Marie Jobard (Eugène SCRIBE - Pierre CARMOUCHE - Jean-Henri DUPIN)

Imitation burlesque en six actes et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés, le 11 avril 1820.

 

Personnages

 

LESTOUFER

PETITLAID, inspecteur d’une maison de santé dans l’Allée-des-Veuves

PETENLAIR, maître boulanger, amant de Marie Jobard

DUROULEAU, son confident

LA MOUSTACHE, brasseur

DU HOUBLON, brasseur

MARIE JOBARD, ancienne aubergiste

REINETTE, sa cousine, aubergiste à Pantin

GARÇONS BOULANGERS

GARÇONS APOTHICAIRES

GARÇONS BRASSEURS

HOMMES et FEMMES de la Villette

 

À Paris.

 

 

ACTE I

 

L’Allée-des-Veuves, aux Champs-Élysées.

 

 

Scène première

 

PETENLAIR, DUROULEAU, MITRONS

 

L’orchestre joue l’air : La Boulangère a des écus.

PETENLAIR.

Illustres boulangers, la fleur de la Villette,

Héros de nos faubourgs et guerriers en jaquette,

Vous prêtez donc l’épaule à mes transports jaloux.

Et, pour un coup de main, je puis compter sur vous !

DUROULEAU.

D’où vient, cher Petenlair, une alerte aussi vive ?

PETENLAIR.

C’est pour une beauté qu’ici l’on tient captive !

C’est pour Marie, enfin !

DUROULEAU.

Quoi ! la veuve Jobard !

Qui s’en est fait conter par le tiers et le quart,

Qu’un conseil de famille enfin vient d’interdire ?

PETENLAIR.

Ah ! laissez-moi parler, j’en ai long à vous dire !

Vous savez, comme moi, que feu Jobard premier

Jadis, avec honneur, porta le tablier

Et gouverna longtemps, traiteur-propriétaire,

L’hôtel du Léopard, dit l’hôtel d’Angleterre.

La Parque, qui confond sous ses aveugles doigts

Le bonnet de coton et le bandeau des rois,

Vint le saisir un jour ; il laissa ses espèces

À Marie, à Reinette... elles étaient ses nièces !

Mes cousines... jamais !!! – le comptoir aux écus

Leur parut trop étroit pour deux... individus.

On plaida ! L’une avait grâce naïve et franche,

Mais sa rivale avait les juges dans sa manche !!!

Et Marie exilée... humble, éplucha des pois,

Dans ces lieux où son oncle en vendait autrefois !

À l’hôtel d’Angleterre étaient festins et noces,

Et Marie, en sabots, végétait dans les cosses.

DUROULEAU.

Mais vous ne dites point qu’aisée à consoler.

Marie avait souvent bien du laisser-aller ;

Cependant vous savez qu’on lui fait des reproches.

Vous savez...

PETENLAIR.

Oui, je sais qu’elle a fait des bamboches !

Ne doit-on lien aussi permettre à la douleur ?

Et qui doit s’amuser, si ce n’est le malheur ?

Ah ! si ses yeux coquets, si sa beauté fatale,

Ont souillé quelquefois des cœurs à sa rivale,

N’est-elle pas, hélas ! bien vexée aujourd’hui ?

Dieu ! l’est-elle !!! Reinette, en invoquant l’appui

D’un conseil de famille et de mainte pistole,

L’a fait, dans ce séjour, enfermer comme folle,

Et, près de ses parents, prend ce tardif moyen

Pour sauver un honneur qui ne risquait plus rien.

DUROULEAU.

Quels sont donc vos desseins ? et que voulez-vous faire ?

PETENLAIR.

L’enlever !... On prétend qu’un vil apothicaire

La tient en ce local dit maison de santé,

Lieu terrible aux vivants, cher à la faculté !

DUROULEAU.

Ne nous hasardons point en de pareils bastringues ;

Ces gens-là sont armés !

PETENLAIR.

Je brave leurs seringues.

Et les défie, amis, d’éteindre mon ardeur !

