Les Vélocipèdes (Eugène SCRIBE - Antoine-François VARNER - Jean-Henri DUPIN)

À-propos-Vaudeville en un acte.

Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés, le 2 mai 1818.

 

Personnages

 

JOBINEAU, maître de poste

CLIC-CLAC, postillon

FIACRENBERG, mécanicien allemand

DALBICRAC

SCAPIN

GLAPISSEMBERG, chanteur allemand

FAUSSENDORFF, chanteur allemand

M. GROTESQUE, chanteur allemand

THÉRÈSE, fille de Jobineau

MADEMOISELLE TROIS ÉTOILES

DEUX AUTRES CHANTEURS ALLEMANDS

VILLAGEOIS

VILLAGEOISES

 

Dans un petit village près de Paris.

 

La place du village. À droite, une auberge, sur les murs de laquelle est collée une affiche ; au second plan, l’entrée de la poste aux chevaux. Dans le fond, une diligence.

 

 

Scène première

 

JOBINEAU, THÉRÈSE, VILLAEOIS, lisant une affiche

 

LES VILLAGEOIS.

Air : Ah ! le bel oiseau, maman.

Nous allons, donc voir ici.
Les Draisiennes
Parisiennes !
Oui, nous allons, Dieu merci,
Mes amis, les voir ici.

UN VILLAGEOIS.

Le ressort en est pliant
Et la peinture en est riche ;
Ça doit aller comm’ le vent.
Car je l’ons lu sur l’affiche.

LES VILLAGEOIS.

Nous allons donc voir ici, etc.

UN AUTRE VILLAGEOIS.

Grâce à c’t’ invention là
Tout va changer de figure :
Ah ! comme tout marchera
Quand chacun aura voiture !

LES VILLAGEOIS.

Nous allons donc voir ici, etc.

JOBINEAU.

Oui, messieurs ! c’est aujourd’hui la grande expérience ; c’est pour deux heures un quart.

LES VILLAGEOIS.

Quoi ! nous allons voir ici, etc.

Les villageois sortent.

 

 

Scène II

 

JOBINEAU, THÉRÈSE

 

THÉRÈSE.

Je croyais, mon papa, qu’on les essayait aujourd’hui au Luxembourg.

JOBINEAU.

Qu’est-ce que ça fait ? mon auberge n’est qu’à deux lieues de Paris... Ainsi, en huit minutes les fameuses Draisiennes peuvent être ici, pourvu qu’il fasse beau, qu’il n’y ait pas d’ornières et qu’on passe les montagnes.

THÉRÈSE.

Et puis, le temps de laisser souffler les chevaux.

JOBINEAU.

Que tu es donc dure d’intelligence ! puisqu’il n’y en a pas.

Air : Tenez, moi je suis un bon homme. (Ida.)

Va, cette voiture étrangère
Est d’un mérite sans égal ;
Il suffit du propriétaire
Et pour cocher et pour cheval.
Si quelque obstacle vous accroche,
On descend et, sans embarras,
On met les rênes dans sa poche
Et la voiture sous son bras !

Aussi, vois l’inventeur, M. de Fiacrenberg, ce mécanicien allemand que j’ai l’honneur de loger gratis dans mon auberge... Il avoue qu’il n’a jamais fait plus d’exercice que depuis qu’il a voiture... Sans compter qu’il va être fait un rapport à la faculté de médecine, et qu’on va ordonner les Draisiennes comme les montagnes russes... pour la santé ; aussi, quand tu seras madame Fiacrenberg, comme tu vas te porter !

THÉRÈSE.

Moi, je ne veux pas devenir Allemande.

Air : Gniag, gniag, gniag. (Arnill)

Oui, oui, je l’ai promis.
Toujours la France
Aura la préférence ;
Oui, oui, je l’ai promis,
Cela du moins ne sort pas du pays.

Vivent les amants
Tendres et galants,
Vivent les maris
Qui sont de Paris !
Mais pour ceux de Vienne,
Ah ! qu’il nous en vienne ;
Tant qu’il en viendra,
On leur redira :

Oui, oui, je l’ai promis, etc.

JOBINEAU.

Tout cela pour M. Clic-Clac, un postillon... un beau parti !

THÉRÈSE.

Il fera son chemin... un homme au-dessus de son état, qui a fait ses études au lycée de Pontoise et qui a été à Paris cocher d’un grand seigneur.

JOBINEAU.

Oui ! un postillon bel-esprit, qui fait des phrases et qui à peine sait mener une voiture, tandis que l’autre en fait qui roulent toutes seules... il me semble que pour un maitre de poste, il n’y a pas à hésiter.

On entend le bruit d’un fouet.

CLIC-CLAC, dans la coulisse.

Holà ! hé ! la poste !... la maison !... une berline... trois chevaux... et les harnais.

THÉRÈSE.

C’est Clic-Clac qui nous amène des voyageurs !...

JOBINEAU, à la cantonade.

Holà ! Petitjean, trois chevaux !

 

 

Scène III

 

JOBINEAU, THÉRÈSE, CLIC-CLAC, en postillon, faisant claquer son fouet

 

CLIC-CLAC.

Air de La Boulangère.

Premier couplet.

Dans mon état combien j’ai vu
De gens courir la poste !
Jusqu’à ce tendron ingénu
Chez qui l’honneur se poste ;
Vient un mylord, et sa vertu
Avec lui prend la poste
Impromptu,
Avec lui prend la poste...

Deuxième couplet.

Voyez cet opposant hautain
Qui ne veut d’aucun poste !
Un ministre, d’un air bénin.
En le flattant l’accoste,
Et devant un emploi lointain
Sa fierté prend la poste
Soudain,
Sa fierté prend la poste !...

