Le Procès de la Femme juge et partie (MONTFLEURY)

Comédie en un acte, et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, en 1669.

 

Personnages

 

ORONTE, mari de Dorimène

ZÉLAN, ami d’Oronte

DORANTE, ami d’Oronte

DORIMÈNE, dame vêtue en Juge, qui examine la pièce de la femme juge et partie

LUCINDE, dame vêtue en Juge, qui examine la pièce de la femme juge et partie

LIDIANE, dame vêtue en Juge, qui examine la pièce de la femme juge et partie

AMARANTE, dame vêtue en Juge, qui examine la pièce de la femme juge et partie

CÉLIANTE, dame vêtue en Juge, qui examine la pièce de la femme juge et partie

UN PAGE de Dorimène

 

La scène est à Paris.

 

 

Scène première

 

ORONTE, ZÉLAN

 

ZÉLAN.

D’où te vient ce chagrin, ne le peut-on savoir ?

ORONTE.

Laisse-moi.

ZÉLAN.

Mais encor ?

ORONTE.

Je suis au désespoir :

Souffrir un tel malheur, m’est un trop grand martyre,

Pour y joindre, Zélan, celui de te le dire.

ZÉLAN.

Il faut que je le sache ou de force ou de gré,

Si tu ne le dis pas, je le devinerai.

N’est-ce point que le Roi, d’un œil un peu sévère ?...

ORONTE.

Non ; ce n’est point cela ; le Roi me considère.

ZÉLAN.

Il faut donc que l’objet qui captive ton cœur,

Ait reçu ta tendresse avec quelque froideur ?

Ou que quelque rival, pour traverser ta flamme...

ORONTE.

Plût au ciel !

ZÉLAN.

Qu’est-ce donc qui trouble ainsi ton âme ?

ORONTE.

Non ; mon mal ne se peut concevoir qu’à demi.

ZÉLAN.

Il est donc bien cruel ! c’est la mort d’un ami !

ORONTE.

Non.

ZÉLAN.

C’est une querelle ?

ORONTE.

Ah ! pourrais-je me plaindre ?...

ZÉLAN.

Un procès criminel, dont l’issue est à craindre ?

ORONTE.

C’est pis.

ZÉLAN.

C’est pis !

ORONTE.

C’est pis.

ZÉLAN.

Je suis tout effrayé.

Que pourrait-ce être enfin ?

ORONTE.

Je me suis marié.

ZÉLAN.

Je ne m’étonne plus de ta mélancolie.

De quand ?

ORONTE.

Depuis huit jours, j’en ai fait la folie.

ZÉLAN.

C’est pour en être las.

ORONTE.

Je crève de dépit.

ZÉLAN.

Ma foi, l’hymen n’est doux que pendant une nuit.

Se charger d’une femme, est une sotte envie,

Qui d’un cuisant remords le voit bientôt suivie.

Il faut, pour quelques ans, te résoudre à souffrir.

Que veux-tu ? C’est un mal qui ne se peut guérir.

ORONTE.

Ce mal me ferait doux, si, dans mon mariage,

J’avais su faire choix d’une personne sage.

ZÉLAN.

Quoi donc ! admires-tu que déjà ta moitié

Se prévaut du lien ? Que tu me fais pitié !

Tu crois donc pour toi seul avoir pris une femme ?

Pauvre insensé ! va, va, désabuse ton âme.

La mode adoucira tes plus cruels tourments,

Si tu n’as que la peur d’être un mari du temps.

À quoi sert un mari, sinon de couverture,

Pour se mettre à l’abri des traits de la censure ?

Nulle femme aujourd’hui ne donne là-dedans,

Que pour favoriser sûrement ses galants :

Si, ce n’était la peur d’être un peu trop féconde,

L’on en verrait fort peu se marier au monde ;

Et la honte est l’appui du lien conjugal.

ORONTE.

Ma femme m’est fidèle, ah ! n’en jugez point mal.

ZÉLAN.

Quoi ! ta femme, mon cher, dans sa galanterie,

Ne pousse pas le jeu plus fort que raillerie ?

ORONTE.

Non.

ZÉLAN.

Je te plains.

ORONTE.

Pourquoi ?

ZÉLAN.

Par quelques billets doux.

Tu ne découvres point qu’elle ait de rendez-vous ?

ORONTE.

Non.

ZÉLAN.

Fort mal. Nul blondin, armé d’un sot mérite,

Ne vient point, quand tu sors, pour lui rendre visite ?

ORONTE.

Non.

ZÉLAN.

Malheureux ! son cœur n’a point de passion ?

ORONTE.

Non.

ZÉLAN.

Point d’intrigues ?

ORONTE.

Non.

ZÉLAN.

Point de commerce ?

ORONTE.

Non.

Enfin, ce n est point-là le sujet qui m’afflige.

ZÉLAN.

Tu n’es point cocu ?

ORONTE.

Non.

ZÉLAN.

Tant-pis... tant-pis, te dis-je.

ORONTE.

Hé ! pourquoi donc tant-pis ?

ZÉLAN.

