Marmitons et grands seigneurs (Thomas SAUVAGE - Gabriel DE LURIEU)

Comédie-vaudeville en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés, le 25 février 1835.

 

Personnages

 

PLUMP, marchand de bœufs

MISKAU, prince souverain de ***

LÉOPOLDINE, sa femme

SOPHIE, sa nièce

LE DUC, ministre du prince

LE CHAMBELLAN

DAMES

COURTISANES

VALETS

BOUVIERS

 

Un château, dans une principauté d’Allemagne.

 

Une grande salle dans un château. À droite, deux portes ; une fenêtre, au premier plan. À gauche deux, portes. Porte au fond. Sur des consoles, un plateau avec verres et carafon. Une écritoire, un registre.

 

 

Scène première

 

LE CHAMBELLAN, SOPHIE, LE DUC, LÉOPOLDINE, COURTISANS, DAMES

 

Ils entrent successivement par les différentes portes, vêtus en sommeliers, en marmitons, en servantes.

TOUS.

Air : Victoire. (des tours de Notre-Dame.)

Du zèle ! (ter.)
Afin de plaire à monseigneur ;
Oui, pour un serviteur fidèle,
Obéir est un bonheur,
Du zèle !
Obéir est notre bonheur !

LE DUC, à Léopoldine.

À ce que voulait son altesse

Notre orgueil a dû se plier,

LÉOPOLDINE, à part.

Vous masquer, courtisans, sans cesse
N’est-ce pas là votre métier !

TOUS.

Du zèle, etc.

LE DUC.

Mademoiselle votre nièce est tout à fait jolie sous cet habit, princesse ; mais elle n’a pas l’air de partager la joie commune.

LÉOPOLDINE.

Peut-être ces vêtements ignobles, cette mise de gens du peuple froissent-ils votre juste orgueil, ma nièce !

SOPHIE.

Non, ma tante !...

LÉOPOLDINE.

Eh bien ! alors qui peut ! vous donner cet air triste et maussade ?

SOPHIE.

Je vous le dirais bien, tante... mais...

Elle montre le duc.

LÉOPOLDINE.

Ah ! quelqu’enfantillage et vous ne voulez pas devant votre prétendu...

Au duc.

Permettez, monsieur le duc.

LE DUC, s’éloignant.

Altesse !

Il se retire vers le fond avec les autres personnages.

LÉOPOLDINE.

Eh bien ! voyons, mademoiselle, ce grand sujet de chagrin... vous êtes triste de ?...

SOPHIE.

D’épouser le duc que je n’aime pas !

LÉOPOLDINE.

Quelle impertinence ! le favori du prince mon mari !... et vous seriez sans doute plus gaie si c’était un autre ?

SOPHIE.

M. Albert...

LÉOPOLDINE.

Le neveu du Chambellan !

SOPHIE.

Oui, ma tante !

LÉOPOLDINE.

Y pensez-vous, mademoiselle, quand on a l’honneur d’être nièce du prince Miskau, d’être née de Birboff, de tenir à toutes les maisons princières de l’Allemagne, Gotha, Cobourg, Limbourg, la Lipe !... la Lipe ferait une belle grimace ! un petit sous-lieutenant à peine né... sa mère a une barre et son père n’est point écartelé !

SOPHIE.

J’espérais votre protection, ma tante... on m’avait dit qu’autrefois, avant votre mariage... vous aussi, vous aviez un attachement...

LÉOPOLDINE.

Ah ! mon enfant, quel souvenir ! un prince héréditaire... Juge de ma douleur ! sur tous nos alliés, j’ai bien pleuré, va... le fauteuil chez l’empereur, j’ai cru en mourir... je ne l’avais jamais vu... c’était par correspondance ; mais, nous correspondions si bien ! il est roi, maintenant... c’est lui que vous attendons aujourd’hui... voilà un amour bien placé !... si je te voyais de semblables sentiments, tu me trouverais bonne, indulgente... mais votre monsieur Albert !

SOPHIE.

Que voulez-vous, ma tante, quand on aime...

LÉOPOLDINE.

On n’aime pas à moins de trente-six quartiers, mademoiselle... et encore !...

 

 

Scène II

 

LE CHAMBELLAN, MISKAU, LE DUC, LÉOPOLDINE, SOPHIE, SEIGNEURS et DAMES

 

MISKAU, en chef de cuisine, entrant par le fond.

Me voilà, messieurs... et vous ?

Pouffant de rire.

Oh ! qu’est-ce que c’est que ça ? oh ! c’est trop fort ; quelle face... oh ! c’est très bien... parlez un peu, pour que je vous reconnaisse.

LE DUC, en sommelier.

C’est moi, mon seigneur...

MISKAU.

Le duc ! mon premier ministre, étonnant, stupéfiant ! je ne lui ai jamais trouvé l’air si bête, et celui-là ?

LE CHAMBELLAN.

Votre chambellan.

MISKAU.

Oh ! grotesque, burlesque, fantastique, où tu es Dantan ? l’excellente charge ! ah ! ça et moi ? voyons, suis-je drôle ?

LES COURTISANS, commencent à rire.

Monseigneur... Eh, eh, eh !...

MISKAU, sévèrement.

Qu’est-ce que c’est, soyez francs, messieurs...

LES COURTISANS, sérieusement.

Monseigneur...

MISKAU.

Vous allez me flatter, me dire que je vous fais rire... je sais bien ce qu’il en est ; je ne puis pas vous faire rire... vous êtes parbleu ! bien heureux, messieurs, d’avoir de ces figures hétéroclites... je donnerais quelque chose en ce moment pour la physionomie de mon chambellan ; vrai ; mais moi, prince Miskau, souverain absolu de cinquante-sept lieues carrées et fournissant dix-sept hommes à la confédération germanique, je suis digne, je suis noble, voilà tout... j’ai ce type ineffaçable qui distingue les princes, tous les princes... que je sois en marmiton, ou en grand seigneur je suis toujours moi, le prince Miskau...

Il passe à Léopoldine.

C’est comme la princesse.

LÉOPOLDINE.

Soyez tranquille prince, ce ne sera pas moi qui trahirai le secret de la comédie ; mais, si vous craignez tant d’être reconnu, pourquoi voulez-vous absolument jouer un rôle ?

MISKAU.

Parbleu ! quand tout le monde s’amuse, croyez-vous que je vais m’ennuyer à faire ici le prince régnant ? Du tout ! aussi, vous n’imagineriez jamais d’où je viens ; de la cuisine ! j’ai vu là une foule de choses extraordinaires, miraculeuses : des casseroles, des marmites ; nous autres princes, nous ne pouvons pas tout savoir... mais le plus drôle, c’était de me voir au milieu des pots et des cruches, ce diable de type à la cuisine...

Riant.

Ah ! ah !

LÉOPOLDINE.

