Madame Camus et sa demoiselle (Édouard BRISEBARRE - DUMANOIR)

Folie mêlée de couplets.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Palais-Royal, le 15 février 1841.

 

LA MÈRE CAMUS, portière

ADÈLE CAMUS, sa fille

BADINGUET, futur d’Adèle

LA COMTESSE

GASTON, son fils

LOUISE, élève du Conservatoire

DOMESTIQUES

CUISINIÈRES

 

La scène se passe à Paris, dans la loge de la mère Camus.

 

Le théâtre représente l’intérieur de la loge de la mère Camus. Portes au fond et à gauche. À droite, au second plan, une cheminée, et devant cette cheminée un poêle qui y communique. À travers le vitrage du fond, à droite, on aperçoit la rampe et les premières marches d’un escalier. À gauche, au premier plan, une petite table et un grand fauteuil. À droite, au premier plan, autre petite table. À gauche, au fond, un buffet. Chaises de paille. Le cordon, près du grand fauteuil.

 

 

Scène première

 

DOMESTIQUES et CUISINIÈRES, puis BADINGUET

 

Au lever du rideau, les domestiques lisent les journaux de leurs maîtres ; une cuisinière cherche à lire dans une lettre qu’elle entr’ouvre.

CHŒUR.

Air des Huguenots.

Dès le matin, avant nos maîtres,
Lisons les journaux et les lettres :
C’est notre tour, après l’ portier,
Qui doit passer l’ premier.

UN DOMESTIQUE, posant son journal et frappant sur le bras de la cuisinière qui lit la lettre.

Qu’est-ce que nous faisons donc là ?

LA CUISINIÈRE.

Chut !... c’est un billet doux, pour Madame.

BADINGUET, entrant.

Mère Camus ! mère Camus !...

TOUS.

Eh ! c’est M. Badinguet...

BADINGUET.

Ah ! bonjour, messieurs ; mes hommages, belles dames... Je vais...

Il va pour entrer dans la chambre de la mère Camus, à gauche.

LE DOMESTIQUE, l’arrêtant.

Mme Camus est sortie... elle est à la boucherie.

BADINGUET.

Et Adèle ?

LA CUISINIÈRE.

Elle n’est pas encore levée...

LE DOMESTIQUE.

Et c’est nous qui garde la loge.

LA CUISINIÈRE.

Mais, puisque vous voilà, M. Badinguet, vous, son prétendu...

Ils vont pour sortir.

 

 

Scène II

 

LES MÊMES, GASTON

 

GASTON, paraissant à la porte du fond.

Mlle Louise Lambert, s’il vous plaît ?

BADINGUET, sans se retourner.

Au quatrième, porte à gauche.

GASTON.

Eh ! je le sais... je demande...

BADINGUET.

Ah ! si elle y est ?...

LA CUISINIÈRE.

Elle est sortie, Monsieur... mais elle ne va pas tarder à rentrer... si vous voulez l’attendre...

On entend le bruit de plusieurs sonnettes de timbres différents.

CHŒUR DES DOMESTIQUES.

Air du siège de Corinthe.

On sonne... vite, à notre affaire !
Nous avons lu tous les journaux :
Nous n’avons rien de mieux à faire ;
Retournons tous à nos travaux.

Ils sortent en courant et montent l’escalier.

BADINGUET, à part.

Tiens ! c’est le jeune homme qui vient tous les jours pour la jeune personne du quatrième... Adèle me l’a dit.

Il le salue.

GASTON, à part.

Ah ! c’est cet original, qui est sans cesse fourré dans la loge de la portière.

BADINGUET, à Gaston.

Si Monsieur veut prendre un siège... ce fauteuil...

Il lui présente une chaise de paille.

GASTON, souriant.

Ne faites pas attention.

BADINGUET.

Si Monsieur désire une feuille publique... voici les journaux des locataires... choisissez, ne vous gênez pas.

GASTON.

Vous êtes trop bon...

À part.

Elle est peut être déjà partie pour le Conservatoire... si je le savais...

BADINGUET, à part.

Il s’impatiente.

Haut.

Ah ! Monsieur, dites donc, Monsieur, que nous sommes bêtes !... voilà la clé de Mlle Louise... vous pourriez toujours monter, sans façons.

