L’École des Arthur (Auguste ANICET-BOURGEOIS - Eugène LABICHE)
Comédie-vaudeville en deux actes.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés, le 30 avril 1859.
Personnages
ARTHUR CHATILLON
ARTHUR PIGEONNEAU
GRANDMINET
BOURGIFFLÉ
FRANÇOIS, domestique de Chatillon
UN DOMESTIQUE DE MIMI
MADEMOISELLE MIMI PINSON
JOSÉPHINE
MADAME JULIE DE SAINTE-ADRESSE
La Scène est à Paris. Au premier acte, chez Mimi. Au deuxième, chez Chatillon.
ACTE I
Le théâtre représente un salon. Fenêtre au fond donnant sur le boulevard. Porte à gauche, deux autres portes à droite. À gauche, table de jeu ; cheminée à gauche, premier plan ; sur la cheminée, un timbre. À droite, une causeuse et un guéridon avec tout ce qu’il faut pour écrire ; fauteuils, chaises.
Scène première
BOURGIFFLÉ, MADAME DE SAINTE-ADRESSE, MIMI PINSON, ARTHUR CHATILLON, ARTHUR PIGEONNEAU
Au lever du rideau, Chatillon, Bourgifflé, Mimi et Madame de Sainte-Adresse sont assis autour d’une table de lansquenet, Pigeonneau est debout près de la fenêtre, et regarde dans la rue.
ENSEMBLE.
Air de l’Enfant prodigue.
De chasser la mélancolie
Jouer est un moyen parfait ;
À quoi passerait-on sa vie,
Si l’on n’avait le lansquenet ?
Cris dans la rue. Pigeonneau sonne de la trompe.
MADAME DE SAINTE-ADRESSE, à Pigeonneau.
Taisez-vous donc !... on ne s’entend pas jouer.
MIMI.
Il y a dix louis... Faites votre jeu.
BOURGIFFLÉ.
Je fais cent sous.
MADAME DE SAINTE-ADRESSE.
Banco !
BOURGIFFLÉ, à part.
Il n’y a pas moyen de jouer avec cette dame !
PIGEONNEAU, à la fenêtre.
Voilà ce que j’appelle un mardi gras filandreux... pas un pierrot !... pas le moindre chat habillé en Turc !...
CHATILLON.
Et Mimi qui nous a invités à venir à son entresol, rue Basse-du-Rempart, pour voir défiler les masques...
MADAME DE SAINTE-ADRESSE, quittant la table.
Nous sommes volés !
MIMI.
Ce n’est pas ma faute... je fournis les fenêtres... c’est au peuple français à fournir les débardeurs !
BOURGIFFLÉ, éternuant.
Atchoum ! je crois que je m’enrhume !
MADAME DE SAINTE-ADRESSE.
Ah ! dites donc ! Vous ne savez pas ? je pars samedi.
MIMI.
Et où vas-tu ?
MADAME DE SAINTE-ADRESSE.
À Naples... où est-ce ça ?
CHATILLON.
Naples ? C’est en Suède !... je vous conseille d’emporter de la fourrure !
MADAME DE SAINTE-ADRESSE.
Ah ! vous faites bien de me dire ça !
BOURGIFFLÉ, à Madame de Sainte-Adresse.
Mademoiselle voyage pour son instruction ?
MADAME DE SAINTE-ADRESSE.
Non, monsieur... pour mon plaisir.
PIGEONNEAU, à la fenêtre.
Tiens, voilà Grandminet qui passe.
CHATILLON.
Grandminet !
Il passe à droite.
MIMI.
Qu’est-ce que c’est que Grandminet ? un chat ?
PIGEONNEAU.
Non, c’est un vieux rat.
À Chatillon.
Tu le connais, toi ?
CHATILLON.
Oh ! très peu !
PIGEONNEAU.
C’est bien le propriétaire le plus ébouriffant !... Son rêve serait d’avoir des locataires qui meublassent sans habiter !... Il prétend que lorsqu’on habite, ça dégrade !
BOURGIFFLÉ, continuant de causer avec Madame de Sainte-Adresse.
Mademoiselle est institutrice ?
MADAME DE SAINTE-ADRESSE.
Danseuse... comme Mimi !
BOURGIFFLÉ, s’inclinant.
C’est une très jolie branche... je m’y pendrais volontiers !
Il éternue.
Atchoum !
On entend un brouhaha dans la rue.
PIGEONNEAU.
Ah ! mesdames ! en voici un !... un masque !
TOUS, se levant et courant à la fenêtre.
Voyons !... voyons !
MIMI, désappointée.
Ah ! que c’est bête !... C’est le troubadour !... il a déjà passé quatorze fois !...
CHATILLON.
En voilà un qui ferait bien de jouer au lansquenet !
MADAME DE SAINTE-ADRESSE.
Tiens ! il a le nez bleu !
PIGEONNEAU.
Depuis ce matin il se promène de la Bastille à la Madeleine, et de la Madeleine à la Bastille... comme un omnibus !...
MIMI, riant.
C’est un homme très gai qui a entrepris la fourniture du carnaval à lui tout seul !
On entend des cris et des sons de trompe au-dehors.
MADAME DE SAINTE-ADRESSE.
Ah ! mon Dieu !... qu’est-ce que c’est que cette grosse bête en voiture ?
MIMI.
Ça ?... c’est le bœuf gras !
CHATILLON.
Tiens ! ils l’ont mis en citadine cette année !
PIGEONNEAU.
Célébrons cette innovation !...
Il prend sa trompe et souffle dedans.
TOUS, s’éloignant.
Aïe... ! Assez... assez !
PIGEONNEAU.
Assez... Allons donc, je commence...
Il va souffler, Madame de Sainte-Adresse et Mimi s’asseyent sur la causeuse.
BOURGIFFLÉ, doucement.
Pigeonneau... taisez-vous !
PIGEONNEAU, s’arrêtant.
Oui... mon ami...
CHATILLON.
Et ferme la fenêtre...
PIGEONNEAU.
Ah ! mais non !... je veux voir...
BOURGIFFLÉ, doucement.
Pigeonneau... fermez la fenêtre !
PIGEONNEAU, la fermant.
Oui... mon ami...
MADAME DE SAINTE-ADRESSE, bas à Mimi.
Vois donc comme il est plein d’attentions pour M. Bourgifflé...
MIMI, bas.
On dit qu’il en a encore plus pour Madame !
MADAME DE SAINTE-ADRESSE, se levant et allant à Bourgifflé.
Ah ! bah !
Elle rit en regardant Bourgifflé sous le nez.
Tiens ! tiens !... tiens !...
BOURGIFFLÉ, étonné.
Quoi donc ?
MADAME DE SAINTE-ADRESSE.
Rien !... ça ne se voit pas trop.
Elle remonte.
PIGEONNEAU.
Ah çà ! je croyais que nous devions manger des gâteaux ?
MIMI.
Si vous voulez passer dans le petit salon... il y a une collation toute préparée...
PIGEONNEAU, offrant son bras à Madame de Sainte-Adresse.
La main aux dames.
CHŒUR.
Air du Naufrage de la Méduse.
À la collation
Je cours avec effusion.
Les cartes et l’amour
Cèdent la place au petit four.
Mimi et Chatillon sortent par la gauche. Pigeonneau va les suivre avec Madame de Sainte-Adresse.
BOURGIFFLÉ.
Pigeonneau !
PIGEONNEAU, quittant Madame de Sainte-Adresse.
Pardon...
À Bourgifflé.
Mon ami ?
Madame de Sainte-Adresse sort par la gauche.
BOURGIFFLÉ.
Je crois que je me suis enrhumé... Faites-moi donc le plaisir d’aller m’acheter une boîte de pâte de mou de veau... à la violette.
PIGEONNEAU.
Aujourd’hui ?
BOURGIFFLÉ.
Mais oui !... tout de suite !...
PIGEONNEAU.
Bien !... mon ami !
CHATILLON, entrant par la gauche.
Eh bien !... Pigeonneau... monsieur Bourgifflé...
BOURGIFFLÉ.
Voilà ! voilà !
Il sort par la gauche.
Scène II
CHATILLON, PIGEONNEAU
PIGEONNEAU, à part.
Où diable y a-t-il un pharmacien ?
CHATILLON.
Pigeonneau !
PIGEONNEAU.
Quoi ?
CHATILLON.
J’ai un service à te demander.
PIGEONNEAU.
Parle... Si c’est pour un rhume... j’y vais...
CHATILLON.
Peut-on compter sur ta discrétion ?
PIGEONNEAU.
Peux-tu demander ça à un homme d’affaires... qui arrange des faillites toute la journée...
CHATILLON.
Ah ! oui !... Tu donnes cinq pour cent aux créanciers ?...
PIGEONNEAU.
Quelquefois moins... jamais plus !
CHATILLON, à part.
Joli métier !
PIGEONNEAU.
Et le soir !... le soir je promène mon cœur autour des femmes sensibles qui veulent bien m’honorer de leur confiance !
CHATILLON.
Et cette promenade-là ne te fatigue pas ?
PIGEONNEAU.
Allons donc !... Arthur Pigeonneau est infatigable.
CHATILLON.
Eh bien ! Arthur Chatillon demande à se reposer !
PIGEONNEAU.
Comment ! toi !
CHATILLON.
C’est grotesque à avouer... mais je crois que je suis sur la pente d’un mariage !
PIGEONNEAU.
Ah bah !... Et Mimi ?
CHATILLON.
Air de l’Apothicaire.
Chut ! Mimi ne sait rien, c’est sûr,
Et, pour rompre un lien si tendre,
J’ai compté sur toi, cher Arthur :
C’est un vrai service à me rendre.
Obtiens donc pour l’amant failli
Un concordat, coûte que coûte.
PIGEONNEAU.
J’arrange une faillite... oui ;
Mais ça, c’est une banqueroute.
Parlé.
D’ailleurs, le mardi gras, mon cabinet est fermé.
CHATILLON.
Eh bien ! demain... mercredi des Cendres...
PIGEONNEAU.
Voyons, Chatillon !... ce n’est pas sérieux ! Qu’est-ce que la société t’a fait ?
CHATILLON.
Pourquoi ça ?
PIGEONNEAU.
Te marier ? t’ensevelir ? toi ! à trente-quatre ans !... Mais sais-tu ce que c’est qu’un homme à trente-quatre ans ?... C’est une rose en bouton ! une gerbe en fleurs !... Et tu veux la moissonner ?... Insensé ! attends donc que tu en aies quarante-trois !
CHATILLON.
Mais alors, ta gerbe en fleurs ne sera plus qu’une vieille botte de paille... Joli cadeau à faire à une demoiselle !
PIGEONNEAU.
Mais enfin, pourquoi cette idée subite et biscornue ?
CHATILLON.
Ah ! voilà !... Il y a quinze jours tu me croyais à Chantilly...
PIGEONNEAU.
Oui.
CHATILLON.
Eh bien ! j’étais au coin de mon feu... avec la goutte dans le pied gauche !
PIGEONNEAU.
La goutte !
CHATILLON.
Oui. C’est ça qui fait furieusement réfléchir les célibataires !
PIGEONNEAU.
Bah ! la goutte ! Ça s’en va !
CHATILLON.
Oui... mais ça revient !
PIGEONNEAU.
Voyons !... Ta prétendue est donc bien jolie ?
CHATILLON.
Comme ça... Blonde... fade... tapant du piano... avec un père insupportable et des grands doigts maigres !...
PIGEONNEAU.
Alors, c’est un mariage de santé !
CHATILLON.
Que veux-tu ? Je suis las de ces nuits de lansquenet... de ces soupers au champagne... et je ne serais pas fâché de me coucher un peu à neuf heures... pour voir ce que c’est...
PIGEONNEAU.
C’est ta faute aussi !... Tu mènes la vie à outrance !... Tu t’adresses à des bayadères... des créatures qui ont toujours envie de souper !... Dame ! ça coûte cher à truffer, ces petites poulardes-là.
CHATILLON.
Oui, mais c’est bien gentil.
PIGEONNEAU.
Vois-tu, nous avons suivi deux routes bien différentes... Toi, tu es l’Arthur du tiers et du quart de monde, c’est-à-dire des lorettes, grisettes, bichettes, etc. Moi, je suis l’Arthur du monde comme il faut, l’Arthur des femmes mariées.
S’exaltant.
