Les Romanesques (Edmond ROSTAND)

Comédie en trois actes, en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur la scène de la Comédie-Française, le 21 mai 1894.

 

Personnages

 

SYLVETTE

PERCINET

STRAFOREL

BERGAMIN, père de Percinet

PASQUINOT, père de Sylvette

BLAISE, jardinier

UN MUR, personnage muet

SPADASSINS

MUSICIENS

NÈGRES

PORTEURS de torches

UN NOTAIRE

QUATRE BOURGEOIS, etc.

 

La scène se passe où l’on voudra, pourvu que les costumes soient jolis.

 

 

ACTE I

 

La scène est coupée en deux par un vieux mur moussu et tout enguirlandé de folles plantes grimpantes. À droite, un coin du parc de Bergamin ; à gauche, un coin du parc de Pasquinot. De chaque côté, contre le mur, un banc.

Quand le rideau se lève, Percinet est assis sur la crête du mur, ayant, sur son genou, un livre, dont il donne lecture à Sylvette, attentive, debout sur le banc, de l’autre côté du mur, auquel elle s’accoude.

 

 

Scène première

 

SYLVETTE, PERCINET

 

SYLVETTE.

Ah ! Monsieur Percinet, mais comme c’est donc beau !

PERCINET.

N’est-ce pas ?... Écoutez répondre Roméo :

Il lit.

« C’est l’alouette, Amour, je te dis que c’est elle !

« Vois, le bord des vapeurs légères se dentelle,

« Et là-bas, au sommet rose du mont lointain,

« Sur le bout de son pied se dresse le matin !

« Il faut fuir... »

SYLVETTE, vivement, prêtant l’oreille.

Chut !

PERCINET écoute un instant, puis :

Personne ! Ainsi, Mademoiselle,

Ne prenez pas ces airs effarouchés d’oiselle

Qui de la branche, au moindre bruit, va s’envoler...

Écoutez les Amants Immortels se parler :

Elle : « Amour, amour cher, non, ce n’est pas l’aurore,

« Mais c’est, pour éclairer ta fuite, un météore ! »

Lui : « Puisqu’elle le veut, eh bien, soit ! ce n’est point

« L’alouette qui chante et l’aurore qui point :

« Ce reflet, c’est le tien, Cynthia, dans la nue !

« Vienne la Mort, la Mort sera la bienvenue ! »

SYLVETTE.

Oh ! non, je ne veux pas qu’il parle de cela,

Ou bien je vais pleurer...

PERCINET.

Alors, restons-en là !

Et, jusques à demain refermant notre livre,

Laissons, puisqu’il vous plaît, le doux Roméo vivre.

Il ferme le livre et regarde tout autour de lui.

Quel adorable endroit, fait exprès, semble-t-il,

Pour s’y venir bercer aux beaux vers du grand Will !

SYLVETTE.

Oui, ces vers sont très beaux, et le divin murmure

Les accompagne bien, c’est vrai, de la ramure,

Et le décor leur sied, de ces ombrages verts ;

Oui, Monsieur Percinet, ils sont très beaux, ces vers !

Mais ce qui fait pour moi leur beauté plus touchante,

C’est que vous les lisez de votre voix qui chante.

PERCINET.

La vilaine flatteuse !

SYLVETTE, soupirant.

Ah ! pauvres amoureux !

Que leur sort est cruel, qu’on fut méchant pour eux !

Avec un soupir.

Ah ! je pense...

PERCINET.

À quoi donc ?

SYLVETTE, vivement.

À rien !...

PERCINET.

À quelque chose

Qui vous a fait soudain devenir toute rose !

SYLVETTE, de même.

À rien !...

PERCINET, la menaçant du doigt.

Oh ! la menteuse... aux yeux trop transparents !

Je le vois, à quoi vous pensez !...

Baissant la voix.

À nos parents !

SYLVETTE.

Peut-être...

PERCINET.

À votre père, au mien, à cette haine

Qui les divise !

SYLVETTE.

Eh ! oui, c’est là ce qui me peine

Ce qui me fait pleurer en cachette, souvent.

Lorsque, le mois dernier, je revins du couvent,

Mon père, me montrant le parc de votre père,

Me dit : « Ma chère enfant, tu vois là le repaire

De mon vieil ennemi mortel, de Bergamin.

De ce gueux, de son fils, détourne ton chemin ;

Promets-moi bien, sinon, vois-tu, je te renie,

D’être, pour ces gens-là, toujours, une ennemie,

Car, de tous temps, les leurs ont exécré les tiens ! »

J’ai promis.... Vous voyez, Monsieur, comme je tiens.

PERCINET.

Et n’ai-je pas promis à mon père, de même,

De vous haïr toujours, Sylvette ? – et je vous aime !

SYLVETTE.

Sainte Vierge !

PERCINET.

Et je t’aime, enfant !

SYLVETTE.

C’est un péché !

PERCINET.

Un gros... que voulez-vous ? Plus on est empêché

D’aimer quelqu’un, et plus il vous en prend l’envie.

Sylvette, embrassez-moi !

SYLVETTE.

Mais jamais de la vie !

Elle saute du banc et s’éloigne.

PERCINET.

Vous m’aimez cependant !

SYLVETTE.

Que dit-il ?

PERCINET.

Chère enfant,

Je dis ce dont encor votre cœur se défend,

Mais ce dont plus longtemps douter serait un leurre !

Je dis... ce que vous-même avez dit tout à l’heure,

Oui, vous-même, Sylvette, en comparant ainsi

Les Amants de Vérone aux deux enfants d’ici.

SYLVETTE.

Je n’ai pas comparé !...

PERCINET.

Si !... Mon père et ton père

À ceux de Juliette et de Roméo, chère !

C’est pourquoi Juliette et Roméo c’est nous,

Et c’est pourquoi nous nous aimons comme des fous !

Et je brave à la fois, malgré leur haine aiguë,

Pasquinot-Capulet, Bergamin-Montaiguë !

SYLVETTE, se rapprochant un peu du mur.

Alors, nous nous aimons ? Mais, Monsieur Percinet,

Comment ça s’est-il fait si vite ?...

PERCINET.

L’amour naît,

On ne sait pas comment, pourquoi, quand il doit naître.

Je vous voyais souvent passer de ma fenêtre...

SYLVETTE.

Moi de même...

PERCINET.

Et nos yeux causaient en tapinois.

SYLVETTE.

Un jour, là, près du mur, je ramassais des noix,

Par hasard...

PERCINET.

Par hasard, là, je lisais Shakespeare ;

Et – pour unir deux cœurs vois comme tout conspire...

SYLVETTE.

Le vent fit envoler, psst !... chez vous, mon ruban !

PERCINET.

Pour le rendre, aussitôt, je grimpai sur le banc...

SYLVETTE, grimpant.

Je grimpai sur le banc...

PERCINET.

Et depuis lors, petite,

Chaque jour je t’attends, et chaque jour plus vite

Bat mon cœur lorsqu’enfin monte, signal béni !

Là, derrière le mur, ton doux rire de nid,

Qui ne s’achève pas sans que ta tête émerge

Du fouillis frémissant de folle vigne vierge !

SYLVETTE.

Puisque nous nous aimons, il faut nous fiancer.

PERCINET.

C’est à quoi justement je venais de penser.

SYLVETTE, solennellement.

Dernier des Bergamin, c’est à toi que se lie

La dernière des Pasquinot !

PERCINET.

Noble folie !

SYLVETTE.

On parlera de nous dans les âges futurs !

PERCINET.

Oh ! trop tendres enfants de deux pères trop durs !

SYLVETTE.

Mais, qui sait, mon ami, peut-être l’heure tinte

Où Dieu veut que, par nous, leur haine soit éteinte ?

PERCINET.

J’en doute.

SYLVETTE.

Moi, j’ai foi dans les événements,

Et j’entrevois déjà cinq ou six dénouements

Très possibles.

PERCINET.

Vraiment, et lesquels ?

SYLVETTE.

Mais suppose

– Dans plus d’un vieux roman j’ai lu pareille chose –

Que le Prince Régnant vienne à passer un jour...

Je cours le supplier, lui conte notre amour,

Que nos pères entre eux ont une vieille haine...

– Un roi maria bien don Rodrigue et Chimène –

Le Prince fait venir mon père et Bergamin,

Et les réconcilie...

PERCINET.

Et me donne ta main !

SYLVETTE.

Ou bien, cela s’arrange ainsi que dans Peau d’Âne.

Tu dépéris, un sot médecin te condamne...

PERCINET.

Mon père me demande, affolé : « Que veux-tu ? »

SYLVETTE.

Tu dis : « Je veux Sylvette ! »

PERCINET.

Et son orgueil têtu

Est contraint de fléchir !

SYLVETTE.

Ou bien, autre aventure :

Un vieux duc, ayant vu de moi quelque peinture,

M’aime, envoie un superbe écuyer, en son nom,

M’offrir d’être duchesse...

PERCINET.

Alors, tu réponds : « Non ! »

SYLVETTE.

Il se fâche : un beau soir, dans quelque sombre allée

Du parc, où pour rêver à toi je suis allée,

On m’enlève !... Je crie !...

PERCINET.

Et je ne tarde point

À surgir près de toi ; je mets la dague au poing,

Me bats comme un lion, pourfends...

SYLVETTE.

Trois ou quatre hommes.

Mon père accourt, te prend dans ses bras ; tu te nommes ;

Alors, il s’attendrit, me donne à mon sauveur,

Et ton père consent, tout fier de ta valeur !

PERCINET.

Et nous vivons longtemps et très heureux ensemble !

SYLVETTE.

Et tout cela n’a rien d’impossible, il me semble ?

PERCINET, entendant du bruit.

On vient !

SYLVETTE, perdant la tête.

Embrassons-nous !

PERCINET, l’embrassant.

Et ce soir même, ici,

À l’heure du Salut, tu viendras, dis ?

SYLVETTE.

Non.

PERCINET.

Si !

SYLVETTE, disparaissant derrière le mur.

Ton père !

Percinet saute vivement à bas du mur.

 

 

Scène II

 

SYLVETTE, descendue du mur et, par conséquent, invisible à Bergamin, PERCINET, BERGAMIN

 

BERGAMIN.

Ah ! je vous prends à rêvasser encore,

Seul, en ce coin de parc ?

PERCINET.

Mon père, je l’adore,

Ce coin de parc !... J’adore être assis sur ce banc

Que la vigne du mur abrite en retombant !...

Voyez-vous comme elle est gracieuse, la vigne ?

Remarquez ces festons d’une arabesque insigne.

On est si bien ici pour respirer l’air pur !

BERGAMIN.

Si bien devant ce mur ?

PERCINET.

Je l’adore, ce mur !

BERGAMIN.

Je ne vois pas ce que ce mur a d’adorable.

SYLVETTE, à part.

Il ne peut pas le voir !

PERCINET.

Mais il est admirable,

Ce vieux mur, crêté d’herbe ; enguirlandé, couvert

Ici de vigne rouge, ici de lierre vert,

Là de glycine mauve aux longues grappes floches,

Et là de chèvrefeuille, et là d’aristoloches !

Ce vieux mur centenaire et croulant, dont les trous

Laissent pendre au soleil d’étranges cheveux roux,

Qui de petites fleurs charmantes se constelle,

Ce mur sur qui la mousse est d’une épaisseur telle

Qu’il fait à l’humble banc scellé dans sa paroi

Un dossier de velours comme au trône d’un roi !

BERGAMIN.

Ta ! ta ! ta ! Voudrais-tu, blanc-bec, me faire accroire

Que tu viens ici pour les beaux yeux du mur ?

PERCINET.

Voire,

Pour les beaux yeux du mur !...

Tourné vers le mur.

qui sont de bien beaux yeux

Frais sourires d’azur, doux étonnements bleus,

Fleurs profondes, clairs yeux, vous êtes nos délices,

Et si jamais des pleurs emperlent vos calices,

D’un seul baiser nous les volatiliserons !...

BERGAMIN.

Mais le mur n’a pas d’yeux !

PERCINET.

Il a les liserons.

Et, gracieux, il en présente un, prestement cueilli, à Bergamin.

SYLVETTE.

Est-il spirituel, doux Jésus !

BERGAMIN.

Est-il bête !

Mais je connais ce qui te fait perdre la tête.