JOBINEAU.

Te voilà bien gai !

CLIC-CLAC.

C’est que j’ai de bonnes nouvelles... ça regarde Thérèse, et vous aussi, père Jobineau.

JOBINEAU.

Eh ! qu’est-ce que tu tiens donc là ?

CLIC-CLAC.

C’est une trouvaille que j’ai faite, j’ai ramassé ce portefeuille sur la grande route...

JOBINEAU.

Voyons, mon garçon...

CLIC-CLAC.

Un instant ! ça ne nous appartient pas !

JOBINEAU.

Raison de plus ! ça peut nous aider à trouver le propriétaire !

Il ouvre le portefeuille.

THÉRÈSE.

Ah ! mon Dieu ! que de papiers !

CLIC-CLAC, prenant un papier.

Une lettre à moitié déchirée !...

Air du vaudeville du L’Avare et son Ami.

Lisant.

« Oui, cruelle, je vous adore...
« Désespoir... et mon dernier jour.
« S’il me faut soupirer encore... »

JOBINEAU.

Ah ! c’est quelque lettre d’amour !

CLIC-CLAC.

« Votre cruauté qui s’exerce...
« Hélas... fléchir votre rigueur...
« Ci-joint un billet au porteur... »

JOBINEAU.

C’est quelque lettre de commerce.

C’est un négociant qui aura perdu cela.

CLIC-CLAC.

Peut-être bien... Attendez donc... voici une lettre avec de l’imprimé :

Lisant.

« Le caissier des Français à M. Déclamant, recruteur ! »

JOBINEAU.

Le caissier... c’est quelque financier.

CLIC-CLAC.

Eh non !... je vous dis le caissier des Français !

Lisant.

« À M. Déclamant, recruteur. Au secours, au secours, mon ami, tous nos grands sujets se retirent...

Air : J’ai vu partout dans mes voyages. (Le Jaloux malgré lui.)

« Notre théâtre est en déroute !
« Clitandre nous quitte à jamais.
« Manlius est toujours en route,
« Clytemnestre a fait ses paquets !
« Noire troupe, s’il faut le dire,
« À ma caisse ressemble bien,
« Car tous les jours on en retire
« Et jamais il n’y rentre rien ! »

JOBINEAU.

Comprends-tu cela ?

CLIC-CLAC.

Pas trop... mais voyons toujours.

JOBINEAU, prenant une autre lettre.

Voilà peut-être qui va nous expliquer...

Lisant.

« Ne serait-il pas possible, mon cher ami, d’avoir une seconde représentation à mon bénéfice ? vous savez que la première ne m’a rapporté que trente mille francs, et c’est bien peu quand on exerce, comme moi, les beaux-arts et la bienfaisance !... » Qu’est-ce que ça, une représentation à bénéfice ?

CLIC-CLAC.

Ah ! ça, je le sais ! parce que j’y ai été !... c’est un spectacle où l’on paye double.

JOBINEAU.

J’entends !... parce qu’on s’y amuse deux fois plus !

CLIC-CLAC.

Au contraire !... et Dieu sait cependant comme il en plein de ces représentations-là !

Air : Va, d’une science inutile.

C’est un impôt qui sur nous pèse,
Et l’on annonce sans délai
Qu’en juillet on en verra seize
Et dix-huit dans le mois de mai !
Le parterre y perd sa fortune
Et, pour suffire à ce trafic,
On dit qu’on en va donner une
Au bénéfice du public.

Prenant le portefeuille.

Ma foi, j’en ai assez vu ! faites afficher : « Portefeuille perdu !... » le réclamera qui voudra !... J’ai là quelque chose de plus intéressant !...

JOBINEAU.

Qu’est-ce que c’est donc ?

CLIC-CLAC.

Un cadeau que m’a fait mon ancien maître, ce petit bourgeois dont j’ai été cocher, et que j’ai si bien mené qu’il est maintenant grand seigneur !... Il m’a donné mille écus pour me marier, et je viens les offrir à ma petite Thérèse !...

JOBINEAU.

Eh bien, mon garçon, tu arrives trop tard...

CLIC-CLAC.

Que voulez-vous dire ?

JOBINEAU.

Que nous avons ici un mécanicien distingué qui demain sera mon gendre !

CLIC-CLAC.

Laissez donc ! est-ce qu’il vous faut un mécanicien pour faire aller la poste ?

JOBINEAU.

Oui, monsieur, un Allemand.

CLIC-CLAC.

Eh bien, ça ira vite...

JOBINEAU.

Plus que vous ! Apprenez que, par son industrie, les voyageurs courront la poste sans chevaux... Songe donc, des berlines qui marcheront toutes seules !

CLIC-CLAC.

Oui, croyez ça !

Air de La Meunière.

Premier couplet.

On voit chez nous chaque matin
Naître un nouveau système ;
Ils sont tous, le fait est certain.
La simplicité même...
Réchauds sans feu, mèches sans fin,
Voitures sans chevaux ni train !
Tout ça va d’ soi-même.
Avec un coup d’ main.

Deuxième couplet.

À l’Institut, ce fier savant
Qu’on nomme quarantième,
Qui dit n’avoir mis en avant
Que son mérite extrême ;
Bon époux qui fait son chemin,
Drame qui vit jusqu’à la fin :
Tout ça va d’ soi-même
Avec un coup d’ main.

Enfin, se peut-il, père Jobineau, que vous ne vous lassiez pas d’être attrapé ?... Avez-vous donné dans les voitures à vapeur qui devaient courir la poste par la force du charbon !... et dans les berlines en ballon qui devaient se diriger à volonté ! hein !...  quelle dégaine ça vous avait !...

