Voltaire et Madame de Pompadour (Charles DESNOYERS - Jean-Baptiste-Pierre LAFITTE)

Comédie en trois actes.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le théâtre Français, le 12 novembre 1832.

 

Personnages

 

VOLTAIRE

L’ABBÉ DE BERNIS

LE VICOMTE DE CHAMILLY

COLLINI, secrétaire de Voltaire

LEKAIN

UN DOMESTIQUE

MADAME DE POMPADOUR

MADEMOISELLE GAUSSIN

PLUSIEURS DAMES de la Comédie française

 

La scène est dans une petite maison, aux barrières de Paris.

 

 

ACTE I

 

Un salon, porte au milieu, plusieurs portes latérales, meubles riches et élégants, style Vanloo et Boucher.

 

 

Scène première

 

COLLINI, seul

 

Il est assis à une table couverte de papiers.

Allons, un peu de courage ! je finirai peut-être par tout mettre en ordre. Nous sommes arrivés d’hier soir, et déjà plus d’une vingtaine de lettres à l’adresse de mon illustre patron... Jusqu’à sa sainteté Benoît XIV qui n’a pas dédaigné de lui écrire... À lui !... à monsieur de Voltaire ! ah ! c’est que l’Église a sur nous de très grands projets... mais que monsieur de Voltaire ne m’a point expliqués encore... Soyez donc le secrétaire, le confident d’un grand bomme... Il ne vous communique aucune de ses affaires importantes... Et tout cet amas de lettres ennuyeuses, il faut les lire, il faut y répondre !... Heureusement, j’ai un bon moyen d’abréger ma besogne.

Il les jette dans le feu.

 

 

Scène II

 

COLLINI, L’ABBÉ DE BERNIS

 

UN LAQUAIS, annonçant.

Monsieur l’abbé de Bernis.

L’abbé entre et le laquais sort.

COLLINI.

Monsieur de Bernis !

Il se lève précipitamment et va à sa rencontre.

Salut au plus aimable de nos abbés, au poète le plus fêté de nos jolies femmes !

L’ABBÉ, en saluant.

Eh, eh ! c’est un public quelquefois difficile à contenter, mon cher Collini... Ah ça ! que faisiez-vous donc lorsque je suis entré ?... Ces papiers...

Il montre la cheminée.

COLLINI.

Vous le voyez, monsieur l’abbé, je résumais notre correspondance.

L’ABBÉ.

Ah ! la philosophie a donc aussi ses autodafé ?

COLLINI.

C’est une petite revanche convenue avec monsieur de Voltaire... mais je me garderais bien de brûler quelque chose d’intéressant, cette lettre par exemple... de sa sainteté Benoît XIV... le dispensateur des grâces d’en haut, celui qui vous a fait abbé.

L’ABBÉ.

Sans abbaye, comme tant d’autres... Je n’ai, par malheur pour mes créanciers, d’un abbé que le titre et le petit collet... mais c’est un passe-partout, un uniforme qui nous rapproche des heureux qui dispensent la fortune.

COLLINI.

Des grands qui gouvernent le monde.

L’ABBÉ, souriant.

Et des femmes qui gouvernent les grands.

COLLINI.

Mais qui vous a donc appris notre retour ?

L’ABBÉ.

Le bruit public... tout le monde sait à Paris que Voltaire a quitté Ferney, sa terre d’exil, pour venir incognito assister à la reprise de son Mahomet, défendu il y a cinq ans par ordre supérieur.

COLLINI.

Il est vrai, et, quoique la cour lui refuse ouvertement le droit de séjourner dans la capitale, nous avons trouvé asile dans ce lieu privilégié, à deux pas de Paris.

L’ABBÉ.

Petite maison de monsieur d’Argenson, ministre d’état.

COLLINI.

Maison délicieuse !

L’ABBÉ.

Je la connais.

Bas à l’oreille de Collini et montrant la porte d’un cabinet.

J’ai fourni les dessins de ce boudoir.

COLLINI.

Vraiment ?... et peut-être vous est-il arrivé d’y lire quelquefois, en bonne compagnie, vos charmantes Matines de Cythère ?

L’ABBÉ.

Comme vous dites, quelquefois... nos grandes dames ont tant de dévotion !... Or, j’ai appris que ce matin même, l’une de ces dames, la plus célèbre... la plus belle de toutes, a ordonné à ses gens de la conduire ici.

COLLINI.

La marquise de...

L’ABBÉ.

Justement, elle-même. Je sais aussi qu’une des dames de la Comédie-Française, la petite Gaussin, charmante fille, et surtout très bonne personne, doit venir répéter avec votre poète son rôle de Palmyre : le désir de voir ces deux dames, d’embrasser le patriarche de Ferney, auprès de qui j’ai mission de remettre un costume complet de Mahomet, qu’il destine au jeune Lekain... enfin s’il faut tout vous dire...

 

 

Scène III

 

COLLINI, L’ABBÉ DE BERNIS, UN DOMESTIQUE annonçant

 

LE DOMESTIQUE.

Monsieur de Chamilly.

L’ABBÉ.

Diantre !

COLLINI.

Monsieur de Chamilly !... Vous allez vous trouver en présence de celui que, naguère, vous avez si bien drapé dans certaine épître.

L’ABBÉ.

Ah ! bien des choses se sont passées depuis !... La cour, je ne sais pourquoi, est dans un accès de dévotion : on dirait une phase du dernier règne... j’ai perdu ma faveur... Monsieur de Chamilly, neveu d’une haute puissance en cour de Rome, est en train de me remplacer... vous devinez auprès de qui... Jusqu’à présent pourtant les rieurs sont de mon côté.

COLLINI.

Mais les courtisans sont du sien... Il prétend, lui, que vous n’êtes qu’un mousquetaire en soutane.

L’ABBÉ.

Bon, bon !... parce que j’ai dit que c’était un prêtre en épaulettes... ah ! le voici.

COLLINI.

Comme je suis neutre, je vous laisse.

Le vicomte de Chamilly entre.

Messieurs, je cours annoncer vos deux visites à monsieur de Voltaire.

 

 

Scène IV

 

L’ABBÉ DE BERNIS, LE VICOMTE DE CHAMILLY

 

CHAMILLY, faisant un mouvement de surprise en apercevant l’abbé.

Ah !... vous ici, monsieur l’abbé ?

L’ABBÉ, ironiquement.

Enchanté de vous faire les honneurs d’une maison où vous ne vous attendiez pas à me trouver.

CHAMILLY.

Je croyais qu’après ce qui s’était passé !...

L’ABBÉ.

C’est précisément à cause de ce qui s’est passé, que j’ai voulu que vous fussiez moins en mesure de me faire du mal.

CHAMILY.

Mes principes ne me permettent ni de faire, ni de vouloir de mal à personne.

L’ABBÉ.

C’est juste, et vous l’avez prouvé en face de l’ennemi : vous êtes de l’école du prince de Soubise, vous ?

CHAMILLY.

On sait que monsieur l’abbé est riche en épigrammes... et puis... la disgrâce donne de l’esprit.

L’ABBÉ, vivement.

Alors, pour Dieu, monsieur, tâchez d’être une bonne fois en disgrâce, nous verrons bien.

CHAMILLY.

Elle ne peut plus m’atteindre : j’ai acquis une faveur qui vous est ôtée, et la main qui vous soutenait s’est retirée de vous.

L’ABBÉ.

Grâce à vos bons soins.

CHAMILLY.

Je crois avoir rempli un devoir en éclairant madame de Pompadour sur la conduite de certaines gens.

L’ABBÉ, après un temps.

Monsieur le mousquetaire...

CHAMILLY.

Monsieur l’abbé ?

L’ABBÉ.

Vous serait-il possible de me traiter un instant, un seul, avec franchise ?

CHAMILLY.

Je le veux bien.

L’ABBÉ.

Vous le jurez ?

CHAMILLY.

Sur tout ce qu’il y a de sacré.

L’ABBÉ.

Et moi, je fais serment... par les beaux yeux de madame de Pompadour.

CHAMILLY, avec malice.

Et ceux de la petite Gaussin.

L’ABBÉ.

Soit... je fais serment... de ne vous épargner aucune vérité : d’abord, monsieur le mousquetaire, je vous déteste.

CHAMILLY.

Et moi, monsieur l’abbé, je vous liais à la mort.

L’ABBÉ.

À la bonne heure, nous commençons à nous entendre... Comme vous êtes un profond politique, vous avez surpris un secret qui m’est commun avec la marquise... 

CHAMILLY.

Et un autre de même nature, qui vous est commun avec la petite Gaussin.

L’ABBÉ.

Quant à celui-là, il est à peu près de votre invention.

CHAMILLY.

Nous avons des preuves.

L’ABBÉ.

Je le sais.

CHAMILLY.

Des preuves écrites.

L’ABBÉ.

Mais qu’un mot de moi peut frapper de nullité.

CHAMILLY.

Essayez... et vous serez plus habile que nous.

L’ABBÉ.

Non... j’aurai pour moi une conviction à laquelle on ne résistera pas.

CHAMILLY.

Dieu le veuille, monsieur l’abbé !

L’ABBÉ, changeant de ton, et se rapprochant de Chamilly.

J’aime, j’adore la marquise... et tout abbé que je suis... malheur à celui qui prétendrait me la ravir !

CHAMILLY.

Prenez garde !... on pourrait rapporter vos paroles au roi de France.

L’ABBÉ.

Qui l’oserait ?... ce ne serait pas vous, je pense, monsieur le mousquetaire.

CHAMILLY.

Non, sans doute, monsieur l’abbé, j’ai trop de respect pour la marquise... tout en déplorant ses erreurs.

L’ABBÉ.

Et puis une femme comme elle peut se venger des indiscrétions d’un homme tel que vous... et puis... à défaut de cette considération,

Se rapprochant davantage.

vous savez que, comme un autre, je puis me servir d’un épée.