Sur mes projets, pourtant, n’ayez point de frayeur,

Je conspire avec art, et je puis vous promettre

Que je ne paraîtrai que pour me compromettre.

DUROULEAU.

Et que prétendez-vous en l’enlevant ainsi ?...

PETENLAIR.

La voir, l’épouser, la... que te dirai-je ? ami !

C’est trop dialoguer ; il faut, en toute hâte,

Mettre les fers aux feux et la main à la pâte.

Ils sortent tous sur l’air : Ah ! c’cadet-là queu piff qu’il a.

 

 

ACTE II

 

Une salle basse.

 

 

Scène première

 

MARIE, PETITLAID

 

L’orchestre joue l’air : Lorsque dans une tour obscure.

PETITLAID.

Votre humble serviteur vient, madame Marie,

Vous tirer, un moment, de votre rêverie ;

Dans ce petit parloir où vous ne voyez rien,

Où vous manquez de tout, vous amusez-vous bien ?

MARIE.

M’amuser !... et comment ?... la dolente Marie

Ne peut pas même ouïr l’orgue de Barbarie ;

Jusques à mon miroir, on m’a tout déniché ;

Mais je n’ai plus d’amour, à quoi bon la psyché ?

On paraît s’amuser d’une douleur semblable.

PETITLAID.

C’est que, dans la douleur, Marie est admirable

Et ne pourra jamais, s’il faut tout compenser,

Répandre autant de pleurs qu’elle en a fait verser.

MARIE.

Apprends-moi ce que fait ma cousine Reinette.

Donne-moi des détails sur ma pauvre guinguette ;

Y remplit-on les brocs, vide-t-on les buffets ?

Baissant les yeux.

Y vient-on visiter les petits cabinets ?

PETITLAID.

On ma recommande de ne pas vous instruire

De ce qu’on fait pour vous... je ne puis donc vous dire

Que monsieur Petenlair veut nous casser les bras,

Que monsieur Lestoufer nous menace tout bas ;

L’un veut vous enlever...

MARIE.

Que le ciel le bénisse !

PETITLAID.

Dès longtemps l’autre y pense.

MARIE.

Eh bien ! qu’il en finisse.

On entend l’air de La Galopade.

Eh ! mais quel est ce bruit ?

PETITLAID, qui est allé voir.

C’est un fiacre poudreux.

MARIE.

Que dites-vous ? ô ciel ! un fiacre dans ces lieux !

PETITLAID.

Traîné par deux coursiers... le cocher qui les mène,

Caresse de leurs flancs la forme aérienne.

MARIE, vivement.

Si c’était un ami !...

PETITLAID.

N’élevez point la voix ;

Rentrez, nous causerons, madame, une autre fois.

Marie sort.

L’orchestre joue la fin de l’air : Et l’espérance.

 

 

Scène II

 

PETITLAID, REINETTE, LESTOUFER

 

L’orchestre joue l’air : C’est la princesse de Navarre.

REINETTE.

Vous faites, Lestoufer, une belle besogne !

Nous partons pour errer dans le bois de Boulogne,

Et de notre cocher les chevaux étourdis

S’arrêtent, tout à coup, à ce vilain taudis...

Où sommes-nous, mon cher ?

LESTOUFER.

Votre cœur le devine,

C’est l’endroit où l’on fit coffrer votre cousine.

REINETTE.

En quoi ! de mon bon cœur ici se plaindrait-on ?

Je pouvais l’envoyer tout droit à Charenton,

J’en avais le pouvoir ; eh bien ! je me contente

De l’enfermer ici, vu qu’elle est ma parente ;

Et des ingrats, bien loin de me remercier.

M’accusent !... Cependant elle est folle à lier.

LESTOUFER.

Sa folie, entre nous, n’est rien qu’une vétille.

REINETTE.

Pourquoi signâtes-vous au conseil de famille ?

LESTOUFER.

J’ai signé... j’ai signé, pour vous faire plaisir.

Et comptant qu’avec moi vous alliez vous unir ;

Mais vos nombreux amours, votre vague tendresse,

M’ont prouvé que j’avais compté sans mon hôtesse :

Du boulanger du coin, du peintre, du doreur.