Il s’agit maintenant d’expliquer à ces dames et à ces messieurs notre plan, et puisque c’est une comédie d’en faire l’exposition. Le roi, cousin de son altesse qu’il n’a pas vu depuis son enfance, voyage incognito ; mais non pas comme tous les princes, sous cet incognito qui ne trompe personne, qui commande l’étiquette et prescrit le cérémonial.

MISKAU.

Non, le plus obscur, le plus sombre incognito... incognito au grand complet !

LÉOPOLDINE.

Au point de ne vouloir descendre à aucun des châteaux de son cousin, déclarant qu’il ne s’arrêtera que dans les auberges.

MISKAU.

J’étais furieux ! cette bizarrerie pouvait être fort mal interprétée par la diplomatie européenne, et par la diète. Je n’aime pas la diète... lorsque le duc... je dois le dire, c’est lui... lorsque le duc et une idée... Oui, messieurs, une idée... ce fut de transformer en auberge, son propre château... c’est assez drôle. Un postillon, placé au dernier relai, a le mot, et nous amène le monarque récalcitrant... vous, mes courtisans, vous êtes tous des valets... des valets de l’auberge ; moi, votre maître, votre chef, à cause du type, c’est le seul moyen de le faire passer... madame, l’hôtesse comme de raison.

LÉOPOLDINE, à part.

Ah ! M. le roi, mon cousin, vous avez osé me dédaigner... nous vous ferons regretter vos refus.

Haut.

Mais j’y pense, l’hôte, l’hôtesse, le sommelier, c’est très bien ; mais pour les détails...

LE CHAMBELLAN.

Comptez sur moi, princesse...

Air de la Robe et des Bottes.

Un chambellan est au fait du service.

LÉOPOLDINE.

Oui ! pour commander.

LE CHAMBELLAN.

J’en conviens.

LÉOPOLDINE.

Mais pour agir aux fourneaux, à l’office,
Que savez-vous ?

LE CHAMBELLAN.

Vraiment, je ne sais rien ;
Mais du respect, du zèle !

MISKAU.

Il me fait rire !
Zèle et respect, sans doute, c’est très beau ;
Mais entre nous cela ne peut suffire,
S’il vous demande un fricandeau.

Enfin, le sort en est jeté... maintenant, allez prendre connaissance des dispositions du château, afin de faire le moins possible de bévues.

TOUS.

Air : Allons chercher le notaire. (Prima Donna.)

Tous à servir un tel prince,
Nous mettrons notre bonheur ;
Il n’est pas d’emploi si mince
Qui ne me semble un honneur

LE CHAMBELLAN.

Je ne m’inquiète guère
Quel est mon poste aujourd’hui...
À côté, devant, derrière...
Pourvu qu’il soit près de lui.

TOUS.

Tous à servir un tel prince, etc.

Ils sortent.

 

 

Scène III

 

MISKAU, LE DUC

 

MISKAU.

Ils sont partis ! je puis jeter ce masque de gaîté et montrer à nu mon triste visage... Légères femmes ! courtisans stupides : je ne dis pas çà pour toi, duc.

Le duc s’incline.

Ils ne voient qu’une bamboche, une farce, dans ce travestissement burlesque... car ton idée est absurde.

LE DUC.

Le succès justifie tout et fait d’un sot un grand homme.

MISKAU.

Et tu comptes sur le succès !... Y parviendrons-nous ? vois-tu, duc, moi, prince Miskau, élevé en prince, je n’ai jamais compté... je ne sais pas, je ne veux, je ne dois même pas savoir. J’ai donc dé pensé... mais dépensé. Vous voulez de l’argent ? en voilà, en voilà encore... Dans mes voyages à Paris, par exemple, je me nais une vie satanique : dînant au café de Paris, avec la meilleure société, des directeurs de spectacles, des journalistes ; tous gens à gants jaunes... c’est cher, mais c’est bien... Et puis les femmes, les danseuses, en ai-je vu ?... tu sais bien la petite...

Il lui parle bas : puis continuant.

Ma parole d’honneur... c’est cher, mais c’est bien... Tu sens que, pour mener ce train-là, il fallait de l’argent... qu’est-ce que je dis ? de l’or... J’écrivais à mon banquier... le gros juif si richement laid... il m’en en voyait... c’est très bien... je le mangeais, c’est encore mieux... mais, juges de ma stupéfaction, lorsqu’à mon retour, je trouve qu’une partie de mes propriétés appartenait à ce misérable millionnaire !... j’entre en fureur ; il me montre un jugement... mes juges, mes propres juges que je nomme, m’avaient condamné à payer... et cela en vertu de je ne sais quelles lois qu’ils disent que j’ai proposées... je veux que le loup me croque si je leur ai jamais fait semblable proposition... Bref, si je ne trouve promptement des secours, moi, prince Miskau, je vais voir vendre mes meubles sur la place de ma capitale comme un simple négociant en faillite.

LE DUC.

Vous avez épuisé tous les moyens pour vous en procurer.

MISKAU.

Tous... et c’est bientôt fait... Autrefois, j’aurais vendu quelques toises de privilèges à mes courtisans, cédé quelques pouces de liberté à mes sujets... mais aujourd’hui, ils s’en moquent bien... ce qu’on ne donne pas, ils le prennent.

LE DUC.

Votre cousin, économe et sage souverain, peut donc seul vous tirer d’embarras.

MISKAU.

S’il le veut ; mais ce diable d’homme vit comme un bourgeois : il compte, il raisonne !

LE DUC.

Il vous aime beaucoup.

MISKAU.

Il me l’a écrit... de l’attachement, des protestations de service, des conseils... mais il aime encore plus l’argent. Il faut donc le caresser, le dorloter, le mijoter ; c’est donc pour cela que le retenir quelques jours dans ce château au moyen de notre drôlerie serait un coup de maître.

LE DUC.

Mais le banquier aura-t-il la patience...

MISKAU.

Fais-lui part de mes espérances ; une dépêche télégraphique... attends, tu diras ça... ça... et ça...

Gestes télégraphiques.

LE DUC.

Il est possible qu’il réponde ça... ça... et ça...

Même  jeu.

MISKAU.

Alors, nous n’hésiterons pas, nous répliquerons vivement par une phrase un peu plus longue, ça, ça, ça, ça et ça...

Même jeu.

LE DUC.

Parfait... je ne vois rien à ré pondre.

MISKAU.

C’est vigoureux et bien écrit.

 

 

Scène IV

 

LE CHAMBELLAN, MISKAU, LE DUC

 

LE CHAMRELLAN.

L’illustre voyageur entre dans la cour du château...

MISKAU.

Ce cher cousin ! voilà le moment critique !... Allons, messieurs, voyons comment vous ferez votre service.

LE CHAMBELLAN.