Ah ! discours superflus !

C’est que l’on pend les gens qui ne sont pas cocus.

Mais ce qui te doit faire une peine infinie,

C’est que l’on te pendra seul de ta compagnie.

Garde-toi bien ainsi de dire toujours non.

Où diable as-tu péché cette sotte guenon ?

Pour n’être point coquette, il faut, sur ma parole,

Ou qu’elle soit bien laide, ou qu’elle soit bien folle.

ORONTE.

Tu l’as dit, elle est folle.

ZÉLAN.

Oh ! j’en suis convaincu.

Je voudrais, pour beaucoup, que tu fusses cocu.

ORONTE.

Que t’a fait mon honneur, pour conspirer sa perte ?

ZÉLAN.

Tu la reléguerais dans une île déserte.

Son nom, c’est ?

ORONTE.

Dorimène.

ZÉLAN.

Oh, oh ! l’on la connaît.

Qui diable te l’a fait épouser ?

ORONTE.

L’intérêt.

Avide de son bien, sans connaître son âme,

En moins de quatre jours, je l’ai prise pour femme.

ZÉLAN.

En moins de quatre jours ! c’est dans ta passion

Aller bien chaudement à la conclusion.

ORONTE.

Ô ciel ! l’étrange effet d’un aveugle caprice !

Faut-il m’être immolé moi-même à l’avarice ?

Tu sais donc quelle elle est, et qu’à chaque moments

Elle parle de vers, et trace des romans ?

Quatre autres avec elle ont assez de manie,

Pour vouloir composer un corps d’académie ;

Et, trois fois la semaine, en suprêmes esprits,

Elles viennent ici peser quelques écrits :

Ce jour même elles font sur une comédie.

ZÉLAN.

Quelle ?

ORONTE.

La femme-juge. Admire leur folie ;

Si tu restes ici...

ZÉLAN.

Je n’y manquerai pas.

ORONTE.

Tu les verras tantôt venir en magistrats,

Examiner ici sa force et sa faiblesse,

Et donner un arrêt sanglant contre la pièce.

ZÉLAN.

Dans un si beau dessein je les veux seconder.

Je me sens en humeur de la vouloir fronder ;

Et, quoique dans le fond je la trouve charmante,

Parce qu’on l’applaudit, et que chacun la vante,

Je tâche à la détruire, et je veux en ce jour,

Cet arrêt à la main, braver toute la Cour.

Si l’on en parlait mal, je la soutiendrais belle ;

C’est mon style.

ORONTE.

Vraiment ! ta méthode est nouvelle.

ZÉLAN.

Qui ne contredit point, n’est pas un bel esprit.

Aussitôt qu’à la Cour quelqu’un loue un écrit,

Souvent, sans l’avoir vu, sans connaissance aucune,

Je me bande moi seul contre la voix commune ;

Je dis qu’il ne vaut rien... Il faut avoir bon sens...

Mais, morbleu ! j’aperçois un de ses partisans ;

Nous allons quereller : il se tourmente en diable

Pour l’applaudir ; et moi, pour la dire effroyable.

 

 

Scène II

 

ORONTE, ZÉLAN, DORANTE

 

ZÉLAN, à Dorante.

Pour croître nos débats tu viens fort à propos.

DORANTE.

Sans doute vous étiez sur quelque grand propos ?

Les discours que l’on tient dans une académie...

ZÉLAN.

Oui, nous nous étendions sur ta meilleure amie.

DORANTE.

Ne vous y jouez pas, je suis un peu jaloux ;

Qui donc ?

ZÉLAN.

La femme-juge.

DORANTE.

Hé bien ! qu’en disiez-vous ?

Tu t’obstines toujours à la dire méchante ?

ZÉLAN.

Tu t’obstines toujours à la dire touchante ?

Approuver du comique, est d’un esprit rampant.

Mais quoi ! si d’applaudir il te démange tant,

Les Racine, morbleu ! les Boyer, les Corneilles,

Produisent tous les jours tant de rares merveilles !

Quoi ! l’on voit aujourd’hui leurs ouvrages polis,

Bien loin d’être admirés, ramper dans leurs esprits,

Malgré de leurs beautés et de leur excellence

La pompe, l’énergie et la magnificence ;

Malgré des vers, morbleu ! des vers tout transportés ;

Cependant qu’un auteur, par des obscénités,

Passe aux yeux de la Cour pour un esprit fort rare !

Fit-on pour le mérite un siècle plus barbare ?

DORANTE.

Tu t’échauffes. Les goûts ne sont-ils pas divers ?

ORONTE.

Il est : vrai que le siècle est tout-à-fait pervers ;

Et l’on voit préférer des bassesses comiques,

Aux charmes éclatants des pompes héroïques.

Peu de gens en ce temps aiment le sérieux ;

Cependant voit-on rien de si beau sous les cieux ?

Voir sans aucun péril les héros de l’histoire

Affronter les hasards, pour monter à la gloire,

Et les voir, enflammés de cette noble ardeur,

Mépriser les appas de leur vaine grandeur !