CHAMILLY, avec un sourire dubitatif.

Vous, monsieur l’abbé ?...

L’ABBÉ.

Pourquoi pas, monsieur le mousquetaire ?

CHAMILLY.

Un duel !... vous voudriez donc changer ce joli surnom que vous a donné le roi de Prusse, Babet la bouquetière.

L’ABBÉ.

Non, à la condition de vous faire tenir un bouquet là

Mettant la main presque sur le cour de Chamilly.

avec la pointe d’une épée.

CHAMILLY.

Ah ! c’est aller trop loin... et votre orgueil mériterait une punition.

L’ABBÉ, prenant un temps, et le toisant.

Ce n’est pas de vous qu’elle me viendra.

Reprenant son ton léger.

Et pourtant, je donne carte blanche à votre haine ; je vous délie de votre serment de franchise... reprenez votre caractère... parlez, inventez, intriguez... réunissez pour me perdre toutes les ressources de votre faconde politique je reviens dans une heure, et je détruis votre ouvrage. Sans adieu, monsieur le mousquetaire !

CHAMILLY.

Au revoir donc, monsieur l’abbé.

L’abbé sort.

 

 

Scène V

 

CHAMILLY, seul

 

Permis à lui d’être présomptueux, et de croire ferme ment à son mérite et à sa fortune... moi, qui vois tout avec plus de sang-froid, qui ne fais point de châteaux en Espagne, et n’ai de croyance véritable que dans les choses accomplies je sais que sa disgrâce en est une... d’ailleurs, il a contre lui l’Église, et bientôt, je l’espère, Voltaire lui-même... oui, il est de ces offres auxquelles on ne peut résister... et là-dessus un philosophe ne diffère des autres hommes que par la leur de la mise à prix... la démarche de madame de Pompadour réussira, j’en suis sûr... et cet audacieux abbé de Bernis... On vient... c’est elle sans doute.

Allant vers la porte du fond.

Entrez, entrez, madame la marquise.

 

 

Scène VI

 

CHAMILLY, LA MARQUISE DE POMPADOUR

 

LA MARQUISE.

Comment, monsieur de Voltaire n’est pas ici !

CHAMILLY.

On m’a dit de l’attendre. Il travaille, et ces messieurs ont la manie d’être avant tout à leurs écrits... Si pourtant ma dame la marquise le désire...

LA MARQUISE, préoccupée et s’asseyant sans faire attention à lui.

Oui, tout me le prouve à présent, s’il y a du bonheur sur la terre, ce n’est pas à la cour : fausses joies, faux plaisirs, faux amis !... Oh ! oui, faux amis !... Cet abbé de Bernis... qui l’aurait cru !... Un homme que j’ai comblé de bienfaits, que je voulais faire cardinal... Eh ! bien, in autre aura cette faveur... Je serai vengée... Mais quand je pense que, dans un premier moment de colère, j’ai failli écouter ce sot qui est là, qui n’ose avancer... Il y a une heure que l’abbé serait à mes genoux ; mais ce Chamilly...

CHAMILLY, qui s’était tenu à l’écart pendant le monologue de la marquise, s’approche en entendant prononcer son nom.

Madame la marquise ne m’a-t-elle pas appelé ?

LA MARQUISE.

Je ne crois pas... Il est vrai que je puis avoir prononcé votre nom.

CHAMILLY.

Vous avez daigné me faire l’honneur...

LA MARQUISE.

Je songeais à vous, je songeais à l’abbé ; je vous mettais en parallèle.

Avec une affectueuse ironie.

et... je n’avais pas de peine à établir une différence.

CHAMILLY.

Ah !... comme vous me rendez justice, madame la marquise ! Ce n’est pas moi qui trahirais ma bienfaitrice, qui voudrais briser des affections !...

LA MARQUISE, piquée.

Eh ! qui vous a dit, monsieur, que l’abbé avait brisé des affections ?... vous êtes bien hardi d’oser le penser !

CHAMILLY.

Je n’ai rien pensé !... je n’ai rien dit, madame !... je formulais tout simplement les expressions d’un dévouement sincère... avec des généralités... Quant à l’abbé... lui... je ne crois pas qu’il puisse briser les affections de personne...

Avec hypocrisie et appuyant.

À moins que ce ne soient celles de la petite Gaussin.

LA MARQUISE.

Toujours cette Gaussin !

CHAMILLY.

C’est une actrice à la mode, et monsieur de Bernis est trop abbé pour n’avoir pas suivi le torrent.

LA MARQUISE.

Le torrent !... vous avez des expressions !... eh ! bien, voyons, qu’entendez-vous par là ! de quoi s’agit-il ?... craignez-vous que je ne change d’avis ?... avez-vous quelques nouvelles preuves ? si vous en avez, montrez-les moi, et finissons.

CHAMILLY.

Oh ! mon Dieu ! madame, je ne sais ce que c’est de porter tort au prochain ; vous m’avez donné des ordres, je les ai remplis avec zèle, et si les preuves que j’ai recueillies pouvaient être préjudiciables à ce digne abbé, qui du reste peut se repentir... voici une lettre que je suis prêt à déchirer.

LA MARQUISE.

Oui, et que vous brûlez que je lise, n’est-ce pas ?... tenez monsieur le vicomte, je suis habituée aux masques de cour et le vôtre est d’une transparence !...

Arrachant presque la lettre des mains de Chamilly.

Voyons, voyons.

CHAMILLY.

C’est tout simplement une déclaration d’amour... vous connaissez l’écriture.

LA MARQUISE, se contraignant.

Bon !... quelques lignes presqu’effacées.

Elle lit.

Ciel !

Elle froisse la lettre, et puis ensuite cherche à se remettre.

N’est-ce que cela ?... à vous entendre, je croyais, moi, les secrets d’état trahis... une déclaration, c’est la chose du monde la plus simple.

CHAMILLY.

C’est ce que je dis... mais on dit aussi qu’au théâtre une déclaration est toujours suivie d’une capitulation...

LA MARQUISE, cherchant à cacher son émotion.

Mon cher vicomte, je vous remercie de votre zèle ; mais que m’importent maintenant de pareilles futilités... vous le savez, un objet bien plus important m’occupe... c’est pour cela que vous me serez nécessaire, indispensable... faites moi le plaisir de...

Elle lui fait avec politesse signe de s’éloigner.

CHAMILLY, suivant de l’œil le geste de la marquise.

Je n’ai pas l’honneur de comprendre, madame la marquise.

LA MARQUISE.

Allez voir si vous pouvez trouver monsieur de Voltaire, et priez-le de se rendre ici à l’instant même.

CHAMILLY.

J’y cours... trop heureux de vous servir.

À part en s’en allant.

Décidément, monsieur l’abbé, ce n’est pas vous qui l’emportez.

Il sort par le fond.

 

 

Scène VII

 

LA MARQUISE, seule

 

En vérité, cet homme est bien sot ou bien méchant... comme il retourne le poignard !... que je le hais !... et cet abbé !... quelles expressions !...

Elle relit la lettre que lui a livrée Chamilly.

Comme elles sont brûlantes ! c’est ainsi qu’il me parlait de son dévouement... qui ne le croirait sincère !... moi, l’amie d’un roi, la confidente de ses secrets, qui vois les hommes d’état mes à pieds... les grands écrivains dont la France s’honore, briguer un sourire, un mot favorable... je suis la plus malheureuse des femmes... cette lettre que cet imbécile de Chamilly vient de me remettre... cette lettre me désespère... me tue... il a reproduit là, des expressions qu’il n’avait, disait-il, trouvées que pour moi... je souffre... oh ! mon cœur souffre bien...

Elle se lève.

Ah, ça, mais je l’aime donc encore.

Elle parcourt la scène avec agitation.

Non, non... et c’est une actrice !... Gaussin !... rivale de madame de Pompadour !... oh ! il faut qu’elle quitte la Comédie Française... qu’elle s’éloigne... j’en dirai un mot à Richelieu...

Elle se calme et va s’asseoir en rêvant.

Et le Roi !... s’il vient à soupçonner... ce pauvre Louis qui m’aime tant !... le tromper... eh ! mon Dieu :

Souriant.

« Et la garde qui veille aux barrières du Louvre
« Nen défend pas tes Rois ! »

Elle se lève de nouveau.

J’ai tort... oublions un passé qui me chagrine... soyons toute à cet avenir que je me prépare... oui, cette religion que j’ai trop longtemps négligée me rendra le repos que j’ai perdu, et peut-être m’obtiendra-t-elle un degré de puissance où, sans elle, je n’aurais jamais pu parvenir.

 

 

Scène VIII

 

MADAME DE POMPADOUR, VOLTAIRE, CHAMILLY

 

CHAMILLY, en entrant, à Voltaire.

Oui, monsieur, une dame que vous faites attendre.

LA MARQUISE.

En effet, monsieur de Voltaire, et ce n’est pas bien.

VOLTAIRE, la reconnaissant.

Comment !... c’est vous, madame ?

LA MARQUISE.

Silence !... Ici, je ne suis rien, pas de nom, pas de titres... Mettez ma visite au rang de celles que vous doivent vos admirateurs... Je viens vous demander un moment d’audience.

VOLTAIRE.

En vérité, madame, les expressions me manquent... un moment d’audience ? une solliciteuse de votre rang et de votre figure

Souriant.

aussi bien recommandée... Je n’ai rien à vous refuser.

LA MARQUISE.

Eh ! bien, asseyons-nous d’abord...Monsieur de Chamilly !

Elle lui fait signe d’avancer des fauteuils.

CHAMILLY, s’empressant d’obéir.

Trop d’honneur !... Trop d’honneur !

Voltaire et madame de Pompadour s’asseyent ; Chamilly s’appuie sur le dos du fauteuil de madame de Pompadour et se dispose à écouter.

LA MARQUISE, se retourne et aperçoit Chamilly.

Mon cher vicomte, maintenant si vous voulez bien...

Même signe que dans la scène VI.