Mouvement d’effroi de Percinet et de Sylvette.

Tu viens lire en cachette !

Il prend le livre qui sort de la poche de Percinet, et regarde le dos.

Et du théâtre !...

Il l’ouvre et le laisse tomber avec horreur.

En vers !

Des vers !... Voilà pourquoi, la cervelle à l’envers,

Vous rêvez, vous errez, évitant les approches,

Pourquoi vous me venez parler d’aristoloches,

Et pourquoi vous voyez des yeux bleus à ce mur !

Un mur n’a pas besoin d’être joli, – mais sûr !

Je vais faire enlever toutes ces choses vertes

Qui pourraient nous cacher quelques brèches ouvertes,

Et, pour mieux nous garder d’un voisin insolent,

Remaçonner ce pan, bâtir un beau mur blanc,

Bien blanc, bien net, bien propre ; au lieu... d’aristoloches,

Le garnir, dans le plâtre ayant fait des encoches,

De tessons de bouteille au tranchant acéré

Qu’on verra s’en aller en bataillon serré...

PERCINET.

Oh ! grâce !

BERGAMIN.

Pas de grâce !... Ainsi je le décrète !

Tout le long, tout le long, tout le long de la crête !

SYLVETTE et PERCINET, consternés.

Oh !

BERGAMIN, s’asseyant sur le banc.

Çà, causons !

Il se relève et s’éloigne du mur avec un air soupçonneux.

Mais, hum !... les murs, s’ils n’ont pas d’yeux,

Ont des oreilles !

Il fait le mouvement de monter sur le banc. Effroi de Percinet. Au bruit, Sylvette se fait toute petite derrière le mur, mais Bergamin renonce, après une grimace que lui arrache quelque vieille douleur, et fait signe à son fils de monter à sa place, et de regarder.

Vois si quelque curieux...

PERCINET, grimpant lestement sur le banc et se penchant au-dessus du mur, bas à Sylvette, qui aussitôt s’est redressée.

À ce soir !

SYLVETTE, lui donnant sa main qu’il baise – tout bas.

Je viendrai devant que l’heure sonne.

PERCINET, de même.

J’y serai !

SYLVETTE, de même.

Je t’adore !

BERGAMIN, à Percinet.

Eh bien ?

PERCINET, sautant à terre et à voix haute.

Eh bien, – personne !

BERGAMIN, rassuré, se rassied.

Alors, causons... Mon fils, je veux vous marier.

SYLVETTE.

Ah !

BERGAMIN.

Qu’est-ce ?

PERCINET.

Rien.

BERGAMIN.

On vient de faiblement crier.

PERCINET, regardant en l’air.

Quelque oiselet blessé...

SYLVETTE.

Hélas !...

PERCINET.

dans la ramure !...

BERGAMIN.

Or donc, mon fils, après réflexion très mûre,

J’ai fait pour vous un choix.

PERCINET, remonte en sifflant.

Tu ! tu !

BERGAMIN, après un instant de suffocation, le suivant.

Je suis têtu,

Et je vous forcerai, Monsieur...

PERCINET, redescendant.

Tu ! tu ! tu ! tu !

BERGAMIN.

Voulez-vous bien finir de siffler, mauvais merle !...

Une femme encor jeune, et très riche, – une perle !

PERCINET.

Et si je n’en veux pas de votre perle !

BERGAMIN.

Attends !

Je m’en vais te montrer, polisson !...

PERCINET, rabaissant la canne levée de son père.

Le Printemps

A rempli les buissons, mon père, de bruits d’ailes,

Et les sources des bois voient s’abattre auprès d’elles

Des couples de petits oiseaux se caressant...

BERGAMIN.

Impudique !

PERCINET, même jeu.

Tout rit et fête Avril récent ;

Les papillons...

BERGAMIN.

Pendard !

PERCINET, même jeu.

à travers champs essaiment,

Pour aller épouser toutes les fleurs qu’ils aiment !...

L’Amour...

BERGAMIN.

Bandit !

PERCINET.

met tous les cœurs en floraison...

Et vous me voulez voir marié de raison !

BERGAMIN.

Oui, certes, garnement !

PERCINET, d’une voix vibrante.

Eh bien, non, non, mon père !

Je jure... sur ce mur – qui m’entend, je l’espère ! –

Que je me marierai si romanesquement,

Que l’on n’aura jamais vu dans aucun roman

Quelque chose de plus follement romanesque !

Il se sauve en courant.

BERGAMIN, courant après lui.

Oh ! je t’attraperai !

 

 

Scène III

 

SYLVETTE, puis PASQUINOT

 

SYLVETTE, seule.

Vraiment, je conçois presque

La haine de papa pour ce méchant...

PASQUINOT, entrant à gauche.

Eh bien,

Que fait-on par ici, Mademoiselle ?

SYLVETTE.

Rien.

On se promène.

PASQUINOT.

Ici ! seule ! Mais, malheureuse !...

Vous n’avez donc pas peur ?

SYLVETTE.

Je ne suis pas peureuse.

PASQUINOT.

Seule près de ce mur !... Mais je vous le défend,

D’approcher de ce mur ! Mais, imprudente enfant,

Regarde bien ce parc : tu vois là le repaire

De mon vieil ennemi mortel !...

SYLVETTE.

Je sais, mon père.

PASQUINOT.

Et tu viens t’exposer à des mots outrageants,

À des ?... Sait-on de quoi sont capables ces gens ?

Si ce gueux, ou son fils, connaissaient que ma fille

Vient seule rêvasser dessous cette charmille...

Oh ! rien que d’y penser, je me sens frissonner !

Mais je vais le barder, le caparaçonner,

Ce mur, le hérisser de fer pour qu’on s’éventre,

Qu’on s’empale, en voulant le franchir, et qu’on s’entre,

Rien qu’en s’en approchant, des pointes dans la chair.

SYLVETTE, à part.

Il ne le fera pas, ça coûterait trop cher.

Il est un peu serré, papa.

PASQUINOT.

Rentre, – un peu vite !

Elle sort, il la suit des yeux d’un air courroucé.

 

 

Scène IV

 

BERGAMIN, PASQUINOT

 

BERGAMIN, parlant à cantonade.

Ce billet à Monsieur Straforel, tout de suite.

PASQUINOT court vivement au mur et y grimpe.

Bergamin !

BERGAMIN, même jeu.

Pasquinot !

Ils s’embrassent.

PASQUINOT.

Comment va ?

BERGAMIN.

Pas trop mal.

PASQUINOT.

Ta goutte ?

BERGAMIN.

Mieux. Et ton coryza ?

PASQUINOT.

L’animal

Me tient toujours.

BERGAMIN.

Eh bien, c’est fait, le mariage !

PASQUINOT.

Hein ?

BERGAMIN.

J’ai tout entendu, caché dans le feuillage.

Ils s’adorent !

PASQUINOT.

Bravo !

BERGAMIN.

Brusquons le dénouement !

Se frottant les mains.

Ha ! ha ! tous les deux veufs, et pères mêmement,

Moi, d’un fils qu’une mère un peu trop romanesque

Appela Percinet...

PASQUINOT.

Oui, c’est un nom grotesque.

BERGAMIN.

Toi, d’un tendron rêveur, Sylvette, âme d’azur !

Quel était notre but, le seul ?

PASQUINOT.

Ôter ce mur.

BERGAMIN.

Pour vivre ensemble...

PASQUINOT.

Et fondre en une nos deux terres.

BERGAMIN.

Calcul de vieux amis...

PASQUINOT.

Et de propriétaires !

BERGAMIN.

Pour ce, que fallait-il ?

PASQUINOT.

Marier nos enfants !

BERGAMIN.

Les marier ! Oui, mais... serions-nous triomphants

S’ils avaient soupçonné nos désirs, notre entente ?

Mariage arrangé n’est pas chose tentante

Pour deux jeunes serins poétiques. Aussi,

Profitant de ce qu’ils ont vécu loin d’ici,

Leur avons-nous caché tout projet d’hyménée.

Mais collège et couvent les lâchaient cette année

Lors, m’étant avisé que de les empêcher

De se voir, sûrement les ferait se chercher,

Que s’aimer en secret et d’un amour coupable

Leur plairait, – j’inventai cette haine admirable !...

Vous doutiez du succès de ce plan inouï ?

Eh bien, nous n’avons plus qu’à dire nos deux oui.

PASQUINOT.

Soit ! mais comment ?... Comment, avec assez d’astuce,

Consentir, sans leur mettre, à l’oreille, la puce ?

Moi qui t’appelais gueux, idiot...

BERGAMIN.

Idiot ?

Gueux suffisait ! Ne dis que juste ce qu’il faut.

PASQUINOT.

Quel prétexte ?...

BERGAMIN.

Ah ! voilà ! – Mais ta fille elle-même

Vient de me suggérer l’ultime stratagème !

Tandis qu’elle parlait, mon plan se dessinait :

Ce soir, ils ont ici rendez-vous ; Percinet

Arrive le premier ; au moment où Sylvette

Paraît, des hommes noirs, surgis d’une cachette,

L’enlèvent ! elle crie ! Alors, mon jeune coq

Court sus aux ravisseurs, chamaille à coups d’estoc ;

Ils font semblant de fuir ; tu te montres ; j’arrive ;

Ta fille et son honneur sont saufs ; ta joie est vive ;

Tu bénis, laissant choir de tes yeux un peu d’eau,

L’héroïque sauveur ; je m’attendris : – tableau.

PASQUINOT.

Ah çà, c’est du génie !... Ah ! non ça, par exemple,

C’est du génie !...

BERGAMIN, modeste.

Eh ! oui... proprement. Chut ! contemple

Celui qui vient ! C’est Straforel, le spadassin,

À qui j’ai, tout à l’heure, écrit de mon dessein...

Oui, notre enlèvement, c’est lui qui va le mettre

En scène.

Straforel, dans un pompeux costume de spadassin, paraît au fond et s’avance majestueusement.

 

 

Scène V

 

BERGAMIN, PASQUINOT, STRAFOREL

 

BERGAMIN, descendant du mur, et saluant.

Hum ! Que d’abord je vous fasse connaître

Mon ami Pasquinot...

STRAFOREL s’incline.

Monsieur...

En se relevant, il s’étonne de ne pas voir Pasquinot.

BERGAMIN, le lui montrant à cheval sur la crête.

Là, sur le mur.

STRAFOREL, à part.

Exercice étonnant pour un homme aussi mûr.

BERGAMIN.

Mon plan vous paraît-il, cher maître ?...

STRAFOREL.

Élémentaire.

BERGAMIN.

Oui, vous savez comprendre, agir vite...

STRAFOREL.

Et me taire.

BERGAMIN.

Simulacre de rapt, n’est-ce pas, combat feint ?

STRAFOREL.

C’est tout compris.

BERGAMIN.

Ayez d’adroits bretteurs, afin

Qu’ils n’aillent pas blesser mon garçonnet. Je l’aime,

C’est mon unique enfant !

STRAFOREL.

J’opérerai moi-même.

BERGAMIN.

Ah ! très bien ! Dans ce cas, je ne saurais douter...

PASQUINOT, bas à Bergamin.

Dis donc, demande-lui ce que ça va coûter.

BERGAMIN.

Pour un enlèvement, que prenez-vous, cher maître ?

STRAFOREL.

Cela dépend, Monsieur, de ce qu’on veut y mettre.

On fait l’enlèvement un peu dans tous les prix.

Mais, dans le cas présent, et si j’ai bien compris,

Il ne faut pas compter du tout. À votre place,

J’en prendrais un, Monsieur, là, – de première classe !

BERGAMIN, ébloui.

Ah ! vous avez plusieurs classes ?

STRAFOREL.

Évidemment !

Songez que nous avons, Monsieur, l’enlèvement

Avec deux hommes noirs, l’enlèvement vulgaire,

En fiacre, – celui-là ne se demande guère, –

L’enlèvement de nuit, l’enlèvement de jour,

L’enlèvement pompeux, en carrosse de cour,

Avec laquais poudrés et frisés – les perruques

Se payent en dehors, – avec muets, eunuques,

Nègres, sbires, brigands, mousquetaires, au choix !