Je dirai même plus, de ce maître brasseur,

Vous accueillez les soins et les vœux téméraires,

Enfin nous sommes cinq époux surnuméraires.

La guinguette à Marie a droit de revenir,

Et je songe toujours, madame, à m’établir :

Voilà pourquoi je tais ici le bon apôtre.

REINETTE.

Je vois, monsieur, je vois, quel amour est le vôtre.

LESTOUFER.

Je suis ambitieux, je le dis derechef.

Et je me lasse enfin de n’être que sous-chef.

REINETTE.

Oui, ma cousine et vous, tous deux je vous soupçonne ;

Vous êtes un gaillard, et c’est une luronne ;

Vous aimez ma famille et vous auriez dessein

D’être ici mon époux, ainsi que mon cousin.

L’orchestre joue l’air : Tu n’auras pas, p’tit polisson.

LESTOUFER.

Marie eut ma tendresse, elle est mon ex-amante,

J’en conviens... Je vous vis, vous étiez plus puissante :

Quand on est, comme vous, sûre de l’emporter,

Je ne puis concevoir qu’on craigne de jouter :

Voyez-la, vos attraits vous donnent de la marge,

Et de la protéger faites du moins la charge.

Je l’ai lu dans vos yeux, je vais vous annoncer...

REINETTE.

Eh bien donc, j’y consens, si ça peut la vexer.

LESTOUFER, lui donnant la main.

C’est par là...

REINETTE.

Quel chenil ! ma mise est trop soignée

Pour aller l’exposer aux toiles d’araignée.

LESTOUFER.

Eh bien ! si le plaisir delà voir vous est cher.

Dites eu ce moment qu’elle peut prendre l’air ;

Dans le jardin anglais vous flânerez vous-même,

Et vous vous trouverez comme mars en carême.

REINETTE.

Vous êtes bien malin ! je me laisse tenter,

Car je n’ai jamais su, mon cher, vous résister.

L’orchestre joue l’air : Allons, donnez-moi le bras.

 

 

ACTE III

 

Un jardin.

 

 

Scène première

 

L’orchestre joue l’air : Je vais revoir tout ce que j’aime.

MARIE, arrivant précipitamment et hors d’elle-même.

Je vais je ne sais où ! je cours comme une folle,

Mon esprit est joyeux et mon cœur caracole ;

Je ne peux plus marcher que par sauts et par bonds ;

Ces arbres... ces ruisseaux... ces foins et ces gazons

Offrent pour mes regards une douce pâture,

L’orchestre joue la fin de l’air : Femme, voulez-vous éprouver.

Je voudrais m’emparer de toute la verdure !

Se mettant sur la pointe des pieds et regardant à gauche.

Autant que mon coup d’œil s’étend dans le lointain,

Ici finit Montmartre et commence Pantin !

Peut-être ce nuage, à l’ouest de la Villette,

Est la fumée, hélas ! qui sort de ma guinguette,

Et cet âne qui pait d’un air si solennel

Peut-être hier a vu le moulin paternel !

Regardant au-dessus de sa tête.

Ô volages pierrots !... heureuses hirondelles,

Heureuses en effet de posséder deux ailes !

Sur les toits de Pantin allez tous vous percher,

Allez... et de ma part saluez le clocher !

Et toi, faible jouet des caprices d’Éole,

Vers mon pays natal, hanneton, vole, vole,

Porte-lui mon amour et mes vœux et mes chants

Et dis que l’on m’envoie ici la clef des champs !

 

 

Scène II

 

MARIE, LESTOUFER

 

MARIE.

Mais quel objet, grands dieux ! se présente à ma vue !

Est-ce bien Lestoufer ? n’ai-je point la berlue ?

Ah ! seigneur !...

L’orchestre joue l’air : Aussitôt que je t’aperçois.

LESTOUFER, à voix basse.

Taisez-vous !

MARIE.

Mais enfin...

LESTOUFER.

C’est assez !

Et nous sommes perdus !...

MARIE.

Quoi !

LESTOUFER.

Si vous jacassez !

MARIE.

