Une Bonne fortune (Auguste LEPOITEVIN DE L’ÉGREVILLE - Paul DE KOCK)

Vaudeville en un acte.

Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Ambigu-Comique, le 16 juin 1825.

 

Personnages

 

MONSIEUR DE VOLENVILLE, provincial, petit maître de 45 ans

MADAME DE VOLENVILLE, petite maîtresse de province

ERNEST, neveu de Monsieur de Volenville

CLÉMENTINE, femme d’Ernest

RENARÉ, propriétaire de l’Hôtel de la licorne

CLAUDINE, jeune paysanne, nièce de Renaré

LABRIE, valet sans place

 

La scène est à Paris, Hôtel de la Licorne, faubourg Saint-Germain.

 

Le Théâtre représente une cour de l’hôtel de la Licorne. Au fond, la porte cochère ; à droite ct à gauche des bâtiments de la maison avec des fenêtres au rez-de-chaussée donnant sur la cour.

 

 

Scène première

 

CLAUDINE

 

Air : nouveau de M. Miller, ou Air : Avant d’y penser (de Jocrisse aux enfers.

Allons, – Travaillons,
Nettoyons, – Balayons,
Et montrons
Tout c’que je savons,
P’têtr’ ben que tout ça
Séduira,
Charmera ;
Et ça f’ra
Qu’on m’épousera.
J’voulons trouver un mari,
Quoiqu’ je n’sois pas vaniteuse ;
J’veux qui voye, en v’nant ici,
Que je n’sommes point paresseuse.
Allons,
etc.

J’ dis que v’là la cour joliment propre... mon oncle ne criera plus après moi... Ah ! dam ! depuis qu’j’ai en vie de me marier, ça me donne du courage. M. Labrie passe son temps à courir pour chercher une place, à ce qu’il dit... Mais bath, ces hommes, c’est si menteur !...

On frappe.

C’est peut-être lui...

 

 

Scène II

 

CLAUDINE, RENARÉ, LABRIE.

 

RENARÉ, au rez-de-chaussée à droite.

On a frappé... le ciel m’enverrait-il un locataire ?...

Claudine a ouvert la porte à Labrie.

LABRIE.

Bonjour, ma belle, ma charmante Claudine.

CLAUDINE, le repoussant.

Vous v’là donc de retour... c’est bien heureux... D’où venez-vous ?

LABRIE.

Que je t’embrasse d’abord, nous causerons après.

Il l’embrasse.

RENARÉ.

Eh bien ! qu’est-ce ce que je vois là ?... Hé ! Mons Labrie !...

LABRIE.

Tout voir et ne rien voir, M. Renaré, c’est votre maxime.

RENARÉ.

Oui, comme aubergiste ; mais comme oncle... Un instant, je suis à vous.

Il quitte la fenêtre.

LABRIE.

Ton oncle est donc toujours aussi barbare ?

CLAUDINE.

Tant que tu n’auras pas quelque chose, mon oncle ne nous mariera pas... Aussi, pourquoi n’es-tu pas resté chez ce Monsieur, rue du Vieux-Colombier, où il t’avait placé ?

LABRIE.

Jolie place !... Mettre un homme comme moi chez un employé... fi donc !

Air : Du Petit Courrier.

Ce maître était un vrai Caton,
Sur son bien réglant sa dépense ;
Prévoyant tout, payant d’avance ;
Et n’écoutant que la raison.
Je hais cette méthode étrange ;
On est là trop mal partagé :
Car jamais valet ne s’arrange
Qu’avec un maître dérangé.

Renaré sort de la Maison à gauche.

RENARÉ.

Nous disions donc que les mœurs...

LABRIE.

Comment vous portez-vous, papa Renaré ?

RENARÉ.

Il ne s’agit pas de cela... vous vous êtes permis d’embrasser ma nièce, M. Labrie ?

CLAUDINE.

Dam’ mon oncle, il m’aime.

RENARÉ.

Voilà justement ce que je ne veux pas : je n’aime point qu’on s’aime. moi !...

LABRIE.

Vous êtes donc un tyran ?

RENARÉ.

Non, je ne suis point un tyran ; je suis tout bonnement le propriétaire de la Licorne, et je veux louer mon hôtel...

LABRIE.

Vous le louerez, grâce à moi !

RENARÉ.

Bah ! je ne vois pas un chat venir par votre recommandation. Que sont devenus nies prospectus ?

LABRIE.

J’en ai semé partout ; à la Chaussée d’Antin, au Marais, au Palais-Royal ; dans chaque porte entrebâillée : j’en ai même collé sur les voitures publiques qui partaient pour la province ! aussi, des cinq cents exemplaires que vous avez fait tirer, ne m’en reste-t-il plus qu’un seul le voici.

Il l’attache au fond après le mur.

RENARÉ.

À quoi bon ?...

LABRIE.

S’il n’attire personne, le détail des agréments de votre hôtel pourra y retenir les locataires.

RENARÉ.

Vous croyez plaisanter, mais je puis me vanter d’avoir un des plus beaux hôtels de la rue du Dragon.

LABRIE.

Et voilà qui prouve que la réputation de votre hôtel est méritée.

Lisant le prospectus.

« Cet hôtel, situé dans un des plus agréables quartiers de la capitale, 

S’interrompant.

(rue du Dragon, faubourg Saint-Germain), renferme plusieurs appartements fraîchement décorés (les papiers n’ont que quinze ans), les locataires auront en outre la jouissance d’un superbe jardin anglais, dans lequel on a construit des Montagnes russes (avec une planche de huit pieds de long.) Il ne manque plus que des chars pour dégringoler, mais on peut se servir de la brouette du jardinier : enfin, le propriétaire offre sa société gratis. » (c’est généreux.) Parbleu, si avec tout cela vous ne faites pas fortune ce ne sera pas ma faute.

RENARÉ.

Je vous le répète, si vous voulez épouser Claudine il faut encore me procurer trois locataires.

CLAUDINE.

Est-il tenace, mon oncle, est-il tenace !

LABRIE.

Trois... vous les aurez, M. Renaré, vous les aurez ; j’en fait mon affaire.

Air : Flic, flac.

Avant peu, de locataires,
Cet hôtel sera rempli ;
Car, en faisant vos affaires,
Je fais les miennes aussi.

RENARÉ.

N’importe quelles figures...
Je ne suis pas exigeant :
Je ne tiens pas aux tournures ;
Mais je tiens fort à l’argent.

Ensemble.

RENARÉ.

Avant peu, de locataires
Mon hôtel sera rempli.
Car en faisant mes affaires
Il fait les siennes aussi.

CLAUDINE, LABRIS.

Avant peu, de locataires.
Votre hôtel sera rempli.
Car en faisant vos affaires
Il fait   }          
Je fais } les nôtres aussi.

Renaré fait rentrer Claudine avec lui.

 

 

Scène III

 

LABRIE, puis CLÉMENTINE

 

LABRIE.