JOBINEAU.

C’est bien différent... tout ça c’était des projets en l’air !... tandis que cette invention-là, c’est réel... c’est solide...

CLIC-CLAC.

Oui, si on veut...

JOBINEAU.

Et la seule chose qui m’embarrasse, c’est que ça va faire tomber les chevaux... et que j’en ai dans mon écurie une vingtaine qui vont me rester sur les bras !

CLIC-CLAC.

Comment ? vous croyez !...

JOBINEAU.

Eh ! sans doute ! dès qu’on peut faire ses affaires soi-même... il est inutile d’aller s’adresser à un animal essentiellement coûteux !...

CLIC-CLAC.

Eh bien, père Jobineau, qu’à cela ne tienne ! je vous en débarrasse, de la main à la main ! je prends votre poste pour mille écus.

JOBINEAU.

Ça ne serait pas cher !

CLIC-CLAC.

Ça l’est peut-être beaucoup trop, mais c’est à prendre ou à laisser.

JOBINEAU.

Air du vaudeville du Gilles en deuil.

Quoique la somme soit légère,
Il est prudent de l’accepter,
Pour moi c’est une bonne affaire,
De conclure il faut se hâter.

CLIC-CLAC.

Quand les Draisiennes vont paraître,
Ah ! vous n’en serez pas fâché !
Vous y perdez moitié peut-être,
Mais c’est un excellent marché !

JOBINEAU.

À moi les mille écus !

CLIC-CLAC.

À moi les chevaux !

JOBINEAU.

Voilà la clef de leur appartement.

Ensemble.

CLIC-CLAC.

Ah ! c’est une excellente affaire !
Dans l’instant, comme je rirai ;
Enfin je tiens notre beau-père
Et notre hymen est assuré.

JOBINEAU.

Oui ! c’est une excellente affaire,
Bientôt je m’en applaudirai,
Et grâce à ce marché prospère
Tout va réussir à mon gré.

On entend encore le fouet d’un postillon.

JOBINEAU.

Eh ! mon Dieu !... c’est un monsieur et une dame qui descendent d’une chaise...

À Thérèse.

Cours vite, dire à M. de Fiacrenberg de hâter son expérience... et d’accélérer ses Draisiennes...

THÉRÈSE.

Oui, mon père... j’y vais ! Adieu, monsieur Clic-Clac.

Elle sort.

 

 

Scène IV

 

JOBINEAU, CLIC-CLAC, DALBICRAC, MADEMOISELLE TROIS ÉTOILES

 

DALBICRAC.

Allons, sandis ! dépêchons !... l’on est ici d’une lenture à changer les chévos...

JOBINEAU.

Monsieur, il n’y en a pas pour le moment !

DALBICRAC.

Là ! pas de chévos ! je né croyais pas que lé route fut si passagère.

CLIC-CLAC.

Dame ! c’est celle qui mène à Charenton, et par moment il y a de la presse... mais si monsieur veut attendre...

DALBICRAC.

Attendre ! sandis ! Fous ne sabez pas ce que je perds !... On aura commencé sans moi... un procès superbe !...

JOBINEAU.

Comment ! monsieur a un procès ?

DALBICRAC.

Moi ? du tout.

CLIC-CLAC.

Monsieur s’intéresse peut-être à l’une des deux parties ?

DALBICRAC.

Je n’en connais aucune, et il m’est fort indifférent que l’une ou l’autre gagne, pourvu que l’on parle...

CLIC-CLAC.

Ah ! monsieur est avocat ?

DALBICRAC.

Vous n’y êtes pas, mon cher.

Air de La Légère.

Sténographe,
Je paraphe
Jusqu’au moindre paragraphe ;
Sténographe,
Je paraphe
Tous les discours
De nos jours.

Sur son débit impromptu
L’orateur en vain se fie ;
Grâce à la sténographie
Tout s’écrit, rien n’est perdu ;
Nulle bêtise n’échappe
Donc à la célébrité ;
Dès qu’elle part, je la happe
Comme ma propriété.

Sténographe, etc.

On nous avait fait espérer une affaire magnifique... une veuve de deux maris vivants et qui en épouse un troisième.

JOBINEAU.

Ça s’est vu quelquefois.

DALBICRAC.

Jamais ! On ne connaît encore que La femme à deux maris... ainsi jugez, un tiers en sus !... quel bruit ça va faire !... aussi, je suis monté en voiture pour arriver en même temps que la justice.

CLIC-CLAC.

Il n’était pas besoin de prendre la poste pour cela.

DALBICRAC.

Ce maudit retard mé fera manquer la première séance... jé serai obligé de l’inventer pour en rendre un compte fidèle ; et tout cela occasionne des frais d’imagination qui, joints aux frais de poste, diminuent considérablement lé bénéfice d’une spéculation.

JOBINEAU.

Comment ! il y a un bénéfice à retirer de là ?

DALBICRAC.

Eh ! d’où sortez-vous donc ? on spécule sur tout, à présent... même sur les procès. Un procès qui va bien, j’entends qui s’embrouille un peu, est une mine d’or pour tout lé monde... excepté pour les plaideurs. Tenez, par exemple, celui dont je vous parlais tout à l’heure...

Air : Sans mentir. (Les Habitants des Landes.)

Sur ce procès que l’on cite
Je fais un article ou deux ;
L’article fournit ensuite
Un mémoire curieux ;
Du mémoire on fait deux drames,
Des drames un pot-pourri,
Et puis, quelques bonnes âmes
En tirant encor parti,
Le voici, le voici
Aux chevaux de Franconi.