Quoique peu fassent cas de ces beaux avantages,

Ces exemples tracés de ces grands personnages,

Ne sont-ce pas pour nous tout autant de leçons,

Pour enhardir nos cœurs aux belles actions ?

Inspirer aux guerriers l’ardeur et la vaillance ;

Inspirer aux amants la douceur, la confiance ;

Assujettir ses sens aux lois de la raison ;

Rejeter de l’orgueil le dangereux poison ;

Modérer ses transports de haine et de vengeance ;

User de son triomphe avec poids et prudence ;

Enfin, à la vertu ramener tous les cœurs,

Sont-ce pas les sujets des veilles des Auteurs ?

Mais où donc est l’honneur de la scène Française,

Si l’on y souffre ainsi triompher la fadaise ?

Un théâtre où l’on voit sans cesse la vertu

Remporter la victoire, et le vice abattu ;

Et, si l’on y fait voir régner la tyrannie,

Ce n’est que pour la voir à la fin mieux punie.

ZÉLAN.

Pour voir la femme-juge on le casse le cou ;

Et je ne dirai pas que tout Paris est fou ?

Et je n’aurai pas droit, malgré la politique,

De pester hautement contre l’erreur publique ?

Et l’on peut m’assurer, pour juger des écrits,

Que, dans un si sot siècle, il est de beaux esprits ?

Un grand Prince, morbleu ! dont j’adore les traces,

Qui n’eut que du dégoût pour des choses si basses,

Fit bien voir qu’en lui seul réside le bon sens

Des plus profonds esprits de tous nos courtisans.

DORANTE.

Dis-moi, n’est il pas vrai qu’on voit la comédie

Pour divertir l’esprit de sa mélancolie ?

Et pour donner relâche aux grands attachements...

ZÉLAN.

Va, va, tu ne viendras jamais où tu prétends.

DORANTE.

S’il est ainsi, sans trop m’ériger en Critique,

Où trouver ce plaisir, en voyant du tragique ?

Encor si ces meilleurs, qui font du sérieux,

Ne faisaient que des vers tendres et langoureux.

Et rendaient plus humain leur suprême langage,

L’on pourrait se résoudre à voir un grand ouvrage.

Mais si Monsieur l’auteur veut étourdir les sots,

Faut-il me fatiguer, entendant ces grands mots,

Qu’il faut entrecouper, pour prendre son haleine ;

Ses vers fumants encor des bouillons de sa veine ;

Et voir, pourtant trop haut l’effort des passions,

Des Grec, impertinents, et des Romains Gascons ;

Et d’un style d’acier, écrivant à sa mode,

Me tuer tout d’un coup d’un trait de période ?

Quoi ! ne voir respirer que carnage et qu’horreur ;

Voir contre son sujet tonner un empereur ;

Apprendre qu’un héros, dans sa fureur extrême,

Pour prévenir la mort, s’est immolé lui-même ;

Voir faire un grand tableau qui, pour toutes couleurs,

N’a que du sang, des morts, des cris et des malheurs ;

Et n’avoir de plaisirs, dans ces douceurs amères.

Qu’autant qu’on peut former de lugubres chimères ?

Dis-moi, mon cher Zélan, parle de bonne foi,

Est-ce se divertir, que d’avoir de l’effroi ?

Est-ce un si grand plaisir, que de verser des larmes ?

Et la compassion peut-elle avoir des charmes ?

ZÉLAN.

Oui, je le soutiens, moi.

DORANTE.

Tu trouves des appas...

ZÉLAN.

J’en veux trouver ; pourquoi n’en trouverais-je pas ?

DORANTE.

Mais par quelle raison ?

ZÉLAN.

Belle demande à faire !

Par la seule raison que tu dis le contraire.

DORANTE, à Oronte.

Ces exemples tracés, dis-tu, sont des leçons

Pour enhardir nos cœurs aux belles actions ?

Oui ; mais pour les guerriers, et les âmes hautaines,

Pour tout autre, dis-moi, ne font-elles pas vaines ?

Pourvu qu’un courtisan, dans ses contorsions,

Tourmente sa perruque, ajuste ses canons ;

Qu’esclave d’un habit fait selon sa méthode,

Il s’érige en auteur d’une nouvelle mode ;

Que sans cesse mouvant ses grotesques ressorts,

Il agite par art la masse de son corps,

Et que d’un faux brillant son âme soit charmée,

Qu’a-t-il besoin d’apprendre à conduire une armée ?

Pourvu qu’un financier sache en son cabinet,

Cloué sur son bureau, dans un calcul bien net,

Sans cesse accumuler les mille sur les mille,

Qu’a-t-il besoin d’apprendre à forcer une ville ?

ZÉLAN.

Ce savoir ne nuit point.

DORANTE.

Pourvu qu’un bon marchand

Sache mentir en diable, et tromper finement,

Et qu’il fasse crédit aux gens de notre trempe,

Qu’a-t-il besoin des lois qu’on garde, quand on campe ?