Ah ! le vieil avare... Mais songeons d’abord au plus pressé...

Il appelle vers le rez-de-chaussée à gauche.

Madame... madame...

CLÉMENTINE entr’ouvre sa persienne.

Ah ! le voilà, Labrie, sais-tu quelque chose de nouveau ?

LABRIE.

Oh ! certainement, madame.

CLÉMENTINE.

Me voici.

Elle quitte la fenêtre.

LABRIE.

Le diable m’emporte si je sais ce que cette jeune dame veut de moi. C’est égal, elle est généreuse, je ferai réussir ses projets, quels qu’ils soient.

CLÉMENTINE entrant en scène.

Eh bien, Labrie, as-tu vu M. de Volenville ?

LABRIE.

Oui, Madame ; un petit-maître de quarante-cinq ans ; tournure de province... Oh ! il est facile à reconnaître.

CLÉMENTINE.

Et il est amoureux de moi ?

LABRIE.

À en perdre l’esprit, si cela lui était possible.

CLÉMENTINE.

Il t’a mis dans sa confidence ?

LABRIE.

C’est vrai.

CLÉMENTINE.

Il t’a promis pour le servir ?

LABRIE.

Dix louis.

CLÉMENTINE lui donnant une bourse.

En voilà quinze.

LABRIE.

Je le trahis...

CLÉMENTINE.

Apprends que cet amant est l’oncle de mon mari.

LABRIE.

Votre oncle !

CLÉMENTINE.

Ernest m’a épousée malgré lui. M. de Volenville habite avec sa femme à Caudebec. Espérant le fléchir, mon mari part pour cette ville, il m’avait conduite chez une de mes parentes, dans un château voisin ; bientôt il m’écrit que son oncle est absent et m’engage à revenir l’attendre à Paris. Dans la voiture publique un provincial me lorgne ; à table d’hôte il est près de moi, il m’adresse mille propos galants. Je ris d’abord de cet original ; mais juge de ma surprise en apprenant que c’est l’oncle d’Ernest : alors je conçois un projet charmant, et pour l’effectuer, je change de nom et viens me loger dans ce vieil hôtel, où je me flatte que mon tendre soupirant ne tardera pas à me poursuivre.

LABRIE.

Aujourd’hui même, vous le verrez.

CLÉMENTINE.

Mets toi dans ses bonnes grâces, encourage son amour et surtout garde-toi de lui apprendre que je suis la femme de son neveu.

LABRIE.

Soyez tranquille, madame, oh !je comprends maintenant !... Mais M. votre époux ?

CLÉMENTINE.

Je l’attends d’un moment à l’autre ; mais je ne lui apprendrai que la moitié de mon plan : il pourrait s’effrayer, craindre de fâcher davantage son oncle... Ces hommes, quand ils sont mariés... ils ne sont plus reconnaissables.

Air : Du duel et le déjeuner.

Pour obtenir femmes jolies,
Bravant et parents et tuteur
Les amants font mille folies,
Rien ne ralentit leur ardeur.
L’hymen change leur caractère,
Mais une femme, dieu merci !
Quand elle a quelque chose à faire
Ne compte pas sur son mari,

Mais ne perds pas de temps, retourne près de M. de Volenville,

LABRIE.

Soyez tranquille, madame, dans une heure je le conduis à la Licorne.

Il sort vivement.

 

 

Scène IV

 

CLÉMENTINE, seule

 

Ah ! ah ! je ris d’avance de la figure que fera notre galant. Mon projet est un peu hardi peut-être... Tant mieux, il n’y a que ceux-là qui réussissent.

Air nouveau de M. Miller, ou Rondeau de l’Étourdi à la diète.

Allons montrons un peu d’étourderie,
Rions et rusons tour-à-tour,
Et qu’aujourd’hui le dieu de la folie
Serve encore de guide à l’amour.
Assez tôt, il faudra je gage,
De la raison suivre les lois.
C’est quand elle vient avec l’âge
Qu’il faut obéir à sa voix ;
Mais des beaux jours de la jeunesse
Sachons employer les instants,
L’hiver est fait pour la sagesse
Et le plaisir pour le printemps.

 

 

Scène V

 

CLÉMENTINE, ERNEST

 

ERNEST, au fond.

Voilà bien l’adresse que m’a donnée Clémentine... entrons. Parbleu ! voilà justement ma femme.

CLÉMENTINE, lui mettant un doigt sur la bouche.

Ta femme ! ne dis donc pas cela. Imprudent.

ERNEST.

Ah ! ça que veut dire cet air de mystère ?

CLÉMENTINE.

Apprends que je suis veuve et me nomme madame de Merville.

ERNEST.

Ah ! tu es veuve... je suis donc mort ?

CLÉMENTINE.

Apparemment.

Riant.

je t’instruirai plus tard.

ERNEST.

En attendant que tu l’expliques, je te dirai que mon voyage n’a pas été heureux, je n’ai trouvé à Caudebec ni mon oncle, ni ma tante.

CLÉMENTINE.

Je le crois bien ; ton oncle est à Paris.

ERNEST.

Mon oncle !...

CLÉMENTINE.

Et bientôt il sera dans cet hôtel.

ERNEST.

Je me sauve.

CLÉMENTINE.

Reste donc. Je l’assure qu’il ne songe guère à toi maintenant, sois sans crainte, laisse toi conduire et j’obtiendrai ton pardon.

ERNEST.

Oh ! voilà les folies...

CLÉMENTINE.

Il у a ici un certain Labrie, valet adroit, il nous secondera merveilleusement.

ERNEST.

Mais enfin...

CLÉMENTINE.

Chut ! voici notre hôte, il est bavard, curieux, indiscret, s’il savait que je suis ta femme, mon projet serait manqué. Prends garde à ce que tu diras.

ERNEST.

Oh ! sois tranquille je n’en dirai pas trop, je ne sais rien.

 

 

Scène VI

 

CLÉMENTINE, ERNEST, RENARÉ

 

RENARÉ, à part.

Oh ! Oh ! un nouveau venu et je l’ignorais.

CLÉMENTINE, haut.

Je vous quitte, monsieur, mais puisque nous allons être voisins, j’espère vous revoir bientôt.

RENARÉ, à part.

Voisins, bon, il vient loger ici.

ERNEST.

Madame, je vous demanderai le permission de vous faire ma cour.

Il lui baise la main.

RENARÉ.

Peste ! Il lui baise la main... c’est égal, tout voir et ne rien voir, je ne sors pas de là.

 

 

Scène VII

 

ERNEST, RENARÉ

 

RENARÉ.

Monsieur, j’ai bien l’honneur de vous saluer, puis-je savoir si...

ERNEST.

Si je viens loger chez-vous ? oui, monsieur, il me faut un appartement auprès de celui de cette dame.

RENARÉ, à part.

Fort bien, j’entends.

Haut.