CHAMILLY, suivant également de l’œil le geste de la marquise.

Ah ! comme tout à l’heure !

LA MARQUISE.

Absolument... Prenez garde seulement que personne ne puisse entendre, ni troubler notre entretien.

CHAMILLY, se disposant à sortir.

Oui, madame.

LA MARQUISE.

Ah !... encore un mot...

Chamilly revient précipitamment.

Prenez mon carrosse et en toute hâte, remettez ce billet

Elle lui donne un petit billet cacheté.

au révérend père Adam... Eh ! bien, vous ne partez pas ?

CHAMILLY.

C’est que je fais une réflexion... monsieur de Voltaire pourrait la faire absolument comme moi : faut-il d’abord, veiller à ce qu’on ne puisse vous entendre ? ou porter le billet ? comme vous voyez, c’est tout-à-fait une remarque.

VOLTAIRE.

Très judicieuse.

LA MARQUISE.

Portez d’abord la lettre, et donnez des ordres contre les importants.

CHAMILLY.

Oh ! soyez tranquille, je vous en débarrasserai...

Après un temps et une profonde révérence.

J’ai bien l’honneur.

Il sort.

 

 

Scène IX

 

LA MARQUISE, VOLTAIRE

 

LA MARQUISE.

C’est une de ces illustrations montées sur talons rouges, qui figurent pour mémoire sur les états de l’armée... je vous le livrerai un jour pour le mettre en chapitre.

VOLTAIRE.

Mais voilà de la philosophie, au moins... aurai-je le bonheur de compter un disciple de plus ?

LA MARQUISE.

Au contraire... c’est moi qui viens vous mettre au rang des miens.

VOLTAIRE.

Cela vous est facile, madame, et d’avance je me soumets à toutes vos leçons.

LA MARQUISE.

Peut-être.

VOLTAIRE.

Il n’y a jamais de peut-être auprès d’une femme comme madame de Pompadour.

LA MARQUISE.

C’est fort galant ; nous allons voir si vous êtes sincère... je ne point ici tout-à-fait pour mon propre compte.

VOLTAIRE.

Comment !... le roi de France ?

LA MARQUISE.

Mieux que le roi de France.

VOLTAIRE.

Mieux que le roi de France !

LA MARQUISE.

Benoît XIV.

VOLTAIRE.

Ah ! si le pape choisit de pareils missionnaires...

LA MARQUISE.

Vous concevez que je ne suis pas en correspondance réglée avec le Saint-Père. Il y a eu des scrupules à vaincre, des convenances à ménager ; mais à la cour de Louis XV, on trouve de pieux intermédiaires.

VOLTAIRE.

Oui, monsieur de la Vauguyon, par exemple, qui est chargé des grandes entrées du royaume des cieux à l’usage des gens de cour.

LA MARQUISE.

Le royaume des cieux ? voudriez-vous y entrer avec moi ?

VOLTAIRE.

Je ne puis pas refuser si bonne compagnie ; mais que faut il faire pour cela ?

LA MARQUISE.

Peu de chose, vous convertir.

VOLTAIRE.

Ah ! voilà qui devient difficile.

LA MARQUISE.

Je m’en suis chargée, et j’y réussirai.

VOLTAIRE.

À mon tour, je dirai : peut-être !

LA MARQUISE.

Souvenez-vous qu’il n’y a point de peut-être avec madame de Pompadour.

VOLTAIRE.

Mais... mais, c’est de la surprise.

LA MARQUISE.

Parlons sérieusement, Benoît XIV accepte la dédicace de votre Mahomet à condition que vous préférerez dorénavant à la tragédie les Pères de l’Église

Voltaire fait un mouvement négatif.

Écoutez-moi jusqu’au bout... et moi qui suis lasse du monde, qui veux aussi, qui dois me convertir, qui ne puis vivre désormais qu’au sein de la religion, on me charge de négocier...

VOLTAIRE.

La conversion de Voltaire !

LA MARQUISE.

Et de lui demander s’il veut être cardinal.

VOLTAIRE, se levant.

Cardinal !... Que vous ai-je donc fait !... Cardinal... Moi !

LA MARQUISE, se levant aussi.

Vous-même.

VOLTAIRE.

Le cardinal Voltaire !... Oh ! si d’Alembert entendait !...

Riant.

Ah ! ah ! ah !... Pardon, madame, moi, prince de l’Église ! ah ! ah ! ah ! permettez-moi de rire. Eh ! que dirait l’Encyclopédie ?

LA MARQUISE.

Elle referait l’article miracle.

Avec un sérieux comique.

Monsieur de Voltaire, nous sommes deux grands pécheurs.

VOLTAIRE.

Puisque vous le dites, je veux le croire... Mais si l’on me donne pour punition de mes péchés écrits la pourpre et le sacré chapeau, quelle est la pénitence dont on gratifie les fautes inédites de la plus jolie et de la plus respectée des pécheresses ?

LA MARQUISE.

Le roi, jusques dans nos entretiens les plus intimes : est souvent tourmenté, poursuivi d’idées religieuses ; on exige que je fasse taire ses remords, en régularisant ma position.

VOLTAIRE, à part.

Je commence à comprendre.

LA MARQUISE.

Si jusqu’à présent j’imitai mademoiselle de Lavallière avant son repentir, je veux aussi l’imiter après sa pénitence.

VOLTAIRE.

Prenez garde !... vous n’avez pris jusqu’ici que le plus facile du rôle ; mais entre nous, je crois, que c’est moins une Lavallière qu’une Maintenon, dont on veut vous faire suivre l’exemple.

LA MARQUISE.

Je le crois ; mais si, dans les cardinaux, je trouvais un Richelieu... un Mazarin...

VOLTAIRE.

Savez-vous que vous avez là des idées...

LA MARQUISE.

Il est beau d’être philosophe, d’éclairer les hommes... mais les hommes comprennent-ils toujours la lumière ?... alors il est encore plus beau de les gouverner.

Voltaire fait un mouvement.

Oh !... de les guider comme vous l’entendrez... Monsieur de Voltaire... réfléchissez où peut mener le cardinalat en France.

VOLTAIRE.

À la plus haute faveur.

LA MARQUISE.

Au ministère.

VOLTAIRE.

En effet !... Trois cardinaux ont tenu le portefeuille.

LA MARQUISE.

Pensez surtout, à quoi peut prétendre un cardinal à Rome.

VOLTAIRE.

Au conclave.

LA MARQUISE.

Au Vatican.

VOLTAIRE.

Au Vatican !!

LA MARQUISE.

Pourquoi pas ? avec votre talent et l’influence de la France...

VOLTAIRE.

Ah ! mon Dieu ! que me dites-vous ? voilà Voltaire...

LA MARQUISE.

Sur le trône pontifical.

VOLTAIRE.

Sa Sainteté Voltaire Ier ! L’auteur de Mahomet, de l’Essai sur les Mœurs, et des épigrammes contre l’abbé Nonotte, deviendrait, par la grâce de Dieu et de madame de Pompadour, successeur de saint Pierre, jetant à pleines mains, les anathèmes, les excommunications...

LA MARQUISE.

Vous oubliez les indulgences.

VOLTAIRE.

Et les dévotes viendraient s’agenouiller devant ma pantoufle ?... Ah ! ah ! l’excellente plaisanterie !

LA MARQUISE.

Je ne plaisante pas ! si vous le vouliez, le monde serait à nous... moi, je vous l’avoue, j’aimerais à faire le pendant de Maintenon.

VOLTAIRE.

C’est un beau titre, et ce fut une femme remarquable : amie, compagne d’un grand roi, elle profita de sa puissance pour continuer Louis XIV qui, peut-être, oubliait trop sa gloire.

LA MARQUISE.

Comme elle, je n’aurais d’ambition que pour répandre des bienfaits, de richesses que pour secourir les malheureux, de crédit que pour les protéger.

VOLTAIRE.

Dangeau, Racine, Despréaux, Deshoulières lui durent leur fortune.

LA MARQUISE.

Capable de conduire les plus grandes affaires, elle ne vit pas de plus grande affaire que le bonheur des Français.

VOLTAIRE.

Quel homme pourrait lui être compare ?

LA MARQUISE.

Un seul Léon X.

VOLTAIRE.

Léon X ! il est vrai que c’est le seul Pontife qui ait justifie la Tiare. Noble, grand, généreux, magnifique, l’Italie lui dut ses merveilles.

LA MARQUISE.

Mieux encore, ses grands hommes... il sut choisir Michel-Ange, encourager Raphaël ; il recueillit les débris des lettres chassées de Constantinople par la barbarie turque, et donna son nom à son siècle.

VOLTAIRE.

Avec cet enthousiasme, ces grandes idées, vous iriez plus loin que madame de Maintenon.

LA MARQUISE.

Léon X avait-il la moindre partie de votre renommée, quand il ceignit la Tiare ?

VOLTAIRE.

Point d’union secrète, vous forceriez le roi de France à s’honorer de votre mariage.

LA MARQUISE.

Alors vous n’êtes plus inflexible, et je me flatte... à quoi pensez-vous ?

VOLTAIRE.

Au troisième chapitre de la Genèse... ce pauvre Adam !... une femme lui présenta la pomme et il fut tenté.

LA MARQUISE.

Tentation trop mesquine pour rien justifier... céderez-vous à la mienne ?

VOLTAIRE.

Il vous est donc impossible d’être reine sans que je sois Pape ?

LA MARQUISE.

Absolument impossible.

VOLTAIRE.

Eh ! bien, alors...

LA MARQUISE.

Alors ?...

VOLTAIRE.

Décidément...

LA MARQUISE.

Décidément ?

VOLTAIRE.

Décidément vous serez reine.

LA MARQUISE.

Décidément vous serez pape.

VOLTAIRE

Je me résigne.

LA MARQUISE, à part.

Oh ! alors, monsieur de Bernis, comme je vous punirai !

VOLTAIRE, à part.

