Paméla (Pierre-Claude NIVELLE DE LA CHAUSSÉE)

Comédie en cinq actes et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain, le 6 décembre 1743.

 

Personnages

 

MILORD B***

MILEDI DAVERS, sœur de Milord

MONSIEUR WILLIAMS, Ministre

MADAME ANDREWS, mère de Paméla

PAMÉLA

LA JEWKS

VALETS

 

La Scène est au Comté de Lincoln, dans le Château de Milord.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

MILORD, LA JEWKS

 

MILORD.

Bonjour, Madame Jewks ; à la fin me voilà.

LA JEWKS.

Ah ! Milord, est-ce vous qui venez nous surprendre ?

MILORD.

Je viens, sans en avoir l’aveu de Paméla.

À mon impatience il a fallu me rendre,

Et je ne pouvais plus me passer de la voir.

Elle n’aurait jamais voulu me le permettre.

Au surplus, n’as-tu rien à me faire savoir ?

LA JEWKS.

N’avez-vous pas reçu...

MILORD.

Quoi ?

LA JEWKS.

Ma dernière lettre ?

MILORD.

De quand ?

LA JEWKS.

Du mois passé.

MILORD.

J’étais en route. Eh ! bien !

Paméla ?

LA JEWKS.

Paméla...

MILORD.

Quel succès a ton zèle ?

Du séjour de Lincoln comment se trouve-t-elle ?

LA JEWKS.

Triste, dormant fort peu, ne mangeant presque rien,

Pleurant comme une sotte, écrivant comme quatre,

Et vous traitant toujours de cruel ravisseur,

MILORD.

N’as-tu pas employé les moyens de douceur ?

LA JEWKS.

Oui, j’ai vingt fois été sur le point de la battre.

MILORD.

La battre ! Je prétends qu’on la respecte... Après ?

D’ailleurs, comment vont ses attraits ?

LA JEWKS.

Fort bien ! Je vous mandais par la même écriture,

Que sans faire semblant de rien,

Cette petite créature

Ne songeait nuit et jour qu’à trouver le moyen

D’échapper de nos mains ; qu’elle se meurt d’envie

D’avoir la clef des champs ; qu’à force d’y rêver,

Le diable pourrait bien la lui faire trouver.

MILORD.

Ah ! palsembleu, je l’en défie.

LA JEWKS.

Et si Monsieur Williams l’aidait ?

MILORD.

Qui ? lui ?

LA JEWKS.

Suffit.

Je n’en ai pourtant pas une assurance entière.

MILORD.

Bon ! Williams est un sot.

LA JEWKS.

Qui n’est pas sans esprit.

MILORD.

Il n’est pas assez fou pour me rompre en visière.

LA JEWKS.

Il a la clef du parc, il y vient sans façon :

Souvent, pour lui parler, Paméla se dérobe.

À moins que de l’avoir arrachée à ma robe...

MILORD.

Non, ce jeune Ministre est hors de tout soupçon.

Je suis trop nécessaire à son sort déplorable,

D’autant plus qu’il sait bien que je suis sur le point

De lui faire un état assez considérable.

LA JEWKS.

Voilà bien des raisons que l’amour n’entend point,

Et qui n’ont rien qui me rassure.

Comme il est bon d’avoir deux cordes à son arc,

J’ai fait faire, à bon compte, une double serrure

Que je vais faire mettre à la porte du parc ;

Et j’ai cru, pour pousser plus loin la prévoyance,

Qu’il lui fallait quelqu’un dont les airs engageants

Pussent gagner sa confiance.

Que je n’ai plus depuis longtemps.

On vient de me parler d’une femme admirable,

D’un esprit doux surtout capable

D’imaginer mille moyens,

Prête à suivre, en un mot, vos ordres et les miens.

MILORD, après avoir rêvé un moment.

Paméla me paraît difficile à réduire :

C’est toujours fort bien fait. Achève de m’instruire.

Lui parlais-tu de moi ?

LA JEWKS.

Toujours.

MILORD.

Tant pis.

LA JEWKS.

Comment ?

N’était-ce pas là votre idée ?

MILORD.

Parbleu, tu l’auras excédée :

Il fallait quelquefois prendre un heureux moment.

LA JEWKS.

Bon ! bon ! tous les moments sont égaux avec elle.

Sans cesse au moindre mot, prompte à s’effaroucher,

Sa sauvage vertu lui tourne la cervelle ;

Pour son bien, pour le vôtre, on a beau la prêcher,

Elle hausse l’épaule et croit que l’on radote.

Une fille d’esprit est quelquefois bien sotte.

MILORD.

Ma situation n’est faite que pour moi...

Quel est le labyrinthe où mon amour m’engage ?

Plus je vais en avant, plus je ressens d’effroi ;

Car enfin, et c’est donc j’enrage,

Je ne puis l’épouser, ni cesser de l’aimer.

Je me suis éprouvé, pendant deux mois d’absence ;

Bien loin de ressentir l’effet de sa puissance,

Mon cœur n’a fait que s’enflammer...

Mais tentons le projet que l’amour me suggère.

Depuis que Paméla m’est chère,

Il le n’a jamais vu que l’amour en courroux :

Il le lui faut montrer sous un aspect plus doux ;

Lui faire des présents : pour peu qu’elle en reçoive,

C’est un engagement qui peur la mener loin.

LA JEWKS.

Mais il ne faudra pas qu’elle s’en aperçoive :

Je connais Paméla.

MILORD.

C’est de quoi j’aurai soin.

À quoi me laissé-je réduire !

Quel projet ! Malgré moi, j’en suis presqu’indigné.

Si malheureusement je viens à la séduire,

J’aurai bien plus perdu que je n’aurai gagné.

Mais crois-tu qu’en effet, au fond de sa pensée,

Paméla me haïsse ? Elle est trop offensée :

J’en recueille à présent ce que j’ai mérité.

Avec trop de rapidité

J’ai voulu triompher ; j’ai manqué ma conquête,

Et sa haine est le fruit de ma témérité.

Si pourtant j’étais sûr de cette vérité,

Je ne répondrais pas du sort qu’elle s’apprête.

L’amour au désespoir est capable de tout.

On se repentirait de me pousser à bout.

Dis-moi qu’elle me hait, autant que je l’adore.

LA JEWKS.

Sa haine, devant moi, n’ose s’épanouir.

MILORD.

Mais il n’est pas moins vrai que Paméla m’abhorre.

LA JEWKS.

Votre nom seulement la fait évanouir.

MILORD.

Tant mieux, rien ne m’est plus utile

Que l’affreux désespoir où me met ton récit.

Mon aspect ferait donc mourir cette imbécile !

LA JEWKS.

Eh ! mais, Milord...

MILORD.

Fort bien, ton rapport réussit :

Nous verrons s’il n’est pas un moyen de la vaincre ;

Mais de sa haine enfin il faudrait me convaincre.

LA JEWKS.

Vous serez convaincu, s’il ne faut que cela,

Je vais appeler Paméla.

Mettez-vous à l’abri de cette Palissade.

MILORD.

Williams et Paméla viennent de ce côté.

LA JEWKS.

Allez vous mettre en embuscade.

Milord se cache.

 

Scène II

 

PAMÉLA, WILLIAMS, LA JEWKS

 

LA JEWKS.

C’est vous. Eh ! bien, comment la pêche a-t-elle été ?

À ce joli métier êtes-vous bien habillé ?

Vous a-t-il amusée un peu ?

PAMÉLA.

Hélas ! peut-on se faire un jeu

D’une destruction.

LA JEWKS.

C’est un plaisir tranquille,

Conforme à votre humeur.

PAMÉLA.

Ici tout m’est égal.

LA JEWKS.

Il aurait dû pourtant calmer votre tristesse.

PAMÉLA.

Aux animaux d’aucune espèce

Je ne saurais faire du mal.

LA JEWKS.

Mais le Facteur m’attend ; on vient de me le dire :

Ce sont apparemment des lettres de Milord.

Il a depuis longtemps négligé de m’écrire,

Son silence m’alarmait fort.

Nous allons recevoir de ses chères nouvelles :

Ne vous éloignez point, je reviens sur mes pas

Pour vous en faire part.

PAMÉLA.

Ah ! ne vous pressez pas ;

Je n’en attends que de cruelles.

La Jewks sort.

 

 

Scène III

 

PAMÉLA, WILLIAMS

 

PAMÉLA.

Eh ! bien, Monsieur Williams.

WILLIAMS.

Je cherche à vous servir.

PAMÉLA.

Romprez-vous ma prison ?

WILLIAMS.

C’est ma plus chère envie.

PAMÉLA.

Hâtez-vous, il y va bien plus que de ma vie,

Puisque c’est mon honneur qu’on cherche à me ravir

Vous ne l’ignorez pas. Si mon état vous touche,

Tirez-moi d’un séjour où les ruses d’enfer

Conspirent pour m’ôter ce que j’ai de plus cher.

L’effroi me suit toujours ; jamais je ne me couche

Sans frémir et sans craindre un sommeil dangereux ;

Et, malgré moi-même, à la fin je sommeille,

Aussitôt l’épouvante en sursaut me réveille.

Sans cesse, nuit et jour, j’ai pour aspect affreux

L’image de l’opprobre où je suis destinée.

En effet, ce cruel, ce tyran furieux

Qui, pour me perdre, ici me tient emprisonnée,

Peur, d’un moment à l’autre, arriver dans ces lieux ;

Que deviendrai-je alors ? Que voulez-vous attendre

WILLIAMS.

Paméla, j’ai pour vous l’amitié la plus rendre,

J’en jure par vous-même et par votre vertu :

Sans doute, en vous servant, je risque ma fortune :

Je le sais ; mais enfin cette idée importune

Ne m’a nullement abattu.

De l’auteur de vos maux je ne veux plus dépendre ;

J’y renonce.

PAMÉLA.

Avez-vous divulgué mes malheurs ?

WILLIAMS.

Oui, j’ai pris soin de les répandre.

Partout je les ai peints des plus vives couleurs,

PAMÉLA.

Eh ! bien ?

WILLIAMS.

J’ai cru par-là vous rendre un grand service,

Vous trouver des secours : n’en espérez aucun.

J’ai vu que chez les Grands on respecte leur vice ;

Ils ont cet avantage.

PAMÉLA.

Ah ! grands Dieux, en est-ce un ?

WILLIAMS.

J’ai vu que la vertu demeure méprisée,

Lorsque l’éclat du rang ne l’accompagne pas.

La vôtre n’a produit qu’une indigne risée :

De l’innocence obscure on ne fait aucun cas.

PAMÉLA.

Mais, par bonheur, elle est sa propre récompense.

WILLIAMS.

Oui, les biens les plus sûrs sont ceux qu’elle dispense.

J’avais mis mon espoir en un homme de bien,

Un très honnête personnage,

Qui loge dans le voisinage.

Nous eûmes tous les deux hier un entretien.

Ce Ministre, attentif à mon récit fidèle,

M’en parut très touché d’abord ;

Mais dès que j’eus nommé Milord,

Je vis disparaître son zèle ;

Alors interdit et confus,

Écoutant à regret le reste de l’histoire,

Pour mieux colorer ses refus,

Il affecta de ne pas croire

Le mal aussi pressant qu’il est.

Il m’amuse d’y prendre un trop vif intérêt ;

Il craint de se commettre ; et, malgré ma prière,

Les devoirs de sa charge et son autorité,

Il ne veut s’en mêler en aucune manière,

Ni les autres non plus : c’est une vérité.

PAMÉLA.

Mon cher Monsieur Williams, quelle affreuse infortune

N’en êtes-vous point rebuté ?

Puis-je continuer de vous être importune ?

Mais naturellement vous êtes généreux.

WILLIAMS.

Puissé-je être un peu plus heureux,

Il vous voit hors d’ici par mes soins arrachée !

Ceux que j’ai déjà pris vous seront mes garants.

Vos paniers sont enfin remis à vos parents.

J’ai fait faire une clef.