Pourvu qu’un Avocat, pourvu qu’un Procureur,

Sachent bien gouverner la bourse du plaideur,

Qu’un Juge adjuge à Jean les biens dus à Guillaume,

Qu’ont-ils besoin d’apprendre à régir un royaume ?

Dis-moi, ne font-ce pas pures illusions ?

On n’est point affamé de ces belles leçons.

Les Officiers du Roi, quoi qu’ils en aient affaire,

Les écoutent assez, et n’en profitent guère.

Le comique à ton goût n’est-il pas plus charmant ?

ZÉLAN.

Je me pendrais plutôt.

DORANTE.

Ah ! quel aveuglement !

Chacun s’y divertit, sans avoir de fatigue.

Voir conduire à sa fin aisément une intrigue ;

D’un esprit balancé par divers incidents,

Voir gloser à propos sur les vices du temps ;

Et voir faire à chacun, de manière galante,

Dans son genre d’humeur, sa peinture parlante...

ZÉLAN.

Morbleu ! le grand plaisir, trop fatiguant, fâcheux,

Que de voir un sujet tiré par les cheveux,

Chamarré d’incidents choquants la vraisemblance,

Former des attentats contre la bienséance !

Est-ce un si doux plaisir, cruel persécuteur,

Que d’entendre chanter injure à son honneur ;

N’entendre pour tous vers qu’une prose affamée,

Pleine de quolibets, et pauvrement rimée ;

Et pour raffinement, voir un sot mal vêtu,

D’un geste ridicule, insulter la vertu,

Et s’appliquer sans cesse à faire des grimaces.

Qui, sur l’honnêteté, font choir mille disgrâces ?

DORANTE.

Cependant tout le monde admire ces beautés.

ZÉLAN.

Hé ! c’est que tout le monde aime les saletés.

Pour peu qu’une sottise aujourd’hui soit fardée,

Bien qu’elle fasse naître une vilaine idée,

On lui voit immoler le scrupule et l’honneur.

Hé ! nous-verrons bientôt que, malgré la pudeur,

Puisque l’on se plaît tant à ces pointes infâmes,

Il faudra des gros mots pour contenter les Dames.

 

 

Scène III

 

ORONTE, ZÉLAN, DORANTE, DORIMÈNE, en robe et bonnet

 

DORANTE, apercevant Dorimène.

Est-ce Juge, Avocat, Greffier ou Procureur ?

DORIMÈNE.

Je suis Juge, et de plus, votre humble serviteur.

ZÉLAN, à Oronte.

C’est ta femme, mon cher. Peste, qu’elle est jolie !

DORIMÈNE, à Zélan.

Ah ! je vous trouve ici ! j’en ai l’âme ravie.

ZÉLAN.

Vous pourrais-je servir ?

DORIMÈNE.

Oui, nous avions besoin !

Pour vider un procès, de quelque faux témoin.

Vous nous en servirez ?

ZÉLAN.

Si vous daignez m’instruire :

Sans doute vous pourrez aisément me séduire.

DORIMÈNE.

Vous en êtes, je crois, suffisamment instruit :

Par tout la criminelle a fait assez de bruit.

ZÉLAN.

Je vous entends, Madame, et je brûle d’envie

De pouvoir renverser une telle ennemie.

DORIMÈNE.

Il ne faut pas agir ici par passion.

À Dorante.

Pour vous, vous lui pourrez servir de caution.

DORANTE.

Je ne vous en ment point, j’embrasse sa défense.

DORIMÈNE.

Nous nous divertirons dans cette conférence,

Et sans vous nous aurions fort mal passé le temps,

Souvent, sans y penser, on a besoin des gens ;

Le plaisir est sans charme, au moins il me le semble,

Si nos sexes d’accord ne se mêlent ensemble.

ZÉLAN.

Hé ! vous nous rendez bien notre change en douceur.

Nos plus charmants plaisirs n’ont que de la langueur,

Si notre sexe aussi n’est soutenu du vôtre.

DORANTE.

Ils ne se doivent rien sur ce point l’un à l’autre.

DORIMÈNE.

L’avantage nous reste, et notre sexe apprend...

DORANTE.

Mais à quoi bon, Madame, un tel déguisement ?

DORIMÈNE.

La femme juge étant le sujet de l’ouvrage,

Peut-on, pour le juger, prendre un autre équipage ?

C’est ce qui fait le juge ; et vous pouvez savoir

Que, dépouillant sa robe, il met bas son pouvoir.

Ce n’est qu’en cet habit que l’on rend la justice,

Qu’on absout l’innocence, et qu’on punit le vice ;

Et nous nous en servons pour la formalité,

Afin que notre arrêt ait plus d’autorité :

De lui nous empruntons ce pouvoir juridique...

DORANTE.

Il est d’autres moyens pour faire une critique ;

La voie est un peu forte, et mon avis est tel...

DORIMÈNE.

Non, non ; nous voulons rendre un arrêt solennel.

C’est à nous qu’appartient le soin de la vengeance,

Du tort que vous a fait sa trop grande licence.

Vous appeler cocus, Messieurs !

DORANTE.

Le grand malheur !

DORIMÈNE.

