Notice sur Alexandre le Grand de Racine (Paul MESNARD)
Œuvres de J. Racine, revue sur les plus anciennes impressions et les autographes et augmentée de morceaux inédits, des variantes, de notices, de notes, d’un lexique des mots et locutions remarquables, d’un portrait, de fac-similé, etc. Paris, Librairie de L. Hachette et Cie.
Racine entrait avec ardeur dans la carrière qu’un premier succès lui avait ouverte. Quelques mois seulement après que la Thébaïde avait paru sur la scène, une seconde tragédie était presque achevée. Au commencement de l’année 1665, à l’hôtel de Nevers, le jeune poète lisait trois actes et demi de sa pièce nouvelle. Boileau était là ; il était venu réciter ses satires ; et les applaudissements furent partagés entre les deux amis, qui, déjà très étroitement liés, s’étaient sans doute prêté pour ces ouvrages nouveaux le mutuel secours de leurs conseils. Ils trouvèrent dans la brillante assemblée réunie chez Mme du Plessis-Guénégaud des approbateurs tels que plus tard Boileau, dans son épître à Racine, en souhaitait à ses vers et à ceux de son ami, un auditoire qui, digne de les entendre, se laissât, comme il le disait, pénétrer à leurs traits délicats. Parmi ceux qui eurent ainsi les prémices de l’Alexandre inachevé étaient la Rochefoucauld, Pompone, nommés tous deux comme des arbitres du bon goût dans le passage de l’Épître VII, que nous venons de rappeler, Mme de la Fayette, Mme et Mlle de Sévigné. Pompone[1], qui est ici notre témoin, jugea que la Comédie de Porus (c’est ainsi qu’il nomme la nouvelle tragédie de Racine) « était assurément d’une fort grande beauté. » Un suffrage donné d’une manière si décisive, au sortir d’un cercle dont le jugement faisait loi, doit être regardé comme le suffrage de tous ceux qui assistèrent alors à la lecture de l’Alexandre.
La pièce, ainsi applaudie et vantée d’avance par de si bons juges, était attendue par le public avec impatience ; on en prédisait le brillant succès. Quelques jours avant la première représentation, Subligny, dans sa gazette rimée[2] du 29 novembre
1665, s’exprimait ainsi :
Si bientôt le Grand Alexandre,
Ouvrage, dit-on, sans égal,
Ne se joue au Palais-Royal,
Je crains pour se trop faire attendre
Que ce héros s’en trouve mal.
Le poète, dont l’ouvrage excitait une telle attente et allait paraître au milieu de préventions si favorables, en devait donc regarder le triomphe comme assuré.
Le vendredi 4 décembre 1665 fut le jour de l’épreuve. La troupe de Molière donna ce jour-là, pour la première fois[3], la seconde tragédie de Racine, dont le titre n’était pas celui que nous trouvons dans la lettre de Pompone, mais au lieu de Porus, Alexandre le Grand[4]. L’assemblée était brillante. Monsieur, frère du Roi, et Madame (Henriette d’Angleterre), le grand Condé, le duc d’Enghien, son fils, Anne de Gonzague, princesse palatine, y assistaient. Nous devons ces renseignements à la Muse de la cour du 7 décembre de cette année. Subligny, dans cette gazette en vers, écrivait trois jours après la première représentation :
Le vendredi leurs Altesses royales
Virent dans leur Palais-Royal
Représenter enfin l’ouvrage sans égal
D’une des plumes sans égales.
Alexandre a parlé devant nos conquérants...
Un des foudres de notre Prince,
L’intrépide Condé, qui lui doit faire un jour
De cent pays une seule province,
Dont il verra grossir sa cour,
Dans cette valeur ancienne
A vu le crayon de la sienne.
D’Anguien y remarqua des exemples pour lui.
Cent jeunes guerriers d’aujourd’hui
Y prirent de nobles idées...
Cent beautés furent voir cette pièce divine,
Et si mes yeux ne me trompèrent pas,
J’y vis une âme et délicate et fine
Sous les majestueux appas
De la princesse Palatine.
Si l’on s’en rapporte au même Subligny, tout aurait été admirable, le jeu des acteurs, comme la pièce. Le poète, ce qui est assez piquant, lui parut un héros ; c’est ainsi que plus tard les tendres sentiments des tragédies qui suivirent devaient faire passer Racine pour un parfait amant.
Tous les acteurs faisaient un jeu
Que toute la cour idolâtre.
Jamais tragédie au théâtre
Ne pourra faire un plus beau feu.
Il faut que son auteur soit homme de courage :
On le voyait dépeint dans chaque personnage ;
Ses sentiments y sont hardis ;
Et surtout l’on y fut surpris
De voir le roi Porus, à qui tout autre cède,
Y pousser la fierté de l’air d’un Nicomède.
Mais si l’autorité de ce témoin oculaire est infaillible, quand il nous nomme les spectateurs, nous ne devons pas aussi facilement accepter ses jugements, surtout sur l’excellence des comédiens, dont l’éloge, dans les gazettes du temps, est toujours banal. Il est difficile de croire que dans cette représentation tout ait réussi à souhait, puisque deux semaines seulement après, le vendredi 18 décembre, l’Alexandre se montrait sur une nouvelle scène, à l’Hôtel de Bourgogne.
Louis Racine, dans ses Mémoires, ne donne pas les dates, mais rapporte le fait à peu près exactement : « l’Alexandre, dit-il, fut joué d’abord par la troupe de Molière ; mais l’auteur, mécontent des acteurs, leur retira sa pièce, et la donna aux comédiens de l’Hôtel de Bourgogne. » Racine ne retira pas sa pièce aux acteurs du Palais-Royal, qui après le 18 décembre la jouèrent encore trois fois, le 20, le 22 et le 27 décembre. À ce détail près, Louis Racine avait raison contre les frères Parfait. Ceux-ci, dans leur Histoire du Théâtre français[5], avaient avancé que la tragédie d’Alexandre fut jouée pour la première fois, le même jour, sur les deux théâtres. Ils s’appuyaient sur l’autorité de la gazette rimée de Robinet, qui, dans sa lettre du 27 décembre 1665, avait dit :
...Le fameux Alexandre
Paraît, comme on sait, à la fois
Sur nos deux théâtres français.
De l’auteur admirez l’adresse ;
Car pour ce vainqueur de la Grèce
Ce n’est pas trop de ces deux lieux.