GASTON.

Monsieur !...

BADINGUET.

Bah ! au point où vous en êtes...

GASTON.

Une pareille supposition !...

BADINGUET.

Bédame !... vous venez tous les jours chez elle... au quatrième... Mlle Louise est assez... de votre côté, vous êtes fort... je croyais pouvoir dire hardiment... voilà.

GASTON, sèchement.

Vous vous êtes trompé.

BADINGUET, étonné.

Bah !...

Air : Depuis longtemps j’aimais Adèle.

Mais vous, Monsieur, à ce logis fidèle,
Qu’y cherchez-vous ?...

BADINGUET.

Je le dis sans détour,
Depuis longtemps j’aimais Adèle,
Et j’ viens ici pour lui faire ma cour.
Vous adorez le quatrième,
Je chéris la loge... Entre nous,
Vous conviendrez que, si nous aimons d’ même,
Je n’élèv’ pas mes vœux si haut que vous.

GASTON.

Mlle Louise Lambert a droit à votre respect.

BADINGUET.

Vrai ?

GASTON.

Car Mlle Louise Lambert sera ma femme.

BADINGUET.

Pas possible ?

GASTON.

Elle est orpheline et pauvre, c’est vrai... elle n’a pour tout appui que la vieille gouvernante qui l’a élevée et qui loge avec elle... mais elle saura, par ses études, par son talent, se créer une position indépendante... C’est alors, Monsieur, que je la présenterai à ma famille, qui est noble, qui est riche, et qui ne repoussera pas la jeune artiste dont je veux faire ma femme... Toutes ces espérances se réaliseront bientôt, j’y compte... car c’est aujourd’hui, c’est dans une heure que Louise obtiendra son premier triomphe, remportera au Conservatoire le premier prix de chant.

BADINGUET, ironiquement et avec aplomb.

Le premier prix de chant ?... au Conservatoire ?... faubourg Poissonnière, nº 11 ?... Mande pardon, Monsieur, mande pardon... mais je me flatte que vous vous abusez.

GASTON.

Et qui donc lui disputera la victoire ?

BADINGUET.

Mademoiselle Adèle Camus.

GASTON, riant.

La fille de la portière ?...

BADINGUET, fièrement.

La demoiselle de la concierge !...

À part.

Comme je lui rive son clou !

GASTON.

Et qui vous fait croire...

BADINGUET.

J’ai plusieurs raisons, Monsieur... La première, c’est que, moi, Léon Badinguet, je suis son fiancé... la seconde, c’est que notre mariage, ne s’exécutera que si elle a le premier prix de chant... la troisième, c’est que je l’ai entendue chanter, Monsieur...

GASTON, souriant.

Et Monsieur s’y connaît ?

BADINGUET, avec une fausse modestie.

Quelques années de basson me donnent le droit de risquer mon opinion.

GASTON.

Ah ! Monsieur joue du...

BADINGUET.

Un peu... et je chante aussi... en m’accompagnant moi-même sur le basson.

GASTON.

Diable ! cela me paraît difficile.

BADINGUET.

Si ce n’était pas difficile, il n’y aurait pas de mérite... il faut une grande habitude... Mais Adèle, quelle voix, Monsieur !... son registre part du la tout en bas... la !... et monte jusqu’au tout en haut...  !... la, ré... C’est un mezzo tenore contr’alto... un genre de voix qu’on ne connaissait pas encore.

GASTON, riant.

Elle a du moins le mérite de la nouveauté... et vous me faites trembler pour Louise... Cependant, j’espère encore...

 

 

Scène III

 

LES MÊMES, LOUISE, entrant par le fond

 

LOUISE.

M. Gaston ! ici !... Vous m’attendiez ?

GASTON.

Et je craignais que vous ne fussiez déjà partie pour le concours.

LOUISE.

Ah ! je voudrais que cette journée fût passée... l’idée de cette lutte qui se prépare me trouble, m’effraie...

GASTON.

Ayez confiance... malgré les espérances contraires de Monsieur, vous obtiendrez tous les suffrages.

BADINGUET.

Je le souhaite, sans le désirer.

À part.

Seigneur ! entends ma prière... qu’Adèle triomphe, et j’ai l’intention de donner quelque chose à un pauvre !