L’enlèvement en poste, avec deux chevaux, trois,

Quatre, cinq, – on augmente ad libitum le nombre, –

L’enlèvement discret, en berline, – un peu sombre, –

L’enlèvement plaisant, qui se fait dans un sac,

Romantique, en bateau, – mais il faudrait un lac ! –

Vénitien, en gondole, – il faudrait la lagune ! –

L’enlèvement avec ou sans le clair de lune,

– Les clairs de lune, étant recherchés, sont plus chers ! –

L’enlèvement sinistre aux lueurs des éclairs,

Avec appels de pied, combat, bruit de ferraille,

Chapeaux à larges bords, manteaux couleur muraille,

L’enlèvement brutal, l’enlèvement poli,

L’enlèvement avec des torches – très joli ! –

L’enlèvement masqué qu’on appelle classique,

L’enlèvement galant qui se fait en musique,

L’enlèvement en chaise à porteurs, le plus gai,

Le plus nouveau, Monsieur, et le plus distingué !

BERGAMIN, se grattant la tête, à Pasquinot.

Voyons, que penses-tu ?

PASQUINOT.

Hon... Et toi ?

BERGAMIN.

Moi, je pense

Qu’il faut frapper très fort – tant pis si l’on dépense –

L’imagination !... Avoir de tout un peu !...

Faire un enlèvement...

STRAFOREL.

Panaché ? Ça se peut.

BERGAMIN.

Donnons-en pour longtemps à nos jeunes fantasques :

Chaise à porteurs, manteaux, torches, musique, masques !

STRAFOREL, prenant des notes sur un calepin.

Nous prendrons, pour grouper ces divers éléments,

Une première classe, – avec des suppléments.

BERGAMIN.

Soit !

STRAFOREL.

Je vais revenir bientôt...

Montrant Pasquinot.

Mais il importe

Que Monsieur, de son parc, entrebâille la porte...

BERGAMIN.

Il entrebâillera.

STRAFOREL, saluant.

Messieurs, mes compliments !

Avant de sortir.

Une première classe avec des suppléments !

 

 

Scène VI

 

BERGAMIN, PASQUINOT

 

PASQUINOT.

Avec tous ses grands airs, il s’en va, l’homme honnête,

Sans qu’on ait fait le prix !

BERGAMIN.

Laisse, l’affaire est faite !

On abattra le mur. Nous n’aurons qu’un foyer !

PASQUINOT.

Et l’hiver, à la ville, ô douceur ! qu’un loyer !

BERGAMIN.

Nous ferons dans le parc des choses ravissantes !

PASQUINOT.

Nous taillerons les ifs !

BERGAMIN.

Nous sablerons les sentes !

PASQUINOT.

Nos chiffres, au milieu de chaque massif rond,

Bien calligraphiés, en fleurs, s’enlaceront !

BERGAMIN.

Comme cette verdure est un peu trop sévère...

PASQUINOT.

Nous allons l’égayer par des boules de verre !

BERGAMIN.

Nous aurons des poissons dans un bassin tout neuf !

PASQUINOT.

Nous aurons un jet d’eau faisant danser un œuf !

Nous aurons un rocher ! – Hein ! coquin, que t’en semble !

BERGAMIN.

Tous nos vœux sont comblés !

PASQUINOT.

Nous vieillirons ensemble.

BERGAMIN.

Et ta fille est casée !

PASQUINOT.

Ainsi que ton gamin !

BERGAMIN.

Ah ! mon vieux Pasquinot !

PASQUINOT.

Ah ! mon vieux Bergamin !

Ils tombent dans les bras l’un de l’autre.

 

 

Scène VII

 

BERGAMIN, PASQUINOT, SYLVETTE, PERCINET, entrés brusquement, chacun de son côté.

 

SYLVETTE, voyant son père tenir Bergamin.

Ah !

BERGAMIN, apercevant Sylvette, à Pasquinot.

Ta fille !

PERCINET, voyant son père tenir Pasquinot.

Ah !

PASQUINOT, apercevant Percinet, à Bergamin.

Ton fils !

BERGAMIN, bas à Pasquinot.

Battons-nous !

Ils transforment l’embrassade en lutte à bras-le-corps.

Ah ! canaille !

PASQUINOT.

Ah ! gueux !

SYLVETTE, tirant son père par les basques de son habit.

Papa !...

PERCINET, même jeu, à Bergamin.

Papa !...

BERGAMIN.

Laissez-nous donc, marmaille !

PASQUINOT.

C’est lui qui m’insulta !

BERGAMIN.

C’est lui qui me frappa !

PASQUINOT.

Lâche !

SYLVETTE.

Papa !

BERGAMIN.

Filou !

PERCINET.

Papa !!

PASQUINOT.

Brigand !

SYLVETTE.

Papa !!!

Ils réussissent à les séparer.

PERCINET, entraînant son père.

Rentre, il est tard !

BERGAMIN, essayant de revenir.

Ma rage est à son paroxysme !

Percinet l’emmène.

PASQUINOT, même jeu avec Sylvette.

J’écume !

SYLVETTE, l’emmenant.

L’air fraîchit. Pense à ton rhumatisme !

 

 

Scène VIII

 

Le jour baisse insensiblement. La scène reste vide un instant. Puis, dans le parc de Pasquinot, entrent STRAFOREL et ses SPADASSINS, MUSICIENS, etc.

 

STRAFOREL.

D’une étoile déjà le ciel clair s’étoila.

Le jour fuit...

Il place ses hommes.

Mets-toi là... Mets-toi là... Mets-toi là.

Oui, l’heure du Salut déjà doit être proche :

Blanche, elle apparaîtra quand tintera la cloche ;

Alors, je sifflerai...

Il regarde le ciel.

La lune ?... C’est parfait !

Nous n’aurons pas manqué, ce soir, un seul effet !

Regardant les manteaux extravagants des spadassins.

Excellents, les manteaux !... Que la colichemarde

Les retrousse un peu plus : appuyez sur la garde !

On apporte la chaise à porteurs.

La chaise, ici, dans l’ombre.

Regardant les porteurs qui sont noirs.

Ah ! les nègres, pas mal !

À la cantonade.

Les torches, vous n’entrez, n’est-ce pas, qu’au signal ?

On voit le fond vaguement coloré de rose par les reflets des torches qui restent derrière les arbres ; entrent des musiciens.

Les musiciens ? – là ! sur fond de clartés roses...

Il les place au fond.

De la grâce, du flou ! Variez donc les poses !

Debout, la mandoline ! Asseyez-vous, l’alto !

Comme dans le Concert Champêtre de Watteau !

Sévère, à un spadassin.

Premier Homme Masqué, que vois-je ? On se dandine ?

Ça, de l’allure ! – Bien ! – Instruments, en sourdine,

Veuillez vous accorder... Oh ! très bien ! – Sol, mi, si !

Il se masque.

 

 

Scène IX

 

PERCINET, STRAFOREL, SPADASSINS, MUSICIENS, etc.

 

PERCINET entre lentement. À mesure qu’il déclame les vers suivants, la nuit devient plus noire et le ciel s’étoile.

Mon père s’est calmé... J’ai pu fuir jusqu’ici.

Le jour baisse... L’odeur des sureaux flotte et grise !...

Les fleurs vont s’effaçant dans la pénombre grise...

STRAFOREL, bas aux violons.

Musique !

Les musiciens jouent doucement jusqu’à la fin de l’acte.

PERCINET.

Je me sens trembler comme un roseau.

Qu’ai-je donc ?... Elle va venir !

STRAFOREL, aux musiciens.

Amoroso !...

PERCINET.

Mon premier rendez-vous, le soir... Ah ! je défaille !...

La brise fait le bruit d’une robe de faille...

On ne voit plus les fleurs... j’ai des larmes aux yeux...

On ne voit plus les fleurs... mais on les sent bien mieux !

Oh ! ce grand arbre, avec une étoile à son faîte !...

Mais qui donc joue ainsi des airs ? – La nuit s’est faite.

Oui, la douce nuit s’est faite, et voici

Qu’en l’azur foncé du ciel obscurci,

S’allumant partout, par là, par ici,

Et l’une après l’une,

Tandis que l’étang est tout coassant,

Les étoiles vont en nombre croissant

Tout autour, autour du grêle croissant

De la pâle lune !

 

Éclats de saphir et de diamant,

Étoiles, je fus longtemps votre amant,

Et je vous parlais, le soir, ardemment,

Perdu dans la nue !...

Mais ma poésie a changé de cours

Depuis que, tenant de naïfs discours,

Ses petits cheveux au front coupés courts,

Sylvette est venue !

 

Chers astres du ciel, astres familiers,

Vous êtes bien beaux, là-haut, par milliers,

Mais, allez ! serez bien humiliés

Quand, parmi ses voiles,

Elle apparaîtra dans le bleu jardin,

Et, voyant ses yeux, vous serez soudain

Pour vos propres feux prises de dédain,

Mes pauvres étoiles !

Une cloche sonne au loin.

 

 

Scène X

 

PERCINET, STRAFOREL, SYLVETTE, puis BERGAMIN, PASQUINOT, SPADASSINS, MUSICIENS, etc.

 

SYLVETTE, paraît au tintement de la cloche.

Le Salut sonne. Il doit m’attendre.

Coup de sifflet, Straforel surgit devant elle, les torches apparaissent.

Ah !

Les spadassins l’enlèvent et la mettent vivement dans la chaise a porteurs.

Au secours !

PERCINET.

Juste ciel !

SYLVETTE.

Percinet, on m’enlève !

PERCINET.

J’accours !

Il enjambe le mur, tire l’épée, et ferraille avec plusieurs spadassins.

Tiens, – tiens, – tiens !

STRAFOREL, aux musiciens.

Trémolo !

Les violons élèvent un trémolo dramatique. Les spadassins se sauvent. Straforel, d’une voix de théâtre.

Per Baccho ! C’est le diable

Que cet enfant !

Duel entre Straforel et Percinet. Straforel porte tout à coup la main à sa poitrine.

Le coup... est irrémédiable !

Il tombe.

PERCINET, courant à Sylvette.

Sylvette !

Tableau. Elle est dans la chaise à porteurs ouverte, lui à genoux.

SYLVETTE.

Mon sauveur !

PASQUINOT, surgissant.

Le fils de Bergamin !...

Ton sauveur !... ton sauveur ?... Je lui donne ta main !

SYLVETTE et PERCINET.

Ciel !

Bergamin est entré de son côté, suivi de valets avec des flambeaux.

PASQUINOT, à Bergamin qui paraît sur la crête du mur.

Bergamin, ton fils est un héros !... Pardonne !

Et faisons leur bonheur !

BERGAMIN, solennel.

Ma haine m’abandonne !

PERCINET.

Sylvette, nous rêvons, Sylvette, parlons bas,

Que le bruit de nos voix ne nous réveille pas !...

BERGAMIN.

Les haines finiront toujours en hyménées.

La paix est faite.

Montrant le mur.

Il n’y a plus de Pyrénées !

PERCINET.

Qui l’aurait cru qu’ainsi mon père changerait ?

SYLVETTE, simplement.

Quand je vous le disais que tout s’arrangerait !

Tandis qu’ils remontent avec Pasquinot, Straforel se soulève et tend un papier à Bergamin.

BERGAMIN, bas.

Hein ! Quoi donc ? ce papier, et votre signature...

Qu’est cela, s’il vous plaît ?

STRAFOREL, saluant.

Monsieur, c’est ma facture !

Il retombe.

 

 

ACTE II

 

Même décor : le mur a disparu. Les bancs qui lui étaient adossés ont été repoussés à droite et à gauche. Menus changements, massifs de fleurs, kiosques de treillages, faux marbres prétentieux, serre. À droite, table de jardin, chaises.

Au lever du rideau, Pasquinot, assis sur le banc de gauche, lit sa gazette. Biaise, au fond, ratisse.

 

 

Scène première

 

PASQUINOT, BLAISE, puis BERGAMIN

 

BLAISE, ratissant.

Donc, Monsieur Pasquinot, ce soir vient le notaire ?...

Hé ! voici bien un mois que ce mur est par terre

Et que vous vivez tous ensemble. Il était temps ;

Nos petits amoureux doivent être contents !

PASQUINOT, levant la tête et regardant autour de lui.

Ça fait bien sans ce mur, hein, Blaise ?

BLAISE.

C’est superbe !

PASQUINOT.

Oui, mon parc à gagné. Cent pour cent.

Il se penche et tâte une touffe de gazon.

