,

L’un ou l’autre de nous ne voit un lendemain.

ALPHONSE.

Ce brave Dom Juan de Gamboa ressemble,

Ou vous êtes plutôt le même, ce me semble ;

L’enseigne du cordon me le fait assez voir,

Enseigne qui d’un Mars témoigne le pouvoir.

DOM JUAN.

Si par même moyen la vive conjecture,

Vous saluer au nom de ce Duc m’aventure,

Qui commande à Ferrare, excusable à tel pris,

Je ne croirai pourtant m’être guerres mépris.

ALPHONSE.

Point du tout, disposez d’un Prince qui se vante

Devoir plus vous seul, qu’à personne vivante,

Ainsi que garanti du trépas apparent.

DOM JUAN.

Avisons de vider un autre diffèrent.

ALPHONSE.

Quel ?

DOM JUAN.

Vous l’allez savoir, une plainte formelle,

Que fait ce Gentilhomme, à protecteur m’appelle

Sa germaine enlevée afin de l’abuser,

Et contre votre foi refusant l’épouser,

Déclarez en ami comme il va de la chose,

Que mon peu de crédit arbitre j’interpose,

Que le droit maintenu, j’étouffe ce discord,

Premier que sans remède il s’embrase plus fort.

ALPHONSE.

Monsieur, rien n’est plus juste au monde que sa plainte,

Et nulle intention plus que la mienne sainte,

Mais, malheur ! désirant notre foi conserver,

Depuis notre combat je ne la puis trouver,

Un malheur nonpareil m’éclipse sa lumière,

Elle entraine mon âme esclave prisonnière,

Que je cherche partout.

DOM JUAN.

Si que la retrouvant,

L’effet de votre foi vous iriez poursuivant.

ALPHONSE.

Jamais la perfidie (abominable crime)

Ne m’entra dans l’esprit, Épouse légitime,

En présence du Ciel, en présence de vous,

Je m’impute à faveur qu’elle n’ait autre Époux.

DOM JUAN.

Que son frère appelé direz la même chose ?

ALPHONSE.

Oui, et d’un cœur ouvert, à poitrine déclose.

DOM JUAN.

Voilà qui va le mieux du monde ; Approchez vous

Mon Cavalier.

BENTIVOLE.

Je meurs embrasé de courroux.

ALPHONSE.

Mon frère, désormais ce titre acquis vous donne

À disposer des biens, comme de la personne.

BENTIVOLE.

En telle qualité, trop heureux et content,

Ma satisfaction plus outre ne s’étend.

ALPHONSE.

Sans plus outre chercher l’impétueuses course

Du Torrent qui passé ne retourne en sa source ;

J’accepte votre sûr de Compagne moitié,

Si vous favorisez ma fidele amitié,

Si daignez approuver la Nocière alliance

D’un Prince, qui sans vous est privé d’espérance.

BENTIVOLE.

De ces submissions vers un esclave user,

Duquel pourrez toujours absolu disposer ;

M’offense, (Monseigneur,) et mon impatience

Indigne me rendrait de pareille alliance,

Si je ne présumai sa grâce en la douceur

D’un Prince si clément à l’endroit de ma sœur,

Qui la daigne honorer de sa Torche nocière,

Mais, où la tenez-vous recluse prisonnière ?

Qu’on l’aille libérer.

ALPHONSE

Oui bien, elle me tient.

DOM JUAN.

La charge de ce faire à un tiers appartient,

À moi tant honoré, qui reçues pour hôtesse

Madame votre Épouse au fort de sa tristesse,

Discours que le chemin réserve d’entretien.

ALPHONSE.

Quel Cavalier là bas en ce grave maintien,

Ainsi que n’osant pas aborder nous œillade ?

DOM JUAN.

Un de vos serviteurs, qui est mon Camarade,

À nous Seigneur Anthoine, ici ne feignez plus,

La discorde, la noise, et les soucis exclus,

Nos veux sont exaucez, un Céleste Hyménée

Marque à jamais de blanc cette heureuse journée.

DOM ANTHOINE.

Le Ciel en soit loué, Ô que d’affection !

Je vois l’œuvre approcher de sa perfection,

Permettez Messeigneurs, qu’une humble révérence

Donne de mon service une entière assurance.

ALPHONSE.

Faites état du mien acquis à tout jamais.

DOM JUAN.