Ne puis-je, sans causer cette fureur de dogue,

Me livrer aux douceurs d’un tendre dialogue ?

Vous savez que pour vous mon cœur n’est pas de fer.

Et que cent fois mes yeux ont dit : Lessetoufer !!!...

Oui, c’est toi seul, ingrat, que j’aime, que je pleure !

LESTOUFER, d’un air détaché.

Nous en reparlerons dans un autre quart d’heure ;

À ces misères-là faut-il vous arrêter ?

Nous avons bien ici d’autres chiens à fouetter ;

Reinette arrive !

MARIE.

Ô ciel !

LESTOUFER.

Et veut par elle-même

Juger de la raison...

MARIE.

Dieux !

LESTOUFER.

D’une sœur qu’elle aime.

MARIE.

J’en suis sûre, elle vient pour me faire bisquer !

LESTOUFER.

Calmez-vous, et gardez de vous interloquer ;

N’employez, s’il se peut, que des phrases soumises

Et n’allez pas, surtout, lui dire des bêtises.

L’orchestre jour l’air : Je suis Madelon Friquet.

 

 

Scène III

 

MARIE, sur le devant de la scène, LESTOUFER, quelques pas derrière elle, et REINETTE, dans le fond, parlant à Petitlaid

 

REINETTE, tenant à la main son ombrelle ouverte.

Fort bien, cher Petitlaid, je vais voir le jardin ;

Faites à votre porte attendre le sapin.

Avec hauteur.

Dites-lui qu’on le prend à l’heure !

MARIE, à part.

Dieux ! quel faste !

Quelle magnificence !

REINETTE, regardant le jardin.

Il paraît assez vaste.

Apercevant Marie.

Mais quelle est cette femme ?

LESTOUFER.

Attendu qu’en ces lieux

Il n’en est qu’une, on peut deviner qui.

REINETTE, feignant l’étonnement.

Grands dieux !

Me mettre au vis-à-vis d’une... dévergondée !

MARIE, à part, se retenant.

Je bisque en ce moment, on n’en a pas d’idée !

LESTOUFER, bas à Reinette.

Elle est humble et tremblante, et son cœur est touché !...

REINETTE, la regardant et élevant la voix.

Vous croyez ?... On dirait plutôt d’un coq fâché.

MARIE, s’avançant vers elle d’un air soumis.

Eh bien, puisqu’il faut donc avouer ma débine...

En hésitant.

Cousine...

LESTOUFER, bas à Reinette.

Allons, trouvez quelque rime à cousine.

MARIE.

Excusez mes propos, quand à vous j’ai recours.

Fléchissant le genou.

Relevez ma personne, et non pas mes discours.

REINETTE, sans lui tendre la main.

C’est très bien, mais plus bas, plus bas encor.

LESTOUFER, à Reinette.

De grâce !

REINETTE, regardant quelque temps Marie qui est à deux genoux. L’orchestre joue l’air : Si vous ratez à cette place.

Nous voilà, l’une et l’autre, enfin à notre place !

MARIE, à part, en se relevant.

Ah ! son orgueil, je crois, plus qu’elle a d’embonpoint.

REINETTE.

Parlez, mais soyez brève et ne divaguez point.

MARIE.

Ai-je bien pu l’entendre ? elle a dit : Soyez brève !...

Ah ! contre un tel arrêt souffrez que je m’élève.

Un silence assidu, gardé depuis un mois,

De bavarder un pou m’a bien donné les droits !

Nièce du grand Jobard, comme vous héritière,

Je pouvais du gâteau demander part entière,

Quand vos hommes de loi, qui sont peu gens de bien,

Donnèrent en partage à vous tout, à moi rien !

Mais la justice est juste et je dois y souscrire !

Dans ces lieux cependant à quoi bon me conduire ?

Craint-on, en me laissant la bride sur le cou,

Que je mange mon bien, moi qui n’ai pas le sou ?

M’accusant de folie, un geôlier malhonnête

Pour ravoir mon bon sens me fait perdre la tête ;

Qu’ai-je fait, qu’ai-je dit, pour mériter vos coups ?