Je forcerai Jean-Jacques à accepter un évêché !

LA MARQUISE.

Monsieur de Voltaire, vous serez mon confesseur.

VOLTAIRE.

J’y consens ;

À part.

j’en apprendrai de belles... si elle dit tout.

LA MARQUISE.

J’ai envoyé monsieur de Chamilly chez le père Adam ; il a votre costume entier... béni par le Saint-Père lui-même.

VOLTAIRE.

Déjà !

LA MARQUISE.

Tout a été prévu... L’aube, la robe, la barrette... vous aurez là-dessous un air très patriarcal.

VOLTAIRE.

Jamais front de belle femme ne fut plus digne de porter la couronne.

LA MARQUISE.

Allez donc vite écrire à Sa Sainteté en réponse à la lettre que vous en avez reçue.

VOLTAIRE.

C’est trop juste, je passe dans mon cabinet.

LA MARQUISE, montrant le boudoir, à sa gauche.

Et moi, dans cette pièce qui me dérobera aux regards des profanes.

VOLTAIRE, baisant la main de madame de Pompadour.

Au revoir, ma belle pénitente.

LA MARQUISE.

Sans adieu, mon cher directeur.

Madame de Pompadour entre dans le boudoir ; Voltaire dans le salon, à droite des acteurs.

 

 

ACTE II

 

Même décoration.

 

 

Scène première

 

CHAMILLY, puis L’ABBÉ DE BERNIS

 

CHAMILLY, tenant une grande cassette rouge, et se dirigeant, sans lever les yeux, vers l’endroit où il a laissé la marquise.

Madame la marquise, le révérend Père Adam... eh ! bien, où est-elle donc madame la marquise ?... Ah ! dans ce boudoir.

Il marche vers le boudoir : pendant ce temps, l’abbé entre en scène tenant à la main une grande cassette verte, il se place sur le passage de monsieur de Chamilly et le salue.

L’ABBÉ.

Très humble serviteur, mon brave mousquetaire...

CHAMILLY.

Comment, c’est encore vous, mon digne ecclésiastique ?

L’ABBÉ.

Que tenez-vous donc à la main ?

CHAMILLY.

Mais vous-même ?...

L’abbé et Chamilly ouvrent en même temps leurs cassettes.

L’ABBÉ.

Tenez.

CHAMILLY.

Vous voyez... Dieu me pardonne ! c’est un costume de théâtre.

L’ABBÉ.

Le diable m’emporte !... C’est un habit de cardinal... Ah ! ah ! ah ! ah !

CHAMILLY.

Riez, profane !... ne m’approchez pas, avec votre habit d’excommunié !...

Il pose la cassette sur une table à sa droite.

L’ABBÉ.

Comédien que vous êtes, éloignez-vous avec votre costume sanctifié.

Il pose également sa cassette sur une table du côté opposé.

CHAMIILLY.

C’est à monsieur de Voltaire que vous destinez...

L’ABBÉ.

Précisément, à lui et à son acteur par excellence, Lekain, qui sera, dit-on, admirable dans le rôle de Mahomet.

CHAMILLY.

Admirable, si on joue la pièce.

L’ABBÉ.

On la jouera.

CHAMILLY.

Peut-être.

L’ABBÉ.

La pièce est autorisée.

CHAMILLY.

Qui sait ?... Monsieur de Voltaire peut avoir d’autres idées en tête.

L’ABBÉ.

Bon !... il a peut-être envie de se faire cardinal...

CHAMILLY.

Eh ! eh ! on a vu des choses plus extraordinaires.

 

 

Scène II

 

CHAMILLY, L’ABBÉ DE BERNIS, UN LAQUAIS, MADEMOISELLE GAUSSIN

 

LE LAQUAIS, annonçant.

Mademoiselle Gaussin.

L’ABBÉ.

Qu’entends-je ?

CHAMILLY, à l’abbé.

Ah ! voilà du renfort qui vous arrive.

MADEMOISELLE GAUSSIN, entrant.

C’est bien, dites à M. de Voltaire que je l’attends, que Lekain, mon camarade, ne va pas tarder à me rejoindre, que la répétition générale a lieu à midi précis.

Le laquais sort.

Ah ! c’est vous, monsieur l’abbé !

L’ABBÉ.

Moi-même, ma toute belle !

MADEMOISELLE GAUSSIN.

Et vous aussi, monsieur de Chamilly ?

CHAMILLY.

J’ai l’honneur...

Il fait deux pas pour sortir.

MADEMOISELLE GAUSSIN.

Vous partez ?

L’ABBÉ.

Il le doit, il est juste qu’il vous déteste : vous ne mette de masque que sur le théâtre.

CHAMILLY.

Je vois que monsieur l’abbé, suivant sa coutume, va se donner carrière...

L’ABBÉ.

Ah ! ne m’oubliez pas dans vos prières.

CHAMILLY.

Je vous recommanderai à qui de droit.

Il salue et entre dans le boudoir, en faisant un geste de menace qu’il ne laisse point apercevoir.

 

 

Scène III

 

L’ABBÉ DE BERNIS, MADEMOISELLE GAUSSIN

 

MADEMOISELLE GAUSSIN, à l’abbé qui suit de l’œil Chamilly.

Savez-vous que vous êtes fort adroit à faire la petite guerre ? mais puisque l’ennemi a fait retraite...

L’ABBÉ, regardant toujours.

Oh ! je le connais, sa retraite pourrait être une embuscade.

À part.

Je ne me trompe pas, la marquise !... l’hypocrite m’a mis entre deux feux.

MADEMOISELLE GAUSSIN.

Savez-vous que vous n’êtes point galant ?

L’ABBÉ, se parlant.

Mais on se contente de n’observer... si j’osais !... Eh ! oui, de la folie, du bizarre, de l’audace... et sauvons-nous par où les autres se perdent.

Marchant rapidement vers mademoiselle Gaussin qui a pris un livre sur la table.

Mademoiselle !

MADEMOISELLE GAUSSIN, laissant tomber son livre.

Ah ! mon Dieu, vous m’avez fait une peur...

L’ABBÉ.

Peur !... peur... est-ce donc là le sentiment que je devrais vous inspirer ?

MADEMOISELLE GAUSSIN.

Mais cela vous prend-il souvent, monsieur de Bernis ?

L’ABBÉ.

Raillez, raillez encore... perfide ! ingrate !...

MADEMOISELLE GAUSSIN.

Ah ! monsieur de Bernis, appelez-moi cruelle, inhumaine, ça me fera plaisir, je n’y suis point accoutumée ; mais ingrate, ce ferait de l’amour-propre de votre part.

Avec malice.

D’ailleurs personne ne vous entend.

L’ABBÉ, à part.

Peut-être.

Haut.

Cette lettre où je vous peignais en traits de flamme l’amour dont je suis dévoré...

MADEMOISELLE GAUSSIN.

Eh ! bien ?...

L’ABBÉ.

Je sais qu’elle n’est plus entre vos mains.

MADEMOISELLE GAUSSIN.

Désespéré de ne pouvoir vous la rendre : ce serait un excellent titre pour vous, qui prétendez à l’Académie Française.

L’ABBÉ, à part.

Ceci ne va pas à mon but.

MADEMOISELLE GAUSSIN.

Et puis, je n’ai pas voulu me mettre en concurrence avec les puissances... madame de Pompadour gouverne...et j’aurais craint d’attenter à une propriété de l’état.

L’ABBÉ, à part.

Diantre !...

Haut.

Je ne comprends pas.

MADEMOISELLE GAUSSIN.

Eh ! mon Dieu, est-ce que quelqu’un ignore que vous voulez donner au roi de France un coadjuteur ?

L’ABBÉ, attirant mademoiselle Gaussin du côté opposé au boudoir.

Venez, venez donc par ici.

MADEMOISELIE GAUSSIN.

Pourquoi ?...

L’ABBÉ.

Pour épargner votre modestie... je veux vous mettre à même de pouvoir m’avouer sans contrainte que vous m’aimez.

Il marche de l’autre côté du théâtre, madame de Pompadour paraît un instant avec Chamilly à la porte du boudoir qui demeure entr’ouverte. Depuis cet instant l’abbé fait des gestes qui sont très souvent en désaccord avec ce qu’il dit, ou ce qu’on lui répond, son but étant de faire croire à madame de Pompadour et à Chamilly qui l’écoutent, qu’il est aimé de Mlle Gaussin ; il jette aussi de temps en temps les paroles qui, d’après ce projet, doivent être entendues de madame ce Pompadour, et dit plus bas celles qui ne lui sont pas nécessaires.

MADEMOISELLE GAUSSIN.

Excellente précaution, si j’avais un tel aveu à vous faire.

L’ABBÉ.

Aidez-vous un peu... ça viendra.

MADEMOISELLE GAUSSIN.

Du tout.

L’ABBÉ.

Si fait.

MADEMOISELLE GAUSSIN.

Non pas.

L’ABBÉ.

Ne vous retenez pas... je vous dis que vous n’aimez... parole d’honneur.

MADEMOISELLE GAUSSIN.

Je vous assure que je ne vous aime pas... parole d’honneur.

L’ABBÉ.

C’est égal. Je tombe à vos genoux.

MADEMOISELLE GAUSSIN.

Si ça vous est plus commode.

L’ABBÉ.

Ça m’est plus utile.

MADEMOISELLE GAUSSIN.

Comment ?

L’ABBÉ, très haut, de manière à être entendu de madame de Pompadour.

Écoutez, fille enchanteresse !

Très bas, pour n’être point entendu.

Ce moment est l’acte le plus important de ma vie.

Très haut.

Âme de mon âne !

Très bas.

Ne vous étonnez pas, c’est une manière de faire mes affaires.

Très haut.

Répète-le-moi cet aveu charmant !...

Très bas.

Laissez-vous tutoyer, où je suis exilé de la cour.

MADEMOISELLE GAUSSIN, étonnée.

