Zizine (Henry DE TULLY - Alfred DESROZIERS)

Sous-titre : l’école de déclamation

Vaudeville en un acte.

Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la Porte Saint-Antoine, le 16 septembre 1837.

 

Personnages

 

DUMOUCHEL, professeur de déclamation

ADALGIS

MIGNARDET

THÉODORE

AUGUSTE

MADAME GRILLON

ZIZINE, sa fille

 

La scène est à Paris, chez Dumouchel.

 

Le théâtre représente une chambre un peu en mansarde. À gauche, un cabinet. À droite, une deuxième chambre. Au fond, à droite, la porte de l’escalier. Dans l’angle opposé, une échelle conduisant à une soupente. Au milieu, une fenêtre, plusieurs bancs, quelques chaises.

 

 

Scène première

 

DUMOUCHEL, ÉLÈVES

 

CHŒUR.

Air : Travaillez, mesdemoiselles.

Jusqu’à l’heure solennelle,
Nous partons, ne craignez rien,
Notre mémoire est fidèle,
À ce soir, tout ira bien.

DUMOUCHEL.

À ce soir, mes enfants... rappelez-vous bien mes conseils, songez à me faire honneur.

TOUS.

Vous verrez, vous serez content, papa Dumouchel...

DUMOUCHEL, prenant une pose noble.

Modelez-vous sur moi... vous n’aurez jamais de meilleur modèle... Rendez mon école célèbre... qu’elle enfonce à jamais le Conservatoire... On lit déjà sur tous les murs de la capitale, et dans tous les journaux : « M. Dumouchel, ex-artiste des principaux théâtres de l’Europe, donne des leçons de déclamation à soixante-quinze centimes le cachet, et à soixante centimes, en en prenant dix d’avance. » Je suis connu... Ah ! à propos, je vous annonce un nouveau camarade que j’ai reçu ce matin... un jeune homme rempli des plus heureuses dispositions pour le drame, un Bocage en herbe... une barbe longue de ça... Il a eu déjà les plus grands succès... Il est vrai qu’il n’a jamais joué... Mais... enfin vous verrez...

Se posant.

Vous verrez ce héros...

On entend la ritournelle de l’air suivant.

Ah ! j’entends Zizine dans l’escalier ; en voilà une qui ira loin... elle tient le poignard comme un amour... et avale une coupe de poison comme un verre d’eau... L’entendez-vous chanter ? Quelles heureuses dispositions pour la tragédie...

 

 

Scène II

 

DUMOUCHEL, ÉLÈVES, ZIZINE, puis MADAME GRILLON

 

ZIZINE, entrant en chantant.

L’amour
Un jour,
Prends garde, Nicette,
L’amour
Un jour
Te jouera quelque tour.

Ah ! bonjour, tout le monde ; comment qu’ça va, papa Dumouchel ?

TOUS, l’entourant.

Bonjour, Zizine !

Zizine pose son châle et son cabas sur une chaise.

DUMOUCHEL.

Vous êtes venue seule ?

ZIZINE.

Le plus souvent ! est-ce qu’il faut pas qu’ maman soit toujours sur mes talons... elle m’suit comme un caniche... j’ l’ai laissée à votre quatrième, où elle fait une halte... elle n’a plus que trois étages à avaler... c’te pauvre mère... excusez du peu... J’espère que vous ne vous plaindrez pas de votre position... elle est assez élevée comme ça...

Tout le monde rit.

DUMOUCHEL.

A-t-elle de l’esprit...

MADAME GRILLON, en dehors.

Zizine !... Zizine !...

ZIZINE.

Ah ! enfin !

MADAME GRILLON, entrant tout essoufflée.

Mais ne cours donc pas si vite, Zizine, tu me coupes le souffle...

ZIZINE.

Dam ! maman, c’est pas ma faute, vous êtes vive comme les tours Notre-Dame.

MADAME GRILLON.

Ces gueuses d’escalier de Paris, ça n’en finit pas !

MIGNARDET, entr’ouvrant la porte.

C’est bien elle !

Il ressort et regarde par intervalle.

DUMOUCHEL.

Aussi j’ai la plus belle vue... je plane sur Montmartre...

ZIZINE, à part.

La patrie des ânes...

DUMOUCHEL.

C’est là où je suis né.

MADAME GRILLON.

Je n’ai plus seize ans, quoiqu’il n’y ait pas déjà si longtemps...

Elle s’assied.

Monsieur Dumouchel, je dépose mes civilités...

DUMOUCHEL.

Madame Grillon, je suis le vôtre.

À Zizine.

Cette jeunesse vient prendre sa leçon, n’est-ce pas ?... Nous avons encore une heure et demie avant la représentation...Allons, vous autres, allez vous préparer pour cette grande solennité...

MADAME GRILLON, assise.

Monsieur Dumouchel, je vous demande la permission de m’asseoir.

DUMOUCHEL.

Hein ?

ZIZINE.

C’te pauvre mère... voyez comme elle se gêne... Prenez donc garde de vous fatiguer les jambes...

Tout le monde rit.

LES ÉLÈVES.

Adieu, monsieur Dumouchel...

MIGNARDET.

Je ne la perds... plus de vue...

CHŒUR.

Jusqu’à l’heure solennelle
Nous partons, ne craignez rien,
Notre mémoire est fidèle,
À ce soir, tout ira bien.

 

 

Scène III

 

ZIZINE, DUMOUCHEL, MADAME GRILLON

 

DUMOUCHEL.

Voilà-t-il une belle troupe !

ZIZINE.

Une troupe ! un troupeau vous voulez dire...

DUMOUCHEL.

Espiègle !

ZIZINE.

En vérité, je ne sais pas où vous les avez pris tous vos acteurs...

Air : Voyez ces favoris épais.

C’est un amas des plus confus
Des égar’ments de la nature,
Ils sont tous boiteux et bossus,
Et bien servis par leur figure ;
En r’gardant tous ces éclopés,
Ces êtres difformes, étiques,
On croirait voir des échappés
D’établiss’ments orthopédiques.

MADAME GRILLON.

C’est un peu vrai...

DUMOUCHEL.

Bah ! vous verrez ce soir ; quand c’est drapé... quel feu !... quel aplomb !

Il boite.

ZIZINE.

Comme vous !

DUMOUCHEL.

Oui, c’est moi qui ai formé tout cela... Ah ! c’est que j’ai de l’expérience, moi...

ZIZINE.

Il est bien temps !

DUMOUCHEL.

Tu dis ça à cause de mon âge, tu es bien difficile... je ne changerais pas mon âge contre deux fois plus... je suis vert encore, j’ai bon pied... bon œil...

ZIZINE.

Un échantillon de chaque.

DUMOUCHEL.

Un échantillon ! parce que je suis borgne... qu’est-ce que ça prouve ? L’amour est aveugle... Et quant au pied...

ZIZINE.

Beau !

DUMOUCHEL.

Comment dis-tu ?

ZIZINE.

Pied-bot !

DUMOUCHEL.

Ah ! c’est un calembour.

ZIZINE.

Eh bien ! vrai, calembour à part, je ne dis pas ça pour vous donner de l’orgueil, papa Dumouchel, vous êtes fièrement laid !

DUMOUCHEL.

C’est selon la manière de voir... À propos de voir, t’ai-je narré, Zizine, l’histoire de feu mon œil ?... elle est curieuse, j’ose l’attester.

ZIZINE.

Non ; vous aurez sans doute gardé votre œil pour la bonne bouche...

DUMOUCHEL.

C’était en l’an de grâce 1831, je dis de grâce... enfin n’importe !... J’étais alors dans la fleur de l’âge, cinquante-deux ans à peine... Je me trouvais en tournée à Carcassonne, je faisais Jupiter dans Amphitryon, et vraiment je représentais bien, c’était nature...

ZIZINE.

À Carcassonne.

DUMOUCHEL.

Air de Marianne.

Je descendais dans mon nuage
Fait de trois aun’s de calicot,
Tonnerre en main, j’avais, je gage,
L’air d’un marquis faisant jabot.
Mais la ficelle,
Chance cruelle !
Casse soudain ; je renverse du choc
La pauvre Alcmène
Qui se démène,
Et tous les deux nous roulons en bloc.
Ce n’était rien que de me moudre,
Pour me fair’ voir tout mon orgueil,
Le tonnerr’ m’entra droit dans l’œil.

ZIZINE.

Ah ! Dieu ! quel coup de foudre !
En v’là-t-il un coup de foudre !

MADAME GRILLON.

Quelle mauvaise pointe !

ZIZINE.

