Changée en nourrice (Auguste ANICET-BOURGEOIS - Édouard BRISEBARRE - DUMANOIR)

Comédie-vaudeville en deux actes.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés, le 11 avril 1836.

 

Personnages

 

DAUPHIN, maître brasseur à Saint-Denis

MAX, étudiant

JULIENNE BOIROUX, nourrice

MATHIEU, sergent recruteur

UN GARÇON DE CAFÉ, enfant de 14 ans

UN ROULIER

CONSCRITS

 

Au premier acte, la scène est à Saint-Denis, en 1814. Au deuxième acte, à Montereau, en 1831.

 

 

ACTE I

 

Le théâtre représente l’intérieur d’un café.

 

 

Scène première

 

MATHIEU, CONSCRITS, assis aux tables et buvant, UN GARÇON DE CAFÉ

 

CHŒUR.

Air des Chevau-légers. (Pré-aux-Clercs.)

Allons, amis, buvons bouteille ;
Puis, d’ouvriers
Nous deviendrons guerriers,
Et nous irons faire merveille,
En combattant pour nos foyers.

LES CONSCRITS.

À vot’ santé, sergent !

MATHIEU.

Merci, jeunes recrues... payer le vin et boire à la santé de son sergent, c’est se comporter en soldats français... et je me figure, mes petits lapins, que vous ne bouderez pas en face des Prussiens, Autrichiens et autres Kaiserlicks.

LES CONSCRITS.

Non, non, sergent.

MATHIEU.

Nous avons encore un peu de tristesse au fond de l’âme, je vois ça... nous regrettons la maman, la bonne amie, et la soupe aux choux paternelle... Mais il ne s’agit plus de tout ça, quand l’étranger a envahi la France... il est question, pour le moment, d’aller nous joindre aux camarades pour délivrer Troyes et Châlons... et c’est de l’ouvrage pressé !

LE GARÇON.

Comment ! sergent... deux de nos villes dans les pattes de ces gueux de Menherr ?... Cré nom !...

MATHIEU.

Oui, mioche... et voilà pourquoi le café ci-inclus est desservi par un moutard comme toi... tout ce qui est à peu près homme, enlevé au bénéfice de la patrie... tu n’es pas un homme, toi... Moi et mon camarade, le sergent Beauvisage, nous avons été chargés, à Paris, de la rue Saint-Jacques ; v’là mon contingent, et nous attendons les autres ici, à Saint-Denis... Mes jolies petites recrues m’ont proposé un verre ou deux de blanc, et la politesse ne me permettait pas de refuser...

Buvant.

À la vôtre, camarades !

LES CONSCRITS.

À la vôtre, sergent !

LE GARÇON.

Tiens ! il y en a un qui ne boit que du bout des lèvres... il a du chagrin, celui-là... Bêta !... qui ne sent pas son bonheur d’avoir l’âge suffisant pour aller au feu !... Ah ! si je pouvais...

MATHIEU, avec une dignité comique.

Un peu de fermeté, fripouillot !... secouons-nous... prends exemple sur ma fine recrue, le petit Max, l’étudiant en droit... mauvais sujet, vaurien fini, à ce qu’ils m’ont dit dans le quartier Saint-Jacques... mais en voilà un, de conscrit joyeux et satisfait !... il saute de joie, il se trémousse, il bat des entrechats...

L’interrompant.

Oui, mais avec tout ça il n’arrive pas vite... Je lui ai permis de faire une dernière bombance avec ses amis, et il doit nous rejoindre ici... mais faut pas qu’il abuse de ma tolérance particulière, ou sinon...

UN CONSCRIT, présentant un verre à Mathieu.

Allons, buvons un coup, sergent !

MATHIEU.

Encore à la vôtre, camarades !...

Ils boivent.

CHŒUR.

Allons, amis, etc.

 

 

Scène II

 

LES MÊMES, DAUPHIN

 

DAUPHIN.

Garçon, garçon !...

LE GARÇON.

Voilà !... Eh ! c’est monsieur Dauphin... bonjour, monsieur Dauphin... que faut-il vous servir ?... une limonade ? une bouteille de bière ?

DAUPHIN.

De la bière ?... vous êtes obtus, garçon... je viendrai peut-être boire de la bière chez vous, moi qui en fabrique, moi qui suis à la tête de la  plus belle brasserie de Saint-Denis !... il faudrait que je fusse... et ce n’est pas ça que je suis.

LE GARÇON.

C’est différent.

DAUPHIN.

Il s’agit d’un autre objet, et voilà quatre fois réitérées que je viens depuis ce matin... Garçon, est-elle arrivée ?

LE GARÇON.

Qui, arrivée ?

DAUPHIN.

La voiture de Châlons.

LE GARÇON.

Non, monsieur Dauphin, pas encore ; mais ça ne va pas tarder...

DAUPHIN.

Elle m’a pourtant écrit qu’elle serait ici aujourd’hui, 17 février 1814.

LE GARÇON.

Qui ça ? la voiture ?

DAUPHIN.

Eh ! non, la nourrice... la nourrice de mon enfant, la paysanne mercantile qui alimente depuis quinze mois ma petite Ninette, l’unique fruit de mon ménage... Je suis criblé d’inquiétude... il faut qu’elle se soit embourbée en route.

LE GARÇON.

Qui ça ? la nourrice ?

DAUPHIN.

Eh ! non, la voiture... Voilà assez longtemps que je lui prodigue vingt francs par mois, avec sucre et savon... pas la voiture, la nourrice... quand je lui demande la restitution de mon enfant, elle doit se dépêcher... vu surtout les événements politiques... Vous comprenez, garçon que je ne puis laisser une jeune personne de quinze mois dans un pays envahi par les cosaques.

MATHIEU.

Qui est-ce qui parle de cosaques ?

DAUPHIN.

Ah ! ah ! de jeunes guerriers, munis de leur sergent... et allant sans doute rejoindre l’armée en Champagne.

Ôtant sa casquette.

Honneur aux braves !... Sergent, permettez-moi de vous toucher la main... Ah ! si je n’avais pas femme, enfant et brasserie, comme j’irais avec vous culbuter l’étranger !... « Sortez de ma patrie ! leur crierais-je, vous êtes déplacés dans ma patrie ! »

Air : Un homme pour faire un tableau.

Avec politesse d’abord,
Je leur ferais une harangue ;
Mais comm’ ces messieurs ont le tort
De ne pas comprendr’ notre langue,
Plus clair’ment je m’exprimerais
À coups d’fusil... car je suppose
Qu’en allemand comme en français,
Ça veut dire la même chose.

MATHIEU.

Vous êtes donc un brave homme, vous ?

DAUPHIN.

Sergent, je suis Français... nous sommes tous Français, depuis les enfants à la mamelle jusqu’aux vieillards les plus rides... aussi, je vous accompagnerai partout... de mes vœux... et quand vous repasserez vainqueurs par Saint-Denis, toute ma brasserie sera à votre disposition... un torrent, une avalanche de bière, en l’honneur de l’armée française !...

Changeant de ton.

C’est égal, je tremble qu’elle n’ait eu une roue cassée.

MATHIEU.

Qui ça ? l’armée française ?

DAUPHIN.

Allons donc !... je parle de la voiture de Châlons... et, puisqu’elle n’arrive pas, je vais annoncer à ma femme qu’il n’y a rien de nouveau... Adieu, mes braves.

Air de la Pensionnaire mariée.

Vous allez vous couvrir de gloire :
Je vous prédis plus d’un beau jour.
Moi, j’rafraîchirai la victoire,
Quand les vainqueurs s’ront de retour.
Ma bière alors fera merveille :
J’distribuerai, sous les drapeaux,
À chaqu’ soldat une bouteille,
Des échaudés aux caporaux.

ENSEMBLE.

Vous allez, etc.

LES CONSCRITS.

Nous allons nous couvrir de gloire,
Et nous aurons plus d’un beau Jour ;
Il rafraîchira la victoire,
Quand les vainqueurs s’ront de retour.

Dauphin sort.

 

 

Scène III

 

MATHIEU, LES CONSCRITS, LE GARÇON, puis MAX

 

MATHIEU.

Ah ça ! mille noms !... je perds patience... quand l’autre détachement arrivera, il faut que tout mon monde soit présent... et ce petit Max...

On entend la clochette d’un cheval.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

LE GARÇON.

Un coucou qui arrive.

MATHIEU.

Si c’était...

Allant au fond.

Justement... justement... je le reconnais, en lapin...

Criant.

Hé ! par ici !... par ici !...

Ensemble.

MAX, entrant gaiement.

Air : Mon château. (France Pittoresque.)

Me voilà, me voilà !
Partons : moi, je suis là.
En avant ! en avant...
Je marche au premier rang

MATHIEU et LES CONSCRITS.

Le voilà, le voilà !
Ah ! ah ! qu’il est bon là !
En avant ! en avant !
Qu’il soit au premier rang.

MAX.

Ah ! quel fameux repas !
Tous les vins, tous les plats...
Et chacun s’est grisé près d’sa belle.
J’ai mangé pour deux mois,
Et puis j’ai bu pour trois...
J’n’aurai pas d’champagne à la gamelle.
Me voilà !
etc.

ENSEMBLE.

TOUS.

Le voilà ! etc.

MAX.

Eh bien ! sergent, suis-je de parole... hein ?... Je vous avais promis de me trouver ici, exact au rendez-vous... Voilà... J’avais juré à mes amis de dévorer, dans un seul et dernier repas, le produit de tout mon mobilier, depuis le bois de lit jusqu’aux chenets... tout y a passé, en bonnes choses et autres vins délicieux...

Frappant sur ses poches.

à preuve... plus rien... Et voilà comme j’entends et pratique le serment.

MATHIEU, aux autres.

Qu’est-ce que je vous disais ?... voilà un amour de recrue...

À Max.

Et vous êtes toujours bien gai, bien content de partir ?

MAX.

De plus fort en plus fort !... Qu’est-ce qui me retient ?... pas d’état, pas de famille... personne qui s’intéresse à moi... Je suis donc maître de ma personne... libre de me faire tuer... voilà ce qui me fait plaisir... Et puis, moi, qui n’ai jamais possédé un sou à la fois, je cherchais depuis longtemps quelqu’un d’aimable qui me fournit gratis la table, le logement et la toilette... C’était là un être idéal, imaginaire... Eh bien ! pourtant je l’ai trouvé... C’est le gouvernement... Il me donne pour logement le bivouac, pour table la gamelle, pour toilette la capote grise, et enfin pour amusement les coups de fusil à discrétion... De bons enfants à mes côtés, personne derrière moi, et la gloire en avant... c’est charmant, c’est délicieux, et je pars gai comme pinson !... Voilà, sergent.

MATHIEU, à Max.

Allons, le coup de l’étrier !

Max et Mathieu s’asseyent à une table ; les conscrits les entourent et restent debout.

Eh ! eh ! farceur, est-ce que nous ne laissons pas derrière nous quelque petite poulette du quartier latin ?

MAX.

Oh ! des douzaines, de poulettes... de toutes les nuances... depuis le noir le plus foncé jusqu’au rouge le plus éclatant... mais tout ça, ce sont des passions d’un jour, des oiseaux de passage... Je n’ai jamais eu qu’une liaison sérieuse, qui aurait duré toute ma vie, celle-là... malheureusement, ça n’a pas passé vingt-quatre heures...

Rire général.

Oh ! il n’y a pas de quoi rire... une aventure dans le genre grave... un vrai roman... qui s’est arrêté au premier volume... Il y a deux ans de ça... Vous devez vous souvenir, sergent, de la fameuse revue du 15 août, fête de l’empereur ?

MATHIEU.

Parbleu ! cent mille hommes de troupes au Champ-de-Mars, et une foule !...

MAX.