Voilà pourtant mon sort ; parlez et jugez-nous !

REINETTE.

Que me chantez-vous là ?... deviez-vous vous permettre

Des cancans scandaleux faits pour me compromettre ?

MARIE.

Sur vous je me taisais.

REINETTE.

Vous me l’aviez promis,

Et pourtant ce festin où vous et vos amis...

MARIE.

Il est vrai... mais faut-il que votre orgueil se blesse

De couplets enfantés par le punch et l’ivresse ?

REINETTE, avec ironie.

Fort bien !... pour s’exempter ainsi du décorum,

On s’excuse aussitôt sur le punch et le rhum ;

En vain l’on a juré d’être discrète et sage...

Est-il quelque serment dont le rhum ne dégage ?

MARIE.

D’un discours innocent quand vous vous indignez,

Vos potins orgueilleux nous ont-ils épargnés ?

REINETTE.

Moi, c’était différent, devais-je être discrète

Sur des amours connus de toute la Villette ?

Vos cascades, vos traits et vos transports jaloux,

Chacun en fut instruit, hormis feu votre époux.

Et je ne pensais pas, s’il faut ne vous rien taire,

Que vous dussiez un jour vous piquer de mystère !

MARIE, à part.

Ah ! c’est trop fort !

Avec ironie.

Sur moi, quoiqu’on jase en tout lieu.

On ne dit pas, du moins, que je cache mon jeu...

LESTOUFER, se mettant entre elles.

Mesdames !

REINETTE.

Lestoufer, voyez comme elle fume !

MARIE, amèrement.

Moi, je puis me montrer, soit dit sans amertume ;

Quels que soient mes attraits, au moins ils sont à moi !

Je n’en dirai pas tant de tous ceux que je voi.

LESTOUFER, les séparant.

Mesdames, allez-vous, ainsi que des harpies...

REINETTE.

Je vois qu’on disait juste et qu’elle a des lubies.

MARIE.

Oui, j’en eus, quand jadis je le nommais ma sœur,

Toi qui de la famille as compromis l’honneur ;

On connaît, dans Pantin, les frasques de la mère,

Et tu ne fus jamais la fille de ton père.

REINETTE, hors d’elle-même.

C’en est fait, sa raison déménage au galop,

Et c’est, à Charenton, des douches qu’il lui faut ;

Je vais les commander...

S’approchant de la table et prenant une plume.

Et si j’écris ! prends garde !

MARIE, furieuse.

Ton écriture, va, n’est que de la bâtarde !

REINETTE, dans la dernière colère.

Bâtarde !... ce mot seul décide de ton sort.

LESTOUFER, qui est entre les deux femmes et qui des deux côtés reçoit des coups de poing.

De grâce, éloignez-vous, ou bien frappez moins fort !

REINETTE.

Non, non, et mon courroux n’est que trop légitime.

MARIE.

Il n’est point comme toi...

LESTOUFER, accablé de coups.

Je suis votre victime.

Les deux femmes se battent sur l’air : Amusez-vous, trémoussez-vous.

REINETTE, arrangeant son bonnet.

Sois tranquille, bientôt les douches prouveront

Si je sais bien ou mal me laver d’un affront.

Elle sort.

L’orchestre joue l’air ; Toul le long, le long, le long de la rivière.

 

 

Scène IV

 

MARIE, LESTOUFER

 

MARIE.

Ô bonheur ! je viens donc de contenter ma rage !

LESTOUFER.

Oui, vous avez fait là de la jolie ouvrage !

MARIE.

J’ai pu sur sa figure imprimer mes dix doigts !...

LESTOUFER.

Vous perdiez la raison...

MARIE.

Je recouvrais mes droits !

Aux yeux de Lestoufer, ma rivale sournoise

N’était que ma très humble, et j’étais la bourgeoise !

Lestoufer sort à gauche et Marie à droite.

L’orchestre joue l’air : Ah ! il m’en souviendra, larira.

 

 

ACTE IV

 

Un salon.

 

 

Scène première

 

REINETTE, seule, près d’une table

 

L’orchestre joue l’air : Je tremble, et je ne sais pourquoi.