Oh ! la femme mariée !... on ne l’apprécie pas assez... C’est une fleur qui craint le soleil... aussi on ne la promène jamais !... C’est un écrin dont tous les diamants sont comptés... impossible d’en ajouter un seul !... Le mari s’en apercevrait.
CHATILLON.
Je m’en rapporte à toi.
PIGEONNEAU.
Air : On dit que je suis sans malice.
Vous gardez votre indépendance,
Vous avez le droit d’inconstance,
Car on ne peut veiller sur vous,
C’est assez de tromper l’époux !
Quand vous le voulez, et sans peine,
Vous pouvez rompre votre chaîne...
N, i, ni, c’est bientôt fini,
On se brouille avec le mari.
Tu vois, mon cher, quel bon parti
On tire encore d’un mari !
CHATILLON.
Oui, c’est commode, mais il y a le revers de la médaille.
PIGEONNEAU.
Lequel ?
CHATILLON.
D’abord je ne trouve pas très joli de s’introduire chez un brave homme qui ne vous a rien fait... de lui donner des poignées de main... de manger sa soupe... et de lui voler sa femme au dessert !
PIGEONNEAU.
Ah ! tu fais du sentiment !
CHATILLON.
Non seulement c’est laid... mais c’est dangereux !
PIGEONNEAU.
Dangereux ?
CHATILLON.
Un hasard peut lui faire découvrir... la petite plaisanterie, au mari ! et alors la loi lui donne des droits superbes... Il peut te faire sauter la cervelle... tranquillement...
PIGEONNEAU.
Allons donc !... Bourgifflé est incapable...
CHATILLON.
Hein ?... comment ? Bourgifflé ?
PIGEONNEAU.
Sapristi !... chut ! plus bas !... Ne va pas croire, au moins...
CHATILLON.
C’est donc ça que tu nous l’amènes dans toutes nos parties ?... Sais-tu qu’il n’est pas drôle, ton Bourgifflé ?... avec son rhume !
PIGEONNEAU.
Si !... je t’assure qu’il a des mots !
BOURGIFFLÉ, en dehors.
Pigeonneau ! Pigeonneau !
PIGEONNEAU, passant à gauche.
Silence !... le voici !...
Chatillon s’assied sur la causeuse.
Scène III
BOURGIFLÉ, PIGEONNEAU, CHATILLON
BOURGIFFLÉ, entrant par la gauche.
Pigeonneau !
PIGEONNEAU.
Vous m’appelez, mon ami ?
BOURGIFFLÉ.
Eh bien !... et ma pâte de mou de veau ? Vous m’avez oublié ?
PIGEONNEAU.
Non, non... Je suis allé chez le pharmacien.
BOURGIFFLÉ.
Eh bien ?
PIGEONNEAU.
C’est commandé... on prépare la chose...
BOURGIFFLÉ.
Sera-t-on bien long ?
CHATILLON.
L’affaire d’un instant... on tue le veau...
BOURGIFFLÉ.
Comment !
CHATILLON.
Après ça, il faudra le piler...
BOURGIFFLÉ.
Ah ! farceur !
À Pigeonneau.
Vous allez sortir sans doute ?
PIGEONNEAU.
Moi ?
BOURGIFFLÉ.
Oui, pour ma pâte... Pendant que vous serez dehors, ayez donc l’obligeance d’entrer chez mon agent de change...
PIGEONNEAU.
Place Saint-Georges ?... Oui, mon ami...
BOURGIFFLÉ.
Vous lui direz de me vendre trois Nord... et de m’acheter cinq Midi...
CHATILLON.
Tiens ! c’est une bonne idée ! le Midi est excellent pour le rhume !
BOURGIFFLÉ, riant.
Ah ! très joli !... En passant, vous demanderez à mon tailleur pourquoi il ne m’apporte pas mon paletot ouaté...
PIGEONNEAU.
C’est que votre tailleur... demeure place Royale !…
BOURGIFFLÉ.
Si par hasard il était prêt... mon paletot...
CHATILLON.
Pigeonneau le rapporterait sous son bras... dans un foulard.
PIGEONNEAU, protestant.
Ah ! permettez...
BOURGIFFLÉ, à Pigeonneau.
Je n’osais pas vous le demander... mais, puisque vous me l’offrez...
PIGEONNEAU.
Moi !
CHATILLON, imitant Pigeonneau et se levant.
Oui, mon ami !... oui, mon ami !
Bas à Pigeonneau.
Dis donc... tu sais que j’aime mieux faire les courses d’une femme... je trouve ça moins bête !
Scène IV
BOURGIFFLÉ, MIMI, PIGEONNEAU, MADAME DE SAINTE-ADRESSE, CHATILLON
MIMI, entrant par la gauche, avec deux assiettes de gâteaux, et suivie de Madame de Sainte-Adresse, qui mange.
Messieurs, dépêchez-vous !... Sainte-Adresse ne nous en laissera pas !...
PIGEONNEAU.
J’accepterai une timbale au riz.
MIMI, lui présentant l’assiette.
Il en reste une !
Pigeonneau prend un gâteau. Mimi remonte.
BOURGIFFLÉ.
Comme ça se trouve ! J’adore le riz.
PIGEONNEAU, à part.
Ah mais ! il est embêtant !
Haut.
Mon ami... je n’ose pas vous offrir celle-là...
BOURGIFFLÉ, la lui prenant des mains.
J’accepte sans façon.
CHATILLON, riant, à part.
Ce pauvre Pigeonneau...
BOURGIFFLÉ, qui a goûté son gâteau.
Ah ! il y a de la fleur d’oranger !... Je n’en veux pas !
Il le pose sur la table.
PIGEONNEAU, à part.
Alors, ce n’était pas la peine !... Il est plein de caprices, cet animal-là !
MADAME DE SAINTE-ADRESSE.
Ah ! bous dînons ensemble... nous venons d’arranger ça avec Mimi...
CHATILLON, à part.
Ah ! diable ! et moi qui suis invité chez mon beau-père.
MADAME DE SAINTE-ADRESSE.
Nous gobelotterons boulevard du Temple.
MIMI.
Oui ! chez Bonvalet... nous mangerons des petits plats canailles... de l’oie aux navets.
PIGEONNEAU.
Qui est-ce qui paye ?
MIMI.
C’te bêtise ! c’est Chatillon !
PIGEONNEAU.
Alors, je suis invité.
BOURGIFFLÉ.
Et moi ?
PIGEONNEAU.
Hein !
BOURGIFFLÉ, bas à Pigeonneau.
Faites-moi inviter...
PIGEONNEAU.
Hum !
Haut à Chatillon.
Tu m’invites, n’est-ce pas ?
CHATILLON.
Parbleu !
BOURGIFFLÉ, bas.
Et moi ?
PIGEONNEAU.
Et Bourgifflé aussi ?
CHATILLON, à part.
Hein !... Il finira par nous le mettre dans nos poches, son Bourgifflé.
Haut.
Comment, tous les amis de nos amis...
BOURGIFFLÉ, passant au milieu.
Sont nos amis. Oh ! mais je payerai mon écot en farces.
MIMI.
En oseille ? Merci.
BOURGIFFLÉ.
Vous verrez, je suis très gai... je suis très drôle.
MADAME DE SAINTE-ADRESSE.
À quelle heure ?
BOURGIFFLÉ.
Je vous conterai au dessert les petites chroniques scandaleuses de notre monde... Tenez, je vous dirai l’histoire de Venceslas.
MIMI.
Est-elle drôle ?
BOURGIFFLÉ.
Je vous la garderai pour le dessert.
CHATILLON.
C’est convenu, je vais faire avancer les voitures...
À part.
Et écrire à mon beau-père pour me dégager.
PIGEONNEAU.
Et moi je vais chercher le mou de veau.
Il remonte. Chatillon sort par la première porte à droite. Pigeonneau, au moment de partir, est arrêté par un domestique qui entre par la deuxième porte à droite, et qui annonce.
Scène V
MADAME DE SAINTE-ADRESSE, BOURGIFFLÉ, PIGEONNEAU, LE DOMESTIQUE, MIMI, puis GRANDMINET
LE DOMESTIQUE, à Mimi.
Madame...
MIMI.
Quoi ?
LE DOMESTIQUE.
C’est une dame patronnesse qui demande à parler à Madame.
MIMI, assise sur la causeuse.
Faites entrer.
Le domestique sort.
PIGEONNEAU, à part.
Une dame patronnesse... On va quêter... je file !
GRANDMINET, entrant par la deuxième porte à droite, et s’adressant à un domestique qui le suit.
Merci, mon ami...
PIGEONNEAU.
Tiens ! M. Grandminet, mon propriétaire !
TOUS.
Comment !
GRANDMINET, saluant.
Mesdames, permettez-moi de mettre tous mes hommages à vos pieds.
PIGEONNEAU.
Comment, vous êtes dame patronnesse ?
Mimi fait un signe au domestique, qui apporte un fauteuil à Grandminet et sort. Tout le monde s’assied, excepté Pigeonneau.
GRANDMINET.
Je le suis par le cœur... et, pour forcer la consigne, j’ai recours à cet ingénieux stratagème...
PIGEONNEAU.
Petite friponne !
MIMI.
Laissez parler Madame...
GRANDMINET.
Vous voyez devant vous un philanthrope... J’ai fondé une œuvre à moi tout seul...
MIMI.
L’œuvre Grandminet !... ça doit être pour détruire les souris !
GRANDMINET.
Pas précisément... J’ose appeler vos sympathies... sur une classe d’orphelins qui se trouvent dans une position intéressante...
PIGEONNEAU.
Ce sont des orphelines alors !
GRANDMINET.
Ces petits êtres passent leur existence dans la cendre, dans la fumée...
BOURGIFFLÉ.
Qui diable ça peut-il être ?
PIGEONNEAU.
Attendez ! ne le dites pas !
Cherchant.
Dans la cendre... dans la fumée... je ne vois que les cricris !
MIMI.
Ou les ramoneurs !
GRANDMINET.
Précisément. J’ai fondé l’œuvre des petits ramoneurs !
TOUS, riant.
Ah bah !
MIMI.
Et pourquoi avez-vous choisi cette fraction malpropre de la société ?
GRANDMINET, se levant, ainsi que Madame de Sainte-Adresse et Bourgifflé.
Ceci se rattache à un acte de haute probité... Il y a quinze jours, en venant de toucher mes loyers... j’eus le malheur de perdre sur le boulevard un billet de cent francs...
PIGEONNEAU.
Fichtre !
GRANDMINET.
Et comme je n’aime pas à perdre... je fis faire des affiches, en promettant deux cents francs de récompense à celui qui me rapporterait mon billet...
PIGEONNEAU.
Tiens ! je suis fâché de ne pas les avoir lues.
GRANDMINET.
Et le lendemain, qu’est-ce que je trouvais à ma porte ?... cinq petits ramoneurs... ayant chacun un billet de cent francs à la main !
MIMI, à part.
Ils ont le fil, les ramoneurs !
GRANDMINET.
Dire que je fus touché, ému !... ce n’est pas assez !... Je les embrassai tous les cinq !... et en sortant de leurs bras...
MIMI.
Vous deviez avoir l’air d’une plaque de cheminée !
Pigeonneau remonte et passe à gauche.
GRANDMINET.
Je fis le serment de me consacrer à l’amélioration du sort de ces jeunes travailleurs !
Il tire une bourse de sa poche.
BOURGIFFLÉ, à part.
On n’est pas plus bête que cet homme-là !
Haut.
Tenez ! voilà quarante sous pour leur acheter du savon !
Il remonte.
GRANDMINET, tendant sa bourse à Madame de Sainte-Adresse.
Et vous, madame ?
PIGEONNEAU.
Madame part demain pour Naples !...
GRANDMINET.
Ah ! Madame part... pour longtemps ?
MADAME DE SAINTE-ADRESSE.
Pour un an... mais ça ne fait rien...
Elle se fouille.
GRANDMINET.
Madame n’aurait pas besoin d’un appartement fraîchement décoré ?
MADAME DE SAINTE-ADRESSE.
Qu’est-ce que vous voulez que j’en fasse pendant que je serai en Suède ?
GRANDMINET.
Comment ! en Suède ?
MADAME DE SAINTE-ADRESSE, mettant une pièce dans la bourse.
Tenez ! tâchez de les débarbouiller !
Elle remonte.
GRANDMINET, à Pigeonneau.
Quant à vous, mon cher locataire...
PIGEONNEAU.
Moi ?... j’ai oublié ma bourse...
