Les Vivacités du capitaine Tic (Eugène LABICHE - Édouard MARTIN)

Comédie en trois actes.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Vaudeville, le 16 mars 1861.

 

Personnages

 

HORACE TIC, capitaine cavalerie

DÉSAMBOIS

CÉLESTIN MAGIS

BERNARD, domestique du capitaine

UN INVITÉ

BAPTISTE, domestique de madame de Guy-Robert

MADAME DE GUY-ROBERT

LUCILE, sa nièce

 

La scène à Paris, de nos jours.

 

 

ACTE I

 

Un salon chez madame de Guy-Robert : porte au fond ; portes à droite et à gauche ; une cheminée, chaises, un tabouret.

 

 

Scène première

 

HORACE, BERNARD, tous deux en costume de hussard.

 

HORACE, à Bernard, qui achève de ranger un service de porcelaine sur le guéridon.

Il n’y a rien de cassé ?

BERNARD.

Rien, mon capitaine, tout est complet.

HORACE.

Eh bien, c’est de la chance ! un service de porcelaine que je cahote depuis Pékin...

BERNARD.

Et par des chinois de chemins.

HORACE.

Bernard !

BERNARD.

Capitaine ?

HORACE.

Qu’est-ce que tu penses de la Chine, toi ?

BERNARD.

Je pense que c’est un pays... éloigné.

HORACE.

Ah ! Et tu n’as pas d’autre opinion ?

BERNARD.

Ma foi, non !

HORACE.

Après ça, le gouvernement ne t’en demande pas davantage.

Regardant la pendule.

Neuf heures !... Je crois que ma tante ne tardera pas à se lever.

BERNARD.

Ah ! va-t-elle être surprise, cette brave dame !...

HORACE.

Et heureuse !... Je lui ai bien écrit que je donnais ma démission, et que je revenais ; mais nous ne comptions pas arriver si tôt... Hier soir, elle dormait...

BERNARD.

Et mon capitaine a défendu de la réveiller.

HORACE.

Je crois bien ! le plaisir de me recevoir... elle n’aurait plus fermé l’œil de la nuit ; bonne et excellente femme, c’est une mère pour moi.

Regardant autour de lui.

Dis donc, je crois que nous serons bien ici... qu’en dis-tu ?

BERNARD, s’asseyant, en face de son maître, sur la petite caisse dans laquelle était la porcelaine.

Moi, capitaine ?

HORACE.

Parbleu ! Est-ce que tu te figures que tu vas me quitter ? Est-ce que tu voudrais retourner au pays, par hasard ?

BERNARD.

Oh ! le pays pour moi... c’est mon capitaine !

HORACE.

À la bonne heure !... Je n’oublierai jamais, Bernard, que nous avons passé ensemble une dizaine d’années passablement vagabondes et accidentées.

BERNARD.

On peut dire que nous en avons mangé de toutes les couleurs.

HORACE.

Et si je suis ici, solide et bien portant, c’est grâce à toi !

BERNARD.

Allons donc !...

HORACE.

Te souviens-tu du joli coup de sabre que j’ai reçu à Montebello, en Italie ?

BERNARD.

Oh ! une écorchure !

HORACE.

Oui, une écorchure qui me prenait depuis le haut de la tête jusqu’au bas du nez... Ah ! je croyais que tout était fini... j’étais à terre... les yeux tournés vers le ciel... comme tout honnête homme qui va partir.

BERNARD.

Je connais ça... on cherche la porte de sortie...

HORACE.

Lorsqu’un de mes braves hussards s’est élancé au milieu de la mêlée, m’a placé sur son cheval et m’a ramené à l’ambulance au milieu d’une mitraillade. C’était toi, Bernard !

BERNARD, brusquement.

Je ne me souviens pas de tout ça, moi ! D’ailleurs, c’est recollé !

HORACE.

Ce jour-là le capitaine Tic a dit à Bernard : « Mon vieux, quand on a vu ensemble la mort de si près, il ne faut plus se quitter. »

BERNARD.

Et vous avez eu la bonté de m’attacher à votre personne pour la vie...

HORACE.

Puisque tu n’as pas voulu que je te fasse des rentes, imbécile !...

Horace se lève, et Bernard va déposer la petite caisse sur une chaise à droite.

Mais il ne s’agit pas de cela... Nous voici rentrés dans le civil, réintégrés dans le giron de la famille... avance un peu à l’ordre !

BERNARD, militairement.

Présent, Capitaine !

HORACE.

Politesse et bonne humeur avec tout le monde, et respect aux femmes de chambre...

BERNARD, désappointé.

Ah ! saperlotte !

HORACE.

Aux femmes de chambre de la maison, bien entendu !

BERNARD.

Et les autres ?

HORACE.

C’est une affaire entre toi et ta conscience !

BERNARD.

Suffit... nous tâcherons de nous arranger ensemble... Ensuite ?

HORACE.

Ensuite, comme il faut donner la meilleure idée de l’éducation de l’armée française... tu me feras le plaisir de trouver tout charmant, parfait, ravissant !

BERNARD.

Convenu !

HORACE.

Et dans tes moments perdus... quand tu t’ennuieras, et si ça te fait plaisir, tu donneras un coup de main aux gens de la maison... mais tu n’es pas forcé !

BERNARD.

Soyez tranquille... on ne boudera pas !

MADAME DE GUY, en dehors.

Horace ! Horace ! où est-il ?... Il est arrivé, il est ici ?

HORACE.

Ma tante !...

À Bernard.

File !...

Bernard entre à droite en emportant la caisse.

 

 

Scène II

 

MADAME DE GUY, HORACE

 

MADAME DU GUY.

Horace !... mon enfant !... que je suis heureuse !

HORACE.

Ma bonne tante !...

Ils s’embrassent.

MADAME DU GUY.

Encore !

HORACE.

Jusqu’à ce soir, si vous voulez !...

Ils s’embrassent de nouveau.

MADAME DU GUY.

Comment ! c’est toi, mon bon Horace ?... J’ai cru que je ne te reverrais plus !... Dire que ça revient de Chine !

HORACE.

Directement !

MADAME DU GUY.

Tu es toujours le même.

Lui prenant le menton.

Quand je pense que c’est à moi, ce neveu-là !... Mais approchez donc vos joues, monsieur le capitaine...

Elle s’assied à gauche.

HORACE, s’approchant, et s’asseyant sur le tabouret.

Comme autrefois...

MADAME DE GUY, lui tapotant les joues.

Mon bon Tic !... mon grand câlin !...

HORACE, se laissant caresser.

Allez toujours ! C’est si bon d’avoir une famille... et de revenir s’y faire caresser les joues.

MADAME DU GUY.

Ah ! mon pauvre enfant, comme tu as maigri !

HORACE.

Moi ? Ah ! par exemple ! si vous me trouvez maigre... c’est de la gourmandise !

MADAME DU GUY.

Sais-tu que voilà bientôt dix ans que je ne t’ai pas vu !... Ah ! tu en as long à me raconter !

HORACE.

Pour toutes vos soirées d’hiver !

MADAME DU GUY.

D’abord, pourquoi as-tu donné ta démission ?

HORACE.

Oh ! un coup de tête, un mouvement de vivacité !

MADAME DE GUY, se levant.

Un duel ?

HORACE, se levant.

Oh ! non... Pendant l’expédition de Chine, Baculard et moi... Baculard, c’est un Africain, un vieux camarade de Constantine... nous nous rencontrons sur le même mandarin : moi, je coupe au bonhomme l’oreille droite, et Baculard coupe l’oreille gauche... Chacun son oreille !

MADAME DU GUY.

Quelle horreur !

HORACE.

Oh ! en Chine, c’est de la clémence !... Voilà qu’on me porte à l’ordre du jour... pour mon oreille droite... mais, pas un mot de Baculard ! Alors, je vais trouver le colonel, et je lui dis : « Colonel, je vous remercie, mais Baculard, un vieux camarade de Constantine, a cueilli la gauche. – Eh bien, après ? – Dame ! colonel, il serait peut-être opportun de le mettre aussi à l’ordre du jour... »

MADAME DU GUY.

Eh bien ?

HORACE.

Eh bien, le colonel m’envoie promener... J’insiste, il se fâche... je m’échauffe, et il me campe aux arrêts pour huit jours !... Ça me vexe, je prends la mouche, et, aussitôt la campagne terminée, j’envoie ma démission... datée de Pékin ; c’est une bêtise !

MADAME DU GUY.

Ah ! je reconnais bien là ta mauvaise tête !

HORACE.

J’aime Baculard, moi !

MADAME DU GUY.

Je ne t’en veux pas ! puisque ton coup de tête te permet de rester avec nous... Mais tu as un vilain défaut, tu es emporté, colère...

HORACE.

Oh ! un peu vif, mais je me corrigerai... Contre qui pourrais-je me fâcher ici ? Je vivrai près de vous bien doucement, bien tranquillement, comme un petit rentier. J’ai douze mille francs de rente...

MADAME DU GUY.

Ah ! oui, on va loin avec ça ! tu les mangeras en six mois !

HORACE.

Oh ! vous ne me connaissez pas ! D’abord, j’ai trouvé un excellent moyen...

MADAME DU GUY.

Lequel ?

HORACE.

Tous les mois, je vous remettrai mon argent, et chaque matin vous me donnerez ce qu’il me faudra pour la journée...

MADAME DU GUY.

Ah ! voilà une idée !

HORACE.

Vous serez mon capitaine payeur... Dites donc, ma tante, qu’est-ce que cela peut bien faire par jour, douze mille livres de rente ?

MADAME DU GUY.

Ce que cela peut faire ?... Ça fait trente-trois francs, trente-trois centimes.

HORACE.

Par jour ! tant que cela ? Mais alors, je suis riche ! Ma tante, je vous promets un cachemire pour le jour de l’an.

MADAME DU GUY.

Il y en a à trente-neuf francs. Tu sais ?

HORACE.

Du tout ! un cachemire de l’Inde !

MADAME DU GUY.

Voyons, parlons sérieusement, Horace. Maintenant que tu as quitté le service, est-ce que tu ne vas pas songer à te marier ?...

HORACE.

Moi ? Ah ! quelle drôle d’idée !...

MADAME DU GUY.

Réponds-moi franchement.

HORACE.

Eh bien, franchement, ça me serait très désagréable !

MADAME DU GUY.

Pourquoi ?...

HORACE.

Que voulez-vous !... Je suis un peu maniaque... comme tous les troupiers... Je ne m’accommoderais pas de la vie de ménage... Ainsi, mon bonheur, à moi, est de coucher sur une planche... Eh bien, les femmes, ça aime les lits de plume... dit-on !

MADAME DU GUY.

« Dit-on » est joli !

HORACE.

Et puis j’ai arrangé ma vie autrement... Avec mes trente-trois francs ; trente-trois centimes, j’aurai deux chevaux de selle... Si j’avais une femme, il faudrait supprimer les chevaux...

MADAME DU GUY.

Et tu aimes mieux supprimer la femme ?... Enfin, n’en parlons plus !... C’est dommage !

HORACE.

Quoi donc ?

MADAME DU GUY.

Oh ! rien !... une idée !... un rêve !...

 

 

Scène III

 

MADAME DE GUY, HORACE, LUCILE

 

LUCILE, sortant de la gauche.

Bonjour, ma tante !

S’arrêtant.

Ah ! quelqu’un !...

Saluant Horace.

Monsieur...

HORACE.

Mademoiselle...

MADAME DU GUY.

Monsieur... mademoiselle... Comment ! vous ne vous reconnaissez pas ? Horace !... Lucile !...

HORACE.

La petite Lucile !...

LUCILE.

Le cousin Tic !...

HORACE, il embrasse Lucile.

Ma tante... peut-on ?...

MADAME DU GUY.

Mais certainement !

HORACE, embrassant Lucile de nouveau.

Comme vous avez grandi !

LUCILE.

Et comme vous avez engraissé !

HORACE.

Là !...

À sa tante.

C’est elle qui est dans le vrai !

Examinant Lucile.

Comment ! voilà cette petite fille ?...

MADAME DU GUY.

À qui tu as appris à épeler...

HORACE.

C’est vrai ! B, a ba, b, e be.

À Lucile.

Et avons-nous fait des progrès ? Savons-nous lire, maintenant ?

LUCILE.

Couramment !

HORACE.

Eh bien, pour vous récompenser, mademoiselle, votre professeur vous a rapporté un...

Il prend un éventail sur le guéridon.

LUCILE.

Un éventail chinois ! Oh ! quel admirable travail ! C’est de l’ivoire brodé !

HORACE, montrant le plateau que Bernard a disposé sur le guéridon.

Et notre bonne tante nous offrira le thé ce soir dans ce service de porcelaine.

LUCILE et MADAME DE GUY, allant au fond.

Dieu ! qu’il est joli !

MADAME DE GUY, à Horace.

Tu as pensé à moi... de si loin ?

Lucile redescend à gauche.

HORACE.

Ah ! ma tante !... on ne sait pas tout ce que le soldat emporte de souvenirs dans son portemanteau ! Vous rappelez-vous cette bonne petite photographie de Nadar... pour laquelle vous ne vouliez pas poser ?...

MADAME DU GUY.

J’ai fini par céder !

HORACE.

Ne le regrettez pas !... Si vous saviez combien de fois je l’ai regardée... et, en la regardant, je sentais comme un courant d’air frais qui m’arrivait de la France, de la famille !...

LUCILE, à part, s’essuyant les yeux.

Pauvre garçon !

MADAME DU GUY.

Mais finis donc... Tu me fais pleurer !

HORACE, gaiement, à sa tante.

Dites donc ! nous sommes entrés ensemble dans Pékin !... mèche allumée !... Vous étiez superbe, ma tante !...

MADAME DU GUY.

Comment ! je suis entrée dans Pékin !...

HORACE.

En photographie !... Je vous avais roulée dans mes trois chemises, pour vous protéger !...

MADAME DU GUY.

Comment ! tu n’avais que trois chemises ?...

HORACE.

Et je ne suis revenu qu’avec deux !... Il y a là-bas une blanchisseuse... qui manque de délicatesse... Mais la paix est signée !...

LUCILE.

Mon cousin, racontez-nous donc ce que vous êtes devenu depuis dix ans.

MADAME DU GUY.

Oui, conte-nous tout cela !...

HORACE.

Tout ?... Oh ! non ! je vous en raconterai des petits morceaux...

À part.