Comment ?

MADAME GRILLON.

Je parle de celle du tonnerre...

ZIZINE.

Et c’te pauvre Mme Alcmène ?

DUMOUCHEL.

Elle en a eu la jaunisse... elle a mangé je ne sais combien de boisseaux de carottes... Mais je bavarde, et je ne m’aperçois pas que l’heure passe.

MADAME GRILLON.

C’est vrai !

DUMOUCHEL.

Voyons, Zizine, le commencement de notre grande tirade...

Par réflexion.

Ah ! mon Dieu ! Zizine ?

ZIZINE.

Eh bien ?

DUMOUCHEL.

Que je suis bête !

ZIZINE, d’un ton approbatif.

Allons donc !

DUMOUCHEL.

J’ai oublié une livre de chandelles... Voyez-vous une représentation théâtrale sans lumière ?... Hein ! et les jeux de physionomie...

Air : Souveraine des coulisses.

Je descends chez l’épicière,
J’vais r’venir.
L’ temps d’entrer, d’ sortir.
Je vais chercher d’ la lumière,
C’est un moyen d’éblouir.

ZIZINE, à part.

Moi, si j’avais sa tournure,
Au jour j’ préfér’rais la nuit ;
Car montrer pareill’ figure,
N’est pas montrer de l’esprit.
(bis.)

Ensemble.

DUMOUCHEL.

Je descends chez l’épicière, etc.

ZIZINE, MADAME GRILLON.

Il descend chez l’épicière,
Il va r’venir,
L’ temps d’entrer, d’ sortir.
Il va chercher d’ la lumière,
C’est un moyen d’éblouir.

MADAME GRILLON, allant à la porte.

Ne soyez pas long au moins.

DUMOUCHEL, dans l’escalier.

Ne craignez rien, j’ai bon pied, bon...

 

 

Scène IV

 

MADAME GRILLON, ZIZINE

 

ZIZINE.

Qu’est-ce que ça mange donc pour être aussi bête que ça ? Il en est drôle, parole d’honneur !

MADAME GRILLON.

Zizine ?

ZIZINE.

Maman !

MADAME GRILLON.

Zizine, Zizine ?

ZIZINE.

Maman ! maman !... Est-ce que vous apprenez aussi la déclamation ?

MADAME GRILLON.

Je crains d’apprendre des choses plus graves ! Zizine, regardez une moitié de l’auteur de vos jours, là entre les deux yeux.

ZIZINE.

Ça va me faire loucher.

MADAME GRILLON.

Quelqu’un nous suivait dans l’escalier.

ZIZINE.

C’est possible ! ça s’est vu.

MADAME GRILLON.

Oui, je l’ai vu ; mais je ne l’ai pas distingué...

Elle lui met la main sur le cœur.

Ma fille, votre cœur battra si vous me trompez !

ZIZINE.

Si vous allez me faire peur, bien sûr qu’il battra...

MADAME GRILLON.

Serait-ce Adalgis ?

ZIZINE.

Ah ! vous v’là toujours avec votre Adalgis ! À vous entendre, on croirait que je l’ai dans ma poche... Ce qui nous suivait dans l’escalier, c’était des bas chinés...

MADAME GRILLON.

Ne vous y fiez pas, ma fille, le bas chiné est d’ordinaire très entreprenant... Quant à Adalgis, rappelez-vous que je vous ai défendu de revoir ce mauvais sujet !...

ZIZINE.

Mais cependant, maman, il avait de bonnes intentions.

MADAME GRILLON.

Un impudent, qui veut vous épouser, vous appelez ça de bonnes intentions !... Un homme qui n’a rien, un petit musicien de l’Ambigu, un timbalier ! C’est un homme sans cœur, qui s’adonne à la demi-tasse, se jette à corps perdu dans le petit verre, et se livre au cassis avec acharnement.

ZIZINE.

Mais il veut m’épouser, c’est moral au moins.

MADAME GRILLON.

Mademoiselle, il n’est pas moral de mourir de faim.

ZIZINE.

Eh bien ! je ne l’épouserai pas, tant pire ! Mais s’il arrive quelque chose, c’est vous qui en serez cause.

MADAME GRILLON.

Comment ! s’il arrive quelque chose !... Mais revenons à nos bas chinés... vous ne faites perdre le fil...

ZIZINE.

C’est un petit vieux qui me suit partout depuis quelques jours...

MADAME GRILLON.

Malheureuse enfant !...

Elle tombe sur sa chaise.

Prends garde aux petits vieux, aux hommes en général, et surtout en particulier... Quel âge peut-il avoir ?

ZIZINE.

Au moins soixante ans.

MADAME GRILLON, à part.

C’est l’âge qu’il aurait !

Haut.

Ton cœur est tendre et sympathique ?

ZIZINE.

Ah ! oui.

MADAME GRILLON.

Tu aimes le plaisir ?...

ZIZINE.

Ah ! ça, par exemple, c’est vrai, c’est comme la galette, je le dévore, le plaisir...

MADAME GRILLON.

Ah ! pourquoi l’expérience des parents !...

Air : Et j’en rends grâce à la nature.

Un jour, comme toi, j’eus vingt ans,
Et j’étais sans expérience.
Comme tout change avec le temps,
Tout change, même l’innocence !
Ah ! vois où j’en suis, mon enfant,
J’étais jolie et savais plaire ;
Hélas ! je suis laide à présent,
Ah ! suis l’exemple de ta mère.

ZIZINE.

Pas pressée !

MADAME GRILLON.

J’ai été bien malheureuse, jadis, avec mon prince russe, tu sais...

ZIZINE.

Oui, oui... J’en ai déjà joliment rencontré des princes russes.

MADAME GRILLON.

Celui-là était un vrai cosaque, ça se voyait sur sa figure ; les plus belles proportions... le monstre !... J’étais jeune, confiante ; j’ouvrais mon cœur à l’amour, comme la fleur ouvre son calice à la rosée !...

ZIZINE.

Ah ! joli ; mais j’ sais où vous l’avez pris.

À part.

Elle est poétique aujourd’hui, maman !

MADAME GRILLON.

C’est le fruit de mes lectures. Il me disait : Je t’aime, comme peut te le dire Adalgis ; et moi, j’étais aussi bête que toi, je le croyais !... Un jour... jour fatal ! mais je ne veux pas revenir sur de pénibles circonstances... Un jour, il fut rappelé par son empereur, qui lui donnait une de ses nièces en mariage... Oui, ma fille, je fus sacrifiée à la nièce d’un empereur.

ZIZINE.

Il était sans gêne, ce monsieur.

MADAME GRILLON.

C’était plat... Il partit, et il ne me resta que ma douleur et toi... tu es sa fil... leule...

ZIZINE.

Connu !

MADAME GRILLON.

Il était ton parrain... Ah ! crois-moi, l’amour est un sable mouvant sur lequel il ne faut pas bâtir, sous peine d’être écrasé par la maison.

ZIZINE.

Oh ! c’te bêtise !

MADAME GRILLON.

Ma fille !

ZIZINE.

Je veux dire, oh ! c’te farce !

MADAME GRILLON.

À la bonne heure... Vois-tu, le monde est semé de pièges, dont aucun écriteau n’avertit le passant... Tu verras un tas d’hommes qui te feront la cour... mais au fond qu’est-ce que c’est ? Des hommes sans principes, qui n’ont pas quinze cents livres de rente... Ils auront de l’amour, c’est possible, il faut bien qu’ils aient quelque chose... l’hôpital est peuplé de gens qui ont de l’amour, ou qui en ont eu... L’amour est une chose de luxe qu’on peut se donner quand on a le moyen... Tout le monde ne peut pas mettre du sucre dans ses petits pois... je ne te dis que ça... Ma fille, je vous défends de revoir Adalgis...

ZIZINE, à part.

Plus souvent que je t’obéirai... Tiens, au fait, tous les vieux disent ça... Eh bien ! je le dirai aussi à mon tour.

 

 

Scène V

 

MADAME GRILLON, ZIZINE, DUMOUCHEL

 

DUMOUCHEL, entrant.

Voilà... Je n’ai pas été long, n’est-ce pas ?... je n’ai pas flâné un instant... si ce n’est seulement que l’épicière, qui vient ce soir, m’a forcé de prendre un verre de rhum... Hein ! qu’elle est belle.

ZIZINE.

L’épicière ?

DUMOUCHEL.

Non, ma chandelle.

MADAME GRILLON.

Dites donc, pendant la leçon, je vais aller voir une voisine dans la maison ; vous savez, Mme Durand ; nous reviendrons ensemble pour l’heure de la représentation.