LOUISE, à Gaston.

Ah ! si vous saviez... je n’en ai pas dormi de la nuit

GASTON.

Pauvre Louise !

BADINGUET, à part.

Et Adèle qui ronfle toujours !... grande insouciante !...

Réfléchissant.

Eh ! Napoléon, la veille d’Austerlitz...

GASTON, regardant sa montre.

Bientôt neuf heures !...

LOUISE.

Ah ! mon Dieu !... il faut que je répète encore une fois mon air !

GASTON.

Je vous suis... je vous conduirai au Conservatoire ; puis, après le concours, je courrai apprendre votre triomphe à ma mère, et implorer son consentement.

LOUISE.

Oh ! si tout cela pouvait réussir !... Venez, venez...

Ils sortent tous deux et montent l’escalier en continuant à se parler.

 

 

Scène IV

 

BADINGUET, puis LA MÈRE CAMUS

 

BADINGUET.

Ils me laissent seul... seul près d’Adèle endormie !... si je pouvais, par quelque espièglerie...

Il se dirige à pas de loup vers la porte de la chambre d’Adèle... il s’arrête, à la voix de la mère Camus.

LA MÈRE CAMUS, chantant en dehors.

Rendez-nous son petit chapeau,
Sa noble devise
Et sa r’dingote grise...

BADINGUET, à part.

Oh ! la mère Camus !... collé !

LA MÈRE CAMUS, entrant.

Elle est en négligé du matin bonnet de nuit, qui laisse échapper quelques mèches de cheveux blancs, châle tartan, robe brune, tablier de cotonnade, bas bleus et chaussons de lisière etc. Elle porte un cabas rem pli de légumes, un pain long et un morceau de viande. Elle entre en fredonnant.

Rendez-nous son petit chapeau
Et sa chaumine au bord de l’eau...

Apercevant Badinguet.

Tiens ! vous v’là, vous !

BADINGUET.

Eh ! bonjour, mère Camus...

Voulant l’embrasser.

Vous permettez ?...

LA MÈRE CAMUS, avec pruderie.

Je ne sais si je dois...

BADINGUET.

Une belle-mère.

Il l’embrasse.

LA MÈRE CAMUS.

Bah !... encore une fois...

Tendant la joue gauche.

Sur l’autre.

BADINGUET, après avoir réitéré.

Nous venons donc de la boucherie ?

LA MÈRE CAMUS.

C’est aujourd’hui mon jour de pot... vous prendrez bien un petit bouillon avec nous ?

BADINGUET.

J’accepte votre invitation à dîner.

LA MÈRE CAMUS, à part.

Oh !... Je me suis trop avancée.

Haut et gaiement, en déposant sur la table à droite le pain, les légumes, etc.

Nous aurons des pruneaux... ça ne vous incommode pas ?

BADINGUET.

Diable !... vous vous repassez des douceurs.

LA MÈRE CAMUS, allant à lui.

Ah ! si je me soigne, ce n’est pas pour moi... c’est pour ma fille, c’est pour lui conserver sa mère... sa mère, qui l’a nourrie de son lait.

BADINGUET.

Comment ! c’est vous qui l’avez...

LA MÈRE CAMUS, avec sentiment.

Chère enfant ! je ne l’aurais pas livrée aux soins d’une mercenaire...

D’un ton dégagé.

Je l’ai sevrée à cinq mois et demi, parce que ça m’embêtait.

BADINGUET.

Et dire que c’est pour moi... pour moi, Léon Badinguet, que vous avez élevé cette belle fille là !

LA MÈRE CAMUS, avec malice.

Heureux galopin !...

Le regardant.

Quel air distingué !... Il y a des moments où-ce que je vous prendrais pour le fils d’un marquis... ou d’un commissaire-priseur...

Elle le regarde avec attendrissement ; puis, vivement.

Vous ai-je rendu votre parapluie ?

BADINGUET.

Oh non !... gardez-le à jamais, ce précieux riflard, auquel je devrai mon bonheur !

LA MÈRE CAMUS.