C’est qu’il n’a pas l’air facile... en entrant, comme le grand écuyer ne se rangeait pas assez vite, il lui a don né... Il a le commandement superbe... et pourtant, on voit une extrême habitude de l’incognito... il le garde avec une aisance ; si je n’avais pas été prévenu...

MISKAU.

Oh ! le type... il doit avoir le type...

LE CHAMBELLAN.

Sans doute !

MISKAU.

Ah ça, vous ne m’avez pas l’air bien fixé sur le type. Ne sauriez-vous pas ce que c’est que le type ?

LE CHAMBELLAN.

Eh !... eh !... prince, c’est le nez, peut-être ?

MISKAU.

Pas du tout.

LE CHAMBELLAN, cherchant.

C’est le...

MISKAU.

Ce n’est pas ça encore... Vois tu, le type, c’est... c’est quelque chose d’imperceptible. Ça ne se voit pas... ça se de vine... voilà ce que c’est que le type ! Allons le recevoir.

Il remonte vers la porte. Riant.

Ah ! ah ! ah !

LE CHAMBELLAN, à part.

Riez !... riez !... J’ai prévenu l’auguste personnage, et nous rirons plus fort.

 

 

Scène V

 

LE CHAMBELLAN, SOPHIE, LÉOPOLDINE, PLUMP, MISKAU, LE DUC, COURTISANS, DAMES

 

TOUS, saluant et entourant Plump.

Air : Connaissez mieux la garde citoyenne.

Chacun de nous tâchera de vous plaire.
Entrez, Monsieur, entrez, c’est bien ici.
Ordonnez, et l’on va vous satisfaire.
Vous payez bien, vous serez bien servi.

PLUMP

Allons, cessez ! de grâce, qu’on s’écarte
J’ai bien assez de politesse comme ça
Car, j’en suis sûr, je trouv’rai sur la carte
Et ces saluts et ces courbettes-là.

TOUS.

Chacun de nous, etc.

PLUMP.

Ah ! quels gens insupportables ! Quand vous auriez passé à la cour toute votre vie...

MISKAU.

Je crois qu’il a reconnu le type.

PLUMP.

Vous bien eux de me débarrasser de mon manteau.

Il jette le manteau au nez de Miskau.

Tenez !

LE CHAMBELLAN, riant à part.

Bon.

MISKAU, riant.

Oh ! oh ! charmant !... Il m’a bridé la figure ! vlan !

PLUMP.

Ah !... vous avez l’air bien peu dégourdi pour servir dans une auberge aussi belle... et qui doit être achalandée.

LÉOPOLDINE.

Mais... nous y recevons bonne compagnie.

MISKAU.

Et l’on y est comme des rois.

À part.

Le mot est bien.

PLUMP.

Air : Je n’ai pas vu ces bosquets de lauriers.

Comme des rois ! c’est pour m’épouvanter !
Car nos seigneurs, on le sait, dans leur course,
Gaiement partout dépensent sans compter.
Ils ont raison : n’ont-ils pas notre bourse.
Sur cet article impunément,
Je ne puis, moi, me montrer si facile.
Par mon travail actif, intelligent,
Je dois gagner chaque jour mon argent.
Je n’ai pas de liste civile.

Ah ça ! un verre de vin pour achever de me remettre.

Les courtisans s’empressent et se poussent pour arriver.

LE CHAMBELLAN.

C’est ma charge.

L’ÉCUYER.

C’est mon droit.

LE DUC.

Messieurs, je le veux.

PLUMP.

Là, là, entendez-vous... On a bien raison de dire : Plus on a de valets, plus on est mal servi.

MISKAU, à Léopoldine.

Il joue très bien son personnage.

LÉOPOLDINE, bas à Miskau.

Oui, beaucoup de naturel.

MISKAU, bas aux courtisans.

Je vais l’embarrasser...

Haut en lui présentant le registre.

Monsieur veut-il bien signer sur le livre des voyageurs ?... Vous savez que c’est l’usage.

PLUMP.

Oui, oui, j’ai assez roulé pour cela. Il y a des gens qui en ont pour une heure à écrire leurs noms, titres, qualités... Haut et puissant seigneur de... et de... et de... Moi, c’est bientôt fait :

Il écrit.

Plump, marchand de bœufs.

MISKAU, partant d’un éclat de rire.

Ah ! ah ! ah ! Plump ! marchand de bœufs !... Impayable !

PLUMP, étonné.

Et bien ! qu’est-ce que c’est ?

LES COURTISANS, riant aux éclats.

Ah ! ah ! ah ! ah !

PLUMP, levant son bâton.

Holà, hé ! voilà bien de la gaieté ! faut-il que je touche pour faire rentrer dans l’ordre ?

MISKAU, étouffant de rire.

Pardon, M. Plump. C’est que votre nom...

À part.

Où diable a-t-il été chercher celui-là.

PLUMP.

Qu’a-t-il donc de si risible ce nom ? C’est celui de mon père, de mon grand-père... de... Car moi aussi j’ai une généalogie.

MISKAU.

Je crois bien... Et quelques quartiers...

PLUMP.

De terre ; mais oui, quelques uns, et je n’en suis pas plus fier... Cependant je n’entends pas qu’on vienne me rire au nez, et je veux, pour mon argent, être traité dans une auberge avec autant de respect qu’une tête couronnée...

MISKAU, bas au duc.

Hein ! le bout d’oreille, une tête !...

À Plump.

Nous vous traiterons absolument de même.

PLUMP.

D’autant plus qu’une tête couronnée, quand la couronne n’y est pas, doit ressembler beaucoup à la mienne ou à tout autre... Ah ça, est-ce que tous ces escogriffes-là n’ont pas autre chose à faire qu’à rester là plantés devant moi, à me regarder comme une bête curieuse... Voyons, M. le sommelier, à votre cave ; M. le chef, à vos fourneaux, et vous tous, hors d’ici, à l’exception de l’hôtesse, qui va rester pour me donner quelques renseignements dont j’ai besoin.

LÉOPOLDINE.

À vos ordres, monsieur.

MISKAU, bas à Léopoldine.

Soyez aimable au moins !... Tâchez de vous mettre dans ses bonnes grâces ; c’est essentiel.

À part.

Seulement ne nous éloignons pas ; il a la réputation d’un gaillard.

PLUMP.

Eh bien ! encore là ! ah ! ça se gâtera.

Air de Cendrillon.

Selon mon goût je veux être traité.
Ou généreux plus qu’ vous n’ pouvez le croire,
J’ va vous donner d’avanc’ certain pourboire
Sur l’quel je gag’ vous n’avez pas compté.

MISKAU, à part.

Je recevrais, je le dis tout de bon,
Tant ce type me préoccupe,
Avec plaisir quelques coups de bâton,
Pour être sûr qu’il est ma dupe.

TOUS.

Selon son goût monsieur sera traité ;
À vous servir nous mettons notre gloire.