À l’usage de la famille !

Madame de Guy va prendre une chaise, la place au milieu du théâtre et y fait asseoir Horace ; puis madame de Guy avance une autre chaise et s’assied près d’Horace. Lucile s’est assise à gauche près d’Horace, sur le petit tabouret.

MADAME DU GUY.

Assieds-toi là, près de moi !

HORACE.

Je commence. Pour faire une bonne brique, on la met dans le four ; pour faire un bon soldat, on l’envoie en Afrique ; j’ai donc débuté par l’Afrique ! Franchement, je n’y ai rien fait de remarquable, je me suis laissé cuire.

LUCILE.

Eh bien, et les Arabes ?

HORACE.

Oh ! il n’y a plus rien à faire avec eux... c’est un peuple fatigué...

Avec dédain.

Ça laboure et ça promène des moutons... Une fois, cependant, je me suis trouvé enfermé dans un petit fortin, avec quinze hommes, sur les limites du Sahara... C’est là qu’il fait chaud, ma tante !... Au fait, vous y étiez !...

MADAME DU GUY.

Moi ?

HORACE.

Grâce à Nadar !... Nous étions cernés par des tribus ennemies qui rôdaient autour de nous, comme des troupeaux de loups affamés...

LUCILE.

Ah ! mon Dieu !

HORACE.

Mais nous les tenions à distance avec une petite pièce de quatre qui semblait les contrarier vivement... Au bout de vingt et un jours, je m’aperçus que nos provisions étaient épuisées : ni pain, ni eau !

MADAME DU GUY.

Ni pain, ni eau !

HORACE.

Ah ! c’est là que je pensais au bon petit chablis de ma tante, et à la cloyère d’huîtres qu’elle nous offrait au jour de l’an !

MADAME DU GUY.

Pauvre garçon ! tu en auras pour ton déjeuner !

LUCILE.

Avec du citron.

HORACE.

Ce n’est pas pour cela que je l’ai dit !... mais j’accepte ! Nous étions sans pain, ni eau... ni tabac !... Cruelle complication ! Heureusement que j’avais dans ma petite troupe un Parisien... et un Parisien dans un régiment, voyez-vous, c’est comme un couplet de vaudeville dans une tragédie... Aussi, quand arrivait l’heure des repas, nous nous serrions le ventre et nous chantions en chœur...

LUCILE.

Quoi ?

HORACE, chantant

Ah ! il a des bottes ! il a des bottes ! Bastien !

MADAME DE GUY et LUCILE, riant.

Ah ! ah ! ah !

HORACE.

Je vous assure que ça étonnait bien les Arabes ! Cette invocation fut entendue, car le lendemain une colonne de ravitaillement vint nous dégager ; il était temps !... Nous avions soif depuis vingt-quatre heures.

MADAME DE GUY, vivement.

Veux-tu boire quelque chose ?

Tous trois se lèvent.

HORACE.

Oh ! merci ! Depuis, j’ai été me rafraîchir... en Crimée ! Ah ! dame ! là ! c’est une autre température... Impossible de conserver l’eau. Ça devient tout de suite de la place... Aussi, je m’étais mis au rhum !

LUCILE.

Ah ! s’il est possible !

HORACE.

Mélangé avec de la neige et un coup de poudre... bien remué !... ça se laisse avaler... ça ne vaut pas les granits savoureux de l’Italie !... Ah ! voilà un pays, l’Italie... Beau ciel ! bon vin ! jolies femmes !

MADAME DE GUY, toussant pour l’avertir.

Hum ! hum !

HORACE.

Ah ! oui !

À part.

Coupure !

LUCILE.

Et les monuments, mon cousin ?

HORACE.

Magnifiques ! Il y a, à Milan, le café Français... qui est une chose à voir... et que j’ai vue... plusieurs fois !

MADAME DU GUY.

Mais tu ne nous parles pas de tes faits d’armes !...

LUCILE.

Oh ! oui !... mon cousin !

MADAME DU GUY.

Voyons, combien as-tu pris de drapeaux ?

HORACE.

Diable ! comme vous y allez !... En Chine, j’en ai ramassé cinq... mais, là, on les cueille, on donne les quatre au cent... Avec MM. les Autrichiens, c’est une autre affaire : un jour, lancé à fond de train, j’en ai touché un du doigt... je croyais le tenir !... lorsque j’ai reçu le plus joli coup de sabre !...

MADAME DU GUY.

Tu as été blessé ?

LUCILE.

Ah ! mon Dieu !

HORACE.

Je ne le regrette pas ! Celui qui m’a appliqué ça... était un artiste !... Ah ! sans mon pauvre Bernard, j’étais dans le Moniteur... côté des absents !

MADAME DU GUY.

Bernard ?

HORACE.

Mon soldat... que j’ai ramené... Il m’a tiré de là au milieu d’une mitraillade !... Tante, je vous le recommande, c’est un ami !

MADAME DU GUY.

Je crois bien ! ce brave garçon !... Qu’est-ce qu’il prend le matin ?... Du chocolat ?

HORACE.

Non... il préfère une nourriture... plus accentuée !

LUCILE, vivement.

Et votre blessure, mon cousin ?

HORACE.

Oh ! c’est fini ! j’ai été si bien soigné... par une femme... une femme délicieuse !... Figurez-vous...

MADAME DE GUY, toussant pour l’avertir.

Hum ! hum !

HORACE.

Ah ! oui !

À part.

Coupure !

LUCILE.

Horace, je vous remercie de votre récit... et, en vous écoutant, je me suis sentie fière de vous !...

HORACE.

Il n’y a pas de quoi, cousine !

LUCILE.

Oh ! si !... j’admire et je comprends cette existence du soldat... ce mélange de souffrance, de gaieté, de courage, de modestie...

MADAME DE GUY, voulant arrêter sa nièce.

Lucile !

HORACE, à sa tante.

Parbleu ! n’avez-vous pas peur qu’elle ne s’engage ?...

LUCILE, tendant la main à Horace.

Je vous le répète Horace, je suis fière de vous !

HORACE.

Alors, embrassons-nous... au nom de l’armée !

Il l’embrasse.

MADAME DU GUY.

Sont-ils enfants !

Lucile remonte causer avec sa tante.

HORACE, à part, et passant à droite.

Sacrebleu ! elle est gentille, la petite cousine ! elle aime les militaires... et, si jamais je songe à me marier... Il faudra que j’en parle à la tante... Je supprimerais les deux chevaux, voilà tout !

LUCILE, achevant une conversation commencée avec madame de Guy.

Non, ma tante, c’est inutile !

MADAME DU GUY.

Si ! cela se doit !

HORACE.

Qu’y a-t-il donc ?

MADAME DU GUY.

Mon ami, comme membre de la famille, j’ai à te faire part d’une nouvelle... importante !

HORACE.

À moi ?... Laquelle ?

MADAME DU GUY.

Il est question d’un mariage pour Lucile...

HORACE.

Un mariage ?... Ah ! ma cousine... mademoiselle... recevez mes félicitations...

LUCILE, embarrassée.

C’est M. Désambois...

MADAME DU GUY.

Son tuteur, qui a conçu ce projet...

HORACE.

M. Désambois, je ne connais pas !

MADAME DU GUY.

Un de nos amis... un pharmacien retiré, bien qu’il n’ait que quarante ans... Maintenant il s’occupe de sciences... C’est un esprit très distingué, très sérieux... Il a été choisi comme tuteur de Lucile par le conseil de famille, parce que c’est un homme... très sérieux...

HORACE.

Et le prétendu ?

MADAME DU GUY.

Nous ne le connaissons pas ! M. Désambois doit nous le présenter aujourd’hui !

HORACE.

Je vous laisse.

MADAME DU GUY.

Du tout ! tu es de la famille !

LUCILE.

Et je désire avoir votre avis.

HORACE, passant à gauche.

Moi, je ne m’y connais pas !

À part.

trop tard ! Voilà ce que c’est que d’aller en Chine !... J’aurai deux chevaux... voilà tout !... C’est dommage !

 

 

Scène IV

 

MADAME DE GUY, HORACE, LUCILE, BAPTISTE, puis DÉSAMBOIS

 

BAPTISTE, annonçant.

M. Désambois !

Il se retire.

MADAME DU GUY.

C’est lui !

DÉSAMBOIS, paraît. Habit noir, cravate blanche, gants noirs.

Chère madame, veuillez m’excuser si je me suis fait attendre... mais une expérience scientifique de la plus haute importance...

MADAME DU GUY.

Permettez-moi d’abord de vous présenter mon neveu Horace...

À Horace.

Mon ami, je te présente M. Désambois...

HORACE, saluant.

Monsieur...

DÉSAMBOIS, saluant.

Monsieur...

Aux dames.

Je précède de quelques instants M. Célestin Magis, l’heureux compétiteur à la main de Mademoiselle... Croyez bien que je ne lui aurais pas accordé mon patronage, si je n’avais distingué en lui les qualités les plus solides... M. Magis est un jeune homme sérieux... tout à fait sérieux !

HORACE, à part.

Encore ? Ah çà ! ils sont donc tous sérieux ?

MADAME DU GUY.

Vous savez, monsieur Désambois, que j’ai toute confiance en vous !

HORACE.

Peut-on, sans indiscrétion, demander quelle est la profession de mon futur cousin ?

DÉSAMBOIS.

Mon Dieu, il n’en a pas positivement... c’est un homme...

HORACE.

Sérieux ?...

DÉSAMBOIS.

Oui... qui s’occupe de sciences... d’études transcendantes !

HORACE.

Ah !

DÉSAMBOIS.

À vingt-neuf ans, M. Magis vient d’être promu à la dignité de secrétaire de la Société de statistique... de Vierzon...

HORACE.

Fichtre ! c’est un beau grade !

DÉSAMBOIS.

Et j’ai moi-même l’espoir d’être avant peu nommé membre correspondant de ladite...

MADAME DU GUY.

Je ne demande au mari de Lucile que de la rendre heureuse... Sans doute, il m’est cruel de me séparer d’elle ; mais, puisque Horace ne retourne pas à l’armée, je ne serai pas tout à fait seule.

DÉSAMBOIS, avec dédain.

Ah ! je vois que Monsieur est militaire.

HORACE.

Je l’étais... car j’ai donné ma démission...

DÉSAMBOIS, aimable.

Ah ! monsieur, permettez-moi de vous en féliciter.

HORACE.

Et pourquoi donc, monsieur ?

DÉSAMBOIS.

Parce que, entre nous, l’état militaire...

HORACE.

Eh bien ?...

DÉSAMBOIS.

Certainement, je respecte l’armée... Je l’accepte même...

HORACE.

Vous êtes bien bon !

DÉSAMBOIS.

Je l’accepte comme une tradition des époques primitives et transformatrices... Mais, au point de vue spéculatif, quelques bons esprits... je suis du nombre... se sont demandé pourquoi ces grandes agglomérations de célibataires, ingénieusement classées, j’en conviens, sous les noms de régiments, de bataillons, de compagnies...

HORACE, à part.

Oh ! il m’agace !

DÉSAMBOIS.

Mais, je le répète, le penseur, le philosophe sérieux se demandent avec angoisse à quoi servent ces phalanges improductives.

HORACE, à bout de patience.

À quoi ?

DÉSAMBOIS.

Oui.

HORACE, éclatant.

À défendre la soupe des gens sérieux !

DÉSAMBOIS.

La soupe !

Il passe. Madame de Guy va à Horace.

MADAME DE GUY, cherchant à calmer son neveu.

Voyons, Horace !

HORACE, bas à sa tante.

Oh ! il me porte sur les nerfs, votre pharmacien !

À Désambois, et allant à lui.

Vous qui êtes un savant, connaissez-vous l’histoire du hérisson philosophe ?

DÉSAMBOIS.

Non !

HORACE.

Il y avait une fois un hérisson philosophe, armé de pointes et de piquants comme tous ceux de son espèce... Un jour, ce grand penseur se dit : « À quoi bon cette agglomération de petites baïonnettes improductives qui se dressent sur mon dos à la moindre alerte ? Cet appareil de guerre est vraiment désobligeant pour mes voisins. Supprimons-le ! » Il le supprima, l’imbécile !

DÉSAMBOIS.

Qu’arriva-t-il ?

HORACE.

Il arriva une fouine, qui le trouvant gras et sans défense, le croqua comme un œuf ! Mettez ça en vers si ça vous fait plaisir.

DÉSAMBOIS.

Je comprends. C’est un apologue.

LUCILE, riant.

Cela vous apprendra à vous attaquer à mon cousin... un homme qui revient de Chine... après avoir passé par Sébastopol !...

DÉSAMBOIS.

Vous étiez au siège de Sébastopol ?

HORACE.

Oui, monsieur...

DÉSAMBOIS.

Oserai-je vous demander un renseignement précieux... au point de vue de la statistique ?...

HORACE.

Parlez.

DÉSAMBOIS, tirant son carnet et s’apprêtant à écrire.

Pourriez-vous me dire combien il a été lancé de projectiles, tant du côté des Russes que du côté des alliés ?

HORACE.

Ah ! pour ça, nous ne les avons pas comptés !

DÉSAMBOIS.

Alors, que faisiez-vous donc ?

HORACE.

Nous les recevions... C’est déjà bien gentil !

BAPTISTE, entrant et remettant une carte à madame de Guy.

Madame, la personne est là.

MADAME DE GUY, lisant le nom sur la carte.

Célestin Magis !

À Baptiste.

Faites entrer !

DÉSAMBOIS.

Vous allez le voir ! Il est charmant !

 

 

Scène V

 

MADAME DE GUY, HORACE, LUCILE, DÉSAMBOIS, MAGIS

 

Il paraît au fond. Cravate blanche, habit noir, gants noirs.

DÉSAMBOIS, courant à lui.

Arrivez donc, cher ami !

MAGIS, froidement.

Veuillez me présenter, je vous prie.

DÉSAMBOIS.

Ah oui !...

À part.

Il a une présence d’esprit !... Il est étonnant !

Le présentant à madame de Guy.

M. Célestin Magis...

MAGIS, saluant.

Madame...

DÉSAMBOIS, le présentant à Lucile.

M. Célestin Magis...

MAGIS, saluant.

Mademoiselle...

DÉSAMBOIS, le présentant à Horace.

M. Célestin Magis...

MAGIS, saluant.

Monsieur...

HORACE, à part.

Bonne tenue, moitié pompes funèbres moitié garçon de café !