Dans la préface de leur tome XIII, ils soutinrent que Louis Racine se trompait, et qu’eux seuls avaient été historiens exacts ; mais ils avaient mal interprété les vers de Robinet, dont on ne peut rien induire, sinon la représentation simultanée de l’Alexandre au Palais-Royal et à l’Hôtel de Bourgogne, au moment où le gazetier écrivait. Il ne reste aucun doute sur leur erreur, après les citations que nous avons faites de la Muse de la cour et du registre de la Grange. Ce même registre constate en ces termes la défection de Racine et le mécontentement de la troupe de Molière : « Ce même jour (le 18 décembre, jour de la sixième représentation d’Alexandre au Palais-Royal), ce même jour la troupe fut surprise que la même pièce d’Alexandre fût jouée sur le théâtre de l’Hôtel de Bourgogne. Comme la chose s’était faite de complot avec M. Racine, la troupe ne crut pas devoir les parts d’auteur audit M. Racine, qui en usait si mal que d’avoir donné et fait apprendre la pièce aux autres comédiens. »
Plus d’un écrivain, de nos jours même, a épousé la querelle des comédiens du Palais-Royal, et s’est engagé dans leur ressentiment. On a accusé Racine d’ingratitude envers Molière, en rappelant les cent louis prêtés ou donnés. L’anecdote des cent louis ne nous paraît pas assez prouvée. On a vu aussi, dans notre Notice sur la Thébaïde que les encouragements et les conseils que Racine aurait reçus de Molière, quand il composa cette pièce, sont loin d’être un fait littéraire bien démontré. Quoi qu’il en soit, le refroidissement qui s’ensuivit entre deux grands poètes, qui jusque-là avaient été amis, est assurément fâcheux ; et puisque la troupe du Palais-Royal fut surprise de la concurrence qu’on lui faisait, Racine paraît avoir eu tout au moins un tort : ce fut de porter sa tragédie à un autre théâtre secrètement et sans en avertir ceux qui avaient accueilli son premier essai. Molière fut regardé comme trahi ; et son noble caractère, en intéressant pour lui la postérité, l’a rendue sévère pour Racine. Sans prétendre excuser entièrement celui-ci, il faut reconnaître qu’un jeune auteur, avide de gloire et qui sentait ses forces, devait souffrir impatiemment d’être mal joué. Il croyait sans doute qu’un poète a sur les œuvres de son esprit des droits que nul ne peut confisquer à son profit[6]. L’ardeur qui l’entraînait vers les succès de la scène lui avait fait rompre des liens bien plus chers que ceux qui l’attachaient à Molière. Une ingratitude sans doute n’est pas justifiée par une ingratitude plus évidente encore et plus affligeante. Mais si l’on n’a point le courage de regretter que le poète, qui portait en lui tant de chefs-d’œuvre et en avait le pressentiment, ait passé par-dessus l’obstacle de Port-Royal, il ne faut peut-être pas trop se scandaliser d’une rupture avec Molière, par laquelle il croyait échapper à de trop faibles interprètes, et sauver sa renommée compromise. L’égoïsme d’un grand talent n’est pas le beau idéal ; il ne faut pas le louer, mais y compatir quelque peu comme à une tentation bien puissante.
Lorsque Racine, avec sa tragédie d’Alexandre, passa à l’ennemi, sa désertion ne fut certainement pas un caprice. Il serait difficile de prendre à la lettre ce qui a été dit, que la pièce tomba à la première représentation ; car aux seconde, troisième et quatrième, les recettes se soutiennent bien[7]. Mais, faiblement jouée, elle ne fit pas tout l’effet sur lequel il avait été juste de compter. Si elle n’eût pas été mise en danger par des acteurs insuffisants, comment expliquerait-on que Racine se fût si fort hâté de la porter à un autre théâtre ? Il faut bien qu’il se soit décidé à ce divorce dès le lendemain de la première représentation ; car du 5 décembre au 18 les comédiens de l’Hôtel de Bourgogne n’eurent pas trop de temps pour distribuer et apprendre les rôles. Mais nous avons tort de dire du 5 au 18. La troupe royale, ce dont le registre de la Grange ne parle pas, avait joué l’Alexandre dès le 14, non pas, il est vrai, à l’Hôtel, mais chez la comtesse d’Armagnac, devant le Roi.
Cette représentation, donnée dix jours seulement après la première du théâtre de Molière, est un fait curieux et qu’on n’avait pas remarqué jusqu’ici. Nous l’avons trouvé d’abord constaté par Subligny. La Muse de la cour, à la date du 20 décembre 1665, après avoir mentionné le souper que le duc de Montausier donna à la Reine le lundi 14 décembre, ajoute :
Sa Majesté, Monsieur, Madame,
Le même soir soupèrent tous
Chez une autre adorable femme
Dont l’illustre Armagnac est le charmant époux.
Grand festin, bal et comédie...
On y vit le Grand Alexandre
Représenté par Floridor ;
Et nommer cet acteur, qui vaut son pesant d’or,
C’est dire encore assez qu’on se plut à l’entendre.
Floridor, qui passait pour le meilleur acteur de son temps, était, comme on sait, de la troupe de l’Hôtel, où il joua bientôt après ce même rôle d’Alexandre. La Gazette de France du 19 décembre 1665 confirme le témoignage de Subligny : « Le 14 décembre la comtesse d’Armagnac traita le Roi à souper avec toute la magnificence possible. Ce superbe festin, où étaient aussi Monsieur et Madame, avait été précédé de la représentation du Grand Alexandre par la troupe royale, et suivi d’un bal. » Pourquoi donc, après la représentation du 14, les acteurs du Palais-Royal se montrèrent-ils si fort surpris de celle du 18 à l’Hôtel de Bourgogne ? Pourquoi seulement alors crièrent-ils à la trahison ? Ignoraient-ils que l’Alexandre avait déjà été joué chez Mme d’Armagnac par les comédiens du Roi ? Ou serait-ce que ceux-ci ne violaient ni un droit ni un usage, tant qu’ils ne le représentaient que hors de chez eux ? et les autres comédiens étaient-ils encore autorisés à penser que Racine était étranger jusque-là à la concurrence qu’on leur faisait ? Devons-nous plutôt penser qu’ils n’avaient osé se plaindre, quand cette plainte eût été la critique d’une fête donnée au Roi ? Pour répondre à ces questions, il faudrait mieux connaître que nous ne le pouvons aujourd’hui, les coutumes du théâtre d’alors. Si l’on ne croit pas impossible qu’en vertu d’un privilège de leur troupe royale, les comédiens de l’Hôtel aient eu le droit de représenter l’Alexandre devant le Roi, même sans le consentement de l’auteur, ce fut seulement peut-être après avoir été informé de leur succès que Racine, mécontent du jeu de l’autre troupe, se décida à faire jouer par eux sa tragédie. Quoi qu’il en soit, c’eût été à eux tout d’abord qu’il l’eût confiée, s’il eût suivi les conseils de quelques amis. Brossette nous l’apprend dans sa note sur le vers 185 de la satire III de Boileau : « Quand M. Racine eut fait sa tragédie d’Alexandre le Grand, l’abbé de Bernay[8], chez qui il demeurait, souhaita qu’elle fût représentée par les comédiens de l’Hôtel de Bourgogne ; et M. Racine voulait que ce fût par la troupe de Molière. Comme ils étaient en grande contestation là-dessus, M. Despréaux intervint, et décida par une plaisanterie, disant qu’il n’y avait plus de bons acteurs à l’Hôtel de Bourgogne : qu’à la vérité il y avait encore le plus habile moucheur de chandelles qui fût au monde, et que cela pouvait bien contribuer au succès d’une pièce. Cette plaisanterie seule fit revenir l’abbé de Bernay, qui était d’ailleurs très obstiné ; et la pièce fut donnée à la troupe de Molière. » Boileau ne jugeait peut-être si sévèrement l’Hôtel de Bourgogne que pour rendre un bon office à Molière, son ami ; et Racine se fût-il laissé persuader si facilement par un badinage, s’il ne l’eût ainsi interprété, et s’il n’eût, de son côté, obéi à un scrupule de son amitié pour Molière ? Mais il eut bientôt de fortes raisons de revenir à l’avis qu’il avait d’abord repoussé. Monchesnay, dans son Bolæana, dit que la pièce « fut jouée trop lâchement » au Palais-Royal, et que les conseils des amis de Racine le décidèrent à la confier aux grands comédiens, chez qui « elle eut en effet tout le succès quelle méritait[9]. » Le tort que la faiblesse de la troupe de Molière fit à la représentation d’Alexandre est attesté par un autre recueil d’anecdotes, plus ancien que celui de Monchesnay, et qui fut composé et publié du vivant même de Racine, dans le Furetiriana[10]. Le récit que nous trouvons dans ce petit livre est d’une forme assez piquante pour qu’il mérite d’être cité. Un monsieur de***, conduit par un prince à un sermon, refuse d’abord d’en porter un jugement. « Il se défendit de dire son sentiment, en disant qu’il avait été fort distrait au sermon par les exclamations que faisait de temps en temps un jeune ecclésiastique, appuyé contre un pilier... Cet homme, ajouta-t-il, faisait des postures de désespéré, en s’écriant : « Ô Monsieur Racine ! ô Monsieur Racine ! – Pourquoi faisait-il cela ? dit le prince. – C’est, répondit M. de ***, ce que je lui ai demandé lorsque le sermon a été fini. – Quoi ! Monsieur, m’a dit cet ecclésiastique, vous ne savez pas ce qui arriva à M. Racine au sujet de sa pièce d’Alexandre, qui est un ouvrage achevé ? Ses amis l’avaient tous assuré de la bonté de sa pièce : ils avaient raison. Lui, sur cette confiance, la met dans les mains de la troupe de Molière. Qu’arriva-t-il ? Cette pièce si belle tomba à la première représentation. M. Racine, au désespoir d’un si mauvais succès, s’en prend à ses amis qui lui en avaient donné une si bonne opinion. À cela les amis répondent : Votre pièce est excellente ; mais vous la donnez à jouer à une troupe qui ne sait jouer que le comique... Donnez-la à l’Hôtel de Bourgogne, vous verrez quel succès elle aura. » Ce conseil fut suivi, et cette pièce lui donna une grande réputation. « Voilà, continua cet homme, ce qui m’est arrivé. J’avais composé ce sermon que vous venez d’entendre. C’est, au dire des connaisseurs, une pièce achevée ; cependant je l’ai donné à déclamer à ce bourreau ; voyez quel effet cela produit dans sa bouche... Mais je ferai connue M. Racine ; je lui ôterai mon sermon, et je le ferai prêcher par quelqu’un qui s’en acquittera mieux que lui. »
Voici quels furent, au Palais-Royal, les malheureux comédiens, que le Furetiriana compare au mauvais prédicateur.