Est-ce Labrie qui a indiqué mon hôtel à monsieur ?

ERNEST.

Labrie ? ah ! oui, c’est Labrie.

RENARÉ.

Monsieur sera content. J’ai chez moi une société choisie... entr’autre une dame charmante que monsieur connaît à ce que j’ai pu voir...

ERNEST.

Oui, oui un peu. Au reste ce n’est pas ce qui m’attire chez vous, je fuis les femmes, moi, monsieur.

RENARÉ.

Monsieur est peut-être marié ?

ERNEST.

Justement.

RENARÉ.

Et a une femme qui le fait enrager du matin au soir.

ERNEST.

C’est cela même, mais ce logement...

RENARÉ.

Tout de suite, monsieur. holà ; Claudine, Claudine.

 

 

Scène VIII

 

ERNEST, RENARÉ, CLAUDINE

 

CLAUDINE.

Me v’la, mon oncle.

RENARÉ.

Saluez, ma nièce et conduisez monsieur au n° 3.

CLAUDINE, à part.

Tiens, je ne l’ai pas vu arriver celui-là.

RENARÉ.

Saluez donc, ma nièce.

CLAUDINE.

Par ici, monsieur.

RENARÉ.

Air : du Pont des Arts.

Je sais par mes soins, mon zèle
Plaire à chaque voyageur ;
D’être adroit, discret, fidèle
Ici l’on se fait honneur.
Chez moi par ma prévoyance
Vous vous plairez, je le crois.

À Claudine.

Faites donc la révérence.

CLAUDINE.

Mais j’en ai déjà fait trois.

RENARÉ.

Je sais par etc.

Claudine conduit Ernest à droite.

RENARÉ, seul.

Bravo ! bravo ! voilà ma maison qui commence à avoir la vogue ma femme m’avait bien dit que la Licorne percerait...

CLAUDINE, revenant.

Me v’la. Il n’est pas mal c’monsieur là.

RENARÉ.

Ah ? ça écoute, Claudine, comme il me paraît que nous allons avoir la foule, il n’est pas hors de propos de te rafraichir la mémoire de mes instructions. Tu arrives de ton village et tu es encore un peu niaise, mais règle toi sur cette maxime ; dans un hôtel garni, tout voir et ne rien voir.

CLAUDINE.

Soyez donc tranquille, je la sais par cœur vot’ maxime.

LABRIE, en dehors.

Par ici, monsieur, par ici.

CLAUDINE.

Tiens, c’est la voix de Labrie... ah ! il amène une drôle de figure.

RENARÉ.

Encore quelqu’un ! ce garçon là a vraiment du bon.

 

 

Scène IX

 

RENARÉ, CLAUDINE  LABRIE, VOLENVILLE

 

LABRIE.

Par ici...

Air : de la Clochette.

Par ici,

bas.

C’est moi qui vous l’amène,
Par ici... par ici.

À Renaré.

J’espère pour ma peine,
Devenir le mari
Le mari
Du tendron que voici,
Par ici...

RENARÉ.

Par ici.

CLAUDINE.

Par ici.

VOLENVILLE, entrant.

Me voici.

Ah ! me voici à la Licorne.

RENARÉ.

Monsieur, enchanté... saluez donc, ma nièce.

VOLENVILLE.

Ah ! ça quels sont les appartements que vous avez de libres

RENARÉ.

Un charmant... de ce coté, deux fenêtres à persiennes... vue superbe... on aperçoit une place de fiacre... et puis des glaces partout...

VOLENVILLE.

Des glaces, ça me convient. Je prends ce logement.

LABRIE, bas.

Madame de Merville loge là... à ce rez-de-chaussée...

VOLENVILLE.

Tu en es certain ?

LABRIE.

Oh ! très certain...

VOLENVILLE.

Je serai sous le même toit !... c’est charmant !

Haut.

Vraiment cette maison me plait... je suis sûr que je serai très bien ici...

RENARÉ.

Monsieur, quand vous la connaîtrez mieux... vous ne voudrez plus la quitter.

Air : du Briquet.

C’est une maison tranquille,
De ces lieux chaque habitant,
Se conduit fort décemment.
Quoiqu’au centre de la ville,
On n’entend pas trop de bruit.
On peut y dormir la nuit ;
À sa guise chacun vit.
La cuisine est toujours bonne.
Tous mes gens sont fort soigneux.
Je ne suis pas curieux
Et je n’écorche personne...
Enfin, l’on ne peut ici,
Se croire en hôtel garni.

VOLENVILLE.

C’est fort bien. Ah ! ça, mon bon homme, faites moi conduire à mon appartement

Bas à Labrie.

attends moi ici, j’ai à te parler.

LABRIE.

Il suffit, monsieur.

RENARÉ.

Claudine, conduisez monsieur... saluez donc, ma nièce.

VOLENVILLE.

Guidez-moi, belle fille... oh ! le joli minois.

CLAUDINE.

Comme il me regarde... qu’est-ce qu’il a donc ce vieux beau fils ?... v’là que je marche, monsieur.

Ils entrent à droite.

 

 

Scène X

 

RENARÉ, LABRIE

 

LABRIE.

Eh ! bien, cher oncle, je crois que cela ne va pas mal ? grâce à moi, voilà votre maison qui s’emplit.

RENARÉ.

Je n’en disconviens pas, mon garçon, aussi je veux te donner une preuve de ma satisfaction : tu dîneras aujourd’hui avec nous.

LABRIE.

C’est trop d’honneur.

RENARÉ.

Non, non, je le veux ainsi ; viens sans façon... tu payeras ton écot voilà tout.

LABRIE.

Bien obligé.

RENARÉ.

Je cours à mes nouveaux venus.

Il rentre.

 

 

Scène IX

 

LABRIE, puis VOLENVILLE

 

LABRIE.

Il faut avouer que le cher oncle est généreux, n’importe, voilà une journée qui commence bien. Ah ! j’entends notre séducteur.

VOLENVILLE.

Me voilà, mon garçon, Ha ça ! tu sais que l’amour m’amène en ces lieux... il faut me servir.

LABRIE.

Je ne demande pas mieux.

VOLENVILLE.

J’en étais sûr, je me connais en physionomie ; je vois que tu es un drôle adroit, rusé, audacieux... Un peu fripon, peut-être...

LABRIE.

Vous me flattez, Monsieur.

VOLENVILLE.

Tu me conviens, sous tous les rapports.

LABRIE.

J’entend ; Monsieur vient à Paris pour se divertir.

VOLENVILLE.

C’est cela même ; je veux m’amuser, et voilà pour quoi je n’ai pas emmené ma femme avec moi.

LABRIE.

C’est très bien pensé.

VOLENVILLE.

J’ai saisi pour prétexte l’amour d’un neveu qui pré tend se marier ici sans ma permission, tandis que je lui réserve, à Caudebec, mon endroit, la main de Mademoiselle Tournesol, fille de l’Adjoint du Maire, jeune personne superbe ; qui parle toutes les langues mortes,

LABRIE.