MADAME DE GUY, à Magis.

M. Désambois nous a fait le plus grand éloge de votre personne, et nous sommes charmés, monsieur...

MAGIS.

J’ose espérer, madame, mademoiselle et monsieur... que vous conserverez de moi cette bonne opinion quand vous me connaîtrez davantage. Je ne suis pas un de ces jeunes gens dont la vie se consume dans les futilités mondaines. J’ai toujours eu un goût prononcé pour l’étude, et les échos du collège Charlemagne retentissent encore du bruit de mes modestes succès.

HORACE, à part.

Premier prix de thème !

MAGIS.

Plus tard, abandonné à moi-même, sans aide, au milieu de Paris, cette moderne Babylone...

DÉSAMBOIS.

Oh ! c’est bien vrai !

HORACE, à part.

Prudhomme père et fils !

MAGIS.

...j’ai su éviter les entraînements du plaisir, dont la pente, toujours facile, conduit tant de brillantes organisations à l’anéantissement de leurs facultés intellectuelles et morales...

HORACE, à part.

Ce n’est pas un homme... c’est une tirade !

Il va au guéridon et se met à feuilleter l’Illustration.

MAGIS.

Ma vie est simple, normale, rationnelle...

MADAME DE GUY.

Certainement, monsieur...

DÉSAMBOIS, bas.

Laissez-le parler ! Il est étonnant !...

MAGIS.

Je me lève à sept heures... je déjeune avec une tasse de lait... sans sucre... c’est mon meilleur repas !

HORACE, feuilletant l’Illustration, avec impatience.

Cristi !...

MAGIS.

Je sors... je marche une heure... puis je rentre, je me recueille... Après, je m’enfonce dans mes livres... des livres sérieux !...

DÉSAMBOIS.

Parbleu !

MAGIS.

Je dîne à six heures... légèrement ! Après mon dîner, je me joins à quelques amis, des esprits solides, avec lesquels je me trouve en communion d’idées ; nous échangeons, dans une conversation substantielle et robuste, les fruits de notre travail du jour. M. Désambois veut bien quelquefois nous honorer de sa visite.

DÉSAMBOIS.

Oh ! cher ami !

MAGIS.

Je rentre à neuf heures... je prends quelques notes et je me couche.

DÉSAMBOIS.

C’est admirable !

LUCILE, à part.

Quelle différence avec mon cousin !...

MAGIS.

Me voilà tel que je suis, je ne vous ai rien caché...

MADAME DU GUY.

Certainement, monsieur...

DÉSAMBOIS, bas.

Laissez-le parler !

MAGIS.

Possesseur d’une fortune assez belle, j’aurais pu, comme tant d’autres, mener une vie de désordre et de dissipation... Mais j’ai préféré nourrir mon esprit de la moelle des fortes études.

Madame de Guy remonte.

MADAME DE GUY, bas à Horace.

Il s’exprime fort bien...

HORACE, bas.

Je ne sais pas... je regarde les images...

Madame de Guy redescend près de Lucile.

DÉSAMBOIS.

Si j’avais un fils, je voudrais qu’il vous ressemblât... Monsieur Magis, il faudra envoyer à ces dames votre dernier ouvrage.

À Lucile.

Il a publié un ouvrage... imprimé...

MADAME DU GUY.

Comment ?

MAGIS.

Je n’aurais pas osé prendre cette liberté ; mais, puisque vous le permettez, je serai heureux de vous apporter moi-même mon opuscule sur la Monographie de la statistique comparée.

DÉSAMBOIS.

Avec un petit mot sur la première page...

MADAME DU GUY.

Ah ! monsieur, vous ne pouvez douter de l’intérêt...

DÉSAMBOIS, bas.

Laissez-le parler !

MAGIS.

La statistique, madame, est une science moderne et positive. Elle met en lumière les faits les plus obscurs. Ainsi, dernièrement, grâce à des recherches laborieuses, nous sommes arrivés à connaître le nombre exact des veuves qui ont passé sur le Pont-Neuf pendant le cours de l’année 1860.

HORACE, se levant.

Ah bah !

DÉSAMBOIS.

C’est prodigieux ! Et combien ?...

MAGIS.

Treize mille quatre cent quatre-vingt-dix-huit... et une douteuse.

DÉSAMBOIS, tirant vivement son carnet.

Permettez...

Écrivant.

Treize mille quatre cent quatre-vingt-dix-huit... Il est étonnant !

HORACE, à Désambois.

N’oubliez pas la douteuse !

DÉSAMBOIS.

Oh ! merci ! j’allais l’oublier.

MAGIS.

Plus fort que cela. Tout récemment, nos études se sont dirigées sur le charançon...

MADAME DU GUY.

Qu’est-ce que c’est que ça ?...

MAGIS.

Un petit insecte qui se loge dans les graines des céréales pour en dévorer le contenu... C’est la plaie de nos greniers...

TOUS, avec compassion.

Ah !

MAGIS.

Eh bien, madame, nous avons été assez heureux pour constater que douze charançons, établis dans un hectolitre de blé, produisent en sept minutes soixante-quinze mille individus.

HORACE.

Diavolo !

MAGIS.

Dont chacun peut dévorer trois grains de blé par an, c’est-à-dire deux cent vingt-cinq mille grains...

DÉSAMBOIS, transporté.

C’est étourdissant !

Tirant son carnet.

Permettez... nous disons : deux cent vingt-cinq mille grains...

HORACE, à Magis.

Et avez-vous trouvé le moyen de les détruire, vos charançons ?...

MAGIS.

Oh ! non... cela ne nous regarde pas...

HORACE.

Eh bien, alors...

DÉSAMBOIS, à part.

Ces militaires, ça ne pense qu’à détruire !

MADAME DE GUY, à Lucile, bas.

Il est vraiment fort instruit !

LUCILE, de même.

Oui, il sait des choses que personne ne sait...

MADAME DE GUY, à Magis.

Monsieur, je donne demain une soirée dansante à quelques amis... Puis-je espérer que vous voudrez bien me faire l’honneur d’y assister ?...

MAGIS.

Madame, je danse peu, je ne joue jamais, je ne bois que de l’eau... sans sucre...

HORACE, à part.

C’est l’ennui en bouteille, ce monsieur-là !

MAGIS.

Mais le plaisir de passer quelques instants dans la compagnie de votre honorable famille me fait un devoir d’accepter...

HORACE, à part.

Ma parole, j’aime mieux les gandins ! Au moins, ils sont gais !

MAGIS.

Maintenant, madame... et mademoiselle, et vous, monsieur... Je vous demanderai la permission de me retirer...

HORACE, vivement.

Comment donc !...

MAGIS.

Je suis attendu au cercle Philotechnique...

DÉSAMBOIS.

Je vous suis, cher ami.

À Horace.

Voilà l’homme utile ! le voilà !

HORACE.

Oh ! oui... utile... et agréable !...

Magis et Désambois sortent, accompagnés de madame de Guy.

 

 

Scène VI

 

HORACE, LUCILE

 

LUCILE.

Eh bien, mon cousin ?

HORACE.

Eh bien, ma cousine ?

LUCILE.

Comment le trouvez-vous ?

HORACE.

Franchement ?

LUCILE.

Franchement !

HORACE.

Je trouve qu’il a l’air d’avoir avalé sa canne !

LUCILE, riant.

Comment ?...

HORACE.

Oui, il est raide comme un bâton, il parle comme un proviseur, il est ennuyeux comme un parapluie.

LUCILE, riant.

Vous êtes sévère...

HORACE.

Ce n’est pas là le mari qui vous convient ! Il vous faut un garçon franc, jovial, éveillé, bon vivant, comme Baculard...

LUCILE, étourdiment.

Ou comme vous !...

HORACE.

Ou comme moi...

À part.

Tiens, elle a dit : Comme moi !

Haut.

Ah çà ! ma cousine, vous n’auriez donc pas de répugnance à épouser un militaire ?

LUCILE.

Un militaire... retiré, non, mon cousin...

HORACE, à part.

Elle a dit : Retiré !

Haut.

Voyons, causons !

Il la prend sous le bras. À l’arrivée de madame de Guy, il la quitte.

 

 

Scène VII

 

HORACE, LUCILE, MADAME DE GUY, puis BERNARD

 

MADAME DE GUY, entrant.

Il est charmant, ce jeune homme !... Je viens de l’autoriser à commencer ses visites de prétendu.

LUCILE.

Comment ! déjà ?

HORACE.

En vérité, ma tante, je ne comprends pas votre empressement !

LUCILE.

C’est de l’engouement !

MADAME DE GUY, à part.

Qu’est-ce qu’ils ont donc ?

Haut.

J’avoue que ce jeune homme a fait ma conquête... D’abord, il est savant !

HORACE.

Oui, comme un âne !...

MADAME DE GUY, piquée, à Horace.

Cette plaisanterie est déplacée ! Je trouve M. Magis très bien, très convenable, et surtout... très poli ! Je suis sûre que tout le monde sera de mon avis.

HORACE.

Oh ! tout le monde !

MADAME DU GUY.

Je m’en rapporte à la première personne venue.

HORACE.

Moi aussi...

BERNARD, entrant.

Capitaine !...

HORACE.

Tiens, c’est Bernard ! voilà notre homme !

Il va à lui.

MADAME DE GUY, bas.

Y penses-tu ? ton domestique...

HORACE.

Vous avez dit la première personne venue... Bernard !...

BERNARD, s’approchant.

Capitaine ?...

HORACE.

Comment trouves-tu ce monsieur qui sort d’ici ?...

BERNARD.

M. Désambois ?... Oh ! charmant !

MADAME DU GUY.

Non, l’autre... le plus jeune ?...

BERNARD.

L’autre ?... Oh ! charmant ! charmant !

MADAME DE GUY, triomphant.

Là !... tu vois !...

HORACE, bas à Bernard.

Animal ! brute !...

Lucile va à sa tante.

BERNARD, bas.

Mais vous m’avez dit ce matin de trouver tout charmant.

HORACE.

Triple bête ! tu vas me le payer. Allons, viens m’habiller !

Il reste à droite.

BERNARD, à part.

Le capitaine a ses nerfs.

Il entre à la suite d’Horace.

 

 

Scène VIII

 

MADAME DE GUY, LUCILE

 

MADAME DU GUY.

Pourquoi se fâche-t-il ? pourquoi cette animosité subite contre ton prétendu ? Qu’est-ce que M. Magis peut lui avoir fait ?

LUCILE.

Oh ! rien !... Mais mon cousin est un homme posé, calme, froid, qui ne se monte pas la tête comme vous !..

MADAME DU GUY.

Comment ! je me monte la tête à présent ?

LUCILE, s’animant.

Oui, vous vous engouez pour ce jeune homme... que vous ne connaissez pas ! Vous l’autorisez à faire ses visites, vous l’installez dans la maison, on dirait vraiment que vous êtes pressée de vous débarrasser de moi !...

Elle entre vivement à gauche.

MADAME DU GUY.

Comment ! elle aussi ?...Il faut absolument que je sache..

Elle entre à gauche à la suite de Lucile.

 

 

Scène IX

 

HORACE, puis BERNARD

 

À peine madame de Guy est-elle disparue, qu’on entend à droite une dispute.

HORACE, en dehors.

Animal ! butor !

BERNARD, de même.

Mais, mon capitaine, vous m’aviez dit...

HORACE, de même.

Tiens !

BERNARD, de même.

Oh !

HORACE, entrant, et descendant la scène.

Sapristi ! je crois que je lui ai lancé... un coup de pied ! ça m’a échappé !... Je ne sais plus ce qu’il m’a dit... je n’ai pas été maître de moi... et... Ah ! je suis fâché de ça !... Mon vieux Bernard... un ami... un soldat qui m’a sauvé !

BERNARD, paraissant à la porte de droite, très pâle et très ému.

Ah ! capitaine...

HORACE.

Voyons, Bernard !... mon vieux Bernard !...

BERNARD.

Ah ! capitaine !...

Il s’essuie les yeux.

HORACE.

Il pleure !

BERNARD.

Oui... c’est de rage ! c’est... Je ne suis pas habitué à recevoir de ça !...

HORACE.

Voyons, Bernard... mon vieux Bernard...

BERNARD.

Non !... il fallait me tuer plutôt !...

HORACE.

J’ai eu tort, là ! je le regrette... es-tu content ?

BERNARD, froidement.

Non, capitaine...

HORACE.

Alors, que veux-tu !... Tu n’espères pas pourtant que je te fasse des excuses ?...

BERNARD, vivement.

Oh ! non, capitaine...

HORACE.

Eh bien, alors... je ne vois pas...

BERNARD.

Mettez-vous à ma place... Si quelqu’un vous avait...

HORACE, tout à coup.

Ah ! je comprends !... Tu veux un coup de sabre ?

BERNARD.

Dame ! si c’était un effet de votre bonté...

HORACE.

Diable ! tu n’es pas dégoûté !... C’est que... un capitaine et un soldat...

BERNARD.

Puisque nous ne sommes plus au service.

HORACE.

C’est juste, nous ne sommes plus... mais tu es mon domestique !

BERNARD.

Mettez-moi à la porte et je ne le serai plus !

HORACE.

Oui... il y a encore ça !... Voyons !... ça te ferait donc, là... bien plaisir ?

BERNARD.

Dame ! je ne peux pas rester avec ça dans mon sac !...

HORACE, se décidant.

Eh bien, allons-y !

BERNARD, avec joie.

Oh ! capitaine !

HORACE.

Bernard, je te chasse !... mais je te reprendrai après la chose...

BERNARD.

Oui, capitaine !

HORACE.

Et tu m’aimeras toujours ?

BERNARD.

Oh ! plus qu’auparavant !

HORACE.

Nous partirons dans un quart d’heure ; va chercher les outils !...

BERNARD, avec effusion.

Oh ! capitaine... vous êtes bon !... bon comme le pain !

Il sort.

 

 

Scène X

 

HORACE, puis MADAME DE GUY et LUCILE, puis BERNARD, puis BAPTISTE

 

HORACE, seul.

C’est bien fait ! je mérite de recevoir mon affaire. Ah ! j’aurais dû rester en Chine... J’insulte sans rime ni raison un brave soldat, j’aime comme un imbécile une petite fille qu’on va marier à un autre... C’est stupide, c’est idiot ; je suis un fou, un brutal, un trouble-fête !... Allons, allons, il ne me reste plus qu’un parti à prendre !...