Mais, monsieur l’abbé...

L’ABBÉ, bas.

Mais, mademoiselle... avez-vous part entière à la Comédie Française ?

MADEMOISELLE GAUSSIN.

Je n’ai que demie-part.

L’ABBÉ.

Vous aurez l’autre moitié : dites que vous m’aimez.

MADEMOISELLE GAUSSIN.

Sans le penser ?

L’ABBÉ.

Oui, oui ! mentez ; peu m’importe le fond, je tiens à la forme... allons, une bonne déclaration.

MADEMOISELLE GAUSSIN.

Voulez-vous la déclaration d’Hyppolite ?

L’ABBÉ.

Elle est en vers.

MADEMOISELLE GAUSSIN.

J’en ôterai la rime.

L’ABBÉ, vivement.

Partez !

MADEMOISELLE GAUSSIN, élevant la voir et déclamant.

Vous voyez devant vous... une jeune personne d’un téméraire orgueil exemple déplorable...

L’ABBÉ, bas.

Pas mal.

Haut.

Doux aveu !

MADEMOISELLE GAUSSIN, continuant.

Moi qui si fièrement, en défiant l’amour... aux fers de ses captifs ai longtemps insulté... Monsieur l’abbé...

L’ABBÉ, bas.

Oh ! pauvre Racine.

Haut.

Croyez que le plus tendre retour.

Madame de Pompadour, qui, depuis un instant, a reparu avec Chamilly, en ce moment descend un peu plus la scène, pour être à même de mieux les écouter.

 

 

Scène IV

 

L’ABBÉ DE BERNIS, MADEMOISELLE GAUSSIN, LA MARQUISE, CHAMILLY

 

MADEMOISELLE GAUSSIN, toujours déclamant.

Depuis près de six mois ce cœur désespéré portant partout le trait dont il est...

L’ABBÉ, bas.

Gare la rime !...

Haut.

Depuis six mois, est-il vrai ?

LA MARQUISE, se montrant tout-à-coup.

Depuis six mois !... c’en est trop !

L’ABBÉ, faisant semblant d’être surpris.

Ciel !

MADEMOISELLE GAUSSIN.

Madame de Pompadour !

CHAMILLY, se frottant les mains.

Le flagrant délit est constaté !

LA MARQUISE, outrée.

Monsieur de Chamilly... donnez la main à mademoiselle...

À Mlle Gaussin.

Je ferai part au premier gentilhomme de la chambre de votre conduite... tournez tant que vous voudrez les têtes de la robe et de l’épée...

L’ABBÉ, à part.

Elle oublie le tiers-état.

LA MARQUISE, continuant.

Mais quand il s’agit du clergé...

MADEMOISELLE GAUSSIN, qui s’est remise faisant une profonde révérence.

Pardon, madame...

À part.

J’oubliais que c’était aller sur le terrain du privilège...

En s’en allant à l’abbé.

Monsieur l’abbé, ceci n’a pas l’air de me conduire à part entière.

Elle sort en donnant la main à Chamilly.

 

 

Scène V

 

MADAME DE POMPADOUR, L’ABBÉ DE BERNIS

 

L’abbé baisse la tête comme s’il était accablé, mais de temps en temps jette un coup d’œil observateur accompagné d’un demi-sourire de triomphe ; Madame de Pompadour à qui ce geste est dérobé, s’approche peu à peu de l’abbé, et le regarde. Moment de silence.

LA MARQUISE.

Eh ! bien... monsieur le comte de Bernis ?...

L’ABBÉ.

Madame, vous me voyez confus, désespéré...

LA MARQUISE.

D’être enfin démasqué ?

L’ABBÉ.

D’avoir pu vous déplaire.

LA MARQUISE.

Est-ce du repentir, du remords ?

L’ABBÉ.

Du repentir, Madame !... du remords ? Non, je suis trop franc pour chercher à cacher la vérité... J’aime mademoiselle Gaussin.

LA MARQUISE, piquée.

Vous l’aimez ?... ah ! vous l’aimez !

L’ABBÉ, avec assurance.

Je l’adore.

LA MARQUISE, de même.

Vous l’adorez !... vous ne quittez jamais la poésie, vous ; monsieur, par habitude... vous adorez toujours.

Changeant de ton et cachant moins son dépit.

Mais cet aveu peut-il être sincère ?... car enfin, il n’y a pas quinze jours que vous étiez à mes pieds.

L’ABBÉ, avec calme.

Vous vous trompez de plus de huit jours, madame, il y a à peine ce temps que vous remplissiez encore toute mon âme.

LA MARQUISE.

Eh ! bien, alors, prétendez-vous me faire croire, en supposant que ce que vous venez de dire soit vrai qu’en si peu de temps on remplace un amour par un autre amour... Je remplissais toute votre âme, dites-vous ?... certes, ce serait à moi une bien fausse modestie, que d’attribuer ce triomphe à mon peu de mérite, quand la cour la plus noble, la plus galante de l’Europe...

L’ABBÉ.

Dites la plus connaisseuse, madame.

LA MARQUISE.

Eh ! bien, soit... quand toute cette cour est à mes pieds brigue un mot, un sourire, un regard... un homme, un seul ! dont je remplis le cœur... et à qui, je rougis de le dire... j’ai peut-être donné quelques droits de croire à mes bontés... cet homme change tout-à-coup, il est assez maître de lui, pour se créer au bout de huit jours une autre passion, pour dire, pour avouer qu’il aime qu’il adore.

Avec plus de colère.

de bonne foi, monsieur, cela est il possible ?...

L’ABBÉ, froidement.

Oui, madame, et c’est vous...

Mouvement de la marquise.

vous-même, qui êtes cause de tout.

LA MARQUISE.

Moi ?

L’ABBÉ.

Depuis longtemps, vous aviez daigné me prendre pour confident, pour ami : votre position est quelquefois difficile, vous vouliez bien accepter le secours de mes faibles lumières, vous m’en récompensiez par une bienveillance qui m’e tait bien chère !... Tout-à-coup... (mon cœur en est navré) un changement s’opère le roi me reçoit mal... je cherché en vous un coup d’œil qui savait si bien m’encourager !... je ne trouve plus que la physionomie d’étiquette que vous prenez pour tous les indifférents, je me vois repoussé !... et un Chamilly !... Permettez-moi de ne point achever, madame... Si vous m’avez aimé, vous devez comprendre ma funeste position... et combien était déchiré un cœur...

Après un temps, radoucissant sa voix et comme osant à peine achever sa phrase.

Que vous m’aviez habitué à de plus douces émotions.

LA MARQUISE, vivement et cherchant à réprimer un mouvement de tendresse.

Eh ! mon Dieu, vous ne savez rien comprendre !... les hommes ne savent rien voir, on avait fait au roi je ne sais quel sot propos sur votre compte, et par suite on a cherché a m’intimider on m’a prêché la réforme, on a mis auprès de moi ce monsieur de Chamilly... pour me mortifier sans doute, et puis, dans cette lacune d’autres idées de grandes de nobles idées !

Après un temps.

Je vous y associais pourtant ! je vous faisais évêque, cardinal, aumônier de la cour ! et vous, vous me récompensiez de toutes ces faveurs, le dirai-je ?... en dégradant votre caractère par le scandaleux éclat d’un amour sans convenances... ah ! monsieur de Bernis, c’est bien mal, c’est affreux.

L’ABBÉ.

J’avais la tête perdue je voulais vous oublier à tout prix !... il le fallait ou j’en devenais fou !... je ne pouvais avoir de passion mais une liaison occupe... une liaison de théâtre avec un homme d’église, pouvait être, comme vous l’avez dit, un sujet de scandale, c’est ce qui m’a décidé du bruit, de l’éclat ?... c’est ce qu’il me fallait... j’espérais que cet amour aurait du retentissement, que la nouvelle en irait jusqu’à vous, eh ! bien, me disais-je, si elle m’abandonne, elle saura que je ne l’aime plus... et, dans ce but, j’écrivais des lettres brûlantes, j’espérais que quelques-unes, vous tomberaient dans les mains... je vous voyais irritée, jalouse, et je me voyais vengé.

LA MARQUISE, montrant la lettre qui lui a été donnée par Chamilly.

C’est qu’en effet, il m’en est venu une.

L’ABBÉ.

Une seule ?

LA MARQUISE.

N’est-ce pas assez ?... et quel style... tenez, voyez, monsieur.

Elle lui donne la lettre avec reproche.

Jamais vous ne m’avez écrit rien de pareil.

L’ABBÉ, après avoir pris la lettre, l’avoir examinée et parcourue, la rend à la marquise.

Ah ! madame, celle-ci est tout au plus la vingtième.

LA MARQUISE.

La vingtième !... et vous osez !...

L’ABBÉ.

Que voulez-vous ? je voulais n’avoir plus à m’en dédire.

LA MARQUISE.

Et en conséquence, vous choisissiez votre conquête, aimable, spirituelle, célèbre.

L’ABBÉ.

Auriez-vous cru à mon changement, si j’avais eu l’air d’aimer une femme ordinaire ?... je dirai mieux, c’eût été vous faire injure.

LA MARQUISE.

Alors, c’est tout-à-fait un égard... et c’est pour suivre le cours des mêmes idées, que, là, il n’y a qu’un instant, vous en obteniez un aveu...

L’ABBÉ, interrompant.

Malheureusement trop sincère de sa part...ah ! si j’étais en d’autres temps, madame, c’est ce que je vous pardonnerais le moins... car enfin, cette pauvre Gaussin, je ne puis pas la désespérer, moi, et vous m’aurez mis dans l’affreuse nécessité de faire usage auprès d’elle de l’hypocrisie qui répugne le plus à mon caractère... celle de l’amour qu’on ne ressent pas.

LA MARQUISE.

Qu’on ne ressent pas !... mais vous êtes assez adroit dans ce genre de dissimulation, et tout à l’heure encore vos transports...

L’ABBÉ.