En guise d’ambassade, il faudrait désormais

Que de nous précéder prissiez un peu la peine,

La Princesse avertir qu’un Époux on lui mène,

Et que ce frère aussi tant redouté jadis,

La tire d’un Enfer dedans son Paradis.

DOM ANTAOINE.

Déjà ma volonté messagère fidèle,

De ce double bonheur lui porte la nouvelle.

ALPHONSE.

Prenez (je le consens) pour le port un baiser.

DOM ANTHOINE.

À ma place un grand Dieu ne le voudrait oser.

 

 

Scène II

 

SANTISTEVAN, Page, seul

 

Onc Page de courut plus heureuse fortune,

Toute chose à souhait se rencontre opportune,

Nos Maîtres absentés, une telle beauté,

Capable de fléchir des Ours la cruauté,

S’est dedans mes filets volontaire jetée,

La chambre à recevoir cette Nymphe apprêtée,

Une nuit amoureuse entre ses bras m’attend ;

Oui, mais si le malheur après m’en voulait tant,

Que l’on le rapportât à qui ne me craint guères,

À peine demourront mes épaules entières,

N’importe, le plaisir compensera le mal,

Et l’on m’estimerait un stupide animal,

De laisser échapper cette proie si belle ;

Le terme vaut l’argent je me glisse près d’elle,

Résolu de ne perdre ores un temps si cher,

Mais ne sais quel remords toujours me vient toucher.

 

 

Scène III

 

L’HERMITE, CORNÉLIE, SERVANTE

 

L’HERMITE.

Apprenez que le bras du Tout-puissant mesure

À nos afflictions notre infirme nature,

Et envers le pécheur paraît son amitié,

Qu’il ne laisse croupir un vice châtié ;

D’exemple journalier un bon et sage Père,

Crainte que ses enfants souffrent du vitupère,

Leur tient la bride roide, et la correction,

N’argue néanmoins que trop d’affection.

Ainsi ma bonne Dame, ainsi devez vous croire,

Que de la patience arrive la victoire,

Que tels maux sans murmure endurés de sa main,

Il fléchira les cœurs d’un Époux, d’un germain ;

Non que sa volonté de la notre dérive,

Non que sa volonté souffre qu’on la prescrive,

Suffit qu’en temps et lieu nous recueillions les fruits

De sa grâce du tout gratuite produits.

CORNÉLIE.

Vos consolations m’inspirent un courage,

Qui des adversités ne craindra plus l’orage,

Et qui dorénavant se répute assez fort,

Pour attendre le coup aperçu de la mort,

Ferme dessus l’appui d’une innocence pure

Qui m’accompagnera dedans la sépulture.

L’HERMITE.

J’accorde qu’innocente au regard du désir

Qui vous fit un Époux légitime choisir,

Ou qui comparerait la tourbe déplorable

D’un tas de réprouvez en ce val misérable.

Mais ma fille, envers Dieu nul ne vit innocent,

Non même le Soleil devant lui frémissant ;

Se peut faire, qu’aussi l’affection présente

Sur les forfaits passés à cause suffisante,

Mon Père, s’il vous plaît, sans rompre ce discours,

Les huis sont-ils bien clos ? je frissonne toujours

Plus que la feuille au bois tremblotante, agitée,

Possible, que sait-on ? notre fuite éventée.

Quelqu’un fondrait ici lors qu’on y pense moins.

L’HERMITE.

Propos du peu de foi déplorables témoins.

Hé ! simple, à quel sujet craindre sous la tutelle

Du sacré Gouverneur de la bande mortelle ?

Qui peut faire d’un clin les deux Pôles mouvoir

Qui bride la fureur de l’infernal pouvoir ;

Sans sa permission, que l’univers tempête,

Un seul cheveu ne peut tomber de notre tête :

Non, qu’il faille au besoin les moyens négliger,

Qu’offre sa prévoyance à sortir d’un danger.

SERVANTE.

Extrême, pourquoi donc ne les mettre en usage ?

L’HERMITE.

Le lieu premièrement écarté du passage

Ne se fréquente point, sinon qu’aucunes fois,

Comme vous le voyez situé dedans les bois,

Et par ainsi très propre au déduit de la chasse,

Quand le Duc de Ferrare, ou quelque Grand y passe.

CORNÉLIE.

Ô que si le bonheur le pouvait amener !

L’HERMITE.