Mais cette herbe

Est mouillée !... On a donc arrosé ce matin ?...

Furieux.

Il ne faut arroser que le soir, vieux crétin !

BLAISE, placidement.

C’est Monsieur Bergamin qui m’en a donné l’ordre.

PASQUINOT.

Ah ?... Ce bon Bergamin !... Il ne veut pas démordre

De son idée !... Il croit qu’arroser sans repos

Vaut mieux qu’arroser peu, mais bien, mais à propos !

Enfin !...

À Blaise.

Vous sortirez les plantes de la serre.

Blaise aligne au fond des plantes qu’il va chercher dans la serre. Pasquinot lit. Bergamin paraît au fond.

BERGAMIN, arrosant les arbustes avec un énorme arrosoir.

Ouf !... On leur donne d’eau juste le nécessaire !

Ce qui leur fait du bien, c’est ce superflu-là !

À un arbre.

Hein, mon vieux, tu mourais de soif ?... Tiens, en voilà,

De l’eau... tiens, en voilà ! Moi, j’aime ça, les arbres.

Posant son arrosoir, et regardant autour de lui avec satisfaction.

Oui, mon parc a gagné... Très jolis, ces faux marbres

Très, très...

Apercevant Pasquinot.

Bonjour.

                Pas de réponse.

Bonjour !!

Pas de réponse.

Bonjour !!!

Pasquinot lève la tête.

Eh bien, j’attends ?

PASQUINOT.

Oh ! mon ami, mais nous nous voyons tout le temps !

BERGAMIN.

Ah ? – bien !...

Voyant les plantes que range Blaise.

Veux-tu rentrer ces plantes !

Blaise, ahuri, les rentre précipitamment. Pasquinot lève les yeux au ciel, hausse les épaules, et lit. Bergamin va, et vient, l’air désœuvré, finit par s’asseoir à côté de Pasquinot. Silence. Puis, tout à coup, avec mélancolie :

À cette heure,

Chaque jour je sortais, furtif, de ma demeure...

PASQUINOT, rêveur, baissant sa gazette.

Je filais de chez moi, subreptice et léger...

C’était très amusant !

BERGAMIN.

Le secret !

PASQUINOT.

Le danger !

BERGAMIN.

Il fallait dépister Percinet ou Sylvette

Chaque fois qu’on venait tailler une bavette !

PASQUINOT.

On risquait, chaque fois qu’on grimpait sur le mur,

La casse d’une côte, ou le bris d’un fémur.

BERGAMIN.

Nos conversations monoquotidiennes

Ne se pouvaient qu’au prix de ruses indiennes !

PASQUINOT.

Il fallait se glisser sous les buissons épais...

C’était très amusant !

BERGAMIN.

Quelquefois, je rampais...

Et, le soir, aux genoux, ma culotte était verte !

PASQUINOT.

L’un de l’autre il fallait, sans fin, jurer la perte.

BERGAMIN.

Et dire un mal affreux...

PASQUINOT.

C’était très amusant !

Bâillant.

Bergamin ?

BERGAMIN, de même.

Pasquinot ?

PASQUINOT.

Ça nous manque, à présent.

BERGAMIN.

Non, voyons !...

Après réflexion.

Si, pourtant. Oh ! c’est très drôle ! – Est-ce que

Ce serait la revanche, ici, du Romanesque ?...

Silence. Il regarde Pasquinot qui lit.

Son gilet est toujours veuf de quelque bouton !

C’est crispant !...

Il se lève, s’éloigne, va et vient.

PASQUINOT, le regardant, par-dessus sa gazette, à part.

Il a l’air d’un vaste hanneton

Qui virevolte, avec ses basques pour élytres.

Il feint de lire quand Bergamin repasse devant lui.

BERGAMIN, le regardant, à part.

Il louche, quand il lit, ainsi que font les pitres

Après leur papillon.

Il remonte en sifflotant.

PASQUINOT, à part, nerveux.

Il siffle !... c’est un tic !

Haut.

Ne sifflote donc pas toujours, comme un aspic.

BERGAMIN, souriant.

Nous distinguons le brin d’éteule aux yeux des autres

Et nous ne sentons pas la solive en les nôtres !

Vous avez bien vos tics...

PASQUINOT.

Moi ?

BERGAMIN.

Vous vous dandinez,

Vous reniflez sans fin, Roi des Enchifrenés,

Le nez toujours noirci d’un vain sternutatoire,

Vous contez six-vingts fois par jour la même histoire.

PASQUINOT, qui, assis, jambes croisées, balance son pied.

Mais...

BERGAMIN.

Vous ne pouvez pas un instant vous asseoir

Sans balancer le pied comme un gros encensoir ;

À table, vous roulez votre mie en boulettes...

Maniaque, mon cher, ah ! non, ce que vous l’êtes !

PASQUINOT.

Oui, comme maintenant on s’ennuie à moisir,

De m’inventorier vous avez le loisir ;

Vous dénombrez mes tics, vous en dressez la liste,

Mais la vie en commun, cette grande oculiste,

Me désaveugle aussi ! Je vous vois ladre, faux,

Égoïste, et chacun de vos menus défauts

Grossit, – comme la mouche amusante et gentille

Devient un monstre affreux. Monsieur, sous la lentille.

BERGAMIN.

Ce dont je me doutais, maintenant j’en suis sûr !

PASQUINOT.

Quoi ?

BERGAMIN.

Le mur te flattait.

PASQUINOT.

Tu perds beaucoup sans mur.

BERGAMIN.

De te voir tous les jours tu calmas mon envie !

PASQUINOT, éclatant.

Depuis un mois, Monsieur, ce n’est plus une vie !

BERGAMIN, très digne.

C’est bien, Monsieur, c’est bien. Ce que nous avons fait,

Ce n’était pas pour nous, n’est-ce pas ?

PASQUINOT.

En effet !

BERGAMIN.

C’était pour nos enfants !...

PASQUINOT, convaincu.

Pour nos enfants, oui, certes !...

Souffrons donc en silence, et supportons la perte

De notre liberté, sans soucis apparents.

BERGAMIN.

Car, se sacrifier, c’est le sort des parents !

Sylvette et Percinet paraissent à gauche, au fond, entre les arbres, et traversent lentement la scène, enlacés, avec des gestes d’exaltés.

PASQUINOT.

Chut ! voici les Amants !

BERGAMIN, les regardant.

Voyez-moi cette pose !...

Semblent-ils pas marcher dans une apothéose ?

PASQUINOT.

Depuis que l’aventure exauça tous leurs vœux,

Ils sentent des rayons mêlés à leurs cheveux !

BERGAMIN.

C’est l’heure où, copiant les attitudes lentes

Des Pèlerins d’Amour dans les Fêtes Galantes,

Ils viennent chaque jour, avec componction,

Sur le lieu du combat faire une station !

Sylvette et Percinet, qui ont disparu à droite, y reparaissent, à un plan plus rapproché, et descendent en scène.

Voici nos pèlerins.

PASQUINOT.

S’ils brodent sur leur thème

Coutumier, cela vaut d’être écouté !...

Bergamin et Pasquinot se retirent derrière un massif.

 

 

Scène II

 

SYLVETTE, PERCINET, BERGAMIN et PASQUINOT, cachés

 

PERCINET.

Je t’aime !...

SYLVETTE.

Je vous aime...

Ils s’arrêtent.

À l’endroit illustre nous voici !

PERCINET.

Oui, c’est ici qu’eut lieu la chose. C’est ici

Que tomba lourdement la brute transpercée !

SYLVETTE.

Là, je fus Andromède !

PERCINET.

Et là, je fus Persée !

SYLVETTE.

Combien donc étaient-ils contre toi ?

PERCINET.

Dix !

SYLVETTE.

Oh !... vingt !...

Vingt au moins, sans compter ce grand dernier qui vint,

Et dont tu corrigeas l’humeur récalcitrante.

PERCINET.

Oui, vous avez raison, ils étaient au moins trente.

SYLVETTE.

Ah ! redis-moi comment, dague au poing, flamme aux yeux.

Tu les frappas dans l’ombre, ô mon Victorieux !

PERCINET.

Je ne sais si ce fut en sixte, ou bien en quarte...

Mais ils tombaient, pareils aux capucins de carte !

SYLVETTE.

Ami, si vos cheveux avaient été moins blonds,

J’aurais cru voir le Cid !

PERCINET.

Oui, nous nous ressemblons.

SYLVETTE.

Il manque à nos amours d’être mis en poème.

PERCINET.

Sylvette, ils le seront !

SYLVETTE.

Je vous aime.

PERCINET.

Je t’aime !

SYLVETTE.

C’est du rêve vécu !... Je m’étais tant juré

D’épouser le héros follement rencontré,

Et pas le bon petit fiancé des familles !...

PERCINET.

Ah ?

SYLVETTE.

Non, non, pas celui qu’on offre aux jeunes filles,

Le doux Monsieur que cherche à marier sa sœur,

Ou quelque digne abbé, son vague confesseur.

PERCINET.

Tu n’aurais surtout pas épousé, que j’espère,

L’inévitable fils d’un ami de ton père !

SYLVETTE, riant.

Ah ! non !... Remarques-tu que mon père et le tien

Sont depuis quelques jours d’une humeur ?...

PERCINET.

Oui, de chien.

BERGAMIN, derrière le massif.

Hum !

PERCINET.

Et je sais pourquoi leur bonne humeur s’altère...

BERGAMIN, derrière le massif.

Ah ?

PERCINET.

Mais oui ! notre envol vexe leur terre-à-terre.

Je respecte beaucoup mon père, – et ton auteur ;

Mais ce sont bons bourgeois pas très à la hauteur.

Notre éclat les relègue un peu dans les ténèbres.

PASQUINOT, derrière le massif.

Hein ?

SYLVETTE, de même.

Les voilà passés pères d’amants célèbres !

PERCINET, riant.

Mon panache excessif leur devient importun.

SYLVETTE.

Ton père a devant toi la gêne obscure d’un...

Je ne sais si je peux dire ?

PERCINET.

Tu peux, espiègle.

SYLVETTE.

D’un canard ayant fait la couvaison d’un aigle !

BERGAMIN, derrière le massif.

Ho ! ho !

SYLVETTE, riant plus fort.

Pauvres parents, notre amour clandestin,

Comme il se joua d’eux !...

PASQUINOT, derrière le massif.

Hé ! hé !

PERCINET.

Oui, le Destin

Joint toujours les Amants par d’imprévus méandres,

Et le hasard se fait le Scapin des Léandres !

BERGAMIN, derrière le massif.

Ha ! ha !

SYLVETTE.

Et donc, ce soir, le contrat, nous allons

Le signer !

PERCINET, remontant.

Et je vais mander les violons !

SYLVETTE.

Allez vite !

PERCINET.

Je cours !

SYLVETTE, le rappelant.

Tenez, je suis gentille,

Et je vais vous mener, Monsieur, jusqu’à la grille

Ils remontent enlacés, Sylvette minaudant.

Nous égalons, je crois, les plus fameux Amants.

PERCINET.

Oui, nous serons parmi ces Immortels Charmants :

Roméo, Juliette, – Aude et Roland...

SYLVETTE.

Aminte

Et son pâtre !

PERCINET.

Pyrame et Thisbé !

SYLVETTE.

Mainte et mainte

Encore...

Ils sont sortis. On entend leurs voix s’éloigner parmi les arbres.

La voix de PERCINET.

Francesca, tu sais, de Rimini,

Et Paolo...

La voix de SYLVETTE.

Pétrarque et Laure...

BERGAMIN, sortant du massif.

As-tu fini ?

 

 

Scène III

 

PASQUINOT, BERGAMIN

 

PASQUINOT, gouailleur.

Le succès de ton plan, Monsieur l’homme sagace,

Répond à ton espoir, et même il le dépasse !

Résultat qui sans doute était prévu par vous,

Cher maître : nos enfants sont complètement fous !

BERGAMIN.

Il est clair que ta fille est assez énervante

Avec son fameux rapt, que sans cesse elle vante !

PASQUINOT.

Et ton fils, qui se croit un héros, prend des airs

Qui ne me portent pas moindrement sur les nerfs !

BERGAMIN.

Mais le plus irritant, c’est qu’ils nous représentent

Comme deux bons bourgeois dupés, qu’ils nous plaisantent

Sur notre aveuglement voulu, sur ce que nous

Ne surprîmes jamais un de leur rendez-vous !

