Méléagre (Alexandre HARDY)

Tragédie en cinq actes et en vers.

Représentée pour le première fois en 1604.

 

Personnages

 

MÉLÉAGRE

ARISTANDRE

CHŒUR DE PEUPLE

TROUPE DE PAYSANS

PREMIER VENEUR

DEUXIÈME VENEUR

ATALANTE

CHŒUR DE FILLES

THÉSÉE

PIRITHOIS

LYNCÉE

PLEXIPPE

TOXÉE

IDMON

ALTÉE

NOURRICE

CHŒUR

MESSAGER

 

 

ARGUMENT DE CETTE TRAGÉDIE

 

Diane offensée du mépris qu’Oenée, père de Méléagre et Roi de Calydon, avait fait de sa Déité, envoie un sanglier de monstrueuse grandeur, qui ravage tout le pays. Méléagre donc, ne pouvant, ne par vœux envers les immortels, ne par aucune humaine industrie, chasser ce fléau de son pays, a recours aux Argonautes ses anciens compagnons d’armes, qui sous la conduite de Thésée, se résolvent à la conquête du sanglier. Atalante cependant vierge des plus belles, et endurcie au travail de la chasse, se trouve à l’assemblée, avec résolution de participer à la gloire de tel exploit, ils vont de compagnie forcer la bête jusqu’en son repaire, laquelle après une merveilleuse résistance, meurtres d’hommes, et de chiens, est atteinte du dard d’Atalante en la hure ; Méléagre la seconde, donnant le coup mortel au sanglier. La chasse faite, le pris de vaillance d’une commune voix s’adjuge, et se porte à la belle Atalante, ce qui conçoit une telle jalousie d’honneur aux oncles du Roi, qu’ils le lui vont arracher de vive force. La Vierge en fait sa plainte au Roi, qui sur le refus d’une prompte restitution tue ses oncles, épousant Atalante. Ce meurtre offense tellement Altée mère du Roi, qu’elle conspire la mort de son fils, et par le moyen du tison fatal, auquel était attaché le destin de la vie de Méléagre, effectue sa mauvaise volonté, ce qui finit la Tragédie.

 

 

ACTE I

 

MÉLÉAGRE, ARISTANDRE, CHŒUR DE PEUPLE, TROUPE DE PAYSANS, PREMIER VENEUR

 

MÉLÉAGRE.

Fille de Jupiter, Déesse trois fois grande,

Au Ciel, dans les forêts, où Pluton commande,

Diane, désormais fléchible, prends pitié,

D’un peuple, pour son Roi trop longtemps châtié

Bénigne fais cesser ta vengeance effroyable,

Qu’exerce dessus nous ce monstre impitoyable,

Ce sanglier qui remplit la province d’horreur,

Qui d’un monde englouti ne borne sa fureur.

Hélas ! L’impiété du mépris de mon père,

Tes honneurs oubliés alluma ta colère,

Les siens, lui, punis de l’offense à bon droit,

Car qui plus autrement des mortels te craindrait ?

Poursuivre toutefois ne convient pas à celle,

Qu’oblige à la clémence un titre de pucelle,

Saturne des humains dissipe la rancœur,

 Te peut la tienne donc demeurer sur le cœur ?

Même après ne savoir offrande, ni victime,

Qui puisse plus laver l’énormité du crime,

Après mainte hécatombe, outre le sang humain,

Qu’épanche l’animal implacable de faim,

Ô vierge Latoïde, ô puissance première,

À qui nous devons tous la céleste lumière,

Retire ce fléau, qui tache funéreux,

D’un diffame éternel mon règne malheureux !

Ou mon peuple affranchi, détourne sur ma tête,

Les suprêmes efforts de l’outrageuse bête,

Répète sur moi seul, comme plus criminel,

Qui me voue au pays le délit paternel.

ARISTANDRE.

Plus le pilote expert voit s’accroître l’orage,

D’autant sait-il mêler l’industrie au courage,

Sa constance redouble, ainsi que le danger,

Et ne saurait la peur où chez lui se ranger !

Imitez-le grand Roi votre vertu montrée,

En chose digne d’elle à propos rencontrée,

Sans doute qu’on devait selon l’ordre tenu,

Tel malheur du courroux céleste provenu,

N’épargner aucuns vœux, sacrifice, prière,

Capable d’amollir la Dive forestière,

Remèdes appliqués en leur propre saison,

Mais il faut que l’effet succède à l’oraison ;

Quiconque attend oisif l’assistance divine,

Ne la mérite pas, ami de sa ruine,

Sire, il faut employer l’artifice, l’effort,

Qui désire exaucé, mettre le monstre à mort.

MÉLÉAGRE.

Las ! où la Déité nos malheurs favorise,

Toujours trop d’aliment nourrit leur flamme éprise,

On a beau se défendre, on a beau rechercher,

De quoi pouvoir le flux d’un torrent empêcher,

Qui dissipe, qui perd, qui se trouve passage,

Parmi la prévoyance aveugle du plus sage !

Ainsi froisse les dards, les veneurs les rets,

Ce sanglier qui n’a plus son repaire aux forêts,

Qui s’ose impunément jusqu’aux portes des villes,

Exiger un tribut sur leurs troupes serviles ;

L’inévitable parque accompagne ses pas,

Mon Empire, ma gloire envoyez au trépas,

Hé ! Qui jamais eût cru les natures célestes,

Nourrir si longuement des rancœurs si funestes ?

Ô déplorable Prince, ô trop inique sort,

Un peuple apporte ici ses plaintes de renfort.

CHŒUR DE PEUPLE.

Père commun des tiens, Monarque magnanime,

Veuille faire cesser le mal qui les opprime,

Ce mal qui vagabond assiège nos cités,

Prive les habitants de leurs nécessités,

Interdit le commerce, épouvantés de sorte,

Qu’il n’y a contre lui forteresse assez forte,

Que l’horreur de ce monstre empreinte au souvenir,

La province un désert rendrait à l’avenir,

Chacun qui çà, qui là, minutant sa retraite,

Où il la juge en lieu de sauveté distraite,

Or dois-tu vrai pasteur, ton troupeau secourir,

À l’extrême réduit, sur le point de mourir.

MÉLÉAGRE.

Chétifs ! L’affliction vous ôte la prudence,

Telle plainte vers moi coupable d’imprudence,

Qui l’Empire attaqué de voisins ennemis,

Où le juste combat d’homme, à homme, permis,

Dès longtemps, dés longtemps, ma vie abandonnée,

Eusse au bien du pays salutaire donnée,

Mon désir brûle après ce dessein vertueux,

Que le cruel destin me rend infructueux :

Toutefois chers amis, la bonne conscience,

M’assure que dans peu (munis de patience)

Un secours employé qui surpasse l’humain,

Joyeux vous brisera ce servage inhumain,

Et possible premier que le flambeau céleste,

Mais ? Quel spectacle encor nous arrive moleste,

D’une troupe champêtre effroyable de pleurs ?

Indice plus que vrai témoignant ses malheurs.

TROUPE DE PAYSANS.

Plaise à ta Majesté, ne souffrir davantage,

Qu’un fier hôte infernal gâte son héritage,

Plusieurs sans résistance, épars diversement,

Et de qui le travail est le seul pansement,

Désespérez d’avoir toujours perte sur perte,

Sont contraints de quitter la province déserte,

Province que viendra la famine engloutir,

Où nul n’ose l’enclos de ses Lares sortir,

Lares impunément violés à toute heure,

Du monstre carnassier qui fait que chacun pleure,

Qui vient les nourrissons aux mères arracher,

Mortes de ses regards lancés à l’approcher.

Quiconque d’entre nous ose prendre les armes,

Ne faisant rien qu’accroître, la perte, les larmes,

Si qu’au lieu de l’espoir de la blonde Cérès,

Les stériles chardons hérissent nos guérets,

Bacchus sur les coteaux languit la tête basse,

Sans qu’aucun le service accoutumé lui fasse ;

Hélas ! qui le pourrait ? l’image du trépas,

Présente, inséparable, unie à chaque pas.

Rends nous donc, ô grand Roi, la franchise première,

Où te cherche qui plus habite un cimetière,

Pareille extrémité dispense du devoir,

Au cas que ton secours n’avise d’y pourvoir.

MÉLÉAGRE.

Relevez-vous enfants, d’espoir de courage,

Un beau soleil plus gai, va luire après l’orage,

Qui ce foudre pouvait décoché retenir :

Qui des mortels parer aux coups de l’avenir ?

Nul certes, le destin maitre absolu, dispose,

« De l’Empire des Rois, qu’il couronne, dépose,

Sa justice expiant le crime paternel,

Me réserve un courroux de rancœur éternel ;

Désormais elle a pris excessive l’usure,

Ce feu meurt à présent, faute de nourriture,

Autre difficulté plus grande ne me tient,

« À qui du monstre occis la victoire appartient,

Sinon joints d’arrêter sa fuite vagabonde,

Chacun donc vigilant à l’envi me seconde,

Chacun des mariniers le bel ordre suivant,

Patron me reconnaisse à ce grand coup de vent,

Sans murmure obéisse, sans plus entreprendre,

Que ne veut notre oracle, à peine de méprendre.