PAMÉLA.

Donnez.

WILLIAMS.

Je l’ai cachée,

Avec un mot d’écrit que vous lirez tantôt.

Vous connaissez l’endroit où tout est en dépôt :

C’est le même.

PAMÉLA.

Je sais.

WILLIAMS.

Je vous le dis encore :

Votre félicité n’est pas prête d’éclore.

PAMÉLA.

Je prétends, en fuyant, braver mon ennemi :

Daignez, vers le minuit, vous rendre à cette porte.

Venez m’y recevoir et me servir d’escorte.

Sitôt que je verrai mon Argus endormi...

WILLIAMS.

D’ici chez vous la traite est longue et difficile ;

Il faut entièrement traverser le Comté.

PAMÉLA.

Hélas ! sais-je où je suis ?

WILLIAMS.

Si vous avez compté

Qu’on ose vous donner asile,

Vous vous trompez dans vos souhaits.

Milord a prévu tout ; il est Juge de Paix.

Avec un soin extrême il vous a désignée.

Pour s’assurer de vous, partout dans son ressort,

Par ses ordres précis, vous êtes configurée.

PAMÉLA.

Suis-je esclave ?

WILLIAMS.

On l’est du plus fort.

PAMÉLA.

Vous me désespérez.

WILLIAMS.

L’obstacle est invincible.

À moins d’un coup du Ciel, je le crois impossible.

PAMÉLA.

Quoi ! son coupable amour me ferme les chemins !

Je ne puis me tirer de ses indignes mains !

Il faut que je périsse au fond de ces retraites !

WILLIAMS.

Je ne suis point surpris, pensant comme vous faites,

Que vous le haïssiez, qu’il vous soit en horreur.

PAMÉLA.

Ce n’est pas qu’il soir haïssable ;

Mais son funeste amour le rend méconnaissable.

Il est vrai qu’il m’inspire une vive terreur ;

Mais enfin je suis juste : eh ! qu’il brise ma chaîne,

Et je serai pour lui les plus sincères vœux...

Je crains de son amour les transports dangereux ;

Mais ma crainte n’est pas un sentiment de haine.

La violence de ses feux

Altère, pour moi seule, un caractère heureux.

WILLIAMS.

Mais le voici lui-même.

PAMÉLA.

Ah ! Ciel ! je suis perdue.

 

 

Scène IV

 

MILORD, LA JEWKS, PAMÉLA, WILLIAMS

 

MILORD, à la Jewks, au fond du Théâtre.

Ne faisons pas semblant de l’avoir entendue.

WILLIAMS, à part.

N’était-il pas aux environs ?

MILORD.

Serviteur, Mons Williams ; permettez que j’en use

Avec vous sans façon ; je vous en fais excuse :

Laissez-nous un moment : nous nous retrouverons.

Va-t’en, Madame Jewks.

À Paméla.

Vous, restez ; je l’exige.

 

 

Scène V

 

MILORD, PAMÉLA

 

MILORD, à part.

Elle ne me hait point ; réglons-nous là-dessus.

Haut.

Que mon retour ici n’ait rien qui vous afflige :

Au contraire.

PAMÉLA.

Milord ne se souvient-il plus

Qu’il m’avoir tant promis d’avoir la complaisance

De ne pas m’honorer sitôt de sa présence ?

MILORD.

Laissons là le passé : tout me sera garant

Que j’apporte à Lincoln un cœur bien différent.

Mais le cruel effroi dont vous êtes atteinte

Ne cessera-t-il point de me désespérer ?

Il m’est fort déplaisant de ne vous inspirer

Que les sentiments de la crainte.

Ne vous verrai-je pas cet air doux et flatteur,

Cette sérénité qui vous est naturelle,

Ce regard ingénu, ce sourire enchanteur,

Cette grâce toujours nouvelle,

Ce charme qui vous donne un attrait si touchant,

Mais qu’altère sans cesse une frayeur mortelle ?

Reprenez, avec moi, ce qui vous rend si belle.

PAMÉLA, à part.

Ah ! qu’il est dangereux, quand il n’est pas méchant !

MILORD.

Revoyons-nous tous deux sous de meilleurs auspices.

PAMÉLA.

Milord, qui vous amène ici ?

MILORD.

Le repentir.

PAMÉLA.

Qui pourra me le garantir ?

MILORD.

Les effets. Oublions toutes nos injustices.

PAMÉLA.

En auriez-vous à m’imputer ?

MILORD.

Je viens pour réparer, et non pour discuter

Les torts que nous pourrions avoir l’un avec l’autre...

Peut-être un jour viendra que vous en rougirez ;

Mais enfin il faudrait y mettre un peu du vôtre.

PAMÉLA.

Qu’appelez-vous du mien ?

MILORD.

Vous y réfléchirez

À part.

Je crois pouvoir risquer cette galanterie,

Puisse-t-elle répondre à mon intention !

Il présente un papier à Paméla.

Tenez, Paméla, je vous prie

De lire ce papier avec attention.

PAMÉLA.

Qu’est-ce que cet écrit m’annonce ?

MILORD.

Vous le verrez. Allez, vous me rendrez réponse.

Mais surtout qu’elle soir conforme à mes désirs.

J’ai quelque ordre à donner.

PAMÉLA, regardant le papier.

Qu’il me cause d’alarmes !

MILORD.

Allez. Quand je m’éloigne un instant de vos charmes,

Je me prive à regret du plus grand des plaisirs.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

MILORD, PAMÉLA

 

PAMÉLA, en lui rendant un papier.

Milord, voici votre mémoire.

MILORD.

Vous l’aurez lu, j’ose le croire ?

PAMÉLA.

Oui : vous êtes trop généreux.

MILORD.

Quelle est cette réponse ? À quoi dois-je m’entendre ?

Daignez donc m’expliquer comment il faut l’entendre.

Est-ce un refus ou non ? Il serait rigoureux...

PAMÉLA.

Mais du moins il est légume.

Ne m’honorerez-vous jamais de votre estime.

MILORD.

Je veux vous rendre heureuse.

PAMÉLA.

Il n’est de vrai bonheur

Que celui qui convient à notre caractère.

Celui que vous m’offrez avec tant de mystère,

N’est pas conforme à mon humeur.

MILORD.

Pourquoi donc ?

PAMÉLA.

L’avenir n’a rien qui m’importune ?

MILORD.

Et pour vous rassurer quels sont donc vos garants !

PAMÉLA.

J’ai l’exemple de mes parents.

Quel que soit leur peu de fortune,

Ils ne sont point à plaindre ; et, du moins à mon goût,

Leur probité les a dédommagés de tout.

Elle est telle en effet que chacun la réclame,

Qu’elle passe en proverbe, et qu’il est établi,

Lorsqu’on en veut citer un modèle accompli,

De dire, vertueux comme Andrews et sa femme.

Ma seule ambition est de les imiter.

Qui m’en empêcherait ? Tour m’y semble inviter.

Mon éducation, les leçons de sagesse

Qu’après eux, ma bonne maîtresse,

Miledi votre mère, a mises dans mon sein.

« Ma chère Daniela, sois sage, disait-elle :

« Tu connais tes devoirs, demeures-y fidèle :

« Je t’ai fait instruire à dessein.

« J’ai vu dans plus d’une occurrence,

« Qu’une fille se perd par sa propre ignorance. »

Tels étaient ses discours. Ah ! Milord, entre nous,

S’il m’est permis de vous le dire,

Elle me fournissait des armes contre vous.

MILORD.

Quel reproche est-ce là ? Quel sujet me l’attire ?

PAMÉLA.

Vos bienfaits.

MILORD.

Comment donc ? Ma mère avoir promis

D’assurer votre sort au gré de sa tendresse ;

Elle n’en a rien fait : il peur m’être permis,

Je crois, d’acquitter sa promesse.

PAMÉLA, à part.

Quel détour !...

Haut.

Miledi, des bienfaits les plus grands

N’aurait point accablé ni moi, ni mes parents.

MILORD.

La délicatesse est extrême.

PAMÉLA.

Vous me rendez un piège où je ne puis tomber.

MILORD.

Qui veut vous faire succomber ?

Ne peut-on, sans espoir, rendre heureux ce qu’on aime ?

Eh ! ne vous dis-je pas que je n’y prétends rien

Au-delà du plaisir de vous faire du bien ?

PAMÉLA.

Si votre âme, pour moi, n’était plus enflammée,

Ou plutôt, si jamais vous ne m’aviez aimée ;

Alors, sans blesser mon devoir,

Milord, j’aurais pu recevoir

Un léger et faible salaire.

Il eût trop bien payé mes services passés.

Mais on n’ignore pas combien j’ai su vous plaire :

Quand on l’ignorerait, je le sais ; c’est assez...

Vous voulez me lier par la reconnaissance.

MILORD.

Mais la vôtre n’ira que jusqu’où vous voudrez.

Je n’y vois rien qui puisse alarmer l’innocence.

Réfléchissez-y mieux, et vous vous résoudrez.

PAMÉLA.

Pouvez-vous là-dessus insister davantage ?

Quel effet produisait mon changement d’état !

Que dirait-on de voir vivre avec tant d’éclat

Une fille qui n’eut aucun bien en partage ?

On penserait qu’après avoir bien combattu,

Sa gloire est arrivée à son heure fatale.

Ce serait allier l’honneur et le scandale.

Quand nous associons avec notre vertu

La moindre apparence du vice,

Nous ne méritons pas qu’on nous rende justice.

Nous avons notre honneur et nous à respecter.

MILORD.

Vous me paraissez bien instruire ;

Je n’ai rien à vous objecter,

Si ce n’est qu’en l’état où vous êtes réduire,

Tant de vertu n’est pas facile à conserver.

Si je vous fais quelque largesse,

Loin de nuire à votre sagesse,

Des dangers les plus grands je cherche à la sauver.

Partout où vous irez, vous serez poursuivie.

Puissiez-vous détourner du cours de votre vie

Les effets de l’adversité !

C’est une terrible ennemie.

La vertu la plus pure et la plus affermie

Triomphe rarement de la nécessité.

Elle dispute un temps ; mais enfin elle cède...

Vous ne voulez donc point, Paméla, qu’on vous aide !

PAMÉLA.

Eh ! laissez-moi partir ?

MILORD.

Qu’allez-vous devenir ?

PAMÉLA.

Je vivrai doucement chez mon père et ma mère.

MILORD.

Eh ! de quoi ? Vous allez surcharger leur misère ;

À ce fardeau de plus pourront-ils subvenir ?

PAMÉLA.

Mais je les aiderai...

MILORD.

Mais leur genre de vie ;

Paméla, vous est inconnu.

Vous ne soutiendrez point un travail continu.

Vous croyez tout possible au gré de votre envie.

Malgré tous vos efforts, et vos parents, et vous,

Après avoir langui, vous succomberez tous.

Vous mourrez l’un par l’autre, et vous en serez cause ;

Au lieu qu’en acceptant ce que je vous propose,

Vous serez le soutien, l’appui de leurs vieux jours.

Consultez la nature ; et non pas des chimères.

Eh ! quoi ! vous aimez mieux avoir, dans leurs misères,

Des pleurs à leur donner que d’utiles secours

Qui seraient en votre puissance.

PAMÉLA.

Ils semblent me parler d’un ton bien différent,

Et je crois que le Ciel lui-même est leur garant.

Reviens, me disent-ils, aux lieux de ta naissance,

Que rien ne retarde tes pas.

Viens reprendre avec nous ta première carrière.

Va, celui qui prend soin de la Nature entière

Ne nous abandonnera pas.

Lui seul ne vend point ses largesses ;

Il n’en coûte rien au devoir.

Reviens, ta pureté fait toutes nos richesses.

C’est le plus grand trésor que nous puissions avoir.

À cet ordre d’en-haut souffrez que j’obéisse

MILORD.

C’est trop méprisez mes bienfaits.

Vous méritez qu’on vous haïsse ;

Vos indiscrets désirs vont être satisfaits.