C’est bête, si tu veux, mais enfin ça m’agace.

PASQUINOT.

Avais-tu prévu ça, Monsieur l’homme sagace ?

Grâce à toi, ton moutard tient d’insanes propos,

Et se croit le premier des moutardiers papaux.

BERGAMIN.

Moutardier dont au nez me monte la moutarde !

PASQUINOT.

Je vais tout leur conter, sans plus tarder.

BERGAMIN.

Non, tarde !

Il ne faut pas aller leur dire tout de go ;

On parlera sitôt après le conjungo ;

Jusqu’aux derniers accords des nuptiales harpes,

Sachons leur opposer un mutisme de carpes.

PASQUINOT.

Soit, mais nous voilà pris nous-mêmes dans nos rets,

Grâce à ton fameux plan.

BERGAMIN.

Mon cher, tu l’admirais !

PASQUINOT.

Ah ! il était joli, ton plan !

BERGAMIN, à part.

Il m’exaspère !

 

 

Scène IV

 

PASQUINOT, BERGAMIN, SYLVETTE

 

Elle entre gaiement, une branche fleurie à la main, dont elle fait à la cantonade des signes à Percinet qu’elle vient de quitter, puis elle descend entre les deux pères.

SYLVETTE.

Bonjour, mon cher papa. Bonjour, futur beau-père !

BERGAMIN.

Bonjour, future bru !

SYLVETTE, l’imitant.

Bonjour, future bru !

Oh! comme vous avez ce matin l’air bourru !

BERGAMIN.

C’est Pasquinot qui me... qui me...

SYLVETTE, lui agitant sa branche sous le nez.

Chut ! chut ! du calme !

Je viens comme la paix, – et j’agite une palme !

Vous vous boudez encore un peu ? C’est bien permis :

Pouvez-vous vous aimer comme deux vieux amis ?

PASQUINOT, à part.

Ironie !...

BERGAMIN, haut, gouailleur.

Oui, c’est vrai ; notre haine fut telle

Qu’on ne peut...

SYLVETTE.

Songez donc : une haine mortelle !

Oh ! quand je me souviens de ce que vous disiez

De papa, bien souvent, là, parmi vos rosiers,

Sans vous douter que moi j’entendais tout, assise

Derrière le bon mur...

BERGAMIN, à part.

Elle est d’une bêtise !

SYLVETTE, à Pasquinot.

Car je venais ici chaque jour, vous savez,

Retrouver Percinet ! – Dire que vous n’avez

Jamais eu de soupçons !

PASQUINOT, ironique.

Oh ! pour ça, que je meure,

Si...

SYLVETTE.

Nous venions pourtant toujours à la même heure.

À Bergamin.

Ha ! ha ! J’entends encor Percinet vous crier,

Le jour même du rapt : « Je veux me marier

De la façon la plus romanesquement folle ! »

Eh ! dame, dites donc, il a tenu parole !

Vraiment ?... Et vous croyez que si j’avais voulu ?...

SYLVETTE.

Ta ! ta ! ta ! Je le sais, pour l’avoir cent fois lu :

Les rêves des Amants toujours se réalisent,

Et les pères, toujours, tôt ou tard, s’humanisent,

Contraints par quelque étrange et fol événement

Qui force, à point nommé, leur attendrissement.

PASQUINOT.

Qui force, à point nommé ?... Non, non, laissez-moi rire !

SYLVETTE.

Mais, nous l’avons prouvé !...

BERGAMIN.

Si je voulais vous dire...

SYLVETTE.

Quoi ?

BERGAMIN.

Rien !

SYLVETTE, à Bergamin.

Alors, pourquoi prenez-vous cet air fin ?

BERGAMIN.

Mais, parce que...

À part.

Ho !... c’est agaçant, à la fin !

PASQUINOT.

Quand on pourrait d’un mot...

Remontant.

Mais gardons le mystère !

SYLVETTE.

Quand on n’a rien à dire, il le faut bien, se taire !

PASQUINOT, éclatant.

Rien à dire ! La folle ! Alors, vous croyez ça,

Que tout se passe ainsi que cela se passa ?

Qu’on envahit les parcs malgré les bonnes grilles ?...

BERGAMIN.

Vous croyez qu’on enlève encor les jeunes filles ?

SYLVETTE.

Si je crois ? Que dit-il ?

BERGAMIN, se montant.

Moi, je dis qu’en voilà

Assez ! Qu’il était temps que tout se dévoilât !...

Oui, depuis que le monde est monde entre les mondes,

Le succès fut toujours pour les perruques blondes ;

Bartholo, dont la haine en secret s’aviva,

Dut toujours s’incliner devant Almaviva ;

Mais l’heure du triomphe et des justes revanches

Vient enfin de sonner pour les perruques blanches !

SYLVETTE.

Mais...

PASQUINOT.

Jadis, nous étions, nous autres, les papas,

Cassandre, Orgon, Géronte, Argante, n’est-ce pas ?

Vous en êtes restée à ces vieilles badernes ?...

Mais on n’en trouve plus chez les pères modernes !

Les dupés d’autrefois sont dupeurs à leur tour.

L’ordre donné par nous de vous aimer d’amour,

Ni vous ni Percinet n’eussiez voulu l’entendre ?

Ce fut donc bien joué que de vous le défendre !

SYLVETTE.

Mais alors, vous saviez peut-être...

PASQUINOT.

Sûrement !

SYLVETTE.

Nos duos ?

BERGAMIN.

J’écoutais leur doux susurrement !

SYLVETTE.

Les bancs où nous grimpions ?...

PASQUINOT.

Tout exprès nous les mîmes.

SYLVETTE.

Le duel ?

BERGAMIN.

Simple jeu !

SYLVETTE.

Les spadassins ?

PASQUINOT.

Des mimes !

SYLVETTE.

Mon rapt ? – Oh ! ça, c’est faux !...

BERGAMIN, fouillant dans sa poche.

C’est faux ? Quand justement

J’ai la facture, là, de votre enlèvement !

SYLVETTE, la lui arrachant.

Ah ! donnez !...

Elle lit.

« Straforel, maison de confiance,

Un faux rapt, mis en scène, afin que l’on fiance !... »

Ah ! – « Huit sombres manteaux à cinq francs le manteau ;

Huit masques... »

BERGAMIN, à Pasquinot.

Nous avons, je crois, parlé trop tôt !

SYLVETTE, lisant.

« Une chaise à porteurs, soignée, à coussins roses,

Création nouvelle... »

Haut, ironiquement.

On a bien fait les choses !

Elle jette la facture en riant sur la table.

PASQUINOT, surpris.

Elle n’est pas fâchée ?

SYLVETTE, avec bonne grâce.

Ah ! le tour est charmant !

Mais c’est beaucoup d’esprit bien inutilement ;

Cher Monsieur Bergamin, croyez-vous que si j’aime

Mon Percinet, c’est grâce à votre stratagème ?

PASQUINOT.

Elle le prend très bien.

BERGAMIN, à Sylvette.

Vous le prenez très bien !

PASQUINOT.

Mais alors... on peut dire à Percinet ?...

SYLVETTE, vivement.

Oh ! rien !

Non, ne lui dites rien !... Les hommes, c’est si bête !

BERGAMIN.

Quel bon sens ! voyez-vous cette petite tête !...

Et moi qui la croyais...

Tirant sa montre.

Mais le contrat, pardon,

Allons nous préparer...

Tendant la main à Sylvette.

Bons amis ?...

SYLVETTE.

Comment donc !

BERGAMIN, se retournant encore avant de sortir.

Vous ne m’en voulez pas du tout ?

SYLVETTE, tout miel.

Je vous l’atteste.

Pasquinot et Bergamin sortent. Avec une rage froide.

Ce Monsieur Bergamin, comme je le déteste !...

 

 

Scène V

 

SYLVETTE, PERCINET

 

PERCINET, entrant épanoui.

Ah ! vous êtes encore ici ?... Je comprends ça.

Vous ne pouvez quitter l’endroit où se passa

Toute cette aventure inouïe !...

SYLVETTE, assise sur le banc, à gauche.

Inouïe,

En effet !

PERCINET.

C’est de là que, presque évanouie,

Vous me vîtes combattre, ainsi qu’un Amadis,

Ces trente spadassins...

SYLVETTE.

Mais non, ils étaient dix.

PERCINET, se rapprochant.

Chère, mais qu’avez-vous ? Mais quoi donc vous attriste ?

Ces yeux, où du saphir fond dans de l’améthyste,

Ils semblent obscurcis par quelque ennui, ces yeux ?

SYLVETTE, à part.

Son langage est parfois un peu prétentieux.

PERCINET.

Ah ! tenez, je comprends tout ce qu’en vous suscite

De regrets attendris, cet adorable site !...

Vous pleurez le vieux mur aux feuillages grimpeurs,

Témoin de nos espoirs, jadis, et de nos peurs ;

Mais il n’est pas détruit, la gloire le couronne...

Est-ce qu’il est détruit, le balcon de Vérone ?...

SYLVETTE, impatientée.

Ah !

PERCINET.

Ne laisse-t-il pas, dans un vent toujours frais,

Ce balcon toujours blanc, trembler sans fin, auprès

D’un grenadier jamais défleuri, son échelle

Inusable, que dore une aurore immortelle ?

SYLVETTE.

Oh !

PERCINET, de plus en plus lyrique.

L’éternel duo fait l’éternel décor !

C’est pourquoi, démoli, le mur se dresse encor,

Sur lequel a poussé, folle pariétaire,

Notre amour merveilleuse...

SYLVETTE, à part.

Il ne va pas se taire !

PERCINET, avec un sourire plein de promesses.

Mais le vœu fut par vous tout à l’heure exprimé

De voir sur notre histoire un poème rimé...

Donc, ce poème...

SYLVETTE, inquiète.

Eh bien ?

PERCINET.

Moi-même je le rime.

SYLVETTE.

Tu sais faire des vers ?

PERCINET.

Pouh !... Savais-je l’escrime ?

Écoute mon début, que j’ai fait en marchant,

« Les Pères Ennemis. » Poème.

SYLVETTE.

Oh !...

PERCINET, se campant pour déclamer.

Premier chant !

SYLVETTE.

Oh !...

PERCINET.

Qu’as-tu ?

SYLVETTE.

Le bonheur... les nerfs... une faiblesse.

Fondant en pleurs.

Laissez-moi nie remettre, un instant.

Elle lui tourne le dos, assise sur le banc, et se cache le visage dans son mouchoir.

PERCINET, un moment stupéfait.

Je vous laisse.

Puis, à part, avec un sourire avantageux.

Un jour comme aujourd’hui, ce trouble est naturel !

Il passe à droite, aperçoit sur la table le papier de la facture, et tirant vivement un crayon de sa poche, s’assied en disant.

Notons toujours mes vers.

Il prend le papier, s’apprête à écrire – mais s’arrête, le crayon levé, et lit.

« Avoir, moi, Straforel,

Feint de choir, transpercé d’une lame ignorante, –

Habit froissé : dix francs ; amour-propre : quarante. »

Souriant.

Qu’est cela ?

Il continue tout bas. Le sourire s’efface. L’œil s’exorbite.

SYLVETTE, toujours sur le banc, s’essuyant les yeux.

S’il savait, qu’il tomberait de haut !

J’ai failli me trahir. Prenons garde !

PERCINET, se levant.

Ho ! – ho ! –  ho !

SYLVETTE, se retournant vers lui.

Que dites-vous ?

PERCINET, escamotant la facture.

Moi ? rien, rien !

SYLVETTE, à part.

Son erreur me navre.

PERCINET, à part.

C’est pour ça qu’on n’a pas retrouvé le cadavre !

SYLVETTE, à part, se levant.

Il a l’air de bouder. Rapprochons-nous de lui.

Elle tourne un moment, puis voyant qu’il ne bouge pas, coquettement :

Vous ne m’avez rien dit de ma robe aujourd’hui ?

PERCINET, négligemment.

Le bleu ne vous va pas. Je vous préfère en rose.

SYLVETTE, à part, saisie.

Le bleu ne me va pas... Saurait-il quelque chose ?

Regardant la table.

Mais la facture, au fait, j’ai dû la mettre là !

PERCINET, la voyant qui cherche.