C’est indirectement outrager notre honneur.

Coupables d’un tel mal, ces reproches infâmes,

S’adressant aux maris, retombent sur les femmes ;

Et c’est à nos dépens que l’on vous rend confus.

ZÉLAN.

Il est vrai que c’est vous qui faites les cocus.

ORONTE.

Si je ne le suis pas, quelle honte, Madame,

Pour l’intérêt public agite ainsi votre âme ?

Lorsque, dans le comique, on touche sur ce fait,

L’on ne parle qu’à ceux qui le sont en effet.

Ceux qui ne le sont point, n’ont nul sujet de plainte ;

Et tous ceux qui le sont, se taisent par contrainte.

N’est-ce pas de ce mal s’avouer convaincu,

Qui de prendre pour soi l’injure de cocu ?

N’est-on pas assez sot, lorsqu’on nous le fait être,

Sans l’être encore assez pour le faire paraître ?

Mais c’est un beau prétexte à vos attachements.

Hé, Madame ! quittez ces vains amusements :

Ce n’est pas le talent d’une femme galante,

De vouloir, comme vous, s’ériger en pédante.

Appliquez votre esprit à des emplois meilleurs,

Que ceux de critiquer les œuvres des auteurs ;

Et si leur verve en feu défigure un ouvrage,

Laissez-en la censure aux Catons de notre âge.

Sans vouloir offenser un sexe si parfait,

Le bon discernement n’est point de votre fait :

Il faut, pour pénétrer les arts et les sciences.

Un esprit éclairé des belles connaissances :

Enfin, pour bien juger, il faut de sa prison

Savoir adroitement retirer la raison ;

Et n’ayant d’autre but que de rendre justice,

Vaincre l’intérêt propre, et dompter le caprice,

Mais pour vous, vous avez trop d’obstination,

Pour juger sans mêler un peu de passion.

DORANTE.

Pourquoi ne veux-tu pas qu’une femme-un peu sage

Ait le goût assez fin pour juger d’un ouvrage ?

Ce serait, faisant tort à leur capacité,

Les bannir pour jamais de la société ;

Si leur sexe n’a pas ces grands fonds de sciences,

Il a d’autres talents, et d’autres connaissances ;

Et la vivacité de leurs charmants esprits

Leur fait connaître tout, sans avoir rien appris.

Ne dispute donc plus touchant leur suffisance ;

Car souvent nous voyons, malgré leur ignorance,

Qu’avec elles des gens, quoique fort bien foncés,

Passent fort mal leur temps, et font embarrassés.

À Oronte.

Où vas-tu donc ?

ORONTE.

Je sors... Épargne-moi la peine

De voir un procédé qui m’irrite et me gêne.

 

 

Scène IV

 

ZÉLAN, DORANTE, DORIMÈNE, LUCINDE, LIDIANE, AMARANTE, CÉLIANTE, en juges, UN PAGE

 

ZÉLAN.

Venez, beaux sénateurs. Que d’appas et d’éclat !

Vit-on jamais dans Rome un plus galant sénat ?

À Lucinde.

Serez-vous excusable ? Est-il quelque refuge ?

LUCINDE.

Oser ainsi choquer la probité d’un juge !

ZÉLAN.

C’est que vos jugements sont en dernier ressort ;

Chaque trait de vos yeux est un arrêt de mort.

LIDIANE.

Dans notre parlement avez-vous quelqu’affaire ?

Nous sommes en état de vous bien satisfaire.

CÉLIANTE.

Vous n’avez qu’à parler, je vous donne ma voix,

Et la faveur saura l’emporter sur les lois.

ZÉLAN, à Amarante.

Et vous, juge charmant, serez-vous corruptible ?

AMARANTE.

Pour ses meilleurs amis est-il rien d’impossible ?

Croyez-vous...

ZÉLAN.

Il est vrai que l’on fait tout pour eux.

Mais votre cœur est-il d’accord avec vos yeux ?

DORIMÈNE.

Ne perdons point de temps.

À un Page.

Si quelqu’un me demande,

Qu’on n’entre point ici, faites que l’on m’attende ;

Mais si Dorinde vient, vous pourrez m’avertir.

Prenons place, et tâchons à nous bien divertir.

Quels sont vos sentiments sur notre criminelle !

ZÉLAN.

Je la dis détestable.

DORANTE.

Et moi, je la dis belle.

LUCINDE.

Je suis fort pour Dorante, et c’est l’avis de tous.

ZÉLAN.

Vous perdrez, Dieu me damne !

LIDIANE.

Et moi je suis pour vous.

ZÉLAN, à Lucinde.

Vous vous y connaissez ?

LUCINDE.

Oui.

ZÉLAN.

Dites-moi, Madame,

Peut-on après trois ans méconnaître une femme

Dont on a découvert jusques aux moindres traits ;

De qui, dans ses humeurs, au gré de ses souhaits,

Chaque jour l’on a vu les diverses figures,

Enfin, qu’on a su voir dans toutes les postures ;

Parce qu’on ne la vu paraître de trois ans,

Ne reconnaitre pas sa voix et ses accents ?