MADAME DE GUY, entrant suivie de Lucile, à Horace.

Eh bien, mauvaise tête, es-tu calmé ?

HORACE.

Non ! je vous cherche pour vous faire mes adieux... Je vais reprendre du service...

LUCILE, étonnée.

Ah !

MADAME DU GUY.

Reprendre du service ! mais pourquoi ? pourquoi ?

HORACE.

Parce que... parce que je m’ennuie !...

LUCILE.

Avec nous ?

MADAME DU GUY.

C’est impossible !... Il y a autre chose !

HORACE.

Eh bien, oui, il y a... il y a que j’aime ma cousine, là ! Bonsoir !

LUCILE, avec joie.

Ah bah !

MADAME DE GUY, de même.

Ah bah !

HORACE.

Puisque vous protégez l’autre... l’imbécile, qui compte les veuves sur le Pont-Neuf !

MADAME DU GUY.

Moi ?

LUCILE.

Certainement ! Vous voulez me contraindre, me sacrifier !

MADAME DU GUY.

Mais...

HORACE.

C’est monstrueux !...

LUCILE.

C’est inique !...

HORACE.

C’est sauvage !...

MADAME DU GUY.

Ah çà ! voulez-vous me laisser parler, à la fin ?... Vous voulez vous marier ? Eh bien, mariez-vous ! je ne demande pas mieux !

HORACE et LUCILE.

Ah bah !

BERNARD, paraissant au fond avec deux sabres cachés dans son manteau.

Mon capitaine, c’est prêt !

HORACE.

C’est bien !... Tout à l’heure !

À sa tante.

Ainsi, ma tante, vous consentez à notre mariage ?...

MADAME DU GUY.

Mais c’est le plus cher de mes vœux !... et ce matin, quand je t’ai demandé si tu voulais te marier... je pensais à elle...

LUCILE, l’embrassant.

Ah ! que vous êtes bonne !...

HORACE, l’embrassant.

Ah ! que vous êtes gentille !...

MADAME DU GUY.

Ah ! grand câlin !... petite futée !

LUCILE.

Il faut vite écrire à M. Magis.

HORACE.

Sur le Pont-Neuf !

MADAME DU GUY.

Mais c’est que...

HORACE.

Oh ! ma petite tante !...

LUCILE.

Oh ! ma petite tante !...

BERNARD, qui est resté au fond.

Mon capitaine, c’est prêt !

HORACE.

C’est bien ! Un instant !

MADAME DU GUY.

Écrire ! c’est bientôt dit !... Mais qu’est-ce que je vais lui dire ! ?...

LUCILE.

Vous lui direz que je suis encore trop jeune pour me marier...

HORACE.

Avec lui !...

MADAME DU GUY.

C’est très difficile !...

LUCILE.

Je vais vous aider... Nous lui tournerons cela très gentiment... Vous verrez !

HORACE.

Allez collaborer !

Il reconduit sa tante et Lucile jusqu’à la porte. À Bernard.

Maintenant, à nous deux !... mais méfie-toi... aujourd’hui, j’ai de la chance !

BERNARD.

Oh ! capitaine !... je fais des vœux pour vous.

HORACE.

En route ! et pas de sentiment !

Ils sortent par le fond. Baptiste paraît ; il va à la porte du fond et les regarde sortir, pendant que le rideau baisse.

 

 

ACTE II

 

Un salon : trois portes au fond, laissant voir un autre salon ; girandoles ; à droite, une cheminée ; une porte à gauche.

 

 

Scène première

 

MADAME DE GUY, LUCILE

 

MADAME DE GUY, regardant la pendule.

Neuf heures et demie !... Nos invités ne peuvent tarder.

LUCILE.

Je tremble de voir entrer M. Magis... car il n’est pas prévenu...

MADAME DU GUY.

Nous n’avons jamais pu parvenir à rédiger notre lettre.

LUCILE.

Et pourtant nous en avons commencé six...

MADAME DU GUY.

C’est très difficile... Moi, je n’aime pas à faire de la peine aux gens...

LUCILE.

Il faudra pourtant bien lui dire que j’épouse mon cousin.

MADAME DU GUY.

Il m’est venu une idée... Je prierai M. Désambois, notre ami, de se charger de cette mission délicate...

LUCILE.

Le voudra-t-il ?

MADAME DU GUY.

C’est lui que cela regarde... Il est le tuteur.

LUCILE.

C’est vrai... il est le tuteur !... Ah ! mon cousin !

 

 

Scène II

 

MADAME DE GUY, LUCILE, HORACE, en tenue de bal

 

HORACE.

Ah ! mais c’est superbe ici !... Bonsoir, ma tante !... Bonsoir, ma cousine !...

La regardant.

Ah ! voilà une toilette !... Etes-vous assez jolie !...

LUCILE.

Vous trouvez ?

MADAME DU GUY.

Eh bien, et moi ?

HORACE.

Vous, vous êtes charmante aussi... vous me faites l’effet d’un beau soir d’été. Ah çà ! à mon tour !... Comment me trouvez-vous ? Porte-t-on assez bien l’habit pour un militaire ?

MADAME DU GUY.

Pas mal ! pas mal !

HORACE.

Ah dame... je n’en ai pas mis depuis 1851. Aussi ça me paraît étrange... Il me semble que je suis entré... dans un notaire !...

MADAME DU GUY.

Tu t’y feras.

LUCILE, poussant un cri.

Ah !

HORACE.

Quoi donc ?

LUCILE.

Une cravate noire ! Mon cousin a mis une cravate noire !

HORACE.

Eh bien ?

MADAME DU GUY.

C’est vrai... je n’avais pas remarqué...

HORACE.

Est-ce que ce n’est pas d’ordonnance ?

LUCILE.

Mais non, monsieur : au bal, on porte la cravate blanche... Allez bien vite mettre une cravate blanche...

HORACE.

Ah ! c’est que...

MADAME DU GUY.

Quoi ?

HORACE.

J’ai peur de ressembler à un homme sérieux.

MADAME DU GUY.

Tu ressembleras à un prétendu... Voilà tout.

HORACE.

Cet argument me décide... À propos, avez-vous signifié son congé au jeune phénomène de Vierzon ?

LUCILE.

Ma tante n’a pas osé.

HORACE.

Je m’en charge !

MADAME DU GUY.

Du tout !... je te le défends !... tu casserais les vitres !

HORACE.

Je ne casserais pas les vitres... je lui dirais : « Jeune homme... on ne veut pas de vous... filez ! »

MADAME DU GUY.

Très poli !... J’attends M. Désambois pour le prier de faire cette démarche.

HORACE.

Comme vous voudrez... mais dépêchez-vous...

MADAME DU GUY.

Ne crains rien... Ce soir même... Mais je veux voir comment on a disposé les fleurs... Toi, va mettre ta cravate.

LUCILE.

Blanche.

MADAME DU GUY.

Viens, Lucile !

Elles sortent.

 

 

Scène III

 

HORACE, puis BERNARD

 

HORACE.

Allons ! obéissance aux femmes !

Bernard entre, il a un habit bourgeois un peu large, Horace le regarde en riant.

Ah ! te voilà, toi ?

BERNARD, l’air épanoui.

Oui, mon capitaine.

HORACE.

Comment va ton bras ?

BERNARD, très heureux.

Ça me pique toujours.

HORACE.

Pauvre garçon !... ce n’est pas ma faute.

BERNARD.

Oh ! je ne me plains pas... au contraire... je voudrais que ça me pique toute la vie.

HORACE.

Godiche ! qui ne sait pas parer quarte !

BERNARD.

Oh ! ce n’est pas ça, capitaine... mais, dans ce moment-là, j’éprouvais une telle joie... j’étais si heureux... je ne pensais pas à parer, allez !

HORACE.

Brave garçon ! Voyons ! es-tu bien ici ?

BERNARD.

Je ne me plains pas, capitaine... il n’y a que le matin...

HORACE.

Quoi, le matin ?

BERNARD.

On m’apporte un grand litre de chocolat... au lait...

HORACE, à part.

Elle y a tenu, la tante !

BERNARD.

Je l’avale... par politesse ! mais j’aimerais mieux un petit verre de fort... avec une croûte de pain.

HORACE.

Suffit... on le dira.

BERNARD.

Merci, capitaine !...

Avec extase.

Ah ! que je vous aime, capitaine !

HORACE, lui tirant l’oreille.

Gros sentimental ! vieux chien fidèle ! Va ! et surtout ne te fatigue pas ! Ici... arme à volonté !

Bernard sort au moment où M. Désambois paraît au fond.

 

 

Scène IV

 

HORACE, DÉSAMBOIS

 

HORACE.

Ah ! ce cher monsieur Désambois !

DÉSAMBOIS, saluant.

Monsieur...

HORACE.

Ma tante vous attend, avec impatience...

DÉSAMBOIS.

Est-ce que je suis en retard ?

HORACE.

Vous êtes le premier... mais elle a une nouvelle à vous annoncer... une grande nouvelle... qui vous fera plaisir, j’en suis sûr !

DÉSAMBOIS.

Qu’est-ce que c’est ?

HORACE, se dirigeant vers sa chambre et se retournant.

Regardez-moi... Vous ne devinez pas ?

DÉSAMBOIS.

Non !

HORACE.

Tenez, j’aperçois ma tante... je me sauve !... Dites donc, je vais mettre une cravate blanche... comme vous !... C’est drôle, hein ?... Voilà ma tante !

Arrivé près de la porte.

Une cravate blanche !... c’est drôle !

Il sort.

 

 

Scène V

 

MADAME DE GUY, DÉSAMBOIS

 

MADAME DU GUY.

Ah ! monsieur Désambois... je vous cherchais...

DÉSAMBOIS.

M. votre neveu m’a dit que vous aviez une communication à me faire.

MADAME DU GUY.

Oui... Ah ! je suis bien heureuse, allez ! tout est changé.

DÉSAMBOIS.

Quoi ?

MADAME DU GUY.

Horace aime Lucile... et Lucile aime Horace.

DÉSAMBOIS.

Comment ! Et bien, et M. Magis ?

MADAME DU GUY.

Voilà justement la difficulté... Mais j’ai compté sur vous pour lui faire entendre qu’il ne doit plus songer à cette union.

DÉSAMBOIS.

Sur moi ? Permettez, madame... ceci est grave, ceci est très grave...

MADAME DU GUY.

Cela arrive tous les jours : on remercie un prétendu, un autre le remplace.

DÉSAMBOIS.

Ma réponse sera courte... Votre proposition m’étonne et me surprend... Je suis un homme sérieux, madame ; le candidat que je vous ai présenté... et que vous avez agréé... est un homme sérieux aussi... et vous voulez que j’aille me faire près de lui le complice de vos variations.. je dirai même de vos caprices... si je ne craignais de manquer à une femme que je respecte et que j’honore !

MADAME DU GUY.

Mais je vous répète, monsieur, que mon neveu et ma nièce s’aiment.

DÉSAMBOIS.

Ceci me touche peu.

MADAME DU GUY.

Comment !

DÉSAMBOIS.

Moi aussi, madame, j’ai aimé... l’année dernière.

MADAME DU GUY.

Vous ? Ah ! par exemple !

DÉSAMBOIS.

C’était une maîtresse de pension, une femme considérable par l’esprit et le savoir.... munie de ses diplômes, car elle avait passé tous ses examens en séance publique à l’Hôtel de Ville. Je lui fus présenté par un professeur de grammaire... un philologue éminent. Cette dame m’accueillit favorablement d’abord... je lui fis trois visites... un peu longues, peut-être... dans lesquelles nous traitâmes différentes questions scientifiques ou morales... À la troisième, elle me fit entendre que la présence assidue d’un homme, jeune encore, pouvait nuire à la considération de son pensionnat... J’appréciai cette raison de haute convenance... je cessai mes visites pendant un mois !

MADAME DU GUY.

Et au bout d’un mois ?

DÉSAMBOIS.

J’appris qu’elle venait de se marier avec le maître à danser de son établissement.

MADAME DU GUY.

Oh ! pauvre monsieur Désambois ! Et que fîtes-vous ?

DÉSAMBOIS, avec orgueil.

J’appris le grec, madame... et je fus guéri !

MADAME DE GUY, riant.

C’est un remède héroïque !...

DÉSAMBOIS.

Pourquoi M. votre neveu ne suivrait-il pas mon exemple ?

MADAME DU GUY.

Comment ! vous voulez qu’Horace apprenne le grec ?

DÉSAMBOIS.

C’est une langue mère.

MADAME DU GUY.

Il ne s’agit pas de cela... Voyons, rendez-moi le service que je vous demande... M. Magis va venir.

DÉSAMBOIS.

Non, madame... ne comptez pas sur moi !

MADAME DU GUY.

Une fois, deux fois... vous ne voulez pas ?

DÉSAMBOIS.

Non, madame...

MADAME DU GUY.

Eh bien, c’est moi qui le préviendrai... mais vous n’êtes pas aimable...

Apercevant des invités qui passent.

Ah ! on arrive... je vous quitte... mais je voudrais pouvoir vous dire en grec... que vous êtes un homme affreux !...

De la porte.

Affreux !

Elle rentre dans le bal.

 

 

Scène VI

 

DÉSAMBOIS, HORACE, puis MAGIS

 

DÉSAMBOIS, seul.

Ce mariage n’est pas encore fait... Comme tuteur, j’ai le droit de dire mon petit mot !...

HORACE, sortant de sa chambre.

J’ai mis la cravate blanche...

DÉSAMBOIS, à part.

Le militaire !

HORACE.

Avez-vous vu ma tante ?

DÉSAMBOIS.

Elle me quitte à l’instant.

HORACE.

Eh bien, j’espère que vous êtes content, n’est-ce pas ?

DÉSAMBOIS.

Mais...

HORACE.

Hein ! vous ne vous attendiez pas à celle-là !... Moi non plus !

DÉSAMBOIS.

Je vous avoue qu’un pareil revirement...

HORACE.

Voyez-vous, entre nous, votre bonhomme ne pouvait pas faire l’affaire.

DÉSAMBOIS.

Qu’appelez-vous mon bonhomme ?

HORACE.

Eh bien... le petit !... Un monsieur qui consacre son existence à surveiller la reproduction des charançons !

DÉSAMBOIS.

Monsieur, je goûte peu les plaisanteries quand elles s’adressent à la science.

HORACE.