CLIC-CLAC.

Les chevaux ! ça redevient de notre compétence. Mais quelle est cette dame qui vous accompagne et qui ne dit rien ?

DALBICRAC.

C’est encore une spéculation. Imaginez-vous que c’est une jeune demoiselle qui a été enlevée six fois de suite.

JOBINEAU.

Six fois de suite !...

MADEMOISELLE TROIS ÉTOILES, levant son voile.

Tout autant !... et cependant personne n’en a encore rien su ; heureusement je me suis adressée à M. Dalbicrac, et il doit faire un mémoire qui va l’apprendre à tout Paris.

CLIC-CLAC.

C’est un grand service qu’il vous rendra.

DALBICRAC.

Comment donc ? cette brochure-là va faire fureur.

MADEMOISELLE TROIS ÉTOILES.

Sans compter que, selon l’usage, je place en tête de l’ouvrage mon portrait... ainsi que ceux de mes six ravisseurs, de mon père nourricier, de mon frère de lait et de mon défenseur.

JOBINEAU.

Quoi ! vous voulez ?...

DALBICRAC.

C’est de rigueur... grâce à la lithographie, cela coûte si peu !

Air : Voulant par ses œuvres complètes. (Voltaire chez Ninon.)

Depuis l’auteur d’une brochure
Jusqu’aux avocats, aux plaideurs,
Chacun veut montrer sa figure
À l’œil avide des lecteurs.
Leurs portraits au front du volume
Les font connaître...

CLIC-CLAC.

C’est heureux :
Le crayon fait ainsi pour eux
Ce que n’aurait pas fait leur plume.

Et lequel des ravisseurs attaquez-vous en justice ?

MADEMOISELLE TROIS ÉTOILES.

Tous solidairement et par corps... qu’ils s’arrangent entre eux... pour m’en faire un.

CLIC-CLAC.

C’est trop juste.

MADEMOISELLE TROIS ÉTOILES.

J’avais d’abord envie de ne point présenter de défense écrite et de faire seulement parler mes charmes.

CLIC-CLAC.

Prenez garde, il y a des avocats auxquels il ne faut pas se fier.

MADEMOISELLE TROIS ÉTOILES.

C’est ce que m’a dit le mien ; et je me suis déterminée à faire paraître mes aventures... je sais à quoi je m’expose.

Air : Un homme pour faire un tableau. (Les Hasards de hi guerre.)

Loin de plaindre un tel attentat.
Souvent plus d’un railleur nous vexe,
Et je sais qu’un pareil éclat
Peut nuire à l’honneur du beau sexe.
Mais on a dupé plus d’un sot,
Rendu les badauds tributaires :
La victime y trouve une dot
Et l’avocat ses honoraires.

On entend le bruit d’un fouet.

JOBINEAU.

Encore des voyageurs qui arrivent !

À part.

Il semble qu’ils se soient donné le mot depuis que je n’ai plus de chevaux.

Haut.

Si mademoiselle et monsieur veulent entrer dans l’auberge pour prendre quelque chose...

MADEMOISELLE TROIS ÉTOILES.

Volontiers ! car je suis d’une faiblesse...

DALBICRAC.

Et moi j’ai en tête un petit préambule que je vais coucher sur le papier.

Dalbicrac et M Trois Étoiles entrent dans l’auberge.

 

 

Scène V

 

JOBINEAU, CLIC-CLAC, SCAPIN

 

SCAPIN.

Air : G’ n’y a que Paris. (Les Poètes sans souci.)

Vous qu’obsède un juif inhumain,
Vous que retient un oncle avide,
Vous dont le cœur est toujours plein
Et dont la bourse est toujours vide,
Confiez-moi votre destin,
Je suis Scapin.
Je change du soir au matin,
Fourbe, hypocrite ou bon apôtre,
Je prends toujours de chaque main,
Je sers l’un, et puis je sers l’autre.

JOBINEAU.

Seigneur qu’êtes-vous donc, enfin ?

SCAPIN.

Je suis Scapin.

Allons, dépêchons ! des chevaux !

CLIC-CLAC.

Quel est cet original ?

SCAPIN.

Je ne suis pas une nouveauté ; mais en t’ait de valets, les vieux serviteurs en valent bien d’autres. Vous voyez en moi le fils d’un illustre père : je suis le Scapin de Regnard et j’appartiens à madame La Sérénade.

JOBINEAU.

Et d’où diable venez-vous ?

SCAPIN.

Vous me le demandez ? Je viens du fond de la province... j’y étais relégué depuis longtemps, car notre grand-père Regnard ne se donne plus que là. Nous passions quelquefois, à la faveur des Macchabées et du Coffre de fer... lorsque, ces jours derniers, on m’appelle à Paris. En route, Scapin ! Ce sont deux aimables dames qui m’attendent : vous voyez que je ne puis pas trop me presser.

JOBINEAU.

Dans un instant, l’on va vous conduire... c’est qu’il n’y a pas de chevaux.

SCAPIN.

Là ! encore un accroc !... j’aurai eu assez de mal pour arriver.

CLIC-CLAC.

À quel hôtel faudra-t-il vous descendre ? Sans doute à celui des Français ?

SCAPIN.

Au contraire, à Feydeau.

CLIC-CLAC.

Que diable allez-vous y faire ?

SCAPIN.

Je suis propre à tout.

Air du vaudeville de Voltaire chez Ninon.

Je jouerai les jeunes premiers.

CLIC-CLAC.

D’amoureux ce théâtre abonde.