CHŒUR DE PEUPLE.

Quiconque à ce devoir impieux contredit,

Soit du moteur suprême, des hommes maudit,

Quiconque, épargnera sa fortune, ou sa vie,

Puisse, l’âme aux enfers criminelle ravie,

De mémoire exécrable à la postérité,

Recevoir un supplice éternel mérité !

TROUPE DE PAYSANS.

Bien que notre industrie à cultiver la terre,

L’usage n’ait appris des outils de la guerre,

Propres à conquérir ce brutal ennemi,

Nul pourtant ne voudrait paraître homme à demi,

Nul, où la Majesté du Prince se hasarde,

Montrer d’aucune peur l’apparence couarde,

Plus digne occasion ne se peut onc offrir,

Plus digne, où le trépas, volontaire souffrir.

MÉLÉAGRE.

Telle émulation de vertu me contente :

Or préparez ensemble à une brève attente,

Chacun paisiblement se retire chez soi,

Nos veneurs de retour à propos j’aperçois,

Qui possible auront mieux la bête reconnue,

Comme tout au labeur cède à la continue,

Et bien ? quelle nouvelle, avons-nous découvert

Un chemin désormais à la victoire ouvert ?

PREMIER VENEUR.

L’animal effroyable en son espèce énorme,

Surpasse des sangliers la nature, la forme,

Qui ne saurait de l’œil être assez admiré,

Haut, quartanier, plus, ouï bien plus que miré,

Sa hure une forêt ombrageuse ressemble,

N’étant à son mouvoir si brave qui ne tremble,

Dessous chaque paupière un tison furieux,

Toujours étincelant lui compose les yeux,

Quelque chêne vieillard qu’imprime sa défense,

S’ensuit comme du foudre une mortelle offense,

Nous-mêmes l’avons vu par manière d’ébat,

Déchirer un lion agresseur du combat,

Son souffle, bruit plus fort qu’une forte tourmente,

Et jadis le pareil es forêts d’Erymanthe ;

Sous Alcide broncha ce demi-dieu vainqueur,

Que le Tonnant fournit de forces, de cœur.

MÉLÉAGRE.

Préoccupez d’effroi, ce rapport peu fidèle,

Ne touche au principal du soin qui me martèle,

Sur les bauges instruits, ou sur l’endroit celant,

(Repaire accoutumé) l’animal violent,

Nul n’ignore que là gît le nœud de l’affaire,

Qu’il faut voir l’ennemi, premier que le défaire.

DEUXIÈME VENEUR.

Hors du cours naturel, conçu prodigieux,

Chaque action chez lui nous éblouit les yeux,

Aucuns secrets appris du métier de la chasse,

Non quand un Orion tiendrait la même place,

Ne le reconnaitrait qui vague sans égard,

Et gîte, où sa fureur s’adonne de hasard.

MÉLÉAGRE.

L’œuvre laborieux ma présence demande,

Bel œuvre qu’à un Roi la piété commande,

Œuvre dont j’aime mieux la gloire disperser,

Que de ne rien étreindre à force d’embrasser :

Aristandre, va donc exercer ta faconde,

Chez la fleur des vaillants qui décore le monde,

De ces preux Myniens, qui la riche toison,

Conquirent avec moi au Thessale Jason :

Accepte Ambassadeur un offre magnanime,

D’affranchir le pays du fléau qui l’opprime,

Accepte nécessaire un secours étranger,

À qui ma main première écarte le danger,

À qui l’extrémité communique ma gloire,

Honteux qu’une si basse, brutale victoire,

Profane la valeur des fils de Jupiter,

Mais le destin nous veut jusques-là maltraiter.

ARISTANDRE.

Un prince vertueux n’obscurcit sa louange,

Où la nécessité à ce party le range,

D’employer les amis capables reconnus,

Et ne lui en sont pas ses peuples moins tenus,

Qui moissonnent le fruit d’une volonté bonne,

Qui le voient premier aux effets en personne ;

Ainsi le bon pasteur contraint réclamera,

La troupe des voisins qui prompte s’armera,

Et du loup combattu la gloire lui demeure,

Bien qu’accablé parmi la multitude il meure :

Sire, pareil honneur ce bel exploit attend,

Or vais-je du devoir enchargé m’acquittant.

MÉLÉAGRE.

Afin que l’entreprise heureuse nous succède,

J’entends qu’un sacrifice à Diane précède,

Seule propiciable entre les immortels,

Que mainte pure hostie aurrouse ses autels :

Sans désister, avant qu’es entrailles on lise,

Un signe favorable à la chasse entreprise :

Vous autres derechef, prompts, vigilants,

Ce foudre découvert, à ses pas violents,

Toute difficulté, toute demeure ôtée,

Ne faudrez de donner l’adresse souhaitée,

Quiconque plus expert fera mieux son devoir,

Un salaire royal certain de recevoir.

                                                                                                         

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

ATALANTE, CHŒUR DE FILLES

 

ATALANTE.

Compagnes, n’estimez qu’où la gloire convie,

Je refuse jamais de prodiguer ma vie,

Atalante chez elle a pris son élément,

Si bien qu’on ne l’en peut séparer nullement,

L’aiguille, le fuseau, féminins exercices,

Où comme d’autres font courtiser les délices,

Non, certes, notre humeur n’y saurait consentir,

Oisive ne saurait ces sereines sentir,

Sous ne sait quel aspect généreusement née,

Depuis l’âge plus tendre à la chasse adonnée,

Que Diane endurcit aux robustes ébats,

Qui parfois les lions affrontés mettent bas,

Qui m’obtiennent après la Déesse un Empire,

Des hôtes bocagers, seul bonheur où j’aspire.

Quelle apparence donc, un brave los acquis,

De ne prétendre pas à ce laurier exquis ?

Laurier que ne dispute une ignoble commune,

Mais la fleur des guerriers, qui fut malgré Neptune,

Jusqu’aux bords Phasiens conquérir la toison :

Résolue, ma gloire est ma seule raison,

Qui ne trouverait onc objet plus digne d’elle,

Qui vous veut consacrer un vertueux modèle,

Ou succombant au faix, n’importe, mon trépas,

Sans honneurs immortels ne demeurera pas.

CHŒUR DE FILLES.

Merveille de nos jours, que l’univers adore,

Phœnix que la vertu ne saurait plus éclore,

Réprime ce désir tes forces excédant,

N’obscurci la clarté du renom précédent.

Téméraire tenter l’impossible n’apporte,

Qu’un honteux repentir au dessein qui avorte,

Consulte ta prudence, ô Vierge derechef,

Premier que d’encourir le suprême méchef,

Ce monstre qui les cœurs plus généreux effraie,

À qui tout un pays tantôt demeure en proie,

T’engloutirait, ainsi que le lion cruel,

Quelque biche légère opposée en duel.

ATALANTE.

La grandeur du péril m’augmente le courage,

Qui souvent les sangliers à l’écumeuse rage,

Transperce raides morts sur l’herbage étendus,

Peu, ou point, de mes dards inutiles perdus,

Un populaire bruit le figure indomptable,

Sujet qui me le rend beaucoup moins redoutable,

Car ce fangeux amas s’épouvante d’un rien,

De ma part incrédule à l’épreuve je viens.

CHŒUR.

Hélas ! mille ont passé l’irrépassable fleuve,

Qui trop aventureux firent la même épreuve,

Qui vous servent d’exemple, dussent empêcher,

De perdre ce qu’on tient au monde le plus cher.

ATALANTE.

« Cloton mire plutôt la personne couarde,

« Que celle qui sans crainte au péril se hasarde.

CHŒUR.

Au soldat furieux conviennent ces propos,

Une Vierge ne doit chérir que le repos.

ATALANTE.

« La vertu paraît mieux en une âme débile,

« Quand elle vient à bout d’un exploit difficile.

CHŒUR.

« La vertu paraît mieux quand sage on se contient,

Et que dessous son joug la nature nous tient.

ATALANTE.

Erreur de l’estimer marâtre, qui défende,

À nous autres l’effet d’une entreprise grande.

CHŒUR.

Qui croira que jamais l’amoureuse Cypris,

Ait le métier de Mars homicide entrepris ?

ATALANTE.

Qu’aux simples animaux ma guerre ne s’adresse,

Où peu d’autres possible égalent mon adresse.

CHŒUR.

Mais ici le danger surmonte le plaisir,

Que légitime on doit à la chasse choisir.

ATALANTE.

Ce bras l’écartera, Diane réclamée,

Propice Déité qui m’a toujours aimée,

Qui me ramènera le front ceint de laurier,

Adieu, l’heure m’appelle à cet ébat guerrier.

CHŒUR.

Ô vaine ambition, pernicieuse audace,

Qui hérisse mon chef, les veines me glace !

En la perdant, mes sœurs, notre chaste troupeau,

Perd ce qu’il eut jadis d’admirable, de beau,

Pareilles désormais au rosier qu’on méprise,

Sa plus vermeille fleur du Syrien surprise.