Vous appelez ça la science, vous ?... Mon cher monsieur Désambois, laissez-moi vous dire que vous ne vous y connaissez pas.

DÉSAMBOIS, avec ironie.

Vraiment !

HORACE.

Pas le moins du monde... La science, voyez-vous, c’est comme la peinture à l’huile, permettez-moi cette comparaison...

DÉSAMBOIS, révolté.

S’il est possible !...

HORACE.

Pour que cela tienne, pour que cela soit solide... il faut trois couches !... c’est long à sécher, mais cela dure. Eh bien, nous avons de par le monde une bande de petits poseurs, sérieux ; graves, avec de grands mots dans la bouche... ça étonne les imbéciles !

DÉSAMBOIS, furieux.

Monsieur...

HORACE.

Ce n’est pas pour vous que je dis cela ! Mais frottez-les, ces petits messieurs... ils n’ont qu’une couche... leur science s’écaille sous l’ongle, ce n’est pas de la peinture, c’est du vernis.

DÉSAMBOIS, ironiquement.

Et peut-on vous demander, sans indiscrétion, combien vous avez reçu de couches... puisque couche il y a ?...

HORACE.

Oh ! moi, je ne me donne pas pour un savant... Cependant, je pourrais... par hasard... savoir des choses que d’autres ne savent pas.

DÉSAMBOIS.

Vous ? Vous m’étonnez !

HORACE, à part.

Parbleu ! je suis curieux de la creuser, sa science ! Je vais lui poser un problème abracadabrant.

Haut.

Monsieur Désambois, pourriez-vous me dire quelle est la force motrice d’un moulin à vent, dont le meunier serait très sourd... en pleine rotation, par un vent moyen, sur un angle de cinq degrés huit dixièmes ?... Allez...

DÉSAMBOIS, ébouriffé.

Un moulin à vent... dont le meunier serait très sourd... sur un angle...

HORACE.

Vous voyez bien que vous ne le savez pas...

DÉSAMBOIS.

Mais donnez-moi le temps ! je le sais peut-être.

HORACE.

Eh bien, si votre ami... le petit de Vierzon... trouve celui-là... je paye un punch.

DÉSAMBOIS.

Un punch ? Je ne prends pas de punch.

HORACE, apercevant Magis qui paraît au fond.

Tenez, le voici, ce pauvre garçon ! je vous laisse avec lui ; accomplissez votre mission, faites-lui part de mon mariage... avec ménagement...

DÉSAMBOIS.

C’est bien, monsieur !

À part.

Il m’exaspère, ce soldat !

HORACE, au fond, saluant Magis.

Monsieur !...

MAGIS, saluant.

Monsieur !...

HORACE.

Je crois que M. Désambois a une petite communication à vous faire.

MAGIS.

Je vous remercie, monsieur.

Ils se saluent.

HORACE.

Il n’y a pas de quoi !

Il entre dans le bal.

 

 

Scène VII

 

DÉSAMBOIS, MAGIS

 

DÉSAMBOIS, à part.

Allons ! c’est une lutte entre l’élément militaire et la science !

MAGIS.

Vous avez à me parler ! ?

DÉSAMBOIS.

Oui, mon ami...

À part.

Il y a des circonstances où le mensonge est le plus saint des devoirs.

Haut.

Mon ami, vos affaires marchent à merveille !

MAGIS.

On daigne accepter mes hommages ?

DÉSAMBOIS.

Mieux que cela : vous plaisez... à la tante !

MAGIS.

Et ma fiancée ?

DÉSAMBOIS.

Elle vous estime ; elle vous aimera plus tard !

MAGIS.

L’amour est un feu... l’estime est un lien !

DÉSAMBOIS.

Il faut la faire danser... Savez-vous danser ?

MAGIS.

Un peu... J’ai fait un travail sur l’origine de nos danses.

DÉSAMBOIS.

Ah !

À part.

Il est étonnant !

MAGIS.

La contredanse est originaire de Normandie. Elle passa en Angleterre à la suite de Guillaume le Conquérant...

DÉSAMBOIS, avec admiration.

Il sait tout !... tout !

À part.

Ce n’est pas du vernis, cela !

MAGIS.

Plus tard, elle reparut en France vers la fin de l’année 1745.

DÉSAMBOIS, fouillant vivement à sa poche.

Permettez !... 1745... Ah ! je n’ai pas mon carnet !... À propos, quand vous êtes entré, je cherchais un problème. Pourriez-vous me dire quelle est la force motrice d’un moulin à vent, dont le meunier serait très sourd, en pleine rotation, par un vent moyen, sur un angle de cinq degrés huit dixièmes ? Allez !

MAGIS, très décontenancé.

Hum ! hum !... Certainement... il n’y a rien de plus simple. C’est un calcul !

DÉSAMBOIS.

Je vous écoute !...

MAGIS.

Si j’avais là du papier et un crayon... en cinq minutes... Mais vous avez oublié votre carnet !

DÉSAMBOIS.

C’est juste !... De tête, on ne peut pas !... Ce sera pour plus tard ! L’important aujourd’hui est de faire danser votre prétendue.

MAGIS.

Je vais l’inviter pour la première.

DÉSAMBOIS.

Ah !... Avez-vous envoyé des bouquets ?

MAGIS.

Je ne me serais pas permis...

Des invités paraissent dans le salon du fond.

DÉSAMBOIS.

Il faut en envoyer... Je vous y autorise...

MAGIS.

Demain, cela sera fait.

DÉSAMBOIS.

Je fais le tour du bal et je confie la nouvelle de votre mariage à tout le monde.

À part.

Quand ce sera public, on ne pourra plus reculer...

Il entre dans le bal. On le voit parler aux invités, à qui il montre Magis.

 

 

Scène VIII

 

MAGIS, LUCILE

 

LUCILE, paraissant à gauche et saluant un danseur qui la quitte.

Je vous remercie, monsieur.

Apercevant Magis.

Ah ! Mon Dieu !

MAGIS, saluant.

Mademoiselle !...

LUCILE, à part.

La rencontre que je craignais !... Il doit être prévenu !

MAGIS.

Oserais-je vous demander la faveur de m’accorder la première polka ?

LUCILE.

Avec plaisir, monsieur... Mais, pardon, est-ce que vous n’avez pas vu mon tuteur M. Désambois ?

MAGIS.

Nous venons d’avoir une conférence.

LUCILE.

Ah !

À part.

C’est drôle ! il n’a pas l’air contrarié ! Après ça, un philosophe !

MAGIS.

M. Désambois a bien voulu me faire part de votre estime.

LUCILE.

Oh ! certainement ! Et, croyez-le bien, monsieur, quoi qu’il arrive, cette estime ne sera pas diminuée...

MAGIS.

Pour moi, mademoiselle, l’idéal, dans le mariage, ce n’est pas l’amour !

LUCILE, étonnée.

Ah !

MAGIS.

C’est le calme et la contemplation... Quel plus beau spectacle que celui de deux êtres s’isolant dans une affection douce et modérée ! Quelques personnes sérieuses formeront notre société !

LUCILE, à part.

Comment, notre société ?...

MAGIS.

Votre salon communiquera à mon cabinet de travail... et, le soir, nous nous réunirons, nous ferons ensemble quelques-unes de ces bonnes lettres qui élèvent l’âme tout en charmant l’esprit.

LUCILE.

Certainement, monsieur...

À part.

Ah çà ! on ne lui a donc rien dit ?

MAGIS, à part.

Ce tableau intime semble l’émouvoir.

Il descend à droite.

 

 

Scène IX

 

MAGIS, LUCILE, MADAME DE GUY

 

LUCILE, bas à sa tante.

Ah ! ma tante ! M. Désambois ne l’a pas prévenu... Il me parle de notre intérieur, il veut me faire la lecture le soir !

MADAME DU GUY.

Laisse-moi avec lui... Je me charge de tout !

Lucile sort à gauche.

 

 

Scène X

 

MADAME DE GUY, MAGIS

 

MADAME DE GUY, à part.

C’est très embarrassant à dire... Enfin, il le faut.

Haut.

Monsieur...

MAGIS.

Madame... je sais combien vous êtes favorablement disposée pour moi...

MADAME DU GUY.

Permettez...

MAGIS.

Ne vous en défendez pas !... M. Désambois me le répétait encore tout à l’heure.

MADAME DU GUY.

Lui ?

MAGIS.

En m’autorisant à envoyer des bouquets à mademoiselle Lucile.

MADAME DE GUY, à part.

Ah ! mais c’est de la trahison !

MAGIS.

Croyez, madame...

MADAME DU GUY.

Monsieur, permettez... Avant d’aller plus loin, j’ai une communication à vous faire.

On entend l’orchestre.

MAGIS, écoutant.

Oui... c’est une polka... Excusez-moi, madame... Mademoiselle Lucile a bien voulu me promettre...

MADAME DE GUY, à part.

Comment !... il s’en va ?...

Haut.

Mais, monsieur...

MAGIS.

Je suis heureux, madame, de voir que nous nous entendrons toujours...

MADAME DU GUY.

Mais...

Magis baise la main de madame de Guy.

MAGIS, de la porte.

Toujours !

Il disparaît.

 

 

Scène XI

 

MADAME DE GUY, puis DÉSAMBOIS, puis BERNARD

 

MADAME DE GUY, seule.

Eh bien, je ne suis pas plus avancée... Impossible de lui faire comprendre... il parle toujours... mais, après la polka, je reprendrai l’entretien.

Elle remonte, regarde dans le fond et entre dans le salon.

DÉSAMBOIS, entrant.

Ça va bien, ça va très bien !... J’ai confié sous le sceau du secret, à trois ou quatre dames dont je connais l’indiscrétion... le mariage de M. Magis avec ma pupille... Ça fermente ; tout à l’heure ça va éclater... la tante sera furieuse... elle en appellera au conseil de famille. Il me faudrait, pour me présenter devant lui, un bon motif de refus... un motif sérieux. Il doit avoir un vice, ce militaire ou tout au moins une faiblesse. Si je pouvais la découvrir... ce serait un coup de maître.

Apercevant Bernard qui traverse le salon ; il tient un plateau où se trouvent des rafraîchissements.

Son domestique ! il ne doit pas être bien fin. Essayons !

Haut.

Mon ami, donnez-moi un verre d’eau sucrée, je vous prie.

BERNARD, s’approchant.

Voilà, monsieur.

DÉSAMBOIS.

Y a-t-il longtemps que vous êtes au service du capitaine Tic ?

BERNARD.

Voilà bientôt dix ans.

DÉSAMBOIS.

Ah ! cela fait votre éloge.

Tirant de sa poche un billet de banque.

Tenez, prenez ce billet de cent francs, et répondez à mes questions.

BERNARD, à part, prenant le billet.

Tiens, méfions-nous !

DÉSAMBOIS.

J’aime beaucoup le capitaine... Il est gai, franc... un peu vif peut-être... un peu querelleur, hein ?

BERNARD.

Lui ? Pour la patience et la douceur, il rendrait des points à un mouton.

DÉSAMBOIS.

Ah ! c’est bien ce que je pensais... Ce qui me plaît en lui, c’est sa tournure... sa distinction... c’est vraiment un joli cavalier.

BERNARD.

Oh ! pour ça, il ne craint personne.

DÉSAMBOIS.

Il a dû laisser bien des victimes derrière lui.

BERNARD.

Des victimes... d’amour ?

DÉSAMBOIS.

Oui, contez-moi ça ; je suis un bon homme... j’aime à rire.

BERNARD.

Pour la décence et les mœurs, le capitaine est une demoiselle... Au régiment, on l’appelait sœur Ursule.

DÉSAMBOIS, à part, en passant à gauche.

Oh ! il ne veut rien dire.

Haut.

Je vous remercie, mon ami... Ayez l’obligeance d’aller me changer le billet de cent francs que je vous ai donné.

BERNARD.

Hein ?

DÉSAMBOIS.

C’est pour payer les musiciens.

BERNARD.

Bien, monsieur.

À part.

Ah ! le gueux, il est malin ! C’est égal, on n’a pas bavardé.

Il sort.

 

 

Scène XII

 

DÉSAMBOIS, MAGIS, LUCILE, HORACE, MADAME DE GUY, DANSEURS et DANSEUSES

 

Plusieurs danseurs et danseuses polkent, dans le salon du fond. À gauche, un couple entre sur la scène en polkant, puis Magis et Lucile, ensuite Horace avec une dame.

LUCILE, à Magis.

Mais, monsieur, vous n’allez pas en mesure...

MAGIS, essayant de reprendre la mesure.

Pardon, mademoiselle, j’ai fait une étude sur l’origine de la danse, et je...

HORACE, riant en regardant Magis.

Comme il tricote !

DÉSAMBOIS, à part, admirant Magis.

Heureuse inexpérience ! Quelle aimable gaucherie !

Magis fait un faux pas.

LUCILE, poussant un cri.

Ah !

HORACE.

Quoi ?...

LUCILE.

Rien !

La musique cesse, la polka s’arrête.

MAGIS, quittant le bras de Lucile.

Mademoiselle, j’ai bien l’honneur de vous remercier.

LUCILE, à part.

Il est d’une maladresse !

Madame de Guy paraît au fond, les invités l’entourent.

HORACE, prenant le bras de Magis.

Article premier : Se promener le moins possible sur les pieds de sa danseuse.

MAGIS, étonné.

Plaît-il, monsieur ?

HORACE, montrant le tapis.

Il y a tant de place à côté...

Les invités descendent en scène avec madame de Guy.

UNE DAME.

Votre soirée est charmante !

UN INVITÉ.

Permettez-nous de vous féliciter de la nouvelle que nous venons d’apprendre.

MADAME DU GUY.

Laquelle ?

UN INVITÉ.

Le mariage de mademoiselle Lucile.

HORACE et LUCILE.

Hein ?

MADAME DU GUY.

Comment, vous savez ?...

DÉSAMBOIS, à part.

Ça va éclater !

L’INVITÉ.

Ce n’est plus un mystère... je ne puis que vous complimenter sur le choix du futur.

HORACE et MAGIS, remerciant ensemble.

Ah ! monsieur, certainement...

HORACE, à part.

L’autre qui remercie.

DÉSAMBOIS, à part.

Le militaire qui rend ça pour lui.

L’INVITÉ.

Tout le monde, ici, envie le bonheur de M. Magis.

HORACE, MADAME DE GUY et LUCILE.

M. Magis !

DÉSAMBOIS, à part, regardant Horace.