À part.

À ce jargon comment pourrait-on croire
Quand tout trahit en lui la dignité.

PLUMP.

Selon mon goût je veux être traité.

Ils sortent en faisant de grands saluts.

 

 

Scène VI

 

PLUMP, LÉOPOLDINE

 

PLUMP, à part.

Elle est agréable, notre hôtesse.

LÉOPOLDINE, à part.

Il est fort bien, et malgré cette gaucherie affectée, on devine le souverain !...

PLUMP.

Madame, y a-t-il loin d’ici à la résidence ?

LÉOPOLDINE.

Huit lieues... Vous у allez ?

PLUMP.

Oui...

LÉOPOLDINE.

Une affaire ?

PLUMP.

Importante... Le prince y est-il en ce moment ?

LÉOPOLDINE, embarrassée.

En ce moment, je ne puis vous dire oui, précisément... mais sans doute, il y sera quand vous arriverez.

PLUMP.

Tant mieux, parce que c’est justement...

LÉOPOLDINE, vivement.

Ah !

PLUMP, se reprenant.

Non... oh ! non.

LÉOPOLDINE, à part.

C’est bien.

PLUMP, à part.

Bavard. Quand on cause avec les femmes on en dit toujours plus qu’on ne veut... la contagion... Soyons sur nos gardes.

À Léopoldine.

Et se fait-il aimer votre prince ?

LÉOPOLDINE, embarrassée.

Mais...

PLUMP.

Vous hésitez... je comprends...

LÉOPOLDINE.

C’est qu’il ne m’appartient pas de le juger... Tout ce que je sais, c’est qu’il fait de son mieux.

PLUMP.

On dit qu’il ne fait rien... mais par exemple ses ministres l’aident.

LÉOPOLDINE.

N’en faut-il pas des ministres ?

PLUMP.

Sans doute il en faut... mais les meilleurs ont besoin de l’œil du maître... laisseriez-vous votre cuisine sur la foi de vos marmitons... vous ?

LÉOPOLDINE.

Oh ! non... parce que... mais c’est bien différent.

PLUMP.

Pas tant, ma chère dame, pas tant. Qu’on tienne le timon des affaires ou la queue de la poêle, il est toujours bon d’y regarder.

LÉOPOLDINE.

Convenez que ce n’est pas tout plaisir de régner...

PLUMP.

Bah ! vous voilà comme les autres !

Air : Vaudeville de l’Anonyme.

Il semblerait vraiment qu’une couronne
Ait de nos jours perdu tous ses appas ;
Chacun à voir les ennuis qu’elle donne,
Tout haut vous dit : Moi, je n’en voudrais pas.
Du front royal que le flot populaire,
Qu’un accident vienne à la renverser,
Ne craignez pas qu’elle tombe par terre,
Quelqu’un est là prêt à la ramasser.

Et je vous dis ça à vous, parce que vous me comprenez...

LÉOPOLDINE, à part.

Serais-je reconnue ?

PLUMP.

Vous n’êtes pas comme votre mari, il peut être fort bien à la cuisine... quoiqu’il ne m’ait pas l’air d’avoir inventé la barigoule ; tandis que vous... oh ! vous... je crois qu’un salon vous conviendrait mieux qu’un comptoir, et vous me faites l’effet d’une princesse en toquet et en jupon court.

LÉOPOLDINE.

Vous êtes galant...

À part.

Observons-nous !

PLUMP.

J’ai beaucoup voyagé, j’ai vu les principales résidences ; j’ai habité les plus beaux hôtels.

LÉOPOLDINE.

Des palais.

PLUMP.

Des espèces de palais comme on en fait maintenant ; nulle part je n’ai trouvé une hôtesse aussi gracieuse, aussi... seulement vous avez un défaut.

LÉOPOLDINE.

Lequel ?

PLUMP.

L’air fier.

LÉOPOLDINE.

Avec vous... ce n’est pas mon intention... je suis ici pour recevoir vos ordres.

PLUMP.

Ah !

LÉOPOLDINE.

Vous obéir...

PLUMP.

Ah ! ah ! obéir... des ordres... c’est qu’on n’ose pas... des souhaits... des désirs... tout au plus.

LÉOPOLDINE, à part.

Il est très aimable.

PLUMP.

Et encore pas tous.

LÉOPOLDINE.

Pourquoi donc... essayez...

À part.

C’est un vrai Jean de Paris.

PLUMP.

Où je vais d’ordinaire on me connait, et quand j’arrive l’hôtesse, les chambrières... tout le monde est en l’air. Ah ! v’là M. Plump ! Bonjour, M. Plump, et puis c’est un baiser de celle-ci, une tape de celle-là... on m’adore.

LÉOPOLDINE, à part.

Il est un peu fat...

Haut.

Mais, comme vous me disiez, on vous connaît... et ici...

PLUMP.

Eh bien, faisons connaissance.

LÉOPOLDINE.

Je ne demande pas mieux !

PLUMP.

Ah ! vous ?... eh bien, oui ; mais votre regard...

LÉOPOLDINE.

Mon regard...

PLUMP, à part.

Il s’adoucit !

 

 

Scène VII

 

MISKAU, dans le fond, PLUMP, LÉOPOLDINE

 

MISKAU, entrant doucement, à part.

Ils sont bien longtemps ensemble.

PLUMP.

Air : Je le tiens. (Fille de Dominique.)

Ça va bien !
On se laisse faire,
Ça va bien !
Ne désespérons de rien.

MISKAU, enrageant et à part.

Ça va bien !
Il faut laisser faire,
Ça va bien !
Tout voir et ne dire rien.

LÉOPOLDINE.

Ça va bien !
Oui, j’ai su lui plaire.
Ça va bien !

PLUMP.

Voyons si j’aurai pourtant
Une telle audace.

Il l’embrasse.

MISKAU, à part.

C’est qu’il l’embrasse,
Vraiment,
C’est très amusant.

ENSEMBLE.

Ça va bien ! etc.

À la fin de ce couplet Plump embrasse une seconde fois Léopoldine. Sophie ouvre la porte du fond.

 

 

Scène VIII

 

MISKAU, PLUMP, LÉOPOLDINE, SOPHIE

 

SOPHIE, poussant un cri.

Ah !

TOUS.

Qu’est-ce que c’est ?

PLUMP.

Le mari !...

LÉOPOLDINE, à Sophie.

Que voulez-vous... petite sotte ?

MISKAU.

Oui, petite sotte !...

À part.

Je ne suis pas fâché de son arrivée.

SOPHIE.

Je venais... je voulais savoir... si... monsieur n’avait besoin de rien.

PLUMP, à part.

Tiens ! la petite aussi... c’est comme dans mes autres auberges...

Haut.

Non, mon enfant, j’ai tout ce qu’il me faut.