ZIZINE, à part.

Si je pouvais profiter de ça pour voir Adalgis.

MADAME GRILLON.

Ah çà ! je vous confie ma fille.

Elle lui parle bas.

DUMOUCHEL.

J’en réponds comme du mien.

ZIZINE, à part.

Tête-à-tête, ça va être amusant !

MADAME GRILLON.

Allons, Zizine, appliquez-vous bien... vous avez des dispositions conséquentes... Un jour, vous êtes susceptible de devenir comme tant d’autres, l’ornement de la scène française... vous pouvez trouver un bon engagement chez Mme Saqui ou aux Funambules, qui sait où ?... Je vous quitte, tâchez de profiter des sacrifices que je fais pour votre éducation.

Elle fait signe à Dumouchel.

DUMOUCHEL.

Mon Dieu ! soyez donc tranquille, est-ce que je n’ai pas bon pied, bon...

 

 

Scène VI

 

ZIZINE, DUMOUCHEL

 

DUMOUCHEL.

Vous l’avez entendu, Zizine, à nous deux à présent... Nous allons répéter ton rôle de Chimène.

ZIZINE.

Chimène me scie.

DUMOUCHEL.

Comment dis-tu ?

ZIZINE.

Je dis qu’ Chimène me scie... c’est français, il me semble.

DUMOUCHEL.

Comment ! tu ne veux pas répéter ?

ZIZINE.

Je ne suis pas en train, j’ai trop mangé de galette.

DUMOUCHEL.

Ah çà ! ne plaisantons pas ; Zizine, n’ayez pas des vapeurs... Et la représentation, que deviendrait-elle ?... et tous mes invités ?... Voyons, mon petit amour, voyons.

ZIZINE.

Laissez-moi faire, et vous serez satisfait ; je vous ai préparé quelque chose.

DUMOUCHEL.

Quoi donc ?

ZIZINE.

Une surprise qui vous surprendra joliment, et maman aussi.

DUMOUCHEL.

Oh ! dis-moi donc...

ZIZINE.

Tiens, alors ce ne serait plus une surprise.

DUMOUCHEL.

Mais tout ça ne t’empêche pas de jouer Chimène.

ZIZINE, se posant.

« Rodrigue, as-tu du cœur ? »

DUMOUCHEL.

Pardi !

ZIZINE.

Eh bien ! laisse-moi tranquille,

DUMOUCHEL.

C’est assez plaisanter, répétons !

ZIZINE.

Je vous répète que je ne répéterai pas.

DUMOUCHEL.

Tu joueras.

« Apaise, ma Chimène, apaise ta douleur. »

ZIZINE.

e vous dis que j’ai trop mangé de galette.

DUMOUCHEL.

À la fin, c’est abuser de ma patience.

Avançant vers Zizine avec colère.

Malheureuse !

ZIZINE, se faisant un rempart avec une chaise.

« Que crains-tu ? d’un vieillard l’impuissante faiblesse ? »

Vous voyez bien que je sais mon rôle...

Elle se sauve, entraînant la chaise entre eux, puis elle la lui jette.

Gare les jambes !

DUMOUCHEL.

Oh !

Zizine saute sur un banc et se moque de lui.

Attends ! attends !

ZIZINE.

Vous allez vous échauffer, papa Dumouchel.

Elle lui jette un pot à l’eau dans les jambes.

DUMOUCHEL.

Ô Zizine ! à la fin, je te donnerai ma malédiction.

ZIZINE, courbant son front.

Il faut bien se prêter à la circonstance.

DUMOUCHEL, furieux.

Zizine !

Elle arrange ses cheveux.

Eh bien ! qu’est-ce que vous faites donc ?... vous mettrez vos papillotes un autre jour.

Zizine lui rit au nez.

Chimène !... non, Zizine, je te maudis !... Va, tu ne seras jamais qu’une cabotine... je t’abandonne à ton malheureux sort... Toi ! jouer Chimène ! jamais... tu périras dans les comparses... Chimène, toi ! je la ferais plutôt, moi.

ZIZINE.

Eh bien ! je vous le conseille, ce serait du propre.

Dumouchel s’assied et se croise les bras avec colère ; Zizine s’approche.

Voyons, papa Dumouchel.

Air : Faisons la paix.

Soyez gentil ! (bis.)
Calmez cette grande colère,
Prenez gaiment votre parti.
Mais, je le vois, j’aurai beau faire,
Il ne sera jamais gentil,
Il ne peut pas être gentil !
Voulez-vous faire la paix ?

DUMOUCHEL.

Non !

ZIZINE.

Si !

DUMOUCHEL.

Flatteuse !... Eh bien ! répétons.

ZIZINE.

Oh ! non... puisque je vous dis que je vous ai préparé une surprise.

DUMOUCHEL.

Mais encore, qu’est-ce que c’est ?

ZIZINE.

Une grande scène... vous verrez... Allons, soyez bien gentil, ne vous occupez plus de moi, préparez toutes vos affaires.

DUMOUCHEL.

C’est vrai que l’heure se passe... Et le casque de Rodrigue qui n’est pas encore arrangé.

ZIZINE.

Vous voyez bien ; vous serez content, je ne vous dis que ça.

DUMOUCHEL.

Tu fais de moi tout ce que tu veux... Je vais tout préparer... Tu me permets d’ôter mon habit ?

ZIZINE.

Ôtez tout ce que vous voudrez.

DUMOUCHEL.

Je vais chercher le casque, il est là-haut dans mon magasin.

ZIZINE.

Ah ! dans la soupente.

À Dumouchel qui monte.

Prenez garde de tomber.

DUMOUCHEL.

Ne crains rien, j’ai bon pied, bon œil.

À moitié monté.

Ne t’ennuie pas, je reviens tout de suite.

Il disparaît.

 

 

Scène VII

 

ZIZINE, ADALGIS

 

ZIZINE.

Va donc, bon œil, je te ferai voir des choses auxquelles tu ne t’attends pas.

ADALGIS, ouvrant la porte.

Zizine !

ZIZINE, surprise.

Adalgis !

ADALGIS.

Êtes-vous seule, ô ma colombe ?

ZIZINE.

Mais non... Quelle imprudence ! Dumouchel est dans la soupente.

ADALGIS.

Qu’il y reste, le vieux sapajou. Vous savez que je fais partie de ses élèves ; je reviendrai ce soir.

ZIZINE.

Raison de plus pour ne pas rester... Il se doutera de quelque chose, et fera manquer notre plan pour ce soir.

ADALGIS.

Pas de danger... nous l’entendrons revenir ; avec sa jambe, il a toujours l’air d’aller à cloche-pied ; et à quoi bon ces craintes, quand tu es là ?... Puis-je, ô ange de chair et d’os, ne pas saisir toutes les occasions de m’élancer vers toi ?

ZIZINE.

Adalgis, vous êtes romanesque.

ADALGIS.

Dis donc romantique... oui, d’amour, je suis un vrai torrent !... le sentiment est mon élément, et assurément, je suis l’amant le plus charmant !

ZIZINE.

Comme il ment !

ADALGIS.

Ah ! c’est que vois-tu, c’est avec de la poudre fulminante qu’on a composé mon individu... Aussi, quand je suis près de toi, je ne peux plus comprimer mon amour, il faut qu’il s’échappe, qu’il éclate... enfin tu me fais l’effet d’une capsule.

ZIZINE.

Est-il phosphorique cet être là ! Ô Adalgis ! c’est vrai que maman est fièrement tannante.

Air.

ADALGIS.

Je te maudis, mère marâtre,
Et je m’insurge contre toi,
Oui, tu me battrais comme plâtre,
Que je ne me tiendrais pas coi.
Va-t’en bien loin, duègne cruelle,
Fuis bien loin, nous bravons tes lois ;
Si ma Zizine m’est fidèle,
À nous deux nous en valons trois.

ZIZINE.

C’est possible !

ADALGIS.

Me fermer sa maison et ton cœur, c’est abusif et vexatoire, c’est même indécent.

ZIZINE.

Au fait, tu ne peux pas toujours rester à la porte des gens.

ADALGIS.

Il est temps que ça cesse par un grand coup d’éclat... Ah ! maman Grillon, vous l’aurez voulu... Nous séparer !... oh ! jamais ! jamais !... on séparerait plutôt la mer et la terre... on séparerait plutôt la lune en deux morceaux... N’est-ce pas, mon chérubin, mon adoration, mon bouquet virginal, mon tout, tout, tout ?

ZIZINE, soupirant.