Si tu aimes les bombes, en voilà une !

HORACE, à l’invité.

Pardon, monsieur, puis-je vous demander de qui vous tenez cette heureuse nouvelle ?

L’INVITÉ.

Mais de M. Désambois.

LES INVITÉS.

C’est M. Désambois.

DÉSAMBOIS, à part.

Aïe, ça éclate trop !

HORACE.

Ah ! c’est ce bon, cet excellent M. Désambois...

DÉSAMBOIS, embarrassé.

Oui... j’ai pensé... comme tuteur... D’ailleurs, j’en avais causé avec Mademoiselle...

Il remonte près de madame de Guy.

HORACE.

Lucile !

LUCILE, bas et vivement.

J’ai refusé !... Alors il m’a signifié qu’il s’opposerait à notre mariage, et que nous serions obligés d’attendre jusqu’à ma majorité... dans trois ans.

HORACE.

Ah ! c’est singulier comme j’éprouve le besoin de causer avec lui...

MADAME DU GUY.

Horace, du calme.

HORACE.

Soyez tranquille ! Un savant !... Je le prendrai par la douceur... par la logique...

On entend l’orchestre commencer un quadrille.

MADAME DU GUY.

Mesdames... messieurs... c’est un quadrille.

Tout le monde sort par le fond. On se met en place pour le quadrille. Désambois va pour entrer dans le salon de danse.

 

 

Scène XIII

 

HORACE, DÉSAMBOIS

 

HORACE, arrêtant Désambois qui se dispose à entrer dans le bal.

Pardon, mon cher monsieur Désambois...

Le quadrille commence.

DÉSAMBOIS.

Monsieur ?

HORACE.

Voulez-vous me faire la grâce de m’accorder un moment d’entretien ?

DÉSAMBOIS.

Demain, monsieur, je vous attendrai chez moi, à six heures du matin.

Les portes du fond se ferment.

Le quadrille continue piano.

HORACE.

Je craindrais de ne pas être exact... je ne me lève qu’à huit... D’ailleurs, je ne vous retiendrai pas plus d’une minute.

DÉSAMBOIS.

Parlez, monsieur.

HORACE.

Il paraît, monsieur, que, comme tuteur, vous opposez quelques difficultés à mon mariage avec ma cousine.

DÉSAMBOIS.

Je serai franc... c’est vrai, monsieur.

HORACE.

Y aurait-il de l’indiscrétion à vous demander pourquoi ?

DÉSAMBOIS.

Aucune... En principe, je ne crois pas aux militaires comme maris !

HORACE.

Ah !... Et sur quoi basez-vous cette opinion... désobligeante, mon cher monsieur Désambois ?

DÉSAMBOIS.

Les militaires aiment les chevaux, le bruit, le tabac, l’absinthe...

HORACE.

C’est-à-dire que vous nous considérez comme des sauvages, mon cher monsieur Désambois ?...

DÉSAMBOIS.

Pas tout à fait.

HORACE.

Enfin, un peu...un peu !...

DÉSAMBOIS.

Oui, un petit peu...

HORACE.

Je ne discuterai pas votre opinion... je me bornerai à vous faire remarquer que je ne suis plus militaire, puisque j’ai donné ma démission.

DÉSAMBOIS.

C’est vrai... mais il est impossible que vous n’ayez pas conservé, bien malgré vous sans doute, certaines habitudes inhérentes à la vie des camps.

HORACE.

Alors, vous me regardez comme un homme mal élevé, mon cher monsieur Désambois ?

DÉSAMBOIS.

Pas tout à fait...

HORACE.

Enfin, un peu... un peu !

DÉSAMBOIS.

Un petit peu !

HORACE, à part.

Je crois que j’y mets de la douceur.

DÉSAMBOIS.

Voyons, franchement, entre nous, vous n’aimez pas, vous ne pouvez pas aimer votre cousine !

HORACE.

Et pourquoi ?

DÉSAMBOIS.

Vous êtes arrivé de Chine avant-hier.

HORACE.

Du moment que je n’ai pas laissé mon cœur à Pékin.

DÉSAMBOIS.

C’est égal... cet amour qui vous prend tout à coup... c’est bien extraordinaire ! et de méchantes gens pourraient croire...

HORACE.

Quoi ?

DÉSAMBOIS.

Que ce n’est pas la demoiselle, mais l’établissement qui vous plaît.

HORACE, ne comprenant pas.

L’établissement... quel établissement ?

DÉSAMBOIS.

Mademoiselle Lucile a quatre cent cinquante mille francs de dot.

HORACE.

Ah !... Ma foi, tant mieux ! mais je ne le savais pas.

DÉSAMBOIS.

Oh ! vous ne le saviez pas ?

HORACE.

Quand je vous le dis...

DÉSAMBOIS, incrédule.

Vous me le dites !

HORACE, s’emportant.

Ah ! prenez garde !

Se calmant.

Tenez, je vous conseille de ne pas entrer dans cette voie-là... Je suis très doux, très gentil avec vous... il ne faut pas en abuser, mon cher monsieur Désambois.

DÉSAMBOIS.

Mon Dieu, je ne dis pas ça pour vous, mais il y a des gens qui, sous une apparence franche et joviale, recherchent habilement les belles affaires.

HORACE, à part, se contenant à peine.

Sapristi ! ça va se gâter !

DÉSAMBOIS.

Dans le monde, on appelle ça des croqueurs de dot !

HORACE, lui sautant à la gorge.

Vous allez ravaler ce mot-là, vous !

DÉSAMBOIS.

Permettez...

HORACE.

Ravalez, ravalez !

DÉSAMBOIS, se dégageant.

De la violence !... Jamais !

HORACE.

Croqueur de dot ! moi !

Il lance un coup de pied à Désambois au moment où celui-ci allait sortir par le fond. La porte se referme derrière Désambois qui a disparu. Seul.

Ah ! sapristi ! ça m’a échappé, ça fait deux ; il faudra que je me fasse attacher cette jambe-là pour aller dans le monde. Me voilà bien ! Le tuteur, un homme sérieux ! Il est rentré dans le bal... il va tout raconter ! Quel scandale !... Et mon mariage ? Courons, et tâchons de l’apaiser !

Il va à la porte du fond et l’ouvre.

Tiens, il danse !

Il tombe sur une chaise en éclatant de rire. On aperçoit Désambois dans le second selon, faisant le cavalier seul.

 

 

ACTE III

 

Un salon chez madame de Guy-Robert : porte au fond ; à gauche, une fenêtre ; premier plan, une cheminée, une sonnette ; pendule, table, au milieu du théâtre ; écritoire, plumes d’oie ; à droite, un guéridon, une autre sonnette ; chaises, fauteuils.

 

 

Scène première

 

MADAME DE GUY, LUCILE, HORACE

 

MADAME DE GUY, à Horace.

Voyons, achève... Hier, au bal, comment s’est terminé ton entretien avec M. Désambois ?

HORACE, assis près du guéridon.

Pas mal... pas mal...

LUCILE.

Et êtes-vous tombés d’accord ?

HORACE.

Oh ! pas positivement...

LUCILE.

Enfin, que lui avez-vous dit ?

HORACE.

Mille choses... et bien d’autres encore...

MADAME DU GUY.

J’espère au moins que, selon ta promesse, tu as su te posséder ?...

HORACE.

Jusqu’au dernier moment...

À part.

Exclusivement.

LUCILE.

Avec tout cela, nous ne sommes pas plus avancés qu’hier...

MADAME DU GUY.

Rassurez-vous... J’ai écrit à M. Désambois que, s’il persistait dans son refus, j’allais provoquer une réunion du conseil de famille... Il m’a répondu qu’il serait ici à onze heures.

HORACE, à part.

Ah diable !

Il se lève et passe à gauche.

J’aime autant ne pas être là...

Haut.

Je vous laisse... Une visite à faire.

LUCILE, allant à Horace.

Comment !

BAPTISTE, annonçant.

M. Désambois !

HORACE, à part.

Trop tard !

 

 

Scène II

 

MADAME DE GUY, LUCILE, HORACE, DÉSAMBOIS

 

DÉSAMBOIS, à madame de Guy.

Chère madame, je me rends à votre appel.

Saluant Lucile.

Mademoiselle !...

Apercevant Horace.

Le capitaine !

HORACE, le saluant.

Monsieur !...

DÉSAMBOIS, lui rendant son salut cérémonieusement.

Monsieur !...

HORACE, à part.

Il est froid !

LUCILE, bas à Horace.

On dirait qu’il est fâché contre vous...

HORACE.

Lui ? Par exemple !

Haut à Désambois.

Vous êtes venu à pied, cher monsieur Désambois ?... Quel temps fait-il ?

DÉSAMBOIS, sévèrement.

Il gèle, monsieur !

MADAME DU GUY.

Approchez-vous donc du feu.

LUCILE.

Je vais remettre du bois.

Madame de Guy et Lucile vont à la cheminée.

HORACE, bas à Désambois.

Croyez, monsieur, que je regrette vivement l’incident... qui s’est produit hier... Ça m’a échappé...

DÉSAMBOIS.

Quoi donc ?

HORACE.

Eh bien... au bal !... le...

DÉSAMBOIS, froidement.

Je ne sais pas ce que vous voulez dire...

HORACE, étonné.

Ah ! pardon...

À part.

Au fait, j’aime mieux ça, n’en parlons plus...

MADAME DU GUY.

Eh bien, monsieur Désambois, avez-vous réfléchi ? quelle réponse nous apportez-vous ?

DÉSAMBOIS, qui s’est assis près de la cheminée.

Avant de me prononcer d’une manière définitive, je désire vous communiquer, à vous et à mademoiselle Lucile, certaines appréciations...

MADAME DU GUY.

Parlez !

DÉSAMBOIS.

Qui exigent le secret...

HORACE.

Ah !

DÉSAMBOIS.

...le plus absolu.

HORACE.

Très bien... Je suis de trop ?

MADAME DU GUY.

Mais Horace est de la famille...

HORACE.

N’insistez pas... je me retire...

À part.

Il va leur raconter le finale de notre conversation

Haut et saluant.

Monsieur Désambois !...

DÉSAMBOIS.

Monsieur !...

Il se lève et salue froidement.

HORACE, à part.

Décidément il est froid !

Il entre à gauche.

 

 

Scène III

 

MADAME DE GUY, LUCILE, DÉSAMBOIS, puis BAPTISTE

 

MADAME DU GUY.

Nous vous écoutons, monsieur...

DÉSAMBOIS, se rasseyant.

Vous le savez, madame, la tutelle impose des devoirs... La loi romaine... lex romana... si prévoyante dans ses dispositions, a pris soin de les définir... Tutelle vient du mot latin tueri, qui veut dire défendre...

LUCILE.

Pardon... mais nous ne savons pas le latin...

DÉSAMBOIS.

Ah ! c’est juste !

À part, avec compassion.

Pauvres femmes !

Haut.

Pour accomplir mon mandat, j’ai dû prendre des renseignements sur le nouveau candidat qui nous était proposé...

MADAME DU GUY.

Sur Horace ? Mais je le connais mieux que personne...

DÉSAMBOIS.

Sans doute... mais vous ne l’avez pas vu depuis dix ans... et en dix ans....

MADAME DU GUY.

Je l’ai retrouvé tel que je l’ai toujours connu... franc, ouvert, bon... un peu vif peut-être...

DÉSAMBOIS, vivement.

Personnellement, je n’ai jamais eu l’occasion de m’en apercevoir... mais, si je dois en croire certains rapports, le lendemain même de son arrivée à Paris, M. Horace s’est mesuré en combat singulier...

MADAME DE GUY et LUCILE, se levant.

Un duel ?

DÉSAMBOIS, descendant au milieu.

Oui, madame, un duel au sabre ! Quelle garantie de bonheur pour une femme !

MADAME DU GUY.

Un duel ? c’est impossible !

LUCILE.

Monsieur invente !

DÉSAMBOIS, sévèrement.

Sachez, mademoiselle, que je n’invente jamais.

MADAME DU GUY.

Mais de qui tenez-vous ces détails ?

DÉSAMBOIS.

De Baptiste ; vous pouvez l’interroger... Il a vu sortir le capitaine accompagné de son domestique... qui, entre parenthèses, m’a l’air d’un assez mauvais drôle... c’est lui qui portait les armes...

MADAME DU GUY.

Un duel ! Le malheureux !

LUCILE.

Et savez-vous quelle était la cause de cette rencontre ?

DÉSAMBOIS, souriant.

Mais... elle est facile à deviner...

LUCILE.

Ah !

MADAME DU GUY.

Eh bien, dites-nous-la... pas de réticences !...

DÉSAMBOIS.

Il s’agissait sans doute de quelque Aspasie.

LUCILE.

Aspasie !... Qu’est-ce que c’est ?

DÉSAMBOIS.

Une dame... d’Athènes... célèbre par ses charmes...

LUCILE.

Une femme !

MADAME DU GUY.

Tout cela me parait impossible !

Elle sonne.

Nous allons savoir la vérité.

Lucile va près de madame de Guy.

BAPTISTE, paraissant.

Madame a sonné ?

MADAME DU GUY.

Oui. Approchez, Baptiste. Vous êtes depuis longtemps à mon service, je vous crois dévoué...

BAPTISTE.

Oh ! madame.

MADAME DU GUY.

Répondez-moi franchement... Est-il vrai que vous ayez vu avant-hier sortit mon neveu accompagné de son domestique qui portait des armes ?...

BAPTISTE.

Oui, madame, des sabres !

DÉSAMBOIS, aux dames.

Ah !

BAPTISTE.

Le capitaine a même dit à Bernard : « En route ! et pas de sentiment ! »

MADAME DE GUY et LUCILE.

Oh !

DÉSAMBOIS.

Vous voyez bien que le sentiment est pour quelque chose dans cette boucherie.

BAPTISTE.

Madame n’a plus rien à me demander ?

MADAME DU GUY.

Non, allez !

Baptiste sort.

LUCILE.

Eh bien, ma tante, c’est indigne ! le jour même où il venait de vous demander ma main !

DÉSAMBOIS.

Moi, ça ne m’étonne pas... la statistique nous apprend que, sur quinze mille militaires mariés...

Apercevant Horace.

Hum ! le voici !

 

 

Scène IV

 

MADAME DE GUY, LUCILE, DÉSAMBOIS, HORACE

 

HORACE.

Peut-on entrer ? La conférence est-elle terminée ?