LÉOPOLDINE, à Sophie.

Sortez !

SOPHIE, à part, en sortant.

Si ce n’était pas un roi, pourtant !

 

 

Scène IX

 

PLUMP, MISKAU, LÉOPOLDINE

 

PLUMP.

Vous étiez là... ?

MISKAU.

Oui... oui !... j’attendais...

PLUMP.

Ah ! vous attendiez ; vous n’êtes donc pas jaloux ?

MISKAU.

Moi ! fi donc ! trop populaire !

PLUMP.

Voilà un sot animal !... Pauvre petite femme... Voyons ! puisque vous voilà, soyez bon à quelque chose ; défaites moi mes guêtres, je serai plus à mon aise.

MISKAU.

Comment... moi, Miskau !... Ah ! ça la plaisanterie devient par trop drôle !

PLUMP.

M’entendez-vous ?

LÉOPOLDINE.

Allez donc.

MISKAU, bas à Léopoldine.

Moi qui n’ai jamais su défaire les miennes.

Haut.

Me voilà !...

Il rit.

Ah, ah, ah !

PLUMP, le poussant du pied et le faisant tomber.

Maladroit l... j’aurai plutôt fait...

MISKAU, à terre.

Juste... dans le ventre... Ah ! voilà la première fois qu’on se permet... il est vrai qu’un roi ! de sa main... non... de son pied, veux-je dire... C’est très drôle... est-il mystifié !... Grand Dieu ! l’est-il, l’est-il... !

PLUMP.

Ah ça, que veniez-vous faire ici ? |

MISKAU.

Ah ! oui... je venais prendre vos ordres pour le dîner.

PLUMP.

Ah ! le dîner ! vous avez raison, chose essentielle... je ne suis pas difficile, mais j’aime le bon ; voyons : Potage, bœuf au naturel.

MISKAU.

Bœuf... c’est là, j’en suis sûr, votre fort.

PLUMP.

J’en mange toujours... par reconnaissance.

MISKAU.

C’est une attention bien délicate pour ces pauvres bêtes...

PLUMP.

Ensuite fricassée de poulets... Saurez-vous me faire... ?

MISKAU.

Tiens ! pardieu ! une fricassée de poulets... c’est bien simple...

PLUMP.

C’est bien simple, c’est bien simple... pas tant... je m’y connais... j’ai quelquefois mis la main à la sauce.

MISKAU, à part.

Il sait tout ce roi-là... c’est unique.

PLUMP.

Tenez, je me méfie... Com ment entendez-vous la fricassée de poulets ? voyons...

MISKAU, à part.

Là... vous mettez... qu’est-ce qu’il peut y avoir dans une fricassée de poulets... ?

LÉOPOLDINE, passant vivement entre Miskau et Plump.

Soyez tranquille, monsieur, nous veillerons nous-mêmes à votre dîner.

PLUMP.

Ah ! si vous en répondez...

MISKAU, à part.

Que diable y a-t-il dans une fricassée de poulets ? je le demanderai au chancelier.

PLUMP.

Au reste, si j’y regarde pour les niaiseries, je n’épargne rien pour les choses essentielles ; ainsi, ne craignez pas la dépense : voilà ma devise à moi.

Air des Cancans.

Dépensez,
Vos fonds seront bien placés ;
Dépensez,
C’est l’ bonheur que vous versez.
Rich’s à tort on vous fait peur
Du peuple et de sa fureur ;
Pour calmer votre frayeur
Et le mettre en bonne humeur.

Ensemble.

Dépensez, etc.

PLUMP.

Hommes d’état entêtés
Comm’ des avar’s effrontés,
Miette à miett’ vous disputez
L’ trésor de nos libertés.

Ensemble.

Dépensez, etc.

Miskau et Léopoldine sortent.

 

 

Scène X

 

PLUMP, seul

 

Singulières gens ! la femme digne, spirituelle et peu farouche ; le mari sot, important et complaisant... pour une auberge de grande route, ça ressemble bien à la ville... À la dernière poste, après avoir causé quelque temps avec un voyageur qui, ma foi, raisonnait fort gentiment, bœuf et mouton, quoiqu’il ne soit pas de l’état, je demande la route d’Ebersberg... Vous allez à Ebersberg ? que me dit mon homme, prenez ma voiture, je la quitte, elle tourne à vide... L’offre était faite rondement, j’accepte de même, je pars et le postillon s’arrête ici, pour réparer, arranger, que sais-je !... Ça m’est encore égal, c’est par ici que doivent prendre mes bouviers ; je vas me trouver en famille... Dix mille bêtes... c’est les troupes rassemblées sur le Rhin que j’approvisionne... bonne opération... payé comptant.

Il tire son portefeuille.

Mais ce n’est rien encore si je puis obtenir mon chemin de fer ! mon voyageur en avait bonne idée et la lettre de recommandation ne me sera peut-être pas inutile... Voilà une entreprise ! qui étend les relations, augmente le commerce, occupe les ouvriers... voilà ce que j’aime, moi... ! 

Air : Dans un castel.

Oui, je le sais, plus d’une main s’empresse
À présenter son offrande au malheur ;
Tous ces secours, ils sont à la vieillesse,
Au pauvre diable atteint par la douleur.
Mais l’ouvrier, en qui la force brille,
D’un tel bienfait serait humilié ;
Dans son orgueil, il veut, pour sa famille,
L’ pain du travail, non celui d’ la pitié.

 

 

Scène XI

 

LE DUC, PLUMP

 

LE DUC, à part, entrant doucement par le fond.

Tout en soignant les intérêts du prince, il ne faut pas négliger les miens.

PLUMP, assis et à part.

Ah ! ça, revoyons mes valeurs pour faire tout de suite mon bordereau.

LE DUC, à part.

Oh, oh ! quel portefeuille !... lui faire signer mon contrat maintenant serait un coup de maître ! d’autant plus que la signature amène toujours un présent...

PLUMP.

Voilà ce que je puis offrir : un million... c’est honnête.

LE DUC, haut.

C’est plus qu’honnête... c’est très poli.

PLUMP, se retournant.

Hein ! qu’est-ce que vous faites là ? je n’ai pas besoin de vous... sortez...

LE DUC.

Monsieur... monsieur Plump...

PLUMP.

Je sais mon nom... Après ?

LE DUC.

Je venais solliciter une grâce.

PLUMP.

Laquelle ?

LE DUC.

Je me marie.

PLUMP.

Bah !

LE DUC.

Aujourd’hui...

PLUMP.

Plutôt que demain, ça se conçoit, vous n’avez pas de temps à perdre.

LE DUC.

Avec une jeune personne charmante.

PLUMP.

Une jeune personne charmante ?

LE DUC.

Oserais-je vous prier de signer au contrat... un voyageur aussi distingué... Je suis certain que cela me porterait bonheur.

PLUMP.