GRANDMINET.
Nous recevons jusqu’aux plus petites sommes... même les dons en nature...
PIGEONNEAU, courant au fond.
Attendez ! j’ai votre affaire !
Il prend la trompe, sonne dedans et la met au cou de Grandminet. Rire général. Mimi se lève.
Voilà mon offrande !
GRANDMINET, examinant la trompe qu’il garde au cou.
Merci, je la vendrai au poids.
Il remonte.
MADAME DE SAINTE-ADRESSE, à Mimi.
Adieu, Mimi, je vais m’occuper de mes préparatifs de voyage.
Air du Chalet.
Je vais chez ma couturière,
Et de là chez mon fourreur.
BOURGIFFLÉ, remontant.
Moi, chez mon apothicaire.
PIGEONNEAU.
Je suis libre ! quel bonheur !!
BOURGIFFLÉ, lui prenant le bras.
Sur votre bras je m’appuie ;
Ainsi nous marcherons mieux :
Quand je suis seul je m’ennuie.
PIGEONNEAU.
Nous nous ennuierons à deux.
Reprise. Ensemble.
MADAME DE SAINT-ADRESSE.
Tenez, dans tout mon voyage,
Je n’aurai qu’un seul plaisir,
Et ça sera, je le gage,
Celui de vous revenir.
MIMI.
Allons, adieu, bon voyage,
Donne-toi bien du plaisir ;
Mais avant un an, je gage,
Nous te verrons revenir.
PIGEONNEAU, BOURGIFFLÉ.
Adieu, chère, et bon voyage,
Donnez-vous bien du plaisir ;
Mais avant un an, je gage,
Nous vous verrons revenir.
Madame de Sainte-Adresse, Pigeonneau et Bourgifflé sortent par la deuxième porte à droite.
Scène VI
MIMI, GRANDMINET, puis CHATILLON
GRANDMINET.
Et vous, belle dame, ne ferez-vous rien pour mes petits protégés ?
MIMI.
Si vraiment !... Je ne hais pas ces petits charabias, moi... D’abord, ils ont de belles dents.
GRANDMINET.
J’accepte l’offrande de tout le monde, celle des femmes honnêtes... comme celle...
MIMI.
Des autres ?... Merci bien !
GRANDMINET.
Ah ! sapristi !...
Barbotant.
Croyez que mon intention... car les danseuses... après tout... sont des femmes...
MIMI.
Qui dansent...
Allant à la table et y ramassant quelques pièces.
J’ai gagné cinq louis au lansquenet... Les voici !
GRANDMINET.
Cinq louis !...
À part.
Allons, si la femme est légère, l’aumône est lourde.
Haut.
Ah ! madame, permettez-moi d’effleurer de mes lèvres...
Il lui baise la main.
CHATILLON, sortant de la droite, première porte.
Hein ?... Dites donc, jeune homme, ne vous gênez pas !
Il sonne dans la trompe que Grandminet a toujours au cou.
GRANDMINET, se retournant.
Plaît-il ?
CHATILLON, à part.
Corbleu ! mon beau-père !
Il passe au milieu.
GRANDMINET.
M. Chatillon !
Il retire la trompe de son cou et le met sur la causeuse.
MIMI.
Tiens ! vous vous connaissez ?
CHATILLON, embarrassé.
Oui, un peu...
Bas à Mimi.
Silence ! c’est mon oncle... un oncle féroce !
GRANDMINET.
Comment vous trouvez-vous ici, monsieur ?
CHATILLON.
Comme architecte !...
MIMI.
Oui !... c’est mon architecte !...
CHATILLON.
Les cheminées du salon fument... Demain, j’y ferai monter un ramoneur.
GRANDMINET, avec attendrissement.
Un ramoneur ?... Ah ! merci !
LE DOMESTIQUE, entrant par la deuxième porte, à droite.
La voiture que Monsieur a demandée, pour Madame, est en bas.
Il sort.
GRANDMINET, à part.
Hein ?
MIMI.
Je n’ai que mon chapeau à mettre, et je suis à vous...
Bas à Chatillon.
Renvoyez-le...
Haut à Grandminet, en passant près de lui.
Monsieur...
À part.
Ah ! ah ! le drôle de bonhomme.
Elle sort, en riant, par la gauche.
Scène VII
CHATILLON, GRANDMINET
GRANDMINET.
Comment ! mon gendre, vous conduisez cette dame en voiture ?... Où ça ?
CHATILLON.
À Auteuil !... Je l’accompagne comme architecte... pour une maison qui a besoin de réparations...
GRANDMINET.
Ah ! c’est différent... s’il n’existe entre vous qu’un pur commerce... de maçonnerie !... Je vous préviens que je suis très chatouilleux sur l’article des mœurs.
Il s’assied sur la causeuse.
CHATILLON, à part.
Eh bien ! il s’installe...
GRANDMINET.
Cette dame n’ayant plus que son chapeau à mettre, nous avons une petite heure devant nous... Ça se trouve à merveille, car j’ai besoin de causer avec vous...
CHATILLON, à part.
Ah ! diable !
GRANDMINET.
Il s’agit de nos projets de mariage...
Avec solennité.
Mon gendre, il y a en vous des choses qui nous plaisent... et d’autres qui nous déplaisent.
CHATILLON.
Parlez !
GRANDMINET.
Votre maison de l’avenue Montaigne, qui rapporte quinze mille livres de rente, nous plaît assez...
CHATILLON.
Vous êtes bien bon...
GRANDMINET.
Mais vos moustaches nous déplaisent beaucoup.
CHATILLON.
Qu’à cela ne tienne ! j’en ferai le sacrifice à mademoiselle Grandminet !
GRANDMINET, lui serrant la main et d’un ton pénétré.
Merci... merci pour elle !
Changeant de ton.
Autre chose !... Eh bien ! qu’est-ce que je voulais donc vous demander ?... Attendez... je l’ai écrit !
Il tire un carnet de sa poche.
C’est ma petite liste de questions...
Il se lève.
CHATILLON.
Est-elle longue ?
GRANDMINET, après avoir consulté son carnet.
Ah !... Vous avez été vacciné ?
CHATILLON.
Trois fois ! ça n’a pas pris.
GRANDMINET.
Très bien !... Biffons !
Il efface avec un crayon.
Fumez-vous ?
CHATILLON.
Quand les cigares sont bons.
GRANDMINET.
Il faudra vous défaire de cette habitude-là... On n’a jamais fumé chez les Grandminet.
CHATILLON.
Permettez...
GRANDMINET.
Biffons !
Consultant son carnet.
Une dernière question !... c’est une remarque de la tante de ma femme !
CHATILLON.
Voyons la remarque ?
GRANDMINET, lisant.
« Pourquoi ce jeune homme porte-t-il toujours son habit boutonné ? »
CHATILLON.
Hum !... Je la trouve curieuse, la tante de votre femme !
GRANDMINET, montrant son habit ouvert.
Regardez-moi... on voit mon linge... et le linge, c’est notre dentelle à nous autres hommes !
CHATILLON.
Coquette !
GRANDMINET, lui défaisant les boutons de son habit.
Ouvrez votre habit ! ouvrez !... Là !... n’est-ce pas mieux comme ça ?
CHATILLON, à part.
Ah mais ! il commence à me faire la barbe, ce beau-père-là !
Pigeonneau entre par la droite, deuxième porte.
Scène VIII
CHATILLON, PIGEONNEAU, GRANDMINET
PIGEONNEAU, entrant vivement et essoufflé.
Il a oublié sa tabatière ! Vous n’avez pas vu sa tabatière ?
Il va à la cheminée.
CHATILLON.
À qui ?
PIGEONNEAU.
À Bourgifflé !...
CHATILLON.
Non !
PIGEONNEAU, la trouvant sur la table.
Ah ! la voilà ! Je me sauve... je suis très pressé...
Montrant un papier très long et chargé d’écriture.
Voilà la petite liste de courses qu’il vient de m’écrire chez le pharmacien !... en prenant son mou... un mardi gras !...
Il remonte.
Ah !...
Il redescend au milieu.
J’oubliais... Deux lettres, pour Mimi, que le concierge m’a prié de monter...
CHATILLON, prenant les lettres.
Deux lettres ?
Il va sonner à la cheminée.
PIGEONNEAU.
Tu ne veux pas savoir de qui elles sont ?
CHATILLON.
Moi, est-ce que cela me regarde ?
Le domestique paraît.
Portez ces lettres à Madame.
Le domestique prend les lettres et sort par la gauche.
PIGEONNEAU.
Eh bien ! à la bonne heure ! tu n’es pas jaloux de Mimi, toi !
CHATILLON, toussant pour le faire taire.
Hum !... hum !...
GRANDMINET, passant au milieu.
Et de quel droit Monsieur serait-il jaloux de mademoiselle Mimi ?
PIGEONNEAU.
Tiens ! puisque c’est son Elvire... sa dame de cœur !
CHATILLON.
Hum ! hum !...
GRANDMINET.
Sa dame de cœur ?
Pigeonneau lui parle à l’oreille.
Oh !
Il remonte.
CHATILLON, toussant.
Hum !... hum !
PIGEONNEAU, allant à Chatillon.
Tu es enrhumé ? Veux-tu que j’aille te chercher de la pâte de mou de veau ? Ne te gêne pas...
CHATILLON, bas.
Imbécile ! c’est mon futur beau-père !
PIGEONNEAU, bas.
Grandminet !
À part.
Sapristi ! j’ai fait une boulette !
Haut, en gagnant le fond.
Vous êtes en famille... vous avez à causer... je vous laisse !
À part.
J’ai fait une boulette !...
Il sort par la deuxième porte à droite.
Scène IX
GRANDMINET, CHATILLON
CHATILLON, à part, boutonnant son habit, et passant à droite.
Allons ! c’est une explication... S’il m’ennuie trop, je l’envoie promener très loin.
GRANDMINET.
Ainsi, monsieur, vous me trompiez ?... Vous appelez cela être l’architecte d’une dame ?
CHATILLON, le calmant.
Voyons, papa Grandminet...
GRANDMINET, apercevant l’habit de Chatillon fermé.
Encore votre habit ! c’est donc pour me taquiner !
CHATILLON.
Quoi ?
GRANDMINET, irrité.
Mais montrez donc votre linge, monsieur ! montrez donc votre linge !
CHATILLON.
Ah ! oui !
Il ouvre son habit. À part.
C’est un tic !
GRANDMINET.
Revenons à mademoiselle Mimi... Certainement, moi aussi j’ai été jeune... moi aussi je me suis égaré dans les bosquets de Cythère !...
CHATILLON.
Là... vous voyez bien ! D’ailleurs, mon intention est de rompre... demain !
GRANDMINET.
Aujourd’hui, monsieur ! tout de suite !
CHATILLON.
Oh ! un mardi gras !
GRANDMINET.
Quand j’ai dû épouser madame Grandminet, j’ai écrit à la femme de mes rêves une lettre très carrée... Je vais vous la dicter !
CHATILLON.
Comment ! la même ?
GRANDMINET.
Craignez-vous qu’elle ne soit pas bien tournée ?
CHATILLON.
Oh ! non !
GRANDMINET.
Écrivez.
CHATILLON, à part, s’asseyant sur la causeuse, tirant à lui le guéridon et prenant une feuille de papier.
Au fait, je ne savais comment rédiger la chose ; essayons du style Grandminet.
Haut.
Allez !
GRANDMINET, dictant.
« Mademoiselle ! »
Parlé.
À la ligne !
Dicté.
« S’il est un temps pour la folie... il en est un pour la raison !...
CHATILLON, fredonnant en écrivant.
Il en est un pour la raison !...
GRANDMINET.
Vous y êtes ?... À la ligne !
Dicté.
« Ne comptez plus sur moi... Ils sont passés ces jours de fête !...
CHATILLON.
Ah !... nous changeons d’air ?
Il fredonne.
GRANDMINET.
À la ligne !
Dictant.
« Oubliez que nous avons péché !... »
CHATILLON.
À la ligne ?
GRANDMINET.
Oui...
Dictant.
« Je vous envoie six cents francs... tâchez de faire un beau mariage ! »
CHATILLON, se levant à part.
Ah ! non !... Je n’écrirai pas ça à Mimi !
Il boutonne son habit et remonte.
GRANDMINET, continuant à dicter avec attendrissement.
« Et murmurez quelquefois dans vos rêveries le nom de celui qui se fera toujours un devoir de vous oublier ! »
À Chatillon.