Demeure opiniâtre, ne te veuille pas,

De louange affamée apporter le trépas :

Sourde, un tan généreux la semble forcenée,

Pousser bon gré, mal gré, devers sa destinée,

Si que ne pouvant plus autre chose de mieux,

Que le zèle dans l’âme, les larmes aux yeux ;

Implorer ta grandeur, ô claire Cynthienne,

Qu’ores de son salut quelque souci te tienne,

Conserve-là, Déesse, franche de méchef,

Nos saints vœux exaucés lui couronne le chef.

 

 

Scène II

 

THÉSÉE, MÉLÉAGRE, PIRITHOIS, LYNCÉE, PLEXIPE, TOXÉE, ATALANTE, VENEUR

 

THÉSÉE.

Venus à ton secours, juge si telle bande,

Peut le monstre défait accomplir ta demande,

Juge si chez Neptune, ou chez le Roi des morts,

Aucun se trouverait digne de ses efforts,

L’univers me connaît leur fléau redoutable,

Pourquoi donc employer que ma dextre indomptable ?

Thésée combattant, reposez-vous amis,

Fussent les infernaux, les Cieux ennemis,

Ma dextre se promet une victoire entière,

Ou je perdrai vaincu l’honneur, la lumière,

Les perdre en un exploit qui peu laborieux

Semble notre pouvoir blesser injurieux.

MÉLÉAGRE.

À mon grand déshonneur la rancune céleste,

Paraît en ce seul point plus inique, moleste,

M’afflige malheureux davantage, réduit,

À me tenir vaincu de l’ennemi qui fuit,

M’implorer du secours sans moyen, sans espace,

D’opposer son courage à ce foudre qui passe :

Autrement Jupiter, tu me seras témoin,

Que jà vainqueur, ou mort les armes dans le poing,

La pointe du péril emporterait élevé,

Ma première louange aux neveux impollué :

« Quiconque à ce sujet refuse le trépas,

« Trahit le nom de Roi qu’il ne mérite pas.

PIRITHOIS.

Monarque Ætolien ta valeur indomptée,

Au suprême degré de la gloire montée,

Ne se peut révoquer en doute nullement,

Chez ceux que même aspect influé également,

Chez ceux que tu as eus compagnons de fortune,

Quand la première nef triompha de Neptune,

Nous savons que la peur de ta présence fuit,

Qu’un brutal adversaire en trahison te nuit ;

Or me ferai-je fort sa retraite connue,

De lui clore les yeux d’une éternelle nue,

Ton labeur épargné brave Cecropien,

Le chef d’œuvre second du père olympien.

LYNCÉE.

Pourvu que sûrement conduit dessus ses erres,

L’épaisseur des forêts, ne distance de terres,

Ne ruse, que saurait l’animal employer,

Mon œil qui perce tout ne saurait fourvoyer.

Découvert une fois, au péril de la tête,

Lyncée ose piéger certaine sa conquête,

Du plutôt que miré, que reçu pour objet,

Diane l’abandonne à la Parque sujet.

PLEXIPE.

Entre ces clairs soleils de vaillance guerrière,

L’honneur ne nous permet de demeurer derrière,

Unis à la couronne, à qui le même sang,

Peut selon l’ordre un jour donner le même rang :

Mon frère, que chacun destine là sa vie,

D’une gloire en la mort immortelle suivie.

TOXÉE.

Le cheval généreux en la plaine piquer,

Est sa peine, dit-on, superflue appliquer,

Ainsi, n’ai-je besoin, qu’exemple ou que langage,

Autre que le devoir à ce combat m’engage ;

Heureux si le pays épreuve mon amour,

Que qui me le donna me répète le jour.

THÉSÉE.

Telle émulation de bien faire, m’assure,

Comme acquise déjà notre victoire sûre,

Que n’exécuterait en sa guerrière ardeur,

Une troupe qui n’est que gloire, que candeur ?

Reste à ne la laisser oisive davantage,

Savoir user du temps est un grand avantage.

MÉLÉAGRE.

Les veneurs attendus, qui sur certain rapport,

Découvrent du sanglier le plus habile abord,

Qui guident l’assemblée aux bauges reconnues,

Les relais disposés dessus les avenues,

Chacun avisera de se mettre en devoir ;

Mais, quelle Déité maintenant nous vient voir,

La trousse sur le flanc, à Diane pareille ?

Ce poil d’or crépulu, cette face vermeille,

Figurent Atalante, hé ! qui t’amène ici,

Beauté l’honneur du monde, des Cieux le souci ?

ATALANTE.

Sur ce qui se passait naguères avertie,

Un désir glorieux me fait de la partie,

Prête à montrer que m’a l’expérience appris,

Et que Vierge, parmi tant d’hommes de grand prix,

Atalante, chez eux mérite quelque place,

Qui d’un sexe craintif l’ordinaire surpasse,

Qui conjoint le courage à la dextérité,

Posons que ce lui fût au pis témérité,

Sire, l’affection qui pure vous la donne,

Ne se peut, ni se doit, dédaigner de personne.

MÉLÉAGRE.

Non, certes ton secours amène dans ces yeux,

Le vainqueur enchainé du Monarque des Cieux,

Amène de renfort les amours les grâces,

Avec leur moindre effort le monstre tu terrasses,

Tu charmes sa manie, ne faut autre dard,

Autre chasse, autre rets, qu’un amoureux regard.

ATALANTE.

Ce bras décochera, non l’œil, chose solide,

Capable d’arrêter sa fureur homicide.

THÉSÉE.

Tu me prêteras donc assuré le couvert,

En cas que le péril menace trop ouvert.

ATALANTE.

Les plus petits buissons parfois portent ombrage,

Tel se moque, qui peut s’aider de mon courage.

PIRITHOIS.

Vaincre les cœurs humains suffit à ta beauté,

Ailleurs à mon avis nouvelle en cruauté.

ATALANTE.

Une chaste Déesse imitable modèle,

M’apprend la cruauté, je ne la tiens que d’elle.

LYNCÉE.

Poursuivre le chevreuil, ou la biche, ou le daim,

Sont ébats familiers que demande ta main,

Non l’extrême péril de la chasse présente,

Où la dextre plus forte à peine est suffisante.

ATALANTE.

Ma faiblesse, parfois ne laisse sans secours,

D’abattre à coups de traits les lions, les ours,

Plus obstinée alors, plus ardente de gloire,

Où l’énorme danger balance la victoire.

MÉLÉAGRE.

Ne vous émerveillez, son courage dément

Ce beau teint délicat, doux, fatal aimant,

Incapable de crainte, à la chasse nourrie,

Elle s’est jusques-là généreuse aguerrie,

Qu’autre veneur jamais n’a plus de gloire acquis,

N’a plus dans les forêts de dépouilles conquis.

THÉSÉE.

Viens donc à la bonne heure Amazone accomplie,

Et ne t’éloigne pas de moi je te supplie,

Qui serai ton bouclier, ton appui, ton rempart,

Qui fournirai la force où tu prêteras l’art.

ATALANTE.

Me dévore le monstre, avant que telle honte,

À l’honneur entamé d’Atalante s’affronte,

Paravant que de crainte elle recule un pas,

La puisse prévenir le plus âpre trépas.

MÉLÉAGRE.

Regarde néanmoins à ne priver nature,

Du Phœnix qui s’éteint dedans ta sépulture,

Ne laisse de beautés orphelin l’univers,

Amour verrait adonc son Empire à l’envers,

Ta perte me tient lieu de la perte d’un monde,

Fais donc que le courage à la force réponde,

Ne prodigue ta vie, ou veuille désister,

J’aperçois nos veneurs, il n’y a que douter,

Quelle nouvelle enfants ? Une dernière quête,

Nous peut-elle montrer les erres de la bête ?

VENEUR.

Sire, grâces aux Dieux, ma vigilance a fait,

Qu’on tire du repaire un indice parfait,

D’embuscade caché dedans l’épais feuillage,

D’un vieil chêne au bois même, où l’ennemi saccage,

Devers le point du jour sorti pour vermeiller,

Bien deux arpents de terre on lui a vu fouiller,

De là courir brigand les campagnes voisines,

Sur hommes, troupeaux, exercer ses rapines,

Puis le soleil jà haut, superbe revenir,

Au creux d’une spélonque affreuse se tenir,

Mille buissons autour en défendent l’approche,

Sa profondeur étrange occupe une grand roche,

Toutefois on pourra le forcer là dedans,

À coups d’épieux, de dards, avec flambeaux ardents.

THÉSÉE.

« Sus amis, la vertu partout se fait passage,

Chacun paroisse ici témérairement sage,

Se hâte lentement, ne prenne le soin,

Que de suivre conduit mon exemple au besoin.

MÉLÉAGRE.

Conjoint à ta valeur, divine, inséparable,

Octroyez-moi, bons Dieux, ce destin favorable,

Que victime reçue, autre chef que le mien,

Ne rende à ce pays le bonheur ancien,

Faites que mon trépas lui rachète la vie,

Une sainte justice à cela vous convie :

Or allons sur les lieux du combat disposer,

Et nos hommes selon l’occurrence poser.