Suite nécessaire de mon système... je vous savais là.

LA MARQUISE.

Vous me saviez là ?

L’ABBÉ.

Je vous voyais même, je savais Chamilly aux écoutes... vous apprécierez, je l’espère, la franchise de cet aveu... mais si vous m’aviez aimé comme autrefois, vous auriez vu que je grimaçais l’amour ; que je me travaillais à montrer les à-peu-près de la passion, à me donner un sentiment tout au plus épisodique... vains efforts ! je vous en fais juge vous même : là, de bonne foi, est-ce que vous ne me trouviez pas quelque chose de gêné, d’apprêté ?...

LA MARQUISE.

Mais en effet... j’ai cru reconnaître...

L’ABBÉ.

N’est-ce pas, madame !

Il se rapproche ici de la marquise, qui s’est assise, et qui, pour cacher son émotion, se sert de son éventail, sous lequel elle jette à l’abbé un coup d’œil de plus en plus favorable !

La véritable passion, celle qui part de là, est timide, embarrassée ; elle craint de risquer un aveu, parce qu’elle redoute une réponse... tenez, madame, sur cet éventail, vous m’avez permis autrefois de tracer quelques lignes, qui ressemblent mieux à ce qu’on éprouve alors...

Il cherche à prendre l’éventail.

LA MARQUISE.

Que faites-vous ?

L’ABBÉ, prenant l’éventail qu’on lui abandonne, l’ouvre doucement, et fait suivre de l’œil à la marquise.

« L’amour est un enfant ; mon maître :
« Il l’est, charmante Iris, du berger et du roi,
« Il est fait comme vous, il pense comme moi ;
« Mais il est plus hardi peut-être. »

LA MARQUISE, attendrie.

Ah ! monsieur le comte !... pourquoi me rappeler un temps où j’étais si sûre de votre cœur ?

L’ABBÉ, avec passion.

Mais ce temps existe toujours !... mais ce temps n’a jamais cassé... ah ! vous savez trop bien, cruelle... que, lorsqu’on vous a aimée... Une fois,

Se reprenant de peur d’en avoir trop dit.

mais j’ai tort sans doute, et je m’en veux de faire paraître ainsi la sincérité de mes sentiments.

LA MARQUISE.

L’abbé ?...

L’ABBÉ.

Madame la marquise ?

LA MARQUISE.

J’ai été bien cruellement trompée : si j’allais l’être encore !

L’ABBÉ.

Vous douteriez de mon cœur, après les preuves que je viens de vous donner !...

LA MARQUISE.

Quoi ! je me raccommoderais !...

L’ABBÉ.

Quand le bonheur se présente, pourquoi ne pas le saisir ?

LA MARQUISE.

Et vous croyez que le bonheur est avec vous ?

L’ABBÉ.

Il est... avec l’amour le plus tendre, le plus constant.

LA MARQUISE, souriant.

Constant ! sauf les sentiments épisodiques.

L’ABBÉ.

Ils ont prouvé la sincérité de ma jalousie.

LA MARQUISE.

Plus de Gaussin.

L’ABBÉ.

Jamais... un seul amour.

LA MARQUISE, s’abandonnant tout-à-fait et donnant sa main à Bernis qui s’en empare avec transport.

Allons, je sens qu’on ne peut résister à son sort.

L’ABBÉ, dans le dernier degré d’exultation.

Ah ! madame...

À part.

je savais bien qu’elle y viendrait,

Haut.

pourvu maintenant que l’ennemi qui a cherché à nous désunir...

LA MARQUISE.

Si vous saviez jusqu’où j’ai été conduite depuis le peu de temps que je ne vous ai vu ! tout à l’heure encore, par dépit, je touchais à la couronne, et cette pourpre romaine que je vous avais fait espérer, je la promettais...

L’ABBÉ.

À qui ?

LA MARQUISE.

À Voltaire.

L’ABBÉ.

À Voltaire ! le chef des philosophes... ah ! j’ai le mot de l’énigme maintenant ; mais je ne crains rien ; et ce n’est pas lui qui changerait ainsi du blanc au noir.

LA MARQUISE.

C’est que cette fois, il est question de changer du blanc au rouge.

L’ABBÉ.

Et il aurait accepté ?

LA MARQUISE.

Accepté.

L’ABBÉ.

Le parjure !... mais ceci est un vol manifeste !... lorsque les chapeaux sont si rares !... savez-vous ; madame, que c’est un exemple funeste que vous consacrez là ? ces philosophes ont de l’ambition : si monsieur de Voltaire leur donne l’exemple, vous verrez l’Encyclopédie s’emparer de nos bénéfices, de nos abbayes, l’Académie Française demander nos canonicats, et tous nous prendre ce que nous avons de meilleur.

LA MARQUISE.

La direction des consciences, peut-être ?

L’ABBÉ.

Eh ! mon dieu, si on leur laissait le choix de leurs pénitentes, ils seraient capables d’y prendre plaisir.

LA MARQUISE.

Je vois que c’est ce que vous avez le plus à cœur d’empêcher ; mais les choses sont si avancées...

L’ABBÉ, qui réfléchit depuis un instant.

Pas tant...

Désignant la cassette rouge.

si j’avais la clef de ceci...

LA MARQUISE.

Il y a un secret, pressez ce ressort.

L’ABBÉ, ouvrant la cassette rouge et puis allant ouvrir la cassette verte.

Voulez-vous me donner permission d’agir ?

LA MARQUISE.

Carte blanche.

L’abbé prend dans la cassette verte le costume de Mahomet, qu’il met dans la cassette rouge, après en avoir préalablement ôté les vêtements de cardinal qu’il met dans la cassette verte.

LA MARQUISE.

Mais votre projet ?

L’ABBÉ.

Je force le nouveau cardinal à abdiquer en ma faveur.

Il sonne ; un domestique paraît.

Saint-Jean, prenez ceci

Il lui donne la cassette verte.

et suivez-nous...

À la marquise.

vous permettez...

Lui présentant la main.

nous n’irons pas loin ; mais ce n’est pas ici que nous pourrions nous entendre.

LA MARQUISE.

Je vous laisse agir sans explication... J’ai tant de torts à réparer.

L’ABBÉ, lui baisant la main.

N’en parlons... plus.

Avec un sourire de clémence.

j’ai tout oublié.

Saint-Jean sort.

LA MARQUISE.

Ah ! monsieur de Voltaire ! mon directeur, j’ai bien peur que vous ne me refusiez l’absolution.

Ils entrent ensemble dans le boudoir.

 

 

ACTE III

 

Même décoration.

 

 

Scène première

 

VOLTAIRE, seul

 

Il tient une lettre à la main.

Oui, c’est bien ainsi que je dois répondre aux avances du Pape... Je ne me livre pas encore, et j’ai bien gardé d’un bout à l’autre de mon épître ma dignité de poète et de philosophe... Il n’y a plus que le protocole ordinaire à ajouter.

Il écrit.

« In tanto profundissimamente m’inchino e le baccio i sacri piedi. » Cette petite correspondance me remet un peu à mon italien... mais c’est la langue des conclaves, ma langue future... tout ceci n’est-il point un rêve ?... La pourpre ! la barrette, et en perspective, Rome !... Rome et le Vatican !... L’anneau du pêcheur et les clefs du paradis !... Moi ! à qui on l’a si souvent fermé !... et qu’on doute encore de la puissance des femmes !... Le roi de Prusse n’a pu faire de moi un courtisan, et la maîtresse d’un roi de France en fait peut-être un Pape !... Admirons les voies de la providence !... tout en avouant qu’elle m’a fait prendre un bien long détour pour m’amener là.

Il se lève.

De toutes les positions bouffonnes de ma vie, celle-ci est la plus sérieuse... cela fera du bruit... j’aime le bruit : c’est avec lui qu’on fait les réputations, et je répondrai à ceux qui me blâmeront, qui crieront à l’apostasie encyclopédique : je viens d’achever l’acte le plus important de ma mission de philosophe, j’accomplis une œuvre que les générations passées n’ont pu voir, que les générations futures ne verront plus, et que le siècle présent ne verra qu’une fois : J’ai mis sur le trône pontifical un homme raisonnable.

 

 

Scène II

 

VOLTAIRE, CHAMILLY

 

CHAMILLY, qui est entré pendant la fin du monologue, va prendre sur la table la cassette rouge, qu’il vient présenter à Voltaire, avec un salut qui est presque une génuflexion.

Monsieur de Voltaire, pour vous, de la part du révérend père Adam.

VOLTAIRE.

Qu’est-ce que cela ?

CHAMILLY.

Les insignes d’un père de l’Église, et l’Église en fait l’envoi à Votre Éminence.

VOLTAIRE.

Mon Éminence !... Allons, décidément, on y tient... mais examinons un peu ma nouvelle parure.

Comme Chamilly va ouvrir, un laquais annonce.

LE LAQUAIS.

Monsieur Lekain et mademoiselle Gaussin.

VOLTAIRE, à Chamilly.

Diantre !... attendons.

Chamilly s’empresse de mettre fortement la main sur la couverture de la cassette, comme pour en empêcher le contact avec des comédiens.

CHAMILLY.

À qui le dites-vous !...

 

 

Scène III

 

VOLTAIRE, CHAMILLY, LEKAIN, MADEMOISELLE GAUSSIN

 

LEKAIN.

Bonjour, mon cher patron, j’ai rencontré mademoiselle qui sortait de cette maison sans avoir pu vous voir...

Jetant un coup d’œil sur Chamilly.

et j’ai pris sur moi de la ramener.

VOLTAIRE, un peu embarrassé.

Très bien... Soyez les bienvenus.

MADEMOISELLE GAUSSIN.

Nous précédons la Comédie-Française, et nous ne sommes pas fâchés de vous consulter une dernière fois sur nos rôles de Mahomet et de Palmyre.

VOLTAIRE.