C’est dans cette foule que ça a commencé... D’abord, la cavalerie qui défile, et une bousculade terrible qui en résulte... puis, une jeune personne qui se trouve séparée de sa tante, perd connaissance et s’évanouit dans mes bras... Je la protège, je la dégage, à grands coups de poings à gauche et à droite... mais pas moyen de lui faire reprendre ses sens, et me voilà forcé de la transporter chez moi, dans ma mansarde de garçon.

MATHIEU.

Ah ! mille zyeux !

MAX.

Si vous l’aviez vue, sergent, toute pâle, les yeux à demi fermés !... Enfin, après l’avoir ranimée en lui jetant du vinaigre et en tapant dans ses mains, je la ramène chez sa tante, une dame respectable de province, qui était venue à Paris pour les fêtes, et repartait le lendemain pour la Normandie.

MATHIEU.

Diable ! c’est contrariant.

MAX.

Je vous en fais juge... quand on s’aime, quand on s’adore... et nous nous adorions, sergent... Aussi, en nous quittant, nous jurons de n’être jamais l’un qu’à l’autre... La tante refuse obstinément de marier sa nièce à un Lovelace sans le sou... Donc, impossible de réparer notre faute... et quelle faute ! quelle conséquence inattendue !...

MATHIEU.

Comment ?

MAX, baissant la voix.

J’étais père, sergent... père d’une jolie petite fille, qu’on avait mise secrètement au monde et en nourrice, et dont on me donnait exactement des nouvelles... Un beau jour, plus rien ; la correspondance cessa tout-à-coup... J’écris lettres sur lettres, pas de réponse... je fais un voyage en Normandie... personne... je me dis : « L’enfant sera mort, et la mère ne veut plus entendre parler de moi... » et en disant cela, il me tombait de grosses larmes sur les mains. Mais, bah ! il faut se consoler... une de perdue, dix de retrouvées... Je me trompais, sergent... depuis, j’en ai retrouvé quatorze.

Ils se lèvent. Pendant le dialogue suivant, les conscrits mettent leurs sacs et prennent leurs fusils.

MATHIEU.

Conscrit, votre histoire m’a intéressé... mais le sentiment ne doit pas faire oublier le devoir ; et, en attendant l’autre détachement, il faut que mes aimables recrues me fassent l’amitié de travailler la charge en douze temps.

MAX.

Oui, je comprends... nous autres soldats improvisés, il faut que nous fassions notre éducation en route... Mais tenez, sergent, le souvenir de mon aventure m’a tout remué, et il me semble que ce serait mal d’aller me faire casser la tête, sans écrire encore une lettre, au petit bonheur, pour dire à mon infidèle que ma dernière pensée sera pour elle et notre enfant... Voulez-vous ?

MATHIEU.

C’est trop juste et trop délicat... j’y obtempère... Mais après ça, n, i, ni, c’est fini... plus de sensibilité dans les rangs... Allons, vous autres.

LES CONSCRITS.

Air du quadrille des Puritains.

Allons faire l’exercice,
Du sergent suivons les pas...
Pour nous former au service,
Et dev’nir un jour bons soldats.

Mathieu et les conscrits sortent.

 

 

Scène IV

 

MAX, puis UN ROULIER

 

MAX, allant au comptoir.

Voilà du papier, de l’encre, tout ce qu’il me faut.

Il se place à une table.

Je ne sais pourquoi ; mais depuis un instant, il me semble que je ne dois pas désespérer de revoir... C’est drôle... enfin...

Il s’apprête à écrire. Entre un roulier portant un grand panier couvert.

LE ROULIER.

Ohé, la boutique, ohé !

MAX.

Allons ! qui vient me déranger ?

LE ROULIER.

C’est-y vous qu’est le garçon ?

MAX.

Imbécile !

LE ROULIER.

C’est que, voyez-vous, il me faudrait là, tout de suite...

MAX.

Un verre de vin... parbleu ! je vois ça...

LE ROULIER.

Du tout... une tasse de lait sucré.

MAX, riant.

Hein ? du lait ! pour toi, roulier ?

LE ROULIER.

Merci, je sors d’en prendre... Pour ceci.

Il indique le panier.

MAX.

Comment, ceci ?... qu’est-ce que c’est donc ?

LE ROULIER.

Regardez vous-même. 

MAX, écartant le linge qui couvre le panier.

Que vois-je ? un enfant endormi !... qu’est-ce que ça signifie ?

LE ROULIER.

Ça signifie que je suis le messager du côté de Châlons, et que tout le pays est occupé par ces gueuzards d’étrangers... Ça fait que la nourrice de cet enfant n’a osé ni le garder, ni se mettre en route, dans la crainte des Cosaques ; et comme la petite fille est sevrée, on m’a chargé de l’apporter à Paris, avec ç’te lettre pour le père.

MAX.

Cette lettre...

Jetant les yeux sur l’adresse.

Ô ciel !... mon nom... ma demeure !... Cet enfant !... Oh ! non, c’est impossible... et pourtant... voilà bien...

Il brise le cachet.

LE ROULIER.

Eh ben !... eh ben !... qu’est-ce que vous faites donc ?... vous décachetez ?...

MAX, très agité.

Eh ! certainement... cette lettre est pour moi... moi, Robert Max.

LE ROULIER.

C’est-y possible !... Cet enfant serait donc ?...

MAX.

Aussi pour moi... peut-être... probablement... est-ce que je sais ?... car je crois que je rêve, que je deviens fou... Mais laisse-moi donc lire.

Ouvrant la lettre.

Un second billet !... son écriture !...

Lisant.

« Si je meurs, ou si quelqu’autre événement me sépare de ma fille, voici le nom et l’adresse de la personne à qui vous la remettrez. » Signé d’elle ! Mais cette nourrice, voyons ce qu’elle m’écrit : « Monsieur, voilà trois mois que nous n’avons reçu des  nouvelles de la mère... nous ne pouvons plus garder cet enfant, dans un pays envahi par les ennemis... et, suivant ses ordres, nous vous la renvoyons. » Ma fille !

Il court au panier que le roulier a posé sur une table.

Oh ! qu’elle est jolie ! jolie comme sa mère... hélas ! elle n’est plus, sa pauvre mère... je n’en puis plus douter...

Il essuie une larme.

Oh ! mais je la remplacerai... c’est à moi à présent de prendre soin de notre enfant, de l’élever, de préparer son avenir... Son avenir !... et je ne possède rien au monde !... son avenir ! et je suis soldat, et je vais peut-être me faire tuer !...Oh ! non, plus maintenant... au diable la guerre !... j’y renonce ! je déserte...

S’arrêtant.

Mais je serai fusillé, et ma fille orpheline, abandonnée, sans appui !... Ah ! que faire, mon Dieu, que faire ?...

LE ROULIER, à part.

Comme il a l’air agité !...

Haut.

Ma fine, monsieur, v’là ma commission faite, et...

MAX, sans l’écouter.

Si je pouvais trouver dans ce pays quelque brave femme qui consentît à la prendre... je lui enverrais ma paie.

LE ROULIER.

Monsieur...

MAX, de même.

Qui, c’est cela... courons... Mais pendant ce teins...

Il ouvre la porte à droite.

Là, dans cette salle de billard... personne... Roulier, prends ce panier avec soin et va le poser sur le billard... va donc...

Il sonne et appelle.

Garçon ! garçon !...

Le roulier sort avec le panier.

Une tasse de lait sucré... dépêche toi.

LE GARÇON.

Voilà, voilà !...

LE ROULIER, rentrant.

Ça y est, monsieur.

MAX.

Très bien... Qu’attends-tu ?... Ah ! je comprends, ta commission...

À part.

Pas un liard...

Haut.

Tiens, voilà ma montre d’argent... elle vaut vingt francs ; change-la et rends-moi la monnaie.

Le garçon entre portant une tasse.

Arrive ici, toi... Que personne n’entre au billard, je le défends... je le loue, entends-tu ? pour toute la journée ; et si l’enfant qui est dans le panier s’éveille tu lui donneras à boire tant qu’il en voudra...

À part.

Vite, à la chasse aux nourrices.

Il sort en entraînant le roulier.

 

 

Scène V

 

LE GARÇON, puis JULIENNE BOIROUX

 

LE GARÇON, stupéfait.

Qu’est-ce qu’il me chante donc, celui-là, avec son enfant et son panier ?... Il est fou, le conscrit...

On entend claquer un fouet de postillon et rouler une voiture.

Eh ! v’là la diligence de Châlons qui arrive... Quelqu’un va descendre... Tiens ; une paysanne !... C’était bien la peine.

JULIENNE porte un paquet et entre en pleurant.

Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! seigneur ! me v’là donc à Saint-Denis... Ah ! queu malheur ! queu catastrophe !

Elle s’essuie les yeux.

LE GARÇON.

Eh bien ! elle pleure !... c’est pour pleurer qu’elle entre ici ?... Dites donc, la femme, qu’est-ce que vous demandez ?

JULIENNE.

Je ne demandons rien, monsieur le garçon... seulement, je vous prions de me lire cette adresse qu’est là-dessus.

LE GARÇON.

Cette adresse ?...

Lisant.

« Monsieur Dauphin, maître-brasseur à Saint-Denis, grande rue, numéro. » Ah ! j’y suis ; vous êtes la nourrice de la petite Dauphin... On attend joliment après vous.

DAUPHIN, en dehors.

Où est-elle ? où est-elle ?

LE GARÇON.

Voici M. Dauphin lui-même.

Il sort.

 

 

Scène VI

 

DAUPHIN, JULIENNE

 

DAUPHIN, apercevant Julienne.

Oui, c’est elle !... je la reconnais. 

JULIENNE, à part, avec effroi.

C’est lui !...

DAUPHIN, courant à elle.

Ah ! nourrice ! nourrice ! j’éprouve une émotion !... je ne croyais pas que ça me ferait cet effet-là... Nourrice, laissez-moi vous embrasser pour calmer mes sens... Mais je ne vois pas ma fille... Où est ma fille, nourrice ? où avez-vous mis ma fille ?... Tiens, vous pleurez !

JULIENNE.

Ah ! ah ! ah ! mon bon monsieur... j’en mourrons, c’est sûr.

DAUPHIN.

Laissez donc... j’en mourrons est une bêtise... Je conçois que la séparation est cruelle... Mais voilà quinze mois que ma fille prend ses repas chez vous, et il est temps qu’elle rentre au sein de sa famille... Dites-moi, nourrice... me ressemble-t-elle beaucoup ?

JULIENNE.

Je ne savons comment vous dire...

DAUPHIN.

Combien a-t-elle de dents ?

JULIENNE.

Comment vous annoncer...

DAUPHIN.

Des yeux bleus, n’est-ce pas ? des yeux azur ?...

JULIENNE, pleurant toujours.

Ah ! ah ! ah ! ah !

DAUPHIN.

Oui, c’est convenu... la séparation est fort cruelle, je répète mon mot... mais vos sanglots deviennent d’une monotonie intolérable... Voyons, nourrice, il me faut mon enfant ! rendez-moi mon enfant !... que je baise ses grosses joues rebondies, que sa petite voix douce frappe mes oreilles paternelles...

On entend les cris d’un enfant qui s’éveille.

Qu’est-ce que j’entends ?... les cris de ma fille !... là, dans ce billard ! JULIENNE, voulant l’arrêter.

Monsieur !... monsieur !...

DAUPHIN.

Laissez-moi, paysanne... ma fille m’appelle... Me voilà, Ninette, me voilà !

Il sort précipitamment par la droite.

JULIENNE.

Qu’est-ce qu’il va faire ?... qu’est-ce que tout ça va devenir ?

 

 

Scène VII

 

JULIENNE, ΜΑΧ

 

MAX.

Impossible de trouver dans tout Saint-Denis une brave femme qui veuille se charger...

JULIENNE, regardant par la porte entr’ouverte.