SCAPIN.

Les comiques, les financiers...

CLIC-CLAC.

Ils sont joués par tout le monde.

SCAPIN.

Les pères nobles et les rois...

CLIC-CLAC.

Plus d’un chez eux les représente.

SCAPIN.

Je remplirai tous les emplois.

CLIC-CLAC.

C’est la seule place vacante.

SCAPIN.

D’ailleurs, j’apporte avec moi un trésor.

CLIC-CLAC.

Un trésor ?

SCAPIN, prenant un ton tragique.

« Je puis parler sans fard ; nous sommes seuls, écoute :
« Je suis fin et rusé ; tout Scapin l’est sans doute,
« Mais jamais directeur, auteur, comédien
« Ne conçut un projet aussi grand que le mien. »

J’ai trouvé le moyen de faire des opéras-comiques qui réussissent toujours.

CLIC-CLAC

Diable ! Il fallait donc arriver quelques jours plus tôt.

SCAPIN.

Voici la recette... ça peut servir dans l’occasion.

Air nouveau.

Pour avoir une intrigue
Choisissez au hasard
Dans Regnard ;
Que, pour moins de fatigue,
Les couplets
Soient tout faits ;
Prenez par-ci, pillez par-là :
Et voilà,
Oui, voilà
Comme on fait un opéra.

Au milieu du parterre,
Clissez quelques stentors
Gros et forts ;
Puis mainte voix plus claire
Qui, quand il le faudra,
Se pâmera :
Bravo ! brava !
Et voilà,
Oui, voilà
Comme on pousse un opéra.

Et c’est justement ainsi que j’espère arriver, grâce à mes deux marraines.

CLIC-CLAC.

Comment, vos deux marraines ?

SCAPIN.

Ce n’est pas leur coup d’essai... j’ai là le recueil de leurs œuvres : Les Deux Jaloux de Dufresny, La Sérénade de Regnard et, sous presse, Les Femmes savantes de Molière ; je vous l’ai dit, la recette est infaillible.

Air : Dans la chambre où naquit Molière.

Avec Regnard, avec deux dames,
On brave tout fâcheux hasard.

CLIC-CLAC.

Et si quelques méchantes âmes
S’opposaient aux progrès de l’art ?

SCAPIN.

À ceux qui siffleraient ces dames.
Je dis : Peut-on siffler Regnard ?
À ceux qui siffleraient Regnard :
Messieurs, peut-on siffler des dames ?

CLIC-CLAC.

Ah çà ! monsieur, et votre musique, vous ne m’en avez pas encore parlé.

SCAPIN.

Je voulais d’abord m’adresser à un des plus chers favoris d’Euterpe... mais, hélas ! les chants avaient cessé...

Air : L’amour, l’estime et l’amitié. (Léonce.)

Celui qui chanta les amours,
Les galants exploits de Joconde,
A quitté la scène féconde
Où ses accents vivront toujours.
La lyre en main, vers l’autre plage
Tandis qu’il prenait son essor,
Tous les dieux du sombre rivage
Venaient, dit-on, sur son passage,
Et croyaient que chez eux encor
Orphée avait fait un voyage.

Cependant, il me fallait de la musique ; et une bonne musique... ça ne se trouve pas comme ça !

CLIC-CLAC.

Mais ça se rencontre quelquefois.

SCAPIN.

Justement. J’avais par bonheur un fonds de vieilles partitions, d’airs italiens, allemands ou espagnols : je prends, je pille, je taille, je rogne, et, grâce à mon industrie, je me trouve à la tête d’un superbe sextuor, d’un trio, d’un boléro et d’une ouverture presque neuve...

CLIC-CLAC.

Ma foi, malgré de tels soutiens, je doute encore du succès.

SCAPIN.

Pourquoi ?... parce que je me donne des airs qui ne m’appartiennent pas ! Est-ce que cela a jamais empêché de faire Fortune ?... Allons, monsieur le maître de poste, dépêchons, si cela est possible.

JOBINEAU.

Mon Dieu, monsieur, dans l’instant vous allez être servi... Qu’est-ce que j’entends là ? encore des voyageurs, quatre à la fois !

SCAPIN.

Ah ! mon Dieu, quelle physionomie tudesque !...

 

 

Scène VI

 

JOBINEAU, CLIC-CLAC, SCAPIN, LES QUATRE CHANTEURS ALLEMANDS

 

Air : Si j’avais un amant. (Le Faucon.)

GLAPISSEMBERG.

Nous qu’on apprécia...

LES TROIS AUTRES.

Ya !

GLAPISSEMBERG.

Gais comme alleluia...

LES TROIS AUTRES.

Ya !

GLAPISSEMBERG.

Nous chanteurs d’Allemagne,
Que la gloire accompagne,
Nous sommes à quia.

LES TROIS AUTRES.

Ya !

GLAPISSEMBERG.

Je suis, foyez-fous,
Chargé pour tous
De la harangue,
Car moi seulement
Sais proprement
Parler la langue...
Nous qu’on apprécia, etc.

GLAPISSEMBERG.

Afant de continuer la foyache... nous fouloir rafraigir la gosier qui être touchours crantement altéré.

CLIC-CLAC.

Je crois bien, quatre musiciens allemands !

SCAPIN, à part.

Quelle rencontre ! ce sont justement ces Allemands à qui j’ai pris deux des plus beaux morceaux de ma partition... s’ils me reconnaissaient !

Il se met un emplâtre sur un œil comme dans La Sérénade.

JOBINEAU.

Ces messieurs n’ont qu’à parler... nous avons d’excellent poisson... du turbot...