Signer !... Tenez, moi, je suis un drôle de corps, je ne signe que ce que j’approuve et comme je n’approuve pas qu’on se marie à votre âge... Avez-vous le consentement de la charmante jeune personne ?

LE DUC.

Je n’ai pas fait cette question.

PLUMP.

Vous n’avez cependant pas de ces figures avec lesquelles cela va sans dire.

LE DUC.

Air : Permettez, je vous en supplie.

Monsieur me traite ici d’une manière...
Vraiment, j’en serais affligé,
Si, de ce jugement sévère,

 

Je n’accusais mon négligé,
Je n’accusais cet affreux négligé.
Oui, je parais avec désavantage,
Sous cet habit de fatigue...

PLUMP.

Eh ! l’ami,
Un habit de noce, à votre âge,
Pourrait bien s’appeler ainsi.

Au reste, écoutez-moi : si je veux qu’une charrue marche bien, je choisis deux beaux bœufs, aussi vigoureux l’un que l’autre, des hercules de bœufs... ils donnent leur coup de collier d’accord et d’aplomb, j’ai de la bonne besogne... mais si l’un est vieux, l’autre jeune, votre serviteur ; l’un veut aller vite, l’autre lentement : l’un tire à diah ! l’autre à hurau !

LE DUC, à part.

Où veut-il en venir ?

PLUMP.

Eh bien, voyez-vous, le mariage, c’est tout de même Je me connais en bêtes à cornes, mettez-vous bien cela dans la tête, et, croyez-moi, ne vous mariez jamais...

LE DUC.

Certainement... la raison des bêtes à cornes... puisqu’il ne vous plaît pas.

À part.

Le chambellan lui aura parlé pour son neveu ; c’est sûr...

Haut.

Je ne veux pas insister...

À part.

Je ferai agir la princesse.

PLUMP.

Allez, mon brave homme, et pour l’amour de Dieu, qu’on me laisse en paix.

Il remonte la scène avec le duc qui sort par le fond. Pendant ce temps, Sophie entre par une porte latérale à gauche.

 

 

Scène XII

 

SOPHIE, PLUMP

 

SOPHIE, à part.

Il est seul... du courage ! je n’ai plus d’espoir qu’en lui !...

Se jetant aux genoux de Plump.

Ah ! protégez-moi, secourez-moi.

PLUMP.

Vous, jeune fille ! et contre qui ?

SOPHIE.

On veut me marier...

PLUMP.

Je ne vois pas un grand malheur là-dedans.

SOPHIE.

Oh si !

PLUMP.

Serait-ce, par hasard, avec le sommelier ?

SOPHIE.

Avec le... justement... Dites, je vous en prie, monsieur, que vous n’approuvez pas ce mariage.

PLUMP.

Ma foi, c’est déjà fait... à lui même.

SOPHIE.

Eh bien ! mettez le comble à vos bontés, en signifiant... à l’hôte, à l’hôtes se... que mon mariage avec Albert vous convient mieux.

PLUMP.

Me convient mieux ?... Eh ! mon Dieu, pour peu que ça vous soit agréable, mon enfant ; mais qu’est-ce que c’est que cet Albert qui me convient mieux ?

SOPHIE.

Vous le connaissez, un jeune homme charmant qui est au service de... votre hôte et qui serait si heureux de passer au vôtre.

PLUMP.

La faveur ne serait pas grande ; mais ça se pourrait peut-être... Qu’est-ce qu’il sait faire ?

SOPHIE.

Air de l’Apothicaire.

Il a des talents, de l’esprit,
Et sa tournure est élégante ;
Quand il danse, l’on applaudit,
Et l’on est séduit lorsqu’il chante.

PLUMP

De l’employer j’ s’rais satisfait,
Mais je ne puis en conscience :
Mes bœufs n’ dans’nt pas le menuet,
Mes moutons n’ chant’nt pas la romance.

SOPHIE.

Mais c’est qu’il n’aime que moi, ne pense qu’à sa Sophie.

PLUMP.

Sophie ! vous vous appelez Sophie... ? Sophie de Birboff ?

SOPHIE.

Oui, monsieur.

PLUMP.

Attendez donc... j’ai là quelque chose pour vous... Oui, un voyageur m’a remis ce paquet...

SOPHIE.

Pour moi...

Elle le décachète.

Que vois-je ?

À part.

Un brevet pour Albert ! capitaine dans les gardes.

Haut.

Ah ! monsieur... ah ! ma reconnaissance... avec quelle délicatesse, quelle bonté... Ah ! je vais trouver ma tante... pardon... ah ! j’en deviendrai folle...

Elle sort en courant.

PLUMP.

Ma foi, je crois que le plus fort en est fait... Pauvre enfant ! je n’y conçois rien.

 

 

Scène XIII

 

PLUMP, LE CHAMBELLAN

 

LE CHAMBELLAN, entre mystérieusement par la porte à droite, un doigt sur la bouche.

Chut...

PLUMP.

Encore.

LE CHAMBELLAN.

Chut... c’est moi !

PLUMP.

Ah ! c’est trop fort.

LE CHAMBELLAN.

Oh ! plus bas, s’il vous plaît.

PLUMP.

Je veux parler haut, moi !

LE CHAMBELLAN.

Chut !... si l’on savait que je viens vous révéler...

PLUMP.

Quoi ?

LE CHAMBELLAN.

Tout serait perdu.

PLUMP.

Comment ?

LE CHAMBELLAN.

Rendez-moi le billet que je vous ai fait passer à l’auberge, et qui vous instruit du complot.

PLUMP.

Un complot ?

LE CHAMBELLAN.

Infernal.

PLUMP.

Je n’ai rien reçu.

LE CHAMBELLAN.

Je ne m’étonne plus de votre sécurité.

PLUMP.

Vous m’effrayez.

LE CHAMBELLAN.

Où vous croyez-vous ?

PLUMP.

Parbleu ! à l’auberge.

LE CHAMBELLAN.

Vous n’y êtes pas.

PLUMP.

Je n’y suis pas... Dans un hôpital de fous, alors.

LE CHAMBELLAN.

Pas du tout. Qui croyez-vous qui vous ait reçu ?

PLUMP.

Le chef de cuisine.

LE CHAMBELLAN.

Il n’a jamais fait de cuisine de sa vie.

PLUMP.

Je m’en doutais bien... avec sa fricassée de poulets ! mais vous allez m’expliquer...

LE CHAMBELLAN.

Je n’ai pas le temps... Qu’il vous suffise de savoir que l’on vous connaît... On sait que vous êtes riche.

PLUMP, vivement.

Riche, non... mais j’ai quelques petites choses.

LE CHAMBELLAN.

On veut vous en dépouiller.

PLUMP.

Ah ! diable ! voilà qui est plus positif.

LE CHAMBELLAN.