Qu’est-ce que je voyons ? une petite fille du même âge que...

On entend Mathieu commander l’exercice.

MAX, regardant en dehors.

Sont-ils heureux !... ils font l’exercice, ils préparent leurs armes, et, dans quelques jours, en face de l’ennemi !...

D’un ton piteux.

Allons donner à boire à l’enfant.

Il va prendre la tasse, et voit Julienne.

Une paysanne !... physionomie de nourrice... Dieu ! si elle était disponible !

S’approchant.

Bonne femme ! venez-vous chercher ou rapporter un enfant ?

JULIENNE.

Moi, monsieur ?... Comment ! est-ce que vous aureriez ?...

MAX.

J’aurerais un nourrisson magnifique à vous confier... et vous n’irez pas le chercher bien loin, car il est ici.

JULIENNE.

Ici !

MAX.

Au billard.

JULIENNE, à part.

Seigneur Dieu !

À Max, vivement.

Cet enfant est à vous ?... vous êtes son père ?

MAX.

Je m’en flatte... Et si ça vous arrange d’être sa seconde mère, à quinze francs par mois, c’est une affaire bâclée... Oh ! d’abord, je ne vous chicanerai pas sur la qualité des aliments, vu que la petite est sevrée, et au régime de la bouillie. Ça vous va-t-il ?... Venez, venez la voir...

JULIENNE.

Arrêtez, monsieur ! n’entrez pas là avant que je vous ayons dit...

MAX.

Quoi donc ?... que vous n’en voulez pas ?...

JULIENNE.

Ah ! vous voyez une pauvre femme bien malheureuse et bien embarrassée... il faut que vous veniez à mon secours, que vous parliez pour moi à M. Dauphin.

MAX.

Qu’est-ce que c’est que ça, Dauphin ?... je ne connais pas de Dauphin.

JULIENNE.

C’est lui qui est là, auprès de votre enfant.

MAX.

Dauphin auprès de ma fille !... qu’est-ce que ça signifie ? Je vais...

JULIENNE, l’arrêtant.

Oh ! je vous en supplions !... un mot, un instant !

MAX.

Voyons... parlez, expliquez-vous, brave femme... car je n’y suis pas du tout.

JULIENNE.

Eh bien ! j’allons tout vous dire. Il y aura seize mois, à la Saint-Martin, que M. Dauphin me fit venir du pays, et me confia une belle petite, en me disant d’en avoir bien soin J’emportai le nourrisson, et au bout de quelque temps, fallait voir comme ça poussait !... un vrai champignon, quoi !... V’là que tout-à-coup il y eut comme un sort jeté sur tous les enfants du pays... une vraie pidémie, et la pauvre petite de M. Dauphin...

MAX.

Je comprends... Eh bien ! alors...

JULIENNE.

Il fallait lui annoncer ç’te nouvelle... J’allais faire un paquet de la layette, et me mettre en route, quand nous recevons de Saint-Denis trois mois d’avance que nous envoyait la famille, comme elle faisait toujours... C’était de l’argent à rapporter.

MAX.

C’est tout simple.

JULIENNE.

Jugez donc de notre position !... un de nos créanciers arrive chez nous, voit ç’te somme, la prend et l’emporte... Comment faire connaître son malheur à M. Dauphin, sans lui rendre les mois d’avance que je n’avions pas gagnés ?... Une semaine se passe, puis un mois, puis deux... Mais le diable n’est pas toujours à la porte du pauvre monde... Il y a trois jours, un petit héritage nous est tombé du ciel, juste en même temps que la lettre de M. Dauphin, qui redemandait la petite... Je sommes partis avec l’argent...

MAX.

Et vous avez annoncé à M. Dauphin que son enfant n’existait plus.

JULIENNE.

Non, monsieur... et v’là oùs que j’en suis... Dès que je me sommes trouvée en face de ce brave homme, qui était si joyeux de revoir sa petite, le courage m’a manqué, je n’ai pas pu trouver une parole... Et là-dessus, nous avons entendu des petits cris : il a couru de ce côté-là, et l’enfant qu’il a trouvé...

MAX.

C’est le mien corbleu !... Ah ! mais un instant... pas d’erreur... de quiproquo... ma fille n’est pas la fille de Dauphin !

JULIENNE.

Chut ! plus bas... s’il vous entendait !...

MAX.

Eh ! qu’est-ce que ça me fait qu’il m’entende ?

JULIENNE.

Oui, mon bon monsieur, oui... mais quand nous l’aurons prévenu, préparé... là, à nous deux... sans ça, c’est un coup dans l’estomac, à tuer ce pauvre homme !

Entraînant Max vers la porte entr’ouverte.

Tenez ! tenez ! regardez comme il la caresse, comme il l’embrasse !

MAX, regardant.

C’est, ma foi, vrai... et avec un plaisir ! Je crois, diable m’emporte ! qu’il en pleure... Voilà une aventure curieuse, par exemple !

JULIENNE.

Comme il est heureux !... comme il a l’air de l’aimer !

MAX, regardant toujours.

Il a l’air d’en être fou... j’en suis tout attendri... et on serait presque tenté... Allons donc !... allons donc !... est-ce que ma fille peut avoir un père aussi laid que ça ?... il est affreux, ce Dauphin... il a une tête à mettre sous verre... Qu’est-ce que c’est donc que cet homme-là ?... up fruitier ?

JULIENNE.

Lui, monsieur !... un des plus riches de Saint-Denis... qui possède une grande fabrique de bière, des ouvriers, tous les trésors de la terre !... Il peut se vanter, celui-là, que ses en-fans auront de quoi.

MAX.

Ses enfants ?... il en a beaucoup ?

JULIENNE.

Hélas ! il n’en a... il n’en avait qu’un seul.

MAX, vivement.

Pas d’autre enfant !

À part.

Une fortune, un avenir pour...

Haut.

Mais il est peut-être méchant, brutal, ce Dauphin ?

JULIENNE.

Lui !...un mouton, un agneau du bon Dieu !... et sa femme, donc !...

MAX.

Sa femme !...

À part.

Une mère !...

JULIENNE.

À ç’t’heure, monsieur, que vous savez tout, conseillez-moi donc ce qu’il faut lui dire ?

MAX.

Ma foi, c’est très embarrassant.

À part.

Le bonheur de mon enfant... la joie, l’espoir d’une honnête famille... tout ça dans ma main !... et je pourrais aller me battre pour la France !...

JULIENNE, avec terreur.

Ah ! mon bon monsieur... le voilà !

 

 

Scène VIII

 

JULIENNE, ΜΑΧ, DAUPHIN

 

DAUPHIN, accourant.

Nourrice ! nourrice !

Il se jette sur Max.

Mille pardons, monsieur... excusez un père qui vient d’embrasser sa fille, après quinze mois d’absence...

À Julienne.

Nourrice... ma fille vous réclame... je crois que ma fille s’est oubliée, et il faut réparer ça...

Prenant Max à part, et avec mystère.

Monsieur...

MAX.

Plaît-il ?

DAUPHIN.

Ma fille a six dents.

MAX.

Parbleu ! je le sais bien.

DAUPHIN.

Comment ! vous le savez ?

MAX.

Oui, la nourrice vient de me l’apprendre.

DAUPHIN.

Ah !... c’est tout mon portrait, monsieur.

MAX, à part.

Par exemple !

DAUPHIN.

Elle est jolie comme un cœur... je lui ai fait une peur horrible en l’embrassant... mais elle m’a reconnu tout de suite... car elle s’est mise à crier.

JULIENNE, bas à Max.

Monsieur, v’là le moment de lui dire...

MAX, bas à Julienne.

Attendez...

Ému et prenant les mains de Dauphin.

Monsieur, vous aimerez bien votre fille, n’est-ce pas ?... vous me le promettez ?

DAUPHIN.

Si je l’aimerai ?... je vous en réponds... Et puis, comme je vais l’élever !... une éducation de princesse... Je lui ferai apprendre le piano, le dessin, la grammaire française... et à faire des confitures... tous les arts d’agrément possibles...

MAX, à part.

Ce sera un excellent père.

JULIENNE, bas.

Faut pourtant lui annoncer...

MAX, de même.

Tout à l’heure...

Haut à Dauphin.

Et plus tard quand il faudra songer à son bonheur, à son mariage ?...

DAUPHIN.

N’est-ce pas pour ça que je travaille, que je fais de la bière... Oh ! en fait de mari, j’aurai de quoi lui en procurer un bon, un gentil... Je paierai, et ma fille choisira.

MAX, vivement.

Elle choisira, dites-vous ?... Ainsi, jamais de contrainte, de tyrannie ?

DAUPHIN.

Jamais !

MAX.

Elle sera donc heureuse, toujours heureuse, ma... votre fille ?...

DAUPHIN.

Toujours... tant qu’elle voudra... Ah ! je crois que j’ai soif.

Allant au fond.

Garçon !...

MAX, à part.

Je ne pouvais pas mieux placer mon enfant.

JULIENNE.

Quoi qu’il faut dire, pour lui apprendre ?...

MAX, bas et vivement.

Rien... Il n’y a pas eu d’épidémie dans votre village... la fille de M. Dauphin n’est pas morte, vous la lui rapportez fraîche et rondelette... et la voilà.

JULIENNE.

Ah ! monsieur... vous me sauvez.

MAX.

Chut !

DAUPHIN, revenant.

Allez donc, nourrice, mademoiselle Dauphin a besoin de vous.

Julienne sort.

LE GARÇON, un plateau à la main.

Qui est-ce qui appelle ?

MAX.

Moi... Qu’est-ce que tu portes là ?

LE GARÇON.

Du kirsch pour des voyageurs.

MAX, lui prenant le plateau.

Après nous, s’il en reste... Monsieur Dauphin, un verre de kirsch, à la santé de votre fille !

DAUPHIN.

À la santé de ma fille !

MAX.

À son bonheur !...

DAUPHIN.

À la pousse de ses grosses dents... Tenez, vous êtes un brave jeune homme, et je n’oublierai jamais que vous avez bu à la santé de ma fille.

MAX.

Et vous lui parlerez quelquefois de moi, n’est-ce pas ?

DAUPHIN.

Je lui parlerai très souvent de vous... de ce cher... Comment vous appelle-t-on ?

MAX.

Robert Max.

DAUPHIN.

Robert Max ?... je m’en souviendrai... Et votre état ?

MAX.

Pour le moment... soldat.

DAUPHIN.

Soldat français... ah ! je disais bien que vous étiez un brave garçon... Encore un coup !

MAX.

Toujours à sa santé... à son bonheur !

DAUPHIN.

Toujours !

Air : Mais en amour, comme dans les combats. (Discrétion.)

Quell’ devienne grande et jolie,
Que chacun la trouve remplie
De mille attraits !

MAX.

Que dans tous lieux on la chérisse,
Et que le pauvre la bénisse
Pour ses bienfaits !

DAUPHIN.

Que par le cœur, l’esprit, le caractère,
Qu’en tout, enfin, ell’ ressemble à son père !

MAX.

Ah ! que le ciel entende ici vos vœux !
Comm’ vous, pour être heureux,
Voilà, voilà ce que je veux.

Ensemble.

MAX.

Ah ! que le ciel, etc.

DAUPHIN

Ah ! que le ciel entende ici mes vœux !
Pour être bien heureux,
Voilà, voilà ce que je veux.

 

Quell’ fasse un riche mariage,
Qu’son époux apporte en mariage
Un beau million !

MAX.

Ce Plus de bonheur que de richesse !
Que Dieu lui donne la tendresse
D’un bon garçon !

DAUPHIN.

Qu’à près d’cent ans, son pèr’, qu’elle caresse,
La trouve encor pour bâton de vieillesse !

MAX.

Ah ! que le ciel entende ici vos vœux,
Que je serais heureux !
Voilà, voilà ce que je veux.