La Grange joua Alexandre ; la Thorillière, Porus ; Hubert[11],
Taxile ; Mlle du Parc, Axiane ; Mlle Molière, Cléofile ; du Croisy, Éphestion. Cette distribution des rôles est indiquée dans la gazette en vers de Robinet[12], qui avait assisté à la représentation du dimanche 20 décembre, et en rend compte dans sa lettre du 27. Il paraît avoir trouvé cette représentation très brillante : mais ce qu’il y loue surtout, c’est la beauté des deux comédiennes et la richesse de leur parure. Il ne dit rien de leur talent ni de celui des comédiens. Et cependant il conclut ainsi :
...Il est difficile
De pouvoir rien trouver de tel,
Si ce n’est peut-être à l’Hôtel.
C’est du reste une habitude chez lui de dire tous les acteurs admirables.
Il semble qu’au Palais-Royal un rôle au moins de la pièce fut bien rempli, celui d’Axiane. Mlle du Parc était la meilleure actrice de la troupe de Molière. Peut-être, il est vrai, avait-elle conquis la faveur du public par sa beauté et par ses grâces, plus que par la perfection de son jeu : c’est la réputation qu’elle a laissée. Quelle qu’ait été la cause de son succès dans l’Alexandre, les frères Parfait le constatent[13], et disent que Racine charmé forma dès lors le dessein de la faire passer à l’Hôtel de Bourgogne.
Les comédiens de l’Hôtel avaient, dans la tragédie, suivant les témoignages que nous avons déjà cités, une bien plus grande célébrité que leurs rivaux. Sur leur théâtre, le rôle d’Alexandre fut rempli par Floridor ; celui d’Axiane par Mlle des Œillets, beaucoup moins belle, il est vrai, que Mlle du Parc, et de petite taille, mais qui cependant excellait dans les grands rôles d’héroïnes[14], et plaisait par le naturel de son jeu et par le goût et l’art de son ajustement[15]. Dans cette occasion, elle paraît avoir lutté de magnificence avec l’Axiane et la Cléofile du Palais-Royal[16]. Montfleury fit le personnage de Porus ; Mlle d’Ennebaut celui de Cléofile ; Brécourt, qui avait quitté en 1664 la troupe de Molière, fut chargé du rôle de Taxile ; Hauteroche de celui d’Éphestion. Cette distribution des rôles est certaine ; c’est encore le témoignage contemporain du gazetier burlesque Robinet[17] qui nous la fait connaître.
L’Hôtel de Bourgogne fut bientôt seul à jouer l’Alexandre, qui ne reparut plus au Palais-Royal après la représentation du 27 décembre 1665. Chez les heureux concurrents de la troupe de Molière le succès de la nouvelle tragédie fut certainement très grand et ne dut pas s’épuiser promptement[18]. Après la réunion des deux troupes, nous trouvons, dans le registre de la Grange, qu’elle n’était pas encore déchue de la faveur publique, et qu’elle fut jouée assez souvent sur le théâtre de Guénégaud. En 1682 elle eut sept représentations : deux en 1683, trois en 1684, trois en 1685, année au milieu de laquelle s’arrête le registre.
Sur ces quinze représentations, quatre furent données devant la cour, à Versailles ou à Saint-Germain[19]. Louis XIV aimait sans doute à voir cette pièce, dont le galant héros semblait avoir été fait à sa ressemblance, et dont il avait accepté l’adroite et flatteuse dédicace. D’autres suffrages très glorieux s’étaient joints au suffrage royal. Racine, dans la plus ancienne des deux préfaces de d’Alexandre[20], dit que « les premières personnes de la terre et les Alexandres du siècle s’étaient hautement déclarés pour cette tragédie. » Ces Alexandres du siècle étaient, sans parler du Roi lui-même, Monsieur, frère du Roi, le grand Condé, et quelques autres sans doute parmi les « cent jeunes guerriers » qui, au témoignage de Subligny, assistèrent à la première représentation.
Si l’Alexandre trouva les plus puissants appuis et les plus hautes approbations, il eut en même temps affaire à des censeurs très sévères, et même, comme nous l’apprend l’auteur, à des brigues jalouses. Racine combat, avec une âpreté très mordante, dans sa première préface, l’injustice de cette cabale ; car il avait alors, au plus haut degré, l’humeur irritable d’un poète et d’un jeune homme, et il était, pour repousser les critiques, bien armé de redoutable ironie et de vivacité dans la riposte.
Comment s’était déchaîné l’orage auquel il dut tenir tête ? Une renommée qui grandissait ne pouvait manquer de chagriner bien des envieux. Sans doute aussi le zèle imprudent des amis du jeune poète irrita bien des personnes qui n’étaient pas disposées à la malveillance. On voulut dans le triomphe de ce talent naissant, et qui n’en était encore qu’aux promesses, ensevelir la gloire vieillie de Corneille. Les admirateurs du grand poète regardèrent avec inquiétude, et s’indignèrent. Avant la représentation de sa pièce, Racine, avec une juste déférence, et le désir d’obtenir le suffrage et les encouragements de son illustre devancier, était allé le trouver, et avait soumis l’Alexandre à son jugement. Après que le jeune poète eut achevé la lecture de sa pièce, Corneille lui donna beaucoup de louanges, mais apparemment sur l’élégance de la versification ; car à ses éloges il ajouta le conseil d’appliquer son talent à tout autre genre de poésie, l’assurant qu’il n’était pas propre à la poésie dramatique. Tel est le récit que fait Valincour dans sa lettre à l’abbé d’Olivet[21], et qu’il dit tenir de Racine lui-même. Il ajoute que si Corneille parlait ainsi, c’est qu’il pensait ce qu’il disait ; car il était incapable d’une basse jalousie. On peut dire aussi justement que Racine n’était pas capable de la basse rancune et de la sotte vanité d’un Oronte. Mais les passions ont bien des degrés. Ce qu’elles ont de plus vil, ou seulement de plus mesquin, ne doit sans doute pas être soupçonné dans les grands esprits et les nobles âmes. N’oublions pas cependant que nul n’échappe entièrement aux faiblesses de l’amour-propre,
Et que dans tous les cœurs il est toujours de l’homme.