Peste ! voilà qui est joli ! Votre neveu en entendra de belles.

VOLENVILLE.

Eh ! bien, mon ami, le coquin a refusé ce parti. Ma femme, qui est très sensible, voulait lui pardonner, mais moi j’ai tenu ferme... D’ailleurs, c’était une occasion de venir à Paris. J’en mourais d’envie : c’est la première fois que cela m’arrive.

LABRIE.

En vérité ! un homme comme vous en province... C’est un meurtre ! Qu’y faisiez-vous ?

VOLENVILLE.

Oh ! nous ne manquons pas d’amusements.

Air : du Major Palmer.

Chaque jour de la semaine
On se rassemble entre amis.
Nous avons appris sans peine
Les plus beaux jeux de Paris.
Le lundi chez un artiste
On va jouer au loto.
Mardi chez un nouvelliste
Nous faisons le domino.
Mercredi chez la greffière
Le boston ou les brelans.
Jeudi chez Monsieur le maire
Ce sont des jeux innocents.
Vendredi le mariage
Chez le notaire est tenté ;
Samedi suivant l’usage
Au bal on fait l’écarté ;
Enfin, quand vient le dimanche
Au billard, dès le matin,
Chez moi l’on prend sa revanche.
Car je suis le plus malin.
Le soir chaque dame prône
L’agrément du passe-dix.
Mais c’est toujours au nain jaune
Qu’on fait jouer les maris.

LABRIE.

Peste ! Monsieur, que de talents... mais ici ce sera bien autre chose... Vous ferez des conquêtes... des passions...

VOLENVILLE.

Des passions !... Ah ! oui, c’est mon fort. C’est fini ; ma femme n’en saura rien : je prends ma volée... Ah ! ça, écoute, tu sais déjà que je raffole de cette jeune dame, madame de Merville... C’est une passion... romantique... Je crois que je ferai des folies pour cette femme-là.

LABRIE.

Elle en vaut bien la peine.

VOLENVILLE.

Certainement... Mais je ne sais comment lui peindre ma flamme... Elle est d’une rigueur.

LABRIE.

Nous l’adoucirons... Il faudra peut-être faire quelques sacrifices...

VOLENVILLE.

Oh ! mou ami... je lui ferai le sacrifice de toutes mes autres passions...

LABRIE.

C’est très bien, mais ce n’est pas cela que je veux dire : j’entends par sacrifices... des misères, mais aux quelles les femmes attachent assez d’importance, comme un cachemire et des diamants.

VOLENVILLE.

Tu appelles cela des misères... Diable !

On entend préluder sur un instrument.

LABRIE.

Chut... Monsieur, écoutez.

VOLENVILLE.

Qu’est-ce donc ?

LABRIE.

N’entendez-vous pas la musique ?... C’est chez madame de Merville... Elle va chanter.

VOLENVILLE.

Ah ! mon ami, comme cette femme-là prélude...

LABRIE.

Écoutons, Monsieur.

CLÉMENTINE, en dedans.

Air : De ma Céline amant modeste.

Vivre près de celui qu’on aime
À le chérir borner ses vœux
N’est-ce pas là le bien suprême.

Le seul qui puisse rendre heureux ?
Pourtant malgré moi je soupire ;
Je ne puis goûter le bonheur
Tant que je n’oserai pas dire
Се qui fait palpiter mon cœur.

LABRIE.

« Ce qui fait palpiter mon cœur. » Cela m’a furieusement l’air d’une déclaration.

VOLENVILLE.

Tu crois ?

LABRIE.

Je gage qu’elle sait que vous êtes là.

VOLENVILLE.

Je crois qu’elle récidive... Non... ma foi je n’y tiens plus.

Très haut.

Comme un ange, Madame ; d’honneur c’est délicieux...

CLÉMENTINE, à la fenêtre.

Quoi, Monsieur, vous m’écoutiez... Si je vous avais su si près, je n’aurais jamais osé me permettre...

VOLENVILLE.

Quelle modestie... Avec une voix comme la votre, on doit tout oser, Madame... tout absolument... Ces paroles expriment un sentiment...

CLÉMENTINE.

Je les ai composées en m’amusant.

LABRIE, bas à Volenville.

Elle les a composées... Hein... voilà qui est clair.

VOLENVILLE, à part.

C’est une Sapho moderne.

Haut.

Madame, assurément, le désir qui me conduit en ce lieu...

CLÉMENTINE, à part.

Rentrons, car je lui rirais au nez.

Elle ferme sa fenêtre.

LABRIE.

Bravo, Monsieur, vous triomphez.

VOLENVILLE.

Comment, je triomphe... Mais elle vient de fermer sa fenêtre.

LABRIE.

Nouvelle preuve... Elle veut cacher encore sa défaite... Ah ! pardieu, vous devez connaître cela, c’est une bonne fortune.

VOLENVILLE.

Une bonne fortune !

LABRIE.

Sans doute, allez faire les emplettes de rigueur et revenez sur les ailes de l’amour.

VOLENVILLE.

C’est cela. J’ai justement sur moi la dot de mon neveu, puisqu’il se marie sans ma permission il n’en a pas besoin.

LABRIE.

Fort bien pensé.

VOLENVILLE.

Toi, pendant ce temps, songe à me ménager une entrevue.

LABRIE.

Je vous promets un rendez-vous pour ce soir.

VOLENVILLE.

Tu me promets un rendez-vous... Mon ami, je ne fais qu’un saut chez le marchand de cachemire, et je vole le bijoutier.

LABRIE

Air : Du Courage (Bis).

Allez vite (Bis)
Et revenez tout de suite,
Allez vite
Soyez galant
Et pressant.

VOLENVILLE.

Sur tout ceci sois discret,
Ne fais point d’étourderies
Car si je fais des folies
Je veux que ce soit secret.
Ah ! quelle ivresse
D’entendre l’aveu
De sa tendresse.

LABRIE, à part.

Pour son cher neveu.

ENSEMBLE.

Allons vite, (Bis)
Et je reviens tout de suite.
Allons vite,
Soyons galant
Et pressant.

 

 

Scène XII

 

LABRIE, seul

 

Ma foi, si cela continue, je servirai nos jeunes gens par de-là leurs vœux.

Air : Cavatine de Don Juan.

Sers mon génie

Vive folie,
Oui, je me fie
À ton secours.
Un peu d’adresse,
Aidons sans cesse
Et la jeunesse
Et les amours.
Époux volage,
L’oncle peu sage,
Suivant l’usage,
Soupirera.
Mais si son âme,
D’amour s’enflamme,
Bientôt sa femme
Le calmera.

Sers mon génie, etc.

 

 

Scène XIII

 

LABRIE, CLAUDINE

 

CLAUDINE, sortant de la Maison à droite.