Et vous osez vanter que cette pièce est belle !

LIDIANE, en raillant.

Le hâle l’a changée.

ZÉLAN.

Hé, morbleu ! bagatelle ;

A-t-il changé son nez, et sa bouche et ses yeux ?

DORIMÈNE.

Je suis de son avis ; car il est merveilleux

Que son mari n’en ait conservé nulle idée.

AMARANTE.

Peut-être que jamais il ne l’a regardée.

ZÉLAN.

Peut-on se marier sans voir ce que l’on prend ?

LUCINDE.

Il se peut excuser sur le déguisement.

Remarquez qu’il la croit, depuis trois ans, sans vie,

Qu’il n’est, de la revoir, frappé d’aucune envie.

Il la voit, il est vrai, mais des yeux de rival.

Peut-on examiner ceux, qui nous font du mal ?

Si l’on l’avertissait que cet homme est sa femme,

Pour lors, si le soupçon n’agissait dans son âme,

Vous le pourriez blâmer...

ZÉLAN.

Je suis pis qu’enragé,

Lorsque par elle-même il est interrogé,

Et qu’elle lui dit tout ; dans sa surprise extrême,

Ne se devrait-il pas pour lors rendre à lui-même,

Et ne devrait-il pas de près examiner ?...

LIDIANE.

Recherchons plus avant de quoi nous étonner.

N’est-ce pas un sujet qui soit digne de blâme,

Que, quoiqu’il doute encor de la mort de sa femme,

Et sans remords du mal qu’il a su lui causer,

Il recherche Confiance, et la veuille épouser !

DORANTE.

Son doute sert d’excuse, et puis c’est une bête.

DORIMÈNE.

Le plus sûr, dans un doute, est de suivre l’honnête ;

Quoique la scène soit le tableau des humeurs,

On n’y doit pas ainsi choquer les bonnes mœurs.

LIDIANE.

N’est-ce pas une chose encor plus admirable,

De voir Julie aimer ce magot effroyable ;

Sans cesse en mots couverts découvrant son ardeur,

Malgré sa perfidie, en vouloir à son cœur ?

ZÉLAN.

Hé ! ce n’est pas après son cœur seul qu’elle enrage.

Si vous étiez comme elle, après un long voyage,

Malgré sa cruauté, je crois que la fureur

Ne serait pas chez vous la plus pressante ardeur.

LUCINDE.

Puisque c’est son mari, qu’y trouvez-vous à dire ?

Et puis, je ne vois point qu’elle ait tant de martyre.

ZÉLAN.

Ah ! je voudrais déjà me voir entre vos bras !

Ce n’est pas s’expliquer en termes assez gras,

Et surcharger encor dans son incontinence ?

Pour cet heureux moment je meurs d’impatience.

LUCINDE.

Elle lui parle en tiers ; et c’est mal-à-propos...

ZÉLAN.

Hé ! qu’importe qu’en tiers elle dise ces mots,

Puisque l’auditeur voit qu’elle parle pour elle ?

DORANTE.

C’est un signe du moins qu’elle lui fut fidèle.

ZÉLAN.

Peut-être après trois ans, malgré sa passion,

Je ne la recevrais qu’à bonne caution.

LIDIANE.

Ah, le charmant endroit ! le beau jeu de théâtre !

Quand Bernadille en feu, faisant le diable à quatre,

Se bat à coups de poing : qu’il est divertissant !

Et qu’au-lieu de s’enfuir, il emporte l’exempt.

DORANTE.

Hé bien ! c’est un exempt emporté par un diable ;

La chose est fort commune.

LIDIANE.

Elle est inimitable.

Jamais opérateur fit-il mieux son devoir ?

AMARANTE.

Quand je vis cet endroit, j’étais au désespoir.

LIDIANE.

Une femme prévôt, est-elle supportable,

Dans l’ordre du théâtre, et dans le vraisemblable ?

DORANTE.

Pourquoi ne vouloir pas qu’une femme le soit ?

ZÉLAN.

Une femme peut-elle être savante en droit ?

LUCINDE.

J’en sais une, pour moi, qui sort souvent s’en pique.

ZÉLAN.

Hé ! c’est que cette Dame en aime la pratique.

LUCINDE.

C’est que, sollicitant tous les jours ses procès,

Du matin jusqu’au soir on la voit au palais.

LIDIANE.

Encor si ce prévôt qui me met en colère,

Pouvait jusqu’à la fin pousser son caractère.

Mais au lieu d’être grave, et dans un sérieux,

Alors que Bernadille est là devant ses yeux,

Interrogé par lui ce qu’il fit de sa femme,

Qu’il lui dit les sujets des troubles de son âme ;

Excuser la beauté, le fard et le miroir,

N’est-ce pas tout d’un coup aller du blanc au noir ?

ZÉLAN.

C’est pourtant un endroit que tout le monde admire.

DORIMÈNE.

Où sont donc les sujets des grands éclats de rire ?

LIDIANE.

Il ne faut pas avoir l’esprit si délicat.