Ô reine du quartier, opinion publique,

Je l’interroge ici... donne-moi ma réplique !

Il faut se dépêcher, il se fait déjà tard ;

Vais-je signer ou non l’arrêt de la Jobard ?

Je ne veux après tout que guérir sa folie,

Un farouche docteur va mettre au bain Marie !

À ta cousine, hélas ! ce supplice nouveau

Peut occasionner un rhume de cerveau.

N’est-ce donc pas assez de l’avoir mise en cage ?...

Mais elle m’a sauté tout à l’heure au visage,

Elle m’a, d’un seul coup, fait danser mon bonnet.

Elle voulait enfin me crever un quinquet !

Pendarde... tu prétends me contester mon père...

Elle signe.

Tu verras que je suis la fille de ma mère !...

Appelant.

Lestoufer ! Petitlaid !

 

 

Scène II

 

REINETTE, LESTOUFER et PETITLAID

 

L’orchestre joue l’air : Me voilà, me voilà.

REINETTE.

Faites votre métier.

Je vous laisse à tous deux ce chiffon de papier :

Voyez... examinez... songez à la justice...

Faites à votre gré... pourvu qu’on m’obéisse.

Reinette et Petitlaid sortent.

L’orchestre joue l’air : Ne crois pas m’échapper.

 

 

Scène III

 

LESTOUFER, seul

 

Quelle femme agréable, et qu’elle a de douceur !

Suis-je assez malheureux qu’elle ait fait mon bonheur !

Donnez donc, après ça, dans les bonnes fortunes !

Si je suis effrayé, ce n’est pas pour des prunes !

Je crains tout pour Marie, et plus en or pour moi,

Car je crois que d’abord il faut penser à soi.

L’orchestre joue l’air : Qu’on se batte, qu’in se déchire, peu m’importe.

 

 

Scène IV

 

LESTOUFER, PETENLAIR, GARÇONS BOULANGERS, puis DUROULEAU, et GARÇONS APOTHICAIRES

 

Ils arrivent sur l’air de la marche des Scythes.

PETENLAIR.

Nous avons sur le mur passé par escalade :

Avançons prudemment.

LESTOUFER.

Quelle est cette brigade ?

Et que veut ce monsieur qui m’a l’air d’un mitron ?

Grands dieux ! c’est Petenlair.

PETENLAIR.

Qui prononce mon nom ?

Lestoufer !... comme nous ici, je le suppose,

Tu viens sauver Marie et défendre sa cause !

Ne crains rien !... c’est pour moi que ces vaillants héros

Sont sortis de leur four...

LESTOUFER.

Ce sont des amis chauds.

PETENLAIR.

Viens combattre avec eux.

LESTOUFER, embarrassé.

Monsieur, daignez permettre...

PETENLAIR.

Ça peut sauver Jobard...

LESTOUFER.

Ça peut me compromettre.

PETENLAIR.

Allons, dépêchons-nous, craignons quelque mic-mac.

LESTOUFER.

Je ne puis m’en tirer sans un tour de jarnac.

Se retournant.

Monsieur, je n’eus jamais l’honneur de vous connaître.

Appelant.

Garçons pharmaciens, empoignez-moi ce traître !

Plusieurs garçons apothicaires, armés de seringues, paraissent d’un coté, sur l’air : Ça vous va-t-il bien, ça n’ vous bless’-t-il pas ? Petenlair et les siens se rangent en face.

PETENLAIR.

Ne craignez rien, amis, de ce noir escadron,

Tant que vous oserez le combattre de front.

LESTOUFER, aux apothicaires.

Courage !... vous pouvez les attaquer à l’aise.

DUROULEAU, bas à Petenlair d’un air effrayé.

Nous sommes en effet vêtus à l’écossaise,

Songez-y bien !

LESTOUFER, commandant.

En joue...

PETENLAIR.

Ô dieux ! je viens ici

Les livrer sans défense au feu de l’ennemi.

Les garçons apothicaires poursuivent les boulangers qui s’enfuient en désordre ; mêlée générale sur l’air : On va lui percer le flanc, terminée par l’air : La victoire est à nous.