N’en parlons plus ; je cède à votre destinée ;

Je vous y livre désormais :

Allez reprendre pour jamais

La bassesse où vous êtes née.

Oh ! quelqu’un ; holà, Jewks.

 

 

Scène II

 

LA JEWKS, MILORD, PAMÉLA

 

LA JEWKS.

Que vous plaît-il ?

MILORD, à Paméla.

Sortez.

 

 

Scène III

 

MILORD, LA JEWKS

 

MILORD.

Toi, fais dire à ma sœur de venir tout à l’heure

M’ôter ce tourment là. Si Paméla demeure,

J’ignore où mes excès pourraient être portés :

Il faut bien mieux qu’elle me quitte.

LA JEWKS.

Eh ! Miledi Davers vient d’envoyer savoir,

S’il lui serait permis aujourd’hui de vous voir.

MILORD.

Qu’on dépêche vers elle, et qu’on parte au plus vite

Pour la faire hâter. Je ne saurais trop tôt

Remettre entre ses mains ce funeste dépôt.

Elle en disposera : je l’en rends la maîtresse.

Dis-lui que rua raison a repris le dessus,

Et qu’enfin Paméla n’est plus

Le ridicule objet de ma folle tendresse.

 

 

Scène IV

 

MILORD, seul

 

Plus j’y veux pénétrer, moins je puis concevoir

Que ce soir la sagesse et l’amour du devoir

Qui m’attire la honte et l’affront que j’essuie.

On ne refuse point le bonheur de sa vie.

Un obstacle plus fort s’oppose à mes désirs.

La vertu toute seule a-t-elle assez de force

Pour empêcher un cœur de se prendre à l’amorce

De la fortune et des plaisirs ?

Non : ce n’est qu’à l’Amour à qui je dois m’en prendre.

Lui seul, contre lui-même, a droit de se défendre.

Voyons ; n’ai-je point quelqu’un là ?

 

 

Scène V

 

MILORD, UN VALET

 

LE VALET.

Que souhaite Milord ?

MILORD.

Williams et Paméla.

LE VALET.

Ils sont dans ce bosquet.

MILORD.

Qu’ils viennent au plus vite.

 

 

Scène VI

 

MILORD, seul

 

Ils ne se quittent plus, il faut tout éclaircir.

Du moins, pour me venger, donnons-nous le plaisir

De démasquer une hypocrite,

Et de punir en même temps

L’ingrat... Ce sont eux que j’entends.

Justement, les voici. Tâchons de nous remettre,

Pour en tirer l’aveu que j’ose m’en promettre.

 

 

Scène VII

 

PAMÉLA, WILLIAMS, MILORD

 

MILORD.

J’ai deux mots à vous dire, approchez-vous tous deux.

Prêtez-moi, l’un et l’autre, un moment de silence

Et surtout bannissez ce trouble qui m’offense.

Mons Williams, je sais tout ; mais je suis généreux.

WILLIAMS.

Quoi ! Milord !

MILORD.

Vous avez divulgué ma faiblesse ;

Et chez presque tous mes amis,

Pour la mieux colorer, vous n’avez rien omis ;

Mais votre procédé n’a plus rien qui me blesse,

Pour vous justifier, s’il en était besoin,

La raison m’a prêté sa clarté salutaire :

Il était du devoir de votre ministère

D’avoir pour Paméla tant de zèle et de soin.

Achevez, soyez-en le conducteur fidèle.

Je la remets entre vos mains :

Vous pouvez !a mener chez elle,

Je vais vous ouvrir les chemins.

PAMÉLA.

Ah ! comptez à présent sur ma reconnaissance,

Et qu’elle est au-dessus de toute expression.

MILORD.

Je le crois.

À part.

Achevons, s’il est en ma puissance.

À Williams.

Vous, n’acceptez-vous pas cette commission ?

WILLIAMS.

De tout mon cœur.

MILORD.

Fort bien ; j’en ai l’âme ravie.

WILLIAMS.

C’est l’emploi le plus doux et le plus précieux

Dont vous puissiez jamais m’honorer de la vie.

MILORD.

Je crois que ce dépôt ne saurait être mieux.

D’ailleurs, pour vous montrer que mon cœur vous pardonne,

Je vous avais promis un poste, il est vacant ;

D’abord je vous l’accorde : et de plus, je vous donne

Un petit Fief que j’ai dans le Comté de Kent,

Qui vaut, de revenu, près de deux cens guinées.

PAMÉLA.

Milord, puisse le Ciel, pour prix de vos bienfaits,

Répandre ses faveurs sur toutes vos années.

MILORD, à Paméla.

Vous êtes donc sensible au bien que je lui fais !

PAMÉLA.

Si je le suis, j’ai craint que notre intelligence

N’attirât, tôt ou tard, sur lui votre vengeance :

Tel était mon effroi.

MILORD.

Je le trouve offensant ;

Mais j’en veux effacer jusques aux moindres traces

WILLIAMS.

À l’exemple du Ciel, vous accordez des grâces

Dont on ne saurait être assez reconnaissant.

MILORD.

Ce n’est pas tout encor : il me vient une idée ;

Supposé que l’hymen ne vous inspire pas

Une aversion décidée,

Que pour vous au contraire il ait quelques appas,

Voilà de quoi former l’union la plus belle.

WILLIAMS.

Ah ! Milord, croyez-vous que je sois digne d’elle ?

MILORD.

Pourquoi non ? En faveur de cet heureux lien,

Je ne m’en tiendrai point à ces faibles largesses ;

Mais mon dessein n’est pas de vous gêner en rien.

WILLIAMS.

Je ne suis pas renté par l’appas des richesses.

MILORD.

Je ne crois pas qu’on puisse avoir plus de vertu.

Il n’est point de Beauté que Paméla n’efface ;

Et, si j’étais à votre place,

Mon choix ne serait pas un moment combattu.

WILLIAMS.

Je dois vous avouer...

MILORD.

Parlez en assurance.

WILLIAMS.

Qu’il me serait bien doux, si vous le permettiez,

De pouvoir déposer vos bienfaits à ses pieds,

Si ce n’est point trop haut porter mon espérance.

Puisque je lui dois tout, elle y doit avoir part.

MILORD.

N’est-ce point un effet de votre complaisance ?

Vous vous sacrifiez peut-être à quelque égard.

Je n’en veux point. La suite en serait trop fâcheuse.

Consultez votre cœur, ne cédez qu’à l’amour ;

Car je prétends qu’on l’aime, et qu’elle soit heureuse.

Aimez-vous Paméla ? Répondez sans détour.

L’aimez-vous ?

WILLIAMS.

Oui, Milord ; il est vrai, je l’adore.

Ici Paméla fait un mouvement de surprise.

MILORD.

Mais c’est peut-être un feu qui ne fait que d’éclore,

Et qui pourrait s’éteindre.

WILLIAMS.

Ah ! ne le croyez pas.

Elle a de quoi fixer le cœur le moins fidèle.

MILORD.

Je le sais. Depuis quand soupirez-vous pour elle ?

WILLIAMS.

Dès l’instant fortuné que j’ai vu tant d’appas.

MILORD, avec emportement, en jetant les yeux sur Paméla.

Enfin, de ses dédains la preuve m’est connue.

En s’adressant à tous deux.

Malheureux, c’est ainsi que vous me trahissiez ;

Et que, sans nulle retenue,

Vos deux perfides cœurs se sont associés.

WILLIAMS.

Vous tendiez donc un piège à mon âme ingénue ?

MILORD.

Ne t’ai-je admis chez moi, ne t’ai-je ouvert mon sein

Que pour être mon assassin ?

WILLIAMS.

Ah ! qui peur m’attirer un titre si funeste ?

MILORD.

Ton zèle intéresse, ta fausse probité,

Dont j’ai la preuve manifeste.

WILLIAMS.

J’en appelle à votre équité.

MILORD.

Ne la réclame pas. Ton amour sait ton crime.

Ton cœur ne devait pas se laisser enflammer.

Traître, il ne fallait pas aimer,

Et tu m’aurais alors arraché mon estime.

WILLIAMS.

Si votre aveuglement va jusqu’à m’en priver,

C’est le plus grand malheur qui me puisse arriver ;

Mais qu’il faudra pourtant souffrir avec courage,

Sans en rougir. D’ailleurs, je lui rends un hommage

Téméraire peut-être, et non pas criminel.

Du moins je n’aurai pas le remords éternel

D’en avoir voulu faire une triste victime.

On ne doit respecter que l’amour légitime.

Le vôtre ne l’est pas. Rien n’a dû m’arrêter.

J’en perdrai ma fortune, au moins dois-je le croire ;

Mais vous y perdez votre gloire :

Qui de nous deux aura le plus à regretter ?

Adieu...

Il sort.

 

 

Scène VIII

 

MILORD, PAMÉLA

 

MILORD.

J’avais compté que le temps et l’absence

Rompraient mes fers ; c’était mon espoir le plus doux ;

Mais je n’espérait pas devoir ma délivrance

Au mépris que j’aurais pour vous.

PAMÉLA.

J’en mourrais, s’il avait une cause réelle.

MILORD.

Eh ! tous vos cœurs sont faits sur le même modèle.

PAMÉLA, à part.

J’ai peine à cacher mon courroux.

Vivement.

Milord, que me reprochez-vous ?

MILORD.

Moi ? Rien. J’applaudis, au contraire.

Je ne puis que louer un choix si délicat.

Par préférence à moi, Williams a su vous plaire,

Et vous gardez très bien l’esprit de votre état.

PAMÉLA, à part.

Mon sort serait moins déplorable.

Haut.

Grand Dieu ! quelle injustice !

MILORD.

Il est vrai, j’aurais tort

D’être jaloux d’un misérable.

Est-ce à moi d’envier son sort ?

Il voir les vœux remplis, dès l’instant qu’il soupire ;

Je lui laisse l’honneur de s’en glorifier.

PAMÉLA.

Il m’est cruel d’avoir à me justifier.

Un intérêt plus cher, puisqu’il faut vous le dire,

M’a fait avoir recours à cet infortuné.

C’était le seul appui que le Ciel m’eût donné

Il n’était pas en ma puissance

D’échapper autrement aux dangers que je cours.

J’ai cru, sans blesser l’innocence,

De qui pouvoir m’aider emprunter le secours.

MILORD.

Vous pouviez ajouter encore,

Que, sans nulle raison, je m’érige en censeur,

Et qu’un enlèvement n’a rien qui déshonore.

PAMÉLA.

Mais un libérateur n’est point un ravisseur.

MILORD.

Eh ! justifiez-vous vous-même.

PAMÉLA.

J’espère en avoir le bonheur.

MILORD.

Cependant vous alliez, pour sauver votre honneur,

Vous mettre à la merci d’un homme qui vous aime.

Sauve-t-on sa vertu dans les bras de l’amour ?

PAMÉLA.

J’ignorais qu’il m’aimât.

MILORD.

Quoi ! jusques à ce jour,

Il ne vous a rien dit ?

PAMÉLA.

Non ; la chose est certaine.

MILORD.

Mais vous vous en doutiez.

PAMÉLA.

Je ne suis pas si vaine,

Et j’ai parfaitement ignoré son secret.

MILORD.

Voilà, de part et d’autre, un prodige assez rare.

PAMÉLA.

N’en accusez que vous, si son feu se déclare.

MILORD.

Est-ce à vous de me faire un reproche indiscret ?

Paméla...

PAMÉLA.

Milord...

MILORD.

Je vous somme

De me dire à présent l’exacte vérité.

Que je sois réputé le plus malhonnête-homme,

Si je ne parle pas avec sincérité.

Écoutez seulement. Si, pour vous rendre heureuse,

Pardonnant à Williams, ma pitié généreuse

Daignait lui confirmer et même redoubler

Ces biens dont à l’instant j’ai feint de le combler,

(Vous êtes libre enfin, et sans nulle fortune,

Et Williams vous adore ;) est-ce qu’en bonne-foi

Vous ne l’épouseriez pas ?