GLAPISSEMBERG, aux trois autres.

De tire-botte... fouloir fous ?

LES TROIS AUTRES.

Ya !

GLAPISSEMBERG.

Donner le tire-botte et ensuite vous accommoderez un chival !

SCAPIN.

Comment ! un cheval pour votre dîner ?

GLAPISSEMBERG.

Non ! pour la voyache...

SCAPIN.

Comment ? tous quatre sur un cheval ; vous aurez l’air des quatre fils Aymon.

GLAPISSEMBERG.

Ya ! bartir... touchours tous les quatre ensemble...

FAUSSENDORFF.

Pour le agord barfait.

GLAPISSEMBERG.

Taisez-vous !

SCAPIN.

Mais au moins, vos bagages ?

FAUSSENDORFF.

Ce n’être pas lourd !...

Air : Si Pauline est dans l’indigence. (Pauline.)

On ne saurait être en voyache
Plus décaché que nous foilà,
Cet habit fait notre bagage
Pour notre orchestre...

Montrant son gosier.

Il être là.

GLAPISSEMBERG.

Taisez-vous !
Guant à l’archent que c’hai fait faire,
Guant aux brafos qu’on nous donna,
Un chival pourra, j’espère,
À lui seul porter tout cela !

CLIC-CLAC.

Parbleu ! monsieur, je suis bien lâché de n’avoir pas été à Paris vous entendre.

GLAPISSEMBERG.

Nous chantions bourtant bartout !...

FAUSSENDORFF.

Nous ne temantons qu’à chanter !

GLAPISSEMBERG.

Che hafre dit de taïzer fous...

FAUSSENDORFF.

Je taisai moi.

GLAPISSEMBERG.

Il être comme une petite Française pour la barole... Che hafre, pour être à la mode, annoncé treize fois de suite le dernier goncert !... et si fouloir fous un petit échantillon... afant le chival...

CLIC-CLAC.

Très volontiers... mais je ne vois pas d’orchestre !

GLAPISSEMBERG.

Nous nous en bassons... Abrochez, Faussendorff.

FAUSSENDORFF.

Ya ! monsieur Glapissemberg !

CLIC-CLAC.

Qu’est-ce que vous lui mettez donc là à l’oreille ?

GLAPISSEMBERG.

Ce être le diapason...

CLIC-CLAC.

Ah ! j’entends, pour chanter...

GLAPISSEMBERG.

Chuste !...

SCAPIN.

Diable ! écoutons... Si je pouvais leur prendre encore cet air-là !

Quatuor sans accompagnement.

LES QUATRE ALLEMANDS.

Air : J’ai du bon tabac dans ma tabatière.

Das ist gout, mein herr !
Schœn kartofle, wasser ;
Das ist gout, mein herr !
Schœn kartofle, wasser ;
Mein liebe trock,
Krompire et rostock,
Wollen sie mir tairteff
Und tarteif.

Bas ist gout, mein herr, etc.

Scapin, qui pendant tout ce morceau a témoigné son contentement, fait plusieurs gestes admiratifs. Son emplâtre est tombé, et il le remet sur l’autre œil.

SCAPIN.

Ah ! monsieur, quels accents !

GLAPISSEMBERG, le considérant avec étonnement.

Ce être surprenant ! depuis que che hafre chanté, il me semble que cet petite Française regardir moi d’un autre œil !...

 

 

Scène VII

 

JOBINEAU, CLIC-CLAC, SCAPIN, LES QUATRE CHANTEURS ALLEMANDS, DALBICRAC, MADEMOISELLE TROIS ÉTOILES

 

DALBICRAC.

Eh donc ! maître Jovineau ! ces éternels chévos... sont-ils arribés ?

SCAPIN.

Qu’est-ce que c’est ? apprenez que s’il y avait des chevaux... ils seraient pour moi !

GLAPISSEMBERG.

Tairtefi !... ce être moi qui hafre retenu... j’ai temanté tout à l’heure un petit chival...

DALBICRAC.

Et moi, il m’en faut trois !... Eh donc, mon cher mossu, mettez-vous en quatre... ou sinon.

JOBINEAU.

Mais, messieurs, un instant... Dis donc, mon cher Clic-Clac...

CLIC-CLAC.

Ça ne me regarde pas, arrangez-vous.

TOUS.

Qu’est-ce qu’une poste comme celle-là !

JOBINEAU.

Ah ! quel bonheur... enfin M. de Fiacrenberg ! Eh ! arrivez donc, mon gendre !

 

 

Scène VIII

 

JOBINEAU, CLIC-CLAC, SCAPIN, LES QUATRE CHANTEURS ALLEMANDS, DALBICRAC, MADEMOISELLE TROIS ÉTOILES, FIACRENBERG, accourant

 

FIACRENBERG.

Les voilà ! les voilà !... il y en aura pour tout le monde...

SCAPIN.

Des chevaux de poste ?

FIACRENBERG.

Eh non ! bien mieux que cela ! mes Draisiennes !... elles arrivent... j’en vais faire l’épreuve à l’instant... et si ces messieurs veulent y assister...

DALBICRAC.

Il me semble, sandis ! que c’est encore du temps perdu.

JOBINEAU.

Oh ! vous le regagnerez bien ! ça vous emportera comme le vent, et sans effort.

FIACRENBERG.

Ça fait déjà un bruit à Paris... jusqu’aux cochers de fiacre qui font des réclamations, ils ont peur que je ne les passe.

SCAPIN.

Si ça pouvait me faire aller tout seul...

MADEMOISELLE TROIS ÉTOILES.

Ça vous enlève donc bien vite ?...