                                                                                                         

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

CHŒUR, MESSAGER

 

CHŒUR DE PEUPLE.

Épanchons à ce coup, le sein mouillé de larmes,

Les genoux contre terre, l’âme dans les Cieux,

Une prière, afin de revoir nos gendarmes,

Ce fier monstre vaincu, le laurier sur les yeux.

Car, hélas ! Autrement sa brutale manie,

Nous chasse vagabonds hors du natal séjour,

Et faut bon gré, mal gré, fuir telle tyrannie,

Qui se veut conserver la lumière du jour.

Deux grands peuples détruits, sans ordre, sans conduite,

Iront par l’univers à la merci du sort,

Éprouver les travaux d’une éternelle fuite,

Et mourir mille fois en redoutant la mort.

Hélas ! hé ! le moyen, que ces âmes chétives ?

Qu’un peuple de vieillards, de femmes, d’enfants,

Passassent pêle-mêle, aux étrangères rives,

Et pour les prolonger n’accourcissent leurs ans ?

Détourne ce méchef Déesse, qui présides,

Au Ciel, dans les forêts, au Royaume vain,

Termine en ton courroux ces fureurs homicides,

La victoire emportée est un coup de ta main.

Si tu le fais ! ô claire ! ô belle Délienne,

Une pure hécatombe offerte à tes autels,

Ne doute que chez nous ta Déité n’obtienne,

Une première gloire entre les immortels.

De riches jeux de prix, célébrés chaque année,

Jusqu’à la fin du monde honorent ce bienfait,

Mais quelqu’un survenu sait notre destinée,

Bonne ou mauvaise, ainsi que la chasse aura fait.

MESSAGER.

Citoyens, qu’on élève un long Io de joie,

Le monstrueux sanglier demeure notre proie,

Une brave pucelle, la valeur du Roi,

Remettent l’assurance où habitait l’effroi.

CHŒUR.

Qu’aujourd’hui le pays affranchi du servage,

On ne redoute plus son impiteux ravage ?

Possible, flattes-tu nos malheurs d’un faux bruit.

MESSAGER.

Oculaire témoin au spectacle introduit,

J’ai vu le porc, fournir la meute de curée,

Onc chose ne sera, ne fut plus assurée.

CHŒUR.

Ô Déesse, l’honneur des nocturnes flambeaux,

Qui compasses nos mois, qui modères les eaux,

Tu as ouï les cris d’une troupe innocente,

Tu veux que ton secours à présent elle sente,

On te doit la victoire, on te doit désormais,

Unique tutélaire invoquer à jamais :

Or telle histoire ami, t’oblige commencée,

Au discours poursuivi de la chasse passée.

MESSAGER.

Le repaire du monstre horrible découvert,

Précipice semblable à quelque gouffre ouvert,

Cette fleur de guerriers demi-dieux l’environne,

Et la place à chacun de combattre se donne,

Puis les chiens découplés un bruit monte à la fois,

De piqueurs, de chevaux, d’armures, d’abois ;

Le Ciel en retentit, la terre épouvantée,

Croit Atlas succomber sous sa charge éclatée,

L’indomptable Ægeide, notre Roi premiers,

Sur l’indice certain que donnent les limiers,

Entrent à corps perdu dans la grotte profonde ;

Une troupe de près leur courage seconde,

À force de flambeaux on fend l’obscurité,

Pour tirer au combat l’animal irrité,

Qui s’élance dehors plus léger que le foudre,

Hommes, chiens, ensemble atterre sur la poudre,

Si que les plus hardis commencent à blêmir,

Qui lui voient le feu de la gueule vomir,

Que sa peau, qui des dards ne redoute l’injure,

Inutiles reçus les émousse plus dure :

Sorti, l’enceinte accroît sa rage tellement,

Que peu l’osent en front regarder seulement,

Méléagre qu’époind cette Royale envie

D’affranchir ses sujets, ou de perdre la vie,

Rejoint le porc fumeux, r’encourage les siens,

Commande à point nommé qu’on relaie les chiens,

Il encoche sur l’arc une flèche pointue,

Atalante d’ailleurs hâtive s’évertue,

En faveur d’un gros orme attend ferme venir

L’homicide, qui veut son garrot prévenir,

Dans la hure assené, tout le têt en resonne,

L’animal jusqu’alors indomptable s’étonne.

CHŒUR.

Tu t’es tantôt mépris ou te méprends, je crois,

Qui disait ce chef-d’œuvre appartenir au Roi.

MESSAGER.

Patience, à l’instant lui-même un coup desserre,

Qui l’ébranlé Colosse entraine contre terre,

Coup, que ne pouvait mieux Apollon décocher,

La flèche dans le cœur venant droit se ficher :

La chute fait un bruit, comparable à la mine,

Qui l’orgueil d’une tour précipite en ruine,

Ou comme quand le foudre apaise son courroux,

Sur un haut chêne atteint, la gloire de ses coups.

Imaginez qu’adonc la neige plus menue,

Sur les monts Apennins ne tombe de la nue,

Qu’une grêle de dards l’enveloppe couvert,

Mort, son gosier demeure encor de rage ouvert,

Nos chiens intimidés semblent craindre son ombre,

Et n’osent l’approcher, quoiqu’infinis de nombre ;

Que tel heureux rapport vous satisfasse amis,

Séjourner davantage ici ne m’est permis,

Qui m’en vais faire ouvrir le palais, les temples ;

Où ce jour produira témoignages plus amples,

D’une joie accomplie, d’une liberté,

Que revoit le pays tel nuage écarté.

CHŒUR.

Suivons, suivons ses pas, qu’à foules publiques

On pousse dans le Ciel mille pieux Cantiques,

Mille actions de grâce, à redire en l’honneur,

Des organes choisis qui causent ce bonheur.

Preux Monarque, aujourd’hui la vertu te couronne,

Sa dextre d’un laurier tes temples environne,

Tu t’acquiers aujourd’hui l’empire de nos cœurs,

Et l’oubli ne peut plus sur tes gestes vainqueurs,

Ni sur les tiens aussi, belle vierge guerrière,

Qui de notre soleil précèdes la lumière,

Et qui mériterais sa pudique moitié,

L’étreindre sous un nœud de jugale amitié,

Afin que quelque jour Lucine réclamée,

Perpétua chez nous une suite germée

De Princes valeureux, qui de leurs devanciers,

Fussent au sceptre autant qu’en vertus héritiers.

 

 

Scène II

 

MÉLÉAGRE, THÉSÉE, PIRITHOIS, LYNCÉE, PLEXIPE, TOXÉE, IDMON

 

MÉLÉAGRE.

Après ce haut exploit, martiale assemblée,

Qu’un doux calme a rassis ma province troublée,

Qu’au prix de vos labeurs le monstre gît éteint,

Qu’à la perfection de ses vœux ont atteint,

L’allégresse à son tour veut régner successive,

Veut que de sa moisson la vertu ne se prive,

Thésée à ce sujet, comme l’astre brillant,

Capable de guider un troupeau si vaillant,

Ordonne souverain, disperse à la victoire,

Ce que tu sais chacun mériter en sa gloire :

Le premier en honneur, nomme, désigne après,

Ceux que tu jugeras te suivre de plus près ;

Pareille économie entre tes mains remise,

Tu t’obtiens dessus tous toute chose permise,

Ma couronne, mes biens, salaire destinés,

Où rémunérateur tu les auras donnés.

THÉSÉE.

Révoquer du Soleil en doute la lumière,

Et à qui de l’ébat la louange première,

Ne sont que chose même, autre certes que toi,

N’emporte de vainqueur le titre, ni de Roi ;

Ton courage éprouvé te mérite l’Empire,

Que si quelqu’un de suite au second prix aspire,

La belle chasseresse, un prodige à mes yeux,

Élève son renom plus outre que les Cieux ;

Ne l’admirerait-on, d’adresse, de courage ?

Qui première au péril tant qu’a duré l’orage,

Réprima du sanglier la brutale fureur,

Car ce coup ne sent rien d’imprudence, ou d’erreur,

Tel coup incomparable, heureux, me fait honte,

Tel coup quoique vu, ma créance surmonte,

Désormais le lion craindra le cerf peureux,

Puisqu’une fille exploite un fait si valeureux.

MÉLÉAGRE.

Fait qui ravit mon âme en merveille profonde,

Et qui l’offenserait d’une gloire seconde,

Fait bien considéré qui surpasse l’humain,

Non, Diane a voulu se servir de sa main,

Si que ne lui céder la primauté j’estime,

Commettre irrémissible un sacrilège crime :

Mon suffrage de gré lui transporte ce droit,

Qu’aucun à son mérite envier ne voudrait,

Joint que fort peu d’honneur couronne l’entreprise,

Où qu’il n’est question que d’une bête prise,

Sujet indigne à ceux qui dessous le Dieu Mars,

Foulent mille lauriers plus beaux en mille parts.

PIRITHOIS.