Qu’avez-vous à tourner, voyons, comme cela ?

SYLVETTE.

Rien...

À part.

Un papier, le vent quelquefois le dérobe.

Haut, faisant bouffer sa jupe.

Rien... je tournais pour voir comment me va ma robe !...

À part.

Je saurai bien s’il l’a trouvée.

Haut.

Hum !... Tu voulais

Dire tantôt des vers sur nos amours ?

Mouvement de Percinet. Elle lui prend le bras, et, bien gentiment.

Dis-les.

PERCINET.

Ah ! non !

SYLVETTE.

Dis-les, ces vers...

PERCINET.

Non !

SYLVETTE, ironique.

Sur notre aventure !

PERCINET.

Ils sont mauvais, tu sais... Je n’ai pas...

SYLVETTE.

La facture ?

PERCINET.

Non, je n’ai pas la fact...

Sursautant et la regardant.

Pardon, mais...

SYLVETTE.

Mais, pardon...

PERCINET.

Ah ! mais elle sait donc ?...

SYLVETTE, de même.

Il sait donc ?

TOUS LES DEUX, ensemble.

Tu sais donc ?

Un temps, puis ils éclatent de rire.

Ha ! ha ! ha !...

PERCINET.

N’est-ce pas que c’est drôle ?

SYLVETTE.

Très drôle !

PERCINET.

Non, vraiment, on nous fit jouer un rôle.

SYLVETTE.

Un rôle !

PERCINET.

Nos pères étaient donc bons amis ?

SYLVETTE.

Bons voisins.

PERCINET.

Ma parole, ils devraient être même cousins.

SYLVETTE, faisant la révérence.

J’épouse mon cousin !

PERCINET.

J’épouse ma cousine !

SYLVETTE.

C’est gentil !...

PERCINET.

C’est classique !

SYLVETTE.

Ah ! certes, on imagine

Des mariages plus... Mais c’est si bon de voir

Que l’on conciliait l’amour – et le devoir !

PERCINET.

Et l’intérêt ! Car ces deux parcs, leurs dépendances...

SYLVETTE.

Excellent mariage, enfin, de convenances.

Elle est loin, notre pauvre idylle sur le mur !

PERCINET.

Il ne faut plus parler d’idylle, c’est bien sûr !

SYLVETTE.

Je rentre dans le rang banal des jeunes filles.

PERCINET.

Je suis le bon petit fiancé des familles...

Et c’est en Roméo, Sylvette, que je plus !

SYLVETTE.

Ah ! Roméo, c’est clair que vous ne l’êtes plus !

PERCINET.

Est-ce que vous croyez être encor Juliette ?

SYLVETTE.

Vous devenez amer.

PERCINET.

Dame ! et vous... aigrelette.

SYLVETTE.

Si vous avez été ridicule, eh ! mon Dieu !

Est-ce ma faute à moi ?

PERCINET.

Si je le fus un peu,

Je ne le fus pas seul !...

SYLVETTE.

Eh bien, soit ! nous le fûmes !

Ah ! mon pauvre Oiseau Bleu, bien déteintes, vos plumes !

PERCINET, ricanant.

He !... un simili-rapt !

SYLVETTE.

De pseudo-coups d’estoc !...

PERCINET.

Fi ! la fausse enlevée !

SYLVETTE.

Hou ! le sauveur en toc !

Ah ! notre poésie était une risée !

C’est ainsi qu’en crevant, belle bulle irisée,

Tu n’es plus, disparue à nos yeux étonnés,

Qu’un peu d’eau de savon qui nous pleut sur le nez !

PERCINET.

Donc, Amant dont je fus le plus vil des émules,

Amante dont, indigne, elle chaussa les mules,

Ô pâle et noble couple, ô couple shakespearien,

Nous n’avions avec vous de commun rien, rien...

SYLVETTE.

Rien !

PERCINET.

Donc, au lieu de jouer le cher et divin drame,

Nous en avons joué la parodie infâme !

SYLVETTE.

Donc, c’était un serin que notre rossignol !

PERCINET.

Donc, il était, le mur immortel, un Guignol !

Et quand nous y venions, chaque jour, apparaître,

Chaque jour, à mi-corps, nous étions, au lieu d’être

Deux parangons d’amour aux types éternels,

Deux pantins qu’animaient les gros doigts paternels !

SYLVETTE.

C’est vrai ! Mais nous serions grotesques davantage

Si nous nous aimions moins !

PERCINET.

Aimons-nous avec rage !

Nous sommes obligés de nous aimer, d’abord !

SYLVETTE.

Mais, nous nous adorons !...

PERCINET.

Le mot n’est pas trop fort !

SYLVETTE.

L’amour peut consoler très bien d’un tel désastre !...

N’est-ce pas, mon trésor ?

PERCINET.

Certainement, mon astre !

SYLVETTE.

Bonjour donc, ma chère âme !

PERCINET.

Et bonsoir, ma beauté !

SYLVETTE.

Je vais rêver à vous, mon cœur, – de mon côté !

PERCINET.

Et moi du mien. Bonjour !

SYLVETTE.

Bonsoir !

Elle sort.

PERCINET.

Ah ! par exemple !...

Ah ! l’on me traite ainsi !... Mais quel est, dans cet ample

Manteau, qui laisse voir cet étrange pourpoint,

Ce Monsieur moustachu que je ne connais point ?...

Straforel, qui est entré sur ces vers, descend majestueusement en scène.

 

 

Scène VI

 

PERCINET, STRAFOREL

 

PERCINET.

Qu’est-ce ?

STRAFOREL, souriant.

C’est pour toucher une petite somme.

PERCINET.

Un fournisseur ?

STRAFOREL.

Tout juste ! Allez donc, bon jeune homme,

Dire à votre papa que j’attends.

PERCINET.

Votre nom ?

STRAFOREL.

Mon nom est Straforel.

PERCINET, bondissant.

Lui, maintenant ? Ah ! non !

Ah ! non ! ceci devient par trop intolérable !

STRAFOREL, souriant.

Tiens, tiens ! vous savez donc, jeune homme ?

PERCINET, lui jetant la facture qu’il tire chiffonnée de sa poche.

Misérable !

C’était toi !

STRAFOREL.

Mon Dieu ! oui, c’était moi : per Baccho !

PERCINET.

Oh ! rencontrer cet homme ! Oh ! je fuirais jusqu’au

Bout du monde...

STRAFOREL, satisfait.

Et je suis tellement gras et rose

Que la citation, il me semble, s’impose :

Les gens que vous tuez se portent...

PERCINET, se ruant sur lui l’épée à la main.

Tu vas voir !

STRAFOREL, parant avec son bras, tranquille comme un maître d’armes qui donne la leçon.

La main haute !... le pied en dehors ! n’en savoir

Pas plus long à votre âge, eh ! Monsieur, c’est un crime !

D’un tour de main il lui enlève son épée, et la lui rendant, dans un salut.

Quoi ! vous cessez déjà votre leçon d’escrime ?

PERCINET, exaspéré, la reprenant.

Ah ! je pars !... On me traite en enfant : bien ! j’aurai

Ma revanche ! J’aurai du roman, et du vrai !

Je vais, par des amours et des duels sans nombre,

Scandaliser, ô Don Juan, jusqu’à ton ombre !

Et je vais enlever des filles d’opéra !

Il sort en courant, l’épée brandie.

STRAFOREL.

Très bien !... Mais, maintenant, est-ce qu’on me paiera ?

 

 

Scène VII

 

STRAFOREL, BERGAMIN, PASQUINOT

 

STRAFOREL, regardant dans la coulisse.

Hé ! là-bas ! arrêtez !... En voici bien d’une autre !

Entrent Bergamin et Pasquinot, décoiffés, déchirés, comme après une lutte.

PASQUINOT, se rajustant et rendant à Bergamin sa perruque.

Voici votre perruque !

BERGAMIN.

Ouf ! Et voici la vôtre !

PASQUINOT.

Vous comprenez qu’après de pareils procédés !...

Voici votre jabot...

BERGAMIN, d’une voix sifflante.

Et vous me concédez

Que revivre avec vous serait un sacrifice

Trop grand pour qu’au bonheur de mon fils je le fisse !

PASQUINOT, voyant entrer Sylvette.

Ma Bile !... Cachons-lui d’abord ce qu’il en est !...

 

 

Scène VIII

 

STRAFOREL, BERGAMIN, PASQUINOT, SYLVETTE, puis BLAISE, LE NOTAIRE, LES TÉMOINS, VIOLONS et INVITÉS

 

SYLVETTE, se jetant au cou de son père.

Papa, je ne veux plus épouser Percinet !...

Entrent le notaire pour le contrat, et des bourgeois endimanchés, témoins.

BERGAMIN.

Les témoins !... le notaire !... Au diable !

LES TÉMOINS, ahuris.

Hein ?

LE NOTAIRE, avec dignité.

Ces paroles !...

STRAFOREL, au milieu du tumulte, ayant ramassé la facture jetée par Percinet.

Ma facture !... payez !... quatre-vingt-dix pistoles !...

Entrent des invités et trois violons jouant un menuet.

BERGAMIN, hors de lui, les bousculant.

Les violons !... Au diable !

Les violons continuent automatiquement leur menuet.

STRAFOREL, impatienté, à Bergamin.

Eh bien !... Je tends la main ?

BERGAMIN.

Parlez à Pasquinot !

PASQUINOT.

Parlez à Bergamin !

STRAFOREL, soulignant les mots de la facture.

« Un faux rapt mis en scène afin que l’on fiance... »

BERGAMIN.

Ils sont défiancés ! Donc, cela me dispense

De payer.

STRAFOREL, à Pasquinot.

Mais, Monsieur...

PASQUINOT.

Que je vous donne un sol

Maintenant que tout est rompu ? – Vous êtes fol !

BERGAMIN, à qui Blaise est venu parler bas.

Mon fils !... parti !...

SYLVETTE, saisie.

Parti ?...

STRAFOREL, qui remontait, s’arrête et la regarde.

Tiens ! tiens !

BERGAMIN.

Courez ! en chasse !

Il sort en courant, suivi du notaire et des invités.

SYLVETTE, très émue.

Parti !

STRAFOREL, redescendant en l’observant toujours.

S’il se pouvait que je rabibochasse

Ensemble ces mignons... eh ! peut-être...

SYLVETTE, tout d’un coup furieuse.

Parti ?

Ah ! ça c’est un peu fort !

Elle sort, suivie de Pasquinot.

STRAFOREL, triomphant.

Straforel, mon petit,

Pour te faire payer tes nonante pistoles,

Ce mariage, il faut que tu le rafistoles !

Il sort. Les trois violons restés seuls au milieu de la scène jouent toujours leur menuet.

 

 

ACTE III

 

Même décor. On a apporté des matériaux pour la reconstruction du mur, qui est commencée au fond. Sacs de plâtre. Brouette. Auges et truelles.

Quand le rideau se lève, un maçon travaille, accroupi, le dos tourné au public. Bergamin et Pasquinot, chacun de son côté, inspectent les travaux.

 

 

Scène première

 

BERGAMIN, PASQUINOT, UN MAÇON

 

LE MAÇON chante en travaillant.

Tra laï deluriau...

BERGAMIN.

Ces ouvriers sont longs !...

LE MAÇON.

Deluriau, de lurot...

PASQUINOT, suivant ses mouvements avec satisfaction.

C’est cela ! des moellons !...

BERGAMIN, même jeu.

Pouf ! un tas de mortier !

PASQUINOT.

Paf ! un coup de truelle !

LE MAÇON, faisant des roulades.

Deluriau delurie – ue – ue – ue – ue – ue – uel – le.

PASQUINOT, redescendant.

Belle voix ! mais travail bien lent !...

BERGAMIN, redescendant aussi, avec un bonheur agressif.

Ha ! ha ! voici

Un pan de commencé ! Bon !

PASQUINOT, frappant du pied l’endroit non encore construit.

Demain même, ici,

Le mur va de deux pieds sortir de terre ! – Ô joie !

BERGAMIN, lyrique.

Ô cher mur, que bientôt, debout, je te revoie !

PASQUINOT.

Que dites-vous, Monsieur ?

BERGAMIN.

Je ne vous parle pas.

Un temps.

Que faites-vous le soir après votre repas ?

PASQUINOT.