Eh bien, monsieur Labrie, queu nouvelle ?

LABRIE.

Bonnes, excellentes, superbes. Bientôt nous serons mariés... Mais n’oublions pas qu’il me faut encore un locataire pour satisfaire le cher oncle. Je sors et me mets en embuscade dans la rue : la première personne que j’aperçois je la saisis et la conduis en triomphe à la Licorne.

CLAUDINE, l’arrêtant.

Mais dites-moi donc auparavant ce qui se passe.

LABRIE.

Impossible.

Air : Une aimable et douce folie.

Ma chère enfant reprends courage,
Tout ira bien, j’en ai l’espoir,
Peut-être notre mariage
Sera-t-il conclu dès ce soir.

CLAUDINE.

Mais à quoi bon tout ce mystère,
Pourquoi tant se faire prier,
Dis-moi donc ce que tu veux faire ?

LABRIE.

Non, ça courrait tout le quartier.

Ensemble.

LABRIE.

Ma chère reprends courage,
Tout ira bien j’en ai l’espoir.
Peut-être notre mariage
Sera-t-il conclu dès ce soir.

CLAUDINE.

Avec lui reprenons courage,
Confions nous à son espoir,
Peut-être notre mariage
Sera-t-il conclu dès ce soir.

Labrie sort vivement.

 

 

Scène XIV

 

CLAUDINE, seule

 

Ne me rien dire et vouloir que je sois contente... Oh ! dame, c’est trop exiger !

Air.

On m’ trouve trop innocente
Dam’ aussi je le sens bien.
Malgré moi je n’apprends rien ;
Je voudrais par queuqu’ moyen
Devenir un brin savante,
Et pouvoir suivant mon goût
Connaître et parler de tout.
Labrie avec son mystère
Finira par me fâcher.
Il faut si l’on veut me plaire,
Jamais ne me rien cacher.
(Ter)

Eh ! mais, y m’ semble que j’entends déjà...

 

 

Scène XV

 

LABRIE, MADAME VOLENVILLE, CLAUDINE

 

LABRIE, chargé d’une malle et de cartons, conduisant la dame.

Par ici, Madame, je vous certifie qu’une étrangère de condition ne peut loger ailleurs.

CLAUDINE, à part.

Ah ! mon dieu, encore une voyageuse.

MADAME VOLENVILLE.

Je vous suis, mon ami... je me laisse aller... D’ailleurs un secret pressentiment me dit que je trouverai mon mari à la Licorne.

LABRIE.

Claudine, va chercher ton oncle... qu’il vienne bien vite... C’est une voyageuse qui réclame les plus grands égards.

CLAUDINE.

V’là que j’y cours ;

À part.

et de trois... Ça va joli ment.

Elle rentre.

MADAME VOLENVILLE.

Vous croyez donc, mon ami, que mon époux est dans cet hôtel ?

LABRIE.

Pourquoi pas, Madame ? nous avons ici des maris de toutes les façons.

MADAME VOLENVILLE.

Hélas ! je suis mariée à un volage... J’adore, j’idolâtre mon époux... Je me flatte d’avoir tout ce qu’il faut pour le captiver, et cependant...

Air : En attendant.

En attendant qu’hymen vit notre ivresse,
Mon cher futur se montr
ait tendre amant ;
Mais à présent le traitre me délaisse,
Il aime ailleurs et moi je suis sans cesse
En attendant.

LABRIE.

Je conçois que c’est fort désagréable.

À part.

Eh ! mais, si c’était la femme de notre séducteur ?... oh ! ce serait charmant.

MADAME VOLENVILLE.

Mon infidèle est venu à Paris malgré mes larmes, il a pris pour prétexte l’amour d’un neveu, c’est, je gage, un subterfuge ; il vient faire ses caravanes... mais je l’épierai, je le découvrirai, je le surprendrai, je le punirai.

LABRIE.

Et moi, Madame, je vous servirai, si vous voulez bien le permettre : voici du monde... je vous laisse un moment et reviens bientôt vous apprendre des nouvelles...

À part.

Allons retrouver nos jeunes gens.

Bas à Renaré qui entre.

Et de trois, vous savez ce que cela veut dire.

 

 

Scène XVI

 

MADAME VOLENVILLE, RENARÉ, CLAUDINE

 

RENARÉ.

Encore du monde, décidément j’ai la vogue... Ma i nièce, saluez donc Madame et allez lui préparer l’appartement à droite, au premier.

MADAME VOLENVILLE.

Ma petite, vous ferez brûler des parfums dans mon appartement.

CLAUDINE.

Ça suffit, Madame.

Bas à Renaré.

Dites donc, mon oncle, qu’est-ce que c’est que ça des parfums ? 

RENARÉ, bas à Claudine.

Tu mettras mon pot d’œillet d’inde dans l’antichambre.

CLAUDINE.

Oui, mon oncle.

Elle entre à droite.

RENARÉ.

J’espère que Madame ne manquera de rien chez moi ; les soins, les égards, les attentions...

MADAME VOLENVILLE.

C’est ce que je désire. Une jeune femme qui vient seule à Paris doit craindre la médisance.

RENARÉ.

Oh ! Madame peut être tranquille. D’ailleurs tout voir et ne rien voir... c’est comme ça chez moi.

MADAME VOLENVILLE.

Ce valet, que j’ai rencontré, m’a fait espérer que je trouverais chez vous mon mari... 

RENARÉ.

Ah ! Madame cherche son mari ?

À part.

Encore un ménage brouille... Oh ! les mœurs. Eh ! mais ce Monsieur Ernest, qui ce matin me parlait de sa femme qui le fait enrager, et avec laquelle il ne peut pas vivre... Pardieu, ça m’a bien l’air d’être ça.

Haut.

Madame, je crois en effet que votre perfide est ici !

MADAME VOLENVILLE.

Il est ici !... Ah ! ! de la discrétion... Songez que je veux le surprendre...

RENARÉ.

Soyez donc tranquille !... Tout voir et ne rien voir... c’est convenu.

MADAME VOLENVILLE, rêvant.

Si je pouvais faire épier sa conduite.

 

 

Scène XVII

 

MADAME VOLENVILLE, RENARÉ, CLAUDINE, ERNEST

 

ERNEST, au fond à gauche, sortant de la maison.

Le plan de ma femme est fort drôle, et je vais...

Apercevant sa tante.

Que vois-je ! Ma tante ! Sauvons-nous...

Il rentre vivement.

RENARÉ, à part, le voyant se sauver.

Eh ! parbleu, je ne m’étais pas trompé... Il se sauve en l’apercevant, donc, c’est sa femme. Oh ! Dieu, les mœurs !

MADAME VOLENVILLE.

Monsieur l’hôte, dès que ce valet reviendra vous me l’en verrez.

À part.

Je m’en servirai pour faire épier M. de Volenville.

RENARÉ.