Nous ne croyons faire injure ni à Corneille ni à Racine en nous figurant qu’en cette circonstance le premier était, à son insu, peu disposé à l’indulgence, à l’équité même, et que le second fut blessé par une manifeste injustice. Corneille avait la défiance inquiète et chagrine du génie et de la gloire déjà menacés du déclin ; Racine, la confiance superbe d’un jeune talent qui se sent grandir. Ajoutons que la différence des esprits, la diversité des dons naturels était entre les deux poètes une cause de mésintelligence. Pour Corneille, la tragédie habitait la région du sublime ; elle aimait à parler une langue mâle, énergique, pleine de grandeur, non sans quelque emphase ; les sentiments héroïques en étaient la véritable inspiration. Il devait lui paraître, en écoutant la lecture de l’Alexandre, que les efforts de Racine pour le suivre dans cette voie n’atteindraient pas au but, et qu’il ne serait jamais un vrai poète tragique, parce qu’il ne serait pas Corneille. Racine, de son côté, tout en se faisant encore une fois, et plus décidément peut-être que dans la Thébaïde, le disciple du vieux maître, avait entrevu dès lors une nouvelle forme de l’art, quelque chose de plus souple, de moins inégal, de plus pur, d’une vérité plus humaine et plus touchante ; et sa conscience lui disait que, sans être Corneille, il pouvait se créer, dans la tragédie, un empire à côté du sien. La rencontre de ces deux beaux génies le jour où l’Alexandre fut lu à Corneille annonça donc qu’une lutte allait s’engager, et malheureusement ne ressembla pas beaucoup à la rencontre de Térence et du vieux Cécile applaudissant l’Andrienne. Il était visible que le conflit ne serait pas seulement entre deux auteurs, mais entre deux générations : l’une plus fière, plus libre, plus émue par les grands sentiments, mieux faite pour comprendre le poète qui lui parlait, avec l’accent de l’ancienne Rome, la langue de la politique, prête d’ailleurs à se roidir contre tout ce qui venait dérouter ses vieilles admirations ; l’autre, dans une langue si correcte, si sage, si élégante, si harmonieuse, dans une poésie d’un si doux éclat, d’une si pompeuse majesté, reconnaissant mieux ses nouvelles mœurs, sa politesse raffinée, sa société paisiblement ordonnée et toute monarchique, sa dignité sereine, sa galanterie, sa cour et son roi. Il y a dans tout cela une explication suffisante de la rivalité qui commençait, et que rendait inévitable la force même des choses.
Nous ne connaissons pas toutes les critiques auxquelles l’Alexandre fut en butte dès son apparition, et que Racine repoussa si vivement dans sa première préface. Cette préface ayant été imprimée quelques semaines après la première représentation, il est probable que la plupart de ces critiques n’avaient pas encore été écrites, mais s’étaient seulement répandues dans les entretiens. Nous ne pouvons citer de cette date que les Lettres en vers de Robinet[22], où se trouvent quelques épigrammes contre la galanterie déplacée d’Alexandre[23], et contre le rôle de Porus[24], qui, aux yeux du rimeur, a le tort d’éclipser de sa grandeur celle du héros de la pièce. Mais un tel censeur, s’il n’eût été l’écho d’un parti nombreux, n’était pas digne de la colère de Racine.
Les partisans de Corneille trouvèrent bientôt un plus redoutable interprète ; mais ce fut seulement après l’impression de l’Alexandre. Saint-Évremond, dans son exil, s’était fait envoyer la nouvelle tragédie. Il la critiqua dans une dissertation adressée à une dame[25], mais destinée à passer de main en main. Cet écrit, d’un ton modéré et courtois, souvent juste, quoique sévère, dans ses observations, dut frapper Racine ; il s’en souvenait sans doute en composant sa seconde préface, où il répond, avec calme cette fois, aux objections qui lui ont été faites. La Dissertation sur l’Alexandre, sous la forme où nous l’avons aujourd’hui, dut être envoyée par Saint-Évremond au comte de Lionne vers le mois de février 1668 ; mais elle avait circulé plus tôt que cela ; et très probablement elle était d’abord d’une sévérité beaucoup moins atténuée. Dans sa lettre au comte de Lionne[26], qui paraît être de la date que nous venons d’indiquer, Saint-Évremond dit : « Je vous envoyerai aussi la Dissertation sur l’Alexandre, à mon avis beaucoup plus raisonnable que vous ne l’avez. » Dans une autre lettre au même correspondant[27], il s’était plaint de l’indiscrétion de Mme Bourneau, qui lui avait fait « un très méchant tour de montrer un sentiment confus qu’il lui avait envoyé sur l’Alexandre » en lui recommandant de ne le faire voir à personne, et avant de s’être donné le loisir de bien lire cette tragédie. « Elle m’attire aujourd’hui, ajoutait-il, l’embarras que vous me mandez... Je ne connais point Racine ; c’est un fort bel esprit, que je voudrais servir ; et ses plus grands ennemis ne pourraient pas faire autre chose que ce que j’ai fait sans y penser. » Nous n’avons donc, ce semble, de cette fameuse Dissertation qu’une édition fort mitigée. Elle commence par des compliments, ajoutés peut-être après coup, pour sortir de l’embarras où l’on avait mis l’auteur, mais qui n’en étaient pas moins très mérités. En dépit de l’injuste arrêt prononcé par Corneille, Saint-Évremond reconnaissait Racine pour le véritable héritier du grand poète vieillissant : « Depuis que j’ai lu le Grand Alexandre, la vieillesse de Corneille me donne bien moins d’alarmes, et je n’appréhende plus tant de voir finir avec lui la tragédie ; mais je voudrais qu’avant sa mort il adoptât l’auteur de cette pièce, pour former, avec la tendresse d’un père, son vrai successeur. »
L’éloge ne tarde pas à glisser doucement sur une pente qui finit par devenir assez rude : « Je voudrais qu’il (Corneille) lui donnât le bon goût de cette antiquité qu’il possède si avantageusement, qu’il le fît entrer dans le génie de ces nations mortes, et connaître sainement le caractère des héros qui ne sont plus. C’est, à mon avis, la seule chose qui manque à un si bel esprit. Il a des pensées fortes et hardies, des expressions qui égalent la force de ses pensées ; mais vous me permettrez de vous dire après cela qu’il n’a pas connu Alexandre ni Porus. » Racine dit dans sa seconde préface : « Des personnes m’ont reproché que je faisais ce prince (Porus) plus grand qu’Alexandre. » Saint-Évremond est de l’avis de ces critiques. « Il paraît, dit-il, que l’auteur a voulu donner une plus grande idée de Porus que d’Alexandre, en quoi il était impossible de réussir. » Ce n’est pas le seul reproche qu’il fasse au personnage de Porus ; il lui trouve le défaut signalé tant de fois par la critique dans les héros de Racine, et qu’il eût été plus juste peut-être de ne point paraître imputer à lui seul, je veux dire ce déguisement qui les transforme en personnages français. « Le héros