Ah ! mais c’est égal, Adalgis, vous n’êtes pas raisonnable.

ADALGIS.

Je ne suis pas raisonnable !... moi l’être le moins exigeant.

ZIZINE.

Adalgis, vous me faites rougir, ce n’est pas ce que je voulais dire.

ADALGIS.

Pardon, ô la plus pure des élèves de déclamation, par...

On entend frapper à la cloison de la soupente.

Par où frappe-t-on ?

Zizine lui fait signe de se taire.

DUMOUCHEL, de la soupente.

Zizine, ne t’impatiente pas, je reviens.

ADALGIS.

Reste dans ta soupente, hibou de malheur !

ZIZINE.

Le voilà qui va descendre... Adalgis, sauvez-vous vite ; s’il vous trouvait ici, tout serait perdu, et dans une heure...

ADALGIS.

Dans une heure, je retombe à tes pieds.

L’embrassant.

Tiens ! tiens ! tiens !

ZIZINE.

Allons donc, pas de bêtises.

ADALGIS, de la porte.

Quelqu’un monte l’escalier.

ZIZINE.

Dieu ! si c’était ma mère !

ADALGIS.

Ô vieille traître ! Dieu ! que la femme, la vieille femme surtout est traître ! j’aimerais mieux être rien du tout que d’être vieille femme.

ZIZINE, écoutant à la porte.

On approche ! impossible de vous échapper par là.

ADALGIS.

Comment faire ?

ZIZINE.

Cachez-vous dans cette chambre.

Elle le pousse dans la chambre à droite.

 

 

Scène VIII

 

ZIZINE, ADALGIS, MIGNARDET

 

MIGNARDET, de la porte.

Elle est seule !

ZIZINE, à part.

Ce n’est pas maman !... Tiens, les bas chinés !

MIGNARDET, avançant.

C’est moi, mon petit lapin blanc.

ZIZINE.

Dumouchel !

MIGNARDET.

Je le croyais parti.

Regardant Dumouchel qui descend et a déjà la moitié du corps sur l’échelle.

Dieu ! j’aperçois ses jambes, il ne peut être loin.

Lui glissant une lettre.

Prenez ceci, poulotte, j’attends la réponse.

Il va pour se cacher dans la chambre où se trouve Adalgis.

ZIZINE.

Une lettre !

Se jetant au-devant de lui.

Où allez-vous donc ?

MIGNARDET.

Me cacher !

ZIZINE.

Dans cette chambre ? eh bien ! par exemple !

À part.

Et l’autre...

MIGNARDET, allant à gauche.

Le premier endroit venu...

 

 

Scène IX

 

ZIZINE, DUMOUCHEL, ADALGIS et MIGNARDET, cachés

 

DUMOUCHEL, coiffé de son casque.

Tu m’appelais, Zizine ?

ZIZINE.

Moi ?

DUMOUCHEL.

Oui, tu as dit Dumouchel.

ZIZINE.

J’ai dit Dumouchel ?

DUMOUCHEL.

Je l’ai bien entendu... je ne suis pas borgne de l’oreille.

ZIZINE.

Ah ! oui, je disais : Tiens, vous voilà, papa Dumouchel ?

DUMOUCHEL.

C’est cela... Comment me trouves-tu ainsi ?

ZIZINE.

Avec ce casque, vous ressemblez à un Romain.

DUMOUCHEL.

Ça ne se peut pas, c’est un casque espagnol.

Air : Léger comme le papillon.

Pur Espagnol, j’en suis certain,
Ne faisons pas d’anachronisme.
Le Cid ayant un air romain,
Ah ! juste Dieu, quel solécisme !
Je veux, évitant toute erreur,
Qu’un éclat brillant l’accompagne !
Pour lui donner de la couleur,
Je le nettoie au blanc d’Espagne.

ZIZINE, à part.

Pendant qu’il y est, il devrait bien en faire autant pour lui. Et maman qui va venir, comment faire évaporer Adalgis ?... Si je pouvais... Oh ! quelle idée... c’est cela.

Haut.

C’est étonnant comme cette coiffure vous change, ça vous donne un petit air... un petit air chose...

DUMOUCHEL.

Tu trouves que ça me donne un petit air chose, de profil, surtout.

ZIZINE.

Oh ! de face aussi... c’est-à-dire même, qu’on ne s’aperçoit pas de la difformité de votre œil ; je vous assure que pour un œil seul, il n’est pas mal du tout.

DUMOUCHEL.

On est assez généralement de cet avis, il n’y a qu’une voix sur mon œil.

ZIZINE.

C’est au point que j’ai toujours cru que vous y voyiez un peu.

Adalgis entrebâille la porte, elle lui fait signe d’observer.

DUMOUCHEL.

Puisque je t’ai dit qu’à Carcassonne...

ZIZINE.

Allons, avouez que c’est pour vous rendre intéressant ?

DUMOUCHEL.

Non pardieu pas !

ZIZINE.

Vous ne voulez pas en convenir... C’est bien l’œil gauche qui est absent, n’est-ce pas ?

DUMOUCHEL.

Sans doute !

ZIZINE.

Eh bien ! je vais vous boucher le droit... et je verrai bien.

DUMOUCHEL.

Oui, mais moi je ne verrai plus.

ZIZINE, riant.

C’est ce qu’il faut.

DUMOUCHEL.

Quelle folie !

ZIZINE.

Essayons un peu.

DUMOUCHEL.

Allons, puisque tu le veux absolument.

ZIZINE, lui bouchant l’œil droit.

Y voyez-vous ?

DUMOUCHEL.

Eh ! non, mille fois non !

ZIZINE.

Bien vrai ?

DUMOUCHEL.

Parole d’honneur !

ZIZINE, toujours la main gauche sur l’œil droit, fait signe de la droite à Adalgis de s’esquiver ce que celui-ci fait sur la pointe des pieds ; lorsque Adalgis est parti, elle ôte sa main.

Allons, décidément, je vous crois, vous êtes bien borgne.

DUMOUCHEL.

C’est pas malheureux qu’elle m’accorde ça...

On entend des cris effroyables dans l’escalier.

Ah ! mon Dieu ! d’où viennent ces cris. ?...Est-ce qu’on égorge quelques particuliers dans cette maison ?

ZIZINE.

Mais c’est la voix de maman.

 

 

Scène X

 

LES MÊMES, MADAME GRILLON

 

MADAME GRILLON, de l’escalier.

Ouf ! je suis broyée, assassinée !

ZIZINE, allant à sa rencontre.

Que vous est-il donc arrivé ?

MADAME GRILLON, tombant sur une chaise.

Deux côtes de brisées.

DUMOUCHEL.

Expliquez-vous ?

MADAME GRILLON, se levant avec vivacité.

Monsieur Dumouchel, on n’est plus en sûreté dans votre maison, votre escalier est un repaire...

DUMOUCHEL.

Un repaire de rats... j’en rencontre par fois... qui...

MADAME GRILLON.

Il n’est pas question de rats ici, mais bien d’un homme qui descendait ou plutôt dégringolait les escaliers comme un furieux, et est tombé sur moi... j’ai vraiment cru d’abord...

DUMOUCHEL.

Oh !

ZIZINE, avec hésitation.

Et vous ne savez pas qui c’est ?

MADAME GRILLON, examinant Zizine.

Peut-être, je soupçonne quelqu’un.

DUMOUCHEL,

Quelqu’un, c’est bien vague.

ZIZINE.

Il n’est pas toujours sorti d’ici.

DUMOUCHEL.

Ça, bien sûr, je n’ai pas quitté l’appartement, et il n’est entré personne.

Mme Grillon regarde Zizine en face.

ZIZINE.

Eh bien, est-ce que vous voulez m’apprendre par cœur ?

MADAME GRILLON.

Je ne vous dis que ça.

ZIZINE.

Ça ne vous usera pas la langue.

À part.

Elle soupçonne Adalgis, et quand elle va le voir tout à l’heure... il va en pleuvoir de ces scènes.

DUMOUCHEL, regardant à sa montre.

Diable ! diable ! voici l’heure ; mesdames, vous me permettrez d’allumer ?

Il entre à droite.

ZIZINE, à part.

Si, pour détourner les soupçons, je... pourquoi pas ?

Haut avec un air contrit.

Maman...

MADAME GRILLON.

Ensuite !

ZIZINE.

J’ai un aveu à vous faire.

MADAME GRILLON.

Un aveu ?

ZIZINE, soupirant.

Un aveu !

MADAME GRILLON.

Zizine, vous me faites trembler !