Madame, je ne veux pas vous inquiéter... mais je crois, entre nous, que votre époux fait la cour à une jeune femme qui demeure là...

MADAME VOLENVILLE,.

Ah ! dieu, une jeune femme, dites-vous ?

RENARÉ.

Fort jolie même... Je les ai vu causer ensemble...

MADAME VOLENVILLE.

Je vais m’évanouir.

RENARÉ.

Ah ! Madame, calmez-vous, de grâce.

MADAME VOLENVILLE, avec force.

Et vous souffrez, Monsieur, que mon mari parle à cette mijaurée ?

RENARÉ.

Madame, elle paraît honnête ; d’ailleurs elle paie fort bien son loyer, et vous entendez bien que...

MADAME VOLENVILLE, avec force.

Je n’entends rien.

Air : De la Rosière.

Je veux la connaître,
Celle qui fait naître
Dans le cœur du traître
Un perfide espoir.
Je veux les surprendre,
Je veux les entendre.
On doit tout attendre
De mon désespoir,
Homme frivole,
De son idole
L’ingrat raffole.
Et court sur ses pas !
Et ma tendresse,
Ma gentillesse,
Ma douce ivresse
Ne le touchent pas.
Je veux,
etc.

Elle entre brusquement à droite.

 

 

Scène XVIII

 

RENARÉ, puis ERNEST

 

RENARÉ.

Peste ! quelle femme ! Quel amour ! cela fait trembler ; il me semblait entendre encore madame Renaré.

ERNEST, arrivant, à part.

Enfin elle n’est plus là. Quel motif amène ma tante à Paris ?

RENARÉ.

Ah ! vous voilà, Monsieur, eh bien, nous avons da nouveau !

ERNEST.

Oh ! je ne le sais que trop.

RENARÉ.

Une nouvelle dame.

ERNEST.

Oui, je l’ai aperçue.

RENARÉ.

Et vous l’avez reconnue, car vous vous êtes sauvé !

ERNEST.

En effet, mais qui vous a dit ?...

RENARÉ.

Est-ce que je ne devine pas tout ? D’ailleurs, elle m’a mis sur la voie.

ERNEST.

Comment, elle vous a parlé de moi ?

RENARÉ.

Je le crois bien !... et avec chaleur, je vous assure.

ERNEST.

Saurait-elle que je suis ici ?

RENARÉ.

Elle s’en doute !

ERNEST.

Où loge-t-elle ?

RENARÉ.

Là, au rez-de-chaussée... Je vous préviens que son intention est d’épier toutes vos actions.

ERNEST.

Eh ! mais, cela promet...

RENARÉ.

C’est pour cela qu’elle est venue... je vous le dis, entre nous ; prenez garde à ce que vous ferez... On a les yeux sur la jolie dame d’en face... Ce n’est pas que j’aie dit un seul mot qui pût vous compromettre... Mais la jalousie a les yeux ouverts... Votre femme est violente, et capable de se porter à des excès tragiques.

ERNEST.

Ma femme ? Ah ! ça, que diable me contez-vous, à présent ?

RENARÉ.

Oh ! je l’ai jugée tout de suite, et je m’y connais... j’ai du tact. Je vous ai prévenu, maintenant faites ce qu’il vous plaira...

À part. 

J’espère que cela s’appelle concilier tous les partis. Envoyons vite Labrie à cette dame.

Il rentre.

 

 

Scène XIX

 

ERNEST, puis LABRIE

 

ERNEST.

Ma tante qui est ici pour m’épier, ma femme qui est jalouse, emportée... Allons, M. Renaré ne sait ce qu’il ait.

LABRIE, arrivant.

Me voici. Monsieur je connais votre nouvel embarras : votre tante est ici, elle loge là ; mais rassurez-vous, cet évènement loin de vous nuire servira nos desseins.

ERNEST.

Comment cela ?

LABRIE.

Je suis le confident de tout le monde, moi ; madame votre épouse connaît mon plan... elle l’approuve, allez la rejoindre ; le dénouement approche...

ERNEST.

Mais dis moi, au moins.

LABRIE.

Voici votre oncle.

ERNEST.

Je me sauve.

Il rentre.

 

 

Scène XX

 

LABRIE, VOLENVILLE

 

Volenville tient les présents sous son bras.

LABRIE.

Venez donc, Monsieur, venez donc, j’ai d’excellentes nouvelles à vous apprendre.

VOLENVILLE.

J’accours, mon garçon, j’ai employé les grands moyens.

Air : Vaudeville de la partie fine.

Comme je veux gagner le cœur
De celle pour qui je soupire,
Je déclarerai mon ardeur
En présentant ce cachemire ;
Afin qu’elle écoute mes vœux
Voici les perles les plus belles.
Plus, des diamants merveilleux,
Puis-je mieux lui prouver mes feux
Qu’en lui donnant des étincelles ?

Ouvrant une boîte.

Qu’en dis-tu ?

LABRIE, se frottant les yeux.

Ah ! dieu, c’est superbe... la belle eau... On est sûr de plaire quand on se présente d’une manière au-si brillante.

VOLENVILLE.

Revenons à notre dame : qu’as-tu fuit ? qu’as-tu appris ?

LABRIE.

C’est une femme que son mari rendait fort malheureuse ; ils se sont séparés. 

VOLENVILLE.

Bravo ! je serai son consolateur.

LABRIE.

Elle est sensible ; un peu romanesque... Elle vous a distingué dans la foule de ses soupirants.

VOLENVILLE.

Elle m’a distingué ?... Tu me donnes des palpitations ; cependant cette froideur, quand je la lorgnais...

LABRIE.

Indifférence affectée pour mieux faire porter des chaînes à son esclave.

VOLENVILLE.

Mon ami, elle m’en fera porter tant qu’elle voudra.

LABRIE.

Enfin, on vous accorde un rendez-vous.

VOLENVILLE.

Un rendez-vous : je suis aimé...

Il lui donne de l’argent.

Tiens mon garçon... Tiens...

LABRIE.

Elle viendra tout à l’heure, dans cette cour, comme pour prendre l’air.

VOLENVILLE.

Dans cette cour !... Tiens... Prends, mon ami...

LABRIE.

Elle consent à faire une petite promenade extra muros.

VOLENVILLE.

Elle consent... C’est délicieux.

LABRIE.

Vous trouverez ici près un sapin... et fouette cocher.

VOLENVILLE.

Fouette cocher. Ah ! ça, quand viendra-t-elle ?

LABRIE.

Bientôt, je suppose.

VOLENVILLE.

Si je chantais à mon tour pour l’attirer.

LABRIE.

Bien vu... Chantez... chantez...

À part.

il déchantera tout à l’heure.

Il entre chez madame Volenville.

 

 

Scène XXI

 

VOLENVILLE, seul

 

Elle ne paraît pas. Je crois qu’un petit air ne ferait pas mal. Allons, du tendre, du galant, et laissons nous aller à l’abandon du sentiment.