Mais si Dieu le voulait à ce faire incliner,

(Auteur des bons desseins) assurez-vous Madame,

Que mes faibles efforts ébranleront son âme,

Et qu’assisté du Ciel je ferai que l’effet

D’un mariage Saint ne demeure imparfait.

CORNÉLIE.

Alors je vous durai mon honneur et ma vie.

L’HERMITE.

Dieu s’offense par tout de sa gloire ravie,

Référez tout à lui ; mais allons de ce pas,

(Vous en avez besoin) prendre un sobre repas.

 

 

Scène IV

 

DOM ANTHOINE, SANTISTEVAN, COURTISANE, DOM JUAN, BENTIVOLE, ALPHONSE, PAGE, L’HERMITE

 

DOM ANTHOINE.

Ouvrez Madame ouvrez, nouvelles plus heureuses,

Ne peuvent éveiller vos flammes amoureuses,

Elle ne m’entend pas, Madame, et qu’est-ceci ?

Tel silence craintif ne se doit plus ici.

Reconnaissez la voix, Princesse Cornélie,

D’Anthoine qui d’un Duc le retour vous publie,

Je crois qu’il n’y ait plus personne là dedans,

Page, ho ?

SANTISTEVAN.

Monseigneur.

DOM ANTHOINE.

Où sont ces impudents ?

Réponds toi qui nous tient cette porte fermée ?

SANTISTEVAN.

Après une défense expresse confirmée,

À nous d’en approcher, je n’ai que repartir.

DOM ANTHOINE.

Une Dame à vos yeux invisible sortir ?

SANTISTEVAN.

Une Dame.

DOM ANTHOINE.

Tu fais l’ignorant.

SANTISTEVAN.

Que j’embrasse

Suppliant, ces genoux de qui dépend ma grâce.

DOM ANTHOINE.

Comme quoi ?

SANTISTEVAN.

S’il m’advient d’y retourner jamais.

DOM ANTHOINE.

Or sus l’impunité pour ce coup je promets,

Et qu’on ne mente point.

SANTISTEVAN.

Fraîche, galante, et belle,

Vous la trouvez là haut.

DOM ANTHOINE.

Sais-tu bien que c’est elle ?

SANTISTEVAN.

Au nom de Cornélie on la connaît assez.

DOM ANTHOINE.

Monte après moi, sans bruit.

COURTISANE.

Hé ! sus, sus, avancez,

Notre humeur n’aime pas telle cérémonie.

DOM ANTHOINE.

Certain Duc vous vient voir d’allégresse infinie.

COURTISANE.

Un Duc, et de plus grands d’ordinaire j’ai vu.

DOM ANTHOINE.

Ô Cieux ! mon œil surpris d’un fantôme impourvu.

COURTISANE.

Là, là, ne faites pas ainsi le difficile,

Beaucoup des plus huppés des premiers de la ville.

DOM ANTHOINE.

Ô Louve misérable ! ô Pendard effronté !

Ce Prince se croira de nous deux affronté.

COURTISANE.

Dieux ! que le courroux lent a de sel et de grâce.

Approchez dédaigneux, et que l’on vous embrasse.

DOM ANTHOINE.

J’embrasserais plutôt les rages de l’Enfer,

Qui te puissent, ô Monstre en luxure étouffer.

DOM JUAN.

Monseigneur, je vous sers de guide, avec licence,

Ô Dieu ! bon Dieu, tantôt quelle réjouissance

Madame Cornélie.

BENTIVOLE.

Où êtes-vous ma sœur ?

ALPHONSE.

Vous voulez-vous cacher mauvaise, pour la peur ?

PAGE.

Monsieur, ils sont là-haut.

DOM JUAN.

Entrez la chambre ouverte.

COURTISANE.

Que de gens pour me voir dans un lit découverte,

La grande nouveauté.

BENTIVOLE.

Que veut dire ceci ?

ALPHONSE.

Êtes-vous Cornélie ?

COURTISANE.

Oui je la suis, et si,

Ne faites pas le fin, un mien frère, à même âge

Vous vaut bien, tout rempli d’esprit et de courage.

BENTIVOLE.

Ô plaisante rencontre !

ALPHONSE.

Ô misérable moi !

COURTISANE.

Trouvée avec un Page, est-ce là tant de quoi ?

DOM ANTHOINE.

Fui Paillarde, et soudain, si tu valais la peine.