FIACRENBERG.

Ça dépend du conducteur !

Air : Je ne veux pas vous regarder.

A-t-il vingt ans ?... dans son essor
C’est un éclair qui fend la nue !
À quarante, j’en suis d’accord,
La rapidité diminue !

SCAPIN.

À cinquante alors, je le sens,
Il faut enrayer, quoi qu’on dise,
Et mettre enfin à soixante ans
La voiture sous la remise.

FIACRENBERG.

Dame ! quand on a roulé soixante ans ! c’est bien honnête.

TOUS.

C’est juste !... allons voir les Draisiennes !

Air : Verre en main. (Une Journée chez Bancelin.)

Courons tous
Sans plus attendre ;
Au spectacle il faut se rendre.
Courons tous
Sans plus attendre.
Monsieur, guidez-nous !

FIACRENBERG.

Pour voir le succès
De cette expérience unique,
Dans la place publique
On ira par billets ;
Vous pouvez m’en croire,
Je vise à la gloire :
Chacun ne paiera
Qu’un franc pour voir cela !

JOBINEAU.

C’est une course de cabriolet !...

TOUS.

Courons tous, etc.

Ils sortent tous, excepté Clic-Clac.

 

 

Scène IX

 

CLIC-CLAC, seul

 

Oui ! oui, courez, je tiens la poste sous clef, et il vaut mieux tenir que courir... Eh mais, qu’est-ce que j’aperçois là ? Un petit monsieur...

Lui parlant à la cantonade.

Par ici, monsieur, faites le tour !... Les équipages de ces messieurs l’empêchent de passer... Eh bien, qu’est-ce qu’il fait donc ? Il prend son élan... Ah ! mon Dieu !

 

 

Scène X

 

CLIC-CLAC, M. GROTESQUE, tombant au milieu du théâtre

 

M. GROTESQUE.

Pouf !...

CLIC-CLAC.

Comment ! vous avez sauté par-dessus cette diligence ?...

M. GROTESQUE.

Eh youp... partez de là !

Il remonte le théâtre comme le Grotesque aérien.

Dites-moi, monsieur, combien peut-il y avoir d’ici à Paris ?

CLIC-CLAC.

Mais environ deux lieues par la grande route.

M. GROTESQUE.

Et à vol d’oiseau ?

CLIC-CLAC.

Ma foi, nous autres, nous ne connaissons pas ce chemin-là.

M. GROTESQUE.

Moi, je ne voyage jamais autrement.

CLIC-CLAC.

J’entends : monsieur est aéronaute.

M. GROTESQUE.

À peu près, je suis aérien... c’est un nouveau métier qui consiste à aller les pieds en l’air, la tête en bas, à vingt-cinq pieds de terre, état superbe et le seul peut-être où l’on ne rencontre pas de rivaux sur son chemin... Eh youp ! partez de là...

CLIC-CLAC.

C’est pourtant un singulier état que vous avez pris là...

M. GROTESQUE.

Monsieur, c’est un événement fort heureux qui m’a lancé dans cette carrière... Je fus un jour jeté par une fenêtre... ça peut arriver à tout le monde... crac, la tête la première... Je ne perds pas de temps, je me retourne et je tombe sur les pieds ! chacun de crier bravo ! Je soutins que je l’avais fait exprès et je me trouvai un grand homme, par hasard.

CLIC-CLAC.

Monsieur, il y a bien des gens qui sont arrivés... et qui ne sont pas partis de si haut !...

M. GROTESQUE.

Je ne vous cache pas que c’est cette fenêtre-là qui m’a ouvert la porte de la célébrité.

Air : Amis, dépouillons nos pommiers. (Val de Vire.)

Dès lors, je me mis à rouler,
Et chacun sur la terre
À pu me voir cabrioler
Ou pour Paul ou pour Pierre.
Moi je me suis dit :
Quel que soit l’esprit
Ou les talents qu’ils aient,
Agile sauteur
Et spéculateur
Sautent pour ceux qui paient.

Eh youp !... partez de là !...

CLIC-CLAC.

Et vous allez sans cloute, de ce pas, débuter sur un plus brillant théâtre...

M. GROTESQUE.

J’avais d’abord envie de débuter à l’Opéra !

CLIC-CLAC.

Comment, à l’Opéra, ce séjour enchanteur de la musique et de la danse !

M. GROTESQUE.

On prétend qu’on n’y fait plus que des tours de force, et les miens en valent bien d’autres ; mais j’ai appris qu’il y avait déjà un aérien : alors, ma foi, j’aime à être libre et je m’établis à Monthabor, où jamais personne n’a gêné la circulation. J’ai déjà envoyé devant moi mes bagages, mon physicien ordinaire et des tapis.

CLIC-CLAC.

Comment ? votre physicien ?

M. GROTESQUE.

Un homme extraordinaire, qui fait des choses étonnantes que tout le monde a vues.

CLIC-CLAC.

Oh ! vous voulez dire un joueur de gobelets ?

M. GROTESQUE.

Non, physicien... n’escamotez pas le mot : c’est ce que nous avons de mieux.

Air de Marianne. (Dalayrac.)

Fait-on partir une muscade,
Qu’on sache lire mal ou bien,
On s’intitule avec parade
Monsieur un tel... physicien.
Chacun s’en pique,
Et la physique
Court des salons à la place publique ;
Tout s’ennoblit,
Tout s’agrandit.
Escamoteur est un nom trop petit ;
Jusqu’à ces gens d’adresse unique.
Exploitant la poche d’autrui,
Qui bientôt se diront aussi
Professeurs de physique.