PAMÉLA.

Moi !

MILORD.

Oui ; répondez sans feinte, et n’en craignez aucune.

PAMÉLA.

Je ne puis profiter de cet arrangement ;

Tout attrayant qu’il est, il n’a rien qui me tente.

En un mot, je ne pense à nul engagement.

Quel que soit mon destin, j’en serai trop contente,

Pourvu que mon honneur soit toujours respecté ;

Mais dès qu’on en voudra troubler la pureté,

Il n’est point de ressource, il n’est point d’hyménée

Que je n’accepte alors : j’y donnerai les mains.

À Williams, à tout autre, au plus vil des humains,

On me verra plutôt unir ma destinée,

Et mon libérateur deviendra mon époux.

MILORD.

Ainsi, malgré l’amour dont il brûle pour vous,

Vous n’aimez point Williams.

PAMÉLA.

Eh ! non, je vous l’assure.

MILORD.

Vous ne l’épouserez jamais ?

PAMÉLA.

Jamais.

MILORD.

Assurément ?

PAMÉLA.

Oui, je vous le promets.

MILORD.

Mais jurez-le-moi donc.

PAMÉLA, très tendrement.

Eh ! bien, je vous le jure ;

Mais n’en concluez rien pour vous.

MILORD.

N’importe ; c’est assez pour me rendre la vie.

Il se jette aux pieds de Paméla.

Et moi, je jure, à vos genoux,

Que mon âme vous est pour jamais asservie.

Il lui baise la main.

PAMÉLA, voyant Miladi Davers.

Ah ! Milord, levez-vous.

 

 

Scène IX

 

MILADI DAVERS, LA JEWKS, MILORD, PAMÉLA

 

MILADI, à la Jewks.

Sont-ce là leurs adieux ?

MILORD.

Qu’est-ce ? Ma sœur Davers qui paraît en ces lieux !

LA JEWKS, à part.

Ceci ne mettra pas la paix dans la famille.

MILADI.

Dès que vous l’ordonnez, je parais à l’instant.

MILORD, embarrassé.

Je vous suis obligé.

LA JEWKS, à part.

Pas tant.

MILADI.

Je viens pour emmener cette petite fille.

Allons, mon carrosse est là-bas.

PAMÉLA, à Miladi.

Que ne vous dois-je pas ?

MILORD, à part.

Quel contretemps funeste !

MILADI, à Paméla.

Allez vous apprêter.

MILORD.

Non, ma sœur, elle reste.

MILADI.

Comment !

MILORD.

Elle ne s’en va pas.

MILADI.

Et par quelle raison ?

MILORD.

Je veux qu’elle demeure.

MILADI.

Eh ! mais, mon frère, encore expliquez-nous un peu...

Vous m’avez mandée.

MILORD.

Oui ; mais j’ai fait tout à l’heure

Une réflexion. Vous avez un neveu

Qui demeure avec vous.

MILADI.

Quelle crainte est la vôtre ?

MILORD.

Il est jeune.

MILADI.

Sans doute.

MILORD.

Et j’y vois du danger.

MILADI.

Eh, quoi ! n’est-ce que lui qui vous a fait changer ?

Il est, je vous assure, aussi sage qu’un autre.

Ah ! mon frère, voilà de grands ménagements ;

Et pour qui ?

MILORD.

Modérez l’excès de votre zèle.

J’ai pris d’autres arrangements.

MILADI.

Qui sont apparemment de concert avec elle.

MILORD.

Ménagez-la, ma sœur ; faites-moi ce plaisir.

MILADI.

Et ne voulez-vous pas aussi qu’on la révère ?

MILORD.

Estimez-la du moins.

MILADI.

C’est assez m’éclaircir ;

Je pourrais m’y tromper, si c’était la première.

Ici Milord jette un regard furieux sur sa sœur.

MILORD.

Paméla, laissez-nous.

Paméla sort.

 

 

Scène X

 

MILORD, MILADI, LA JEWKS

 

MILORD.

Le coup aura porté ;

Mais il vous souviendra de votre cruauté.

MILADI.

Mon frère, ce transport a lieu de me surprendre.

MILORD.

Oui, je suis furieux.

MILADI.

Pour un mot échappé.

MILORD.

Terminons un discours qui pourrait trop s’étendre.

Après le trait mortel dont vous m’avez frappé,

Je ne puis, ni ne veux vous voir ni vous entendre.

Il sort.

 

 

Scène XI

 

MILADI, LA JEWKS

 

MILADI.

Que veut dire ceci ?

LA JEWKS.

Je n’y comprends plus rien

Tous deux étaient brouillés avant votre arrivée.

MILADI.

C’est sans doute une histoire, et tu l’auras rêvée.

LA JEWKS.

J’ai parlé par son ordre, et n’ai rien mis du mien.

Mais la chance a tourné ; j’en suis des plus surprises :

J’en demande au surplus mille et mille pardons...

MILADI.

Tais-toi. Les Valets ne sont bons

Qu’à faire faire des sottises.

Mais son honneur m’engage à ne me point lasser ;

C’est un premier moment qu’il faut laisser passer.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

MILADI, PAMÉLA

 

MILADI.

Laissez-moi, vous devez être assez satisfaite

De l’indigne façon dont mon frère me traite.

PAMÉLA.

Je suis au désespoir.

MILADI.

Vous m’ôtez l’amitié

D’un frère à qui j’avais le bonheur d’être chère.

Vous me faites bannir.

PAMÉLA.

Moi ?

MILADI.

Vous, que l’amitié

A fait, dans votre enfance, accueillir par ma mère.

Elle ne comptait pas qu’un jour

Sa charité serait si funeste à sa fille,

Et porterait le trouble au sein de sa famille.

Ingrate ! est-ce donc-là le fruit de son amour

Et de votre reconnaissance ?

Mais vous venez m’offrir votre protection ?

PAMÉLA.

Miladi, je n’ai pas cette présomption,

Et vous accablez l’innocence.

MILADI.

L’innocence ! Eh ! laissons les discours superflus.

Qu’avez-vous à répondre ? On vous aime, on me chasse

Depuis que ma mère n’est plus,

Chez qui demeurez-vous ? Est-ce ici votre place ?

On commence par plaire, on finit par aimer.

Quand on ne sait pas fuir, on ne triomphe guère.

Mais craignez un revers. Cet amour de mon frère,

Qui, sans doute, à présent, a de quoi vous charmer,

N’est qu’un feu qui s’allume et s’éteint dans le crime,

Et vous n’en serez pas la première victime.

PAMÉLA.

Vos sentiments pour moi feront bien différents,

Quand vous saurez quelle est ma triste destinée.

En feignant de vouloir me rendre à mes parents,

C’est ici que l’on m’a menée ;

On m’y tient malgré moi, j’y suis emprisonnée.

Après ma liberté j’avais beau soupirer :

Mais avec une infortunée,

Aucun hasard heureux n’a daigné conspirer.

Que peut faire de plus une triste captive,

Dont l’innocence en pleurs et la vertu plaintive

Ont rencontré partout des cœurs indifférents ?

Elles n’ont plus le droit d’intéresser personne ;

Et je reste au milieu des dangers les plus grands ;

Miladi, je n’en ai que de trop sûrs garants.

MILADI.

Paméla, s’il est vrai, votre rapport m’étonne.

PAMÉLA.

Sous le sceau du secret et de la vérité,

Souffrez que mon cœur s’ouvre, ou plutôt se déchire :

Je sens mille fois plus que je ne puis vous dire,

Quelle est de mon état l’affreuse extrémité.

Par bonté, par pitié, terminez ma souffrance.

Ne pourrai-je obtenir de vous ma délivrance ?

Je me mets en vos mains, retirez-moi chez vous.

MILADI.

Si j’exauçais votre prière,

Je vous verrais bientôt faire un pas en arrière.

PAMÉLA.

Vous me verriez voler... J’embrasse vos genoux.

MILADI.

Quoi ! vous pourriez ainsi quitter votre conquête ?

PAMÉLA.

Partons sans différer ; me voilà toute prête.

Si vous saviez combien j’ai de raisons de fuir !...

Il peut m’être permis de me craindre moi-même.

MILADI.

J’entends.

PAMÉLA.

Tirez-moi donc de ce péril extrême.

MILADI.

L’art que vous employez ne sert qu’à vous trahir.

PAMÉLA.

Moi, Miladi ! Je vous proteste...

MILADI.

Oui, c’est, sous un dehors vertueux et modeste,

Un triomphe éclatant que vous voulez chercher.

Bien loin d’échapper à mon frère,

Jusques entre mes bras, sans pouvoir l’empêcher,

Son amour furieux viendrait vous arracher,

Vous ne l’ignorez pas ; et vous ne risquez guère,

En me proposant ce moyen.

PAMÉLA.

Miladi, vous mettez le comble à ma misère,

En ne me croyant pas sincère.

MILADI.

On nous observe. Adieu. Surtout gardez-vous bien

De vouloir devenir la femme de mon frère.

Cet hymen ne serait qu’une pure chimère,

Craignez un mariage ou faux ou clandestin.

Si vous le méritez un peu mieux par la suite,

En cas que vous puissiez enfin prendre la fuite,

On aura soin de vous et de votre destin.

Elle sort.

 

 

Scène II

 

PAMÉLA, seule

 

Elle me quitte, et la barbare

Me plonge, en s’en allant, un poignard dans le sein.

Hélas ! ma perte se prépare ;

Milord n’a point d’autre dessein.

J’ai vu, dans ses regards, un espoir qui m’effraye.

Mais moi, sans y penser, n’ai-je point irrité

Ses feux et sa témérité ?

Que ne puis-je le fuir !... Il faut que je l’essaye.

Mais on me cherche : allons rêver, hors de leurs yeux,

Aux moyens de quitter ces redoutables lieux.

Elle sort.

 

 

Scène III

 

MILORD, LA JEWKS

 

MILORD.

Où donc est Paméla, qu’est-elle devenue ?

LA JEWKS.

La voilà qui nous fuit.

MILORD.

J’ai vu cette inconnue

Que tu veux mettre auprès de Paméla.

Notre projet réussira.

Elle m’a plu dès la première vue.

Ton idée est fort bonne, et je vais l’employer,

Adieu, dans un moment je la vais envoyer.

Il sort.

 

 

Scène IV

 

PAMÉLA, LA JEWKS

 

LA JEWKS.

La voilà, bon !

PAMÉLA, se promenant et rêvant.

Où fuir ? Que je suis malheureuse !

LA JEWKS.

Regardez donc les gens qui vous veulent du bien.

PAMÉLA.

À moi, Vous ! Non, je n’en crois rien.

LA JEWKS.

Qu’est-ce donc, Paméla ? Vous voilà bien rêveuse !

Quelle mélancolie ! il faut vous en tirer.

Que diantre ! vous noyez vos beautés dans vos larmes.

Savez-vous que la joie augmente encor les charmes ?

Allons...

PAMÉLA.

Vous n’êtes pas propre à m’en inspirer.

LA JEWKS.

Si vous saviez ce qui se passe...

Loin d’attirer votre courroux,

Quand vous aurez appris ce que je fais pour vous,

Paméla, vous me rendrez grâce.

Puisque mon amitié, que mes soins bienfaisants,

Et que l’autorité que Milord m’a donnée

Vous déplaisent depuis longtemps,

Pour changer votre destinée,

Je dépose un fardeau qui nous pèse à tous deux.

On met auprès de vous une femme estimable.

Avec une compagne aimable,

Vous jouirez d’un sort heureux.

PAMÉLA, à part.

La félicité n’est pas grande.

LA JEWKS.

Essayez-en du moins ; Milord vous le demande.

Si le choix qu’on a fait répond mal à vos vœux...

Ici elle aperçoit Madame Andrews, elle va à elle, et lui dit à demi-voix.

Suivez de point en point...

MADAME ANDREWS, au fond du Théâtre.

Je sais ce qu’il faut dire ;

Laissez-moi seulement lui parler sans témoins.