Mahomet ! Palmyre !... Volontiers... vous permettez, monsieur de Chamilly.

CHAMILLY.

Comment donc !... Je serai le représentant du parterre, si vous m’en croyez digne.

VOLTAIRE.

Mettez-vous là.

Il le fait assoir, et va chercher un livre.

Le parterre !... Il me sifflerait bien s’il savait quel représentant je lui donne.

Prenant une brochure et se plaçant entre Gaussin et Lekain.

Mes enfants, voici le grand jour arrivé...Mahomet ! Mahomet va faire sa seconde apparition... Ils m’ont forcé de le retirer la première fois ! Mon Tartufe politique a eu la bonne fortune de cet autre Tartufe, qu’il n’est donné à aucun poète d’égaler ; mais si j’ai moins de talent que Molière n’avait de génie, je suis plus vindicatif, et pour me venger, je compte sur vous, donnez-moi ma revanche, une revanche éclatante aux yeux de toute la France. Gaussin, faites plus que jamais usage de ces accents qui vont à l’âme, de ces larmes qui déchirent ; vous, Lekain, dont si jeune encore j’ai découvert le génie, je fais un appel à toutes vos facultés dramatiques, à cette âme d’artiste que j’ai devinée... Mahomet ! c’est mon Cid, à moi ; aujourd’hui mon sort, ma gloire, ma vie sont entre vos mains... Ah ! ne l’oubliez pas, mes amis.

LEKAIN.

Je m’en souviendrai, non maître, je m’en souviendrai... Mahomet ! un imposteur ; mais un imposteur inspiré, solennel, dévoré de jalousie, ordonnant un meurtre, promettant l’inceste pour prix de l’assassinat ; encore Tartufe comme vous l’avez dit, mais Tartufe les armes à la main... Il me tarde d’y être ! quand je me trouverai là, vis-à-vis du public, vous me verrez avec Zopire, avec Séide, avec vous Gaussin, avec vous surtout, Palmyre... écoutez ; tenez, voilà votre réplique, quand je veux vous empêcher d’approfondir un double crime que je mets sur le compte du ciel ; vous promettant le bonheur, la vengeance ; cherchant dans vos yeux un peu de cet amour qui me dévore...

Déclamant.

Oui, si vous m’êtes chère,
Si Mahomet sur vous jeta des yeux de père,
Sachez qu’un sort plus noble, un titre encor plus grand,
Si vous le méritez peut-être vous attend.
Portez vos vaux hardis au faîte de la gloire :
De Séide et du reste étouffez la mémoire,
Vos premiers sentiments doivent tous s’effacer,
À l’aspect des grandeurs où vous n’osiez penser.
Il faut que votre cœur à mes bontés réponde,
Et suive en tout mes lois, lorsque j’en donne au monde.

VOLTAIRE.

Très bien... à vous ! à vous, mademoiselle !

MADEMOISELLE GAUSSIN.

Qu’entends-je ?... Quelles lois ! ô ciel ! et quels bienfaits !
Imposteur teint de sang que j’abjure à jamais,
Bourreau de tous les miens, va, ce dernier outrage
Manquait à ma misère, et manquait à ta rage.
Le voilà donc, grand Dieu ! ce prophète sacré,
Ce roi que je servis, ce Dieu que j’adorai !
Monstre, dont les fureurs et les complots perfides,
De deux cours innocents ont fait deux parricides,
De ma faible jeunesse infâme séducteur,
Tout souillé de mon sang, tu prétends à mon cœur !
Mais tu n’as pas encore assuré ta conquête ;
Le voile est déchiré, la vengeance s’apprête...
Entends-tu ces clameurs ?... entends-tu ces éclats ?
Mon père te poursuit des ombres du trépas ;
Le peuple se soulève ; on s’arme en ma défense,
Leurs bras vont à ta rage arracher l’innocence.
Puissé-je de mes mains te déchirer le flanc,
Voir mourir tous les tiens, et nager dans leur sang !
Puissent la Mecque ensemble, et Médine et l’Asie,
Punir tant de fureur et tant d’hypocrisie !
Que le monde, par toi séduit et ravage,
Rougisse de ses fers, les brise et soit venge !
Que ta religion, que fonda l’imposture,
Soit l’éternel mépris de la race future !
Que l’enfer, dont tes cris menaçaient tant de fois,
Quiconque osait douter de tes indignes lois,
Que l’enfer, que ces lieux de douleur et de rage,
Pour toi seul préparés, soient ton juste partage !
Voilà les sentiments qu’on doit à tes bienfaits,
L’hommage, les serments, et les veux que je fais.

VOLTAIRE, enthousiasmé.

Bravo ! bravo ! voilà des larmes, du désespoir, voilà le diable au corps que je demande, qu’il ne faut au théâtre, mon cher Lekain, ma chère Gaussin !

CHAMILLY, à part.

On va nous l’enlever.

VOLTAIRE.

Si vous jouez comme cela, nous aurons un succès.

LEKAIN.

Succès éclatant.

VOLTAIRE.

Et le rôle de Séide, et celui de Zopire !... il y a là dedans de l’amour, des larmes, de la terreur !

LEKAIN.

Je parierais pour cent représentations.

VOLTAIRE.

Cent représentations !

MADEMOISELLE GAUSSIN.

Sans orchestre.

VOLTAIRE.

Sans orchestre !

LEKAIN.

Vous serez le dieu du théâtre.

MADEMOISELLE GAUSSIN.

Quelle brillante perspective !

VOLTAIRE.

Oui. Quel triomphe pour moi !...

LEKAIN.

Et quel dommage que tout cela soit désormais impossible.

VOLTAIRE, étonné.

Impossible ! Comment ?... pour nous tous !

MADEMOISELLE GAUSSIN.

On ne jouera pas Mahomet.

VOLTAIRE, en colère.

Et pourquoi donc ?

MADEMOISELLE GAUSSIN.

C’est que Lekain, le jour du succès, ne pourra pas venir dire au public, après les trois saluts d’usage : « Messieurs, la pièce que nous avons eu l’honneur de représenter devant vous, est de son éminence monseigneur le cardinal Voltaire. »

LEKAIN, vivement.

Jamais je ne dirai cela.

CHAMILLY.

Le fait est que cela n’est pas dans les convenances.

VOLTAIRE, à part.

Ils savent tout.

Haut.

Qui a pu vous dire !...

LEKAIN.

Il a remonté la scène. Un laquais paraît, tenant à la main la cassette verte, où l’abbé de Bernis a serré, à l’acte précédent, l’habit de cardinal.

Démentez donc ce costume qui m’a été envoyé par M. de Bernis avec une note explicative.

Voltaire se détourne pour rire.

CHAMILLY.

Ce costume ! C’est le Sosie du mien... Ah ! perfide abbé !...

Il ouvre la cassette rouge.

Ciel ! un cimeterre !

VOLTAIRE.

Un turban ! un doliman ! le costume de Mahomet ?

CHAMILLY.

Il y a eu profanation ! substitution ! transsubstantiation !

VOLTAIRE.

Il y a eu irrévérence, guet-à-pan, coalition ! et vous en êtes, Gaussin ! et vous aussi, Lekain ! Tu quoque, Brute !... ah ! je vois ce que c’est, je devine vos projets coupables.

CHAMILLY.

Irreligieux ! on veut vous arracher à la grâce.

VOLTAIRE.

Eh bien, non, je suis entêté, morbleu ! et je deviendrai votre père spirituel malgré vous et tout le tripot comique.

LEKAIN.

Soit ; mais rupture complète entre le tripot comique et le prélat futur.

VOLTAIRE.

Le prélat futur donne votre rôle de Mahomet à Grandval.

LEKAIN.

Il est en tournée.

VOLTAIRE.

C’est Clairon qui jouera Palmyre.

MADEMOISELLE GAUSSIN.

Et les règlements ? je suis chef d’emploi ; d’ailleurs, c’est décidé, pas d’alliance entre l’église et le théâtre.

LEKAIN.

Nous ne jouerons plus aucune de vos pièces.

VOLTAIRE.

Vous serez ruinés.

MADEMOISELLE GAUSSIN.

Nous serons vengés.

CHAMILLY.

Bravo !

VOLTAIRE.

Ah ! vous le prenez sur ce ton-là ! vous ne mettez le marché à la main ! c’est ainsi que vous prétendez me forcer à capituler ! eh bien, c’est moi, moi, Voltaire, qui vous prendrai par famine ; c’est moi qui vous défends à l’avenir de jouer aucune de mes pièces. Vous en serez réduits au vieux répertoire que vous jouerez devant les banquettes ; vous n’aurez pour vous soutenir que Piron, et Pompignan.

MADEMOISELLE GAUSSIN.

Et Crébillon ?

VOLTAIRE.

Crébillon ! à la bonne heure : je vous retire Mahomet, Alzire, Œdipe, et ma Zaïre, ingrats, ma Zaïre, enfants dénaturés, ma Zaïre qui vous a illustrés tous les deux, tout cela ne sera plus représenté que sur mon théâtre de Ferney.

MADEMOISELLE GAUSSIN.

De Ferney ! vous oubliez que vous allez à Rome.

VOLTAIRE.

Eh bien, à Rome, je ferai des élèves, oui... à Rome, je les formerai par mes leçons, par mon exemple, et, si vous me fâchez, je ferai jouer les jeunes princesses aux chantres de la chapelle Sixtine.

MADEMOISELLE GAUSSIN.

Eh bien soit, déclaration de guerre entre vous et la Comédie-Française.

VOLTAIRE.

Je l’accepte, et pour commencer, puisque j’en ai le droit, allez au diable.

LEKAIN.

Adieu donc, monsieur de Voltaire.

MADEMOISELLE GAUSSIN.

Adieu, adieu pour toujours, monsieur le cardinal.

Sortie de Lekain, et Gaussin.

 

 

Scène IV

 

VOLTAIRE, CHAMILLY

 

VOLTAIRE, outré.