CLIC-CLAC.

Je vous conseille de renoncer à votre physique ; vous pouvez vous en passer.

M. GROTESQUE.

Non pas, cela remplit l’affiche et les entr’actes. J’annonce mes gambades et mes sauts périlleux avec cette épigraphe : « Les sauts sont ici-bas pour nos menus plaisirs. » Voulez-vous pour commencer me faire donner huit ou dix chevaux...

CLIC-CLAC.

Mais il me semble que vous allez à pied...

M. GROTESQUE.

C’est pour ne pas perdre de temps... et m’exercer à les franchir... Eh youp !...

Le regardant.

C’est dommage que vous n’ayez pas quelques pieds de plus... je vous aurais essayé... Attendez, mettez-vous ce buffet sur la tête...

CLIC-CLAC.

Je vous suis obligé... A-t-on jamais vu une rage de sauter comme celle-là !...

M. GROTESQUE.

Eh bien ! voyons, dépêchons... qu’on mette en ligne tous les chevaux de la poste... En attendant...

Montrant le lustre et le paradis.

je m’en vais arriver là-haut en deux élans. Une fois arrivé, eh ! youp ! partez de là, je m’élance du paradis en faisant la cabriole... et, en passant par-dessus le lustre, je souffle la moitié des quinquets... Vous allez voir... place un peu.

CLIC-CLAC.

Par exemple, je suis curieux de voir celui-là !

M. Grotesque remonte le théâtre, frappe deux fois dans ses mains et se dispose à prendre son élan. On entend du bruit au dehors.

 

 

Scène XI

 

CLIC-CLAC, M. GROTESQUE, SCAPIN, JOBINEAU, THÉRÈSE, DALBICRAC, MADEMOISELLE TROIS ÉTOILES et LES QUATRE CHANTEURS ALLEMANDS

 

TOUS, à Jobineau.

Air : Ça n’ dur’ra pas toujours.

Donnez-nous des chevaux. (4 fois.)

CLIC-CLAC.

Eh bien ! les Draisiennes ?... M. de Fiacrenberg ?...

DALBICRAC.

Nous sommes partis en même temps que lui.

CLIC-CLAC.

Eh bien ?

GLAPISSEMBERG.

Il n’être bas encore à la moitié de la blace buplique.

SCAPIN.

Et cependant tout le monde s’est mis à le pousser.

CLIC-CLAC.

Même air.

Quoi ! c’t’ épreuve inconnue ?...

JOBINEAU.

Ah ! j’en ai plein le dos !

SCAPIN.

Depuis que l’ai vue,
Je dis en quatre mois :
Donnez-nous des chevaux !

TOUS.

Donnez-nous des chevaux,
Donnez-nous des chevaux !

GLAPISSEMBERG.

Vous savez qu’il m’en faut un.

DALBICRAC.

Il m’en faut trois.

M. GROTESQUE.

Je les ai tous retenus.

DALBICRAC.

Et moi je porte plainte et je vous fais ôter la poste... puisque vous ne sabez pas la tenir ?...

CLIC-CLAC.

Comme vous allez vite, monsieur le sténographe ! un instant !... vous demandez tous des chevaux, vous en aurez !... Père Jobineau, je vous rends votre parole, et il ne tient qu’à vous de rentrer dans votre écurie... vous savez à quelles conditions !...

JOBINEAU.

Comment, mon garçon, tu me rendrais mes chevaux ?... Je consens à tout, et suis trop heureux de me retrouver sur mes pieds !...

SCAPIN.

Tenez, voilà un monsieur qui n’est pas trop sur les siens !...

 

 

Scène XII

 

CLIC-CLAC, M. GROTESQUE, SCAPIN, JOBINEAU, THÉRÈSE, DALBICRAC, MADEMOISELLE TROIS ÉTOILES, LES QUATRE CHANTEURS ALLEMANDS, FIACRENBERG, monté sur une Draisienne que tout le monde pousse, et entouré d’un nombreux cortège

 

SCAPIN.

Air : Il était une fillette.

Dès la première campagne
Le succès est bien prouvé !

CLIC-CLAC.

Est-ce ainsi qu’en Allemagne
On sait brûler le pavé ?...

FIACRENBERG, que tout le monde pousse.

Eh aïe, et hue, et aïe et pousse,
V’là comme on arriv’ sans secousse.

SCAPIN.

Ah ! quel bonheur pour les piétons,
Si dans Paris les phaétons,
Tous les wiskis et cætera
N’allaient jamais que ce train-là !

FIACRENBERG, à ceux qui l’entourent.

Assez ! assez !... que diable, j’irai bien tout seul... mais donnez-moi du temps !...

Descendant.

Aïe... je suis rompu ! ce cheval-là est dur comme du bois !... Mais qu’est-ce que j’aperçois ?

CLIC-CLAC.

Toute la jeunesse du village, qui pour vous faire honneur est aussi montée en Draisiennes !

FIACRENBERG.

Comment ! à cheval sur des bâtons !

SCAPIN.

Dame ! vous m’avouerez que c’est le même procédé simplifié et perfectionné.

Air du vaudeville de La Robe et les Bottes.

Sans vos secours, monsieur, et sans votre aide,
À l’école nous connaissions
Déjà le vrai vélocipède
Lorsqu’à cheval ainsi nous galopions !
Tel croit marcher, dans le siècle où nous sommes,
Qui recule à pas de géants,
Et les projets de messieurs nos grands hommes
Sont bien souvent des jeux d’enfants.

TOUS.

Et les projets de messieurs nos grands hommes
Sont bien souvent des jeux d’enfants. (Ter.)

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