ENSEMBLE.

Ah ! que le ciel, etc.

 

 

Scène IX

 

JULIENNE, ΜΑΧ, DAUPHIN, MATHIEU, LES CONSCRITS, puis JULIENNE BOIROUX, portant l’enfant

 

CHŒUR.

Air de l’Aumônier du Régiment.

Gais conscrits,
Enfants d’Paris,
En avant !
(bis.)
Et partons en chantant.

Un conscrit donne un fusil à Max.

MAX.

Avec vous j’vais à la guerre,
J’suis prêt à suivre vos pas,
L’cœur content et l’âme fière...

À part.

Comme eux maint’nant j’puis braver le trépas.
À mon enfant j’laisse un’ famille...
Si j’meurs sous les feux ennemis,
Que l’ciel tienn’ compte à ma fille
Des jours que j’donne à mon pays !

MATHIEU, aux conscrits, parlé.

À vos rangs !

Reprise du CHŒUR.

Gais conscrits, etc.

MATHIEU.

Garde à vous !... portez... armes !... Pas mal... pas mal... À droite alignement !

Julienne paraît portant l’enfant.

MAX, à part avec émotion.

La voici !

MATHIEU.

Voyez votre droite.

MAX, de même.

Ah ! que je voudrais l’embrasser !

MATHIEU.

Fixe !

MAX.

Mais impossible... tant de regards ! tant de témoins !

MATHIEU.

Par le flanc droit... droite !

Les conscrits exécutent le mouvement, ce qui les force à tourner le dos à Max.

MAX, à part.

Oh !... merci, sergent, merci.

Il court embrasser sa fille, essuie une larme, serre la main de Dauphin, puis va se placer dans le rang des conscrits.

MATHIEU.

Par file à droite... droite !... Pas accéléré... Marche !

Les conscrits défilent ; Max ne quitte pas des yeux sa fille, que Dauphin a prise dans ses bras et couvre de caresses.

Reprise du chœur.

 

 

ACTE II

 

Une salle basse de la maison de Dauphin. À droite, une porte conduisant chez Mlle Dauphin. À gauche, une porte conduisant chez Ninette. Au fond, porte ouvrant sur un vestibule, ou un vitrage ouvrant sur un jardin.

 

 

Scène première

 

DAUPHIN, ROSALIE, NINETTE

 

Dauphin est assis près de Rosalie, et lit une lettre ; Ninette debout, appuyée sur le fauteuil de Dauphin, lit des yeux.

DAUPHIN, s’interrompant.

Pour Dieu, ma sœur, finir !

ROSALIE.

C’est inutile.

NINETTE.

Ma tante, je vous en prie... laissez-moi finir !  

DAUPHIN.

Je continue.

Lisant.

« Ainsi donc, mon cher ami, oubliant tout ce qui s’est passé entre nous, à cause de Mlle votre sœur, touché des prières de mon unique fils, je vous demande pour lui la main de votre jolie petite Ninette... à la condition expresse cependant que, suivant la promesse qu’elle en a faite autrefois, Mlle Dauphin assurera, après elle, tout son bien à sa nièce... Je suis, en attendant votre réponse, votre dévoué collègue, VALENTIN père, marchand de peaux et membre du conseil municipal de Montereau, dont vous êtes le maire. Ce 3juin 1831. »

ROSALIE.

Avez-vous fini ?

DAUPHIN.

Oui, ma sœur, à moins que vous ne désiriez entendre une seconde fois la missive de mon ami Val...

ROSALIE.

Savez-vous bien, mon frère, que, pour m’avoir lu cette lettre, je vous trouverais aussi impertinent que votre ami, si je ne vous savais le plus simple des hommes ?

DAUPHIN.

Merci.

ROSALIE.

Oser me faire une pareille proposition après l’insulte que j’ai reçue !

DAUPHIN.

Valentin fils a été un peu léger, j’en conviens ; mais...

ROSALIE.

Écoutez-moi, mon frère... Depuis douze ans que votre femme n’est plus, et que je l’ai remplacée auprès de votre fille, certes, j’ai refusé bien des partis.

DAUPHIN.

C’est vrai.

ROSALIE.

J’avais des motifs pour ne vouloir pas me marier.

DAUPHIN.

Vous ne me les avez jamais dits.

ROSALIE.

C’était inutile... mais aujourd’hui il se peut que je change de projet... il se peut que je sois assez jeune encore et assez riche pour trouver un mari... Je ne dois pas disposer de mon bien... Écrivez donc à M. Valentin que je garde ma fortune, et que je la garde toute entière.

NINETTE, à part.

Qu’elle est méchante !

DAUPHIN.

Ma sœur, voilà une résolution...

ROSALIE.

Que je n’aurais jamais prise, si vous ne m’y aviez forcée... Souvenez-vous donc que ce petit Valentin, auquel je ne pensais pas, m’a fait il y a trois mois une cour assidue... il se flatta d’être aimé, et m’afficha... oui, dans toute la ville, il fit courir le bruit que je l’adorais... enfin, je l’aurais épousé, je crois, pour le faire taire, quand votre fille, qui était en pension à Paris, revint à Montereau... Alors M. Valentin ne fut plus galant que pour elle, il ne me parla plus d’amour, encore moins de mariage... enfin, je surpris des lettres, immorales au dernier point, que j’ai toutes déchirées.

NINETTE, à part.

J’espère bien que non.

DAUPHIN.

Dans cette circonstance, vous savez, ma sœur, quelle fermeté de caractère j’ai déployée.

ROSALIE.

Oui, vous m’avez laissée faire, et j’ai mis le séducteur à la porte... mais pour se venger, il m’a diffamée, vilipendée dans tout Montereau... Je ne peux plus sortir sans que tous les jeunes gens me montrent du doigt... et je donnerais aujourd’hui mon bien à ce petit serpent-là !... Non, mon frère, je serai inexorable... vous direz que je suis dure, méchante même ; mais je ne serai pas ridicule.

NINETTE.

Ma tante...

ROSALIE.

Au reste, pour échapper à toute obsession inutile, je vous annonce aussi mon prochain départ.

DAUPHIN.

Comment ! vous nous quittez ?

ROSALIE.

Votre fille est d’âge à tenir à présent votre maison... demain, je pars pour Paris.

DAUPHIN.

Demain !

Ensemble.

ROSALIE.

Air : C’est elle, adieu, va-t’en. (de la Savonnette impériale.)

Oui, oui, je pars demain :
À mon dessein
Vous vous opposerez en vain.
Pour un autre séjour,
Au point du jour,
Je vous quitterai sans retour.

DAUPHIN et NINETTE.

Eh quoi ! partir demain !
Un tel dessein
Ne peut s’exécuter soudain.
Restez dans ce séjour,
Où notre amour
Vous sera prouvé chaque jour.

Rosalie sort par le fond.

NINETTE, à part.

Bon ! elle descend au jardin... je pourrai entrer chez elle.

 

 

Scène II

 

DAUPHIN, NINETTE

 

DAUPHIN, se retournant vers la porte par laquelle Rosalie est sortie.

Vieille folle, va ! qui se figure qu’un jeune homme blond-clair, de vingt-trois ans, qui a des lunettes en écaille et des verres bleus, voudra d’une fille de trente-six ans... quand il a sous la main une fleur de beauté !... ça n’a pas de sens... Ah ! c’est ma faute... pour la rendre favorable à non projet, j’avais conseillé à Valentin d’être galant, empressé, et ça a tout gâté... Hum ! si j’avais là quelqu’un de bonne volonté pour lui jeter ta tante à la tête, ça arrangerait tout... car elle a beau dire, ta tante, c’est un mari qu’elle veut, pas autre chose... Pourquoi la nature ma-t-elle fait son frère ?... je me dévouerais à ton bonheur... je l’épouserais.

NINETTE.

Hélas ! ça ne se peut pas.

DAUPHIN.

Non... il faut trouver un autre expédient... Ah ! qu’est-ce que j’ai donc ?... J’ai été si occupé ce matin, que j’ai oublié de déjeuner... et depuis que je me connais, voilà la première fois que cela m’arrive.

Appelant.

Pierre ! Pierre !... mon déjeuner !

NINETTE, à part.

Ma tante est au jardin, je n’ai qu’un moment... il faut que je reprenne mes lettres avant qu’elle s’aperçoive que la clé de son secrétaire lui manque...

Haut.

Vous n’avez pas besoin de moi, mon père ?

DAUPHIN.

Non, mon enfant... j’avoue, à la honte de l’humanité, qu’une côtelette est à présent ce que je désire le plus au monde.

NINETTE, à part.

Allons vite chercher les lettres de Valentin.

Elle sort à droite. Bruit dans la coulisse.

DAUPHIN.

Ah ! voilà mon déjeuner... Non, c’est un gendarme !

 

 

Scène III

 

DAUPHIN, MAX, UN GENDARME

 

LE GENDARME, poussant Max.

Marchez donc !

MAX.

Ne poussez pas, gendarme, ne poussez pas.

LE GENDARME.

Avancez, alors.

MAX.

Et si je ne veux pas avancer ?... si je veux rester en place... si je veux m’asseoir ?

Il se met dans un fauteuil.

DAUPHIN.

Qu’est-ce, qu’est-ce ?... qu’est-ce que c’est, gendarme ?

LE GENDARME.

Un tapageur que je vous amène, monsieur le maire.

DAUPHIN.

Un tapageur ?... Attendez, gendarme, que je me ceigne de mon écharpe.

MAX.

C’est ça le maire ?... je vous en fais mon compliment, gendarme.

DAUPHIN.

Étranger, taisez-vous... songez que vous êtes devant un magistrat... devant M. Dauphin, ex-brasseur à...

MAX, se levant.

Dauphin !...

DAUPHIN.

Boniface-Dorothée Dauphin.

MAX.

Celui à qui j’ai transmis autrefois ?...

Air de la Vieille.

Oui, c’est bien lui... cette tournure,
Ce son de voix qui me frappa ;
Ces manières, cette figure,
Ce nez, ces yeux, et cætera...
Oui, c’est bien lui : car la nature
N’en produit pas deux comme ça,

Courant à lui.

Mon cher Dauphin !

DAUPHIN.

Qu’entends-je là ?...
Ô ciel ! j’y suis, ce jeune militaire...

MAX.

À Saint-Denis...

DAUPHIN.

Qui m’offrit un p’tit verre...

MAX.

Deux, s’il vous plaît...

DAUPHIN.

Qui m’combla d’politesse...
Ah ! quel plaisir, quel bonheur, quelle ivresse,
De retrouver un ami d’autrefois,
Que l’on n’a vu qu’un’ seule fois !

ENSEMBLE.

Ah ! je retrouv’ mon ami d’autrefois,
Que je n’ai vu qu’un’ seule fois.

DAUPHIN.

Ah ! mon cher !... mon cher !... Attendez, votre nom... votre nom va me revenir... il rime avec taxe... c’est Robert...

MAX.

Robert Max.

DAUPHIN.

C’est ça...

Au gendarme.

Brigadier, retirez-vous... ce malfaiteur est un homme très comme il faut... faites-lui vos excuses et allez-vous-en.

LE GENDARME.

Mais, monsieur le maire, c’est un tapageur... v’là le procès-verbal.

DAUPHIN.

C’est mon ami... s’il a cassé quelque chose, je... le ferai payer à la commune... Sortez.

Le brigadier sort ; pendant ce temps on a apporté le déjeuner.

MAX.

Cet excellent Dauphin !

À part.

Il va me donner des nouvelles...

DAUPHIN.

Cher ami... je ne vous aurais jamais reconnu.

MAX.