MADAME DU GUY.

Oui !...

HORACE, à Lucile.

Avez-vous enfin gagné la partie ?

LUCILE, froidement.

Non !

HORACE, à Désambois.

Voyons, où en sommes-nous ?

DÉSAMBOIS, froidement.

Je ne sais pas...

HORACE.

Ah !

À part.

Qu’est-ce qu’ils ont donc ?

MADAME DE GUY, sèchement.

Rien n’est encore décidé... Nous venons d’apprendre certains détails...

LUCILE, de même.

Qui nous donnent beaucoup à réfléchir.

DÉSAMBOIS, de même.

Beaucoup !

HORACE, à part.

Désambois a parlé... il a raconté le finale !

Haut.

J’avoue ma faute... j’ai été trop vif... ça m’a échappé...

DÉSAMBOIS, vivement.

Il ne s’agit pas de cela, monsieur.

MADAME DU GUY.

Nous ne vous demandons pas de détails...

LUCILE.

Oh ! non !

MADAME DU GUY.

Venez, monsieur Désambois, nous avons à causer... à causer sérieusement !

DÉSAMBOIS.

Sérieusement ! Je suis tout à vous.

Il sort, après avoir regardé Horace.

 

 

Scène V

 

HORACE, LUCILE, puis BAPTISTE

 

HORACE.

Lucile !

LUCILE, assise devant le guéridon.

Monsieur ?...

HORACE.

Qu’avez-vous ?

LUCILE.

Rien !

HORACE.

Vous semblez contrariée.

LUCILE.

Oui.

HORACE.

Voulez-vous me dire pourquoi ?

LUCILE.

Non !

HORACE, à part.

Oui... non... Il s’est évidemment opéré un refroidissement dans la température de la maison.

BAPTISTE, entrant avec un bouquet composé de fleurs sombres.

De la part de M. Magis.

LUCILE, se levant.

Ah ! donnez !

Baptiste sort. Admirant le bouquet.

Ah ! les jolies fleurs ! Elles sont d’un goût charmant !

HORACE, ironiquement.

Oui... voilà ce qu’on appelle un bouquet sérieux... un bouquet de deuil.

LUCILE, passant à gauche.

Chacun son goût. Moi, je le trouve délicieux.

HORACE.

J’espère, cependant, que vous allez le renvoyer.

LUCILE.

Et pourquoi donc ?

HORACE.

Mais il me semble que, n’épousant pas M. Magis, vous n’avez pas le droit d’accueillir ses bouquets...

LUCILE.

J’aime les fleurs.

HORACE.

Ah ! c’est trop fort !

Se contenant.

Lucile, encore une fois, je vous prie de renvoyer ce bouquet.

LUCILE.

Du tout ! je le garde !

HORACE.

Croyez-moi, ne me poussez pas à bout.

LUCILE.

Non seulement je le garde, mais je vais le placer dans ma chambre, sur ma cheminée.

Elle fait un pas.

HORACE, lui barrant le passage.

Lucile, je vous le défends !

LUCILE.

Laissez-moi passer, monsieur !

HORACE.

Non, je vous le défends !

Il lui arrache le bouquet.

LUCILE.

Monsieur !

HORACE, déchirant et piétinant le bouquet.

Tenez, le voilà son bouquet ! le voilà !

LUCILE.

Oh ! une pareille violence !... Ma tante ! ma tante !

Elle court au guéridon et sonne.

HORACE.

Que faites-vous ?

 

 

Scène VI

 

HORACE, LUCILE, DÉSAMBOIS, MADAME DE GUY

 

DÉSAMBOIS et MADAME DE GUY, accourant.

Qu’y a-t-il ?

LUCILE.

Je vous ai appelé, ma tante, ainsi que Monsieur, pour que vous me protégiez contre les emportements de M. Horace.

MADAME DU GUY.

Que s’est-il passé ?

DÉSAMBOIS.

Parlez !

LUCILE.

On vient d’apporter un bouquet de la part de M. Magis... et M. Horace s’est cru le droit de me l’arracher des mains et de le mettre en pièces.

MADAME DU GUY.

Comment ?

DÉSAMBOIS.

C’est révoltant ! et, comme tuteur...

HORACE, à Désambois.

Laissez moi tranquille, vous !... ou sinon !...

DÉSAMBOIS, changeant vivement de place.

Je ne vous parle pas.

MADAME DU GUY.

Horace !....une pareille violence ! chez moi ! et envers qui ?...

HORACE.

C’est possible ! mais, depuis hier, on semble prendre à tâche de me blesser, de me rendre ridicule ! Ce prétendu qu’on doit toujours remercier et qu’on ne remercie jamais... dont on accueille les bouquets ! On croirait vraiment qu’on s’est servi de moi comme d’une amorce pour attirer l’autre.

LUCILE et MADAME DU GUY.

Oh !

DÉSAMBOIS.

C’est abominable !

HORACE.

Je ne me prêterai pas à un pareil rôle, jamais !

Lançant un coup de pied au bouquet.

Va-t’en au diable !

Il sort.

DÉSAMBOIS.

Il insulte les fleurs ! parce qu’elles ne peuvent se défendre !

 

 

Scène VII

 

LUCILE, DÉSAMBOIS, MADAME DE GUY

 

MADAME DU GUY.

Cette scène m’a bouleversée...

LUCILE.

J’en suis encore toute tremblante.

DÉSAMBOIS.

Moi qui le croyais doux, modéré...

LUCILE.

Parce que, hier, ma tante lui avait bien recommandé de se contenir avec vous...

DÉSAMBOIS.

Ah ! vous lui aviez recommandé !... C’est donc ça ?

LUCILE.

Quant à moi, mon parti est pris... Je suis suffisamment édifiée sur le caractère de M. Horace... Jamais je ne serai sa femme !

DÉSAMBOIS.

Il est bien fâcheux que nous n’ayons pas sous la main un autre prétendu.

LUCILE.

Eh bien, et M. Magis ?

DÉSAMBOIS.

Mais je croyais qu’il ne vous plaisait pas !

LUCILE.

Oh ! ça ne fait rien !

MADAME DU GUY.

Lucile, réfléchis.

LUCILE.

Mes réflexions sont faites... M. Magis est un peu sérieux... un peu monotone... un peu... mais au moins il est poli, doux, bien élevé...

DÉSAMBOIS.

Un lauréat du collège Charlemagne !

LUCILE.

D’ailleurs avec lui, je suis certaine de ne pas voir souffler de tempête dans mon ménage.

DÉSAMBOIS.

Oh ! ça, calme plat !

LUCILE.

Et je m’estimerai très heureuse de devenir sa femme.

DÉSAMBOIS.

Chère enfant ! que je vous embrasse.

Il l’embrasse.

MADAME DE GUY, à part.

Pauvre Horace !

DÉSAMBOIS.

Je cours chez mon notaire faire dresser le contrat Magis.

Il remonte.

MADAME DU GUY.

Non... demain... nous avons le temps.

LUCILE.

Oh ! tout de suite, ma tante ; je veux que cela finisse.

DÉSAMBOIS, descendant au milieu.

Il ne faut pas contrarier les inclinations ! Je ramène le notaire avec le prétendu, et nous signons le contrat séance tenante...

À part.

Ah ! tu es vif ! Eh bien, moi aussi !

Saluant.

Madame ! mademoiselle !

Il sort vivement.

 

 

Scène VIII

 

MADAME DE GUY, LUCILE, puis BERNARD

 

MADAME DU GUY.

Ma chère Lucile, je ne chercherai pas à te faire revenir sur ta décision... mais tu as été un peu vive.

LUCILE.

Que voulez-vous ! j’aime le bonheur tranquille, et je sens que j’aurais été malheureuse avec mon cousin... Toujours des querelles, des colères, des duels... car ce duel... sait-on seulement pour qui ?

La voix de BERNARD.

Oui, capitaine.

MADAME DU GUY.

Chut ! son domestique !

Bernard paraît avec une valise et un porte-manteau, etc.

Où portez-vous cela ?

BERNARD.

Nous déménageons, madame, nous allons loger à l’hôtel.

MADAME DE GUY et LUCILE.

Comment ?

BERNARD.

C’est l’ordre du capitaine... Il me reste à vous remercier, madame... pour toutes vos bontés, y compris le chocolat... Je ne l’aime pas... mais c’est une attention à laquelle...

MADAME DU GUY.

Il ne s’agit pas de cela... Pourquoi Horace veut-il nous quitter ?

BERNARD.

Il paraît qu’il y va de notre dignité...

LUCILE.

Ah ! je comprends : à l’hôtel, M. Horace sera plus libre pour courir les aventures... les duels...

BERNARD.

Les duels ?

LUCILE.

Oui... comme avant-hier...

BERNARD.

Comment ! il a eu la bonté de vous dire ?...

LUCILE.

Certainement.

BERNARD, à part.

Quel honneur !

LUCILE.

Avec ce jeune homme... monsieur... j’ai oublié son nom...

BERNARD.

Le nom de qui ?

LUCILE.

De son adversaire.

BERNARD.

Son adversaire... c’était moi.

LUCILE et MADAME DU GUY.

Vous ?

MADAME DU GUY.

Allons donc, c’est impossible !

LUCILE.

Alors, ce n’était pas pour une femme ?

BERNARD.

Une femme ? Je vous prie de croire que je me serais effacé... momentanément...

MADAME DU GUY.

Mais pourquoi ce duel... étrange ?

LUCILE.

Oui, pourquoi ?

BERNARD, très embarrassé.

Ah ! pourquoi ? Hum ! À cause de quoi ? Il ne vous l’a pas dit ?

LUCILE.

Non.

BERNARD.

Allons, mesdames, j’ai bien l’honneur...

Il remonte

MADAME DU GUY.

Non, restez ! parlez !...

Bas.

Il y va du bonheur de votre maître.

LUCILE.

Voyons, parlez-nous franchement, comme un brave soldat que vous êtes !

BERNARD.

C’est que...

À part.

Raconter ça à des femmes, fichue corvée !

Haut, avec effort.

Voilà : voyez-vous, le capitaine... il n’est pas toujours bien disposé... il a ses moments, cet homme... c’est nerveux. Il paraît que je l’avais agacé... Ce n’est pas qu’il soit méchant, oh ! Dieu ! un cœur, une bonté ! mais c’est sa jambe... il a une jambe droite... qui s’enlève comme une soupe au lait... Alors, il m’a lancé un...

MADAME DU GUY.

Un... quoi ?

BERNARD.

Eh bien, un...

LUCILE.

Un quoi ?

BERNARD.

Avec sa jambe droite...

MADAME DE GUY, riant.

Ah ! ah ! ah !

LUCILE, riant.

Mon pauvre garçon !

BERNARD.

Vous riez ? Mais je ne riais pas, moi, nom d’un tonnerre ! le sang me bourdonnait dans les oreilles... il me semblait qu’on venait de me dégrader à la face du régiment ; mais je dois rendre cette justice au capitaine... il n’y a pas été par quatre chemins ; il m’a dit : « Bernard, ça... ça ne s’essuie qu’avec un coup de sabre, allons-y ! »

LUCILE.

Ah ! c’est bien !

BERNARD.

Et il a eu la bonté de me faire lui-même une toute petite coupure sur le bras... Voulez-vous la voir ?

MADAME DU GUY.

Non, c’est inutile.

LUCILE.

Nous vous croyons, mon bon, mon brave Bernard...

BERNARD.

Ah ! mam’zelle, vous qui avez une si jolie petite voix... vous devriez le consoler, ce pauvre homme !

LUCILE.

Il a du chagrin ?

BERNARD.

Oh ! je vous en réponds... Tout à l’heure pendant qu’il pliait ses deux chemises... à coups de poing... dans sa valise... j’ai surpris une grosse larme... qui s’est sauvée tout de suite dans sa moustache.

LUCILE, à part.

Mon pauvre Horace !

BERNARD.

Ah ! voir pleurer un capitaine de cavalerie !... ça fend le moral.

MADAME DU GUY.

Soyez tranquille, mon ami, nous allons voir Horace, lui parler... J’espère que vous ne quitterez pas cette maison.

BERNARD.

Moi, sans le chocolat, j’y serais très bien.

MADAME DU GUY.

Tout s’arrangera... Emportez cela.

Elle indique la valise.

Et ne partez pas sans avoir reçu de nouveaux ordres.

Bernard sort par la droite.

LUCILE, s’approchant de sa tante et appuyant sa tête sur son épaule.

Dites donc, ma tante...

MADAME DU GUY.

Quoi, ma nièce ?

LUCILE.

Ce pauvre garçon... il a pleuré !

MADAME DU GUY.

Ce qui veut dire : « Ma tante, ma bonne petite tante, vous seriez bien aimable d’écrire à M. Désambois pour le prier de ne pas aller chez le notaire. »

LUCILE.

Ah ! c’est étonnant comme vous me comprenez !

MADAME DU GUY.

Tu me charges toujours de commissions charmantes !

LUCILE, l’embrassant.

Tenez, voilà pour le papier, pour l’encre, pour la plume... Eh bien... et pour la bonne tante !

Elle l’embrasse.

MADAME DE GUY, sortant.

Oh ! l’enfant gâtée ! l’enfant gâtée !

 

 

Scène IX

 

LUCILE, HORACE

 

LUCILE, seule.

Pauvre Horace ! comme il est bon !

HORACE, sortant de sa chambre et l’apercevant.

Oh ! pardon, mademoiselle... ma tante n’est pas là ?

LUCILE.

Non, monsieur... elle écrit une lettre...

HORACE.

Avant de partir, je désire lui faire mes adieux, je vais la trouver...

LUCILE, lui barrant le passage.

Non, monsieur, vous n’irez pas...

HORACE.

Comment ?

LUCILE.

Vous ne partez plus !

HORACE.

Mais...

LUCILE.

Il n’y a pas de mais... je ne le veux pas !

HORACE.

Permettez, mademoiselle ; après ce qui vient de se passer...

LUCILE.

Oh ! vous pouvez faire votre grosse voix... je n’ai plus peur de vous maintenant ! J’ai découvert un secret...

HORACE.

Un secret ?

LUCILE.

Oh ! ne cherchez pas ! il est caché dans votre moustache !

HORACE.

Ma moustache ?

LUCILE.

Qu’il vous suffise de savoir que je vous pardonne, et que je consens à devenir votre femme.

HORACE.

Est-il possible, ma petite Lucile !