des Indes devait avoir un caractère différent de celui des nôtres. Un autre ciel, pour ainsi parler, un autre soleil, une autre terre y produisent d’autres animaux et d’autres fruits ; les hommes y paraissent tous autres par la différence des visages, et plus encore, si j’ose le dire, par une diversité de raison : une morale, une sagesse singulière à la région y semble régler et conduire d’autres esprits dans un autre monde. Porus cependant, que Quinte-Curce dépeint tout étranger aux Grecs et aux Perses, est ici purement français. Au lieu de nous transporter aux Indes, on l’amène en France. » Le caractère d’Alexandre ne trouve pas grâce non plus aux yeux du critique : « Il a fait de son Alexandre un prince si médiocre que cent autres le pourraient emporter sur lui comme Porus. Ce n’est pas qu’Éphestion n’en donne une belle idée ; que Taxile, que Porus même ne parlent avantageusement de sa grandeur ; mais quand il paraît lui-même, il n’a pas la force de la soutenir... Je ne connais ici d’Alexandre que le seul nom : son génie, son humeur, ses qualités ne me paraissent en aucun endroit. »
Saint-Évremond ne reprochait pas seulement à Racine d’avoir défiguré les héros de l’histoire. Ce critique du dix-septième siècle, devançant la révolution du goût moderne, dont nous avons été témoins, regrettait, comme pourrait le faire un critique de nos jours, ce que nous appellerions l’absence de couleur locale, l’oubli de ce qu’on nommait alors le costumé. « J’aurais voulu, disait-il, que l’auteur nous eût donné une plus grande idée de cette guerre. En effet, ce passage de l’Hydaspe, si étrange qu’il se laisse à peine concevoir, une grande armée de l’autre côté avec des chariots terribles et des éléphants alors effroyables, des éclairs, des foudres, des tempêtes qui mettaient la confusion partout, quand il fallut passer un fleuve si large sur de simples peaux, cent choses étonnantes... tout cela devait fort élever l’imagination du poète et dans la peinture de l’appareil et dans le récit de la bataille. » N’est-ce pas ainsi qu’un de nos contemporains, un éminent critique, qui depuis s’est rétracté, se plaignait de chercher vainement dans Athalie « ce temple merveilleux bâti par Salomon, tout en marbre, en cèdre, revêtu de lames d’or ; » et de n’y pas voir les deux fameuses colonnes de bronze, ni la mer d’airain, ni les douze bœufs d’airain[28] ? Mais il faut dire que s’il a reconnu l’injustice de sa plainte, c’est que dans le chef-d’œuvre biblique de Racine il y a une vérité très supérieure à celle du décor et du costume. Dans l’Alexandre cette vérité intime manque aussi bien que l’exactitude extérieure et superficielle. Si les chariots et les éléphants de Porus n’étaient pas absolument nécessaires, il eût fallu du moins ne pas faire soupirer les héros de ces temps antiques comme des bergers de l’Astrée : c’est là que Saint-Évremond triomphe facilement. « Gardons-nous, dit-il, de faire un Antoine d’un Alexandre... Qu’on ne croie pas que le premier but de la tragédie soit d’exciter des tendresses dans nos cœurs. Aux sujets véritablement héroïques la grandeur d’âme doit être ménagée devant toutes choses... Il est ridicule d’occuper Porus de son seul amour sur le point d’un grand combat qui allait décider pour lui de toutes choses ; il ne l’est pas moins d’en faire sortir Alexandre, quand les ennemis se rallient. On pourrait l’y faire entrer avec empressement pour chercher Porus, non pas l’en tirer avec précipitation pour aller revoir Cléophile ; lui qui n’eut jamais ces impatiences amoureuses, et à qui la victoire ne paraissait assez pleine que lorsqu’il avoir ou détruit ou pardonné. Ce que je trouve pour lui de plus pitoyable, c’est qu’on lui fait perdre beaucoup d’un côté, sans lui faire rien gagner de l’autre. L’histoire se trouve défigurée, sans que le roman soit embelli : guerrier dont la gloire n’a rien d’animé qui excite notre ardeur ; amant dont la passion ne produit rien qui touche notre tendresse. » Voilà comme avec un peu de partialité sans doute pour Corneille et contre Racine, mais en même temps avec beaucoup de sens et de bon jugement, parlait le spirituel écrivain. Louis Racine lui-même, dans l’introduction qui précède son Examen d’Alexandre, reconnaît que cette dissertation de Saint-Évremond « contient plusieurs réflexions très solides[29]. » Au milieu de tant de critiques si peu dignes de Racine, et qui le chagrinaient sans l’éclairer, nous croyons que celle-ci dut être mise à profit par lui. Il ne pouvait guère manquer d’en sentir l’utile amertume. Corneille n’avait à en sentir que la douceur. Il en fut charmé. Il y était loué comme « ayant eu presque seul le bon goût de l’antiquité. » Le remerciement qu’il adressa à Saint-Évremond trahit toutes les inquiétudes que lui causait la renommée croissante de son jeune rival ; et par là ce serait un bien grand témoignage du succès de l’Alexandre, s’il ne semblait probable que Corneille ne l’écrivit qu’après le succès bien autrement éclatant d’Andromaque. En tout cas, sa lettre se rattache à l’histoire de l’Alexandre, puisque ce fut cette tragédie qui souleva toute cette polémique. Citons-la comme un curieux monument de la faveur publique conquise par Racine, et de la crainte qu’inspirait à Corneille cette menace d’un changement de règne.
« Vous m’honorez de votre estime, disait-il à Saint-Évremond, en un temps où il semble qu’il y ait un parti fait pour ne m’en laisser aucune. Vous me soutenez quand on se persuade qu’on m’a abattu Je vous avoue que je pense avoir quelque droit de traiter de ridicules ces vains trophées qu’on établit sur le débris imaginaire des miens, et de regarder avec pitié ces entêtements qu’on avait pour les anciens héros refondus à notre mode... Vous flattez agréablement mes sentiments, quand vous confirmez ce que j’ai avancé touchant la part que l’amour doit avoir dans les belles tragédies, et la fidélité avec laquelle nous devons conserver à ces vieux illustres, ces caractères de leur temps, de leur nation, et de leur humeur. J’ai cru jusqu’ici que l’amour était une passion trop chargée de faiblesse, pour être la dominante dans une pièce héroïque ; j’aime qu’elle y serve d’ornement, et non pas de corps ; et que les grandes âmes ne la laissent agir qu’autant qu’elle est compatible avec de plus nobles impressions. Nos doucereux et nos enjoués sont de contraire avis, mais vous vous déclarez du mien[30]. » Décidément Corneille n’adoptait pas Racine avec la tendresse d’un père. Et cependant Racine, dans son Alexandre, s’était efforcé d’être cornélien, et jusqu’à un certain point l’avait été. Il le fut beaucoup moins désormais. Désavoué si durement par son maître, il n’en comprit que mieux et plus vite qu’il était fait pour marcher dans une route nouvelle, et il écouta davantage son propre génie.