La vertu ses effets n’exerce moins entière,

Dessus l’une jamais que sur l’autre matière,

Où la difficulté se compare au danger,

Qu’un monde ne pouvait en armes étranger,

Où l’extrême valeur témoigne le courage,

Où d’un énorme monstre on étouffe la rage,

Sans doute le renom s’égale glorieux,

À celui qui d’ailleurs s’acquiert victorieux,

Ainsi l’Hydre aux marais Lernéans étouffée,

Alcide ne s’impute à un moindre trophée,

Que le Lybique Anthée, ou Gérion défaits,

Ainsi tort, grand Monarque à ta gloire tu fais.

MÉLÉAGRE.

La chose plus que moi regarde une Atalante,

En tout ce qui se peut désirer excellente,

Sa victoire à la mienne a frayé le sentier,

Car depuis le berceau la chasse est son métier,

Aucun veneur n’eut onc pareille expérience ;

Une mâle vigueur pratique sa science,

Pourquoi représenter ce que chacun sait bien,

Son coup dessus le monstre a mesuré le mien.

LYNCÉE.

Dis mieux que son éclair ton tonnerre précède,

Ou que ta courtoisie à sa beauté le cède,

Ou que l’affection loin de ce prix vainqueur,

Consacre volontiers à ses grâces ton cœur.

PLEXIPE.

Voilà sonder le vif d’une invisible plaie,

Et d’un los excessif l’origine trop vraie,

Quelque adresse conjointe à la nécessité,

Mérite qu’on la loue avec médiocrité,

Non de sorte pourtant, que l’ignare commune,

Défère tout l’honneur à sa bonne fortune,

Ta vaillance tenue incapable d’avoir,

Sans un bras féminin le monstre en ton pouvoir.

TOXÉE.

Le grand astre du jour ne voit chose plus vaine,

Que ce sexe n’ayant nulle borne certaine ;

Et plus que de raison la bonde lui lâcher,

Coûte à notre indulgence aucune fois bien cher.

MÉLÉAGRE.

Quelque homme ambitieux qui brigua de salaire,

Sous un mauvais dessein la faveur populaire,

Donnerait à penser, où elle nullement,

Qu’un désir de louange anime seulement.

THÉSÉE.

Ôtez à la vertu pareille récompense,

Un juste crève-cœur de servir la dispense,

Elle ne porte plus ses agréables fruits

Dedans le champ ingrat de l’envie produits.

PIRITHOIS.

Ajoutez, que l’exploit admirablement rare,

Obtiendrait son guerdon voire du plus barbare,

Mais ici le chemin plus facile à tenir,

Est, sauf meilleur avis, qu’on la fasse venir,

Célébrer à l’envi sur la palme obtenue,

Sa récompense prête à même heure tenue,

En quelque privilège, ou remarque d’honneur,

Ainsi la comblez-vous de joie, de bonheur.

PLEXIPE.

Ô ! qu’elle saura bien sans qu’autre en ait la peine,

Sa louange, soudain pousser à forte haleine,

Le salaire de suite à point nommé requis,

Que sa présomption jugera plus exquis.

MÉLÉAGRE.

Une pluralité de suffrages suivie,

Contre tout ce qu’en vain répliquerait l’envie,

Ma gloire du combat lui transporte sa part,

L’as tu point vue Idmon, paravant le départ ?

IDMON.

Oui, Sire, m’a prié de l’excuser, si lasse,

Que ses faibles genoux tremblotants sur la place,

Une sueur perleuse arrosait le vermeil,

Du visage amoureux de ce jeune soleil !

Tu vois (m’a-t-elle dit,) que l’extrême contrainte,

Me tire sans congé d’avec leur troupe sainte,

Et le rapporteras fidèlement au Roi,

Si par cas d’aventure il s’informe de moi.

MÉLÉAGRE.

Va la trouver portant la hure couronnée,

Du monstrueux sanglier à sa valeur donnée,

Ces mots précèderont : belle Nymphe, reçois,

L’honorable présent qui tient compris en soi,

Ta vertu, qu’une troupe immortelle préfère,

Et à qui notre Roi le triomphe défère,

Tu l’appendras au temple, offrande si tu veux,

De la triple Déesse exorable à tes vœux,

Après, tourne légère au palais attendue,

Une solennité jusqu’alors suspendue,

Qui te comble d’honneur, de contentement,

Or sus, vois d’acquitter ta charge promptement.

IDMON.

Sire, l’affection me donnera des ailes,

Mercure député de si bonnes nouvelles.

MÉLÉAGRE.

Nous, l’hommage rendu que désirent les Cieux,

Du festin, passerons au repos gracieux.

 

 

ACTE IV

 

 

Scène première

 

PLEXIPE, TOXÉE

 

PLEXIPE.

Tel affront enduré mon frère, nous ne sommes,

Que l’opprobre des Cieux, la fable des hommes,

Ah ! Chétifs on a fait banqueroute à l’honneur,

Qui jadis nous tint lieu de souverain bonheur,

Cet inique tyran que l’univers abhorre,

Et qu’un aveugle feu de luxure dévore,

L’arrache furieux, le vole entre les mains,

De ceux mêmes qui sont de sa mère germains,

Repoussez, dédaignez, il ose téméraire,

Une fille honorer de ce brave salaire ;

Maniaque, il offense un monde valeureux,

Sous le prétexte pris d’un coup aventureux,

Qu’extorqua la frayeur à sa belle effrontée,

Unique triomphant de la ferre domptée,

Unique à dépouiller la commune moisson :

Non, plutôt que cela passe de la façon,

Ma vie mille fois, mille autres perdue

Lui coûtera du moins la dépouille rendue,

L’infâme dedans peu réparera ce tort,

Apprise à se savoir mesurer à son sort.

TOXÉE.

L’outrage également sensible me transporte,

Du regret incroyable à la fureur me porte,

Légitime fureur, qui ne peut s’alléger,

Paravant que l’objet coupable saccager,

Qui survit à sa gloire, est indigne de vie,

Ou qui ne pouvant mieux ne la venge ravie :

Jà le peuple idiot d’apparence déçu,

Croit semblable secours d’elle seule reçu,

Ne bruit que sa valeur, qu’Atalante n’estime,

Nous comme ombres tenus au grade plus infime,

Casaniers réputés, timides, fainéants,

Plus à la volupté qu’à la gloire béants :

Mon frère, ne souffrons que l’erreur s’enracine,

Donnons au mal naissant sa prompte médecine,

Chacun son bien ravi par tout peut répéter,

Ainsi nous, ce beau fruit de force lui ôter.

PLEXIPE.

L’affection du Roi qui ne vit plus qu’en elle,

Sans doute épouserait à l’heure sa querelle.

TOXÉE.

L’affection du Roi ne ranimera pas,

Une ombre féminine envoyée au trépas.

PLEXIPE.

Le supplice en cela excèderait l’offense,

À l’endroit d’une Vierge, ainsi d’une pure enfance.

TOXÉE.

L’Aspic, ou le vipère, éteints ne font plus peur,

Et sa vie autrement nous est une vapeur.

PLEXIPE.

L’injure ne provient que de qui la guerdonne,

Elle n’a point failli prenant ce qu’on lui donne.

TOXÉE.

Mais ce traitre animal une fois irrité,

Ne se rapaise plus.

PLEXIPE.

Tu dis la vérité,

Toutefois n’éprouvons que tard la violence.

TOXÉE.

L’importune douceur croitra son insolence.

PLEXIPE.

Tant mieux, la force adonc aura quelque raison,

Chaque chose donnée en sa propre saison.

TOXÉE.

Un Roi qui l’idolâtre, un Roi qu’elle maîtrise,

Plus soudain qu’averti nous fera lâcher prise.

PLEXIPE.

Permis alors aussi de disputer son droit.

TOXÉE.

Qui fier au courroux des amants se voudrait ?

Où leur pouvoir commande absolu sur la vie,

Où le sujet aimé ils pensent qu’on envie.

PLEXIPE.

Résolvons l’entreprise, laisse à mon souci,

Ce coup fait, le moyen de le rendre adouci.

TOXÉE.

Doncques s’adoucira du veneur qui le blesse,

Un lion, qui le va démembrer en la presse,

Au surplus tel dessein s’effectue à chercher,

Et où se trouvera le prix lui arracher.

PLEXIPE.

N’en doute pas, fût-elle au sein du téméraire

Qui devait retenir ce superbe salaire,

Qui devait contenter son ardeur, de se voir,

Dessus la primauté nos suffrages avoir.

TOXÉE.

Semblable expérience obviait au murmure,

De son supérieur on tolère l’injure,

Du moindre, on ne la peut sensible digérer,

Mais résoute, avisons de ne plus différer.

PLEXIPE.

Suis-moi ne dépliant la force qu’à l’extrême,

Possible à la raison docile d’elle-même,

Qu’outre l’espoir conçu la chose réussit,

Chemin qui moins fâcheux nos rigueurs accourcit.

 

 

Scène II

 

CHŒUR DE FILLES, ATALANTE, PLEXIPE, TOXÉE

 

CHŒUR DE FILLES.