LUCILE.

Mais à une condition.

HORACE.

Laquelle ?

LUCILE.

C’est que vous ne vous mettrez plus en colère.

HORACE.

Oh ! je le jure !... Tenez, je le jure sur cette petite sonnette qui est là... et qui me rappelle tous mes torts.

Il désigne la sonnette qui est sur le guéridon.

LUCILE.

À la bonne heure !... Mais souvenez-vous du serment que vous me faites, et, si jamais vous l’oubliez, c’est elle qui vous rappellera à l’ordre.

HORACE.

Maintenant, petite cousine, expliquez-moi ce rayon de soleil qui vient d’apparaître.

LUCILE.

Oh ! rien du tout ! Je ne puis vous dire qu’une chose : Votre domestique est un bien brave homme.

HORACE.

Bernard ?

LUCILE.

Dites-moi, mon ami, il paraît qu’il n’aime pas le chocolat ?

HORACE.

Ça !... il manque d’enthousiasme pour ce comestible.

LUCILE.

Qu’est-ce qu’il aime ?

HORACE.

Oh ! vous n’avez pas de ça ici.

LUCILE.

Dites toujours.

HORACE.

Il aime le cognac... très jeune !

LUCILE.

Je lui en achèterai sur ma petite bourse.

MADAME DE GUY, dans la coulisse.

Lucile, mon enfant !

LUCILE.

Ma tante m’appelle !

À part.

Je suis sûre que c’est encore pour collaborer.

Haut.

Adieu !

Elle sort.

 

 

Scène X

 

HORACE, DÉSAMBOIS

 

HORACE.

Je n’y comprends rien... mais je me laisse faire.

DÉSAMBOIS, entrant, à part.

Dans un quart d’heure, le notaire et le prétendu seront ici... Ah ! le capitaine !

HORACE, l’apercevant, le saluant.

Monsieur Désambois !...

DÉSAMBOIS, saluant très cérémonieusement.

Monsieur !...

HORACE, à part.

Nous avons beau faire... nous sommes toujours un peu gênés vis-à-vis l’un de l’autre.

Haut.

Quel temps fait-il, monsieur Désambois ?

DÉSAMBOIS, sévèrement.

Il gèle toujours, monsieur.

HORACE.

Quant à moi, croyez-le, monsieur Désambois, je serai personnellement heureux de voir arriver le dégel...

DÉSAMBOIS.

Cela me paraît bien difficile... mon baromètre remonte...

HORACE.

C’est-à-dire que vous continuez à vous opposer à mon mariage ?...

DÉSAMBOIS.

Moi ? Nullement... comme tuteur, j’ai fait ce que je devais faire... j’ai rempli mon devoir... Maintenant, si ces dames consentent... je suis tout prêt à signer à votre contrat...

HORACE.

Ah ! voilà une bonne parole !

DÉSAMBOIS, à part.

Le notaire va venir...

HORACE.

Et croyez que je regrette sincèrement... et plus que jamais...

DÉSAMBOIS.

Quoi donc ?

HORACE.

La petite vivacité... hier... au bal... le...

DÉSAMBOIS, froidement.

Je ne sais pas ce que vous voulez dire...

HORACE.

Ah ! oui... pardon !... c’est convenu !

 

 

Scène XI

 

HORACE, DÉSAMBOIS, MADAME DE GUY, LUCILE

 

MADAME DE GUY, elle tient une lettre.

Monsieur Désambois, je viens de vous écrire...

DÉSAMBOIS.

À moi ?

MADAME DU GUY.

Pour vous prier de ne pas aller chez le notaire.

DÉSAMBOIS.

Comment ! il va venir avec le contrat !

HORACE.

Tant mieux, nous le signerons !... Je vais donner ordre qu’on le fasse entrer.

Il disparaît un moment.

DÉSAMBOIS, étonné.

Nous le signerons... Pas lui...

MADAME DU GUY.

Oh ! tout est expliqué... ce duel...

LUCILE.

C’est admirable !

MADAME DU GUY.

Il s’est battu avec Bernard !

DÉSAMBOIS.

Son domestique ! vous trouvez ça admirable ?

MADAME DU GUY.

Il lui devait une réparation.

LUCILE.

Ce pauvre homme !... il lui avait...

MADAME DU GUY.

Donné un...

DÉSAMBOIS.

Quoi ?

LUCILE.

Avec la jambe droite...

DÉSAMBOIS, s’oubliant.

Comment, aussi !...

MADAME DU GUY.

Quoi, aussi ?

DÉSAMBOIS.

Rien ! rien !

HORACE, rentrant par le fond.

J’ai prévenu Baptiste... Vous savez, ma tante, que M. Désambois est un homme charmant, il ne s’oppose plus à notre mariage...

LUCILE et MADAME DU GUY.

Est-il possible ?

DÉSAMBOIS, vivement.

Permettez !

À part.

Et M. Magis qui va venir !

Haut.

J’ai été tout à l’heure témoin d’une scène de violence...

MADAME DU GUY.

Ça ne se renouvellera plus.

HORACE.

Je l’ai juré....

Il montre à Lucile la sonnette placée sur le guéridon.

MADAME DU GUY.

Sinon... moi qui suis sa tante, moi qui l’aime comme mon enfant... je serais la première à lui refuser mon consentement ; rien ne pourrait me fléchir, rien !

LUCILE.

Ni moi non plus !

HORACE.

C’est convenu !

DÉSAMBOIS, mielleusement.

Mon Dieu, mes amis, qu’est-ce que je demande, moi ? Le bonheur de Lucile...

MADAME DU GUY.

Ah ! je vous retrouve !

HORACE.

Vive M. Désambois !

DÉSAMBOIS, à part.

Je vais te faire déchanter tout à l’heure !

Haut.

Voulez-vous, en attendant le notaire, que nous causions un peu du contrat... des affaires d’intérêt ?

MADAME DU GUY.

Est-ce bien nécessaire ?

HORACE.

Il n’y a pas de difficultés possibles.

DÉSAMBOIS.

Je le pense comme vous... mais, enfin, les affaires sont les affaires !... Veuillez prendre la peine de vous asseoir.

Lucile et madame de Guy sont assises près du guéridon. Horace se tient debout près de la cheminée. Désambois est assis à droite de la table placée au milieu. Tirant des papiers de sa poche, à part.

Il ne s’agit plus que de le faire mettre en colère... ça ne sera pas long !

Haut.

Voici quelques notes que j’avais jetées pour le contrat de M. Magis... Nous avions pensé, M. le notaire et moi, que le régime de la communauté était le plus convenable...

MADAME DU GUY.

C’est aussi mon avis...

DÉSAMBOIS.

Ce régime, en effet, écarte toutes méfiances, prévient les soupçons blessants... les époux mettent en commun leurs biens meubles et immeubles ; le mari, chef suprême... mais tendre, conserve seul l’administration... Il peut vendre, aliéner, hypothéquer sans le concours de la femme, article 1421... Ce régime est celui de l’abandon, de la confiance mutuelle et affectueuse.

HORACE, allant s’asseoir en face de Désambois.

C’est parfait ! J’accepte la communauté.

DÉSAMBOIS.

Ah ! permettez... ceci est le contrat Magis... Autant de prétendus, autant de contrats différents...

MADAME DE GUY et LUCILE, étonnées.

Hein ?

HORACE.

Que voulez-vous dire ? Expliquez-vous !

DÉSAMBOIS.

Comme tuteur... je dois prévoir certaines éventualités... fâcheuses...

HORACE.

Lesquelles ?

DÉSAMBOIS.

Par exemple... la prodigalité... MM. les militaires sont sujets à caution.

HORACE, piqué.

Laissons les militaires, je vous prie...

DÉSAMBOIS, à part.

Ça vient !

Haut.

Il y a encore l’incapacité dans la gestion, l’inconduite, l’infidélité du mari...

HORACE.

Oh !

Il brise une plume.

DÉSAMBOIS, à part.

Ça vient !

MADAME DU GUY.

Mais, monsieur...

DÉSAMBOIS, continuant.

Les nuits passées dans l’orgie... hors du domicile conjugal, les mauvais traitements...

HORACE, se levant et frappant sur la table.

Sapredié ! assez, monsieur, je vais...

Lucile prend la sonnette et sonne en remontant. À part.

La sonnette !... Il était temps !

Très aimable.

Continuez donc, cher monsieur Désambois !

Il s’assied.

DÉSAMBOIS, à part.

J’ai cru que ça allait venir.

LUCILE, à Baptiste qui paraît.

Baptiste, apportez du bois !

Baptiste sort. Désambois s’assied à droite du guéridon ; Lucile prend la chaise laissée par Désambois et la place à gauche ; après avoir remis la sonnette sur le guéridon, elle s’assied.

DÉSAMBOIS.

Je proposerai donc le régime dotal.

MADAME DU GUY.

Vous n’y pensez pas !

HORACE.

Je l’accepte... mais finissons.

DÉSAMBOIS.

C’est le régime de la confiance... armée...

Il prend machinalement la sonnette qu’il garde.

Je conviens qu’au premier abord, certaines de ses dispositions peuvent paraître humiliantes pour un homme de cœur.

MADAME DE GUY, à part.

C’est incroyable !

HORACE, à part.

Ah ! si Baptiste pouvait apporter du bois vert !

DÉSAMBOIS, continuant.

Moi, je ne l’aurais jamais accepté. Sous ce régime, le mari, en état de suspicion... ne peut vendre ni hypothéquer, même avec le consentement de sa femme ; mais, dans certains cas, celle-ci peut se faire autoriser par le tribunal... par exemple, pour tirer son mari de prison.

HORACE, à part.

Voilà qu’il me flanque en prison à présent !

MADAME DU GUY.

Monsieur Désambois, une pareille supposition...

DÉSAMBOIS.

Mon Dieu, madame, il faut s’attendre à tout. Je ne dis pas cela pour M. votre neveu ; mais il y a mille manières d’aller en prison. On y va pour dettes, pour coups, pour injures, cris séditieux, tapage nocturne, indélicatesse...

HORACE, à part.

Il faut que ça finisse, je vais le jeter par la fenêtre.

Il va ouvrir la fenêtre.

DÉSAMBOIS, il se lève vivement, effrayé.

La fenêtre !

HORACE, revenant à Désambois.

Monsieur Désambois, voilà un quart d’heure...

Lucile agite le bras de Désambois et le fait sonner.

La sonnette !... Et c’est lui !

Il éclate de rire. Très aimable.

Veuillez continuer, cher monsieur Désambois !

DÉSAMBOIS, à part, étonné.

Comment ?

HORACE.

J’ai le plus grand plaisir à vous écouter.

À part.

Va ton bonhomme de chemin, j’ai lu dans ton jeu.

Il reprend sa place à la table et fait des cocottes pendant la scène qui suit.

DÉSAMBOIS, à Lucile.

Et maintenant, pauvre enfant, chère Lucile, fasse le ciel que vous n’ayez pas trop tôt à vous repentir de cette union !

À part, regardant Horace.

Il fait des cocottes !

Haut.

De cette union... fatale...

LUCILE et MADAME DU GUY.

Mais, monsieur...

DÉSAMBOIS.

Que j’en ai vu pleurer de jeunes filles, entraînées par leur cœur vers des hommes... non, des êtres indignes de porter ce nom !

HORACE, à part.

Charmant !

Il lui envoie un baiser.

DÉSAMBOIS, à part.

Ça ne vient pas !

MADAME DE GUY, à part.

C’est un modèle de patience !

DÉSAMBOIS, continuant.

Mais bientôt le mirage s’efface... Que leur reste-t-il ?

À part, regardant Horace.

Il est agaçant avec ses cocottes !

Haut.

Un cortège de larmes, de douleurs... et de coups de cravache !

MADAME DE GUY, se levant.

Monsieur !

LUCILE, se levant avec colère.

Assez ! Votre conduite est indigne !

HORACE, à part.

Tiens, c’est elle qui s’emporte !

Il va à la cheminée.

LUCILE.

Depuis un quart d’heure, vous insultez un homme...

Horace a pris une sonnette sur la cheminée et sonne. Lucile s’arrête et éclate de rire.

HORACE, riant aussi.

Ah ! ah ! ah !

DÉSAMBOIS, frappant sur la table.

Mais... ces rires sont indécents, monsieur, mademoiselle... Je proteste !

Horace et Lucile carillonnent et rient.

 

 

Scène XII

 

HORACE, DÉSAMBOIS, MADAME DE GUY, LUCILE, BERNARD

 

BERNARD, entrant.

M. Célestin Magis.

DÉSAMBOIS.

Qu’il entre !

MADAME DU GUY.

Non !... Dites-lui que nous sommes à Fontainebleau pour quelques temps...

HORACE.

Il faudra pourtant bien le prévenir un jour.

BERNARD.

Il y a là aussi une espèce d’homme qui se dit notaire.

TOUS.

Le notaire !

DÉSAMBOIS.

Il peut se retirer.

MADAME DU GUY.

Mais du tout !

LUCILE.

Par exemple !

MADAME DU GUY.

Nous allons signer le contrat.

BERNARD.

Il est dans le petit salon.

MADAME DU GUY.

Je vais le recevoir. Viens, Lucile.

Elle sort avec Lucile, Bernard les suit.

DÉSAMBOIS, à part.

Le contrat ! je suis pris ! Que faire ? Si je pouvais... ça romprait tout !

HORACE.

Eh bien, mon bon monsieur Désambois, j’espère que vous allez retrousser vos manches, et nous mouler une signature.

DÉSAMBOIS, à part.

Essayons !

Haut.

Épousez Lucile, monsieur... mais j’en suis pour ce que j’ai dit.

HORACE.

Quoi donc ?

DÉSAMBOIS.

Le monde est plein de croqueurs de dot.

Il tourne le dos.

HORACE, se retournant vers lui.

Ah ! vous êtes un gourmand ! Non bis in idem !

DÉSAMBOIS, étonné.

Du latin !

MADAME DE GUY, reparaissant avec Lucile.

Eh bien, messieurs...

LUCILE.

Mon cousin...

HORACE.

Allons, monsieur Désambois, le bras à ma tante.

DÉSAMBOIS.

Mais...

HORACE.

Oh ! ne craignez rien... je passe le premier.

Il va au fond offrir son bras à Lucile.

DÉSAMBOIS, à part.

Cet homme n’a pas de sang dans les veines !

Il donne le bras à madame de Guy. 

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