Eh bien ! vous n’écrivez pas ?
CHATILLON, redescendant.
Non... j’ai réfléchi...
GRANDMINET.
Encore votre habit ! mais montrez donc votre linge, saprebleu !
Chatillon se déboutonne.
CHATILLON, à part.
S’il n’est pas à jeter par la fenêtre, hein ?
GRANDMINET.
Quant à ce billet... vous le trouvez ?...
CHATILLON.
Trop littéraire pour une danseuse ; vous l’avez sans doute adressé à une...
GRANDMINET.
Marchande de tabac.
CHATILLON.
Voilà !... elle pouvait priser l’expression... Je préfère rompre verbalement.
GRANDMINET.
Soit, monsieur !... je vous donne cinq minutes...
Posant sa montre sur le guéridon.
Voici ma montre... je vous la confie... Si dans cinq minutes vous n’avez pas rompu... je romps, moi !
CHATILLON.
Soyez tranquille !
Il boutonne son habit.
GRANDMINET, reprenant la trompe.
Ah ! vous voyez bien ceci...
CHATILLON.
Qu’est-ce que c’est que ça ?
GRANDMINET.
C’est l’offrande de Pigeonneau... elle me servira à vous rappeler que je vous attends en bas... sous la fenêtre... dans mon fiacre... Dépêchez-vous, il est à l’heure !...
CHATILLON.
Je vous rejoins...
GRANDMINET.
Votre habit ! encore votre habit ! montrez donc votre linge.
CHATILLON.
Ah ! oui !
Il se déboutonne.
Ensemble.
Air de la Péri.
GRANDMINET.
De procéder à la rupture
Vous allez, monsieur, vous presser,
Ou sinon, à votre future
Net il vous faudra renoncer (bis).
CHATILLON.
De procéder à la rupture,
Je le vois, il faut me presser !
Ah ! sans la goutte, à ma future
J’aurais plaisir à renoncer.
Grandminet sort par la deuxième porte à droite avec sa trompe.
Scène X
CHATILLON, puis MIMI
CHATILLON, seul.
Quel vieux crétin !
Croisant son habit avec colère.
Tiens ! je le boutonne, mon habit... et jusqu’au menton !... Non ! je ne pourrai jamais être le gendre de ce beau-père-là ! il m’agace ! il me picote ! Quand il est là, il me semble que je suis assis dans une fourmilière !... et dire que nous dînerons ensemble tous les dimanches... en famille !... Ça me démange rien que d’y penser ! Après tout, qu’est-ce qui me force d’épouser mademoiselle Grandminet ?... Je suis heureux avec Mimi, une excellente fille... gaie, facile à vivre... à laquelle je n’ai rien à reprocher... Mon Dieu ! Je vais peut-être chercher le bonheur bien loin... Une idée !... si je ne me mariais pas ?
Tout à coup se frottant la jambe.
Aïe ! aïe !... non, rien !... ce n’est qu’une petite crise !... Ma goutte qui ne veut pas que je l’oublie...
Secouant sa jambe.
Voilà que ça se passe !... C’est égal... c’est un avertissement d’en haut... c’est-à-dire d’en bas ! Allons ! il n’y a plus à hésiter... Contre la goutte il faut une infusion de mariage... Mais Mimi... comment lui annoncer ça ?... ça lui déchirera le cœur.
On entend Mimi rire aux éclats dans la coulisse.
Tiens, elle est assez bien disposée.
MIMI, entrant de gauche, une lettre à la main, et riant.
Non ! c’est drôle ! ma parole sacrée !
CHATILLON.
Qui vous fait rire comme ça ?
MIMI.
Une des deux lettres que vous m’avez envoyées.
CHATILLON.
Ah !
MIMI.
La première est de la mère Giffard, vous savez, mon habilleuse, une digne femme qui a quatre enfants... et un mari...
CHATILLON.
En voyage !
MIMI.
Elle me demande de danser dans une représentation à son bénéfice, qui sera donnée dans deux mois sur le théâtre des Fleurs au pré Catelan... Elle me demande mon pas de Flore.
CHATILLON.
Elle a raison... tu es délicieuse dans ce pas-là !... Tu vas lui répondre : Oui, avec plaisir ! car tu es une bonne fille... mais ça n’est pas drôle, ça.
MIMI.
Aussi n’est-ce que la seconde lettre qui est comique ; elle est d’un Anglais qui me demande...
CHATILLON.
Je devine ce qu’un Anglais peut vous demander, Mimi.
MIMI.
Vous n’y êtes pas, il me demande...
CHATILLON.
Quoi ?
MIMI.
En mariage !
CHATILLON, riant.
Ah ! c’est un vieux fou !
MIMI.
Du tout, dix-neuf ans... de la fortune et baronnet, je serais baronnette ! ah ! ah ! ah !
CHATILLON.
Eh bien ?
MIMI, déchirant la lettre.
Eh bien ! je refuse !... Ah ! je n’ai pas la manie des grandeurs, et puis je ne sais pas l’anglais, ça me gênerait pour aimer mon mari. Enfin, je ne veux pas vous quitter.
CHATILLON.
Cette bonne Mimi !
À part.
Sapristi ! ça devient plus difficile !
Haut.
Mimi, j’ai à vous parler...
MIMI.
La voiture est en bas... nous causerons en route... Venez...
CHATILLON, vivement.
Non !... ici !...
À part.
Le Grandminet me guette à ma sortie !
Haut, avec effort.
Mimi, j’ai à vous parler.
MIMI.
Eh bien ! allez... je vous écoute...
CHATILLON.
Mimi, je crois que nous ne pourrons pas dîner ensemble aujourd’hui.
MIMI, contrariée.
Ah !
CHATILLON.
Ni demain, ni après-demain, ni...
MIMI.
Pourquoi ça ?
CHATILLON, s’embrouillant.
Mimi... un homme de trente-quatre ans... se doit à la société... c’est une gerbe en fleurs... c’est-à-dire, non !... Enfin, il y a dans la vie des circonstances...
On entend sonner de la trompe sous la fenêtre.
MIMI.
Tiens ! c’est le troubadour qui revient de la Madeleine !
CHATILLON, à part.
C’est le beau-père qui s’impatiente !... Animal !... j’étais lancé.
Haut, avec effort.
Mimi... j’ai à vous parler...
MIMI.
Allez !... voilà une heure que vous me dites ça !
CHATILLON.
Ce que j’ai à vous dire est extrêmement sérieux... et difficile ! parce que... savez-vous que vous êtes gentille, Mimi ?... Je vous dois les plus belles années de ma vie.
MIMI.
Vous m’aimez donc toujours ?
CHATILLON.
Oui... c’est-à-dire...
MIMI.
Moi aussi... allez... et c’est solide ! Pauvre chéri !
Elle l’embrasse.
CHATILLON, à part.
Sapristi ! nous ne sommes pas dans le chemin !
Haut, avec résolution.
Tenez, il vaut mieux se parler franchement. Apprenez donc que M. Grandminet...
MIMI.
Le père aux ramoneurs ?
CHATILLON.
Oui, je vais vous parler franchement.
On entend sonner de la trompe.
MIMI.
Encore ce troubadour !
CHATILLON, à part.
Que le diable l’emporte ! il me coupe toujours au bon moment !
Haut.
Ce n’est pas ma faute, voyez-vous... Mais la réflexion... la goutte...
MIMI.
Ah ! c’est vrai !... j’ai vu le docteur ce matin !
CHATILLON.
Eh bien ?
MIMI.
Comment, monsieur, vous vous permettez d’avoir la goutte... et vous ne me faites pas prévenir ?
CHATILLON.
Pour quoi faire ?
Air de la Colonne.
MIMI.
J’aurais voulu te tenir compagnie,
J’aurais été ta garde...
CHATILLON.
Non !
MIMI, surprise.
Pourquoi ?
CHATILLON.
Peste ! une garde aussi jolie
Était, ma chère, un grand danger pour moi !
J’aurais eu peur d’être soigné par toi !
On dit, vois-tu, que la goutte se gagne
Par le champagne et par l’amour !
MIMI.
C’est bien possible : aussi le premier jour,
J’aurais supprimé le champagne ;
On peut se passer de champagne.
CHATILLON.
Toi, Mimi !... tu me soignerais... comme une femme ?
MIMI.
Comment ! comme une femme ! Ah çà ! est-ce que tu me prends pour un carabinier ?
CHATILLON.
Non, mais...
On entend sonner de la trompe sous la fenêtre.
Ah ! il est agaçant !
Pigeonneau entre vivement par la deuxième porte à droite.
Scène XI
PIGEONNEAU, MIMI, CHATILLON
PIGEONNEAU, allant à la table.
Cristi de cristi !... il a oublié sa montre à présent !... Il croit que c’est au lansquenet... Vous n’avez pas vu sa montre ?... la montre de Bourgifflé ?…
CHATILLON.
Non !... par là peut-être...
Il désigne la droite, il remonte vers Mimi.
PIGEONNEAU, allant au guéridon et trouvant celle de Grandminet.
En voilà une !... ça doit être ça...
Haut.
Je l’ai...
À Chatillon et à Mimi.
Ah ! vous ne savez pas ?... je viens de résilier mon bail avec Grandminet, là... sous la fenêtre !
CHATILLON.
Comment ça ?
PIGEONNEAU.
Il me prend mon appartement pour le donner à son gendre.
CHATILLON.
Hein ?
PIGEONNEAU.
Il veut qu’il loge avec lui... l’avoir sous sa main... sous sa clef !
CHATILLON.
Ah ! mais non !... je ne veux pas !
MIMI.
Qu’est-ce que ça te fait ?
CHATILLON.
Rien !
À part.
Loger avec lui ! j’aime mieux rompre !
On entend la trompe sous la fenêtre. Pigeonneau et Mimi se bouchent les oreilles.
PIGEONNEAU et MIMI.
Aïe ! aïe !
Mimi s’assied près de la table. Pigeonneau remonte.
CHATILLON, passant à droite.
C’est à vous rendre enragé !
À part.
Attends ! je vais te faire taire !
Prenant sur le guéridon la lettre que Grandminet lui a dictée.
Sa lettre de rupture !... J’en ai le placement.
Haut, et s’approchant vivement de la fenêtre.
Hé ! cocher !
UNE VOIX, en dehors.
Monsieur ?
CHATILLON, jetant la lettre.
Pour l’homme à la trompe !
MIMI, à Pigeonneau.
Qu’est-ce qu’il jette là ?
PIGEONNEAU.
Je crois que c’est deux sous pour le troubadour.
CHATILLON, à part.
Enfin ! n, i, ni, c’est fini !
Scène XII
PIGEONNEAU, MIMI, GRANDMINET, CHATILLON
GRANDMINET, passant sa tête à la fenêtre. Musique à l’orchestre jusqu’à la fin de l’acte.
Monsieur... vous me faites faire des choses inconvenantes... vous me faites monter sur une impériale de fiacre...
MIMI, riant.
Donnez-vous la peine d’entrer.
GRANDMINET, à Chatillon.
Monsieur... cette lettre ?
CHATILLON.
Est pour vous !
GRANDMINET.
Ainsi, c’est une rupture ?
CHATILLON.
Oui, vous m’ennuyez ! vous me déplaisez ! vous m’abrutissez !
Il s’assied sur la causeuse.
GRANDMINET.
Ah ! c’est comme cela !... Eh bien ! écoutez ma prédiction : Vous finirez vieux garçon !... avec un catarrhe, la goutte sciatique... et personne pour vous soigner... Vous ne vous marierez jamais !
CHATILLON.
Parce que je n’épouse pas votre fille ?..
MIMI, se levant.
Sa fille ! comment ?
GRANDMINET.
Ni ma fille, ni d’autre !
CHATILLON, se levant.
Et moi, je vous dis que je me marierai quand je voudrai !
GRANDMINET.
Je parie cent louis que non !
CHATILLON.
Cent louis ?... je les tiens !... Je me marierai aujourd’hui même, tout de suite !
MIMI.
Je vous trouve superbe... vous oubliez que je suis là ?
CHATILLON.
Au contraire... je m’en souviens.
Avec enthousiasme.
Mimi ?
MIMI.
Quoi ?
CHATILLON.
Je t’épouse !
MIMI.
Ah ! que c’est bête !
PIGEONNEAU.
J’allais le dire !
GRANDMINET.
Abomination !...
Le fiacre se met en marche.