COURTISANE.

Croyez qu’onc à ce prix Page ne m’y ramène.

ALPHONSE.

Sortons.

DOM ANTHOINE.

Une épouvante, et sans occasion,

Cause à mon grand regret cette confusion.

DOM JUAN.

Troublé, charmé, perclus de sens, et de parole,

Je doute si je suis un homme, ou un Idole,

Quelque roche marine, ou quelque tronc de bois,

Sommes-nous devenus stupides à la fois ?

Seigneur Anthoine, Hé ! quoi, faudra-il qu’une honte

De la honte d’autrui nos courages surmonte ?

DOM ANTHOINE.

Ô cruelle surprise ! ô mal aventureux !

Je pense les ouïr qui conspirent entr’eux

De ce jour ridicule une juste vengeance.

DOM JUAN.

J’oserais vous taxer quasi de négligence,

Que le désordre su ne veniez empêcher

Ce spectacle honteux, avant que l’approcher.

DOM ANTHOINE.

À peine entré dedans ainsi qu’un coup de foudre,

M’a transi de douleur, ne sachant que résoudre

Que dire, que penser de leur fuite, et ne crois,

Qu’objet puisse jamais m’apporter tant d’effroi.

DOM JUAN.

Chirurgien expert consolidez l’ulcère,

Paravant qu’en fistule affreux il dégénère,

Car pour déraciner ce frivole soupçon,

Le vêtement, le port, le geste, et la façon

De notre fugitive exprimés leur suffisent.

DOM ANTHOINE.

Ha ! que les Phrygiens dessus le tard s’avisent ;

Ne laissons toutefois de suivre le conseil,

À l’eau que dans un crible on puise, tout pareil.

ALPHONSE.

Mon frère, Adieu, tenez ma parole accomplie,

Aussi tôt que le Ciel me rendra Cornélie,

Chacun de son côté s’emploie à la trouver,

Tout ce que peut l’humaine industrie éprouver,

Quiconque recevra la première nouvelle,

Tenu d’en départir la faveur mutuelle.

BENTIVOLE.

Mon Prince, assurément je n’y manquerai pas,

Dieu vos desseins bénisse, et conduise vos pas.

ALPHONSE.

Chétif ! où tournera leur adresse incertaine ?

Quelle assiduité ne demeurera vaine,

De travaux soucieux, tels qu’Hercule perdit,

Quand la première nef de voguer s’enhardit.

Las ! Hélas ! un Dédale en l’âme me ramène,

Et comble de soucis qui rangrègent ma peine,

C’est qu’on ne la saurait chercher ouvertement,

Crainte que le scandale éclate apertement,

Où irai-je sinon vers la Parque implorée ?

Mais l’âme en ces pensers angoisseux égarée,

J’aborde l’Hermitage, où ce grave vieillard,

Un peu plus qu’il n’est pas d’ordinaire gaillard,

Attentif, arrêté me contemple, ô mon Père !

Que j’ai l’estomac plein de fielleuse misère,

Qu’une âpre affliction mendie le secours

Et de votre conseil, et de vos saints discours.

L’HERMITE.

Moi qui m’estime moins qu’un simple ver de terre,

Roseau frêle et cassé, plus fragile que verre

Ombre d’un ombre, objet du péché, de la mort,

Que puis je Monseigneur, leur donner de confort 

Ce peu que l’Éternel à sa gloire m’inspire,

Organe indigne, Hélas ! ne se devrait pas dire,

Organe indiffèrent, à qui daigne chez moi

Faire un talent valoir, inutile de soi.

ALPHONSE.

Entrons, le corps lassé, l’esprit battu d’orages,

Assauts pour ébranler les plus fermes courages,

Un peu de trêve fait à tous les deux besoin,

Et votre charité pieuse en prendra soin.

L’HERMITE.

Oui certes, et bien plus, sous la faveur suprême,

Tel mal extrême aura son remède de même.

« Relevez-vous d’espoir, un cœur vraiment Chrétien

« Trouve contre tous maux en la foi son soutien.

 

 

ACTE V

 

 

Scène première

 

CORNÉLIE, L’HERMITE

 

CORNÉLIE.

Las ! il est plus que temps, mon charitable Père,

De jeter en passant quelque atteinte légère,

Qui du Duc envers moi sondât l’intention,

Ainsi que fera bien votre discrétion.