Quoi ! l’Algouasil discret... L’Apprenti Magistrat...

Et siège au moulin avec la grande bouche...

ZÉLAN.

Que la Maîtresse en chambre est un endroit qui touche.

DORIMÈNE.

Ah ! Je n’en ris jamais.

ZÉLAN.

Il est d’un si beau tour ;

Pour n’en pas rire, il faut n’être pas de la Cour.

DORIMÈNE.

Le siècle est pour le goût dans une léthargie...

ZÉLAN.

C’est que, quand on y va, le bel-esprit s’oublie.

Chacun rit au hasard, lorsque son voisin rit.

Les qu’importe ? morbleu ! sont d’un beau jeu d’esprit !

Hé qu’importe ? il est bon.

DORANTE.

Du moins fais-nous entendre

Ce que dans ces trois mots tu trouves à reprendre.

AMARANTE.

Que je hais cet endroit qui me fait mal au cœur !

Il ressemble à ces gens qui nous portent malheur,

Il a le menton chauve. Il faut être effrontée...

CÉLIANTE.

Vous n’êtes pas, Madame, encor trop dégoûtée,

Puisque le menton chauve a pour vous peu d’appas.

DORIMÈNE.

Savez-vous qu’après tout cet entretien est bas ?

ZÉLAN.

Remettons-nous un peu sur la belle Julie.

À Dorimène.

Auriez-vous approuvé, sa gaillarde folie ?

DORIMÈNE.

Je hais son procédé.

ZÉLAN.

Je le dis sans façon :

Lorsque se vis baiser et prendre le téton,

Comme c’est en ce fait que L’humeur se dispose,

Je m’apprêtais à voir prendre encore autre chose,

Et je ne croyais pas qu’elle s’en tendrait là.

CÉLIANTE.

Pourquoi ne pas vouloir qu’elle fasse, cela ?

Une femme, je crois, peut baller une femme,

Sans choquer sa pudeur, et sans honte et sans blâme.

ZÉLAN.

Mais Constance la croit autrement qu’elle n’est ;

L’erreur de son esprit fait que ce jeu lui plaît.

DORIMÈNE.

C’est trop nous arrêter...

ZÉLAN.

Que dites-vous, Madame,

Du détour de Julie, en disant qu’elle est femme !

Et la nature enfin, malgré ses mouvements,

A su donner bon ordre à mes emportements.

Quoi ! chez vous la nature est-elle si paisible ?

Ah ! si, pour être femme, on était moins sensible,

Malgré de nos galants les chatouilleux écus,

Paris ne serait pas si peuplé de cocus.

DORIMÈNE.

Il est vrai que l’auteur, dans sa verve insensée,

N’a pas su nettement expliquer sa pensée.

LUCINDE.

Cependant ces deux vers font un fort grand fracas.

ZÉLAN.

De grâce, expliquez-moi ce galimatias :

Et vos ressentiments se prescrivant des bornes,

Vous mettez votre vie à l’abri de vos cornes.

À Dorante.

Commente sur ce vers.

DORANTE.

Hé quoi ! ton peu d’esprit ?...

ZÉLAN.

J’entends ce qu’il veut dire, et non pas ce qu’il dit.

DORANTE.

Il dit par cet endroit (et c’est-là son envie)

Que par le cocuage ils conservent leur vie.

ZÉLAN.

L’auteur veut donc par-là que l’on soit convaincu,

Que l’on ne peut pas vivre à moins qu’être cocu ?

LUCINDE.

Sa pensée est pourtant fort facile à comprendre.

ZÉLAN.

Mais puisque je le puis, je ne veux pas l’entendre ;

Je ne suis pas d’humeur à vouloir deviner,

Et mon esprit n’est pas un esprit à gêner.

N’est-ce pas à l’auteur, s’il veut que l’on l’entende,

À parler clairement ?

DORANTE.

Il faut que je me rende.

ZÉLAN.

Avant que le soleil demain soit occupé,

Nous nous verrons de près, ou je suis fort trompé.

Le soleil, à son sens, n’a donc plus rien à faire,

Lorsqu’il ne brille plus dessus notre hémisphère ?

LUCINDE.

Trop révère censeur, chicaner sur un mot !

Du moins ayez égard qu’il fait parler un sot.

ZÉLAN.

Mais, Madame, ce sot pouvait, dans sa folie,

Ne pas faire une erreur contre l’astrologie.

AMARANTE.

J’ai fait grand fond sur vous ; ah ! quelle saleté !

LUCINDE.

Pour moi, je n’en vois point, et c’est la vérité.

AMARANTE.

Quoi ! vous n’en voyez point ? Vous oubliez, Madame,

Sans doute que ces mots sont dits pour une femme.

LUCINDE.

Je m’en souviens fort bien ; mais Vous pouvez savoir

Qu’ayant un double sens, ils n’ont rien de si noir.

Si vous y trouvez rien contre la bienséance,

Ce n’est que votre esprit qui blesse l’innocence.

Si de deux sens divers, l’un mauvais, l’autre bon,

Vous donnez le mauvais à l’inclination,

Est-il juste, après tout, qu’un auteur soit complice

De votre turpitude, et de votre malice ?