Ah ! mon fiacre m’emporte !... Arrêtez ! cocher !... arrêtez !...
Sons de trompe et grands cris en dehors. Chatillon, Mimi et Pigeonneau rient aux éclats.
ACTE II
Un salon capitonné : cheminée à gauche avec canapé ; porte au fond ; portes latérales ; une grande armoire, à droite ; fauteuils et chaises ; table à droite avec sonnettes, consoles au fond. Au fond, dans l’antichambre, faisant face au public, un carton à chapeau de femme sur un fauteuil ; un parapluie dans l’angle de la cheminée.
Scène première
JOSÉPHINE, FRANÇOIS
Au lever du rideau, François, mollement étendu sur un fauteuil, regarde Joséphine qui, en costume campagnard, est debout devant lui.
FRANÇOIS, un papier à la main.
C’est le bureau de placement qui vous envoie ?
JOSÉPHINE, avec un accent campagnard affecté.
Oui, m’sieu.
FRANÇOIS.
Chez M. Chatillon ?
JOSÉPHINE.
Oui, m’sieu.
FRANÇOIS.
C’est bien ici.
JOSÉPHINE.
Et quel homme que c’est que ce M. Chatillon ?
FRANÇOIS, se levant.
C’est un homme très comme il faut, propriétaire d’un immeuble très comme il faut aussi, avenue Montaigne, 25.
JOSÉPHINE.
Où que nous sommes ?
FRANÇOIS, l’imitant et lui prenant la taille.
Où que vous êtes. Monsieur est encore propriétaire.
Elle lui donne une bourrade.
Oh !...
Il fait une grimace et se remet.
Monsieur est encore propriétaire d’une très jolie femme qu’il a épousée à l’étranger... à London... à ce que je crois.
JOSÉPHINE.
C’est un bon enfant ?
FRANÇOIS.
C’est un drôle de corps !... Quand je me suis présenté, vous croyez peut-être qu’il m’a demandé ce que je savais faire ? Pas du tout ! « Dans quel quartier servais-tu en dernier lieu ? – Rue de l’Ouest, monsieur. – Rive gauche ? Très bien, et avant ? – Rue Monsieur, monsieur. – Toujours rive gauche ? parfait !... Je t’arrête. » Venez-vous aussi de la rive gauche ?
JOSÉPHINE.
Je viens de plus loin que ça.
FRANÇOIS.
Alors, vous avez des chances.
On sonne à droite.
Justement on me sonne... je vais dire à Monsieur que la personne qui se présente pour la place de femme de chambre est là, et qu’elle arrive... d’où ça ? de la banlieue ?
JOSÉPHINE.
Non, de la province.
FRANÇOIS.
C’est encore mieux, de quel département ?
JOSÉPHINE.
Des Vosges !
FRANÇOIS.
Bigre, ça doit être loin... Monsieur sera content.
Il entre à droite.
Scène II
JOSÉPHINE, seule, quittant son accent campagnard
Quand je dis que j’arrive des Vosges, je ne mens pas tout à fait... je sors de la place des Vosges. Ces gueux de maîtres deviennent si embêtants avec leurs renseignements, que je m’étais décidée à me présenter comme une fille de la campagne : justement, je lis dans les Petites Affiches : « On demande une bonne nouvellement arrivée de la province, et ne connaissant personne à Paris. On donnera de beaux gages : chez M. Chatillon, avenue Montaigne, n° 25. » Là-dessus, j’ai emprunté le jupon rayé de ma charbonnière qui est Auvergnate, le casaquin de ma porteuse de pain qui est Picarde, et le bonnet de ma blanchisseuse qui est de Saint-Cloud : si avec tout ça je n’ai pas l’air d’arriver des Vosges, j’aurai du malheur.
Scène III
JOSÉPHINE, FRANÇOIS, puis PIGEONNEAU
FRANÇOIS, rentrant par la droite.
Je vous ai annoncée, vous pouvez entrer.
JOSÉPHINE.
Merci.
Elle entre à droite. Pigeonneau entre par le fond.
PIGEONNEAU, enveloppé dans son paletot.
Pristi ! sapristi ! Voilà un joli mois de mai !
FRANÇOIS.
M. Pigeonneau !
PIGEONNEAU.
Chatillon est-il chez lui ?
FRANÇOIS.
Oui, monsieur !... Je vous croyais à la campagne de M. Bourgifflé !
PIGEONNEAU.
Elle est jolie, sa campagne ! Il a acheté dans la plaine des Vertus une maison très vieille... et un jardin tout neuf... pas un arbre !... mais il en a fait venir de la graine...
FRANÇOIS.
De la graine d’arbre ?
Il sort en riant par le fond.
PIGEONNEAU, seul.
Il l’a semée lui-même... et le dimanche nous passons de folles journées à plat ventre pour voir si ça pousse ! c’est extrêmement gai.
Tirant deux lettres de sa poche.
Tiens, ça me fait penser que mon portier vient de me remettre deux lettres de la villa Bourgifflé !
Ouvrant une enveloppe.
Celle-ci est du mari... non affranchie.
Lisant.
« Mon cher ami, bonne nouvelle ! mes sycomores sont levés. »
Parlé.
Je m’en fiche pas mal de tes sycomores ! S’il affranchissait encore !...
Lisant.
« Quant à mes bouleaux, le jardinier prétend que c’est du chiendent. »
Parlé.
Ah ! très joli ! voilà un mois qu’il me les fait arroser !... Vieille cruche !
Lisant.
« Post-scriptum… j’ai du monde dimanche, apportez-moi trois melons. »
Parlé.
Trois melons ! Ah ! il m’ennuie !
Ouvrant l’autre lettre.
Celle-ci de de Madame... quel volume !... quatre pages d’écriture !
Lisant.
« Sentier fleuri de mon existence ! »
Parlé.
C’est moi !...
Lisant.
« Sentier fleuri de mon existence. »
Parlé.
Elle devient très orientale, madame Bourgifflé !... Tiens ! il y a aussi un Post-scriptum !
Lisant.
« Je donne un concert pour les pauvres de mon village, je vous envoie cinquante billets... ils ne sont qu’à dix francs ! »
Parlé.
Hein ?... cinq cents francs de billets !... Ah ! mais, un instant !... ce n’est plus de la passion ça... c’est de la carotte !...
Il met la lettre dans la poche de son paletot, et garde les billets à la main.
Je lirai le reste ce soir avec mon journal... ça m’endormira.
FRANÇOIS, introduisant une dame par le fond.
Si Madame veut attendre dans ce salon, je vais prévenir Madame.
Il entre à gauche.
Scène IV
MADAME DE SAINTE-ADRESSE, PIGEONNEAU, puis FRANÇOIS
PIGEONNEAU.
Je ne me trompe pas... C’est Julie, la petite Sainte-Adresse !
MADAME DE SAINTE-ADRESSE.
Tiens, Pigeonneau !
PIGEONNEAU.
Je vous croyais à Naples... en Suède.
MADAME DE SAINTE-ADRESSE.
Farceur ! Je suis arrivée hier avec Arthur.
PIGEONNEAU.
Oui... avec Ballandier.
MADAME DE SAINTE-ADRESSE.
Non... je l’ai oublié là-bas.
PIGEONNEAU.
Ah ! sans soin !
MADAME DE SAINTE-ADRESSE.
Je cherche un logement... et je viens de voir dans la maison un amour de troisième... Arthur le fera dorer.
PIGEONNEAU.
Pas Ballandier.
MADAME DE SAINTE-ADRESSE.
Est-ce que vous connaissez le propriétaire de cet immeuble ?
PIGEONNEAU.
Parbleu !... Vous le connaissez aussi... C’est Chatillon.
MADAME DE SAINTE-ADRESSE.
Ah bah ! Cinq étages de maison !... Cet homme se met bien ! Et la dame qu’on est allé prévenir ?
PIGEONNEAU.
C’est sa femme.
MADAME DE SAINTE-ADRESSE.
Il est marié ?... Ah ! Et Mimi, qu’est-elle devenue ?
PIGEONNEAU.
Mariée aussi.
MADAME DE SAINTE-ADRESSE.
Bah !
PIGEONNEAU.
Le même jour que Chatillon, attendu qu’elle s’est mariée avec !
MADAME DE SAINTE-ADRESSE.
Ah ! que c’est bête !
PIGEONNEAU.
Juste le mot de Mimi !
MADAME DE SAINTE-ADRESSE.
Vite ! contez-moi ça.
PIGEONNEAU.
Que voulez-vous ?... Un accès de goutte... un coup de tête... un pari... Puis avec Mimi, Chatillon était à peu près sûr de l’avenir.
MADAME DE SAINTE-ADRESSE.
Oui... mais le passé ?
PIGEONNEAU, mystérieusement.
Le passé ! chut ! Ils l’ont brûlé !
MADAME DE SAINTE-ADRESSE.
Brûlé !
PIGEONNEAU.
Comme un fagot !... J’étais présent à l’autodafé... La veille du mariage, Chatillon a exigé que Mimi détruisît elle-même tout ce qui lui venait de ses... petites économies.
MADAME DE SAINTE-ADRESSE.
C’est monstrueux !
PIGEONNEAU.
Oh ! pour cela, elle n’a pas hésité !... elle a tout jeté au feu... lettres, portraits, dentelles, cachemires... jusqu’au perroquet ! Ils ont rôti le perroquet.
MADAME DE SAINTE-ADRESSE.
Ah ! pauvre bête !
PIGEONNEAU.
Il parlait russe.
FRANÇOIS, entrant par la droite.
Madame Chatillon attend Madame.
MADAME DE SAINTE-ADRESSE.
Merci.
PIGEONNEAU, vivement, à Madame de Sainte-Adresse qu’il retient.
Oh !
MADAME DE SAINTE-ADRESSE.
Quoi donc ?
PIGEONNEAU.
Aime-t-il la musique ?
MADAME DE SAINTE-ADRESSE.
Qui ?
PIGEONNEAU.
Arthur... l’infortuné Arthur !
MADAME DE SAINTE-ADRESSE.
Lui ? Ça l’endort tout de suite.
PIGEONNEAU.
Très bien ! J’ai son affaire, deux billets... vingt francs de sommeil à la campagne ! le plus pur des tous les sommeils.
MADAME DE SAINTE-ADRESSE,
prenant les billets et payant.
Donnez... j’y enverrai ma bonne... avec le groom.
PIGEONNEAU, à part.
Si je les place tous comme ça... ce sera bien composé.
Il va à la cheminée. Julie sort par la gauche. Chatillon arrive vivement par la droite.
Scène V
PIGEONNEAU, FRANÇOIS, CHATILLON
CHATILLON, à François.
Qui est-ce qui vient d’entrer chez ma femme ?
FRANÇOIS.
C’est une dame, qui se présente pour louer le troisième de Monsieur.
PIGEONNEAU.
Bonjour, Chatillon.
CHATILLON, allant à lui.
Hein ! tu es là ?
PIGEONNEAU.
Depuis trois quarts d’heure.
CHATILLON.
Et on ne m’avait pas dit qu’il y avait quelqu’un ici !
À François.
Pourquoi ne m’as-tu pas prévenu ?
FRANÇOIS.
Mais, monsieur, c’était M. Pigeonneau.
CHATILLON.
Je veux savoir tout ce qui entre chez moi, tout ce qui en sort.
FRANÇOIS.
Mais c’était M. Pigeonneau.
CHATILLON, passant à droite.
Va-t’en... et s’il vient quelqu’un, pour moi, je n’y suis pas ce matin.
FRANÇOIS.
Et si l’on vient pour Madame ?
CHATILLON.
Madame n’y est jamais !
François sort par le fond.
Scène VI
PIGEONNEAU, CHATILLON
PIGEONNEAU.
Jamais... Ah çà ! Chatillon... est-ce que tu aurais la faiblesse d’être jaloux ?
CHATILLON, lui prenant la main.
Ah ! Pigeonneau !
L’amenant mystérieusement à l’avant-scène.
Pigeonneau !...
PIGEONNEAU, surpris.
Hein ! Qu’est-ce qu’il y a ?
CHATILLON.
Je crois que j’ai fait une boulette.
PIGEONNEAU.
En te mariant ? Est-ce que Mimi n’est pas toujours la même ?
CHATILLON.
Si, malheureusement !
PIGEONNEAU.
Elle te plaisait comme elle était ?
CHATILLON.
Oui, mais elle était mademoiselle Mimi, aujourd’hui elle est ma femme.