Onques commodité ne s’offrirait plus belle,

Et semble que le Ciel à ce bonheur l’appelle,

Qu’il nous y veuille exprès conduire par la main,

Ce qu’on peut aujourd’hui n’attendons à demain.

L’HERMITE.

Afin d’acheminer le fait à cette affaire,

Savez-vous néanmoins que je conseille faire,

Faut vêtir le petit de ses langes plus beaux,

N’omettre le dépôt de précieux joyaux,

Et me le tenir prêt, puis ma pointe suivie,

De le voir je m’en vois lui procurer l’envie.

CORNÉLIE.

Tel avis mes douleurs diminue à moitié.

L’HERMITE.

Allez du Souverain réclamant la pitié.

 

 

Scène II

 

ALPHONSE et L’HERMITE

 

ALPHONSE.

Combien l’homme s’abuse à discerner au monde,

Où de son mieux choisi le principe se fonde !

Combien l’illusion d’une vaine grandeur

Le sépare éloigné du parfait de son heur !

Soit que Monarque un monde à sa parole tremble,

Que des Indes chez soi les trésors il assemble

Ou qu’en la République un grade égal aux Rois,

Lui fassent disposer des peuples et des lois.

Ce bon Hermite a plus de plaisir en une heure,

Plus content de son sort en son âme demeure,

Que nous dans le milieu des délices plongés,

Nous d’ennuis, de remords, et de soins plus rongés,

Nous que l’ambition furieuse manie,

Ou qu’un Amour oisif tient sous sa tyrannie ;

Amour en mon endroit légitime pourtant,

Océan périlleux de tourmentes flottant :

Lui sur ses passions possède un bel Empire,

À être jamais plus que ce qu’il est n’aspire ;

Toujours le cœur au Ciel, toujours les yeux ouverts

 Sur les œuvres du grand Facteur de l’univers,

Ô trois et quatre fois vie heureuse et bénite !

Mais le voici.

L’HERMITE.

Monsieur, un spectacle mérite,

Que vous en jouissiez, un spectacle aussi beau,

Que puisse contempler le Céleste flambeau,

Un spectacle animé, chef-d’œuvre de nature,

Naguères arrivé céans à l’aventure.

ALPHONSE.

Quelque faon bocager possible ?

L’HERMITE.

Nullement ;

Je m’en vois le querir, admirez seulement.

ALPHONSE.

Ce bel esprit actif en un lieu solitaire,

Quelque chose toujours réserve extraordinaire,

Un simple, un minéral distillés, qui soudain

Guérirait les langueurs de l’affligé prochain,

Ores quelque poisson d’une mer étrangère,

Quelque oiseau, quelque bête en sa rareté chère,

Passe-temps curieux, mais plus pour ses amis,

Que pour lui recherchez.

L’HERMITE.

Tel je l’avais promis,

Tel vous le recevez, présent digne d’un Prince,

Qui le fît héritier de quelque ample Province.

ALPHONSE.

Oui certes, Hé ! bon Dieu, le sang me monte au front,

Ma tristesse à l’abord de cet enfant se rompt,

Ne sais quel air du mien sur ce petit visage.

L’HERMITE.

Ô pitoyable Ciel ! j’accepte le présage.

ALPHONSE.

Ses maillots au surplus, ne présupposent pas

L’ignoble extraction venir d’un peuple bas.

Quoi ? ces bagues de moi sans doute provenues,

Sont d’une vérité les apparences nues,

Encore, qui vous a dépositaire élu

De cet Ange mortel, de qui l’avez vous eu ?

L’HERMITE.

Son Père Cavalier illustre, magnanime,

Que non la seule Itale, ains tout le monde estime,

Sa mère, belle, sage, et vertueuse aussi,

Un hasard survenu l’a fait mon hôte ici,

Hasard qui de plusieurs la naissance accompagne ;

Doncques puis que le voir votre clémence daigne,

Sa Nourrice vaut bien la faveur d’un regard,

À qui même beauté la nature départ.

ALPHONSE.

Elle m’obligera de paraître.

L’HERMITE.

Nourrice,

Venez vite, qu’un heur imparfait s’accomplisse.

 

 

Scène III

 

ALPHONSE, CORNÉLIE, L’HERMITE et FABIE

 

ALPHONSE.

Ma Vie.

CORNÉLIE.

Mon Soleil.

ALPHONSE.