J’ai fait grand fond sur vous, est un terme gaillard ;

Mais puisque vous pouvez le prendre en bonne part,

Faut-il que votre esprit ait assez peu de force,

Pour courir à l’appas d’une si faible amorce ?

AMARANTE.

Mais nos esprits au mal ont un si grand penchant,

Qu’on ne doit devant nous rien dire de méchant.

LUCINDE.

La plupart aujourd’hui sur ce point sont trompées.

Quand ces pointes d’esprit sont bien enveloppées,

Et que, d’un double sens, on en peut prendre un bon,

Qu’on a son franc arbitre à suivre la raison,

Quoi qu’en soi l’on poussât la sottise à l’extrême,

Croyez-moi, l’on ne doit s’en pendre qu’à soi-même.

Nos discours, entre nous, tiennent du libertin ;

Mais nous n’avons rien dit ici qui ne soit fin ;

Et, si chacun le prend, comme l’on le doit prendre,

La censure n’y peut rien trouver à reprendre ;

Et, quoique nous voulions blâmer la saleté,

Nous nous devons permettre un peu de liberté.

LIDIANE.

Qu’est-ce donc qu’un cocu, Monsieur ? 

À Lucinde.

Parlez, Madame.

DORIMÈNE.

C’est-là ce qu’on appelle une sottise infâme,

Puisqu’elle se découvre à notre entendement,

Sans pouvoir recevoir aucun déguisement.

ZÉLAN.

On fait sympathiser, alors qu’un tiers y trempe,

Un mariage en huile, avec un en détrempe ;

Quand une femme prend un galant à son choix,

Que d’un lit fait pour deux, elle en fait un pour trois,

Et qu’enfin, se faisant consoler de l’absence...

Est-ce là, sans scrupule, affronter l’impudence ?

Réponds, beau défenseur... Suis-je victorieux ?

Vous vous taisez, Madame, et vous baissez les yeux !

Vous me laissez ainsi prendre mon avantage,

Jugeons, je veux juger sans tarder davantage.

Je la condamne au feu.

LUCINDE.

Tout doux, tout doux, Monsieur.

Nous ne procédons pas avec tant de rigueur.

ZÉLAN.

Hé quoi ! cet endroit seul ?...

LUCINDE.

Cet endroit est blâmable,

Mais ce n’est pas allez pour la rendre coupable ;

Ayant fait le plaisir de tant d’honnêtes gens,

Ce serait condamner leurs divertissements.

LIDIANE.

Tout le monde dût-il s’opposer à sa perte,

Pour moi, je la renvoie en son île déserte.

LUCINDE.

Et, pour moi je l’absous, et je veux qu’à Paris

Elle charme les sens des plus galants esprits.

DORANTE.

Puisqu’il faut mettre au jour le secret de mon âme,

J’opine du bonnet, et je suis pour Madame.

ZÉLAN.

Et vous, belle Amarante, opinez, s’il vous plaît.

AMARANTE.

Vous l’avez condamnée, et je suis votre arrêt.

ZÉLAN.

Céliante, je crois, le suivra tout de même.

CÉLIANTE.

Non pas, Monsieur, non pas : votre erreur est extrême ;

Je ne vois point par où l’on la peut condamner ;

Et, quoiqu’elle ait failli, je lui veux pardonner.

ZÉLAN.

Nous voilà mi partis, c’est à vous, Dorimène,

Ou de lui faire grâce, ou d’ordonner sa peine.

DORIMÈNE.

Le sort me jette ici dans un grand embarras ;

Elle a bien des beautés, des grâces, des appas ;

Son mérite éclatant sait charmer la tristesse,

Chacun s’y divertit, l’on y rit, l’on s’y presse :

Mais, pour ne rien omettre au fait d’un tel procès,

Doit-elle pas rougir d’un si fameux succès,

Quand, par une fortune infâme et malheureuse,

Elle met en honneur la farce scandaleuse ?

Je lui pardonnerais un tel emportement,

Si je lui voyais l’art de railler finement,

Et si, d’un voile adroit l’ordure enveloppée,

La pudeur se voyait heureusement trompée :

Mais la voir surpasser, sous un sexe emprunté,

L’impudente soubrette, et le page effronté,

Et vouloir devant nous faire l’honnête femme !

Ne devrions-nous pas la traiter comme infâme,

Pour avoir en public dépouillé sa pudeur,

D’un sexe si charmant, l’apanage et l’honneur ;

Et par un feu public punir son impudence ?

Mais, si vous m’en croyez, penchons vers la clémence.

Ordonnons par pitié, pour raison de ses faits,

Qu’elle entre au cabinet, et n’en sorte jamais ;

Et c’est, à mon avis, le moins qu’on puisse faire.

ZÉLAN.

Condamnés aux dépens ; j’ai gagné mon affaire.

UN PAGE.

Dorinde est arrivée.

DORIMÈNE.

Allons la recevoir ;

Et réciproquement donnons-nous le bonsoir. 

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