Rien... Et vous ?

BERGAMIN.

Rien non plus.

Un temps. Ils se saluent, et se promènent.

PASQUINOT, s’arrêtant.

Alors, pas de nouvelles

De votre fils ?

BERGAMIN.

Mais non. Il court toujours.

PASQUINOT, poli.

Les belles

Le désargenteront promptement, – et, bien sûr,

Il reviendra.

BERGAMIN.

Merci.

Ils se saluent, et se promènent. Un temps.

PASQUINOT, s’arrêtant.

Maintenant que le mur

Se relève, Monsieur, je veux bien vous permettre

De venir quelquefois, – en voisin.

BERGAMIN.

Bien. Peut-être

Vous ferai-je l’honneur...

Ils se saluent.

PASQUINOT, brusquement.

Eh bien ! mais, dites donc,

Venez faire un piquet ?

BERGAMIN, suffoqué.

Ah !... oh !... hé !... mais, pardon,

Je ne sais si je peux...

PASQUINOT.

Puisque je vous invite...

BERGAMIN.

Mon Dieu !... J’aimerais mieux un bésigue.

PASQUINOT.

Allons vite !

BERGAMIN, sortant derrière lui.

Vous me deviez dix sous de la dernière fois.

Se retournant.

Travaillez bien, maçon !

LE MAÇON, de toutes ses forces.

Tralaï !...

PASQUINOT.

Belle voix !

Ils sortent.

 

 

Scène II

 

STRAFOREL, puis SYLVETTE

 

Dès qu’ils sont sortis, le maçon se retourne, ôte son chapeau : c’est Straforel.

STRAFOREL.

Oui, maçon, je le suis, – puisque, sous ce grimage,

Je m’introduis céans pour faire un replâtrage !

S’asseyant sur le mur commencé.

Le jeune homme est toujours au pourchas du roman ;

Mais on peut deviner, sans être nécroman,

Qu’il reviendra bredouille et n’en menant plus large ;

Donc, tandis que la Vie elle-même se charge,

Lui donnant de réel un salutaire bain,

De décoquebiner un peu ce coquebin

Et de le renvoyer ici tirant de l’aile,

Moi, par une action savante et parallèle,

Je travaille à guérir des goûts aventureux

Sylvette. – Straforel, homme aux talents nombreux,

Vous jouâtes souvent les marquis et les princes,

Du temps où vous étiez sifflé dans les provinces !

Ceci va nous servir.

Il tire de sa souquenille une lettre qu’il met dans l’ouverture moussue d’un tronc d’arbre.

Ah ! quel remercîment,

Pères, vous me devrez !

Apercevant Sylvette.

C’est elle ! – À mon ciment !

Il se remet à gâcher et disparaît derrière le mur.

SYLVETTE apparaît, furtive, regarde si on la guette, puis.

Non, personne !...

Elle pose sur le banc de gauche sa mante de mousseline.

Aujourd’hui, trouverai-je la lettre ?

Elle va vers un arbre.

Tous les jours, un galant inconnu vient en mettre

Une, là, dans ce tronc par la foudre entr’ouvert,

Et qui fait une boîte aux lettres peinte en vert !...

Elle plonge la main dans le creux de l’arbre.

Oui, voilà mon courrier.

Elle lit.

« Sylvette, cœur de marbre !

C’est le dernier billet que produira cet arbre,

Pourquoi n’avez-vous pas, tigresse, répondu

Au poulet que pour vous chaque jour j’ai pondu ? »

– Hein ! quel style !

« L’amour qui dans mon âme gronde... »

Elle chiffonne nerveusement la lettre.

Ah ! Monsieur Percinet s’en va courir le monde !

Il a raison ! – Et moi je ferai comme lui !

Croit-on que je m’en vais mourir ici d’ennui ?

Mais qu’il vienne, celui qui m’écrivit ces choses !

Que de ces verts buissons pleins de nids et de gloses

Il surgisse soudain ! et telle que je suis,

– Sans même aller chercher un chapeau, – je le suis !

À tout prix, maintenant, j’en veux, du romanesque !

Qu’il vienne ! ce Monsieur ! – déjà je l’aime presque !

Comme je lui tendrais les deux mains, s’il venait !

Et comme...

STRAFOREL, apparaissant, d’une voix éclatante.

Le voilà !

SYLVETTE.

Au secours, Percinet !

Reculant à mesure que Straforel avance.

L’homme, n’approchez pas !

STRAFOREL, amoureusement.

Pourquoi cet air hostile ?...

Je suis pourtant celui dont vous aimiez le style,

Tout à l’heure !... le trop favorisé mortel

Dont le billet vous plut, et sur l’amour duquel

Vous comptiez, si j’en crois les propos que vous tintes,

Pour vous faire enlever et fuir loin des atteintes !

SYLVETTE, ne sachant que devenir.

L’homme !...

STRAFOREL.

Vous me prenez pour un maçon ? Exquis !

C’est exquis ! – Sachez donc que je suis le marquis

D’Astafiorquercita, fol esprit, cœur malade,

Qui cherche à pimenter l’existence trop fade,

Et voyage, façon de chevalier errant

Auquel est un rêveur, un poète, adhérent !

Et c’est pour pénétrer en vos jardins, Cruelle,

C’est par amour pour vous que j’ai pris la truelle !

Il jette d’un geste élégant sa truelle, et, dépouillant vivement sa souquenille, ôtant son chapeau blanc de plâtre, apparaît dans un étincelant costume almavivesque. Perruque blonde, moustache conquérante.

SYLVETTE.

Monsieur !...

STRAFOREL.

Par un nommé Straforel, j’ai connu

Votre histoire. Un amour insensé m’est venu

Pour la pauvre victime, innocente étourdie,

Contre qui cette ruse infâme fut ourdie !...

SYLVETTE.

Marquis !...

STRAFOREL.

Ne prenez pas cet air épouvanté...

Du rôle qu’il joua ce gueux s’étant vanté,

Je l’ai tué...

SYLVETTE.

Tué !...

STRAFOREL.

D’une seule estocade.

D’être un justicier j’eus toujours la toquade !

SYLVETTE.

Monsieur...

STRAFOREL.

Je vous comprends, ô cher cœur incompris !

Vous voulez du roman, n’est-ce pas, à tout prix ?

SYLVETTE.

Mais, Marquis !...

STRAFOREL.

Donc, c’est dit : ce soir, je vous enlève !

SYLVETTE.

Monsieur...

STRAFOREL.

Et pour de bon !

SYLVETTE.

Monsieur !

STRAFOREL.

Ah ! quel beau rêve !

Vous avez consenti ! Je l’ai bien entendu !

Oui, ce soir nous prendrons notre vol éperdu !

Si de votre papa la tête se détraque

De douleur, c’est tant pis !...

SYLVETTE.

Monsieur...

STRAFOREL.

Si l’on nous traque

– Car on poursuit le rapt avec sévérité, –

C’est tant mieux !

SYLVETTE.

Mais, Monsieur !...

STRAFOREL.

Tant mieux, en vérité !

Nous pourrons fuir à pied par une nuit d’orage,

Nos fronts nus sous la pluie et le vent faisant rage !

SYLVETTE.

Monsieur...

STRAFOREL.

Et pour gagner un lointain continent,

Nous nous embarquerons, Madame, incontinent !

SYLVETTE.

Monsieur...

STRAFOREL.

Et loin, bien loin, dans quelque pays vierge,

Où nous vivrons heureux sous la bure et la serge...

SYLVETTE.

Ah ! mais...

STRAFOREL.

Car je n’ai rien ! Vous ne voudriez pas

Que j’eusse quelque chose !...

SYLVETTE.

Enfin !

STRAFOREL.

Nos seuls repas

Seront du pain, – du pain mouillé de douces larmes !

SYLVETTE.

Pourtant...

STRAFOREL.

L’exil pour nous se fleurira de charmes !

SYLVETTE.

Monsieur...

STRAFOREL.

Et le malheur pour nous ne sera qu’heur !

Pas même une chaumière : une tente !... et ton cœur !

SYLVETTE.

Une tente ?

STRAFOREL.

Eh bien, oui, quatre piquets, deux toiles...

Ou, si vous préférez, rien du tout, – les étoiles !

SYLVETTE.

Oh ! mais...

STRAFOREL.

Quoi ! vous voilà prise d’un tremblement ?

Vous voudriez aller moins loin, probablement ?

Soit ! nous vivrons cachés, ô ma Déité blonde,

Seuls, ayant encouru la vindicte du monde !

Ivresse !...

SYLVETTE.

Mais, Monsieur, vous vous êtes mépris...

STRAFOREL.

Les gens s’écarteront de nous avec mépris !

SYLVETTE.

Mon Dieu !

STRAFOREL.

Les préjugés sont faits pour qu’on les foule,

Et nous serons heureux des mépris de la foule !

SYLVETTE.

Monsieur...

STRAFOREL.

Je n’aurai pas d’autre occupation

Que de vous raconter au long ma passion !

SYLVETTE.

Monsieur...

STRAFOREL.

Bref, nous vivrons en pleine poésie !

J’aurai de furieux accès de jalousie...

SYLVETTE.

Monsieur...

STRAFOREL.

Et vous savez, lorsque je suis jaloux,

J’ai la férocité des chacals et des loups !

SYLVETTE, tombant anéantie sur le banc.

Monsieur...

STRAFOREL.

Si vous brisiez notre chaîne sacrée,

Immédiatement vous seriez massacrée !

SYLVETTE.

Monsieur...

STRAFOREL.

Vous frissonnez ?

SYLVETTE.

Ah ! Dieu, quelle leçon !

STRAFOREL.

Est-ce du sang, corbacque ! ou bien si c’est du son

Qui court dans vos vaisseaux artériels ! – Tonnerre !

Vous m’avez un peu l’air d’une pensionnaire,

Pour oser affronter ces destins hasardeux !...

Ça, voyons, pars-je seul, ou partons-nous tous deux ?

SYLVETTE.

Monsieur...

STRAFOREL.

Oui, je comprends, ma voix vous réconforte.

Eh bien ! nous partirons, puisque vous voilà forte.

Je vous enlèverai, tout à l’heure, à cheval,

En travers de ma selle... oh ! vous y serez mal !

Mais la chaise à porteurs, esthétique et commode,

Dans l’enlèvement faux est seulement de mode !

SYLVETTE.

Mais, Monsieur...

STRAFOREL, remontant.

À tantôt !

SYLVETTE.

Mais, Monsieur...

STRAFOREL.

À tantôt !

Le temps d’aller quérir un cheval, un manteau...

SYLVETTE, hors d’elle.

Monsieur !

STRAFOREL avec un geste immense.

Et nous fuyons de contrée en contrée !...

Redescendant.

Ô la longtemps rêvée et l’enfin rencontrée !

L’âme à qui peut mon âme enfin dire : « Ma sœur ! »

À tantôt pour toujours !

SYLVETTE, d’une voix éteinte.

Pour toujours !

STRAFOREL.

Ô douceur !

Vous allez vivre auprès de l’être aimé, de l’être

Pour lequel vous brûliez avant de le connaître,

Et qui, vous ignorant, pour vous se calcinait !

Avant de sortir, la voyant comme évanouie sur le banc.

Et maintenant, tu peux revenir, Percinet !

Il sort.

 

 

Scène III

 

SYLVETTE, seule

 

Ouvrant les yeux.

Monsieur... Marquis... Non, pas en travers de la selle !

Ayez pitié de moi, – non, je ne suis pas celle...

Pas du tout ! – Laissez-moi rentrer à la maison !

Une pensionnaire : oui, vous aviez raison !

Il n’est plus là !... Marquis !... Seule ?... Ah ! Dieu, l’affreux rêve.

Un temps. Elle se remet.

J’aime mieux que ce soit pour rire qu’on m’enlève !

Elle se lève.

Eh bien ! Sylvette, eh bien, ma petite, – comment !

Vous appeliez tantôt à grands cris le roman,

Et, le roman venu, vous n’êtes pas contente ?...

Oh ! la serge, l’exil, les étoiles, la tente !...

Non, c’est trop !... Du roman, j’en voulais bien un peu,

Comme on met du laurier dedans le pot-au-feu !...

Mais c’est trop ! Je ne puis supporter ces secousses.

Je me contenterais d’émotions plus douces...