Ah ! c’est que je suis diablement changé... les cheveux gris, les rides, la patte d’oie... sans compter la balafre ci-jointe, que j’ai reçue à Montmirail... Mais, bah ! le caractère n’a pas vieilli... je suis toujours gai comme quatre... amoureux comme à vingt ans et tapageur comme au collège... c’est drôle, ça ne s’en va pas, je crois même qu’il y a progrès... À propos, Dauphin, mon ami, je suis votre prisonnier... commencez votre interrogatoire... je suis curieux de savoir comment vous vous y prendrez.

DAUPHIN.

Vous allez voir... Pierre, un couvert de plus et du bordeaux !...

MAX.

Hein ? vous dites ?...

DAUPHIN.

Que vous allez déjeuner avec moi... et si vous faites résistance, je rappelle la gendarmerie.

MAX.

C’est inutile... j’accepte.

On apporte un second couvert.

ENSEMBLE.

Air : Assez dormir, ma belle.

Amis francs et sincères,
Trinquons, choquons nos verres ;
Et fêtons de moitié
Le jour qui nous rassemble ;
Tous deux buvons ensemble,
Buvons à l’amitié.

Ils se mettent à table en chantant.

DAUPHIN.

Oui, buvons pour ouvrir l’appétit.

MAX.

Buvons...

À part.

Je voudrais bien pourtant lui demander...

DAUPHIN.

Allons, à votre santé, comme il y a quinze ans !

MAX.

Oh ! un moment !... si vous voulez que ce soit tout-à-fait la même chose, c’est à la santé de votre fille qu’il faut boire.

DAUPHIN.

De ma fille ?

MAX.

Vous vous souvenez de cette petite, qui n’avait que six dents.

DAUPHIN.

C’est, ma foi, vrai.

Avec mystère.

Elle en a vingt-huit à présent.

MAX, vivement.

Elle existe donc toujours ?

DAUPHIN.

Certainement.

MAX.

Et vous l’aimez bien, n’est-ce pas ?

DAUPHIN.

J’en raffole, de ma Ninette... j’en suis bête quelquefois.

MAX, à part.

Elle s’appelle Ninette !...

Haut.

Elle doit être bien jolie, n’est-ce pas ?

DAUPHIN.

C’est la perle de Montereau.

MAX.

Vous ne comprenez pas le plaisir que vous me faites !

DAUPHIN.

Voilà un ami !... en voilà un...

Lui prenant la main.

Bon ami ! excellent ami !... il faudra nous revoir plus souvent... Mais buvez donc.

MAX, s’essuyant les yeux.

À sa santé !

DAUPHIN.

Ça va.

MAX, à part.

Je la verrai avant de partir.

DAUPHIN.

Ah ça ! dites-moi donc un peu comment il se fait que vous, homme mûr, homme raisonnable, vous vous fassiez ramasser par la gendarmerie départementale ?... c’est un peu... léger.

MAX.

On m’a arrêté pour une babiole, une querelle au café... des lunettes cassées.

DAUPHIN.

Des lunettes d’écaille ?

MAX.

Je crois qu’oui.

DAUPHIN.

Ornées de verres bleus ?... J’en connais le propriétaire... charmant jeune homme.

MAX.

Nous devons nous revoir tantôt, et nous ferons plus ample connaissance... Mais laissez de côté votre dignité municipale. Allons, Dauphin, allons, grisez-vous un peu, magistrat !

DAUPHIN.

Impossible... je suis maire... et je n’ai plus soif.

MAX.

Ah ça ! d’où vous vient donc cette dignité-là ?

DAUPHIN.

Mon ami, depuis que je ne vous ai vu, j’ai fabriqué considérablement de bière... en 1815 surtout.

Air : Connaissez mieux le grand Eugène.

Pour nous venger de leurs attaques,
Pour rançonner ces Tartares vainqueurs,
J’ai fait avaler aux Cosaques
De la bièr’ de tout’s les couleurs,
De la drogu’, mon cher, des horreurs !
Si j’avais pu, dans une immense salle,
Rassembler tous nos ennemis...
Par un’ colique générale
J’aurais sauvé la France et Saint-Denis !
À moi tout seul, j’aurais sauvé Paris !

Avec l’argent des Cosaques, j’ai acheté une fort belle propriété dans le département de la Marne. J’ai vendu ma brasserie, et je suis venu me fixer à Montereau, où, vu mes capacités et mes impositions, j’ai été élu maire, à la quasi-unanimité.

MAX.

Vraiment ?

DAUPHIN.

Ah ça. !... et vous ?

MAX.

Moi ?

DAUPHIN.

Êtes-vous aussi dans les honneurs ?... tenez-vous au gouvernement ?

MAX.

Du tout !... la liberté, rien que la liberté, voilà ce qu’il me faut... avec ça, un peu d’amour... beaucoup de champagne... et l’impériale d’une diligence.

DAUPHIN.

Vous voyagez donc ?

MAX.

Par goût et par état... je suis commis-voyageur.

DAUPHIN.

Bah ! dans quelle partie ?

MAX.

Les baromètres et les parapluies.

DAUPHIN.

Les parapluies ?... comme c’est heureux !... justement, on m’a volé le mien hier.

MAX.

J’ai votre affaire... taffetas rouge, bec à corbin, bout en cuivre... véritable riflard d’officier public.

DAUPHIN.

Vous me l’apporterez tantôt... et vous passerez la journée avec moi.

MAX.

Je ne demande pas mieux...

À part.

Je la verrai plus longtemps.

DAUPHIN.

Restez ici... ma fille va revenir au salon... si je n’y suis pas, vous vous présenterez vous-même... Je vais dans mon cabinet, annuler le présent procès-verbal... Ah ! vous me donnerez tantôt votre passeport, je le viserai... et vous pourrez après ça marcher partout tête levée.

MAX.

Je suis donc libre ?

DAUPHIN.

Comme un chardonneret.

ENSEMBLE.

Air de la Fiole.

Au revoir ! puis, à table,
Nous fêt’rons
Cette rencontre aimable ;
Nous rirons.

DAUPHIN.

En ces lieux, ma fille
Va venir, et vous verrez
Comme elle est gentille !
J’en suis sûr, vous l’aimerez.
Vous serez, je pense,
Bons amis en peu d’instants :
Car vot’ connaissance
Dat’ de ses premières dents.

Reprise de l’ENSEMBLE.

Au revoir ! etc.

Dauphin sort.

 

 

Scène IV

 

MAX, seul

 

Il me laisse seul, chez lui... près de Ninette.

Air : Vaudeville des Frères de lait.

Je vais la voir... ô ma fille si chère,
Enfin près d’ toi me voilà revenu !
D’la tête aux pieds, tout-à-coup, je m’sens père...
J’vais voir ma fille, et dans mon cœur ému,
Je sens un trouble, un bonheur inconnu.
Ç’t amour soudain, je l’lui dois, c’est justice,
Et trop longtemps j’ai dû le renfermer...
En un seul jour il faut que j’la chérisse
Pour les seize ans qu’j’ai passés sans l’aimer.

On vient... C’est une jeune fille... elle, sans doute !... Tâchons de prendre des manières qui ne sentent pas trop l’impériale ou l’estaminet.

 

 

Scène V

 

MAX, NINETTE

 

NINETTE, avec un paquet de lettres.

Enfin, je les ai retrouvées... je les ai toutes...

Apercevant Max.

Ah ! là.

MAX, à part.

Oh ! qu’elle est gentille !

NINETTE, à part.

Qu’est-ce que c’est donc que ce monsieur ?

MAX, à part.

Mais c’est un petit chef-d’œuvre que j’ai fait là.

NINETTE, à part.

Comme il me regarde !

MAX, à part.

Ce scélérat de Dauphin... est-il heureux !... Voyons un peu comment il a élevé ce petit bijou-là.

Il salue.

Mademoiselle, j’ai bien l’honneur de...

NINETTE, saluant.

Monsieur...

MAX, à part.

Elle fait très bien la révérence, ma fille...

Haut.

Vous ne me remettez pas, je parie ?

NINETTE, cherchant.

Non... non, monsieur.

MAX.

Je suis pourtant votre plus ancienne connaissance ; j’aurais dû dire votre plus ancien ami.

NINETTE.

Vous, monsieur ?

MAX.

Votre père et moi, nous vous avons embrassée ensemble pour la première fois.

NINETTE.

Est-ce que vous seriez mon parrain ?

MAX, soupirant.

Non, non... je ne vous suis rien...

À part.

C’est dur d’être obligé de dire ça à son enfant.

Haut.

Rien... que le meilleur de vos amis... entendez-vous ? le meilleur... et je ne serai content que lorsque je vous l’aurai prouvé.

NINETTE.

Vous êtes bien bon, monsieur.

MAX, à part.

Pauvre petite !... et pas la moindre des choses lui offrir !... Rien que des parapluies... ou des baromètres... Oh ! cette bague, qui a traversé intacte tous les Monts-de-Piété de France...

Haut.

Mademoiselle, voulez-vous bien me permettre de glisser à ce joli petit doigt un gage de cette amitié dont je vous parlais tout à l’heure ?

NINETTE.

Une bague !

MAX.

Oh ! elle est de peu de valeur... sans cela...

À part.

elle serait loin.

NINETTE.

Monsieur, je ne sais si je puis accepter...

MAX, à part.

Elle est très bien élevée, ma fille...

Haut.

Vous le pouvez, mon enfant... je ne suis plus un jeune homme, et Dauphin serait là, qu’il vous autoriserait à...

NINETTE.

J’accepte alors, monsieur... et je vous remercie.

MAX, à part.

Oh ! comme je l’embrasserais de bon cœur !

Il s’approche, puis il s’arrête.

NINETTE.

Qu’avez-vous donc, monsieur ?

MAX.

Moi ?... rien... je...

Lui prenant la main.

Ninette, mon enfant, supposez pour une minute que ce petit souvenir vous vient de votre père... Supposez encore que cet heureux père est là... près de vous... tout près... comme me voilà... Eh bien ! est-ce ainsi que vous le remercieriez ? non... à son père, on ne fait pas la révérence... on lui saute au cou et on l’embrasse.

NINETTE.

Monsieur !

Il l’embrasse.

MAX, à part.

Oh ! ma foi, je n’y tenais plus... ça m’aurait étouffé...

Haut.

Est-ce que vous m’en voulez, Ninette ?

NINETTE.

Non... C’est drôle, je vous vois pour la première fois, et il me semble que je vous connais déjà depuis longtemps.

MAX.

Eh ! notre intimité date de 1814, et ça commence à compter... Allons, allons, mon enfant, mettez votre petite main dans la mienne, et causons là, comme de vieux amis que nous sommes.

NINETTE.

Je le veux bien...

À part.

C’est un bien digne homme que ce monsieur-là.

MAX, à part.

Ce baiser-là m’a vieilli de trente ans...

Haut.

Voyons, petite... il s’est passé bien des choses depuis notre dernière entrevue... D’abord, êtes-vous, là, bien heureuse dans cette maison ?

NINETTE.

Heureuse...

MAX.

Vous hésitez à me répondre... Est-ce que Dauphin serait un père barbare ?

NINETTE.

Lui !... oh ! jamais il ne m’a causé un chagrin... mais...

MAX.

Mais ?... Un instant... Je vois que vous avez du triste, du noir dans l’âme, et je ne veux pas de ça... Mon enfant, qui est-ce qui vous a fait de la peine ? Voyons... si c’est un homme, je le tuerai... si c’est une femme... je ne sais pas ce que je lui ferai.

NINETTE, vivement.

Oh ! non... je ne veux pas qu’on tue Valentin... et pourtant, c’est à cause de lui...

MAX.

Valentin ?... un petit blond, qui a des lunettes à verres bleus ?

NINETTE.

Oui, monsieur.

MAX, à part.

C’est le petit jeune homme qui m’a provoqué au café... voilà sa carte qu’il m’a jetée.

Haut.

Et c’est lui qui vous fait du chagrin ? Soyez tranquille, votre M. Valentin va passer un vilain quart-d’heure.