ZIZINE.

Oh ! ne me grondez pas, c’est pas ma faute si...

MADAME GRILLON.

Si... quel si ?... achevez.

ZIZINE.

C’est que j’ n’ose pas.

MADAME GRILLON.

Malheureuse enfant ! arriverais-je trop tard ?

ZIZINE, avec bonhomie.

Pourquoi donc faire ?

MADAME GRILLON, à part.

Ce pourquoi donc faire me rassure un peu.

Haut.

Parlez, ma fille, transvasez vos chagrins dans le sein de votre mère.

ZIZINE.

Eh bien, pendant votre absence, et tandis que M. Dumouchel était dans sa soupente, j’ai reçu...

MADAME GRILLON.

Adalgis !

ZIZINE.

Puisque vous me l’aviez défendu.

MADAME GRILLON.

Qui donc alors ?

ZIZINE.

Vous savez bien... les bas chinés.

MADAME GRILLON.

Le petit vieux !... il se pourrait que...

ZIZINE.

Et c’est lui qui tout à l’heure, dans l’escalier, vous savez...

MADAME GRILLON.

J’avais bien cru le reconnaître aussi ! Ah ! le misérable ! et il s’est permis...

ZIZINE, indignée.

Oh ! ma mère !... votre Zizine a toujours été digne de vous... elle n’en a pas gros comme ça sur la conscience... Oui, il est venu ici, et il a osé m’écrire... tenez, je n’ai pas ouvert sa lettre...

MADAME GRILLON.

Donne... c’est très bien, ma fille, voilà les fruits de ton éducation et des bons exemples de ta mère... C’est étrange, il me semble que j’ai vu cette écriture quelque part.

ZIZINE.

Ouvrez donc, ça doit être drôle.

MADAME GRILLON.

Voyous...

Lisant.

« Mon cœur... »

ZIZINE.

Eh bien ! il est sans gêne,

MADAME GRILLON, à part.

Lui aussi, je me le rappelle, il m’appelait son cœur...

Lisant.

« Mon cœur, je suis rentier, et je n’ai rien à faire que vous aimer, aussi, je vous aime beaucoup. »

À part.

C’est inconcevable, il me semble...

ZIZINE.

Allez donc : « Je vous aime beaucoup... »

MADAME GRILLON.

« Je vous aime beaucoup... mon amour et mes rentes sont trop grandes pour moi seul. »

À part.

C’est ça, juste !

ZIZINE.

Ses rentes, passe encore ; mais son amour, merci.

MADAME GRILLON, lisant.

« Partagez avec moi, car... »

ZIZINE.

Eh bien ?

MADAME GRILLON, avec émotion.

« Ce que l’on goûte à deux nous semble bien meilleur,
« Dans la communauté tout doit suivre le cœur. »

ZIZINE.

Comme c’est délicat.

Voyant sa mère.

Qu’est-ce qui vous prend ? la v’qui tourne l’œil comme une carpe pâmée.

MADAME GRILLON, à part.

Ces deux vers, je les reconnais, il faut qu’ils aient passé dans la circulation.

ZIZINE, à part.

Qu’est-ce qu’elle a donc, maman, à se trémousser comme ça ?

DUMOUCHEL, entrant et posant les chandelles.

Une ici d’abord.

MADAME GRILLON, à part.

Ce serait une infamie !

DUMOUCHEL.

Une infamie de mettre là une chandelle ?

MADAME GRILLON, regardant la lettre.

Quelle chaleur !

DUMOUCHEL.

Si vous voulez, on ouvrira la fenêtre.

MADAME GRILLON, sans l’écouter.

Zizine ?... nous verrons !

ZIZINE, à part.

Décidément, il y a quelque chose là-dessous.

MADAME GRILLON.

Ah ! monsieur Dumouchel, si vous saviez... les hommes, c’est... des rien du tout.

DUMOUCHEL.

C’était bien la peine de m’interrompre pour me dire ça.

Bruit au dehors.

Mais voici mes élèves.

 

 

Scène XI

 

LES MÊMES, ÉLÈVES

 

CHŒUR.

Air de Robert.

Chacun arrive, au rendez-vous fidèle,
De nous montrer enfin voici l’instant ;
Dépêchons-nous la gloire nous appelle,
Pour applaudir, ici l’on nous attend.

DUMOUCHEL.

Ah çà ! voyons, mes enfants, ne perdons pas la tête...Tandis que je vais aller préparer les rafraîchissements pour la soirée... du vin chaud et des crêpes, madame Grillon, vous seriez bien aimable d’aider les jeunes personnes du sexe féminin à s’habiller.

MADAME GRILLON.

J’y adhère d’autant plus volontiers qu’en même temps je respirerai quelque chose.

ZIZINE.

Moi, je reste ici à repasser mon rôle et mon fichu.

Elle met le fer au feu ; à part.

Mon prisonnier qui m’attend !

Reprise du chœur ; ils entrent tous, excepté Zizine, dans la pièce à droite ; il y a une chandelle de chaque côté.

 

 

Scène XII

 

ZIZINE, MIGNARDET, ADALGIS

 

ZIZINE, regardant au trou de la serrure.

Bon ! voilà maman en train de passer une robe.

Elle va regarder à l’autre porte.

Le père Dumouchel est noyé dans les rafraîchissements, tout le monde est occupé, je puis ouvrir aux bas chinés.

Elle tire le verrou.

Sortez !

Elle revient vers le milieu du théâtre.

MIGNARDET, sortant.

Seule !

Il souffle la chandelle.

ZIZINE.

Eh bien ?

ADALGIS, entrant.

Personne que Zizine !

Il souffle la chandelle ; nuit.

ZIZINE.

Eh bien ?

ADALGIS, bas.

C’est moi !

ZIZINE, près de lui.

Adalgis !... silence ! il y a là quelqu’un... un vieux monstre qui s’est mis dans la tête de me faire la cour...

ADALGIS.

Ô Zizine !

ZIZINE.

Non... parole !

MIGNARDET, cherchant à talons.

Où donc es-tu, cher amour ? Psitt ! psitt !

ADALGIS.

Je m’en vais t’en donner du sitt, sitt !

Prenant Zizine sur son cœur.

Ma Zizine !

ZIZINE.

Adalgis, réprimez votre pantomime.

À Mignardet.

De grâce, monsieur, allez-vous-en, vous me perdez...

MIGNARDET.

C’est justement parce que je t’ai perdue, fleur printanière, que je te cherche...

ADALGIS, à Zizine.

Il te tutoie, le polisson...

ZIZINE.

La langue lui aura tourné...

À Mignardet.

À chaque instant on peut venir, partez...

ADALGIS.

Non, laisse-le approcher...

À part.

Me tromperait-elle ?

Il prend le châle de Zizine qui est sur une chaise près de lui, le met sur ses épaules, et passe au milieu.

Laisse-moi faire.

MIGNARDET.

Partir sans connaître mon sort, sans avoir lu dans ton cœur ?

ZIZINE.

Comment voulez-vous lire, on n’y voit goutte...

ADALGIS, bas à Zizine.

Parle-lui plus doucement.

ZIZINE.

Quoi ! tu veux...

Haut.

Vous ne voudriez pas me compromettre...

MIGNARDET arrive près d’Adalgis, et sent le châle qui lui couvre les épaules.

Te compromettre ! oh ! non, enchanteresse ! non ; mais je ne m’en irai pas que tu ne m’aies donné un gage d’amour... C’est si ennuyeux de brûler tout seul...

ADALGIS, à Zizine.

Tout seul ! Oh ! ce mot te rend mon estime...

MIGNARDET.

Tu ne réponds pas, délirante créature...

ZIZINE.

Ah çà ! mais est-ce qu’il compte m’ennuyer encore longtemps comme ça ?...

ADALGIS, bas.

Réponds-lui donc.

ZIZINE.

Qu’est-ce que tu veux que je lui dise ?

ADALGIS, bas à Zizine.

Moque-toi de lui...

MIGNARDET.

Pourquoi t’éloigner ainsi de ton petit Mignardet ?...

ZIZINE.

Mignardet !

MIGNARDET.

C’est mon nom, ma tourterelle...

ZIZINE.

Vous m’aimez donc ?

MIGNARDET, prenant la main d’Adalgis.

J’en jure par cette petite menotte !

Il la baise.

ZIZINE.

Finissez, ou j’appelle maman...

Elle lui donne un soufflet.

MIGNARDET, tenant sa joue.

Aïe ! Qui croirait qu’une si jolie main pût frapper si fort !

Haut.