Le sentiment dont Corneille aimait à faire l’âme de ses tragédies, était celui de l’admiration. Pour suivre ses traces, le sujet d’Alexandre le Grand était fort bien choisi. Il était analogue à celui de la clémence d’Auguste dans Cinna, de la générosité de César dans Pompée. Axiane est une héroïne de la famille des Émilie, des Cornélie. De très belles scènes, comme la seconde de l’acte II entre Éphestion, Taxile et Porus, et la dernière de la pièce entre Porus et Alexandre, ont la forme et souvent l’accent des grandes scènes de Corneille. Cet accent se reconnaît dans bien des vers énergiques, quelquefois sublimes, ou d’une mâle ironie. Et même, il est bon de le remarquer, ces froides galanteries de Porus et d’Alexandre, qui avilissent et dégradent leurs caractères, pouvaient bien paraître des fautes apprises à la même école. Là même cependant il ne faut pas fermer les yeux à une grande différence entre le modèle et son imitateur. Dans Cinna, dans Pompée, dans Sertorius l’amour est un hors-d’œuvre ; dans Alexandre il est beaucoup trop le ressort principal de l’action, quoiqu’il n’y soit pas non plus le grand intérêt de la pièce. Louis Racine l’a bien vu. « Le grand défaut qui y règne, dit-il, est un amour qui en paraît faire tout le nœud, tandis qu’un des plus glorieux exploits d’Alexandre n’en paraît que l’épisode[31]. » C’est pour cela que Corneille a pu sans injustice faire entendre que dans l’Alexandre l’amour est, selon son heureuse expression, la dominante. Ce vice capital de la pièce de Racine frappa beaucoup de ses contemporains, quelque habitués qu’ils fussent aux tendresses romanesques dans les tragédies. Un d’eux s’en moqua avec esprit ; et sa raillerie, qui blessa, dit-on, Racine et Boileau[32], n’avait pas moins de force que les reproches auxquels Corneille et Saint-Évremond avaient donné une forme plus sérieuse. Dans le courant de l’année même à la fin de laquelle parut l’Alexandre, Boileau, comme on sait, avait composé son charmant Dialogue des héros de roman. Il le récitait partout ; et quoique cette ingénieuse satire n’ait été que beaucoup plus tard publiée par son auteur, il en circulait plusieurs copies faites de mémoire. Ce fut dans une de ces copies qu’on intercala une scène où est critiqué l’Alexandre. La malice était de bonne guerre. Boileau en avait involontairement suggéré l’idée, lorsqu’il mettait ces paroles dans la bouche de son Pluton : « J’ai bien de la peine à m’imaginer que les Cyrus et les Alexandre soient devenus tout à coup, comme on me le veut faire entendre, des Thyrsis et des Céladon[33]. » Il était piquant de frapper Racine avec les verges de son ami, et légitime de rattacher une grande erreur de notre théâtre à ces extravagantes fadaises, à cette « pestilente galanterie » de nos romans, qui en étaient la véritable source. La manière de Boileau est heureusement imitée dans cette petite pièce, qui fut attribuée à Charles de Sévigné[34]. La voici :
PLUTON.
Mais qui est ce jeune étourdi qui s’avance d’un air moitié sérieux et moitié badin ? Le voilà bien échauffé.
DIOGÈNE.
Je crois que c’est Alexandre. Qu’il est changé ! J’ai peine à le reconnaître. Sa physionomie n’est ni grecque ni barbare. C’est un guerrier petit-maître. Apparemment que ses longs voyages l’ont un peu gâté. C’est pourtant Alexandre : je le reconnais encore.
PLUTON.
Oh ! pour le coup nous avons un véritable héros, et non pas un fade doucereux. Il n’a jamais soupiré que pour la gloire. Il s’est même si peu piqué de galanterie, que dans sept ans il n’a visité qu’une fois la femme et les filles de Darius, bien qu’elles fussent les plus belles personnes du monde et ses prisonnières. Je jurerais qu’il s’est garanti du mauvais air que ces autres ont respiré... Approchez, généreux vainqueur de l’Asie, approchez. Il s’agit de combattre. Le roi des enfers a besoin de votre bras.
ALEXANDRE.
Je suis venu : l’amour a combattu pour moi..., etc.[35]
DIOGÈNE.
Ne l’avais-je pas bien dit qu’il s’était gâté dans ses voyages ? Alexandre le Grand est devenu conteur de fleurettes.
PLUTON.
Quel diable de jargon nous vient-il parler ? Quoi ? Alexandre qui ne respirait que les combats, s’oublie auprès d’une maitresse ?
ALEXANDRE.
Que vous connaissez mal les violents désirs
D’un amour qui vers vous porte tous mes soupirs !... etc.[36]
DIOGÈNE.
Il faut l’envoyer auprès du grand Cyrus...
ALEXANDRE.
Hé quoi ? vous croyez donc qu’à moi-même barbare
J’abandonne en ces lieux une beauté si rare ?[37]
PLUTON.
Peste soit de l’extravagant et de sa tendresse mal imaginée ! Il est ma foi aussi fou que les autres. On avait bien raison là-haut de plaindre la Macédoine de n’avoir pas de petites-maisons pour le renfermer...
Ainsi aurait pu parler Boileau lui-même : peut-être l’aurait-il dû, pour être conséquent, quoiqu’il eût été bien dur de mettre l’Alexandre sur la même ligne que l’Astrate et l’Ostorius. Mais frappé des grandes beautés de la pièce de Racine, le satirique, en face des censeurs injustes qu’elle avait trouvés, crut avoir le droit de jeter un voile sur les défauts qui la déparaient. L’amitié put même lui ôter un peu de sa clairvoyance. Des deux sortes d’adversaires que Racine, dans sa préface, nous montre si peu d’accord, les uns soutenant qu’Alexandre n’est pas assez amoureux, les autres qu’il ne vient sur le théâtre que pour parler d’amour, Boileau feignait de n’avoir entendu que le singulier reproche des premiers. Dans sa satire III, celle du Festin, composée l’année même où l’Alexandre parut, il fait dire au sot campagnard :
Je ne sais pas pourquoi l’on vante l’Alexandre ;
Ce n’est qu’un glorieux qui ne dit rien de tendre.
Les héros chez Quinault parlent bien autrement[38].
Se railler de ceux au gré de qui Alexandre n’était pas assez galant, la tactique était habile, et c’était se donner beau jeu ; mais tout le monde ne put pas prendre le change. Pradon saisit l’occasion de trouver le critique en faute. Dans son examen de la satire III, rencontrant le vers 185, il fait cette remarque[39] : « Cette tragédie (d’Alexandre) ne s’est pas acquis une réputation si générale que l’auteur le veut faire penser. Jamais Quinault n’a tant répandu de sucre et de miel dans ses opéras que le grand Racine en a mis dans son Alexandre, nous faisant du plus grand héros de l’antiquité un ferluquet (sic) amoureux. Je m’étonne que Despréaux ait touché cette matière, et l’ironie est fort dangereuse. « On aimerait à croire qu’en tête-à-tête avec Racine, Boileau fut plus sévère. L’abbé Dubos raconte[40] que Racine, parlant à Boileau de son Alexandre, lui dit qu’il trouvait à faire ses vers une facilité surprenante ; et que le critique lui répondit : « Je veux vous apprendre à faire des vers avec peine ; vous avez assez de talent pour le savoir bientôt. » Grand service sans doute rendu à Racine, mais qui ne suffisait pas. Dans une tragédie les vers ne sont pas tout, et Racine les faisait déjà si bien, qu’il lui restait peu à apprendre, même à l’école de Boileau. L’avertir qu’il faut se garder de donner à l’antiquité
L’air ni l’esprit français, ainsi que dans Clélie,
était un conseil plus nécessaire encore. Comment donc se fait-il que Boileau n’ait pas à temps signalé à son jeune ami la fausse voie où il s’engageait ? Ne fut-il consulté que sur les détails lorsque déjà la tragédie était faite ? Cette communication tardive est peu vraisemblable. Brossette est si loin de l’admettre que, selon lui, le rôle de premier inventeur, prêté à Molière dans le choix du sujet de la Thébaïde, fut réellement, pour l’Alexandre, celui du nouvel ami de Racine. « M. Despréaux, dit-il, invita M. Racine à suivre une autre route que Corneille, qui n’avait mis sur le théâtre que des héros romains. « Prenez, lui dit M. Despréaux, les héros de la Grèce. » Il lui indiqua Alexandre le Grand, qui fut le sujet de sa seconde tragédie[41]. » On n’est pas toujours assuré de l’exactitude des anecdotes de Brossette. Nous donnons celle-ci pour ce qu’elle peut valoir.