Air : Contredanse de Weber.

Femme charmante
Beauté piquante,
Je sens qu’il me serait bien doux
Ici de causer avec vous.
Ah ! quelle ivresse
Quelle allégresse
Si vous cédez à mon espoir
Un seul moment faites vous voir.

 

 

Scène XXII

 

VOLENVILLE, CLÉMENTINE, puis MADAME VOLENVILLE et LABRIE

 

CLÉMENTINE, à sa fenêtre.

Une demande aussi polie,
Mousieur, ne peut se refuser,
Bien souvent aussi j’eus l’envie
De pouvoir avec vous causer.

LABRIE, à l’autre croisée avec Madame de Volenville.

Mettez-vous à cette fenêtre ;
Vous pourrez les apercevoir.

MADAME VOLENVILLE.

Oui, c’est bien lui, voilà le traître.
Ah ! ciel que me faites vous voir.

Tous.

CLÉMENTINE, LABRIE, à part.

Voilà { la tante
{ ma
Qui se tourmente
Je vais animer son courroux
Exciter ses transports jaloux.
Avec adresse,
Avec finesse,
Bientôt parce moyen je veux
Qu’enfin nous soyons tous heureux.

MADAME VOLENVILLE.

Âme inconstante,
Un rien l’enchante,
Hélas ! voilà comme ils sont tous,
Aux autres faisant les yeux doux
Il me délaisse,
Et ma tendresse
N’est plus d’aucun prix à ses yeux.
Le barbare a trahi mes feux.

VOLENVILLE.

Elle est charmante,
Elle m’enchante,
Pour moi que ce moment est doux,
Je vais tomber à ses genoux.
Ah ! quelle ivresse,
Quelle allégresse,
Non jamais un cœur amoureux :
N’éprouva de plus tendres feux. 

CLÉMENTINE, toujours à sa fenêtre.

Combien je suis charmée du hasard qui vous a fait loger ici.

MADAME VOLENVILLE.

Ah ! le perfide, ah ! la coquette...

LABRIE.

Chut... Modérez-vous.

VOLENVILLE.

Le hasard, dites-vous ?... Je crois que cela pourrait se nommer autrement.

MADAME VOLENVILLE, à Labrie.

J’en ai assez vu, Monsieur, emmenez-moi.

LABRIE.

Un peu de courage, Madame !

CLÉMENTINE.

Le temps est superbe, je vais un moment prendre l’air dans la cour.

Elle rentre.

MADAME VOLENVILLE.

Elle va prendre l’air... et elle chante la fenêtre ouverte. Ah ! mon dieu, quelle indécence !

LABRIE.

C’est un rendez-vous... Mais nous allons les surprendre... Venez, Madame, suivez moi... Mais ne précipitons rien.

MADAME VOLENVILLE.

Je vous suis...

Ils rentrent.

VOLENVILLE.

C’est décidé, j’ai vu, j’ai plu... j’ai vaincu ; allons Volenville, de la séduction et de l’amabilité. La voilà.

Air : Si la danse est en tous lieux.

Dieu ! quel minois enchanteur
Ah ! je sens mon cœur qui palpite.

CLÉMENTINE, à part.

Il s’agit de mon bonheur
Et malgré moi j’hésite.

Haut.

Ah ! je me sens trembler

VOLENVILLE.

Approchez, je vous prie !... 

CLÉMENTINE.

Je n’ose vous parler.

VOLENVILLE.

Quelle folie !...

Ensemble.

VOLENVILLE, à part.

Dieu ! quel minois enchanteur,
Ah ! je sens mon cœur qui palpite,
C’est l’ivresse du bonheur
Qui le trouble et l’agite.

CLÉMENTINE, à part.

Ah ! vraiment je ris de bon cœur
Auprès de moi son cœur palpite,
Pour sa femme, jamais d’honneur,
Il n’a battu si vite.

Tâchons de bien garder mon sérieux !

VOLENVILLE, à part.

Quelle tournure !...

Haut.

Madame, combien je dois m’estimer heureux... d’un voisinage dont mon cœur... et de la circonstance qui fait que...

À part.

Sa vue me trouble. Je ne sais plus ce que je dis.

CLÉMENTINE.

Vraiment, Monsieur, je ne sais que répondre à un discours si obligeant... Vos expressions...

VOLENVILLE.

Je ne les cherche pas... ça vient tout naturellement.

Bas.

Elle m’encourage... Fort bien.

Haut.

On m’a dit que des raisons particulières vous avaient séparée d’un mari qui ne savait pas apprécier vos grâces et votre sensibilité, et que votre amour-propre piqué avait confié à la rapidité d’un célérifère le soin de...

CLÉMENTINE.

Il est vrai... mon mari était un impertinent, de plus jaloux, boudeur.

VOLENVILLE.

Je conçois que ces petites qualités ne sont pas de na ture à flatter une jolie femme.

CLÉMENTINE.

Ajoutez à cela, d’une avarice... Impossible de vivre avec un pareil homme.

VOLENVILLE, à part.

Il était avare ! Ah ! Dieu le vilain défaut !... Fort bien, mon cadeau fera son effet...

Haut.

Si les hommages d’un homme qui n’est point avare... j’ose m’en flatter, mais extrêmement sensible, pouvaient attendrir votre cœur, que je serais heureux d’être le consolateur d’une aussi belle affligée.

CLÉMENTINE.

Monsieur, cette déclaration doit me surprendre, m’étonner...

VOLENVILLE.

Eh ! pourquoi, ne vous souvient-il plus de mes soupirs, de mes regards... auriez-vous donc oublié le dernier cahot de la diligence... et ce qui en est résulté.

CLÉMENTINE.

Qu’est-ce que cela prouve... les hommes sont si trompeurs.

VOLENVILLE, à part.

Elle s’attendrit, c’est clair.

Haut.

Non, femme char mante, je ne vous tromperai point, je le jure à vos pieds !

CLÉMENTINE.

Ah ! que faites-vous... dans cette cour... et ma réputation.

VOLENVILLE, se relevant.

C’est juste, je n’y pensais pas. Ah ! croyez-vous que je veuille la compromettre votre réputation pour la mettre à l’abri de toute atteinte Feuillez vous fier à mon honneur et faire... avec moi une petite promenade incognito et accepter une légère collation hors barrière.

CLÉMENTINE.

Vous êtes bien pressant.

Madame Volenville et Labrie sortent de la maison.

LABRIE, au fond.

Je crois qu’il veut l’enlever.

VOLENVILLE.

Tout nous favorise... le sapin est à deux pas... mais avant tout, daignez recevoir ces témoignages du plus tendre sentiment.

Il présente les châles et l’écrin, sa femme court entre eux et s’en empare.

MADAME VOLENVILLE.

Ah ! traitre ! voilà donc ce que vous venez faire à Paris...

VOLENVILLE.

Ma femme ! c’est le diable !