Délicieuse colombe, pourquoi me repousser ainsi ?...

ZIZINE.

Ah !

MIGNARDET, à part.

Elle soupire ! elle s’attendrit !...

Trio.

Air de Lestocq.

Apaise ton ressentiment,
Ah ! daigne, en cet heureux instant,
M’entendre.

ZIZINE.

Vous abusez de ma candeur,
Et vous tromperiez sans pudeur
Mon cœur.

MIGNARDET, prenant la main d’Adalgis.

J’en jure ici par vos attraits,
Je ne vous trahirai jamais.

ZIZINE, jouant l’effroi.

Mais soyez moins entreprenant.

ADALGIS, embrassant Zizine.

Ah ! quel bonheur pour un amant
Si tendre !
Ah ! de cette façon, tu peux
Combler toujours, si tu le veux,
Ses vœux.

Ensemble.

MIGNARDET.

À mes désirs elle se rend ;
Ah ! quel bonheur pour un amant
Si tendre !
Ô signe d’un cœur amoureux,
L’amour comble, en ce jour heureux,
Mes vœux.

ZIZINE et ADALGIS.

Vraiment, il n’est pas exigeant,
Ah ! quel bonheur pour un amant
Si tendre.

ADALGIS.

Ah ! de cette façon, tu peux, etc.

ZIZINE.

S’il se contente ainsi, je peux
Combler, sans me gêner pour eux,
Ses vœux.

DUMOUCHEL, en dehors.

Allons, sommes-nous prêts ?

ZIZINE.

On vient !

ADALGIS, retirant sa main.

Je me sauve !...

MIGNARDET.

Qu’est-ce que cette voix ?

Il s’avance.

ZIZINE, le fuyant.

Laissez-moi, monsieur...

MIGNARDET.

Diable ! est-ce que...

Il l’atteint et l’arrête.

ZIZINE.

Au secours ! au secours !

MIGNARDET.

Taisez-vous donc...

ZIZINE, plus fort.

Au secours !

 

 

Scène XIII

 

ZIZINE, MIGNARDET, DUMOUCHEL, MADAME GRILLON, ÉLÈVES

 

On apporte de la lumière.

CHŒUR.

Air de Wallace.

Quel tapage effroyable !
Qui donc égorge-t-on ?
C’est un sabbat du diable !
Brûle-t-on la maison ?

MADAME GRILLON.

Ô ciel, un homme avec ma fille !
Et sans lumière, ah ! quelle noirceur !
Pour déshonorer ma famille...
Grand Dieu ! c’est lui, c’est une horreur.

Ensemble.

TOUS.

Décampez au plus vite,
Partez, vil suborneur ;
Éloignez-vous de suite,
Partez, vous nous faites horreur.

MIGNARDET.

Oui, je pars au plus vite,
Vraiment, c’est une horreur !
Je m’éloigne de suite,
Mais sur vous tous malheur.

MIGNARDET.

Mais écoutez-moi donc !

ZIZINE, se jetant dans les bras de sa mère.

Ah ! maman, si vous saviez...

MADAME GRILLON.

N’achève pas...

Allant vers Mignardet.

Comment, monstre !...

Hésitant en le fixant.

Ah ! mon Dieu ! je... c’est... oui... non... si... ah !

Elle tombe évanouie dans les bras de Zizine.

ZIZINE, la soutenant.

Et les mauvaises langues du quartier qui l’accusaient de légèreté !

Regardant Mignardet.

Est-ce que par hasard ce serait son prince russe ?

Les jeunes personnes entourent Mme Grillon, les hommes se groupent autour de Dumouchel pour renvoyer Mignardet.

DUMOUCHEL.

Voilà bien un autre embarras...

À Mignardet.

Pour la dernière fois, répondez ! Qui es-tu ?

MIGNARDET.

Un amateur de comédie.

ZIZINE.

Et d’autre chose avec.

TOUS.

À la porte ! retirez-vous.

MIGNARDET.

Je me vengerai, j’ai un rival, nous verrons !

TOUS.

À la porte ! à la porte !

MIGNARDET, sortant.

Je pars ; mais malheur à vous, Zizine, qui vous êtes jouée de mon amour.

Reprise du chœur.

 

 

Scène XIV

 

ZIZINE, DUMOUCHEL, MADAME GRILLON, ÉLÈVES

 

MADAME GRILLON, revenant à elle.

Où est-il ? où est mon monstre ?

DUMOUCHEL, à part.

Son monstre !

Haut.

Je l’ai chassé, l’infâme !

MADAME GRILLON.

Chassé ! je ne le verrai plus... Ah ! ma fille, tu ne sais pas quel danger tu as couru.

ZIZINE, à part.

Mais je m’en doute.

 

 

Scène XV

 

LES MÊMES, LA SOCIÉTÉ, ADALGIS

 

CHŒUR.

Air de la Muette.

Nous nous empressons d’accourir
Où nous invite le plaisir ;
 Quel bonheur pour nous de venir
Vous admirer, vous applaudir.

DUMOUCHEL, avec emphase.

De mes élèv’s je suis content,
Vous allez juger leur talent.

ZIZINE, les regardant.

Sont-ils fagotés ! qu’ils sont laids !

DUMOUCHEL, en admiration.

C’est comme au Théâtre-Français.

CHŒUR.

Nous nous empressons d’accourir, etc.

DUMOUCHEL, ZIZINE, ÉLÈVES, etc.

Ils s’empressent tous d’accourir
Où les invite le plaisir ;
Quel bonheur pour eux de venir
Nous admirer, nous applaudir !

DUMOUCHEL.

Allons, mesdames, que les souris jouent sur vos lèvres de rose et cha... chassons de pénibles souvenirs.

ZIZINE.

Il faut espérer que rien ne nous arrêtera plus.

DUMOUCHEL.

Messieurs, mesdames, prenez vos places, on va commencer.

ZIZINE.

Dites donc ! dites donc ! est-ce que vous nous prenez pour la femme à la longue barbe ou l’enfant Bucéphale.

DUMOUCHEL.

Ça se fait ainsi dans la haute société... Madame Grillon ici... Zizine à côté. Les élèves qui ne jouent pas n’ont qu’à se grouper dans le fond, ça fera tableau. Vous, Monsieur Péruchel vous avez la vue courte, mettez-vous sur le devant, en face de madame Grillon... Quant à monsieur Godon, qui est sourd, il peut se mettre où il voudra, il sera toujours bien pour ne rien entendre.

À monsieur Godon, en criant.

Mettez-vous où vous voudrez.

ZIZINE.

C’est lui qui jugera de l’organe.

Adalgis entre.

DUMOUCHEL.

Ah ! voici mon nouvel élève.

MADAME GRILLON.

Adalgis !

ZIZINE.

Tiens ! mais nous le connaissons.

MADAME GRILLON.

Taisez-vous, mademoiselle.

DUMOUCHEL.

Ah ! vous le connaissez, voyez-vous le hasard ! je ne connais rien qui se rencontre d’une manière plus inattendue que le hasard ! Messieurs et mesdames, je vous présente M. Adalgis, un jeune homme qui ira très loin... qui vous joue de l’Alexandre Dumas et de l’accordéon à vous ratatiner les nerfs comme une corde de violon au feu.

Il lui fait faire le tour.

MADAME GRILLON, à part.

Cet être m’est antipathique. Y aurait-il complot ? c’est ce que nous verrons ! mais pas d’esclandre.

Elle fait une révérence à Adalgis, qui la salue ; sa fille l’imite.

DUMOUCHEL.

Asseyez-vous près de ces dames, mon cher ami ! Maintenant, du silence, nous allons commencer par le Cid, de M. P. Corneille, auteur connu de l’époque ; nous aurons ensuite un intermède musical.

TOUS.

Un concert !

DUMOUCHEL.

En deux parties, comme au Conservatoire ; première partie airs de danses, exécutés sur l’accordéon, par M. Adalgis.

ZIZINE.

Qui en pince joliment !

MADAME GRILLON.

Zizine, vous êtes inconséquente !

TOUS.

Et la seconde partie ?

DUMOUCHEL.

C’est différent : airs de valses exécutés par M. Adalgis sur l’accordéon.

TOUS.

Mais c’est toujours la même chose.

DUMOUCHEL.

Zizine devait faire Chimène ; mais elle a appris une autre scène, et elle craint de se fatiguer le larynx... Mlle Rose la remplacera... Y sommes-nous ?...

Il frappe les trois coups, tout le monde tousse à cause de la poussière.