Quelle qu’ait été la complaisance ou l’aveuglement de Boileau lorsqu’il écrivit les vers où il louait l’Alexandre à contresens, l’auteur lui-même ne put se faire longtemps illusion. Si Brossette a été bien informé, dans la révision que Racine avait faite du premier volume de ses pièces c’était surtout l’Alexandre qui avait reçu de grands changements[42]. Malheureusement Racine, devenu, dans ses scrupules, ennemi de sa gloire profane, détruisit ces corrections. Elles ne peuvent donc être qu’un sujet de conjectures ; mais il est vraisemblable que, sans pouvoir entièrement bannir de sa pièce un amour que, par la conception du plan, il y avait fait trop essentiel, il avait du moins sévèrement corrigé l’expression de cet amour si peu héroïque.
Si le plan de la Thébaïde est moins défectueux que celui de l’Alexandre, d’un autre côté il y a, de la première tragédie à la seconde, un grand progrès de style. La langue est plus correcte et plus ferme ; et l’Alexandre a tels vers plus beaux encore que les plus beaux vers de la Thébaïde.
Il faut ajouter que cette fois Racine avait choisi un sujet qui lui appartenait plus entièrement. Alexandre avait déjà paru sur la scène française : Hardy, ce facile improvisateur, avait pris le conquérant macédonien pour héros de deux de ses tragédies dont il avait découpé les scènes dans Quinte-Curce et dans Plutarque ; mais sa Mort de Daire (1619) et sa Mort d’Alexandre (1621) laissaient intact l’épisode de la vie d’Alexandre que Racine à mis au théâtre. Quant à Boyer, c’était bien ce même épisode dont il avait fait une tragédie jouée en 1647 ; mais Boyer n’était pas Rotrou, et ne pouvait servir de modèle à Racine. Le titre de sa tragédie est Porus ou la Générosité d’Alexandre[43]. Nous avons vu, par la lettre de Pompone, que Racine avait peut-être hésité entre le titre sous lequel sa pièce fut jouée et celui de Porus ; s’il avait décidément fait à Boyer cet emprunt du titre de sa tragédie, n’aurait-il pas échappé à quelques critiques, qui furent beaucoup répétées, sur la supériorité, dans son Alexandre, du rôle du roi indien ? Ce qu’il n’eut certes pas envie d’emprunter à Boyer, c’est l’intrigue de sa tragédie, qui est le roman le plus enchevêtré. Tout ce qu’on peut y louer, c’est qu’au milieu de tous ces amours des princes de Macédoine et des princes des Indes, Alexandre n’y est amoureux de personne ; et que si Porus s’y montre amant fort jaloux, c’est du moins de sa femme. Avec tout cela, il faut reconnaître que dans les scènes où Boyer s’est trouvé en face du véritable sujet historique, il n’a pas toujours été mal inspiré par le souvenir de Corneille, et a rencontré quelques vers qui ne sont pas sans grandeur. Nous citons dans nos notes sur Alexandre le Grand ces rares passages où Boyer s’est surpassé lui-même ; mais on ne peut dire qu’ils aient eu l’honneur de rien suggérer à Racine, quelle que fût la similitude des situations et de la donnée première.
Alexandre le Grand, malgré ses incontestables beautés, n’était pas une tragédie faite pour se soutenir longtemps au théâtre. Louis Racine, dans l’examen qu’il en a fait, a constaté en ces termes sa disparition, à peu près complète, de la scène : « Le bruit qu’elle fit à sa naissance est depuis longtemps oublié ; elle ne rappelle plus de spectateurs, quoiqu’elle puisse toujours mériter des lecteurs[44]. »
Le texte que nous avons suivi pour Alexandre le Grand est celui de 1697.
Les éditions auxquelles nous renvoyons pour les variantes sont :
Éditions séparées.
1666, à Paris, chez Pierre Trabouillet et chez Théodore Girard,
in-12.
1672, à Paris, chez Théodore Girard, in-12.
Éditions séparées.
1676, à Paris, chez Claude Barbin et Jean Ribou.
1687, à Paris, chez Pierre Trabouillet.
[1] C’est lui qui, dans une lettre à Arnauld d’Andilly, écrite le 4 février 1665, nous a laissé les intéressants détails de cette lecture de l’Alexandre. Cette lettre a été publiée en 1820 par M. Monmerqué, à la suite des Mémoires de Coulanges, p. 382-384.
[2] La Muse de la cour, à Paris, chez Alexandre Lesselin, au coin de la rue Dauphine, devant le Palais.
[3] Registre de la Grange.
[4] Cependant, si la pièce imprimée n’a d’autre titre qu’Alexandre le Grand, il faut remarquer que le registre de la Grange la désigne ainsi, sous un double titre : « Vendredi, 4e décembre, première représentation du Grand Alexandre, de Porus. »
[5] Tome IX, p. 386-388.
[6] Il est vrai que les droits de Racine sur sa pièce ne pouvaient aller jusqu’à lui faire jouer par une autre troupe que celle du Palais-Royal, s’il eût été engagé envers celle-ci par quelque contrat, ou si quelque règlement administratif eut alors assuré aux théâtres un privilège, au moins temporaire, pour la représentation des pièces qu’ils montaient les premiers. Mais il paraît bien que les choses ne se passaient pas ainsi. Les frères Parfait disent seulement (tome IX, p. 105) à propos du Sertorius de Corneille, joué sur le théâtre de Molière, après l’avoir été à l’Hôtel de Bourgogne : « L’usage observé de tout temps entre tous les comédiens français était de n’entreprendre point de jouer, au préjudice d’une troupe, les pièces dont elle était en possession, et qu’elle avait mises au théâtre à ses frais particuliers, pour en retirer les premiers avantages, jusqu’à ce qu’elle fût rendue publique par l’impression. » Toutefois il n’est pas bien sûr que Sertorius n’ait pas été joué à la fois, dès les premières représentations, sur le théâtre du Marais et à l’Hôtel de Bourgogne (voyez dans les Œuvres de Corneille, tome VI, p. 355, la Notice de M. Marty-Laveaux sur Sertorius). Mais en admettant comme exacte l’assertion des frères Parfait, Racine aurait manqué, il est vrai, à un usage, mais à un usage seulement. Il n’y aurait pas eu violation d’un droit des comédiens, d’un engagement formel. La Grange ne lui reproche qu’un mauvais procédé : « M. Racine, qui en usait si mal... »
[7] Première représentation, 1294 liv. ; seconde, 1262 liv. ; troisième, 943 liv. ; quatrième, 1165 liv. (Registre de la Grange.)
[8] Cet abbé de Bernay est évidemment celui dont Brossette (Recueil manuscrit de la Bibliothèque impériale, p. 282) parle comme d’un grand admirateur de la traduction de la Jérusalem délivrée, par Leclerc.
[9] Bolæana, p. 104 et 105.
[10] Furetiriana (Paris, 1696), p. 103-106. L’Achevé d’imprimer de ce livre est du 2 janvier 1696.
[11] M. Aimé-Martin, dans sa cinquième édition, l’appelle Imbert ; c’est sans doute une faute d’impression.
[12] Les noms des acteurs y sont donnés en marge de la lettre du 27 décembre.
[13] Histoire du Théâtre français, dans une note sur la du Parc (tome X, p. 369 et 370).