PIGEONNEAU.
Eh bien ?
CHATILLON.
Eh bien ! il y a un abîme de trois cent trente-trois mille mètres entre ces deux mots-là... Tiens, une comparaison : Tu loues une maison de campagne, grand style ; tes amis se vautrent sur les meubles, enfument les tentures, se jettent les plantes rares à la tête, tu trouves ça drôle, tu ne fais qu’en rire... Mais deviens propriétaire d’une baraque si tu veux ; alors, tu mettras des housses à tes meubles de merisier, tu craindras la fumée du cigare pour tes rideaux de perse, tu recommanderas de ne pas marcher sur tes salades et tu pleureras si on t’arrache un oignon. Eh bien ! mon pauvre Pigeonneau, chez Mimi, je n’étais que locataire et je ne me fâchais de rien. Ici, je suis chez moi et j’ai peur de tout.
PIGEONNEAU.
Diable ! c’est à dégoûter d’être propriétaire !
CHATILLON.
Revenu à Paris après mon mariage, j’ai eu l’imprudence de sortir avec Mimi, d’aller avec elle au bois de Boulogne comme autrefois. Les dames du monde que je connaissais et que je saluais ne me rendaient pas mon salut. Les hommes qui connaissaient Mimi et que je ne saluais pas me disaient tous bonjour... comme ça, du bout des doigts. Alors, je me suis promis de ne plus sortir que le soir.
PIGEONNEAU, riant.
Et masqué... Allons donc !... tu es fou !... À ta place, j’oublierais que je suis le mari de Mimi.
CHATILLON.
Je te prie de l’appeler madame Chatillon.
PIGEONNEAU.
Oh ! pardon ! Je la traiterais comme autrefois... je mènerais joyeuse vie... je la conduirais au bal... au concert surtout ! Justement j’en ai un charmant... à la campagne... on m’a prié de placer des billets ! Je t’en laisse quatre.
CHATILLON.
Merci.
PIGEONNEAU.
C’est quarante francs.
CHATILLON, passant à gauche.
Merci, non, je n’irai pas.
PIGEONNEAU.
Une bonne œuvre !... Plaine des Vertus... Tu ne peux pas refuser cela.
Il met les billets sur la table.
CHATILLON.
Allons, donne, j’y enverrai mon cocher.
PIGEONNEAU, à part.
Sapristi ! c’est un nègre !... J’ai la main heureuse ! Bah !... ça tranchera.
Haut.
je monte chez ta locataire du second, je ne la connais pas très intimement, je ne l’ai jamais vue, mais elle doit aimer la bonne musique.
CHATILLON.
Elle est sourde.
PIGEONNEAU.
Elle aime à faire le bien, alors ! Justement je suis en habit, je puis me présenter.
Il ôte son paletot et le met sur le canapé.
Je reviendrai prendre mon paletot. Allons ! de la philosophie, de la gaieté !
Air : Ne raillez pas la garde citoyenne.
Vraiment, mon cher, ton humeur est sans cause,
Un moraliste a soutenu déjà
Qu’un bon côté se trouve en toute chose :
Donc, chez Mimi, ne vois que celui-là.
Ensemble. Reprise.
CHATILLON, à part.
En vérité, mon humeur est sans cause ;
En tête il faut se mettre bien cela :
Qu’un bon côté se trouve en toute chose,
Et que je dois ne voir que celui-là.
PIGEONNEAU.
Vraiment, mon cher, ton humeur est sans cause, etc.
Pigeonneau sort par le fond.
Scène VII
CHATILLON, puis BOURGIFFLÉ
CHATILLON, seul.
Il a peut-être raison !... Au fait, je suis stupide... Allons ! de la philosophie, comme dit Pigeonneau.
BOURGIFFLÉ, dans la coulisse.
Je vous dis qu’il y est !... Son portier me l’a dit.
Entrant par le fond.
J’en étais bien sûr... le voilà !
Il tient à la main un cigare allumé.
CHATILLON.
M. Bourgifflé !
BOURGIFFLÉ.
J’arrive des Vertus... pour acheter des graines de sapins... Mimi va bien ?
CHATILLON, appuyant.
Je crois que madame Chatillon ne se porte pas trop mal.
BOURGIFFLÉ.
Ah ! pardon !... l’habitude... Je l’ai appelée si longtemps Mimi.
Il fume son cigare et va près de la cheminée.
CHATILLON, à part.
Il se croit dans un estaminet.
Haut.
Le tabac incommode Madame...
BOURGIFFLÉ.
Ah ! farceur !... elle adorait les panatellas.
Il continue à fumer.
N’avez-vous pas vu Pigeonneau ?
Il s’assied sur le canapé.
CHATILLON.
Il sort d’ici.
Il va s’appuyer à la cheminée.
BOURGIFFLÉ.
Il m’amuse beaucoup, cet imbécile-là... mais je trouve qu’il me néglige... Ma femme s’en plaint...
CHATILLON.
Hum !... vous n’avez pas peur ?
BOURGIFFLÉ.
De quoi ? de qui ? de Pigeonneau ? Ah ! elle est bonne !
Se levant.
Je suis bien tranquille. Entre nous, mon bon ami, le cœur de madame Bourgifflé est comme la mer Baltique, défendu par les glaces.
CHATILLON.
Oui... mais l’été !... elle dégèle, la mer Baltique !
BOURGIFFLÉ.
Chez nous elle ne dégèle jamais !... Et puis, moi, si j’étais trompé... j’ai mon moyen... je ferais comme Venceslas.
CHATILLON.
Qu’est-ce que c’est que ça, Venceslas ? Un roi de Norvège ?
BOURGIFFLÉ.
Non... c’est un de mes amis... propriétaire d’un abattoir, à Saint-Denis !
CHATILLON.
Bigre !
BOURGIFFLÉ.
Il avait une femme, pas jeune... pas belle... qui prenait du tabac... en cachette... comme Galatée... Eh bien ! malgré cela, vous comprenez ?...
CHATILLON.
Oui... on n’est jamais sûr de rien.
BOURGIFFLÉ.
Quand il s’est aperçu de la chose... il n’a rien dit... il a retenu trois places pour Zurich… Satané Venceslas !
CHATILLON.
Trois places !
BOURGIFFLÉ.
Une pour lui... une pour son épouse chérie et la troisième pour Octave... Octave, c’est le monsieur.
CHATILLON.
Pourquoi ce voyage d’agrément ?
BOURGIFFLÉ.
Vous allez voir ! Une fois à Zurich... il s’est fait naturaliser Suisse... et sa femme aussi ! parce qu’il faut vous dire que pour les Suisses le divorce existe.
CHATILLON.
Ah ! je comprends ! il a divorcé.
BOURGIFFLÉ.
Oui, d’abord... mais ce n’est pas tout !... Satané Venceslas ! il a été trouver Octave ; Octave, c’est le monsieur.
CHATILLON.
C’est convenu.
BOURGIFFLÉ.
Avec une paire de pistolets dans chaque main.
CHATILLON.
Ça devait le gêner !
BOURGIFFLÉ.
Et lui a dit : Ah ! gredin ! tu séduis les femmes mariées... Eh bien ! en voilà une... pas jeune... pas belle... qui prend du tabac... tu vas l’épouser, ou sinon !... Et Octave l’a épousée ! Vlan !
CHATILLON.
La vieille !
BOURGIFFLÉ.
Parfaitement !...
Tirant sa montre.
Deux heures ! je cours acheter mes graines ! Au revoir, cher ami...
Allant pour sortir et regardant par la fenêtre de l’antichambre.
Ah ! bon ! il pleut... et je n’ai pas pris de paletot...
CHATILLON.
Voulez-vous que j’envoie chercher une voiture ?
BOURGIFFLÉ, trouvant le paletot de Pigeonneau sur le canapé.
Tiens ! en voilà un paletot !
CHATILLON.
Oui ; mais c’est à Pigeonneau.
BOURGIFFLÉ, passant les manches.
Voilà mon affaire ! ce qui est à Pigeonneau est à moi...
CHATILLON, à part.
Et ce qui est à lui est à Pigeonneau.
BOURGIFFLÉ, achevant de mettre le paletot.
Air : Galop de Marlborough.
Vous voyez que sans peine
Je l’ai mis.
Jamais on ne se gêne
Entre amis.
Reprise. Ensemble.
BOURGIFFLÉ.
Vous voyez que sans peine, etc.
CHATILLON.
Oui, je vois que sans peine
Il est mis,
Et qu’à tort on se gêne
Entre amis.
Bourgifflé sort par le fond.
Scène VIII
MIMI, CHATILLON
MIMI, entrant par la gauche à la cantonade.
C’est entendu, tu as ma parole. François ! reconduisez Madame par la galerie.
Elle vient en scène.
CHATILLON.
Avec qui causiez-vous donc là ?
Il s’assied près de la table.
MIMI.
Avec une ancienne amie, Julie de Sainte-Adresse.
CHATILLON, à part.
Ah ! elle est revenue, celle-là, très bien ! je vais lui faire défendre ma porte.
MIMI.
Dis donc, je viens de lui louer ton troisième ; elle emménagera aussitôt qu’elle aura des meubles.
CHATILLON.
Ah ! par exemple ! n’y comptez pas !
MIMI.
Pourquoi ? nous la connaissons !
CHATILLON.
Justement.
MIMI.
Ah ! voilà une idée ! Julie est bête, c’est vrai ; mais elle est drôle, elle nous fera rire !... Tiens, sa visite m’a rendu ma gaieté, m’a rappelé mon bon temps.
CHATILLON.
Vous trouvez que ce temps-là était le bon ?
MIMI.
Oui, le temps où tu m’appelais Mimi, où, quand nous étions seuls comme nous voilà, tu ne pensais pas à faire la moue.
Elle met sa tête sur l’épaule de Chatillon qui la regarde.
CHATILLON.
Non, je pensais à autre chose, c’est vrai !
Mimi l’embrasse vivement.
Prends garde, si François entrait... s’il nous surprenait...
MIMI.
C’est plutôt lui qui serait surpris, ça ne t’arrive pas souvent de m’embrasser. Ah ! j’ai encore eu une visite... Tu sais, le bonhomme aux ramoneurs, il est venu, hier, me prier d’être patronnesse de son œuvre, puis il m’a demandé si nous étions véritablement mariés... Qu’est-ce que cela peut lui faire ?
CHATILLON, à part.
Tiens... au fait... il me doit cent louis.
MIMI, aspirant.
Hum !... ça sent bon le tabac, ici. Arthur, fais-moi donc une cigarette.
CHATILLON, se levant.
Vous m’aviez promis de renoncer à cette vilaine habitude.
MIMI.
C’est toi qui me l’as fait prendre...
CHATILLON.
J’ai eu tort.
MIMI, passant à droite.
Allons, bon ! je ne fumerai pas, mais, pour me récompenser, tu me conduiras ce soir au spectacle.
CHATILLON.
Oui, à Beaumarchais, si tu veux, je ferai louer une baignoire grillée.
MIMI.
Pourquoi pas une cave ? J’ai fait faire un chapeau charmant et je veux qu’on le voie.
CHATILLON.
Quel chapeau ?
MIMI.
Une chose ravissante que j’ai inventée pour me distraire. Tiens !
Elle va prendre un chapeau exagéré dans un carton, sur un fauteuil, au fond.
Regarde, l’amour de chapeau.
CHATILLON.
Comment ! vous voulez sortir avec cette machine-là sur la tête ! Vous voulez donc qu’on vous remarque.
MIMI.
Dame ! on ne s’habille que pour être remarqué !
CHATILLON.
C’est possible ! Mais comme je ne veux pas me faire montrer au doigt, je vous déclare que je ne sortirai pas avec vous, si vous vous coiffez de cet ustensile !
MIMI, allant remettre le chapeau dans le carton.
Ustensile ! À votre aise, je suis assez grande pour sortir seule !
Elle s’assied près de la table.
CHATILLON.
Seule ! C’est ça, pour qu’on vous suive ; pour qu’on vous prenne enfin pour ce que vous n’êtes plus, madame.
MIMI.