Cet affreux conseil a été donné par le duc, à son maître.

PLUMP.

Le brigand !... il s’appelle le duc.

LE CHAMBELLAN.

On nous a tous fait déguiser pour exécuter ce plan abominable.

PLUMP.

Abominable, vous avez raison.

LE CHAMBELLAN.

Vous voilà parfaite ment instruit.

PLUMP.

Pas trop. Et...

LE CHAMBELLAN.

Séparons-nous.

PLUMP.

Je voudrais pourtant savoir...

LE CHAMBELLAN.

Pas un mot de plus, je vous en prie. Ah ! permettez, auguste homme, que je baise votre sacrée main... Je l’ai baisée deux fois sa sacrée main.

PLUMP, à part.

Il a un drôle de plaisir, celui-là...

LE CHAMBELLAN.

On vient... je me recommande à votre souvenir.

PLUMP.

Soyez tranquille, si je leur échappe, il y aura quelque chose pour vous.

À part.

Voilà un brave homme de marmiton.

LE CHAMBELLAN, à part, en sortant.

Il a parlé, je crois, du grand Cordon !

Il sort par la porte du fond.

 

 

Scène XIV

 

PLUMP, seul

 

Comment, il serait possible ! encore des brigands, dans ce siècle de civilisation et de gendarmerie. Ah ! les voici... Qui dirait en voyant s’avancer cet innocent bonnet de coton, qu’il couvre l’être le plus féroce, Je me rencogne au fond de l’appartement, et je fais une fameuse barricade.

Il se retire dans le cabinet à droite.

 

 

Scène XV

 

LE CHAMBELLAN, MISKAU, LÉOPOLDINE, LE DUC, COURTISANS

 

LÉOPOLDINE, aux courtisans.

J’en suis enchantée ! Oui messieurs, je vous le répète, il est charmant, d’un ton exquis et d’une amabilité supérieure.

MISKAU.

Vous appelez ça de l’amabilité ? J’appelle cela de la brutalité.

LE DUC.

Il est certain qu’il m’a comparé à un vieux bœuf... C’est peu royal !

MISKAU.

Au fait, je ne suis pas sûr du type ; mais parbleu, je vais en avoir le cœur net à l’instant, et si nous sommes tombés dans une erreur atroce... parbleu, je la réparerai sur ses épaules... Ma cravache... non, ce serait dégrader mes chevaux.

 

 

Scène XVI

 

LE CHAMBELLAN, MISKAU, SOPHIE, LÉOPOLDINE, LE DUC, COURTISANS

 

SOPHIE, qui a entendu la dernière phrase du prince, entre vivement.

Gardez-vous-en, altesse ! C’est bien le roi... je lui ai parlé.

MISKAU.

Et il vous a dit lui-même qu’il était...

SOPHIE.

Il m’a remis ce brevet pour Albert.

TOUS.

Il se pourrait !

MISKAU.

Voyons ! Un brevet de capitaine dans les gardes.

LE CHAMBELLAN, à part.

Voilà la récompense de mon dévouement. Il n’oublie pas les services... Prince rare !

MISKAU.

C’est bien la signature.

TOUS, examinant le brevet.

Oui... oui... oui !...

LE CHAMBELLAN, à part.

Je triomphe !

LÉOPOLDINE.

Eh bien ! qu’est-ce que je disais ? Je ne pouvais pas me tromper.

MISKAU.

Alors il sait parfaitement se déguiser. Puisque le roi s’est fait connaître en signant ce brevet, il faut le traiter en roi. Que chacun reprenne le costume pour lequel il a été fait, ou qui a été fait pour lui. Moi, celui de prince ; et surtout, messieurs, des croix et des cordons en masse. Aujourd’hui l’on ne se retire que sur la quantité.

Air du pré aux clercs.

Vos apprêts.
Sont-ils faits.
Sans délais
Soyez prêts.
Revêtez
Et mettez
Vos crachats De galas,
Bien parés,
Chamarrés,
Bigarrés,
Diaprés,
Ma cour aura l’éclat des prés !

Là, dans la boutonnière
Bade, Saxe, Bavière,
Et de la Jarretière,
Ornez votre genou.
L’ordre de Saint-Étienne,
La plaque autrichienne,
La chaine prussienne,
Et l’éléphant au cou.

Le Croissant,
L’Aigle Blanc,
L’Aigle Noir,
En sautoir,
Le cordon
Grec d’Othon.
L’Éperon,
La Toison,
Le joyau sans pareil.
Éclatant et vermeil,
Du schah de Perse le soleil !
Ainsi, sans protocoles,

Inutiles paroles,
À des discordes folles,
Chez nous on mettra fin ;
Car sur notre poitrine,
Miguel et sa cousine,
Don Carlos et Christine,
Vont se donner la main.

TOUS.

Sans délais, etc. etc.

 

 

Scène XVII

 

PLUMP, seul

 

Il sort arec précaution de sa chambre. Personnel bon ! me voilà sauvé ! qu’ils m’attaquent à présent, je suis en mesure de les recevoir... Encore quelques minutes... Fermons les portes pour éviter toute sur prise ; c’est-il heureux que mes bouviers soient arrivés à temps... J’ai reconnu de loin la poussière de mes bœufs.

Il regarde à la fenêtre.

Oui, les voilà !.. ô les belles bêtes !... Eh ! Carl, Fritz, Wolf, passez tous par dessus le mur, vivement, et l’escalier à droite... Oui, là... bon ! ils montent. Ah ! mes gaillards, vous croyez, sans doute, m’égorger comme un pauvre mouton, vous ne vous attendez pas à ce que vous allez trouver... je les entends.

UNE VOIX, en dehors.

Hermann ! posez deux sentinelles.

PLUMP.

Diable ! ils prennent des dispositions militaires.

LA VOIX, en dehors.

Faites charger les armes au peloton, et au signal, feu !

PLUMP.

Feu !... mais ce sera une véritable boucherie.

On frappe.

Ils frappent... et mes gens qui n’arrivent pas... Je crois que j’ai peur... Qui va là ?

MISKAU, en dehors, d’une voix douce.

C’est moi !

PLUMP.

Voyez-vous, le patelin !... il fait sa petite voix... féroce brigand !

MISKAU, en dehors.

Nous venons vous présenter nos très humbles hommages.

PLUMP.

Oui, je sais bien, tes hommages à mon portefeuille... Mais, voyons donc, s’ils sont bien nombreux.

Il regarde par le trou de la serrure.

Ah bien ! c’est bon ! ils ne se cachent plus, des habits militaires avec des sabres, des épées ; ça fait frémir ! Heureusement j’entends mon monde... Ô Providence ! comme tu fais bien les choses quand tu t’en mêles.

Il va ouvrir aux bouviers.

 

 

Scène XVIII

 

PLUMP, LES BOUVIERS

 

LES BOUVIERS.