LA JEWKS, à Paméla.

Je vous laisse avec elle. Adieu, je me retire.

Elle sort.

 

 

Scène V

 

MADAME ANDREWS, PAMÉLA

 

MADAME ANDREWS, à part, et encore au fond du Théâtre.

Puisse le juste Ciel favoriser mes soins !

PAMÉLA, au bord du Théâtre, à part.

Quel est ce nouveau personnage,

Que l’on va mettre auprès de moi,

Dont il faudra subir la loi ?

Ce n’est que changer d’esclavage.

MADAME ANDREWS, en s’avançant doucement.

Je tremble en la voyant, et crains d’en trop savoir.

PAMÉLA, à part.

D’où vient ce changement ? Je ne puis concevoir...

MADAME ANDREWS, à demi-voix, et encore un peu éloignée.

Vous détournez les yeux, vous craignez ma présence.

PAMÉLA, sans la regarder.

Laissez-moi seule ici.

MADAME ANDREWS.

Quoi ! vous me renvoyez !

PAMÉLA, sans la regarder.

Vos pareilles jamais n’auront ma confiance.

MADAME ANDREWS.

Je suis toute autre aussi que vous ne me croyez.

Ce refus n’a rien qui m’arrête.

Regardez-moi du moins.

PAMÉLA, sans la regarder.

Ah ! vous m’embarrassez,

MADAME ANDREWS.

Puisque je vous vois, c’est assez.

Écoutez : vous sortez d’une famille honnête ;

De parents, il est vrai, peu riches, mais contents,

Ils perdirent leur bien par le malheur des temps ;

Mais les mêmes vertus sont toujours leur partage.

PAMÉLA, à part, mais haut.

Elle vient de la part de Milord... Eh ! comment !...

Ses discours n’ont rien qui m’outrage.

Je ne puis revenir de mon étonnement.

MADAME ANDREWS, continuant toujours à parler d’une voix faible et tremblante ; mais de façon cependant que, s’animant, elle reprend peu-à-peu sa voix naturelle.

Je vais vous étonner peut-être davantage...

L’amour le plus ardent et le plus dangereux

Vous poursuit, Paméla, depuis plus d’une année.

PAMÉLA.

Eh, quoi !...

MADAME ANDREWS.

Vous remplissez d’une flamme effrénée

Un cœur impatient de n’être pas heureux.

Tout terrible qu’il est, vous lui trouvez des charmes.

PAMÉLA.

Quel changement subit s’est fait dans votre voix !

Pourquoi répandez-vous des larmes ?

Serait-ce ?... Ah ! ciel ? ma mère, est-ce vous que je vois ?

MADAME ANDREWS.

Oui, ma fille, c’est moi ; c’est une mère tendre.

Par un écrit exprès, Williams m’a fait entendre

La nécessité de t’aider.

Ils ont cherché, dans leur délire,

Quelqu’un qui pût les seconder

Dans l’art affreux de te séduire.

Inconnue à tous deux, j’ose me présenter.

On m’a tout fait promettre, on vient de m’accepter.

PAMÉLA.

Quel bonheur de vous voir ! Mais le cruel qui m’aime,

Milord me fait garder avec un soin extrême :

Comment le fuir ? À qui pourrai-je avoir recours ?

MADAME ANDREWS.

Tu te trompes, ma fille ; et c’est contre toi-même

Que je viens t’offrir mon secours.

PAMÉLA.

Contre moi, dites-vous ?

MADAME ANDREWS.

Contre toi. Le temps presse :

Tes lettres m’ont appris ta dernière faiblesse.

La dernière surtout m’a fait trembler d’effroi.

C’est ce qui m’amène vers toi.

Je n’y reconnais plus cet air simple et facile,

Ni cet épanchement d’un cœur ferme et tranquille.

De mille mouvements ton esprit agité

N’a plus, comme autrefois, cette noble fierté

Que nous inspire la sagesse.

Prête à te déclarer, tu t’arrêtes sans cesse ;

Je n’y trouve que crainte et que timidité.

Dans cette triste circonstance,

Des feux de ton Amant j’ai craint toute l’horreur,

On ne peut pas aimer avec plus de licence ;

Et j’ai peur que la ruse et l’amour en fureur

Ne ravissent ton innocence.

PAMÉLA.

Votre prédiction ne peut pas s’accomplir.

Quoi ! jusqu’où vous pensez, je pourrais m’avilir ?

MADAME ANDREWS.

L’exemple...

PAMÉLA.

Eh ! que peut faire un exemple coupable ?

MADAME ANDREWS.

On ne sait pas toujours de quoi l’on est capable ?

La misère fait tout.

PAMÉLA.

La misère ne fait !

Que démasquer enfin le fond d’un caractère,

Qui n’a de la vertu que l’apparence austère,

Et qui se montre au jour tel qu’il est en effet.

Pour moi, je me connais ; et vous pouvez m’en croire,

Je sais mieux placer mon bonheur ;

Et je mourrai plutôt que de livrer ma gloire,

Pour vivre de mon déshonneur.

MADAME ANDREWS.

Viens, ma fille, embrasse ta mère ;

Viens, reçois mes transports et mes contentements.

Je reconnais enfin ces nobles sentiments

Qu’autrefois t’inspira ton père.

Mais ton persécuteur a pour toi des appas.

S’il n’use contre toi des plus grands attentats,

Il emploiera la ruse au défaut de la force.

Je sais déjà qu’il veut te prendre à cette amorce.

Quand je me suis fait voir sous ce déguisement,

Le Milord s’est ouvert dans le même moment.

Va la voir, m’a-t-il dit ; peins-lui sa destinée ;

Dis-lui bien qu’elle doit m’appartenir un jour ;

Va jusqu’à la flatter du plus grand hyménée.

Elle m’aime en secret ; affermis son amour.

PAMÉLA.

Eh ! comment sait-il si je l’aime ?

MADAME ANDREWS.

Souvent, sans y penser, on se trahit soi-même.

Quant à son hyménée, il n’y faut pas penser ;

Trop de distance y met un obstacle invincible.

Je crois pouvoir me dispenser

De te désabuser d’un bonheur impossible.

Milord est, tu le sais, trop fier, trop dédaigneux,

Trop plein de sa grandeur, pour vouloir en descendre.

Tu ne peux être à lui que sous un titre affreux.

À ta vertu peut-être il feindra de se rendre,

Afin de triompher plus aisément de toi ;

Car tout semble permis aux Grands : peu leur importe,

Quand ce n’est qu’aux dépens des gens de notre sorte.

Peut-être en viendra-t-il jusqu’à t’offrir sa foi.

Prends-y garde ; il n’est point de présent plus sinistre :

On pourrait supposer des témoins, un Ministre.

PAMÉLA.

Ne me laissez donc pas davantage avec lui.

Je possède une clef ; ce n’est que d’aujourd’hui.

MADAME ANDREWS.

Si tu peux t’arracher de ses bras, prends la fuite.

Tu seras sous notre conduite.

Viens, réunissons-nous. Ton père, qui t’attend,

Ne respire qu’après ce bienheureux instant.

PAMÉLA.

Eh ! bien, cette nuit même est le temps qu’il faut prendre.

Au bout de la prairie ayez soin de vous rendre...

Mais il nous poursuivra.

MADAME ANDREWS.

Tu seras dans mon sein.

Quelle que soit alors l’ardeur qui le transporte,

Je défendrai mon bien centre cet assassin.

C’est mon sang, c’est ma vie. Une mère est bien forte,

Quand on lui veut ravir le fruit de son amour.

Il faut auparavant qu’ils m’arrachent le jour.

PAMÉLA.

Quel transport ! Ma tendresse égalera la vôtre,

Et c’est vous que je vais aimer uniquement.

Oui, le lien du sang l’emporte sur tout autre.

On vient ; c’est lui-même.

 

 

Scène VI

 

MILORD, PAMÉLA, MADAME ANDREWS

 

MILORD.

Comment !

L’aimable Paméla me paraît bien contente.

PAMÉLA.

Son procédé, pour moi, surpasse mon attente.

Oui, je le suis assurément.

MILORD.

Non, non, rien n’est égal à mon expérience.

PAMÉLA.

Elle aura désormais toute ma confiance.

MADAME ANDREWS.

Permettez-moi deux jours d’absence

Pour mes arrangements.

MILORD.

Oui, c’est fort bien penser ;

Mais commençons d’abord par la récompenser.

MADAME ANDREWS.

Il n’en est pas besoin ; elle m’a satisfaite.

Bas à Paméla, en faisant un pas pour s’en aller.

Songe bien que je t’attendrai.

PAMÉLA, bas, à sa mère.

Je vais songer à ma retraite.

Haut.

Adieu. J’espère encor que je vous reverrai.

 

 

Scène VII

 

MILORD, PAMÉLA

 

MILORD, arrêtant Paméla qui veut sortir.

Vous me voulez quitter ?

PAMÉLA.

Daignez me le permettre,

Trop de trouble, à présent, règne dans mon esprit.

Souffrez, pour un moment, que j’aille me remettre,

Et rêver, loin de vous, à tout ce qu’on m’a dit.

MILORD.

Allez donc ; mais du moins revenez au plus vite.

Elle sort. Seul.

Ah ! que je suis charmé du trouble qui l’agite !

Cette femme a bien opéré.

Profitons-en ; jamais je n’ai tant espéré.

 

 

ACTE IV

 

 

Scène première

 

PAMÉLA, seule

 

Grand Dieu ! qu’osent-ils entreprendre !

J’ai surpris leur secret. Hélas ! je viens d’entendre

Le projet criminel qu’on trame contre moi.

On attend que la nuit répande ici ses ombres.

Bientôt, à la faveur des voiles les plus sombres,

L’artifice et la force... Ah ! je tremble d’effroi.

Oui, fuyons. Cette clef rend ma fuite possible.

Elle va pour ouvrir une porte.

Quelle horreur ! On a mis un obstacle invincible...

Williams ne m’a prêté qu’un secours superflu :

Contre moi seule ici le crime a tout prévu.

Quel complot ! quel forfait ! Ah ! ma frayeur redouble,

La terreur me saisit, et ma raison se trouble.

Je ne vois plus qu’objets terribles et confus ;

Je ne sais où je suis ; je ne me connais plus...

Elle sort.

 

 

Scène II

 

MILORD, LA JEWKS

 

MILORD, à la Jewks, en entrant.

Non, elle n’aura point de violence à craindre,

Et ce n’est qu’à m’aimer que je veux la contraindre.

Le dessein en est pris. À quoi tendent mes vœux ?

Laissons plutôt en paix un cœur si vertueux.

Si je me l’attachais par un nœud légitime...

Des préjugés reçus l’emporteront toujours !

Dois-je en être à la fois l’esclave et la victime ?

Pourquoi leur immoler le bonheur de mes jours ?

Mais je ne la vois point. Ah ! soulagez ma peine :

Qu’on cherche dans le parc ; allez, qu’on me l’amène.

La Jewks sort.

 

 

Scène III

 

MILORD, seul

 

Je sais qu’en la voyant j’augmente mon tourment ;

Mais je ne saurais plus m’en passer un moment,

Et sa vue est aussi nécessaire à ma vie

Que l’air que je respire. Ah ! quels combats j’essuie :

Déplorables grandeurs qui me donnez des fers,

Distance à jamais trop cruelle,

Eh ! que me rendrez-vous pour les biens que je perds ?

Non, vous cherchez en vain à me séparer d’elle...

 

 

Scène IV

 

LA JEWKS, MILORD

 

LA JEWKS.

Ah ! Milord... Paméla... Vous avez tout perdu.

MILORD.

Que me dis-tu ?

LA JEWKS.

J’ai vu ; j’en suis toute effrayée...

Paméla ne vit plus.

MILORD.

L’ai-je bien entendu ?

LA JEWKS.

C’en est fait.

MILORD.

Je me meurs !

LA JEWKS.

Paméla s’est noyée.