Vous semez les œillets, l’amarante, les roses,

Une moisson de fleurs nouvellement écloses,

Sous ces pas, que l’on dût rebaiser adorés,

La couronne tissue à ces cheveux dorés,

Tressant d’une façon mignarde, curieuse,

N’appelle que ma main, ouvrière industrieuse,

Comme principe, à l’heur du pays recouvert,

Sus, mes sœurs, que la voix, le courage ouvert,

Profèrent gaiement quelque hymne, à la louange,

D’une chaste Pallas, qui du monstre nous venge.

ATALANTE.

Rien moins, filles, cessez, le vouloir me suffit,

La gloire due au Roi du monstre déconfit :

Pareille récompense excède mon mérite,

Doncques en abuser insolentes, l’irrite :

« Le sage sait user d’un modéré compas,

« Et jamais à l’envie il ne sème d’appas,

« Jamais la vanité ne le force importune,

« À prendre trop du vent de la bonne fortune :

Allons chaste troupeau, sans plus outre attenter,

Chez la source du bien ce don représenter.

CHŒUR.

Inique, ne présume obtenir ta demande,

Que respect, ou raison tes louanges défende,

Tant que du blond Phœbus les flammes reluiront,

L’air, la terre, les Cieux, dessous elles bruiront,

Nous les ferons passer jusqu’aux races dernières,

L’univers éclairé de leurs belles lumières,

Ta tombe comblera des honneurs immortels,

Elle aura ses parfums, ses Prêtres, ses Autels,

Tu peux tout dessus nous, hormis ce point, de faire,

Qu’on fraude la vertu de son juste salaire.

ATALANTE.

Ma dextre infirme, n’a qu’ébauché ce labeur,

Dont notre Roi s’acquiert le principal honneur,

Je ne suis d’un grand feu que la moindre étincelle,

De ce corps accompli que la moindre parcelle,

Outre que pareil coup, référable au hasard ;

Mais ses oncles vers nous tirent en cette part,

Une morne tristesse occupe leur visage,

Et ce farouche aspect rien de bon ne présage.

PLEXIPE.

Tu as mauvaise grâce, ô Nymphe, à te vouloir,

Sur la gloire d’autrui jusques-là prévaloir,

Ce présent accepté de le mettre en parade,

Quelle présomption folle te persuade,

Qu’aux dépens de l’honneur de tant de gens de bien,

Un si riche guerdon puisse demeurer tien ?

Réfrène à l’avenir une indiscrète audace,

Et fais qu’ore envers nous sa borne elle ne passe.

ATALANTE.

Après la volonté libérale du Roi,

Telle action demeure en immuable loi.

TOXÉE.

Tu le dis, non pas nous, à qui ce rapt inique,

Ne peut autoriser un plaisir tyrannique.

ATALANTE.

Le courage me l’a, non quelque brigue acquis,

Reçu hors d’espérance, premier que requis.

PLEXIPE.

Tu infères de là ta valeur magnanime,

S’investir du présent à titre légitime ?

ATALANTE.

Assez témoigneront, que selon le pouvoir,

Peu d’autres peuvent mieux acquitter ce devoir.

TOXÉE.

Volontiers, tu l’auras vaincu seule, impudente,

Atteint d’un faible coup de ta flèche pendante ?

ATALANTE.

Onc ma crédulité n’admettra ce forfait,

Nul autre que le Roi tel miracle n’a fait.

PLEXIPE.

Tu veux gratifier un qui te gratifie,

Faveur qui rien de bon pourtant ne signifie,

Ne te garantira, présume le surplus,

Si de restituer tu nous refuses plus.

ATALANTE.

Onc la peur n’extorqua chose à mon préjudice,

Et n’y a que le Roi qui reprendre le puisse.

TOXÉE.

Mon prophétique avis, dit bien que le plus sûr,

N’était pas de tenir un chemin de douceur.

ATALANTE.

L’innocence ne craint ces menaces frivoles.

PLEXIPE.

Sus, mon frère, passons à l’effet des paroles.

ATALANTE.

Me contraindre surprise, me violenter,

Le courage plus mol, ne voudrait l’attenter.

TOXÉE.

Cela n’adviendra pas, moyennant qu’obstinée,

Tu ne résistes plus à une destinée.

ATALANTE.

Puisse, puisse premier l’Erebe m’engloutir,

Que ma gloire trahie onques le consentir.

PLEXIPE.

Malgré-toi, nous l’aurons, lâche soudain prise.

ATALANTE.

Au secours Citoyens, on me force surprise.

CHŒUR DE FILLES.

Accourez-vite, amis, des voleurs inhumains,

Dessus qui vous libère osent mettre les mains.

TOXÉE.

Implore désormais qui tu voudras, paillarde,

Et renonce à la part du présent qu’on te garde.

ATALANTE.

Ah ! Traitres envieux, lâches, efféminés,

Indignes du Soleil, indignes d’être nés,

Le Roi me vengera, mon unique défense,

Sa grandeur plus que moi de l’injure s’offense ;

Allons, filles, venez, l’outrage témoigner,

Et vos humides pleurs au besoin n’épargner.

CHŒUR.

Hélas ! tu le peux croire, atteintes jusqu’en l’âme,

D’un rebelle forfait qui mérite la flamme,

À qui l’extrême peur la parole a glacé,

Qui ne dirons que trop comme tout s’est passé,

Qui débiles pour toi ne portons d’autres armes,

Que de savoir mêler les prières aux larmes.

ATALANTE.

Cela suffit, allons comme pleine d’effroi,

De ce pas, nous jeter ensemble aux pieds du Roi.

 

 

Scène III

 

MÉLÉAGRE, ATALANTE, CHŒUR DE FILLES, PLEXIPE, TOXÉE

 

MÉLÉAGRE.

Beau portrait, imprimé dans mon cœur, qui respire,

Désormais s’asservir au joug de ton Empire,

Atalante, où es-tu ? Nymphe, hâte le pas,

Viens d’un Prince amoureux différer le trépas,

Ce même coup fatal deux victoires te donne,

De Mars, de Cypris, t’obtient double couronne,

Ta céleste vertu conjointe à ta beauté,

Ne peuvent mériter moins qu’une Royauté,

Moins que ta part du sceptre, ainsi que de ma couche,

Ah ! mon âme déjà vole dessus ta bouche,

S’attache à ce corail, où un essaim d’amours,

Décoche nouveaux traits, se campe toujours,

Faveur petite, au prix de manier à l’aise,

Ces tertres, que décore une jumelle fraise,

Je tais le dernier point, qui du ressouvenir,

Me semble avoir déjà prévenu l’avenir ;

Me dérobe les sens, me transporte de joie ;

Dans un doux fleuve atteint de délices, me noie.

Viens Soleil amoureux, dissiper ce souci,

Ô bons Dieux, toute en pleurs, proche, la voici,

Un augure certain me frape la pensée,

D’où l’injure provient, qui l’aurait offensée,

Ma guerrière, ma sainte, hé ! quel sujet as-tu,

De ne jouir des fruits de ta rare vertu ?

Quiconque téméraire ose à elle se prendre,

S’assure, qu’envers moi c’est lourdement méprendre,

Que sans exception de grade, ma fureur,

Aux neveux le destine exemplaire terreur.

ATALANTE.

Chez votre Majesté, asile qui me reste,

Je me sauve des dents d’un monstre plus funeste,

Monstre plus redoutable, mille, mille fois,

Que l’autre à qui l’on a fait rendre les abois,

L’Averne le conçut dedans la nuit profonde,

Qui ne finira point que par la fin du monde :

L’infâme nom d’envie, à sa rage convient,

De lui, mon déshonneur, ma plainte provient,

Ses ministres choisis, ah ! dispensez-moi, Sire ;

Un respect envers eux, observe de plus dire.

MÉLÉAGRE.

Parle chère maitresse, achève hardiment,

Tu connaîtras après si ma parole ment.

ATALANTE.

Vos oncles, qui n’ont peu le faire par amorce,

Ravissent outrageux d’ouverte, vive force,

L’honorable guerdon qui me fût précieux,

Plus que de seoir au lieu de Junon dans les Cieux :

Prières, ne raisons, ne répliques, n’excuses,

Les larmes, ni les cris, de ces filles confuses,

N’ont pu rompre le coup à ce mauvais dessein,

N’ont adouci le fiel qui leur couvait au sein,

Atalante chétive à présent résolue,

De ne survivre plus à sa gloire pollue.

MÉLÉAGRE.

Ô Ciel ! As-tu pu voir un acte si pervers,

Sans les pousser ensemble aux Tartares ouverts,

Ces rebelles géants à l’âme déloyale,

Qui négligent, pervers, l’autorité Royale,

Qui foulent ma puissance, osent à son mépris,

Prendre où je l’ai donné ce victorieux prix.

Osent comme ennemis de la mère nature,

Violer son chef-d’œuvre en cette créature :

Barbares Lestrigons, courages de rocher,

Osez-vous sans trémeur les reliques toucher,

D’un corps, divin séjour des vertus, des grâces,

Capable d’allumer la flamme dans les glaces,

Osait votre manie éprendre son courroux,

Avertis que le mien s’éclaterait sur vous.