Ne faites pas attention ! ça va se passer... Ah ! je dois vous dire que pour rapprocher les scènes où chacun doit jouer, j’ai fait un acte avec plusieurs ; l’action n’en marchera que mieux... Voyons, Auguste, vous représentez Rodrigue ; mettez votre casque un peu plus de côté pour vous donner l’air crâne ; et vous, Théodore, de la dignité, la main sur la hanche... voici la scène de défi entre le comte et Rodrigue. Posez-vous !... êtes-vous prêts !... allez !...

ZIZINE.

Ils ont l’air de deux coqs qu’on lâche l’un sur l’autre.

DUMOUCHEL.

Allez donc !

RODRIGUE.

À moi, comte, deux mots ?

LE COMTE.

Parle ?

RODRIGUE.

Ôte-moi d’an doute,
Connais-tu bien don Diègue ?

DUMOUCHEL.

Mais, mon cher ami, vous dites ça absolument comme si vous disiez Connaissez-vous le père Dumouchel ? Savez-vous où il demeure ? voilà comme j’attaquerais cet hémistiche !... d’abord je me poserais ainsi

Il prend une pose tragicomique.

la pointe du pied tournée un peu en dedans, c’est de tradition. Lekain ne manquait jamais ça, il faisait un effet ! si j’avais toutes les claques qu’il a reçues ! et je dirais de cette manière en ouvrant la bouche de gauche à droite et en clignant tant soit peu l’œil :

Connais-tu bien don Diègue ?

Heim ! quelle différence !

ZIZINE.

Oh ! oh ! comme c’est ça ! Je n’ai jamais connu M. Lekain ; mais je gagerais bien que, malgré tout son talent, il n’a pu parvenir à se démancher la mâchoire de cette façon-là.

DUMOUCHEL, avec fatuité.

Je ne me crois pas mauvais !

Aux personnages.

Continuez !

LE COMTE.

Ah çà ! où en étions-nous ?

ZIZINE.

C’est ce monsieur qui vous demandait si vous connaissiez don Bègue.

DUMOUCHEL.

Diègue... Bègue à présent !

LE COMTE.

Oui.

DUMOUCHEL.

Oui ! où diable avez-vous été chercher ce oui-là ? vous avez l’air de dire : Tiens, c’te farce ! On dit : Oui, noblement.

RODRIGUE.

Parlons bas, écoute :

DUMOUCHEL.

Je vous arrête encore là ! Vous dites parlons bas, et vous criez à tue-tête.

Il regarde de tous les côtés en déclamant si bas qu’on ne l’entend pas.

Parlons bas... Il n’y a absolument que les lèvres qui remuent, mais de sons, je t’en souhaite.

ZIZINE.

Le fait est que personne ne l’a entendu... Ah ! c’est admirable de vérité.

RODRIGUE, contrefaisant Dumouchel.

Parlons bas, écoute :
Sais-tu que ce vieillard fut la même vertu,
La vaillance et l’honneur de son temps ? le sais-tu ?

LE COMTE.

Peut-être !

DUMOUCHEL.

Arrogant donc, arrogant ! Peut-être !

RODRIGUE.

Cette ardeur que dans les yeux je porte,
Sais-tu que c’est son sang ? le sais tu ?

LE COMTE.

Qu’est-ce que ça me fait ?

DUMOUCHEL.

Ah ! malheureux ; et la rime ? Qu’est-ce que ça me fait ? ça me fait

pitié ! on t’en donnera des poètes pour les arranger comme ça, toi... Il va comme une corneille qui abat des noix.

Sais-tu que c’est son sang ? le sais-tu ?

Que m’importe ?

RODRIGUE.

À quatre pas d’ici, je te le fais savoir.

DUMOUCHEL.

Pas mal !

Applaudissant.

n’est-ce pas, messieurs et mesdames ?

TOUS.

Oui, oui, bravo !

LE COMTE.

Jeune présomptueux !

RODRIGUE.

Parle sans t’émouvoir.
D’une indigne pitié ton audace est suivie.

DUMOUCHEL.

Eh bien ! vous passez une page ! Ah ! bah ! ça ne fait rien, au fait ! ça échauffe.

RODRIGUE.

D’une indigne pitié ton audace est suivie,
Qui m’ose ôter l’honneur craint de m’ôter la vie.

LE COMTE.

Retire-toi d’ici.

RODRIGUE.

Marchons sans discourir.

LE COMTE.

Es-tu si las de vivre ?

RODRIGUE.

As-tu peur de mourir ?

LE COMTE.

Viens ! tu fais ton devoir, et le fils dégénère
Qui survit un moment à l’honneur de son père.

Sortie ; applaudissements.

DUMOUCHEL.

Pas mal du tout, on voit que ce sont mes élèves. Seulement, Auguste, ne te dandine pas trop, tu as l’air de danser sur la corde, il faut de l’aplomb ! Et toi, Théodore, plus de nature dans ton jeu, il faut mettre son geste d’accord avec les paroles... Tiens, par exemple, quand, dans la fameuse strophe, tu dis :

Je demeure immobile...

Il est évident que là, si tu remues comme un possédé, tu fais un contresens ; tu ne peux pas dire : Je demeure immobile, en faisant un entrechat, on dirait : Quel sot ça fait que cet acteur-là Je vais te dire les deux derniers vers, écoute :

En cet affront mon père est l’offensé,
Et l’offenseur le père de Chimène.

Vois-tu ! je me frappe la poitrine, c’est imitatif.

En cet affront mon père est l’offensé,
Et l’offenseur le père de Chimène.

Applaudissements frénétiques, on lui jette une couronne ; il s’évente d’un air satisfait.

Ah ! je suis confus ! une couronne à moi !

ZIZINE, la posant sur sa tête.

Oh ! vous êtes fait pour en porter.

DUMOUCHEL.

Tu me flattes... Passons maintenant à la partie musicale.

À Adalgis.

Jeune homme, où est votre instrument ?

ADALGIS.

Dans ma redingote.

Il va le chercher.

TOUS.

Silence ! silence !

Après qu’Adalgis a joué, on l’entoure, on l’applaudit et on le félicite.

DUMOUCHEL.

Jeune homme, vous avez un doigté admirable... À présent, à votre tour, Zizine, voyons la surprise que vous nous ménagiez.

TOUS.

Ah oui.

ZIZINE.

Eh bien, il s’agit d’un mélodrame nouveau, intitulé l’Enfant du mystère, que j’ai appris en cachette pour cette solennité dramatique.

TOUS.

Un mélodrame ! bon ! très bon !

ZIZINE.

Oh, très bon... c’est un mélodrame de nos jours... Enfin, n’importe, mais il faudrait quelqu’un pour me donner la réplique.

ADALGIS.

Si ce n’est que cela, moi je sais le rôle... si toutefois j’osais m’offrir.

DUMOUCHEL.

À merveille... il est charmant, ce jeune homme.

MADAME GRILLON, à part.

Je t’en ferai du mélodrame !... plus que jamais je crois à un complot.

DUMOUCHEL.

Silence ! Zizine, mets-nous au courant de l’action.

ZIZINE.

Voici la chose... je suis l’héroïne, le ciel m’a douée d’une infinité de dons... j’ai en partage une âme sensible et une débine affreuse... j’arrive dans une sombre forêt... il n’y a pas d’héroïne sans forêt... pas plus que de foret sans héroïne... je me trouve bientôt près d’une caverne ; il est minuit... malgré le tonnerre qui gronde et la pluie qui tombe par torrents, je continue mon chemin en barbotant de la manière la plus ignoble, et je dis en me bouchant les oreilles et en retroussant ma robe : Oh !... oh !... ah !...

DUMOUCHEL.

Très bien !

ZIZINE.

Oh !

Elle sanglote.

DUMOUCHEL.

Hein ! comme c’est nature !... et ce style !... Comme on écrit maintenant.

ZIZINE.

Est-ce bien moi !

Elle se tâte.

Oui, c’est moi... ô ma pensée !... non, non, laisse-moi, pensée qui me poursuis sans relâche !... Ô arbres de la foret, tombez sur ma tête coupable !... Ô tempête, tu grondes moins fort que la tempête intérieure qui secoue mon cœur comme un frêle navire emporté par la vague.

DUMOUCHEL.

Comme ça dit vague !

ZIZINE.

Oh ! malheur ! malheur !... oh !...il faut en finir... je vais me livrer aux bêtes fauves, et chercher le repos dans leurs entrailles...

DUMOUCHEL.

Un instant, par grâce, Zizine, laisse-moi respirer... oh ! messieurs et dames, comme elle dit ! quelle haleine forte !