Maudis comédiens !... Si j’étais pape, à l’instant ils seraient excommuniés.

CHAMILLY.

C’est de la besogne toute faite : ils le sont déjà.

VOLTAIRE.

Alors, je les forcerais à jouer ma pièce.

CHAMILLY.

Oui, en vertu d’une bulle, sous peine d’un monitoire.

VOLTAIRE.

Et elle aurait du succès !

CHAMILLY.

Je crois bien, vous seriez infaillible.

VOLTAIRE.

Dieu ! s’ils vont à la répétition raconter l’aventure, ils sont capables de dire de mes vers sous ce costume : ils paraîtront détestables !... Monsieur de Chamilly, courez après eux, empêchez ce sacrilège.

CHAMILY.

C’est juste... j’y cours.

VOLTAIRE.

Allez, allez, ne perdez pas un instant...

Chamilly sort.

 

 

Scène V

 

VOLTAIRE, seul

 

Ils ont raison... et je rirais bien de l’anecdote, si j’y étais moins intéressé, si c’était arrivé à Pompignan, par exemple... ou à ce satirique Fréron... Quel joli article je lui ai préparé là... Je le vois déjà aiguisant sa plume... et ces comédiens ! il y a vingt ans que je travaille au salut du Théâtre-Français, et parce qu’une petite fois il m’arrive de penser... au mien... mon salut !... Ah ! M. de Voltaire !... Voici une page que vous voudriez bien faire effacer de votre histoire... Je l’écrirai moi-même, et je mettrai les rieurs de mon côté... Cependant, porter la pourpre, pour moi, c’était original... mais une couronne de théâtre, celle d’Eschyle, d’Euripide, de Sophocle ! y renoncer ! ah ! jamais ! jamais !

 

 

Scène VI

 

VOLTAIRE, MADAME DE POMPADOUR

 

Madame de Pompadour entre en scène, conduite par l’abbé, qui lui fait signe que Voltaire est là, puis un autre comme une recommandation ; ensuite, il lui baise les mains, et rentre dans le boudoir.

VOLTAIRE, continuant, sans voir la marquise.

Le difficile, c’est d’arranger cela avec madame de Pompadour : elle tient à ses idées.

LA MARQUISE, à part.

Ce que m’a dit Bernis a bien changé mes résolutions.

VOLTAIRE, apercevant madame de Pompadour.

La voici ! elle vient me rappeler mes promesses.

LA MARQUISE, à part.

En vérité, je n’oserai jamais lui dire...

Haut, abordant M. de Voltaire.

Eh bien, monsieur de Voltaire ?

VOLTAIRE.

Eh bien ! madame la marquise ?

LA MARQUISE.

Avez-vous écrit au pape ?

VOLTAIRE, à part.

Elle y pense toujours...

Haut.

oui, madame, j’ai répondu à sa sainteté.

LA MARQUISE.

Et Benoît XIV sera sans doute content ?

VOLTAIRE.

Je le pense.

LA MARQUISE, à part.

Vous verrez que, pour la première fois, un philosophe sera invariable dans ses idées... pour me contrarier.

VOLTAIRE, de même.

Allons, aujourd’hui qu’il ne le faudrait pas, j’aurai le malheur de trouver une femme constante.

LA MARQUISE, haut.

Monsieur de Voltaire.

VOLTAIRE.

Madame la marquise ?

LA MARQUISE.

Il a été convenu entre nous, que vous seriez mon confesseur.

VOLTAIRE.

En effet...

À part.

elle n’en démordra pas.

LA MARQUISE.

Eh bien ?

VOLTAIRE.

Eh bien, madame ?

LA MARQUISE.

Eh bien ! je vais commencer aujourd’hui à vous avouer mes fautes.

VOLTAIRE.

Mais... je n’ai point encore le caractère qu’il faut pour cela : je ne suis point orthodoxe.

LA MARQUISE.

Vous l’êtes pour moi... il le faut, je vous en prie.

VOLTAIRE.

Quelle idée !

Il va prendre un fauteuil et une chaise.

Au moins, changeons le cérémonial.

Il offre le fauteuil à madame de Pompadour, s’assied sur la chaise, et prend un air de recueillement et de dévotion.

LA MARQUISE.

Avant de commencer, que je vous fasse part d’un scrupule.

VOLTAIRE.

Le quel ?

LA MARQUISE.

Êtes-vous toujours dans les mêmes idées sur Léon X ?

VOLTAIRE.

Léon X ?

LA MARQUISE.

Oui, c’est en le nommant, il y a une heure, que je suis parvenue à entraîner votre conviction.

VOLTAIRE.

Léon X ! ce prélat, qui ne fit de grandes choses que pour accabler le peuple romain, qui leva d’immenses impôts, qui vendit les trésors spirituels à beaux deniers comptants, et faillit ruiner la chrétienté en prêchant une croisade sans but, qui n’avait pas même l’exaltation poétique des premières !

LA MARQUISE.

Vous ne dites pas que la méchanceté de son âme ternit le peu de belles qualités qu’il avait, qu’il était athée, se moquait de Dieu et des hommes, et mourut enfin de joie en apprenant les malheurs de la France.

VOLTAIRE.

Nous ne lui devons qu’une chose, une seule, c’est que son despotisme nous fit cadeau de Martin Luther, et affranchit ainsi, malgré lui, une bonne partie de l’Europe... si vous ne pensez pas mieux de madame de Maintenon...

LA MARQUISE.

Et que penser de mieux d’une prude renforcée, qui, avec les profits de la galanterie, sut acquérir tous les honneurs de la vertu, renversa celle qui l’avait protégée, et qui, à force d’intrigues, parvint à obtenir la main d’un monarque affaibli ? Que dire d’une femme qui ne s’environna d’artistes et de poètes que pour en être prônée, et qui pourtant fit mourir Racine de chagrin, dont l’âme était froide...

VOLTAIRE.

Le cœur sec...

LA MARQUISE.

Le caractère vindicatif...

VOLTAIRE.

Ajoutez qu’elle fit exiler Catinat, et nominer maréchal de France Chamillard, un vil courtisan, pour son mérite au jeu de billard ; qu’elle fut gouvernée par le père Lachaise, qu’elle persécuta ses anciens frères les protestants, en provoquant évidemment la révocation de l’Édit de Nantes, honte de ce règne, et malheur de la nation.

LA MARQUISE.

Ah ! monsieur de Voltaire, si vous faites une seconde édition du siècle de Louis XIV, je vous en prie, n’épargnez pas cette vilaine femme-là...

Voltaire rit.

vous riez ?...

VOLTAIRE.

Vous ne vous apercevez peut-être pas d’une chose, c’est que je suis ici pour entendre vos péchés, et que nous ne nous occupons que de ceux des autres.

LA MARQUISE.

Oh ! maintenant je puis revenir aux miens.

VOLTAIRE.

Ça va devenir plus agréable.

Haut.

Je vous écoute.

LA MARQUISE.

Je me confesse...

VOLTAIRE.

Eh ! bien ?...

LA MARQUISE.

Je tremble !... quand on n’a pas l’habitude.

VOLTAIRE.

Du courage ! vous connaissez la parole divine : « Il lui sera beaucoup pardonné, parce qu’elle a beaucoup aimé. »

LA MARQUISE.

Alors... je suis dans l’amnistie... je me confesse donc de ne vouloir plus être dévote, de tenir encore plus que jamais aux plaisirs, aux vanités de ce monde... eh ! bien, vous ne me grondez pas ?

VOLTAIRE.

Au contraire, et je me confesse à mon tour, de ne pouvoir renoncer au théâtre, à la philosophie, aux vers, à mes études si chéries !

LA MARQUISE.

Vous ne voulez plus être cardinal ?

VOLTAIRE.

Vous ne voulez plus devenir reine ?

LA MARQUISE.

Le sceptre est trop lourd pour mes mains.

VOLTAIRE.

Et la tiare trop pesante pour ma tête.

La marquise et Voltaire se regardent un instant, puis éclatent de rire.

 

 

Scène VII

 

VOLTAIRE, MADAME DE POMPADOUR, L’ABBÉ DE BERNIS

 

L’abbé de Bernis entre en scène et rit avec Voltaire et madame de Pompadour.

VOLTAIRE.

Vous étiez là, mon cher de Bernis ?

L’ABBÉ.

J’arrive à l’instant même,

Regardant au fond.

et je vous annonce messieurs de la Comédie-Française.

 

 

Scène VIII

 

VOLTAIRE, MADAME DE POMPADOUR, L’ABBÉ DE BERNIS, MONSIEUR DE CHAMILLY, LEKAIN, MADEMOISELLE GAUSSIN

 

Chamilly porte sur son bras l’habit de cardinal.

CHAMILLY, bas à madame de Pompadour, désignant Voltaire.

Décidément, est-il à nous ?

LEKAIN, bas à Voltaire.

Continuez-vous à être des nôtres ?

VOLTAIRE.

Mon cher Lekain, je ne puis mieux vous répondre qu’en vous suivant au théâtre...

À M. de Chamilly.

monsieur de Chamilly ?

Montrant la robe, la barrette et l’aube du cardinal.

reportez cet uniforme à celui qui vous l’envoie.

LA MARQUISE.

Puisque cette pourpre est ici, elle ne retournera point au Saint-Père... M. de Chamilly la transportera chez le cardinal de Bernis.

LEKAIN.

Recevez nos compliments.

MADEMOISELLE GAUSSIN, bas à l’abbé.

Et en particulier, le mien.

CHAMILLY, se joignant à eux.

Enchanté...

À part.

Si j’avais su que ce fût pour cela...

L’ABBÉ, s’essuyant le front.

Voilà un chapeau qui m’a donné du mal à gagner.

LA MARQUISE.

L’abbé, votre main... Monsieur de Voltaire, nous irons à Mahomet.

L’ABBÉ.

En loge grillé !

VOLTAIRE.

Et je me ferai cardinal... si la pièce tombe.

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