CHŒUR DE FILLES.

Onc spectacle ne fut à l’égal pitoyable,

Oncques assassinat à l’égal effroyable,

Que votre Majesté se représente voir

Deux loups une brebis tirasser pour l’avoir,

Prête chaque moment de fournir butinée,

Un repas sanguinaire à leur rage effrénée,

Non que la peur lui fit de visage changer,

Nous seules sans couleur tremblantes du danger.

MÉLÉAGRE.

Idmon, tes soldats pris, vite qu’on les amène,

N’importe, vifs, ou morts, mais sans excuse, à peine,

Croiras-tu mon souci qu’un soupçon m’a prédit,

L’origine du mal avant qu’on me l’ait dit,

Mémoratif qu’au point de la palme adjugée,

Leur envie à ton los aboyait enragée,

Redonne à ce beau teint un gracieux printemps,

Ta prière s’obtient plus que tu ne prétends,

Je veux qu’à genoux bas, d’une voix claire, haute,

Ils impètrent de toi le pardon de leur faute,

Le premier qui fera quelque difficulté,

Un supplice l’attend du destin consulté.

ATALANTE.

Sire, que mon sujet de rancœur ne vous donne,

Contre ceux que le sang unit à la couronne,

Las ! J’aime beaucoup mieux ne m’en point ressentir,

Que l’ire précipite engendre un repentir.

MÉLÉAGRE.

Maxime, que l’état préfère la tutelle,

De nos droits souverains à toute parentèle,

Qu’agresseurs, tu n’encours aucun blâme, ha ! voici,

Mes lions indomptés, qui froncent le sourcil ;

Comment, audacieux ? ma volonté connue,

Dessus la palme qu’a sa valeur obtenue,

Avez-vous entrepris ce vol injurieux,

Contre une autre Cypris, lâchement furieux,

Quelle raison solide opposée en défense,

Peut ores palier l’irréparable offense,

Dites, qui vous a mus de ravir sans égard,

Un droit que ma justice à sa gloire départ ?

PLEXIPE.

La cause nous absout, qui parle d’elle-même,

En ce que tu lui peux donner ton Diadème,

Non pas le bien d’autrui, non pas l’honneur de ceux,

Que ton service n’a reconnu paresseux.

MÉLÉAGRE.

Mon service l’épreuve, ainsi que la patrie,

Utile dessus tous qu’autre ne s’apparie.

TOXÉE.

L’aveugle passion qu’un aveugle produit,

Nos esprits occupés facilement séduit.

MÉLÉAGRE.

Perfides, imposteurs, la vérité palpable,

De telle passion me déclare incoupable,

Une troupe immortelle en oracle premier,

Voulut de ce beau pris sa valeur premier.

PLEXIPE.

Oui plus, ainsi qu’amis, qui désirent complaire,

Que pour ne la savoir indigne du salaire.

MÉLÉAGRE.

Ô ! l’énorme malice, ô mensonge effronté,

Sans réplique trois mots disent ma volonté.

Que la hure lui soit entre les mains remise,

L’humble pardon requis de la force commise,

Faites tôt, ce dessein n’admet aucun séjour.

TOXÉE.

Phœbus lors ira naitre où va mourir le jour,

La belette sera des serpents lors amie,

Que nous consentirons à pareille infamie.

MÉLÉAGRE.

Si tel refus persiste une seconde fois.

PLEXIPE.

Ta frivole menace aux esclaves tu dois,

Libres, que la peur faciles n’épouvante,

N’espère que jamais superbe elle se vante.

MÉLÉAGRE.

Rebelles, vous mourrez, voilà trop de mépris,

Trop dessus un Monarque à sa face entrepris.

PLEXIPE.

Ô ! brutal, ô barbare ! ô tyran parricide,

Fuis mon frère, je tombe au gouffre Acherontide,

Ce suprême sanglot pousse l’âme dehors.

MÉLÉAGRE.

À peine de le suivre en la plaine des morts,

Dépêche, ce refus te coûtera la vie.

TOXÉE.

Tigre, ta cruauté m’oblige poursuivie,

Je veux qu’un même fer, qu’une même main,

Rende mon sort semblable au sort de mon germain,

Le Ciel, le juste Ciel, quelque vengeur nous garde,

Qui sur ta tête un jour, dessus ta paillarde.

MÉLÉAGRE.

Ton sang nous purgera ce blasphème outrageux,

Mâtin, qui n’est sinon de l’aboi courageux.

ATALANTE.

Ha ! Sire, réfrénez, la colère l’emporte,

Et pour le retenir je ne suis assez forte.

MÉLÉAGRE.

Ces ravisseurs punis de leur témérité,

Possèdent justement le loyer mérité,

Mon vouloir maintenant n’a plus qui le contrôle,

Tu te peux désormais fier en ma parole,

Tu pourras désormais compagne de mon lit,

Dire que ta vertu, à ce grade t’élit,

Ne le consens-tu pas, chère âme de mon âme ?

Tu ne voudrais meurtrir un Roi qui te réclame.

ATALANTE.

Quoique tel honneur passe ma qualité,

Son refus sentirait une brutalité,

Trop heureuse, le Ciel du tout, en tout propice,

Si notre chaste hymen eut pris meilleur auspice.

MÉLÉAGRE.

Un acte de justice à ce commencement,

Plus agréable aux Dieux qu’aucun encensement,

Présage le contraire, que tel hyménée,

N’aura que du cercueil sa liesse bornée,

Allons, ma Reine, allons, hâter ce doux effet,

Qui la sainte union de nos moitiés parfait.

 

 

ACTE V

 

 

Scène première

 

ALTÉE, NOURRICE

 

ALTÉE.

Implacables fureurs, que redoute l’Averne,

À ma plainte quittez votre horrible caverne,

Qu’une trêve aujourd’hui relâche le tourment,

Aux esprits condamnés du triste Rhadamant,

Et plus qu’onques là bas en colère allumées,

De fers, de flambeaux, mieux que devant armées,

Qu’ores sous ma conduite on vienne torturer,

Ce monstre scélérat qui ne peut empirer,

Ce monstre issu de moi, qu’une impudique rage,

N’émancipe cruel à quelque simple outrage,

L’exécrable a polu ses parricides mains,

Dans le sang innocent de mes propres germains,

Un devoir filial n’a restreint sa manie,

Quel Busire conçut pareille félonie ?

Et quelle sûreté nous reste désormais ?

Nulle, fais donc saigner ta vengeance à jamais,

Assez forte, d’ailleurs le secours ne mendie,

Un moment accourcit sa trame désourdie,

Un moment éteindra son adultère amour,

Qui vous prive à cette heure, ô mes frères, du jour.

NOURRICE.

Modérez le courroux épris dedans votre âme,

Périlleux conseiller, à qui le croit, Madame,

Domestique lion ses hôtes dévorant,

Qui farouche toujours à la raison se rend,

Je concède ce crime encore plus extrême,

Mais la mère, le fils ne sont que chose même,

Et les brutes on voit mourir pour leurs petits,

Loin d’exercer sur eux de vengeurs appétits.

ALTÉE.

Nature violée en ce meurtre, dispense

Ma vindicte, à l’effet du dessein qu’elle pense.

NOURRICE.

Enfant, Roi, bons Dieux ! Perdez le souvenir,

De ce qui ne peut plus aussi bien n’avenir.

ALTÉE.

N’exiger du forfait un supplice capable,

Sans doute me rendrait plus que l’auteur coupable.

NOURRICE.

Jupiter seul punit les offenses des Rois,

Absolus sur la vie, ainsi que sur les lois.

ALTÉE.

Cela n’empêche pas mon pouvoir sur la sienne.

NOURRICE.

Que le respect d’un peuple innocent vous retienne,

Ne le faites de père en son Prince orphelin,

Acte trop impieux, trop cruel, trop malin.

ALTÉE.

Lui ôter un tyran, m’oblige la patrie.

NOURRICE.

Quoi ? le restaurateur de sa gloire flétrie ?

L’Alcide, qui le monstre a naguères occis,

Qu’un beau los déjà monte entre les Dieux assis.

ALTÉE.

Sa putain du combat remporte la louange.

NOURRICE.

Comme la passion le bon sens nous étrange,

Oncques sujet moins sale, moins voluptueux,

Un beau pair n’accoupla qui fut plus vertueux.

ALTÉE.

Tu leur seras en fin partisane commune,

Et fautrice du coup qui cause ma rancune.

NOURRICE.

Vos germains agresseurs précipitent leur mort,

Le Roi que d’un courroux excessif n’a le tort.

ALTÉE.

D’un courroux enragé, d’un courroux, qui mérite,

La haine dans mon âme à sa ruine écrite.

NOURRICE.

Le temps apaisera ce regret fraternel.

ALTÉE.

Oui, son corps du tombeau le dépôt éternel.

NOURRICE.

Voulez-vous ajouter dommage, sur dommage.

ALTÉE.

Retire-toi d’ici, je pardonne à ton âge.

NOURRICE.

Ô pitoyables Dieux, rendez-lui la raison,

Saine, sauve, gardant la Royale maison.