Ah ! tu as cru me dire une grosse méchanceté, n’est-ce pas ? Eh ! mon Dieu ! je me connais, je sais ce que je vaux. Je suis ce qu’on appelle une bonne fille ; une fois ta femme, j’ai compris que tu voulais m’éloigner de mon monde et tâcher de me glisser dans le tien. Tu te disais : De par monsieur le maire, elle passera. Eh bien ! tu te trompais, mon pauvre garçon ! On m’a arrêtée à la frontière de ce monde-là, comme un colis de contrebande. C’est peut-être juste. J’ai toujours regardé les honnêtes femmes comme la vieille garde, dans laquelle on n’était pas admis si on avait passé une seule fois par la salle de police. Eh bien ! je suis franche, je n’aurais pu entrer dans la vieille garde.
CHATILLON, à part.
Voilà des choses pénibles à entendre.
MIMI, se levant.
Ton monde ne veut pas de moi, et tu ne veux pas du mien ; entre ces deux mondes-là, je ne peux pourtant pas rester la larme à l’œil et le nez en l’air ! Là-dessus, avec ou sans toi, je sors, et je vais mettre mon chapeau.
CHATILLON.
Celui-là, je vous le défends. (Mimi sonne.) Qu’est-ce que vous faites ?
MIMI.
Je sonne Justine, ma femme de chambre, pour qu’elle me donne mon manteau.
CHATILLON.
Justine ne viendra pas ; je lui ai donné son compte ce matin.
MIMI.
Comment ! renvoyer Justine, qui me servait depuis si longtemps.
CHATILLON.
Depuis trop longtemps ; j’en ai pris une autre.
MIMI, passant à gauche.
Sait-elle coiffer, du moins ?
CHATILLON.
Elle ne sait rien, c’est pour ça que je l’ai choisie ; elle arrive des Vosges, et n’a jamais vu Paris.
JOSÉPHINE, entrant par la droite.
Qui qu’a sonné ?
Scène IX
MIMI, CHATILLON, JOSÉPHINE
CHATILLON, à Joséphine.
Approchez, ma fille... Voici votre nouvelle maîtresse.
JOSÉPHINE, passant près de Mimi et la saluant. Accent très campagnard.
Vot’ servante, madame... J’sommes pas de Paris, mais...
La reconnaissant.
Ah ! bah ! Tiens !...
MIMI, la reconnaissant, à part.
Joséphine !... une ancienne bonne !...
Bas.
Tais-toi !
CHATILLON, se retournant.
Qu’y a-t-il ?
MIMI.
Rien !
JOSÉPHINE.
Rien !... c’est un de mes pieds qu’a marché sur l’autre... j’ai manqué de m’étaler...
Riant d’un gros rire.
Hi ! hi !
CHATILLON.
Comme elle arrive bien des Vosges !
MIMI.
Ça se voit tout de suite !
CHATILLON, s’asseyant près de la table, à Joséphine, qui l’écoute avec onction.
Joséphine... ma fille, conservez toujours la simplicité de vos montagnes.
JOSÉPHINE.
Oui, m’sieu...
CHATILLON.
Restez candide et... bête.
JOSÉPHINE.
Oui, m’sieu...
MIMI, qui a fait ses efforts pour ne pas rire, éclate tout à coup.
Ah, ah, ah !
CHATILLON, avec colère, se levant.
Madame, c’est indécent ! vous démoralisez mes domestiques !
MIMI, riant toujours, et allant à Chatillon.
Ne te fâche pas !... Si tu savais comme vous êtes cocasses, tous les deux !...
CHATILLON.
Cocasse !... Toujours vos expressions !... Mais parlez donc comme tout le monde...
MIMI.
Ah ! tu m’ennuies !
JOSÉPHINE, à part.
Fait-il son fauteuil de l’Académie !
On entend jouer un air de clarinette en dehors.
MIMI, allant ouvrir la porte du fond.
Voilà mon orchestre qui m’arrive.
Elle fredonne les paroles de l’air que joue la flûte et fait des poses.
CHATILLON.
Tiens ! c’est gentil, ça !
Il fredonne aussi.
D’où est-ce tiré ?
MIMI.
C’est un air de mon répertoire du pré Catelan.
CHATILLON.
Hein ?
MIMI.
J’ai dansé ça en jupon court et en maillot... Ce soir-là les lorgnettes étaient hors de prix.
CHATILLON.
Mais je ne vous demande pas !
Courant à la fenêtre et criant au dehors.
Veux-tu te taire, animal ! Veux-tu te taire ?
MIMI.
Oh ! il reviendra demain... C’est un aveugle. Je lui fais cent sous de rente par mois pour venir tous les jours me flûter mon ancien répertoire...
CHATILLON.
C’est ce que nous verrons !... Mon chapeau !...
Très haut à Joséphine, qui ne bouge pas.
Mon chapeau !
JOSÉPHINE, faisant un soubresaut.
Ah ! mon Dieu !... Le voilà !
Elle le lui donne. Chatillon sort vivement par le fond. Joséphine le suit jusqu’à la porte, qu’elle ferme.
Scène X
MIMI, JOSÉPHINE
MIMI.
Nous sommes seules ?...
JOSÉPHINE, redescend.
Toutes seules !
MIMI.
Pourquoi es-tu en paysanne ?
JOSÉPHINE.
Pour me placer... Aujourd’hui on va prendre les femmes de chambre dans l’agriculture... Alors, je me suis attelée à un département... les Vosges.
MIMI.
Mais tu m’avais quittée, il y a cinq ans, pour te marier avec un pompier !
JOSÉPHINE.
Ah ! le pompier !... J’en suis bien revenue !... Ce n’est pas un homme sérieux... Nous nous sommes promenés pendant trois ans devant la mairie... il n’a jamais voulu y entrer, le gueux !... Est-ce qu’il vous plaît beaucoup ?
MIMI.
Qui ça ?
JOSÉPHINE.
Le Mohican qui sort d’ici ?
MIMI.
Si tu voulais t’exprimer autrement...
JOSÉPHINE.
Un monsieur qui veut que je lui remette toutes les lettres qui viendront pour vous !... Tiens ! ça me fait penser qu’en voilà une...
La lui remettant.
Voilà comme je te les remets, les lettres !
MIMI, ouvrant l’enveloppe.
Voyons ?... Une affiche de spectacle... et une lettre...
Vivement.
C’est de la mère Giffard, mon ancienne habilleuse.
JOSÉPHINE, qui a pris l’affiche.
Brave femme !... Quatre enfants et un mari... en voyage.
MIMI, parcourant la lettre.
Oh ! non ! c’est impossible !
JOSÉPHINE.
Quoi donc ?
MIMI.
Il y a trois mois... quand j’étais encore au théâtre... je lui avais promis de paraître dans une représentation à son bénéfice... cet été...
JOSÉPHINE.
Eh bien ?
MIMI.
L’époque est arrivée, la pauvre Giffard a compté sur moi... mais je ne peux plus maintenant... dans ma position.
À part.
Ah ! si c’était à refaire, comme j’enverrais Chatillon se... marier ailleurs !...
JOSÉPHINE, qui a déplié l’affiche.
Ah ! madame !...
MIMI.
Quoi ?
JOSÉPHINE.
Vous êtes affichée !
MIMI.
Ce n’est pas possible.
JOSÉPHINE.
En vedette, encore... Après tout... où est le mal ?... Ce n’est pas indécent de danser !
Elle remonte à gauche et pose l’affiche sur le canapé.
MIMI.
Il y a si longtemps... que je ne danse plus ! ça me ferait tant de plaisir de reparaître sur mon théâtre... pour une seule fois ! Mais non ! c’est de la folie ! Chatillon ne voudra jamais...
JOSÉPHINE.
Renvoyez-le donc à sa famille, ce Chinois-là.
MIMI.
Veux-tu bien te taire !
JOSÉPHINE.
Si vous connaissiez les petites instructions qu’il m’a données ?
MIMI.
Quelles instructions ?
JOSÉPHINE.
Il m’a chargée de vous surveiller.
MIMI.
Moi ?
JOSÉPHINE.
De lui rapporter ce que vous faites, ce que vous dites, ce que vous buvez, ce que vous mangez...
MIMI.
Ah ! mais, ça m’exaspère, à la fin ! Il y a assez longtemps que je me contrains, que je me casse les ailes dans sa cage ! Eh bien ! nous allons voir !
JOSÉPHINE.
À la bonne heure !
MIMI.
Ah ! il me fait suivre ! Il m’espionne ! Je brûle mes vaisseaux !... Il faut un éclat, nous l’aurons, et aujourd’hui, et tout de suite !
Elle va prendre un mantelet dans l’armoire, qu’elle laisse ouverte.
JOSÉPHINE.
Dare ! dare !
MIMI.
Je danserai !... Oui, j’arriverai encore à temps !
JOSÉPHINE.
C’est ça !
Ensemble.
Air des Deux Brigadiers.
MIMI.
De bonheur je perds la tête !
Plus de maître, de mari !
Il me faut un jour de fête,
Pour payer trois mois d’ennui !
JOSÉPHINE.
Je reste, pour tenir tête
À votre jaloux ici :
Qu’il enrage ! qu’il tempête !
Amusez-vous bien sans lui !
Mimi sort par la gauche.
Scène XI
JOSÉPHINE, puis GRANDMINET
JOSÉPHINE, seule.
Allons donc ! sans moi, elle se laissait crétiniser !
GRANDMINET, paraissant à la porte du fond avec un gros bouquet de tubéreuses.
Peut-on entrer ?
JOSÉPHINE, à part.
Tiens ! un vieux !
GRANDMINET, entrant.
Ma chère enfant... ta belle maîtresse est-elle chez elle ?
JOSÉPHINE.
Qu’est-ce que vous lui voulez ?
GRANDMINET.
Je suis venu pour lui faire agréer ce bouquet de tubéreuses... qui sent très fort.
JOSÉPHINE, sentant le bouquet.
Oh ! oui !
Elle recule à droite.
GRANDMINET, continuant.
Avec mes respectueux hommages... À propos, vous n’avez pas trouvé ma montre sur la table... il y a trois mois ?
JOSÉPHINE, lui tapant sur l’épaule.
Votre montre ?... Ah ! vieux farceur !...
GRANDMINET, à part.
Vieux farceur !
JOSÉPHINE.
Donnez-moi une prise.
GRANDMINET.
Mais je ne prise pas, mademoiselle !
JOSÉPHINE.
C’est égal... vous avez de la chance qu’il soit sorti.
GRANDMINET.
Qui ça ?
JOSÉPHINE.
L’ogre !
GRANDMINET.
L’ogre ?... Diable de bouquet !... Ta belle maîtresse a bien voulu me laisser espérer qu’elle accepterait le titre de dame patronnesse... Mon Dieu ! que ce bouquet sent fort ! pour le bal que nous donnons au profit de mon œuvre... Les ramoneurs... De plus, j’apporte...
JOSÉPHINE, à part.
Il veut me faire poser...
Haut.
À quoi bon tout ça ? Puisque je vous dis qu’il est sorti !
GRANDMINET.
Qui ça ?
JOSÉPHINE.
L’ogre !... Donnez-moi une prise ?...
GRANDMINET.
Mais puisque je ne prise pas ! Je demande madame Chatillon !
JOSÉPHINE.
Je ne sais pas si elle pourra vous recevoir... attendu qu’elle doit avoir déjà une jambe... dans son maillot...
GRANDMINET.
Comment ! son maillot !
On sonne à la porte extérieure.
JOSÉPHINE.
Chut !... on sonne !... que le bon Dieu vous bénisse !
Elle remonte.
GRANDMINET.
Quoi ?
JOSÉPHINE, redescendant à gauche.
Pincé !... Où diable vous fourrer ?
GRANDMINET.
Me fourrer ?
JOSÉPHINE.
Mais c’est lui !
GRANDMINET.
Qui ça ?
JOSÉPHINE.
L’ogre ! il vous mangerait ! Il mange tout le monde !... Tenez, entrez là !
Elle le pousse vers l’armoire.
GRANDMINET, hésitant.
Mais cependant... Mademoiselle... je ne comprends pas...
JOSÉPHINE.
Il est capable de vous tuer.
GRANDMINET.
Sapristi !
Il entre dans l’armoire avec son bouquet, Joséphine en ferme la porte. Chatillon entre par le fond.
Scène XII
CHATILLON, JOSÉPHINE, GRANDMINET, dans l’armoire
JOSÉPHINE, à part, collée contre l’armoire.
Il était temps !
CHATILLON, à part.
Je viens de faire un marché avec l’aveugle... Seize francs par mois... à la condition qu’il ne passera jamais dans ma rue !
À Joséphine.
Il n’est venu personne ?
JOSÉPHINE, accent campagnard.