C’est que c’est vrai... Tout à l’heure encore, à la boucherie, l’étalier, M. Stanislas, me disait : où donc, maman Camus, avez-vous connu ce petit sécot qui va épouser votre demoiselle ? – Figurez-vous, jeune homme, que nous étions aux Folies Dramatiques, moi et ma fille... (que je lui réponds...) v’là qu’à la sortie, nous trouvons une averse à la porte... pas d’omnibus, et j’avais ma capote rose !... sur ce coup de temps, un cavalier s’approche... comme il avait un parapluie et que je ne le connaissais pas du tout, je lui accorde ma confiance... nous cheminons, bras dessus, bras dessous...

BADINGUET, riant.

Le panier à deux anses.

LA MÈRE CAMUS.

Il nous paie des tas de pommes, des parts de galette... ah ! pour le coup, que je me dis, c’est quelqu’un du Jacquet-Clum... et arrivés à notre porte, je l’invite à revenir... il est revenu, il a revu ma fille, l’a aimée, et v’là comme quoi Adèle va se trouver mame Badinguet.

BADINGUET.

Tout est prêt, mère Camus... : le contrat sera dressé ce soir, et Adèle en sera contente.

LA MÈRE CAMUS.

C’est égal, ça me chiffonne de ne pas vous savoir un bon état dans les mains.

Elle ôte son châle, va s’asseoir à droite, place un gueux sous ses pieds, et épluche ses légumes, pendant ce qui suit.

BADINGUET.

Puisque je vous ai dit que je suis rentier !... j’ai 900 livres de rente.

LA MÈRE CAMUS.

Allons, bah ! ça vaut mieux.

BADINGUET, à part.

Quand tout sera consommé, je lui dirai l’état ridicule que j’ai entrepris.

Haut.

Ainsi, ce soir, chez le notaire... demain, à la mairie.

LA MÈRE CAMUS.

Minute !... si Adèle a le premier prix de chant.

BADINGUET, à part.

Aie !

Haut.

Ah mais, ah mais ! vous ne m’avez jamais dit ça positivement.

LA MÈRE CAMUS.

Je vous le dis positivement... Vous avez 900 livres de rente... faut que mon Adèle vous apporte pour dot son prix et son début à la grande Opéra.

BADINGUET.

Et si elle ne l’a pas, cette année... le prix ?

LA MÈRE CAMUS.

Vous vous marierez l’année prochaine.

BADINGUET, à part, avec force.

Elle l’aura !... cristie ! elle l’aura !... n’importe comment !

 

 

Scène V

 

BADINGUET, LA MÈRE CAMUS, ADÈLE, en robe du matin, petit bonnet de nuit, pantoufles, un foulard jeté sur le cou

 

ADÈLE, entrant, sans voir Badinguet.

Air de la Demoiselle à marier.

L’amour,  
Un jour,
Te pinc’ra, Dédèle ;
L’amour,
Un jour,
Te jouera d’un tour.
Ne sois pas rebelle
À ton amoureux :
Fille jeune et belle
Doit faire un heureux.
L’amour,
etc.

À la mère Camus qui s’est levée.

Bonjour, m’man...

Voyant Badinguet.

Ciel ! un monsieur !...

Elle croise vivement son fichu.

et je suis sans corset !

LA MÈRE CAMUS, souriant.

Est-elle enfant !... un futur, c’est pas un monsieur.

BADINGUET, à part.

Qu’elle est jolie !

ADÈLE.

Je suis sûre que je suis rouge comme une cerise.

LA MÈRE CAMUS.

C’est si jeune !... dix-huit ans, M. Léon.

BADINGUET.

Elle n’a que dix-huit ans ?... elle est forte pour son âge.

LA MÈRE CAMUS.

Et d’une innocence !... si je vous disais que cette grande fille-là ne s’habillerait pas devant un perroquet !...

ADÈLE.

Comment ! m’man, t’as pas encore préparé le déjeuner ?... j’ai l’estomac dans les talons.

LA MÈRE CAMUS.

Je dresse, je dresse.

Elle va au fond et prépare le déjeuner.

BADINGUET, s’approchant d’Adèle, et à voix basse.

Adèle ! nous voilà presque seuls... permettez-moi de déposer sur cette jolie main...

ADÈLE, sévèrement.

Léon ! vous vous oubliez.

BADINGUET.

Un seul baiser !

ADÈLE.

Quand nous serons unis... pas avant.

BADINGUET.