ALTÉE, seule.

Seule, libre, qui n’as d’obstacle à l’entreprise,

Immuable, poursuis ta conclusion prise,

Arrache à l’inhumain la lumière du jour,

Et les fruits ocieux d’un idolâtre amour,

Labeur facile à toi, qui possèdes sa vie,

Dans le tison fatal des parques asservie,

Dans le tison fatal à ta garde commis,

Qui termine ses jours en la flamme remis.

Sus, allons le quérir ; tu rétives mon âme,

Et n’entends de l’Erebe une voix qui réclame,

Chères ombres, cessez de me plus émouvoir,

Mon amitié vers vous bientôt se fera voir,

L’homicide mourra, victime préparée ;

Voici qui maintenant vous la pleige assurée,

Quoi ? ma dextre tremblote, fuit à l’approcher,

Ce gage funéreux qu’elle n’ose toucher,

Un venin de serpent infus à son essence,

Lui donne à mon avis telle occulte puissance,

Ou plutôt quelque instinct réprime ta fureur,

Simple, t’ébranles-tu d’un scrupuleux erreur ?

Tes frères égorgés de sa dextre assassine,

Tes frères parangons d’une vertu divine,

Ne l’effrayèrent pas, sus, achève, hé ! bon Dieu,

Nullement, c’en est fait, la pitié n’a plus lieu,

Sacré bois, la faveur de ton secours j’implore,

Ainsi puisse périr, que le feu te dévore,

L’homicide inhumain, l’abominable chef,

Qui par sa cruauté s’attire ce méchef.

 

 

Scène II

 

MÉLÉAGRE,ATALANTE

 

MÉLÉAGRE.

T’amuses-tu ma vie à ruminer craintive,

Dessus la vision d’une ombre déceptive,

Change, change propos, pour te divertir,

Viens de nouveaux baisers mes flammes amortir,

Recommençons du jour une nuit amoureuse,

Que ton humeur ainsi me déplaît langoureuse,

Au cas qu’elle persiste à me plus refuser,

Je m’en vais de mes droits absolument user.

ATALANTE.

Ma lumière, mon tout, mon unique espérance,

Ce songe funéreux, portera d’assurance,

Sa dure impression semble prédire exprès,

Nos myrtes dedans peu convertis en cyprès.

MÉLÉAGRE.

Bien que ce temps perdu, redis ma souveraine,

Le motif oublié de ta créance vaine.

ATALANTE.

Une grave matrone, en équipage tel,

Que la mère on dépeint du monarque immortel,

A pris ce me semblait, (métamorphose énorme,)

De tigresse en un clin l’épouvantable forme,

Son petit d’aventure au spectacle présent,

Dans une rouge flamme, mortelle exposant,

Prête de m’engloutir, à l’heure qu’éveillée,

Palpitante de crainte, de sueur mouillée,

Vos bras, mes doux liens, étroitement serrés,

Ont mes sens éperdus peu après rassurés.

MÉLÉAGRE.

Folâtre, ce qu’on craint, ou ce que l’on désire,

D’un faux crayon, Morphée au sommeil nous le tire,

Il en repaît l’esprit, qui ne repose point :

Ô Cieux ! Quelle douleur profonde à coup m’époint,

Un feu de ma poitrine invisible s’empare,

Plus chaut que ne vomit le sommet de Lipare,

Dieux ! comme un charme ardent se coule dans mes os,

Ardeur qui pourra bien s’en aller au repos.

ATALANTE.

Une étrange pâleur vous occupe la face,

Ô misérable, hélas ! de crainte je trépasse.

MÉLÉAGRE.

Ne t’afflige mon heur, tu me donnes la mort,

Ha ! Ce mal furieux redouble son effort.

ATALANTE.

Sire, ne différez d’en chercher le remède,

Que nature vaincue à sa force ne cède,

On ne peut prévenir trop tôt les accidents.

MÉLÉAGRE.

Tu dis vrai, mon souci, vous, sortez là dedans,

Qu’ici nos médecins plus experts on assemble,

D’autres mettent au lit ce corps faible qui tremble,

Secourez mes amis votre Roi vitement,

Où la parque le va ravir tacitement.

ATALANTE.

Donne je te supplie immortelle cohorte,

Que ton ire sur moi victime se transporte,

Que mon époux sauvé, tu ne m’épargnes pas,

À l’effroyable horreur du plus cruel trépas.

 

 

Scène III

 

ALTÉE, NOURRICE, IDMON

 

ALTÉE.

Le marchand qui malgré les orages, arrive,

Sa nef de lingots pleine à sa natale rive,

Le voyageur qui voit un brigand assassin,

Qui naguères lui tint le poignard sur le sein,

Ses biens restitués, d’un bois patibulaire,

Recevoir en public le supplice exemplaire,

N’approche comparé l’indicible soulas,

Que tu goûtes Altée, un meurtrier en tes lacs,

Que ta haine animeuse épreuve l’allégeance,

En la proche moisson que touche ta vengeance :

Or la félicité parfaite qu’elle atteint,

Est qu’au même compas que le tison s’éteint,

Une flamme à loisir le rongeant languissante,

L’homicide mourir de la sorte se sente,

Que la parque son fil retranche plusieurs fois,

Et qu’un long désespoir l’entretienne aux abois,

Ô l’heur incomparable ! ô la claire journée,

Viens Nourrice, viens voir ma tristesse bornée,

Ne sais quelle faveur spéciale du Ciel,

L’amer de mon courroux me convertit en miel.

NOURRICE.

Miraculeux effet que la grâce divine,

Ait si tôt à vos maux donné la médecine,

Qu’en cette passion violente qui fuit,

Elle vous ait au joug de la raison réduit.

ALTÉE.

La cause va cesser qui causait ma rancune,

NOURRICE.

Perdez entièrement sa mémoire importune,

« Onc vainqueur généreux ne pardonne à demi,

« Et après le pardon ne hait son ennemi.

ALTÉE.

Tu dis vrai, le cercueil dévore toute haine,

Haïr, serait après une torture vaine.

NOURRICE.

L’ambage de ces mots remplis d’obscurité,

Me fâche, dites-moi la pure vérité.

ALTÉE.

Elle te paraîtra l’heure proche venue.

NOURRICE.

Tant y a, vers le Roi placable devenue,

Que l’on ne parle plus de se vouloir venger.

ALTÉE.

Non, car le sort jeté d’avis me fait changer.

NOURRICE.

Dieux ! combien ce discours oblique me martèle.

IDMON.

Ô perte à la patrie effroyable, mortelle,

Pauvre Monarque éteint en la fleur de tes ans,

Que la rigueur du sort inique tu ressens.

ALTÉE.

Ô heureuse nouvelle ! ô plus qu’heureuse Altée,

Reçois de ton exploit la couronne apportée,

À nous, Idmon, à nous, ne murmures-tu pas,

D’un inique tyran l’expiable trépas.

NOURRICE.

Madame, parlez mieux, quelle rage insensée,

Poursuit à vous troubler la brutale pensée ?

IDMON.

Ha ! la voix me défaut, sinistre Messager,

Du plus triste malheur qui vous puisse affliger.

ALTÉE.

Tu t’abuses, croyant ma débile constance,

Au désastre prévu manquer de résistance,

Méléagre a suivi ses oncles immolés,

Est-ce là tant de quoi nous rendre désolés ?

IDMON.

Tant que l’Empire meurt en ce Roi magnanime,

Perd avec lui son heur, sa gloire sublime,

Perd un sage patron, déplorable vaisseau,

Dont l’orage se joue à la merci de l’eau.

ALTÉE.

Le temps te purgera pareille erreur conçue,

Fais sans plus le discours de sa tragique issue.

IDMON.

La force, à ce récit lugubre me défaut,

Toute l’âme d’horreur palpitante tressaut,

Le pauvre Prince, hélas ! plutôt mort, que malade,

D’un charme, ou d’un poison, a trouvé l’embuscade,

Surpris d’un mal à coup ; qui peu à peu coulant,

De minute en minute, a cru plus violent,

Comme un cierge s’éteint la cire consommée,

La parque au sein l’a pris de son épouse aimée,

Qui Niobe soudain convertie en rocher,

Ne saurait jamais plus de larmes étancher.

ALTÉE.

Va, poursuis ton chemin, j’ai ce que je demande,

Ô favorable Ciel, que ta justice est grande !

Que tu as adressé ce beau coup de ma main,

Coup, vers un parricide encore trop humain,

Coup, qui de l’univers mérite des louanges,

Et de renom voler aux terres plus étranges,

Afin de retenir sous le frein du devoir,

Quiconque le permet par-dessus son pouvoir,

Quiconque ne sait pas comme un sceptre on manie,

Sur ses propres parents paissant sa tyrannie.

Or la victime offerte à vos mânes heureux,

Reposez sous le frais des myrtes odoreux,

Recevez-la propice, ô vénérables ombres,

Compagne, m’attendant dans les campagnes sombres,

Où dans peu, votre deuil précipite mes pas,

Car de vivre sans vous, m’est pis que le trépas.

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