ZIZINE.

Alors, je m’assieds dans la caverne, et je réfléchis... un inconnu arrive et parle à son tour.

Elle s’assied par terre.

ADALGIS.

C’est moi... je m’avance à pas comptés, les bras croisés comme Napoléon : Ô silence, comme tu me parles !

DUMOUCHEL.

Voilà qui est hardi ! c’est du premier ordre, c’est monumental !

ADALGIS.

Ô silence ! comme tu me parles ! l’orage avec sa grande voix mêle son murmure aux bruissements de ma pensée... Où est-elle maintenant celle que mon amour a jetée dans le malheur le plus intense ? Ô gouffre, abîme, torrent au fond duquel gît mon amante, rends-la-moi... mais le gouffre ne répond pas... gouffre sans voix, gouffre sans cœur...

TOUS.

Admirable ! sublime !

DUMOUCHEL.

Comme c’est corrosif.

ZIZINE.

Je crois bien, c’est écrit avec du vitriol.

ADALGIS.

Pourquoi n’es-tu pas là, toi que mon âcre soif de plaisir a livrée en pâture au désespoir ? pourquoi n’es-tu pas là ? je te dirais : Oh ! que ça me fait plaisir de te voir !

ZIZINE, se levant sur les genoux.

N’entends-je pas les sons inarticulés d’une voix indistincte ?

ADALGIS.

Il me semble qu’une parole amie a glissé sur mon cœur... comme la brise sur mon front... Ô Fœdora !

ZIZINE, se levant tout-à-fait.

N’est-ce pas mon nom ? ou bien est-ce le vent qui parle la langue de mon amour ?...

ADALGIS.

Fœdora, si tu peux m’entendre, viens sur le cœur de ton bien-aimé...

ZIZINE.

Arthur !

ADALGIS.

Fœdora !

ZIZINE.

Est-ce toi ?

ADALGIS.

C’est mon amante !... Oui, la forêt s’est attendrie... Voilà mon bien auquel les tigres féroces, moins féroces que les hommes, n’ont pas touché... Tu m’aimes, toi ?

ZIZINE.

Ah !...

ADALGIS.

Pour jamais ?

ZIZINE.

Ah !... ah !...

ADALGIS.

Oh ! alors, la nuit n’a pas de ténèbres, la société n’a pas de préjugés... Viens fuyons !... Viens appuyer ta tête sur l’oreiller du bonheur, viens... viens...

ZIZINE.

Mes pieds ensanglantés ne peuvent plus me porter...

ADAIGIS.

Eh bien ! mes bras nerveux t’emporteront au bout de la terre...

ZIZINE.

Ah !...

ADALGIS.

Ah ! fuyons !...

Elle se jette dans ses bras, il la soulève et l’emporte sur l’escalier en bousculant toutes les chaises et en fermant la porte derrière eux.

 

 

Scène XVI

 

DUMOUCHEL, MADAME GRILLON, ÉLÈVES, LA SOCIÉTÉ

 

CHŒUR.

Air des Hussards de Felsheim.

Bravo, bravo, c’est admirable,
Prodigieux, monumental,
Sublime, immense, incomparable,
Miraculeux, pyramidal,

DUMOUCHEL, avec enthousiasme.

C’est renversant !... Bravo ! jeunes gens ! votre place est aux Français...

Il jette les chaises par terre.

Bravissimo !

Il jette sa perruque en l’air.

Et c’est mon élève !... Que vous devez être fière... madame Grillon !...

MADAME GRILLON.

Oui... Mais pourquoi ne reviennent-ils pas ?

DUMOUCHEL.

Par modestie... Nous autres grands artistes, nous sommes très modestes.

MADAME GRILLON, près de la porte.

Zizine ?... Eh bien ! ils ne répondent pas !... Zizine ?... Dieu ! si... Oh ! quel horrible soupçon ! Monsieur Dumouchel, monsieur Dumouchel, de l’air, de l’air... je suffoque.

DUMOUCHEL, ouvrant la fenêtre.

L’émotion...

MADAME GRILLON.

Il est bien question de cela !... Zizine, ma fille !... Mais que vois-je

dans la rue ?

DUMOUCHEL.

Il me semble que c’est Zizine, qui monte avec un homme dans une

sylphide.

TOUS.

Quelle légèreté !

MADAME GRILLON.

Je le reconnais, c’est Adalgis... Malheureuse mère !

DUMOUCHEL.

Un enlèvement !... J’avais raison de dire qu’ils jouaient au naturel...

TOUS.

Au secours ! au secours !

 

 

Scène XVII

 

LES MÊMES, MIGNARDET

 

MIGNARDET.

Arrêtez, ne craignez rien.

MADAME GRILLON.

Lui !... Je vais me retrouver mal !...

DUMOUCHEL.

Ah çà ! mais c’est toujours à recommencer.

MIGNARDET.

Oui, c’est moi !... Vous m’avez méconnu, je me suis vengé noblement en empêchant une malheureuse mère de tomber dans le désespoir...

MADAME GRILLON.

Expliquez-vous !

MIGNARDET.

Ils sont cernés, on va vous les ramener.

À part, se frottant les mains.

Je la tiens...

MADAME GRILLON.

Ô nature !... ô vous... toi... Savez-vous ce que c’est que Zizine ?...

MIGNARDET.

C’est une...

MADAME GRILLON.

C’est votre fil... leule... Ne reconnaissez-vous pas l’infortunée Grillon ?...

MIGNARDET.

Grillon !

À part.

J’ai marché sur une vipère !

DUMOUCHEL.

Ça m’attendrit ! c’est théâtral !

MADAME GRILLON.

Ne la reconnaissez-vous pas votre petite Grillon ?

MIGNARDET.

Ma foi, non !

MADAME GRILLON.

Approchez-vous...

MIGNARDET, s’éloignant.

Je vous crois sur parole...

 

 

Scène XVIII

 

LES MÊMES, ZIZINE, ADALGIS

 

DUMOUCHEL.

Les voici !

MIGNARDET, à part.

Comment, c’est là... Quelle école !

MADAME GRILLON.

Approche, malheureuse enfant, que je chéris malgré tes fautes !... Je te maudis !

DUMOUCHEL.

Oh ! maman Grillon.

MIGNARDET.

Un peu d’indulgence !

MADAME GRILLON.

Vous le voulez ?... Tu le...

Bas à Mignardet.

Oh ! non, plus tard ! plus tard !

MIGNARDET.

Elle me fait frémir !

MADAME GRILLON, montrant Mignardet.

Allons, puisqu’il le désire, je te pardonne.

ZIZINE, bas à sa mère.

Est-ce que c’est le prince russe ?

MIGNARDET.

Et elle vous unit à votre amant.

ZIZINE.

Parole d’honneur ?

ADALGIS.

Fameux !

MADAME GRILLON.

Comment ?

MIGNARDET.

Je les dote.

ZIZINE, à Adalgis.

Ne me faites pas de mauvaises farces, sans ça...

MADAME GRILLON.

Je n’ai plus rien à dire... Allons, épouse ton mauvais sujet.

À Mignardet.

Embrassez votre fil... leule.

À Zizine.

Voici ton parrain !

ZIZINE.

Les bas chinés étaient... Nature, que tu es bizarre !

MIGNARDET, l’embrassant.

Viens dans mes bras, ma fil...

MADAME GRILLON.

Eule.

ZIZINE, à part.

Autant celui-là qu’un autre !

MADAME GRILLON, bas à Mignardet.

Dorénavant, mon amour, nous ne nous quitterons plus.

MIGNARDET, à part.

Attends-moi sous l’orme.

Haut.

Comment donc !...

DUMOUCHEL, joignant les mains d’Adalgis et de Zizine.

Enfants, je vous unis, croissez et multipliez.

ZIZINE.

Je le disais bien que j’étais l’enfant du mystère.

CHŒUR.

Air : Oh ! quel beau mariage.

Heureuse destinée !
On unit en ce jour,
Par un doux hyménée,
Le talent et l’amour.

DUMOUCHEL, amenant Zizine.

Air : Vaudeville de l’Apothicaire.

C’est mon élève... la voilà ;
Grâce ! je réponds de son zèle,
C’est sur moi que tout tombera,
Messieurs, si vous frappez sur elle.

ZIZINE.

De ses craintes ayez pitié,
Mon pauvre maître en vain me lorgne ;
Il n’ voit mes défauts qu’à moitié,
Soyez aveugles s’il est borgne.
Ah ! messieurs, pour lui, par pitié,
Soyez aveugles s’il est borgne.

Chœur.

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