Air de Robert-le-Diable,

Nous voilà,
Quand l’ maîtr’ l’ordonnera,
Notre bras frappera.
Nous voilà.

PLUMP.

Bien, mes enfants ! autour de moi ! je vas les recevoir comme un monarque au milieu de sa cour.

On frappe.

MISKAU, en dehors.

Ouvrez donc, je vous en prie.

PLUMP.

Ah ! tu m’en pries ! ouvrez maintenant et tombez dessus ferme.

On ouvre la porte.

 

 

Scène XIX

 

LE CHAMBELLAN, LE DUC, MISKAU, COURTISANS, à droite, PLUMP, LES BOUVIERS, à gauche, puis LÉOPOLDINE, SOPHIE, DAMES

 

Toute la cour est en grande tenue.

MISKAU et LES COURTISANS saluant avec respect.

Ensemble.

Air du final du 2e acte de Victorine.

Avec respect, nous rendons tous hommage
Au noble prince objet de notre amour ;
Nous bénissons l’heureux voyage,
Qui l’a conduit en ce séjour.

PLUMP et LES BOUVIERS, menaçant les courtisans.

Tombons, amis, tombons avec courage,
Sur ces brigands, la terreur d’alentour ;
Et qu’en ces lieux notre voyage
Ait amené leur dernier jour.

Le prince et les courtisans se relèvent. Les bouviers, le bâton levé, vont se précipiter sur eux. Plump et Miskau se regardent.

PLUMP.

Que vois-je ? ô ciel.

MISKAU.

Leur costume m’étonne.

PLUMP.

Croix et rubans de toutes les couleurs.

MISKAU.

Vous n’êtes donc pas l’auguste personne ?

PLUMP.

Vous n’êtes pas capitain’ de voleurs !

MISKAU.

Capitaine de voleurs !

LE DUC.

Le prince Miskau ! profanation !

PLUMP.

Le prince... ah ! monseigneur !...

Aux bouviers.

Chapeaux bas, canaille... à genoux !

Ensemble.

PLUMP et LES BOUVIERS s’inclinent à leur tour.

Avec respect, nous rendons tous hommage
Au noble prince objet de notre amour ;
Nous bénissons l’heureux voyage
Qui l’a conduit en ce séjour.

LES COURTISANS, menaçant les bouviers.

Tombons, amis, tombons avec courage.
Sur ces marauds qui, jusqu’en ce séjour,
Ont osé prodiguer l’outrage
Au noble prince, objet de notre amour.

PLUMP.

Mais je ne vous ai pas trompé, j’ai toujours dit : je suis Plump ! Plump...

LE DUC.

Plump... Plump... mais aussi ce postillon, cette voiture.

PLUMP.

Cette voiture ? elle n’est pas à moi, c’est vrai... c’est celle d’un voyageur qui, sachant que j’allais à la résidence parler à son altesse, me l’a prêtée... il m’a même donné une lettre...

MISKAU.

Comment !

Il l’ouvre.

C’est le cousin !

LÉOPOLDINE, à part.

Le tour est infâme !

MISKAU, lisant.

« Mon cher cousin, je sais vos projets... » Toujours des traîtres !

LE CHAMBELLAN.

C’est affreux !

PLUMP.

N’est-ce pas, M. le chambellan ?

MISKAU, continuant.

« Je sais vos projets, ils manqueraient leur but avec moi ; dirigez-les plutôt sur M. Plump, etc. » Comment, M. Plump ?

PLUMP, le tirant à part.

Dam ! monseigneur, si un million peut vous être agréable pour dégager vos domaines.

MISKAU.

Comment donc, très agréable.

PLUMP.

C’est pour y faire passer un chemin de fer qui doublera vos revenus...

MISKAU.

Qui doublera ? Je prends toujours le million... nous verrons ensuite, estimable industriel.

PLUMP.

Il me reste à vous demander pardon, messieurs ; je ne suis pas fait pour avoir de pareils domestiques...

À part.

j’en ai de plus adroits... mais pas si nobles.

À Sophie.

Vous, ma belle demoiselle, ça compense mes maladresses ; j’ai fait votre bonheur.

SOPHIE.

J’épouse Albert.

LÉOPOLDINE.

Comment, mademoiselle, vous avez l’âme assez basse...

PLUMP, à Léopoldine.

Quant à vous, madame, je suis bien coupable, pourtant je ne me repens pas, et... je serais capable de recommencer.

LÉOPOLDINE.

Monsieur !...

À part.

Il a vraiment l’air distingué.

PLUMP.

Convenez que ce n’est pas tout à fait ma faute... Cette mascarade... ces marmitons... qui diable aurait reconnu ?...

MISKAU, bas à Plump.

Silence là-dessus... Cela tient à ma politique et à des secrets d’état.

PLUMP.

Ah !

MISKAU, à part.

C’est seul le moyen sauver l’honneur du type...

PLUMP.

Au fait, qu’importe, grands seigneurs ou marmitons...

Vaudeville.

Air : Vaudeville du Bal d’Ouvriers.

Tout n’est que cuisine,
Dans le temps où nous vivons ;
De Paris en Chine,
Que de marmitons !

TOUS.

Tout n’est, etc.

NISKAU.

Pour des lois parfaites,
Voilà ce qu’il faut :
Quatre cents boulettes,
Et puis servez chaud.

TOUS.

Tout n’est, etc.

LE DUC.

Bourse, noir dédale,
Farci de marrons,
Chez toi l’on avale
De fameux bouillons.

TOUS.

Tout n’est, etc.

LÉOPOLDINE.

Tout jusques aux femmes,
Ici fait échos ;
Que portent nos dames,
Voyez : des Gigots.

TOUS.

Tout n’est, etc.

LE CHAMBELLAN.

Au Louvre j’avance...
Dans tous ses salons,
Que vois-je ? un immense
Potage aux croûtons.

TOUS.

Tout n’est, etc.

PLUMP.

Ô lourde brioche,
Budget si gondé,
Un’ fois dans leur poche,
Tu n’es qu’un soufflé.

TOUS.

Tout n’est, etc.

SOPHIE.

D’après ce système,
L’amour, je le dis,
Me semble un suprême...

PLUMP.

L’hymen un salmis.

TOUS.

Tout n’est que cuisine, etc.

PLUMP, au public.

Vaudeville du Déjeuner de Garçons.

C’est l’usage, on est exigeant ;
Chez Véfour ou bien à Cancale ;
Mais l’appétit est indulgent,
Lorsqu’à la guinguette on s’installe.
Pour les théâtres à grands tons,
Gardez votre juste critique ;
Chez nous c’est sans prétentions,
Car nous sommes les marmitons
De la cuisine dramatique.

TOUS.

Tout n’est que cuisine,
Dans le temps où nous vivons,
De Paris en Chine,
Que de marmitons !

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