[14] Robinet, Lettre en vers du Ier novembre 1670.
[15] Histoire du Théâtre français, tome XI, p. 52.
[16] ... L’excellente des Œillets,
Dont l’habit fut fait à grands frais.
(Robinet, Lettre en vers du 3 janvier 1666.)
[17] Voyez la Lettre en vers du 3 janvier 1666.
[18] Une preuve remarquable du grand succès d’Alexandre et de la durée de ce succès se trouve dans une lettre de Mme de Sévigné du 16 mars 1672 : « Jamais, dit Mme de Sévigné à sa fille, Racine n’ira plus loin qu’Alexandre et qu’Andromaque. » La prophétie n’était pas plus juste que bienveillante ; mais parler ainsi après Britannicus, Bérénice et Bajazet, et mettre Alexandre seul à côté d’Andromaque à une hauteur que Racine, dit-on, ne dépassera point, n’est-ce pas nous apprendre combien la seconde tragédie du poète avait été admirée ?
[19] En 1703, le vendredi 12 octobre, il y eut sur le théâtre de la cour, à Fontainebleau, une représentation de l’Alexandre. On joua en même temps le Concert ridicule de Palaprat (voir le Mercure de novembre 1703). C’était le temps de ces représentations auxquelles assistait le jeune roi d’Angleterre (on donnait alors ce titre, à la cour de France, au chevalier de Saint-Georges), qui, « avant ce voyage de Fontainebleau, n’avait jamais vu aucune comédie, n’en avait même jamais lu. » (Dangeau, Journal, à la date du 4 et du 12 octobre 1703.) Le même Dangeau donne ce détail sur la représentation du vendredi 12 octobre : « Monseigneur le duc de Bourgogne y vint ; et il paraît que le roi d’Angleterre s’y divertit fort. » Louis XIV n’y alla point. Il avait commencé dès lors à se tenir éloigné de la comédie.
[20] Cette préface, qui a été conservée, sauf plusieurs suppressions, dans l’édition de 1672, se trouve dans la première édition de la pièce donnée au commencement de 1666, et dont voici le titre :
ALEXANDRE
LE GRAND,
TRAGÉDIE.
À Paris,
Chez Pierre Trabovillet, dans la Salle
Dauphine, à la Fortune.
M.DC.LXVI.
Avec Privilège du Roy.
Sur le feuillet du titre, après le mot Tragédie, il y a une vignette représentant une Minerve qui terrasse le démon de l’Envie, avec la devise : Virtus invidiam superat.
Douze feuillets sans pagination pour le titre, l’épître au Roi, la préface, un extrait du privilège et la liste des acteurs ; quatre-vingt-quatre pages numérotées.
Le privilège a été donné le 30 décembre 1665, et au bas de l’extrait de ce privilège on lit : « Fait à Paris, le 7 janvier 1666. » L’Achevé d’imprimer est du 13 janvier 1666. – D’autres exemplaires, tout semblables d’ailleurs, de la même édition, portent au titre : « Chez Théodore Girard, » au lieu de : « Chez Pierre Trabovillet, etc. » C’est à ces deux libraires que Racine avait « fait transport de son privilège, » comme nous le lisons à la suite de l’extrait de ce privilège.
[21] Histoire de l’Académie française, tome II, p. 336.
[22] Robinet était grand partisan de Corneille, et fut plus tard l’un des suppôts du Mercure galant. Voir, à ce sujet, le livre de M. Deltour, intitulé : les Ennemis de Racine (p. 59-61).
[23] D’ailleurs il me parut plus tendre
Que ne fut l’ancien Alexandre.
[25] À Mme Bourneau, femme d’un président en la sénéchaussée de Saumur. – La Dissertation sur le Grand Alexandre se trouve dans le Ier volume, p. 112-152, des Œuvres meslées par M. de S. E. (Paris, chez Claude Barbin, M.DC.LXX).
[26] Œuvres mêlées de M. de Saint-Évremond (Amsterdam, 1706, tome II, p. 280. Les lettres à M. de Lionne ne sont pas dans l’édition de 1670. – Le comte de Lionne, premier écuyer du Roi, était neveu du marquis de Lionne, le célèbre secrétaire d’État.
[27] Œuvres mêlées de M. de Saint-Évremond (1706), tome II, p. 322.
[28] M. Sainte-Beuve, Portraits littéraires (édition de 1852), p. 86. C’est dans son Port-Royal (tome V, p. 500 et 501) qu’il a fait amende honorable.
[29] Remarques sur les tragédies de Jean Racine..., par Louis Racine (Amsterdam et Paris, 1762), tome I, p. 70.
[30] Œuvres mêlées de M. de Saint-Évremond (1706), tome II, p. 346 et 347.
[31] Remarques sur les tragédies de Jean Racine, tome I, p. 68.
[32] C’est ce qu’affirment les éditeurs de 1807 dans leurs Additions sur l’Alexandre (tome III des Œuvres de Racine, p. 361).
[33] Œuvres de Boileau, édition de M. Berriat-Saint-Prix, tome III, p. 40 et 41.
[34] Geoffroy le dit dans son Jugement sur Alexandre (Œuvres de Racine, édition de 1808, tome I, p. 324). Il serait difficile cependant de penser à Charles de Sévigné, si le dialogue que nous allons citer, et que nous avons trouvé pour la première fois dans l’édition de 1722 des Œuvres de Racine, était de l’année où fut imprimé l’Alexandre. Sévigné, né en 1648, était encore bien jeune en 1666. Mais il faut remarquer que ce dialogue fait une allusion aux vers 109 et 110 de la VIIIe satire de Boileau, qui ne fut imprimée qu’en 1668, quoique composée, il est vrai, et peut-être connue dès l’année précédente. Ce fut Charles de Sévigné (Boileau lui-même le disait dans sa conversation avec Mathieu Marais) qui avant retenu de mémoire une partie du Dialogue des héros de roman, fournit aux éditeurs hollandais des Œuvres de Saint-Évremond le moyen de l’imprimer pour la première fois. Peut-être alors seulement eut-il l’idée d’y faire la malicieuse addition qu’on lui attribue. Sans pouvoir en fixer la date, il est vraisemblable qu’elle fut faite quand l’opuscule de Boileau et la tragédie d’Alexandre n’étaient plus dans leur nouveauté. Nous avons vu aussi que la dissertation de Saint-Évremond, au moins sous la forme avouée par l’auteur, ne fut publiée qu’un peu tard. Le succès de l’Alexandre fut durable, puisque la guerre qu’on lui fit se prolongea si longtemps.
[35] Vers 859-864.
[36] Vers 883-886, et 895-897.
[37] Vers 925 et 926.
[38] Vers 185-187.
[39] Voir à la page 84 du Triomphe de Pradon, un volume in-12, à Lyon, 1684.
[40] Réflexions critiques, tome II, p. 200. Dubos, dans ce même passage, dit que Racine « venait de donner sa tragédie d’Alexandre lorsqu’il se lia d’amitié avec Boileau. » C’est un petit anachronisme.
[41] Recueil manuscrit de la Bibliothèque impériale, p. 43.
[42] Recueil des mémoires touchant la vie et les ouvrages de Boileau Despréaux, p. 501. (Manuscrit appartenant à M. Feuillet de Conches.)
[43] À Paris, chez Toussainct Quinet, M.DC.XI.VIII. – L’Achevé d’imprimer pour la première fois est du 28 février 1648. – Métastase, dans son opéra d’Alexandre, a fait à Boyer l’honneur de lui emprunter son sujet.
[44] Remarques sur les tragédies de J. Racine, tome I, p. 79.