MADAME VOLENVILLE.

Air : Ah ! quel scandale !

C’est affreux, c’est abominable
Monstre, je saurai vous punir.

VOLENVILLE.

Ma femme ici !... Mais c’est le diable.
De ce faux pas comment sortir ?

 

 

Scène XXIII

 

VOLENVILLE, CLÉMENTINE, MADAME VOLENVILLE, LABRIE, RENARÉ, CLAUDINE, puis ERNEST

 

RENARÉ, CLAUDINE, accourant.

Mais quel tapage épouvantable !
D’où ces cris peuvent-ils partir ?

MADAME VOLENVILLE.

C’est mon époux.

RENARÉ et CLAUDINE.

C’est son époux.

MADAME VOLENVILLE.

Il me trahit, je vais mourir.

Ensemble.

RENARÉ et CLAUDINE.

C’est affreux, c’est épouvantable ;
Quoi ! son mari
(Ter.) veut la trahir ?

CLÉMENTINE et LABRIE.

Le pauvre oncle se sent coupable
Et sa moitié
(Ter.) va le punir.

MADAME VOLENVILLE.

C’est affreux ! c’est abominable.
Il me trahit
(Ter.) je vais mourir.

VOLENVILLE.

Ma femme ici, mais c’est le diable.
De ce faux pas
(Ter.) comment sortir.

MADAME VOLENVILLE.

Je m’évanouis.

RENARÉ.

Claudine, soutiens madame.

VOLENVILLE, bas à Labrie.

Mon ami, je suis perdu si tu ne me tires pas de là.

LABRIE.

Il n’y a qu’un moyen : dites que cette jeune dame est votre nièce ; je vous réponds qu’elle ne vous démentira pas.

VOLENVILLE.

Ah ! quelle heureuse idée.

MADAME VOLENVILLE, repoussant Claudine.

Eh ! bien, Monsieur, vous ne répondez pas, vous êtes confondu.

VOLENVILLE.

Moi, madame, pas du tout, je vous assure.

MADAME VOLENVILLE.

Quelle audace... Lorsque je vous surprends avec...

VOLENVILLE, faisant des signes à Clémentine.

Eh ! mais, Madame, quel mal y a-t-il à offrir un cadeau à sa nièce.

MADAME VOLENVILLE.

Votre nièce... se pourrait-il ?

CLÉMENTINE, à part.

Il ne croit pas si bien dire !...

Haut.

Oui, Madame, je suis l’épouse de votre neveu, puis-je espérer que vous ferez comme mon oncle, et daignerez nous pardonner ?

VOLENVILLE, bas à Labrie.

Bravo ! bravo, c’est cela. Oh ! c’est étonnant, comme elle s’y prête bien.

MADAME VOLENVILLE.

En vérité, je n’en reviens pas...

ERNEST, paraissant.

Eh ! mais, que vois-je... mon oncle, ma tante, ici ?

VOLENVILLE, bas.

Ah ! mon dieu, c’est mon neveu, il va tout gâter.

LABRIE.

Ne craignez rien !

ERNEST.

Et ma femme, ma chère Clémentine !

RENARÉ et CLAUDINE.

Sa femme !

VOLENVILLE, bas.

Sa femme ! sa Clémentine...

LABRIE.

Chut, taisez-vous donc...

MADAME VOLENVILLE.

Oui, mon cher Ernest, c’est ta femme, à qui ton oncle vient de pardonner... Allons, ma nièce, venez dans mes bras.

ERNEST.

Quoi ! mon cher oncle, vous daignez excuser...

VOLENVILLE.

Oui, Monsieur... J’excuse... mais vous êtes bien heureux d’avoir une femme comme la votre ; une femme dont... une femme qui...

À Labrie.

Dis donc... c’est vraiment sa femme ?

LABRIE.

Ah ! Monsieur, comme c’est heureux pour vous.

VOLENVILLE.

Ah ! tu trouves que c’est heureux.

Haut.

Allons mes enfants, tout est pardonné.

MADAME VOLENVILLE.

M. Volenville, je vois que vous êtes toujours digne de ma tendresse : venez m’embrasser.

VOLENVILLE.

Avec grand plaisir... certainement.

ERNEST.

Comment, ma tante, est-ce que vous étiez jalouse de ma femme.

LABRIE.

Oh ! c’était une méprise... Nous vous conterons cela... Eh ! bien, papa Renaré, j’ai rempli vos conditions...

CLAUDINE.

Ah ! oui, mon oncle, not’ mariage doit aller tout seul, à ct’ heure.

RENARÉ.

C’est juste... Oh ! je ne m’y oppose plus ; mais si vous voulez être heureux en ménage souvenez-vous de ma maximes : « Tout voir et ne rien voir. »

LABRIE, à Volenville.

Monsieur, quand vous aurez encore quelque bonne fortune...

VOLENVILLE.

Merci, je n’en veux plus avoir : j’en ai assez comme ça.

Vaudeville.

VOLENVILLE.

Air : Vaudeville de la Maison de plaisance.

Jadis j’étais couru, vanté,
Je subjuguais les plus coquettes,
Et pour captiver la beauté
J’avais des phrases toutes prêtes.
Aujourd’hui je cause moins haut
Près de la blonde ou de la brune.
Je trouve à peine un petit mot
Quand je suis en bonne fortune.

LABRIE.

J’ai servi vingt maîtres français,
L’amour charmait leur existence,
Puis je passai chez un Anglais,
Ah ! grand dieu, quelle différence !
Gardant l’air grave et le ton sec
Devant la plus charmante brune.
Ce n’était qu’auprès d’un bifteck
Qu’il était en bonne fortune.

CLAUDINE.

Puisque l’on va nous marier,
Pour preuve de votre tendresse,
Monsieur, n’allez pas oublier
Que je veux être la maîtresse.
Quand je voudrai faire la loi
N’allez pas me garder rancune,
Et quoique mari, près de moi,
Croyez-vous en bonne fortune.

RENARÉ.

Dans ma jeunesse je courais
Admirer Molière au théâtre,
De nos grands auteurs, le Français
Se montrait alors idolâtre,
Mais pour des spectacles nouveaux
Aujourd’hui l’ardeur est commune,
Et c’est avec des animaux
Qu’on fait une bonne fortune.

ERNEST.

On dit partout que les Français
Aiment les plaisirs et la danse,
Ajoutons aussi que jamais
Ils ne repoussent l’indigence.
Quand ils trouvent l’occasion
D’adoucir la douleur commune
Pour eux une bonne action
Devient une bonne fortune.

CLÉMENTINE, au Public.

Un laurier suffit au soldat
L’auteur cherche un flatteur suffrage,
L’ambitieux veut de l’éclat,
La paix est le bonheur du sage.
Vous plaire est notre seul désir,
Et plein d’une ardeur peu commune
Par nos efforts у parvenir ;
Voilà notre bonne fortune.

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