NINETTE, l’arrêtant.

Du tout, je ne veux pas qu’on lui fasse du mal ; car je l’aime... entendez-vous, je l’aime... Il m’aime bien aussi, lui... mais il a un père qui est riche et qui ne veut consentir à notre mariage que si ma tante me donne son bien.

MAX.

Eh bien ! la bonne femme doit être très heureuse de pouvoir vous rendre ce petit service-là... Allez, allez, je me charge de tout arranger... et vous épouserez ce petit blondin... C’est la preuve d’amitié que je veux vous donner.

NINETTE.

Oh ! si vous faites cela, monsieur...

MAX.

Eh bien ?

NINETTE.

Oh ! je vous embrasserai de bien bon cœur.

MAX.

Vraiment ! Alors, quand je devrais mettre Montereau sens dessus dessous, vous serez madame Valentin...

À part.

Mais, pauvre petite, il ne faut pas tuer son futur, pour commencer... Allons, allons, je suis père avant tout... Je vais faire des excuses à mon gendre...

Haut.

Au revoir, Ninette.

Air : Je prends ici le parti le plus sage. (Du Mari Charmant.)

Je vais songer à votre mariage,
Je vous réponds d’avance du succès ;
Allons, enfant, allons, prenez courage :
Je tiens toujours tout ce que je promets.
Oui, je ferai votre bonheur, j’espère.

NINETTE.

Si vous comblez le plus cher de mes vœux,
Ah ! vous serez alors mon second père...

MAX, à part.

Contentons-nous de ça... faute de mieux.

ENSEMBLE.

Je vais songer, etc.

NINETTE.

Il va songer à notre mariage,
Et me répond d’avance du succès ;
Puisqu’il l’a dit, allons, prenons courage,
Et ses efforts combleront mes souhaits.

Il sort.

 

 

Scène VI

 

NINETTE, seule

 

Il est aimable, ce monsieur-là... je ne sais pas pourquoi, mais j’espère à présent... Je suis seule, voyons si j’ai toutes mes lettres... J’ai eu bien du mal à les trouver... ma tante les avait cachées dans son secrétaire, tout au fond d’un petit coffret où elle serre ses bijoux... elles étaient là avec ses autres papiers... Voyons s’il ne manque rien à mon petit trésor... Une... deux... oui, les voilà bien toutes... six, sept... et huit !... Tiens ! il n’y en avait que sept...

Elle serre les autres dans sa poche et regarde la huitième.

Il n’y a pas d’adresse à celle-ci...

Elle l’ouvre.

Ce n’est pas l’écriture de Valentin... Oh ! je ne dois pas... je ne veux pas garder cette lettre.

Elle l’examine toujours ; Dauphin entre.

 

 

Scène VII

 

DAUPHIN, NINETTE

 

DAUPHIN.

L’affaire de mon ami Max est à présent arrangée... Qu’est-ce que fait donc ici ma fille unique ?

NINETTE.

Décidément, je ne la lirai pas... reportons-la bien vite avant que ma tante... Ah !...

Elle s’arrête à la vue de son père.

DAUPHIN.

Où cours-tu donc si fort, et que tiens-tu là ?

NINETTE.

Rien... rien, mon père.

DAUPHIN.

Si fait, c’est un papier, une lettre... Ninette, au nom de l’autorité que j’ai sur vous, donnez-moi cette lettre.

NINETTE, à part.

Mon Dieu, mon Dieu ! ma tante va savoir...

DAUPHIN.

À qui est-ce que je parle, ma fille ?

NINETTE.

Voilà, mon père. 

DAUPHIN.

Que vois-je ! comment, mademoiselle, vous recevez des lettres... datées de 1812 !... mais c’est une horreur.

À part.

Je suis d’un ridicule achevé... Cette lettre lui est parfaitement étrangère...

Haut.

Mon enfant, j’accusais à tort l’innocence de ton premier âge... Mais dis-moi, où as-tu trouvé ce billet ?

NINETTE, à part.

Si je parle de ma tante, elle me grondera, me reprendra mes lettres.

DAUPHIN.

Eh bien ?

NINETTE.

Mais... dans ma chambre, au fond de cette vieille armoire, vous savez... qui est au pied de mon lit.

DAUPHIN.

Ah ! mon Dieu !

NINETTE.

Qu’avez-vous donc ?

DAUPHIN.

Je n’ai rien... Va-t’en, va-t’en, ma fille... je veux être seul, absolument seul.

NINETTE.

Surtout ne parlez pas de cela à ma tante.

Elle sort à gauche.

 

 

Scène VIII

 

DAUPHIN, seul

 

Dans sa chambre !... mais c’était celle de sa mère... au fond de la vieille armoire !... mais c’était à sa mère... Cette lettre aurait-elle été écrite à ma défunte ? Oh ! j’étouffe ! j’ai un œuf dans la gorge !... Voyons... du courage...

Lisant.

« De 1812... » Ah ! il y a longtemps. « Cher ange, donne-moi donc des nouvelles de notre enfant. »

Il tombe sur une chaise.

Ah ! mon Dieu ! j’aurai mal lu... bien sûr, j’aurai mal lu... « La petite doit être charmante... trompe la surveillance de ton argus, et écris-moi... pourquoi n’es-tu plus libre ? pourquoi ne puis-je pas dire à tous : Cet enfant est à moi ? » Ah ! je n’ai pas la force d’en dire davantage... Ma femme ! ma grosse Toinon !... faire des infamies pareilles !... Ah ! Toinon, Toinon !... Et moi qui l’ai pleurée pendant dix-sept mois !... Mais, j’y pense... l’enfant... cette petite... c’est Ninette... je n’ai jamais eu qu’elle... je ne peux pas me tromper... Ninette n’est donc pas à moi ?... Ninette n’est donc pas mon bien ?... Oh ! il faut que je sorte... j’ai besoin de prendre l’air... j’ai besoin de me cogner la tête quelque part...

Il va pour sortir et rencontre Max.

 

 

Scène IX

 

DAUPHIN, ΜΑΧ

 

MAX.

Réconciliation complète... Ah ! vous voilà, Dauphin ?

DAUPHIN.

Qu’est-ce que vous me voulez ?... Laissez-moi, laissez-moi... j’exècre tout de qui ressemble à un homme, ou à une femme.

MAX.

Qu’est-ce qu’il a ?... Ah ça ! dites donc, Dauphin, est-ce que le cerveau se dérange, mon garçon ?... vous ne me reconnaissez donc pas ?

DAUPHIN.

Si... je me souviens... vous voulez partir, et vous venez me faire viser votre passeport.

MAX.

Partir ! quand j’ai retrouvé mon ami Dauphin !

DAUPHIN.

Donnez-moi votre passeport.

MAX.

Tenez, le voici.

Il donne son passeport à Dauphin. À part.

Je voudrais revoir Ninette pour lui annoncer que tout va bien, et que j’approuve complètement son choix.

DAUPHIN examine le passeport, puis la lettre.

Ah ! mon Dieu !

MAX.

Qu’est-ce qu’il lui prend ?

DAUPHIN.

Ce passeport est bien à vous ?

MAX.

Certainement.

DAUPHIN.

Cette signature ?

MAX.

Est la mienne... Hein ! comme c’est moulé !

DAUPHIN, à part.

Juste ciel ! l’écriture de la lettre adultère !...

MAX.

Dauphin, mon ami, qu’est-ce que vous avez ?

DAUPHIN.

Il m’appelle son ami !... Scélérat ! te souviens-tu de 1812 ?

MAX.

Hein ?

DAUPHIN.

Je sais tout... tu m’as trompé... tu m’as trahi... tu... tu es le père de ma fille !

MAX, à part.

Ciel ! il a tout découvert !

DAUPHIN.

Tu es le séducteur de ma femme.

MAX.

Hein ?

DAUPHIN.

Tu as perverti Toinon, qui était la vertu et la laideur même.

MAX.

Qu’est-ce qu’il dit ?... qu’est-ce qu’il dit ?

DAUPHIN.

Je tiens entre mes mains ta correspondance illicite.

MAX.

Ma correspondance ?

DAUPHIN.

Trouvée dans la chambre de ma femme... dans l’armoire de ma femme.

MAX.

J’ai écrit à votre femme, moi ?... Vous êtes malade, mon ami.

DAUPHIN.

Cette lettre est-elle de toi ?

MAX, stupéfait.

En voici bien d’une autre !...

DAUPHIN.

Cette écriture ?

MAX.

Est bien la mienne, j’en conviens... mais regardez l’adresse, et vous verrez que...

DAUPHIN.

L’adresse est en blanc.

MAX.

Alors, faites venir Mme Dauphin, confrontez-nous.

DAUPHIN.

Si j’étais sûr d’être le plus fort, je te l’enverrais chercher dans l’autre monde, Mme Dauphin.

MAX.

Ah ! diable ! la justification devient difficile... Dauphin, mon ami, je vous jure que je n’ai jamais connu de Toinon... que je n’ai jamais aimé de femme laide... Je ne sais comment cette lettre se trouve ici... mais je vous atteste qu’elle était adressée à une autre.

DAUPHIN.

La preuve ?

MAX.

Parbleu ! je la cherche, la preuve... Ah ! si je vous donnais la réponse à cette lettre, écrite par une autre que votre femme ? signée par une autre que Toinon ?

DAUPHIN.

Cette réponse... où est-elle ?

MAX.

Mais... dans mon portefeuille... dans ma valise peut-être.

DAUPHIN.

Comme il veut m’abuser, mon Dieu ! Eh bien ! je te prends au mot, infâme... je te donne une heure pour m’apporter la réponse.

MAX.

Vous l’aurez avant...

À part.

si je la retrouve.

DAUPHIN.

Songes-y bien... une heure... après ce délai, je te chasse de mon domicile... toi et ta Ninette... tu l’emmèneras avec toi, ta Ninette... tu la feras voyager sur l’impériale avec toi et tes baromètres... tu entends bien ?... une heure... Il est midi vingt-trois minutes... après ça...

ENSEMBLE.

Air du quadrille des Puritains.

Fuis de ces lieux,
Loin de mes yeux,
Ou crains ma vengeance !
Car ta présence
Met en courroux
Un père, un époux !

MAX.

Ah ! c’est affreux !
Quoi ! malheureux,
C’est là vot’ vengeance !
De vot’ présence,
Avec courroux,
Nous bannirez-vous ?
Calmez-vous.

DAUPHIN.

Impossible.

MAX.

Un moment !

DAUPHIN.

Non, j’ m’en vais,
Car je s’rais susceptible
De m’porter à des excès.

Dauphin sort.

Reprise.

 

 

Scène X

 

MAX, seul

 

Il s’en va... il s’en va... persuadé que j’ai été l’amant de sa femme... Toinon... Toinon... est-ce que j’aurais oublié celle-là ?... non, pas le plus petit souvenir... Pourtant, cette lettre trouvée ici...

Jetant les yeux sur la lettre.

Dieu ! je la reconnais... oui... je l’ai écrite autrefois à la mère de mon enfant... Mais, comment le prouver ?... son nom n’est pas une seule fois dans la lettre... et j’ai brûlé toute la correspondance... Il faut pourtant que je justifie de l’innocence de feu Mme Dauphin... il le faut... un éclat perdrait mon enfant... Dauphin la chassera, et pour elle, plus de mariage... plus de bonheur !... Où trouver cette réponse promise ?... si je l’écrivais ?... Mauvais moyen... non... il faudrait connaître une femme de bonne volonté qui consentît à prendre sur son compte...

Tirant sa montre.

Diable ! je n’ai plus que quarante-cinq minutes Trouvez donc une amante et une mère en quarante-cinq minutes...

 

 

Scène XI

 

MAX, NINETTE

 

NINETTE.

C’est affreux !... je n’ai jamais été traitée de la sorte.

MAX.