Mon penser.

CORNÉLIE.

Mon désir.

ALPHONSE.

Ma Charité.

CORNÉLIE.

Mon Roi.

ALPHONSE.

Mon unique plaisir.

Approche tend les borde de ta leure de rose,

Que la mienne dessus en se pâmant repose,

Qu’incrédule de joie, et ravi hors de moi

J’épreuve tu es un corps digne de foi,

Si tu es Cornélie, ou de ces ombres vaines

Aptes à décevoir sous des formes humaines.

L’HERMITE.

Pâmez d’affection l’un et l’autre se rend,

Joie qui dans mon âme excessive s’épand,

Presque jusqu’à plorer, ô Seigneur que ta grâce

Opère merveilleuse en cette terre basse !

ALPHONSE.

D’où viens-tu ma liesse, après tant de travaux ?

Après une Iliade angoisseuse de maux ?

Quel Hercule a reçu mon Alceste pudique,

D’apparence tombée au gouffre Plutonique ?

Tu n’es pas Cornélie.

CORNÉLIE.

Ô source de mon mieux,

Tel doute m’appartient qui se lit à ces yeux,

Le Soleil recouvré, le Soleil de leur gloire,

Que ma félicité palpable n’ose croire.

ALPHONSE.

Ta face me ressemble un champ semé de fleurs ;

Quand l’Hiver a tari ses frileuses horreurs.

CORNÉLIE.

La vôtre un clair fanal, qui sauve du naufrage,

Un haure qui des vents ne redoute la rage,

Un refuge impourvu du voyageur qui fuit

Contre l’impiteux fer du brigand qui le suit.

ALPHONSE.

Embrasse derechef, embrasse moi ma vie,

Porterais-tu si tôt à mon bonheur envie ?

CORNÉLIE.

Le bon Hermite proche, attendons que la nuit,

À nos libres plaisirs donne le sauf-conduit.

L’HERMITE.

Ces privautés de l’homme à la femme permises

Ne doivent être au rang des offenses commises,

Moyennant qu’un état incivil en soit hors,

Que l’exemple brutal ne le produise alors :

Or afin d’obtenir la franchise absolue,

Qu’on ne soupçonne plus de flamme dissolue.

Vous plaît-il, Monseigneur, ne permettre pouvoir

Au mystère accompli du noçage pourvoir ?

La foi ne suffit pas si l’Église n’y passe,

Et de plus dilayer n’aurait aucune grâce.

ALPHONSE.

Prévoyant vous lisez en ma conception,

Un vœu pour ce regard n’a plus d’exception,

Mandez quelque Pasteur qui soudain l’accomplisse,

Qui sans bruit jusqu’à vous invisible se glisse,

Qui se garde discret, donnant loisir du moins

À ceux que nous voulons assister pour témoins,

Fabie.

FABIE.

Monseigneur.

ALPHONSE.

Cours, mais que di-je ? vole,

Trouver, chercher par tout son frère Bentivole,

Et ces deux Espagnols, couple du Ciel bénit,

Couple que la prudence et le courage unit,

Dis que je les attends, rien plus, quoi qu’on informe,

Dépêche, et au vouloir proposé te conforme.

FABIE.

Léger, vous me voyez autant vaut de retour,

Mercure trop heureux d’un miracle d’amour.

ALPHONSE.

Ma Belle, cependant choisissons secrétaire

De nos défunts travaux quelque lieu solitaire,

Où dessus le passé j’examine à loisir,

Quel bon Démon m’a fait même route choisir.

 

 

Scène IV

 

BENTIVOLE, DOM JUAN, DOM ANTHOINE, FABIE

 

BENTIVOLE.

Vous avez dessus lui trop de créance acquise,

Pour craindre désormais dessus la chose enquise,

Pour craindre que l’objet rencontré de hasard

S’impute à quelque trait moqueur de notre part

Le jugement plus louche aurait en autre estime

Un couple vertueux, loyal et magnanime,

L’infortune provient de l’ordinaire peur,

Que ce sexe conçoit à la moindre vapeur,

Là se trouve du mal survenu l’origine,

Meure honteusement qui rien plus s’imagine.

DOM JUAN.