Le crépuscule violit vaguement le parc. Elle reprend son voile laissé sur le banc, s’en couvre la tête et les épaules, et, rêveuse.

Qui sait si ?...

Percinet paraît. Il est en haillons, le bras en écharpe, se traîne à peine. Un feutre d’où pend, lamentable, une plume cassée, cache ses traits.

 

 

Scène IV

 

SYLVETTE, PERCINET

 

PERCINET, pas encore vu de Sylvette.

Je n’ai rien mangé depuis hier,

Je tombe de fatigue, – et je ne suis pas fier.

La fâcheuse équipée !... Ah ! j’en ai vu de dures !

Ce n’est pas amusant du tout, les aventures !

Il s’affaisse sur le mur. Son chapeau tombe et découvre sa figure. Sylvette l’aperçoit.

SYLVETTE.

Vous !

Il se lève, saisi. Elle le regarde.

Et dans quel état !... Se peut-il ?...

PERCINET, piteusement.

Il se peut.

SYLVETTE, joignant les mains.

Mon Dieu !

PERCINET.

J’ai, n’est-ce pas, la silhouette, un peu,

Que le dessinateur donne à l’Enfant Prodigue ?...

Il chancelle.

SYLVETTE.

Mais il ne se tient plus !

PERCINET.

Je sens quelque fatigue.

SYLVETTE, apercevant son bras, avec un cri.

Blessé !

PERCINET, vivement.

Seriez-vous donc pitoyable aux ingrats ?

SYLVETTE, sévère et s’éloignant.

Les pères seuls, Monsieur, font tuer le veau gras !

Percinet fait un mouvement, et son bras blessé lui arrache une grimace. Sylvette, malgré elle, effrayée :

Pourtant, cette blessure ?

PERCINET.

Oh ! que je vous rassure !

Elle n’est nullement grave, cette blessure !

SYLVETTE.

Mais qu’avez-vous donc fait, Monsieur le vagabond,

Pendant tout ce long temps ?...

PERCINET.

Sylvette, rien de bon.

Il tousse.

SYLVETTE.

Vous toussez, maintenant ?

PERCINET.

Eh ! mon Dieu ! nous courûmes

Les grands chemins, la nuit...

SYLVETTE.

Et l’on y prend des rhumes.

Quels étranges habits vous avez !...

PERCINET.

Des voleurs

Ont pris les miens, Sylvette, – et m’ont donné les leurs.

SYLVETTE, ironique.

Et combien avez-vous eu de bonnes fortunes ?

PERCINET.

Laissons ces questions, Sylvette, inopportunes.

SYLVETTE.

Vous avez dû sans doute escalader beaucoup...

De balcons ?...

PERCINET, à part.

J’ai manqué de me rompre le cou...

SYLVETTE.

De plus d’un doux succès vous gardez la mémoire ?

PERCINET, de même.

Je suis resté trois jours caché dans une armoire.

SYLVETTE.

Et vous avez gagné plus d’un galant pari ?

PERCINET.

Oui, oui !...

À part.

Je me suis fait rosser par un mari.

SYLVETTE.

Guitare en main, chanté plus d’un couplet nocturne ?

PERCINET, de même.

Qui fit choir sur mon chef plus d’une petite urne !

SYLVETTE.

Enfin, comme je vois, tâté d’un vrai duel ?

PERCINET, de même.

Qui me valut ce coup de peu s’en faut mortel.

SYLVETTE.

Et vous nous revenez ?...

PERCINET.

Fourbu, minable, étique !

SYLVETTE.

Oui, – mais ayant du moins trouvé du poétique ?

PERCINET.

Non, – je fus chercher loin ce que j’avais tout près !

Ah ! ne me raillez plus !... je vous adore.

SYLVETTE.

Après

La désillusion que nous eûmes ?...

PERCINET.

Qu’importe !

SYLVETTE.

Mais nos pères nous ont trompés d’horrible sorte !

PERCINET.

Qu’importe ! Dans mon cœur, maintenant, il fait jour !

SYLVETTE.

Mais ils feignaient la haine !...

PERCINET.

Avons-nous feint l’amour ?

SYLVETTE.

Le mur fut un Guignol, – vous l’avez dit vous-même !

PERCINET.

Sylvette, je l’ai dit ! – mais ce fut un blasphème !

Ou du moins... quel Guignol, vieux mur, tu nous offrais,

Qui pour portants avait les grands branchages frais,

Pour fond le parc fuyant, l’azur vaste pour frises,

Pour orchestre invisible et vif les quatre brises,

Pour accessoires clairs le rayon et la fleur,

Le soleil pour quinquet, Shakespeare pour souffleur !

Oui, comme à ces pantins dont on gante les vestes,

Nos pères nous faisaient exécuter des gestes :

Mais, dans ce Guignol-là, Sylvette, songez-y,

C’est l’Amour qui faisait parler les pupazzi !

SYLVETTE, soupirant.

C’est vrai, mais nous aimions, croyant être coupables !

PERCINET, vivement.

Et nous l’étions !... Gardez ces remords agréables.

Comme l’intention compte autant que le fait,

Nous croyant criminels, nous l’étions en effet !

SYLVETTE, ébranlée.

Est-ce bien sûr ?

PERCINET.

Très sûr, chère petite amie ;

Nous avons simplement commis une infamie.

J’en atteste ta grâce et ton souffle aromal :

De nous aimer, ce fut très mai, très mal...

SYLVETTE, s’asseyant près de lui.

Très mal ?...

Changeant et s’éloignant encore.

C’est vrai, mais je regrette un peu, pour notre gloire,

Que le danger couru n’ait été qu’illusoire !

PERCINET.

Il fut réel pour nous qui le crûmes réel !

SYLVETTE.

Non. Mon enlèvement, comme votre duel,

Était faux !...

PERCINET.

Votre peur l’était-elle, Madame ?

Et, puisque vous avez passé par l’état d’âme

De quelqu’un d’enlevé, Sylvette, en vérité,

C’est comme tout à fait si vous l’aviez été.

SYLVETTE.

Non, le cher souvenir n’est plus ; ces torches folles,

Ces masques, ces manteaux, et ces musiques molles,

Ce combat, tout ce charme enfin, c’est trop cruel

De penser que cela fut fait par Straforel !

PERCINET.

Et la Nuit de Printemps, est-ce lui qui l’a faite ?

Est-ce lui qui régla l’inoubliable fête

Que l’amitié d’Avril nous donna ce soir-là ?

Est-ce lui qui, le ciel étoilé, l’étoila ?

Lui, qui d’ombre effaça si bien les rosiers grêles

Que les roses semblaient, comme surnaturelles,

Se tenir en suspens dans l’air mystérieux ?

Dispensa-t-il les frissons gris, les reflets bleus ?

Versa-t-il les langueurs ? Fut-il pour quelque chose

Dans l’apparition de l’Astre d’argent rose ?

SYLVETTE.

Non certes...

PERCINET.

Et fit-il donc, dans la Nuit de Printemps,

Dis-moi, que nous étions deux enfants de vingt ans,

Et que nous nous aimions, car ce fut là le charme,

Tout le charme !

SYLVETTE.

Tout le... c’est vrai, mais...

PERCINET.

Une larme ?

Il est donc pardonné, le méchant qui partit ?

SYLVETTE.

Je t’ai toujours aimé, va, mon pauvre petit.

PERCINET.

J’ai retrouvé ton front, sa puérile frange,

Et ton jeune parfum qui fait un fin mélange

Avec tous les parfums des cytises voisins...

Ah ! les Anges, ce soir, ne sont pas mes cousins !

Il joue avec le voile de Sylvette.

Oh ! laisse-moi baiser le liséré frivole

Du voile aérien qui de ton front s’envole !

Comme il me rafraîchit les lèvres, ce tissu,

Ce tendre et clair tissu, pour qui je n’ai pas su

Vous dédaigner, satins et velours équivoques !

SYLVETTE.

Quels satins ? Quels velours ?

PERCINET, vivement.

Oh ! rien, rien, rien, – des loques.

Oh ! jeune fille, enfant, mousseline est ton nom !

Oh ! que j’aime ce voile frais !...

SYLVETTE.

C’est du linon.

PERCINET, s’agenouillant.

Je l’aime et suis tremblant que mon baiser le souille,

Car ce voile devant lequel je m’agenouille...

 

Ce léger linon

Qui vous emmitoufle,

Mais à la façon

D’un souffle ;

 

Ce linon léger

Dont la candeur frêle

À le voltiger

D’une aile ;

 

Ce léger linon,

Assez diaphane

Pour qu’un seul rayon

Le fane ;

 

Ce linon, léger

Comme un fil de berge

Que fait voyager

La Vierge ;

 

Ce léger linon,

C’est votre pensée

Que les choses n’ont

Froissée !

 

Ce linon léger,

C’est, neigeuse flamme

Qu’un rien fait bouger,

Votre âme !

 

Ce léger linon,

Ce linon que j’aime,

Ce n’est rien sinon

Vous-même !

SYLVETTE, dans ses bras.

Vois-tu, la poésie est au cœur des amants :

Elle n’émane pas des seuls événements.

PERCINET.

C’est vrai : ceux dont je sors, quoique très authentiques,

Ne furent pas du tout, Sylvette, poétiques...

SYLVETTE.

Et ceux par nos papas machiavels arrangés

Le furent, Percinet, encor que mensongers.

PERCINET.

Car elle peut broder, lorsqu’elle aime, notre âme,

De véritables fleurs sur une fausse trame.

SYLVETTE.

La poésie, amour, mais nous fûmes des fous

De la chercher ailleurs lorsqu’elle était en nous !

Straforel apparaît, ramenant les deux pères, et leur montre Sylvette et Percinet dans les bras l’un de l’autre.

 

 

Scène V

 

SYLVETTE, PERCINET, STRAFOREL, BERGAMIN, PASQUINOT

 

STRAFOREL.

Refiancés !...

BERGAMIN.

Mon fils !

Il embrasse Percinet.

STRAFOREL.

Me paierez-vous ma note ?

PASQUINOT, à sa fille.

Tu l’aimes derechef ?

SYLVETTE.

Oui.

PASQUINOT.

Tête de linotte.

STRAFOREL, à Bergamin.

Palperai-je mon or ?

BERGAMIN.

Vous palperez votre or !

SYLVETTE, qui a tressailli.

Mais au fait... cette voix !... le marquis d’As-ta-fior...

STRAFOREL, saluant.

Quercita ? C’était moi, chère Mademoiselle,

Moi, Straforel !... Daignez me pardonner mon zèle ;

Le moyen que j’ai pris était bon en ceci,

Qu’il vous a fait connaître – en vous laissant ici, –

Tout ce qu’ont d’ennuyeux ces aventures vraies

Dont les femmes toujours sont tôt désenivrées.

Sans doute vous pouviez...

Montrant Percinet.

comme ce citoyen,

Vous même les courir ; mais, dame ! le moyen

Pour une jeune fille étant trop énergique,

Je vous en ai fait voir la lanterne magique.

PERCINET.

Qu’est-ce ?

SYLVETTE, vivement.

Rien, rien, – je t’aime !...

BERGAMIN, montrant le mur commencé.

Et demain même, pan !

D’un coup de pioche on va redémolir ce pan...

PASQUINOT.

Enlever ce ciment, ces pierres et ce sable !...

STRAFOREL.

Non, construisez le mur, il est indispensable !

SYLVETTE, réunissant autour d’elle tous les acteurs.

Et maintenant, nous quatre, – et Monsieur Straforel –

Excusons ce que fut la pièce, en un rondel.

Elle descend vers le public.

Des costumes clairs, des rimes légères,

L’Amour, dans un parc, jouant du flûteau...

BERGAMIN.

Un florianesque et fol quintetto,

PASQUINOT.

Des brouilles... d’ailleurs toutes passagères.

STRAFOREL.

Des coups de soleil, des rayons lunaires,

Un bon spadassin en joyeux manteau...

SYLVETTE.

Des costumes clairs, des rimes légères,

L’Amour, dans un parc, jouant du flûteau...

PERCINET.

Un repos naïf des pièces amères,

Un peu de musique, un peu de Watteau,

Un spectacle honnête et qui finit tôt,

Un vieux mur fleuri, – deux amants, – deux pères...

SYLVETTE, dans une révérence.

Des costumes clairs, des rimes légères !

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