Tandis que nous étions ensemble à nous parler ;

Elle a pris ce moment... Où voulez-vous aller ?

Milord, épargnez-vous un aspect si funeste ;

Éloignez-vous ; fuyez. Je prendrai soin du reste.

Elle sort.

 

 

Scène V

 

MILORD, seul

 

Barbare que je suis ! sans mon fatal amour,

Tout ce que l’Angleterre eut jamais de plus rare

N’eût pas été réduit à se priver du jour !

J’ai porté dans son sein le coup qui nous sépare.

Ma chère Paméla !... Mes cris sont superflus !

Elle est morte ; et j’avais cessé d’être coupable !

Du plus affreux malheur la cruelle m’accable,

Quand je ne le méritais plus !

Je veux la voir encore.

Il fait quelques pas.

 

 

Scène VI

 

MADAME ANDREWS, MILORD

 

MADAME ANDREWS.

Excusez mon audace,

Je viens pour vous demander grâce,

MILORD.

Laissez-moi. Quel temps prenez-vous ?

MADAME ANDREWS.

C’est la femme d’Andrews. Rendez-nous notre fille.

MILORD.

Vous, la mère !...

MADAME ANDREWS.

Milord, j’embrasse vos genoux.

Ah ! daignez la remettre à sa triste famille.

MILORD.

Que me demandez-vous ? Ôtez-vous de mes yeux...

Mais, non... Frappez un misérable...

Paméla !... Je suis furieux !...

MADAME ANDREWS.

Milord, quel état déplorable...

MILORD.

L’infortunée est morte, et je suis son bourreau.

MADAME ANDREWS.

Je meurs !

MILORD.

Je fus votre fléau ;

Vous serez tous vengés au gré de votre envie.

Paméla m’a laissé son désespoir affreux.

Je sens la même horreur qu’elle avait pour la vie :

La mort va terminer des jours trop malheureux.

Il tire son épée pour se frapper, lorsque Paméla arrive.

 

 

Scène VII

 

PAMÉLA, MILORD, MADAME ANDREWS

 

PAMÉLA.

Ah ! Milord, arrêtez... Ma mère,

Revenez à la vie.

MILORD.

Est-ce vous que je vois ?

PAMÉLA, à sa mère.

Vivez, et retrouvez une fille si chère.

À tous deux.

Que j’ai pensé causer de malheurs à la fois !

Sa mère l’embrasse.

MADAME ANDREWS, à Milord.

Permettez ce transport à ma vive tendresse.

MILORD, à Paméla.

Quel bonheur a sauvé des jours si précieux ?

Quel miracle vous rend à mes pleurs ?

PAMÉLA.

Ma faiblesse.

Après avoir tenté d’échapper de ces lieux,

Ayant manqué mon entreprise,

Alors le désespoir m’a prise ;

Mais sur le bord des eaux, ma terreur, mon effroi,

Le Ciel même, m’ont fait renoncer, malgré moi,

Au parti violent où l’on m’avait réduite.

MILORD.

Plus je l’entends, plus je frémis.

PAMÉLA.

Alors j’ai, pour couvrir ma fuite,

Jeté, dans le vivier, quelqu’un de mes habits ;

Et c’est d’où vient l’erreur qui vous a pu séduire :

Dans la confusion qu’elle devait produire,

Je comptais pouvoir me sauver.

Mon attente secrète allait être remplie ;

Mais je vous ai tous vus en danger de la vie,

Et je n’ai plus songé qu’à vous la conserver.

MILORD.

Oui, je vous dois la mienne, et je vais la reprendre :

Je l’aime, puisqu’elle est l’ouvrage de vos mains.

Vous vivez ; je vous vois ; c’est assez pour me rendre

Le plus fortuné des humains.

MADAME ANDREWS.

Ainsi de vos bontés nous pouvons tout attendre ?

MILORD.

Sans me désespérer, vous n’en pouvez douter.

MADAME ANDREWS.

Hélas ! que n’a-t-il pas pensé nous en coûter ?

MILORD.

Il n’est rien que de moi vous ne puissiez prétendre.

MADAME ANDREWS.

Nos désirs sont bornés : nous ne vous demandons

Que notre Paméla. Le Ciel nous l’a donnée :

C’est pour vivre avec nous qu’elle fut destinée :

Ah ! laissez-nous jouir du plus grand de ses dons.

MILORD.

Que me proposez-vous ?

MADAME ANDREWS.

De nous laisser reprendre

Le cher, l’unique objet de l’amour le plus tendre...

Vous vous attendrissez...

MILORD.

Eh bien, cruelle, eh bien !

Vous ferez satisfaite : il faut vous la remettre.

Oui ; mais auparavant vous voudrez bien permettre

Qu’elle et moi nous ayons ensemble un entretien.

MADAME ANDREWS, bas, à Paméla.

Ah ! surtout, ne perds point de vue

La conversation qu’ici nous avons eue.

Elle sort.

 

 

Scène VIII

 

MILORD, PAMÉLA

 

MILORD.

Des horreurs dont je sors, j’ai peine à revenir :

J’en garderai longtemps le fatal souvenir.

Vous avez voulu fuir... Ah ! laissez-moi poursuivre...

Ne pouvant, dites-vous, briser votre prison,

Paméla, vous avez voulu cesser de vivre.

De grâce, daignez donc m’en dire la raison.

Elle m’importe trop, pour ne pas m’en instruire.

À qui pouvez-vous mieux vous confier qu’à moi ?...

Vous rougissez... Parlez. Qui vous a pu réduire

À cette extrémité ?

PAMÉLA.

L’épouvante et l’effroi.

MILORD.

Eh ! qui vous les causait ?

PAMÉLA.

Vous-même.

Croyez qu’il m’a fallu le motif le plus fort,

Pour mettre dans mon sein ce désespoir extrême.

MILORD.

Moi ! j’ai pu vous porter à vous donner la mort !

PAMÉLA.

Ce dernier entretien qu’à mon sujet...

MILORD.

Je tremble.

PAMÉLA.

Vous avez eu tantôt, vous et la Jewks, ensemble.

MILORD, à part.

Je ne m’en souviens que trop bien.

Haut.

Vous l’avez entendu ?

PAMÉLA.

Que vous conseillait-elle ?

Vous l’approuviez : du moins, vous ne répondiez rien

Au complot que formait, contre moi, la cruelle.

MILORD.

Qui ? moi ! Je n’ai rien répondu !

Vous n’avez pas tout entendu :

Il fallait écouter le reste ;

Vous n’auriez pas jugé comme vous avez fait.

Mes refus, mon horreur pour ce projet funeste,

Sans doute auraient produit sur vous un autre effet.

Votre erreur nous a mis en danger l’un et l’autre.

Pour moi, mon désespoir n’était point apprêté ;

Lorsque vous l’avez arrêté,

Vous l’avez vu, ma perte allait suivre la vôtre.

Ici Milord reste un moment à rêver.

Écoutez, Paméla. Je vais vous étonner...

J’ai toujours fui l’hymen comme un malheur extrême ;

La richesse, le rang, que dis-je ? un trône même,

N’auraient pu me forcer à m’y déterminer.

Je veux des biens d’une autre espèce :

Ce sont les prémices d’un cœur,

Dont je sois le premier et le dernier vainqueur,

Dont tout autre n’eût pu mériter la tendresse ;

Car je suis né jaloux, et même du passé,

Je prétends que mon choix, parfaitement placé,

Fasse envier mon sort à tous tant que nous sommes.

Un bonheur ordinaire est au-dessous de moi ;

S’il n’est unique, il est indigne de ma foi.

À moins que je ne sois le plus heureux des hommes,.

J’en suis le plus à plaindre et le plus malheureux.

J’ai cru qu’on ne pouvait jamais remplir mes vœux.

Vous seule rassemblez tout ce que je désire.

Tel que je suis enfin, c’est maintenant à vous.

À voir si vous pouvez m’accepter pour époux....

Ma proposition semble vous interdire.

PAMÉLA.

Je me sens agiter de mouvements confus ;

Mais ce qui me frappe le plus,

Milord, et ce qui me rassure,

C’est que la probité, la vertu la plus pure,

Dans cette âme si noble a repris le dessus.

MILORD.

Paméla, ce n’est pas répondre.

PAMÉLA, à part.

Voudrait-il encor m’abuser ?

Haut.

Ah ! vos bontés, Milord, ne font que me confondre.

MILORD.

Qui peut mourir pour vous, peut bien vous épouser.

PAMÉLA.

Songez ce que je suis. Non, non, je vous rends grâce ;

Nous sommes séparés par un trop grand espace.

Milord, j’aime trop votre honneur.

MILORD.

Comment ! pour m’assurer le plus rare bonheur,

Je ne franchirais pas des bornes indiscrètes,

Que la nature n’a point faites,

Dont la raison gémit ! Mon choix répond à tout.

PAMÉLA.

Êtes-vous sûr d’avoir toujours le même goût ?

MILORD.

Sans doute.

PAMÉLA.

On n’en est pas le maître.

MILORD.

Mais, Paméla, vous devez être.

Aussi sûre de moi que je suis sûr de vous.

PAMÉLA.

Ah ! les malheurs de l’hyménée

Ne tombent jamais que sur nous.

Il est tant de raisons contre une infortunée

Qu’on tire du néant pour l’élever à soi ;

Mais, au moindre retour sur vous-même et sur moi,

Comment et de quel œil votre gloire jalouse

Vous ferait-elle alors regarder votre épouse ?

Vous rougirez d’un choix qu’on aura méprisé ;

Vous voudrez que le nœud qui vous lie avec elle,

N’eût jamais été fait, ou pût être brisé...

Je ne vous parle point de ma douleur mortelle :

La vôtre est ce qui peut m’intéresser le plus.

Du moins, pour quelque temps, agréez mes refus.

Éprouvez-vous encore, essayez de l’absence :

L’oubli vient plutôt qu’on ne pense.

MILORD.

Ainsi donc, Paméla, si je vous laisse aller,

Vous m’oublierez bien vite.

PAMÉLA.

Ah ! quelle différence !

Eh ! ne me faites point parler.

MILORD.

Achevez, et cédez à ma persévérance :

Je partage avec vous les bienfaits du hasard.

Vous m’apportez en dot la vertu, la sagesse :

En vous donnant à moi, pour prix de ma tendresse,

La grandeur du bienfait sera de votre part.

PAMÉLA.

Je ne sais où j’en suis.

MILORD.

Moment digne d’envie !

Oui, je lis dans vos yeux l’aveu # plus charmant.

Vous permettez enfin que le plus tendre Amant

Reprenne, auprès de vous, une nouvelle vie.

PAMÉLA.

Ah ! Milord...

MILORD.

Pour hâter cet instant précieux,

Je vais faire venir un Ministre en ces lieux.

Que nous faut-il de plus ? Oui, dès aujourd’hui même,

Sans un plus grand concours, et sans tous ces apprêts

Qui n’augmenteraient pas notre bonheur extrême,

Nous nous assurerons un sort si plein d’attraits,

Pour en jouir ici dans une paix profonde.

À cet évènement, dont on sera surpris,

J’espère, par degrés, accoutumer le monde,

Et lui faire approuver le parti que j’ai pris.

Notre félicité, pour être plus parfaite,

N’a pas besoin sitôt d’un éclat indiscret ;

Ainsi, vous voudrez bien que, dans cette retraite,

Notre hymen, pour un temps, puisse rester secret.

N’est-ce pas votre avis ?... Vous changez de visage.

Paméla, quel est donc ce malheureux présage ?

PAMÉLA.

Ah ! je voudrais pouvoir recevoir votre main.

MILORD.

Eh ! quand m’opposez-vous ce refus inhumain ?

PAMÉLA.

Milord, il m’est affreux de ne pouvoir me rendre,

J’en mourrai de douleur.

MILORD.

Je ne puis vous comprendre

Craignez que le dépit vainqueur...

PAMÉLA.

Laissez-moi consulter.

MILORD.