Monsieur, je vous dirai que lui et moi surpris,

Perdîmes un long temps la vie et les esprits,

Privés de contenance, abattus de courage,

Tels que ceux que le foudre a frappez en sa rage,

Et qui, le désespoir nous comble ce souci,

Fit que l’étonnement nous séparait ainsi,

Le moyen retranché de produire sur l’heure

Mille indices prégnants de la vérité sûre,

Comme à représenter son visage, son port,

Ses habits, son marcher, ou (témoignage fort)

Certaine riche Croix de Diamants portée,

Que son futur Époux lui avait présentée.

BENTIVOLE.

Entre les gens d’honneur la parole suffit ;

D’ailleurs que vous pourrait apporter de profit

La feinte à ce sujet ridicule et grossière ?

DOM ANTHOINE.

Un bon somme pourtant ne clora ma paupière,

Qu’en son endroit purgé face à face de près,

Scrupule aucun ne puisse en demeurer après,

À votre avis Monsieur, où sera sa retraite ?

Devons nous à Ferrare avancer d’une traite ?

BENTIVOLE.

Lui même de ses pas incertain, qui voudrait

Dessur l’incertitude en prescrire l’endroit ?

L’Amour et la fureur le guident déplorable,

Ô Cieux ! à point nommé un des siens secourable

Nous délivre de peine, et s’achemine ici.

FABIE.

Me voilà Monseigneur, hors d’un prégnant souci,

Et crois que mon voyage inspiré vous assemble,

Suppliez de venir de compagnie ensemble,

Jusques à l’Hermitage, où mon Prince attendant,

À besoin de conseil sur nouvel incident.

BENTIVOLE.

Qu’ignorez ?

FABIE.

Que j’ignore.

DOM JUAN.

Et n’a reçu nouvelles

Du parangon cherché de la Reine des belles.

FABIE.

Aucunement le lieu incommode à cela

Onc ne lui permettrait d’en venir jusques là.

DOM JUAN.

À ce défaut allons le savoir de lui-même,

Allons, au pis je tiens notre soulas extrême,

De s’éclaircir du tout sur ce qui s’est passé,

Un soupçon quant à nous d’imposture effacé.

 

 

Scène V

 

ALPHONSE, CORNÉLIE

 

ALPHONSE.

Tu riras du bon tour, que je me délibère

Jouer de prime abord maintenant à ton frère,

Qui ne nous sachant pas en ce lieu réunis,

Non plus que nos malheurs heureusement finis,

Se passionnera dessus une apparence,

Que mon dessein voulût frustrer son espérance,

La fuite déniant un devoir conjugal,

Jamais, certes jamais plaisir ne fut égal.

CORNÉLIE.

Mon heur expliquez-moi la finesse conçue.

ALPHONSE.

Elle sera de toi la dernière aperçue.

CORNÉLIE.

Un baiser n’aura point de privilège.

ALPHONSE.

Cent

N’arrachent ce secret les autres surpassant.

CORNÉLIE.

La fontaine déplaît notre soif apaisée.

ALPHONSE.

Tu pourrais de courroux être plus embrasée.

CORNÉLIE.

Courroux que vous feigniez redoutable autrefois.

ALPHONSE.

Courroux qui n’a perdu sa vigueur et son poids.

CORNÉLIE.

Hé ! que je sache donc.

ALPHONSE.

Tu rougis, courroucée.

CORNÉLIE.

Et non pas sans sujet.

ALPHONSE.

Qui t’aurait offensée ?

CORNÉLIE.

Un obstiné refus en forme de mépris.

ALPHONSE.

Je le veux voir premier jusque dans l’âme épris.

CORNÉLIE.

L’Âme (chacun le sait) invisible nous reste.

ALPHONSE.

Jamais donc tu n’auras le secret manifeste.

CORNÉLIE.

Non, puis que la menace et le prier sont un.

ALPHONSE.

Tout plaisir trop tôt pris ne devient qu’importun.

CORNÉLIE.

Possible qu’à mon tour d’autre chose priée.

ALPHONSE.

La personne se tient en garde, défiée.

CORNÉLIE.

N’importe, mes secrets demeureront ainsi.

ALPHONSE.

J’entends du bruit, or sus cache toi mon souci,

Et ne sors qu’à ma voix, de ta grâce parée,

Ils donnent dans l’embûche heureuse préparée.

CORNÉLIE.

Ne me faites languir d’une attente longtemps.

Qui de crainte pourrais mêler ce passetemps.