Non, monsieur !
CHATILLON.
Pas de lettres ?
JOSÉPHINE.
Non, monsieur !
CHATILLON, reniflant.
Quelle drôle d’odeur !... ça sent la tubéreuse !
JOSÉPHINE.
Non, monsieur !
CHATILLON.
Comment, non !... Je te dis que ça sent la tubéreuse.
JOSÉPHINE, à part.
C’est cet animal avec son bouquet...
Haut.
C’est moi... c’est ma pommade...
CHATILLON.
Ah ! tu te pommades ?
À part.
Une paysanne !...
Haut, avec méfiance.
Approche !
JOSÉPHINE, s’approchant.
Voilà, monsieur !
CHATILLON, flairant ses cheveux.
Moelle de bœuf au rhum !... Tu mens !
GRANDMINET, entrouvrant l’armoire, à part.
Ces fleurs m’asphyxient... Si je pouvais me débarrasser de mon bouquet !...
Il referme.
CHATILLON.
Que fait Madame ?
JOSÉPHINE.
Madame ?
Avec aplomb.
Elle est au bain !
CHATILLON, à part.
Après dîner !... Si cette fille-là est des Vosges... je veux bien être pendu... Nous allons voir.
Haut.
Joséphine !
JOSÉPHINE.
Monsieur ?
CHATILLON, naturellement.
Je vais sortir... Donne-moi mon riflard !
Il remonte.
JOSÉPHINE, allant prendre le parapluie, près de la cheminée, et l’apportant.
Voilà, monsieur.
CHATILLON, prenant le parapluie.
Ah ! tu sais ce que c’est qu’un riflard ?... Tu n’es pas des Vosges... je te chasse !
JOSÉPHINE.
Eh bien ! non !... Je suis de Nanterre, là !
CHATILLON.
Va-t’en !
Il met le parapluie sur la table.
JOSÉPHINE.
Un instant ! Je ne suis pas à votre service... je suis au service de Mimi !... et c’est peut-être vous qui vous en irez !
CHATILLON.
Moi ?
JOSÉPHINE.
Monsieur veut savoir ce qu’on fait… ce qu’on devient ! Eh bien ! voulez-vous que je vous dise où elle est, Madame !
CHATILLON.
Où ?
JOSÉPHINE.
Au pré Catelan... elle danse !
CHATILLON.
Tu mens !
JOSÉPHINE, prenant l’affiche.
Voilà l’affiche !
CHATILLON.
Ma femme... affichée !...
JOSÉPHINE.
Et en vedette !...
CHATILLON, à lui-même.
Ma femme se donner en spectacle... en maillot... Ah ! c’est à se pendre !... c’est à la tuer !... Oh ! si j’avais une arme !
Fouillant dans sa poche.
Oh ! j’en ai une ! je tiens ma vengeance !
Il sort vivement par le fond.
Scène XIII
JOSÉPHINE, GRANDMINET, puis PIGEONNEAU
JOSÉPHINE.
Où va-t-il ? Qu’est-ce qu’il va faire ?
GRANDMINET.
Je n’entends plus rien... Mon Dieu ! que j’ai mal à la tête.
À Joséphine.
Est-il parti ?
JOSÉPHINE.
Oui.
GRANDMINET, se disposant à sortir.
Ah ! enfin !
On sonne à la porte extérieure.
JOSÉPHINE.
Écoutez !... c’est lui qui revient et il est enragé ! Rentrez ! rentrez !
Elle le repousse dans l’armoire qu’elle referme.
PIGEONNEAU, entrant par le fond.
Je viens de placer cinq billets...
JOSÉPHINE, à part, collée contre la porte de l’armoire.
Tiens ! ce n’est pas lui !
PIGEONNEAU.
Elle est très sourde, la locataire de Chatillon... Heureusement qu’elle a un filleul douanier... il ira avec ses amis... Tous en uniforme... Il sera drôle, ce concert-là ! y compris le nègre !
JOSÉPHINE, à Pigeonneau.
Que demande Monsieur ?
PIGEONNEAU.
Tiens ! une nouvelle bonne ! Bonjour la belle !... Je viens chercher mon paletot.
Il remonte.
JOSÉPHINE, passant à gauche.
Comment !...
À part.
L’un sa montre... l’autre son paletot... Ils oublient tout...
PIGEONNEAU, cherchant.
Eh bien ! où est-il donc ? Je l’avais mis là... Un paletot gris...
JOSÉPHINE.
Un paletot gris... attendez donc ! Tout à l’heure, il y a un monsieur qui est sorti... dedans...
PIGEONNEAU.
Eh bien ! il n’est pas gêné !
JOSÉPHINE.
Ah ! si !... le paletot ne lui allait pas du tout. François m’a dit qu’il s’appelait Bourgifflé.
PIGEONNEAU, à part.
Sacrebleu ! Et la lettre de sa femme qui est dedans !...
À Joséphine.
A-t-il fouillé dans les poches ?
JOSÉPHINE.
Je n’en sais rien.
PIGEONNEAU, à part.
Nom d’un petit bonhomme !... Il faut que je le rattrape.
À Joséphine.
De quel côté a-t-il tourné ? À gauche ou à droite ?
JOSÉPHINE.
Ça, je ne pourrais pas vous dire...
PIGEONNEAU.
Je ne pourrais pas vous dire... Brute !
Il sort vivement par le fond.
Scène XIV
JOSÉPHINE, GRANDMINET, puis MIMI
JOSÉPHINE.
Brute !...
Courant à la porte.
Brute vous-même !...
GRANDMINET, entrouvrant l’armoire.
Je n’y tiens plus... Je suis dans un bain de tubéreuse !
On sonne à la porte extérieure.
JOSÉPHINE.
On sonne !
Courant à l’armoire.
Vite ! rentrez !...
Elle ferme vivement la porte.
MIMI, venant de la gauche chargée de bouquets.
Ah ! Joséphine ! quel succès !
JOSÉPHINE.
Tiens ! Madame !
MIMI.
On m’a rappelée trois fois !... et des fleurs ! ma chère !... une vraie pluie !... Ah ! que le public est donc gentil... quand il veut !... Il y a pourtant un monsieur qui a sifflé... un seul !
JOSÉPHINE, qui a reçu les bouquets dans son tablier. —
Ah !
MIMI.
On l’a jeté à la porte... j’ai cru qu’on allait l’assommer ! Qui ça peut-il être ?
Scène XV
MIMI, CHATILLON, JOSÉPHINE, GRANDMINET, dans l’armoire
CHATILLON, entrant par le fond, son habit déchiré, et sans chapeau.
Ah ! les gueux !... les gredins !... À bas la claque !
Joséphine pose les bouquets sur la console du fond à droite.
MIMI.
Qu’avez-vous donc ?
CHATILLON.
Je viens de votre théâtre, madame...
Tirant une grosse clef.
Avec ceci.
MIMI.
Comment ! c’est vous ?... Ah ! ah ! ah !
Elle éclate de rire.
CHATILLON.
Ils m’ont emporté, déchiré, bousculé... j’ai perdu mon chapeau...
JOSÉPHINE.
C’est bien fait !... À la porte la cabale !
MIMI, riant.
Ah ! ah ! que tu es drôle comme ça.
CHATILLON.
Vous riez ?...
À Joséphine qui rit.
Tu ris aussi, toi ?...
On entend des gémissements dans l’armoire.
Qu’est-ce que c’est que ça ?
MIMI.
On geint là-dedans !
JOSÉPHINE.
Je ne sais pas !
Elle va se coller contre la porte de l’armoire.
CHATILLON, ouvrant l’armoire, après avoir éloigné Joséphine, et recevant Grandminet dans ses bras.
Grandminet !
GRANDMINET.
Ah ! de l’air ! de l’air ! Merci, mon Dieu !
CHATILLON, le secouant.
Que faisiez-vous là ?... dans cette armoire ?
GRANDMINET, tombant assis sur la table.
Je n’en sais rien ! C’est la faute de mon comité... je voulais des camélias... ça ne sent rien... Ils ont voté des tubéreuses par économie !
CHATILLON.
Quoi ? qui ?
GRANDMINET, ahuri.
Je n’en sais rien !
CHATILLON.
À la fin, que demandez-vous ?
GRANDMINET, cherchant à se rappeler.
Moi ?... Attendez... pourquoi donc suis-je venu ?
CHATILLON.
Pour m’apporter vos cent louis, sans doute... notre pari...
GRANDMINET, se levant vivement.
Non ! ce n’est pas pour ça !
CHATILLON.
Car nous sommes mariés.
MIMI.
Malheureusement !
CHATILLON.
Allons ! passez à la caisse !
GRANDMINET.
Un instant ! Je suis un ancien notaire ! Je ne paye pas comme ça !... Où est votre acte de mariage ?
CHATILLON.
Nous nous sommes mariés à Londres, devant le ministre...
MIMI.
Et aux chandelles ! sans témoins... entre onze heures et minuit.
GRANDMINET.
Sans témoins ! Et les publications ? Et la transcription ?
CHATILLON.
Connais pas !
GRANDMINET.
Eh bien ! Et le Code Napoléon ! qu’est-ce que vous en faites ? Monsieur, il n’y a que les escargots qui se marient comme ça !
CHATILLON.
Hein ?
MIMI.
Qu’est-ce qu’il chante ?
GRANDMINET.
La loi est formelle.
Déclamant.
« Nul escargot ne peut... »
Se reprenant.
« Nul ne peut réclamer le titre d’époux s’il ne présente un acte de célébration inscrit sur le registre de l’état civil. – Article 194... » Où est-il, votre acte de célébration ? dans les brouillards de la Tamise !... Donc, vous me devez cent louis...
Passant près de Mimi.
Car le mariage est nul !...
CHATILLON, avec joie.
Nul ! Ah ! Mimi !
MIMI, de même.
Nul ? Ah ! Arthur !...
Tous deux se mettent à chanter et à danser autour de Grandminet.
GRANDMINET, ébahi et repassant à droite.
Ah ! bah... Voilà ce que j’appelle une séparation aimable !
Bourgifflé et Pigeonneau entrent par le fond.
Scène XVI
MIMI, CHATILLON, JOSÉPHINE, GRANDMINET, PIGEONNEAU et BOURGIFFLÉ
Pigeonneau a repris son paletot.
CHATILLON, courant à Pigeonneau.
Ah ! Pigeonneau ! grande nouvelle, mon ami, je suis redevenu garçon.
MIMI, à Bourgifflé.
Et moi je suis redevenue... Mimi.
PIGEONNEAU.
Bah !... Et votre mariage ?...
GRANDMINET.
De toute nullité.
MIMI.
Contrebande anglaise, vingt et unième arrondissement. Puisque je suis libre, je reprends le théâtre. J’irai en représentation à Bordeaux !
JOSÉPHINE.
Avec moi ?...
PIGEONNEAU, à Chatillon.
Tiens !... je m’en vais aussi !... Je pars pour Zurich avec mon ami Bourgifflé.
CHATILLON.
Hein ?
BOURGIFFLÉ, avec intention.
Et avec Galatée. Oui, nous allons à Zurich, comme Venceslas.
PIGEONNEAU, bas à Chatillon.
Est-il bête ! Il me paye la Suisse.
CHATILLON, las.
Hum !... Défie-toi de Zurich.
PIGEONNEAU.
Allons donc !...
Il remonte et passe près de Bourgifflé.
MIMI, à Joséphine.
Allons faire mes malles.
Elle passe près de Chatillon.
CHATILLON.
Dis donc, Mimi, est-ce que nous allons nous quitter comme ça ?
La regardant avec amour.
C’est drôle, comme tu me parais gentille depuis...
MIMI.
Depuis que je ne suis plus ta femme.
CHATILLON.
Quand pars-tu pour Bordeaux ?
MIMI.
Ce soir.
CHATILLON.
Et moi, demain matin.
MIMI.
Comment ?
CHATILLON.
Je t’ai sifflée ici... et ça me fera plaisir d’aller t’applaudir là-bas...
MIMI, riant.
Toi ?...
À elle-même.
Dieu ! que les hommes sont drôles !...
À Chatillon.
Dis donc, pour aller à Bordeaux il était inutile de passer par Londres.
CHŒUR FINAL.
Air final des Comédiens.
Oublions notre/Oubliez votre mariage,
Et ne pensons/pensez plus qu’à partir,
Nous ferons/Vous ferez gaîment le voyage ;
Là-bas nous/vous attend le plaisir.