 

 

ACTE V

 

Une salle dans la maison de santé.

 

 

Scène première

 

PETITLAID, MARIE

 

L’orchestre joue l’air : Quel désespoir !

PETITLAID.

Tout est fini, madame, il n’est plus d’espérance ;

Monsieur de Lestoufer, par sa rare prudence,

A, du fier Petenlair, déjoué les projets,

Et près du réservoir l’a fait mettre aux arrêts.

MARIE.

Ayez donc des amis ! qu’ils ont de prévenances !

Ah ! je ne ferai plus rien que des connaissances !

PETITLAID.

Il faut nous séparer... le fiacre est arrivé !...

Et chez le médecin !...

MARIE.

Mon sort est achevé.

Reinette attend beaucoup du docteur qu’elle emprunte,

Et m’envoyer chez lui, c’est me vouloir défunte !

PETITLAID.

Mais d’où vient la terreur que pour lui je vous vois ?

On dit que de ses mains on se sauve parfois.

MARIE.

Non, l’on connaît trop bien cet habile Esculape ;

De ceux qu’il a guéris pas un seul ne réchappe !...

PETITLAID.

Pardon si quelque temps... j’ai pu vous arrêter !...

MARIE.

À votre aise, seigneur, vous pouvez radoter !

Le ciel donne ce droit aux têtes à perruques.

PETITLAID.

Alors je vous bénis de mes deux mains caduques.

MARIE, s’inclinant.

À tort on m’accusa d’avoir perdu l’esprit ;

C’est ce qu’on pourra voir dans un prochain écrit !

Si de mainte beauté parfois je me fis craindre,

Aucun homme, ici-bas, de moi ne peut se plaindre !

Excepté, j’en conviens, un certain Allemand

À qui j’ai pris beaucoup !

PETITLAID.

Mais tout le monde prend,

Aisément on pardonne un délit si frivole,

Quand on sait, mon enfant, tuer ceux que l’on vole.

MARIE.

Alors je suis tranquille et je n’ai point de tort,

Car depuis fort longtemps le bonhomme était mort !

 

 

Scène II

 

PETITLAID, MARIE, LESTOUFER, PLUSIEURS GARÇONS APOTHICAIRES

 

L’orchestre joue l’air : J’ai perdu mon Eurydice.

MARIE, se retournant et apercevant Lestoufer.

Monsieur de Lestoufer, vous êtes bien aimable,

On peut compter sur vous dans un moment semblable !

Lestoufer, sans rien dire, met un gant blanc et lui présente la main.

Oui... vous deviez m’aider à sortir de céans ;

Voilà pourquoi déjà vous vous donniez des gants !

Portez-les à Reinette... Et vous que je réclame,

Grands dieux ! pour me venger, donnez-la lui pour femme !

Allons... vers le sapin je suis prête à marcher.

Défaisant les cordons de son tablier.

Je n’ai plus rien ici qui puisse m’attacher.

Elle sort suivie des garçons apothicaires.

L’orchestre joue l’air : Bonsoir la compagnie.

 

 

Scène III

 

PETITLAID, LESTOUFER

 

LESTOUFER.

Je devrais me tuer... et je n’ai point ma dague :

Je vis, je vis encor, je parle, et j’extravague.

Se prenant par le bras.

Va, ganache, va donc, et pour sauter le pas.

Sois honnête, et du moins va lui donner le bras !

Pourquoi ne cours-tu pas ? et quel pouvoir t’arrête ?

Ne peux-tu plus bouger... toi qui fus si girouette ?

L’orchestre joue l’air de La Croisée.

PETITLAID.

Seigneur, de la croisée on peut l’apercevoir ;

Le moyen est commode et peut servir ce soir.

LESTOUFER, s’approchant de la croisée.

J’entends jaser... c’est elle.

Regardant.

Ils sont une escouade !

Elle ne parle plus... mais elle est donc malade ?

Quel bruit soudain ! quels cris !

Écoutant.

J’entends un coup de poing !

Regardant.