Ah ! si vous saviez, Adèle !... si tu savais !...

ADÈLE.

Il me tutoie !...

Criant.

M’man, il m’a tutoyée !

LA MÈRE CAMUS, retournant la salade.

Ah ! tu m’embêtes, toi... fiches-y des calottes.

BADINGUET, à part.

Commettons un larcin.

Il lui dérobe un baiser.

ADÈLE.

Ah pouah ! vous avez fumé.

LA MÈRE CAMUS, s’asseyant dans le grand fauteuil près de la table, sur laquelle elle a déposé un saladier et un énorme bol de café.

À table !

ADÈLE, se plaçant vis-à-vis d’elle.

Oh ! de la salade confite !. des mâches d’avant-hier !

LA MÈRE CAMUS, vivement.

Veux-tu pas toucher à ça !... les crudités, ça ne te vaut rien pour la voix.

ADÈLE.

Ça m’est égal, j’en veux beaucoup.

LA MÈRE CAMUS.

Jamais.

ADÈLE, lui disputant le saladier.

Donne-m’en un peu.

LA MÈRE CAMUS, tirant de son côté.

Non !

ADÈLE.

Rien qu’une feuillé ?

LA MÈRE CAMUS.

Z’ut ! tu n’en auras pas !

ADÈLE, boudant.

Avec quoi donc que je vas déjeuner ?

LA MÈRE CAMUS.

Prends ta petite tasse de café.

Elle lui présente le bol.

BADINGUET, derrière la chaise d’Adèle.

Permettez-moi de vous offrir cette douzaine de macarons, que je viens de gagner à des jeux de hasard.

ADÈLE.

Ah ! vous avez des procédés !... je vas les mettre dans mon café.

BADINGUET.

Mangez, Adèle, mangez, garnissez-vous... car c’est aujourd’hui qu’il vous en faut, des moyens !

ADÈLE.

Oh oui !... je veux enfoncer toutes mes jeunes compagnes.

BADINGUET.

Comment dites-vous ?

LA MÈRE CAMUS, à Badinguet.

Elle dit qu’elle veut aplatir ses petites camarades.

ADÈLE.

Et si je triomphe... dans un an, début à l’Académie Royale de Musique !

Air de la Grisette mélomane.

Ah ! quel jour solennel !
J’attaquerai sans crainte
Dans L
A JUIVE, Rachel,
Mathild’, dans G
UILLAUM’-TELL ;

Se levant.

Je chant’rai, tout l’hiver,
L
E SIÈGE DE CORINTHE,
L
A MUETTE d’Auber, ROBERT de Meyerbeer !
Ah ! ah ! ah ! ah ! ah !
Adèl’ débutera
À l’Opéra !
Ah ! ah ! ah ! ah ! ah !
Ell’ s’ra
Prima
Donna !

TOUS LES TROIS.

Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! etc.

LA MÈRE CAMUS, qui s’est levée, avec enthousiasme.

Que oui, que tu la seras... Et c’est moi qui te costumera, qui te mettra ton fard... Une mère est une habilleuse donnée par la nature.

BADINGUET.

Et moi, je me charge de faire mousser le succès... Un mari est un chef de claque donné par la mairie.

ADÈLE, avec sentiment.

Comment ne pas triompher, costumée par la meilleure des mères, et moussée par le plus tendre des époux ?

BADINGUET, avec joie.

Qu’ai-je ouï !... Répétez, Adèle, répétez !

ADÈLE, d’un ton naturel.

J’ai pas le temps... et mon morceau ?... c’est ça qu’il faut répéter.

LA MÈRE CAMUS.

L’enfant a raison.

ADÈLE.

Qui est-ce qui m’accompagne ?

BADINGUET.

Je n’ai pas mon basson !... fatalité !

LA MÈRE CAMUS.

C’est moi que ça regarde.

Elle court au fond.

ADÈLE, le prenant à part.

Ah ! votre basson... Quand nous serons unis, Léon, il faudra renoncer à ce vice.

LA MÈRE CAMUS, revenant, portant une guitare dont elle tire un accord.

J’y suis, ma fille... Attaquons le grand air des Pouritani...

BADINGUET.

Je n’ose respirer.

ADÈLE, chantant la Polonaise des PURITAINS, accompagnée par sa mère.