Que voulez-vous me dire ?

En faut-il consulter d’autre que votre cœur,

que devient cet espoir qu’en vos yeux j’ai cru lire ?

PAMÉLA.

Que ne puis-je ?...

MILORD.

Est-ce ainsi que vous y répondez ?

PAMÉLA.

Quel tourment !

MILORD.

Quel sujet vous force à vous dédire ?

Paméla, vous me confondez.

PAMÉLA.

Ah ! Milord, si j’osais... Mais il faut mieux me taire.

MILORD.

Quoi ! toujours des déguisements !

Parlez.

PAMÉLA.

Je crains votre colère.

MILORD.

Vous l’augmentez encor par ces retardements.

PAMÉLA.

Puisqu’il faut, malgré moi, dévoiler ce mystère...

MILORD.

Eh ! bien donc ?

PAMÉLA.

Cet hymen, s’il m’était proposé...

MILORD.

Achevez.

PAMÉLA.

On a craint qu’il ne fût supposé.

Hélas ! je ne pouvais me résoudre à le croire.

MILORD.

Qui peut flétrir ainsi mon honneur et ma gloire ?

On craint. Eh ! c’est vous ! Quelle horreur !

Vous ne m’avez fait voir qu’une feinte tendresse ;

Et quand vous avez vu, par ce dehors flatteur,

Jusqu’où pouvait aller l’excès de ma faiblesse,

Vous venez m’imputer une telle noirceur !

Je retiens, par honneur, ce qu’un affreux délire,

Sur un tel procédé, m’inspire.

Il vous flatterait trop. Mes transports sont passés.

Quelle honte à jamais eût été mon partage !

Il ne me convient pas d’insister davantage,

Vous avez vos raisons : je les méprise assez,

Pour ne pas daigner m’en instruire.

Vous serez prise au mot. J’accepte vos refus,

Oui, je les admets. Rien ne pourrait les détruire.

Partez. À mes regards ne vous présentez plus.

PAMÉLA.

Milord, j’obéirai.

Milord sort furieux.

 

 

Scène IX

 

PAMÉLA, seule

 

C’est ainsi qu’il soupire.

Dès qu’il n’espère plus de pouvoir me trahir,

Son aveugle fureur m’outrage et me déchire ;

Et le cruel ira jusques à me haïr.

Paméla, quel est ce langage !

Un jour affreux me luit. Quel trait vient me frapper !

Je voulais, mais en vain, me cacher à moi-même

Les mouvements secrets de ma faiblesse extrême ;

Je ne cherchais qu’à me tromper.

Cet entretien fatal vient de développer

Le trouble que mon cœur ne pouvait dissiper.

Dans le sein vertueux de ceux qui m’ont fait naître,

Allons chercher ma guérison,

S’il en est temps encore. Ils me rendront peut-être

L’usage infortuné de ma triste raison.

 

 

ACTE V

 

 

Scène première

 

PAMÉLA, seule, en habit de paysanne

 

Exécutons l’arrêt qu’il vient de me prescrire,

Je ne saurais trop tôt m’arracher de ce lieu :

Mais partir sans lui dire un éternel adieu...

Ah ! je serais perdue ! Il pourrait se dédire.

Écartons loin de nous un scrupule indiscret,

Qu’un malheureux amour me suggère en secret.

Ah ! faible Paméla, rappelle ton courage.

Cet instant m’est trop cher pour n’en point faire usage,

Ma mère ne vient point. Puis-je, sans elle.... Hélas...

 

 

Scène II

 

MADAME ANDREWS, PAMÉLA

 

PAMÉLA.

C’est vous : je vous revois, ma mère.

Que votre présence m’est chère !

Allons, précipitons nos pas.

MADAME ANDREWS.

Ah, ma fille !

PAMÉLA.

Ce mot me glace et m’épouvante.

MADAME ANDREWS.

J’en suis encor toute tremblante.

PAMÉLA.

Parlez.

MADAME ANDREWS.

Milord...

PAMÉLA.

Eh bien ?

MADAME ANDREWS.

Milord veut te revoir.

Je redoute la fin de cet instant terrible.

PAMÉLA.

Toujours nouveaux combats : ô Ciel ! est-il possible ?

MADAME ANDREWS.

Qu’il n’ait pas à s’apercevoir

De ton trouble, ni de tes larmes.

Je sens, comme toi, tes tourments ;

Mais, enfin, c’est en ces moments

Qu’il faut que ta vertu te fournisse des armes.

PAMÉLA.

Je sens que je lirai mon devoir dans vos yeux.

Cependant...

 

 

Scène III

 

MILADI, MADAME ANDREWS, PAMÉLA

 

MILADI.

Je croyais mon frère dans ces lieux.

Quoi ! vous ne partez point encore ?

J’en connais la raison, je ne m’y trompe pas.

MADAME ANDREWS.

Permettez que je vous implore.

MILADI.

Madame, qu’êtes-vous ?

MADAME ANDREWS.

Je suis sa mère, hélas !

Et je viens...

MILADI.

Vous venez, vous accourez vers elle,

Pour jouir de son déshonneur.

À Paméla.

Mon frère a donc repris sa malheureuse erreur,

Et sa faiblesse vous rappelle ?

Puisque vous voulez succomber,

Allez chercher le piège où vous voulez tomber.

D’un amour insensé ne craignez point les suites ;

Suivez l’exemple douloureux

De celles qu’avant vous Milord avait séduites.

PAMÉLA.

Il ne me fallait pas cet exemple odieux.

Daignez apprendre mes alarmes.

MILADI.

Non, non, je ne suis point la dupe de vos larmes.

PAMÉLA.

Grand Dieu ! quel est l’excès de mon adversité !

La pitié se refuse à mon sort déplorable.

Hélas ! si vous n’avez un cœur impitoyable,

Ne taxez point mes pleurs d’aucune fausseté,

Il me serait affreux d’en être soupçonnée.

Vous savez qu’en ces lieux je suis emprisonnée.

MILADI.

Je sais que mon frère irrité,

Pour punir votre vanité,

Voulait enfin rompre sa chaîne.

Je vois que, contre vous, sa résistance est vaine.

Jouissez à loisir du pouvoir de vos yeux.

Allez : mais vos remords me vengeront bien mieux,

Que le juste dépit dont je suis animée.

PAMÉLA.

Ainsi l’innocence opprimée,

Suivant ce que l’on est, reçoit ou perd son prix.

La misère avilit la vertu la plus pure.

J’ai cru qu’il suffisait d’en entendre les cris,

Pour toucher l’âme la plus dure.

MILADI.

Qui ne serait frappé de cet air ingénu ?

Je ne m’étonne point, si l’on est prévenu.

De ce qui s’est passé, si je n’étais instruite,

Moi-même je serais séduite.

Mais je veux bien, pour un moment,

Suspendre mes soupçons, et vous croire sincère.

Vous avez entendu les ordres de mon frère.

Vous deviez le quitter. De ce retardement

Comment pourrez-vous vous défendre ?

MADAME ANDREWS.

Ah ! si vous vouliez nous entendre...

Miladi lui fait un signe qui lui permet de continuer.

Déjà ce tendre fruit d’un amour mutuel

S’apprêtait pour jouir, dans le sein paternel,

Des douceurs d’un séjour champêtre, mais tranquille.

Espérance frivole, et projet inutile :

Un ordre de Milord nous retient en ce lieu,

Pour lui dire un dernier adieu.

Ici, Miladi fait un mouvement de surprise.

PAMÉLA.

Et voilà le sujet de mes justes alarmes ;

Voilà le sujet de mes larmes :

Et lorsque je viens à songer

Que son courroux n’était qu’un dépit passager,

Que sa flamme n’est point éteinte,

Que peut-être, écoutant des conseils dangereux,

Il veut avoir recours à des moyens affreux,

Ai-je tort d’en marquer ma crainte ?

Ce n’est pas seulement pour moi

Que je vous fais voir mon effroi.

Je crains peu ses fureurs ; et la mort la plus prompte

Viendrait m’arracher à ma honte.

Je le connais : Milord, au bruit de mon trépas,

À d’inutiles pleurs ne se bornerait pas ;

Ma mort entraînerait la sienne.

Que votre bonté nous soutienne.

MILADI.

Je découvre la vérité ;

Je vois tous les ressorts de votre résistance.

Si l’amour de Milord ne peut être écouté,

Williams emporte la balance.

PAMÉLA.

À qui pourrai-je avoir recours ?

À tant de coups divers pouvais-je, hélas ! m’attendre ?

En vain je cherche à me défendre,

L’injustice et l’erreur l’emporteront toujours,

Il faut donc, à vos yeux, découvrir un mystère,

Que je tenais caché dans le fond de mon cœur ;

Dompter ma honte et ma rougeur,

Pour vous développer mon âme toute entière.

Quelque sujet de pleurs que Milord m’ait donné,

Malgré les plus vives alarmes,

Je n’en voyais pas moins, au travers de mes larmes ;

Les rares qualités dont il était orné.

J’ai cru lui devoir mon estime ;

Mais insensiblement, de l’amour qui l’anime,

J’ai senti naître mon amour.

S’il s’en fût aperçu, ses feux illégitimes

M’auraient mise bientôt au rang de ses victimes ;

Et c’est un secret que j’ai tu.

Mais je crains bien plus ma faiblesse,

Lorsqu’il m’annonce sa tendresse

Sous le voile de la vertu.

Si j’ai, par mes refus, attiré sa colère,

Lorsqu’il semblait s’ouvrir par un aveu sincère,

Miladi, je craignais le péril trop certain,

Où nous conduit toujours un hymen clandestin.

Vous voyez le penchant où je suis entraînée.

Si je le revoyais m’offrir encor sa foi,

S’il revenait encor me parler d’hyménée,

Je ne répondrais pas de moi.

Tandis que dans mon âme il reste assez de force

Pour sentir, malgré cette amorce,

Que je ne puis lui convenir :

Tandis que, me rendant justice,

Je fais à son honneur ce cruel sacrifice,

C’est à vous de nous prévenir.

MADAME ANDREWS, se jetant aux pieds de Miladi.

Daignez nous être secourable.

PAMÉLA, aussi à ses pieds.

Daignez prendre pitié de mon sort déplorable.

Si la tendre amitié vous parle encor pour lui,

Contre lui, contre moi, j’implore votre appui.

MILADI.

Levez-vous toutes deux.

À part.

Cette fille m’étonne ;

Et je ne conçois pas quels tendres mouvements.

Haut.

Conservez, Paméla, ces nobles sentiments,

Et n’appréhendez pas que je vous abandonne.

Que me demandez-vous ? Et quel est le secours...

PAMÉLA, vivement.

Celui de m’arracher au péril que je cours.

MADAME ANDREWS.

Celui de la remettre au pouvoir de sa mère,

Et de la ramener dans le sein de fon père.

MILADI.

J’y consens de bon cœur ; recevez-en ma foi.

Holà, quelqu’un des miens ! Qu’à l’instant on s’apprête :

Partez ; que rien ne vous arrête :

Emmenez Paméla, conduisez-la chez moi.

On emmène Paméla et Madame Andrews.

 

 

Scène IV

 

MILADI, seule

 

Si je ne le voyais, je ne pourrais comprendre

Qu’en un état si bas la vertu pût descendre.

Pourquoi n’est-elle pas l’apanage du rang,

Le signe d’un illustre sang ?

Par un effet triste et bizarre,

Plus on est élevé, plus elle paraît rare.

Milord ; vous, Paméla, que je vous plains tous deux !

Que l’hymen vous rendrait heureux !

Je l’approuverais, et j’en jure,

Cette ardeur que vous ressentez,

Si tant d’aimables qualités

Partaient d’une source plus pure.

Mais nos rangs sont marqués ; et c’est trop balancer :

Non, non ; il n’y faut plus penser.

 

 

Scène V

 

MILORD, WILLIAMS, MILADI

 

WILLIAMS, à Milord, en entrant.

Quoi ! me condamner sans m’entendre !