Qu’est-ce que je vois là ?... Ninette... ma Ninette qui pleure !

NINETTE.

Ah ! vous voilà, monsieur... C’est à présent que je suis bien malheureuse... mon père ne m’aime plus.

MAX.

Comment ! ce vieux Dauphin aurait eu l’infamie...

NINETTE.

Tout à l’heure, le voyant triste, j’ai couru à lui... j’ai voulu l’embrasser... il m’a repoussée.

MAX.

Le brutal !

NINETTE.

Il m’a dit que j’étais laide.

MAX.

Ça n’est pas vrai.

NINETTE.

N’est-ce pas ?... enfin, il m’a ordonné de faire un paquet de mes robes, attendu qu’il serait possible qu’aujourd’hui même je quittasse Montereau.

MAX, à part.

Oui, oui... il la chassera, le sans-cœur... elle... mon enfant !

NINETTE.

Où veut-il donc me conduire ?

MAX, à part.

Si j’allais l’assommer, le marchand de bière ?... non, ça ne lui prouverait rien... Eh bien ! après tout, je l’emmènerai, moi, cette petite... Bah ! après les mauvais jours, viendront les bons... en attendant, je lui ferai voir du pays... je voyagerai toujours sur l’impériale... mais elle ira dans le coupé, elle aura un coin... et si l’état de commis-voyageur ne lui va pas... eh bien ! je vendrai à perte tous les parapluies et les baromètres de ma pacotille, et je l’établirai quelque part... mercière, tapissière, lingère ou frangière... enfin, le premier fonds que je trouverai à acheter à crédit... ça lui fera une dot...

Haut.

Allons, allons, ne pleurez plus, mon enfant... que diable !... ça n’est pas le paradis terrestre que Montereau !

NINETTE, soupirant.

Ah ! monsieur Valentin est à Montereau.

MAX.

Oui, oui, je comprends... elle l’aime, son Valentin... et une fois dans les parapluies, adieu le mariage... Amour paternel, taisez-vous... il faut que cette enfant soit heureuse... il faut qu’elle soit Mme Valentin.

NINETTE.

Et je suis sûre que c’est ma tante qui est cause de tout cela.

MAX.

Votre tante ?

NINETTE.

Dont je vous ai déjà parlé ce matin... qui serait morte de dépit, si je m’étais mariée avant elle.

MAX.

Vous avez une tante qui veut se marier ?

NINA.

Elle n’en convient pas ; mais elle en grille d’envie... Elle avait voulu m’enlever mon Valentin... et elle a juré de ne se montrer dans la ville qu’après son mariage... Par exemple, si elle tient parole, je suis bien certaine qu’elle ne mettra plus le pied dehors.

MAX.

Ô amour paternel ! tu m’inspires.

Embrassant sa fille.

Je te sauverai, enfant, je te sauverai.

NINETTE.

Qu’est-ce que vous dites donc ?

MAX.

Pas de concurrence... succès certain.

NINETTE.

On vient... c’est elle !

MAX.

Tant mieux.

NINETTE.

Qu’allez-vous faire ?

MAX.

Une révolution dans votre domicile.

NINETTE.

Mais...

MAX.

Chut !... la voilà.

 

 

Scène XII

 

MAX, NINETTE, ROSALIE

 

ROSALIE.

Que vois-je ? un étranger !... Que faites-vous ici, mademoiselle ?

NINETTE.

Ma tante, monsieur n’est pas un étranger... c’est l’ami intime de papa.

ROSALIE.

Votre présence ici n’en est pas plus convenable... Retirez-vous, je vous l’ordonne.

NINETTE.

Vous voyez, monsieur ?... oh ! si cela continue, je mourrai de chagrin...

Elle sort.

 

 

Scène XIII

 

MAX, ROSALIE

 

MAX, à part.

Allons, allons, il faut du courage ici, du dévouement... Il n’y a que ce moyen de justifier feue Toinon, et de rétablir la paix... mais ce sera dur à arracher.

ROSALIE, à part.

Quel est donc cet ami intime de mon frère que je ne connais pas ?

MAX, de même.

Si je brusque l’affaire, tout est perdu... Il faut prendre les choses d’un peu loin.

Haut et saluant.

C’est, je le vois. Mlle Dauphin que j’ai l’honneur de saluer ?

ROSALIE.

Oui, monsieur... En l’absence de mon frère, je dois faire les honneurs de la maison... Asseyez-vous donc, je vous prie.

MAX, à part.

Ah ! ah ! le chat rentre ses griffes !...

Haut.

Permettez-moi de vous présenter...

Il lui avance un siège et lui arrête la main au moment où elle va le prendre.

Pardon !

ROSALIE.

Que regardez-vous, monsieur ?

MAX.

J’ai longtemps fait la commission pour une fabrique de gants, madame, et j’en aurais difficilement trouvé pour cette jolie main-là.

ROSALIE fait la révérence.

Il est très aimable, ce monsieur.

MAX, à part.

Elle a rougi, l’ingénue... ça va bien.

Ils s’asseyent.

ROSALIE.

Vous avez connu mon frère ?

MAX.

En 1814...

ROSALIE.

Vous le voyiez donc souvent, alors ?

MAX.

Je ne l’ai rencontré qu’une seule fois... À cette époque, le digne brasseur... il était brasseur alors... me débarrassa d’un fardeau qui me pesait autant sur le cœur que sur les bras... et, de ce moment, je me dis : « À Boniface-Dorothée Dauphin, je < me dévoue corps et âme... présent et à venir. » Depuis seize ans, j’ai couru le monde, sans entendre parler de mon ami intime... Hier seulement, au café du Théâtre, le nom de Dauphin est venu frapper mes oreilles... On parlait, non pas de lui, mais de sa sœur, dont j’ignorais complètement l’existence.

ROSALIE.

On parlait de moi au café !

MAX.

Oui, mademoiselle.

ROSALIE.

Et que pouvait-on dire ?

MAX.

Des horreurs, des atrocités !... ce qui me fit le plus grand plaisir.

ROSALIE.

Comment, monsieur !

MAX.

Sans doute... je trouvais enfin l’occasion de m’acquitter envers mon ami Dauphin ; car vous insulter, c’était l’insulter... vous venger, c’était le venger lui-même. Je donnai trois démentis aux jeunes insolents qui s’occupaient de vous... L’un d’eux se lève... je le renverse... les autres me menacent, je leur jette mon adresse... à Paris, rue de l’Université, 234, tout au bout ; et je pars au milieu des acclamations de toute la galerie.

Il se lève.

ROSALIE.

Voilà pourtant à quoi je suis exposée... Ah ! monsieur, que ne vous dois-je pas ?

MAX.

Oh ! mon Dieu ! vous ne me devez rien... je n’ai rien réparé... Quand j’aurai tué deux de ces impertinents, le troisième n’en dira pas moins que Mlle Dauphin ne trouvera jamais de mari... que Mlle Dauphin est inépousable, etc. etc. etc...

ROSALIE.

Mais que faire pour imposer silence à ces mauvais sujets ?

MAX.

Il n’y a qu’un moyen... je l’ai trouvé, et je vous l’apporte.

ROSALIE.

Quel est-il ?

MAX.

Il faut...

À part.

Allons, du courage !

Haut.

Il faut vous marier !

ROSALIE.

Me marier ! 

MAX.

Vous me direz : On n’a pas toujours sous la main ce qu’il faut pour cela... je vous répondrai, moi : Vous l’avez.

ROSALIE.

Moi ?

MAX.

Avancez un peu la main... laissez-la tomber dans la mienne, et voilà !...

À part.

Le sacrifice d’Abraham n’était rien auprès de celui-là !

ROSALIE.

Eh ! quoi ! monsieur !...

MAX.

Apercevez-vous d’ici tous vos ennemis mâles et femelles le bec clos, les yeux écarquillés, en vous voyant passer dans la rue, bras dessus, bras dessous, avec un mari ?... et un mari qu’on peut montrer à tout le monde, j’espère !

ROSALIE.

Certainement, monsieur, vous êtes fort bien... mais... je n’ai pas l’avantage de...

MAX, à part.

Il faut lui jeter de la poudre aux yeux...

Haut.

Mademoiselle Dauphin, j’ai quarante ans... de l’esprit comme un diable... de la gaîté comme un pinson... voilà pour l’agréable... Je suis commis-voyageur, j’ai deux mille francs d’appointements, pas un sou d’économies, et quelques cents francs de dettes... voilà pour l’utile... De plus, un bras de fer, un poignet à tuer un bœuf, et un cœur sensible... Si ça vous va, dites un mot... les appointements, le cœur sensible et le bras de fer, je mets tout ça à vos pieds, et mon honorable ami Dauphin est mon beau-frère.

ROSALIE.

Monsieur, je ne sais comment répondre à une proposition aussi étrange qu’elle est flatteuse pour moi...

MAX, à part.

Très bien !... l’amadou prend feu.

ROSALIE.

Mais songez, monsieur, que vous arrivez dans ce pays... Que dira-t-on d’un mariage aussi prompt ?

MAX, à part.

Elle y vient d’elle-même.

Haut.

Votre réflexion est parfaitement juste... mais rien ne m’embarrasse, moi... je suis l’homme aux expédients... Voyons, pourquoi ne nous serions-nous pas connus autrefois ?

ROSALIE.

Sans doute... nous pouvons nous être rencontrés.

MAX.

En 1812, par exemple.

ROSALIE.

En 1812... oui.

MAX.

À Paris...

ROSALIE.

À Paris... justement j’y suis allée.

MAX.

Dans ce temps-là, je vous aimais comme un fou... j’en perdais la tête.

ROSALIE, souriant.

Je le veux bien.

MAX.

De votre côté, vous m’aimiez.

ROSALIE.

Monsieur...

MAX.

Allons, vous m’aimiez un peu... beaucoup... passionnément...

ROSALIE.

Pas du tout !

MAX.

Ne jouons pas à la marguerite, je vous en prie... Vous m’aimiez, c’est convenu... il le faut, pour que le récit soit vraisemblable.

ROSALIE.

Si vous croyez que cela soit nécessaire...

MAX.

Indispensable... En 1812, j’étais jeune, vous étiez presque enfant encore... et l’amour dans une tête de vingt ans, dans un cœur de seize, c’est de la passion, du délire... Cet amour-là brûle, aveugle, entraîne... enfin, nous avons fait des folies, et à cet âge-là, ça se termine ordinairement par... des mois de nourrice.

ROSALIE.

Qu’entends-je ?

MAX, vivement.

Nous n’en aurons eu qu’un.

ROSALIE.

Taisez-vous !... monsieur ; c’est une horreur, une abomination ! vous me trompiez indignement... Vous avez été envoyé sans doute par mes ennemis, pour m’insulter... Sortez, monsieur, sortez, je vous l’ordonne !

MAX.

Oh ! un instant...

À part.

Le vin est tiré, et de par tous les diables, il sera bu.

ROSALIE.

Que faites-vous, monsieur ?

MAX.

Je brûle mes vaisseaux... comme César ou Fernand Cortez... c’est-à-dire, je ferme la porte et je mets les verrous.

ROSALIE.

Vous me perdez, monsieur !... seule... enfermée avec vous !... un étranger !

MAX.

Mais quand vous le voudrez... aux yeux de votre frère, de tout Montereau, je ne serai plus un étranger pour vous, mais bien un ancien amant que la fatalité, les circonstances ont tenu éloigné de vous pendant seize ans... Après mille recherches, nous nous retrouvons enfin, nous nous aimons toujours, et nous nous épousons... C’est clair, c’est d’un vraisemblable parfait... c’est à tromper un commissaire de police.

ROSALIE.

Mais, monsieur, en supposant que je consente à me prêter à cette ruse, comment prouver ?...

MAX, à part.

Enfin, nous y voilà.

Haut.