Qu’ai-je vu ? Petenlair... je ne me trompe point !

Ses compagnons et lui... comment, diable ! est-il libre ?

Le chef des pharmaciens a perdu l’équilibre !

Petenlair prend Marie, il l’enlève en sultan !

Elle sourit... il part... Ah ! je me meurs, et han !

Il tombe entre les bras de Petitlaid.

L’orchestre joue l’air de : Marlborough est mort.

PETITLAID, lui frappant dans la main.

Seigneur !

LESTOUFER, revenant.

Quelle folie, après tout, est la nôtre !

Je perds une maîtresse, et j’en conserve une autre.

Reinette est à Pantin et m’attend dans son parc...

Trop heureux quand on a deux cordes à son arc.

Ils sortent.

L’orchestre joue l’air : J’ai longtemps parcouru le monde.

 

 

ACTE VI

 

Une guinguette de la Villette ; des brasseurs et des servantes dansent ensemble, d’autres sont à table à boire ; des ménétriers, montés sur des tonneaux, jouent du violon.

 

 

Scène première

 

GARÇONS BRASSEURS, HOMMES et FEMMES de la villette

 

CHŒUR.

Air de La Nouvelle télégraphique.

Chantons, au son du tambourin,
Ce tendre mariage ;
Chantons, au son du tambourin,
La Villette et Pantin.

LA MOUSTACHE.

Quand avec un brasseur, enfin,
Reinette ici s’engage,
Faisons, par un joyeux refrain,
Mousser un tel hymen.

CHŒUR.

Chantons, au son du tambourin, etc.

 

 

Scène II

 

GARÇONS BRASSEURS, HOMMES, FEMMES, LESTOUFER

 

LESTOUFER, entrant d’un air rêveur.

Mais quel est donc ce bruit !! j’entends un violon ;

Sommes-nous à la noce ? et pourquoi danse-t-on ?

LA MOUSTACHE.

Vous ne savez donc pas ? Reinette se marie !

LESTOUFER, hors de lui.

Cela n’est pas possible !

LA MOUSTACHE.

Elle est à la mairie ;

Elle suit à la fin l’exemple de sa sœur,

Et voulant de l’hymen connaître la douceur,

Épouse Duhoublon !...

LESTOUFER.

Quoi ! ce maître brasseur !

Suis-je fait ?... je me vois, par ce coup qui m’atterre,

Entre deux selles... Dieux !... assis ! il faut se taire !

On saisit Lestoufer et on le force à danser.

 

 

Scène III

 

GARÇONS BRASSEURS, HOMMES, FEMMES, LESTOUFER, TOUTE LA NOCE, REINETTE, DUHOUBLON

 

L’orchestre joue l’air ; Chantons, dansons.

Lestoufer regarde Reinette d’un air tendre. Duhoublon d’un air menaçant et ne cesse de dissimuler.

Vaudeville.

Air du vaudeville des Deux Valentin.

CHŒUR.

Au refrain (Bis.)
De notre crin-crin,
Répétons (Bis.)
Nos gais rigodons :
Le destin
Réunit enfin
Deux noces à Pantin.

PETITLAID.

Cinna, Bajazet,
Le Cid, Mahomet
,
Voilà la tragédie ;
Mais Schiller, hélas !
Et monsieur Calas ;
Voilà la parodie.

CHŒUR.

Au refrain, etc.

MARIE, tragiquement.

Les dam’s de Paris
Trompent leurs maris,
Voilà la tragédie ;

Gaiment.

À Pantin souvent
L’on en fait autant ;
Voilà la parodie.

CHŒUR.

Au refrain, etc.

LESTOUFER.

Duchesnois, Gaussin,
Talma, Lekain,
Voilà la tragédie,
Dans le même hôtel,
Messieurs tel et tel.
Voilà la parodie.

CHŒUR.

Au refrain, etc.

REINETTE, au public.

Stuart et ses malheurs
Font verser des pleurs,
Voilà la tragédie ;
Venez rire ici,
Pour qu’on dise aussi :
Voilà la parodie.

CHŒUR.

Au refrain, etc.

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