 

 

Scène VI

 

ALPHONSE, BENTIVOLE, DOM JUAN, DOM ANTHOINE, CORNÉLIE, L’HERMITE et LA SERVANTE

 

ALPHONSE.

Ma perquisition totalement frivole,

Ne trouvez pas mauvais (vous Seigneur Bentivole,)

Si j’accepte un parti qui se présente ailleurs,

Un parti qui me tient rang entre les meilleurs,

La volonté suffit, qui de fallace nue,

Que vous et chacun peut avoir trop reconnue,

Prêt à l’effectuer encor, qui me rendrait

Cornélie, tenant préférable son droit ;

Mais au défaut, prenez l’excuse légitime,

Et sans l’avoir commis me pardonnez un crime,

Que sert de se froncer de courroux le sourci ?

Il faut dorénavant que cela passe ainsi,

Sa perte que voulut la sombre destinée,

Des douceurs ne me doit fort clore l’Hyménée.

Or vous veux-je témoins le sujet faire voir,

Qui de le refuser m’interdit le pouvoir,

Assuré que chacun confirmera ce change,

Et ne m’en donnerez que gloire, et que louange.

BENTIVOLE.

Paravant que souffrir l’outrage prétendu,

L’un de nous tombera mort à terre étendu.

DOM JUAN.

Plutôt de ce poignard plongé dans sa poitrine,

Je l’enverrai là bas épouser une Érynne,

L’injustice en ce cas lui ferait son procès,

Si de votre germaine il ne sait le décès,

Ou qu’un terme requis à la trouver ne passe,

Il n’en peut subroger aucune autre en sa place.

DOM ANTHOINE.

Concédez-moi l’honneur que sur l’heure affronté,

Je lui face soudain changer de volonté.

BENTIVOLE.

Réservez autre-part un généreux courage,

La vengeance appartient à celui qu’on outrage,

Ma dextre suffira, qui l’attend au retour.

ALPHONSE.

Que dites-vous Amis, sur le nouvel Amour ?

Dessur ce second choix d’une Junion pudique,

Hé ! Quoi, chacun muet demeure sans réplique ?

BENTIVOLE.

Ô Prince de vertus divines ennobli !

Onc un acte si beau de coule dans l’oubli,

Tant que Phœbus luira, compasseur des années,

Que les Cieux tourneront aux cadences données,

Que Thétis en son sein nourrira ses poissons,

Et que l’alme Cérès produira nos moissons,

Toujours ton los célèbre en la troupe mortelle,

Remplira l’univers d’une loyauté telle,

Loyauté qui m’oblige à ne plus respirer,

Que vos commandements, et sous eux expirer.

CORNÉLIE.

Mon frère pardonnez.

BENTIVOLE.

Ma sœur l’offense est mienne,

Trop heureux, trop content, que sa grâce elle obtienne,

Que mon intention s’approuve désormais,

Et que pour le passé l’on n’en parle jamais.

CORNÉLIE.

Monsieur, après le Ciel, voyez deux Gentilshommes.

À qui d’un bon succès redevables nous sommes ;

Voici les protecteurs de mon fils et de moi,

Signalés de vaillance ainsi comme de foi.

ALPHONSE.

Tu me veux du Soleil éclaircir la lumière,

Qui de leur vertu fis une épreuve première,

Qui la vie et les biens quitterais volontiers,

De pareille amitié voulant faire le tiers.

DOM JUAN.

Ainsi le faites-vous (ambition petite)

Mais l’honneur conféré passe notre mérite,

Que récompensera l’humble fidélité,

Suppléant de courage à l’inégalité.

L’HERMITE.

Monseigneur, n’oubliez la principale chose,

Que le visible bras du Tout-puissant dispose,

Ce saint préparatif vous somme d’achever,

Et notre heureux espoir de son fruit ne priver.

ALPHONSE.

Allons mes chers Amis, accomplir un mystère,

Qu’institua celui qui le monde tempère,

Qui dispose absolu de notre sort humain,

Allons mettre au chef-d’œuvre une dernière main,

La pompe (malgré moi) nuptiale sursise,

Faut qu’après la langueur maternelle on avise

De la mort terminée, ou que par la santé,

Notre désir augmente à demi contenté.

Vous mes frères tandis reconduirez d’otage,

Dans Bologne mon âme, un si précieux gage ;

Or allons convertir le discours en effet,

L’Éternel bénissant, qui ce miracle a fait.

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