Rien de plus facile... faisons-nous une correspondance... Quand on s’aime, on s’écrit toutes les semaines, tous les jours, toutes les heures... Eh bien ! nous nous sommes écrit... À l’avance, j’avais préparé cette lettre ; je l’ai datée de 1812... Répondez-y... à ce billet tendre et brûlant, faites une réponse toute d’amour et de volupté... signez-la... Puis, ces lettres à la main, nous irons trouver votre frère, et nous lui dirons : « Patriarche de la famille, nous avons péché, bénissez-nous ! »

À part.

Ouf !

ROSALIE.

Oui, je comprends que ce moyen... Vous êtes très ingénieux, en vérité.

MAX.

Il faudrait donc convenir de la fable que nous raconterons... Voyons, nous nous sommes connus en 1812... À beau mentir qui date de loin... Vous habitiez à Paris, rue Montorgueil, par exemple.

ROSALIE, à part.

Que dit-il ?

MAX.

Chez madame Thomassin.

ROSALIE.

Ciel !

MAX.

Vous mettrez ces noms-là... ça donnera une couleur historique... D’ailleurs, ils se trouvent dans ma lettre.

ROSALIE, très agitée.

Ah ! mon Dieu ! serait-il possible ?... Votre lettre, monsieur, votre lettre !

MAX.

La voilà.

ROSALIE, y jetant les yeux, puis regardant Max.

Plus de doute.

MAX.

Vous consentez ?

ROSALIE.

Je vais répondre, monsieur, je vais répondre.

MAX.

Vraiment !

Rosalie se place à une table, et écrit. À part.

Elle consent !... Allons, le sort en est jeté, ma fille et moi nous nous marierons le même jour... ce sera drôle... Après tout, il faut se faire une raison... Elle n’est pas trop mal, mademoiselle Dauphin... elle a dû même être très bien... avant la restauration.

ROSALIE, se levant.

Voilà ma réponse, monsieur.

MAX, à part.

Comme sa main tremble !

Haut.

Mademoiselle, je...

À part.

Ah ça ! mais le tremblement me gagne aussi, moi... il y a déjà sympathie.

ROSALIE.

Lisez, monsieur, lisez.

MAX, à part.

Qu’est-ce qu’elle a donc, ma future ?

Lisant.

Mon cher Max... « Mon nom !... vous savez mon nom ?

Sur un signe de Rosalie, il continue.

nous ne nous sommes pas reconnus... cependant comment expliquer votre prétendu mensonge, qui n’est qu’une vérité ? » – Une vérité !... « C’est en effet en 1812, chez Mme Thomassin, rue Montorgueil, que l’infortunée Rosalie vous a connu... » – Qu’ai-je lu ?... Rosalie !... quoi ! vous seriez ?...

ROSALIE.

Oh ! lisez, lisez...

MAX.

Oh ! un moment... je n’y vois plus clair, moi... Rosalie ! vous !... Et je ne l’ai pas deviné !... et je ne vous ai pas reconnue !...

À part.

C’est qu’elle est changée en diable !

ROSALIE.

Oh ! continuez, de grâce.

MAX.

Attendez donc ! une reconnaissance comme celle-là, ça remue un homme... j’en ai mal à la tête... « Max, mon cher Max... qu’avez-vous dû penser, en ne recevant plus de lettres de moi ? À l’approche des armées ennemies, ma tante me fit partir précipitamment pour une terre qu’elle avait en Touraine... impossible de vous écrire... impossible de donner ma nouvelle adresse à la nourrice de notre enfant... J’arrivai malade dans notre retraite et j’y restai trois mois entre la vie et la mort... »

ROSALIE.

Quand je fus rétablie, je courus au village où je croyais trouver ma fille... mais les Prussiens avaient passé par là ; ils avaient brûlé le hameau, et je ne trouvai plus notre enfant, notre petite fille... que j’ai tant pleurée depuis.

MAX.

Et qui maintenant va être heureuse, riche et mariée.

ROSALIE.

Qui donc ?

MAX.

Notre fille.

ROSALIE.

Ah !... elle existe donc ?

MAX.

Eh ! sans doute... elle se porte comme un charme... elle est grande, fraîche et jolie comme père et mère... c’est-à-dire, non... elle est beaucoup mieux que père et mère...

ROSALIE.

Oh ! vous ne me trompez pas, Max ?... je reverrai ma fille !... Oh ! comme je l’embrasserai ! comme je l’aimerai !

MAX.

Oui, mais il faudra lui parler plus doucement que tout à l’heure...

ROSALIE.

Que dit-il ?

MAX.

Et surtout, il ne faudra pas lui prendre ses amoureux.

ROSALIE.

Je ne vous comprends pas.

MAX.

Oui, sans doute, ce que vous entendez ressemble à une énigme, une charade, un logogriphe... Eh bien ! apprenez...

NINETTE, frappant à la porte.

Ma tante !... est-ce qu’on ne peut pas entrer ?

ROSALIE, impatientée.

Tout à l’heure...

À Max.

Eh bien ! ma fille ?...

MAX.

Rosalie, ma bonne amie... ma chère amie... pas de cris, pas d’attaques de nerfs... Notre enfant... notre petit bijou, si miraculeusement retrouvé...

ROSALIE.

Achevez.

MAX, ouvrant la porte et montrant Ninette.

La voilà !

 

 

Scène XIV

 

ROSALIE, MAX, NINETTE

 

Ensemble.

Air : Mila chérit son esclavage (de This).

ROSALIE.

Ô ciel ! qu’entends-je ?... eh quoi ! c’est elle ?
C’est notre enfant que je vois  là ?
Mon cœur se trouble et je chancelle...
Mais non, comment croire cela ?
Non, je ne puis croire cela.

ΜΑΧ.

Plus bas ! plus bas !... oui, c’est bien elle,
C’est notre enfant que tu vois là ;
Pour nous, plus de peine cruelle,
Et le bonheur revient déjà.
(bis.)

NINETTE.

Ensemble encor !... seul avec elle !
Lui, qui tantôt me consola,
À sa promesse est-il fidèle ?
A-t-il pour moi parlé déjà ?
(bis.)

MAX.

Ohé ! la maison !...

UN DOMESTIQUE, accourant.

Me voilà, monsieur.

MAX.

Cette lettre à M. Dauphin... vite ! vite !

Il le pousse dehors. Pierre sort en courant.

Reprise de l’ENSEMBLE.

Plus bas, plus bas ! etc.

ROSALIE.

Ô ciel ! qu’entends-je ? etc.

NINETTE.

Ensemble encore ! etc.

NINETTE, bas à Max.

Ma tante m’en veut-elle encore ?

MAX, riant.

Allez le lui demander.

NINETTE.

J’ai peur.

ROSALIE.

Peur de moi, mon enfant ? ma chère Ninette !

NINETTE.

Oh ! quel changement !

ROSALIE.

Mais viens donc... près... bien près de moi.

Bas à Max.

Oh ! oui, Max, je sens là que vous m’avez dit la vérité et que c’est bien ma fille...

MAX.

Chut !

NINETTE.

Vous m’aimez donc, à présent, ma tante ?

ROSALIE.

Si je t’aime !... Oh ! pardonne-moi, mon enfant pardonne-moi le mal que j’ai pu te faire... les larmes que je t’ai fait répandre... si tu savais combien je me les reproche !... Oh ! mais à présent, je réparerai tout cela, et tu oublieras le passé, n’est-ce pas ?... et tu m’aimeras ?... oh ! dis que tu m’aimeras, mon enfant, et tu me feras encore la plus heureuse des mères.

MAX, effrayé.

Qu’est-ce que vous dites-donc ?

ROSALIE.

Sans doute... ne suis-je pas sa seconde mère ?

MAX.

Oui, oui... c’est juste.

À part.

Elle m’a fait une peur !...

NINETTE.

Oh ! ma tante ! si vous saviez le plaisir que vous me faites !... c’est la première fois que vous me parlez ainsi... à mon tour !... comme je vous embrasserai de bon cœur, tante !

ROSALIE.

Ma fille !

NINETTE, lui sautant au cou.

Maman !

Air de Turenne.

MAX.

Groupe complet ! vrai tableau de famille !
Pour un pèr’ moment plein d’appas !

ROSALIE, bas.

Je voudrais l’appeler ma fille !

MAX, bas.

Et moi, corbleu !... mais nous n’le pouvons pas
Il faut l’aimer en cachette, et tout bas ;
Notre secret doit s’taire comme un crime...

À part, regardant Ninette.

Ah ! quel dommage, en la voyant ainsi,
Que les auteurs d’un ouvrag’ si joli
Soient forcés d’garder l’anonyme ! 

DAUPHIN, en dehors.

Ça n’est pas possible... ça n’est pas possible...

NINETTE.

Mon père !

MAX, à part.

Que le diable l’emporte !... il vient me couper mon attendrissement.

NINETTE.

Oh ! ma tante, protégez-moi... si vous saviez comme mon père était de mauvaise humeur tantôt !...

 

 

Scène XV

 

ROSALIE, MAX, NINETTE, DAUPHIN

 

DAUPHIN.

Ma fille... où est ma fille ?...

NINETTE, à part.

Il va me gronder encore.

Haut.

Me voilà, mon père.

DAUPHIN.

Ma fille ! oh ! jette-toi dans mon sein paternel... embrasse-moi, mon enfant... embrasse-moi sur toute la figure.

NINETTE.

Tiens !... lui aussi !... tout le monde m’aime. À présent  ?...

DAUPHIN.

Je t’ai brutalisée tout à l’heure... je t’en demande un million de pardons... je me mettrais à tes genoux, si je ne craignais de ravaler ma dignité de père et de... officier public... Ma Ninette, tu es ma chair, tu es mon sang... j’en suis sûr... j’en mettrais la main au feu.

MAX, à part.

Pauvre homme !... il me fait de la peine.

DAUPHIN, allant à sa sœur.

Rosalie, trop sensible Rosalie... je sais tout... votre conduite antérieure a été un peu... Mais seize ans ont passé par là-dessus, il y a prescription pour la morale.

ROSALIE.

Mon frère, j’ai encore quelque chose à vous apprendre.

DAUPHIN.

Qu’est-ce que c’est ?... qu’est-ce que c’est ?

ROSALIE.

Mon mariage avec M. Max.

MAX, à part.

Tiens ! je n’y pensais plus, moi.

DAUPHIN.

Je comprends...

Allant à Max.

Ah ! mon ami ! mon cher ami !... épouser ma sœur !... c’est délicat, c’est très délicat... je ferai mettre ce trait-là dans le journal du département.

NINETTE.

Vous vous mariez, ma tante ?

ROSALIE.

Oui, mon enfant.

NINETTE.

Oh ! tant mieux...

Timidement.

Et moi ?

MAX.

Vous ?... vous épouserez M. Valentin.

ROSALIE.

Je donne, dès à présent, à Ninette les deux tiers de ma fortune... M. Max voudra bien se contenter du reste.

MAX.

Certainement.

À part.

On ne dira pas que j’ai marié ma fille sans dot.

DAUPHIN.

Il consent...

Retournant à Max.

C’est encore plus délicat que tout à l’heure... je ferai encore mettre cela dans le journal.

MAX, s’approchant de Ninette.

Eh bien ! petite... je vous avais promis que vous seriez madame Valentin : j’ai tenu parole... De votre côté, vous aviez promis, si je réussissais, de m’embrasser de tout votre cœur ?

NINETTE, lui sautant au cou.

Oh ! oui, de tout mon cœur... Car, grâce à vous, je suis bien heureuse.

MAX, à part.

Heureuse ! grâce à moi !... Voilà mon contingent de paternité.

CHŒUR.

Air final de Madelon Friquet.

Un double hymen,
Dès demain,
Va couronner nos vœux,
Et dans ces lieux
Doit nous rendr’ tous heureux.

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