MILORD.

Je vous l’ai déjà dit ; je ne veux rien apprendre.

À sa sœur.

Où donc est Paméla ?

MILADI.

Vous ne la verrez plus.

MILORD.

Comment !

MILADI.

Elle a suivi mes ordres absolus,

Sous la conduite-de sa mère,

Elle va retrouver son père.

MILORD.

Elle part ?... Elle doit savoir

Que je veux encor la revoir.

MILADI.

Vous vous êtes dompté vous-même.

Après ce triomphe éclatant,

Vous voulez, dans le même instant,

Vous livrer au péril extrême

Où vous entraîneraient de funestes adieux

MILORD.

Ce n’est pas là l’objet qui près d’elle m’entraîne

Non, non, je veux braver le pouvoir de ses yeux,

Je veux lui reprocher son cœur ambitieux,

Et la faire rougir de sa fierté hautaine.

Sa vanité cherchait à briller au grand jour.

Quand on a tant de gloire, on n’a guères d’amour.

MILADI.

Milord veut retomber encore

Aux pieds de celle qu’il adore,

De nouveau lui jurer une éternelle ardeur :

Montrez, comme elle, autant de force et de grandeur,

De son état au nôtre elle sent la distance ;

Et voit, en même temps, que votre amour fatal

Peut former à la fin un hymen inégal.

Pour briser un lien dont votre honneur s’offense,

Elle sacrifie en ce jour

Sa fortune, sa gloire, et même son amour.

MILORD.

Et même son amour !... Est-il vrai qu’elle m’aime ?

MILADI.

Eh ! ne rappelez point l’erreur dont vous sortez ;

Vous vous le devez à vous-même,

À ces nobles aïeux que vous représentez.

L’honneur vous le demande, une sœur vous en prie.

MILORD.

Elle m’aime, elle part ! La fortune ennemie

Viendra l’ensevelir dans un état obscur !

Tout ce que la misère a de triste et de dur

Détruira bientôt tant de charmes.

MILADI.

Milord, dissipez vos alarmes ;

Je veillerai sur ses besoins.

Je cède aux mouvements que la pitié m’inspire ;

Vous pouvez compter sur mes soins :

Je la garde chez moi, puisqu’il faut vous le dire.

MILORD.

Miladi, c’est donc vous qui me la ravissez !

Je n’y survivrai pas ; c’est vous qui m’y forcez.

Vous allez recueillir le fruit de ma victoire.

MILADI.

Ah ! mon frère, avez-vous pu croire

Que jamais cet espoir soit entré dans mon sein ?

J’entrevois vos soupçons ; qu’ils sont déraisonnables !

Si j’avais sur vos biens un coupable dessein,

Vous aurais-je produit cent partis convenables ?

MILORD, d’un air furieux, se retournant vers les gens qui paraissent au fond du Théâtre.

Qu’on s’apprête à partir. Dans ces funestes lieux,

Tout me devient trop odieux.

C’est le séjour de l’horreur même.

Ah ! que l’amour heureux les aurait embellis !

Fuyons ; et que mes fers, et leur horreur extrême,

Y puissent à jamais rester ensevelis !

Mais, que dis-je ? ils suivront partout un misérable.

Le trait a séjourné trop longtemps dans mon cœur,

Pour n’avoir pas rendu ma blessure incurable.

Il me faudra mourir de rage ou de langueur.

Il se promène tout hors de lui-même, et ensuite s’appuie vers la cantonade.

MILADI.

Que vois-je ? quels transports : quel troubles

Mon frère... Ma crainte redouble.

Peut-être il mourrait dans mes bras.

Williams, veillez sur lui ; je reviens sur mes pas.

Elle sort.

 

 

Scène VI

 

MILORD, WILLIAMS

 

MILORD, revenant à lui.

Je ne vois plus ma sœur. Qu’est-elle devenue ?

Je ne m’y trompe pas ; cette fuite imprévue

N’est que pour m’enlever l’objet de mon amour.

Je ne le verrai plus. Qu’ai-je à faire du jour ?

Ma sœur, que vous êtes cruelle !

Mais que m’a-t-elle faite pourquoi me plaindre d’elle ?

Elle sent avec peine, et même avec effroi,

Que je ne puis dompter cette ardeur indocile,

Qui me dévore malgré moi.

Peut-elle voir d’un œil tranquille,

Que, si l’en me laissait au gré de mon destin,

Un hymen inégal achèverait enfin

De mes égarements la preuve manifeste ?

La vérité me force à cet aveu funeste.

Oui, malgré ses vertus, et malgré tant d’appas,

Paméla ne me convient pas.

Ah ! Williams, j’en mourrai !

Il se jette sur un sofa de gazon, et est un moment sans rien dire.

Répondez-moi sans feinte.

Vous savez son secret. Est-il vrai que son cœur,

Blessé des mêmes traits dont je ressens l’atteinte...

Non, je connais trop mon malheur.

Ma faible vanité, mon rang et ma grandeur

Me faisaient croire tout possible...

Comment à tant d’amour était-elle insensible ?

Je pénètre, je vois, et je n’en doute plus,

Elle avait votre amour, et j’avais ses refus.

WILLIAMS.

Oui, Milord, je l’aimais, et je l’adore encore ;

Et j’ai toujours caché le feu qui me dévore :

Mais le trait dont j’étais blessé,

N’avait jamais fait naître un amour insensé.

Cette noble candeur, à nulle autre semblable,

Bien plus que ses appas, me la rendait aimable.

Enfin, si j’étais animé,

C’était d’une flamme épurée,

Malheureusement ignorée.

Et même je serais aimé,

Que, domptant le feu qui m’anime,

Je serais prêt encor à lui rendre sa foi,

Si l’amour inspirait une ardeur légitime

À quelqu’un plus heureux et plus digne que moi.

En disant ce dernier vers, il regarde finement Milord.

MILORD, toujours sur son gazon.

Qu’ai-je entendu, grands Dieux ? Quelle affreuse lumière.

Dans mon âme interdite ont porté ses discours :

Il l’aimait d’un amour vertueux et sincère ;

À de vils attentats il n’avait point recours,

Et tous ses pas étaient guidés par l’innocence :

Quelle leçon cruelle ! et quelle différence !

Le crime seul vers elle avait pu m’attirer.

Malheureux, je l’aimais pour la déshonorer !

Non, non, je suis un misérable ;

Je n’y puis résister ; ce dernier trait m’accable.

Il tombe sur le gazon, comme évanoui.

WILLIAMS.

Milord !... Ah ! je crains pour ses jours !

Je suis seul, et comment lui donner du secours ?

 

 

Scène VII

 

MILADI, PAMÉLA, WILLIAMS, MILORD, MADAME ANDREWS

 

MILADI, au fond du Théâtre, à Paméla.

Non, je ne blâme plus le feu qui le possède.

WILLIAMS.

Miladi, venez à mon aide.

Milord touche peut-être à son dernier moment.

PAMÉLA.

Que vois-je ? Je me meurs !

MILADI.

Dans quel accablement...

Écoutez-moi, mon frère. Ah ! s’il respire encore,

Paméla, c’est vous que j’implore :

Venez le secourir, ne l’abandonnez pas.

Il reverra le jour, en voyant vos appas.

PAMÉLA, en allant à Milord.

Milord !...

À part.

Quelle crainte mortelle !

Milord, c’est moi qui vous appelle

MILADI.

Soyez témoin de nos douleurs.

PAMÉLA.

S’il en est temps encor, répondez à nos pleurs

MILORD.

Quel son de voix touchant me rappelle à la vie ?

MILADI.

De vous-même et de nous prenez quelque pitié.

Une sœur le demande, au nom de l’amitié :

Au nom de votre amour, Paméla vous en prie.

MILORD, à sa sœur.

Paméla !... Moments fortunés !

C’est vous qui me la ramenez ?

Quoi : vous-même ?

MILADI.

Oui, c’est moi, men frère,

À qui votre vie est trop chère

Pour ne pas me prêter à toutes vos erreurs.

Mais ce n’en est pas une, et je lui rends justice.

À l’honneur de mon sang, je fais ce sacrifice ;

Et je reviens exprès pour unir vos deux cœurs.

MILORD, se levant vivement.

Je puis donc revoir la lumière !

Il sera donc encor des jours heureux pour moi :

Il va à Paméla, tendrement.

Voudrez-vous consentir à recevoir ma foi ?

Je ne vis qu’à ce prix.

PAMÉLA, à sa mère.

Vous l’entendez, ma mère.

MILORD.

Je n’en veux plus faire un mystère :

Marquez le temps, le lieu ; vos désirs sont des lois :

Convenez d’un Ministre ; il est à votre choix :

En un mot, ordonnez de mon bonheur suprême.

WILLIAMS, à Milord.

Pour mieux la rassurer, qu’un trait digne de moi

Me rende votre estime, et vous prouve ma foi ;

Je me charge du soin de vous unir moi-même.

MILORD.

Williams, ta générosité

Te met bien au-dessus de celui qu’elle oblige.

Qui pourra m’acquitter ?

WILLIAMS.

Votre félicité.

MILORD, à Paméla.

Craignez-vous encore un prestige ?

MILADI.

Rendez-vous, Paméla ; secondez son ardeur.

MILORD.

Ma main sera le premier gage...

Eh quoi ! vous balancez ? Que faut-il davantage ?

Parlez ; exigez...

PAMÉLA.

Votre cœur.

MILORD.

Ce soupçon m’étonne et m’outrage.

Il est à vous depuis longtemps ;

Vous me l’avez ravi. Quel autre

Brûla jamais, pour vous, de feux plus violents ?

PAMÉLA.

Non, celui que j’avais, ce n’était pas le vôtre.

Un cœur qui se cachait sous un dehors trompeur,

Et qui, comptant sur ma faiblesse,

Ne conspirait, dans son ivresse,

Que ma perte et mon déshonneur.

MILORD.

Ah ! vous avez raison. Ce cœur, que je déteste,

Était, pour vos appas, un présent trop funeste.

Dans des détours obscurs il s’était égaré.

Celui que je vous offre est sincère et fidèle ;

Le vôtre lui sert de modèle,

Et vos vertus l’ont épuré.

PAMÉLA, bas, à sa mère.

Ma mère, mes soupçons commencent à s’éteindre.

MILORD.

Pour ôter tout sujet de craindre,

Aimable Paméla, je vais loin de vos yeux

Chasser l’infâme auteur d’un projet odieux,

Qui n’a que trop flatté mon amour téméraire.

Je commence par-là mon repentir sincère.

PAMÉLA.

La Jewks n’est point coupable autant que vous pensez,

Quels sont donc les forfaits dont vous la punissez ?

Qu’a-t-elle fait de plus que suivre vos caprices ?

Eh ! ces sortes de gens n’ont ni vertus, ni vices.

L’exemple les dirige ; et leur soumission

Dans leur cœur mal instruit porte l’illusion.

MILORD.

Que d’aimables leçons ! Que j’aime à les entendre !

J’obéis ; mais daignez vous rendre.

MADAME ANDREWS.

Milord, nous nous rendons. Couronnez votre ardeur,

Soyez heureux, vous devez l’être.

À sa fille.

Et toi, change d’état ; mais sans te méconnaître.

Dans un si haut degré de gloire et de splendeur,

Sois toujours humble avec décence.

La modestie excuse et fait tout pardonner.

Prends l’esprit de ton rang, et non pas la licence.

Souviens-toi, quelque droit qu’il puisse te donner,

Qu’on peut, dans sa grandeur, conserver l’innocence.

PAMÉLA, à sa mère.

Oui, je la chérirai le reste de mes jours.

Puissé-je ainsi répondre au choix dont on m’honore ;

À Milord.

Et, pour prix de vos feux, les redoubler encore !

Vous plaire et vous charnier n’occuperont toujours.

MILORD.

Venez ; pour obtenir notre bonheur extrême,

Nous avons assez combattu.

Trop heureux de servir moi-même

De récompense à la vertu !

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