È la vergine adorata !
Son vergine,
etc.

LA MÈRE CAMUS et BADINGUET, à voix basse, pendant qu’elle chante.

Quel plaisir d’entendre
Sa voix douce et tendre !
Écoutons ses accents
Ravissants !
Quel plaisir d’entendre
Sa voix si tendre !
Ah ! c’est charmant !
C’est ravissant !...

Au milieu de l’air, elle est interrompue tout-à-coup, par la voix de Gaston.

GASTON, en dehors.

Cordon, s’il-vous-plaît !

ADÈLE.

Ah ! quelle scie !...

La mère Camus tire le cordon.

Reprise.

ADÈLE.

Son vergine, etc.

LA MÈRE CAMUS et BADINGUET.

Quel plaisir d’entendre, etc.

LA MÈRE CAMUS, après le morceau, avec enthousiasme.

Ah ! bravo, corbleu ! bravi !...

Elle tombe dans son fauteuil.

BADINGUET, tombant sur une chaise.

Je me pâme, je me tords !

LA MÈRE CAMUS.

J’ai des crampes d’estomac !

BADINGUET.

J’ai une névralgie !

BADINGUET et LA MÈRE CAMUS, applaudissant.

Ah ! brava, la diva !...

ADÈLE.

Dieu ! neuf heures moins le quart, à l’ognon de ma mère !... et je suis faite comme quatre sous !... M’man, mes affaires ?

LA MÈRE CAMUS.

Tu trouveras tout ça dans la soupente... ton chapeau sur le chandelier, ta robe sur le tuyau du poêle, et tes socques à côté du pain... j’y ai mis du vernis.

ADÈLE.

Léon, je compte sur votre bras, jusqu’au Conservatoire... Il n’y a que la rue à traverser... Vous m’attendrez à la petite porte de l’allée.

BADINGUET, s’inclinant.

Un chevalier français...

ADÈLE, minaudant.

On va se faire belle pour vous, Monsieur... pour toi, méchant.

BADINGUET, avec joie.

Elle m’a dit : Toi !...

TOUS TROIS, reprenant.

Air précédent.

Ah ! ah ! ah ! ah ! ah !
Adèl’ débutera
À l’Opéra ;
Ah ! ah ! ah ! ah ! ah !
Ell’ s’ra
Prima
Donna.

Adèle sort en courant, à gauche.

 

 

Scène VI

 

LA MÈRE CAMUS, BADINGUET

 

LA MÈRE CAMUS, très empressée.

Et moi donc !... on ne me recevrait pas en négligé... Vite, d’abord, que je me chausse.

Elle se met en posture de se chausser.

Tiens ! comme la statuette.

BADINGUET, s’avançant.

Elle m’a dit toi, mère Camus !

LA MÈRE CAMUS, posant vivement sa jambe.

M. Badinguet !...

À part.

Imprudente ! devant ce jeune homme !...

BADINGUET, à part.

Qu’est-ce qui lui prend ?

LA MÈRE CAMUS.

Dieu ! j’ai oublié de faire mes accroche-cœurs !... et je ne suis pas lacée !

Se levant.

Badinguet !

BADINGUET.

De quoi ?

LA MÈRE CAMUS.

Vous allez me lacer.

BADINGUET, après avoir fait la grimace.

Comment donc ! avec plaisir.

LA MÈRE CAMUS, tirant du buffet un napperon plié.

Prenez ça.

BADINGUET.

Qu’est-ce que c’est que ça ?... un napperon ?

LA MÈRE CAMUS, bas.

Un soupçon de tournure.

BADINGUET.

Ah ! oui, je sais.

Elle va se placer devant la petite glace de la cheminée, dégrafe le corsage de sa robe, qu’elle retient dans ses dents ; puis, pendant ce qui suit, elle ôte son bonnet, ce qui laisse voir un serre tête noir, et elle se met un tour en cheveux.

LA MÈRE CAMUS.

Voyons, lacez-moi... Quand j’ai mon corset neuf, j’ai une taille de sauterelle.

BADINGUET, à part.

Ah ! quelle position, pour un jeune homme de vingt-deux ans, qui joue du basson !

LA MÈRE CAMUS.

Mais serrez donc plus fort.

Badinguet tire de toutes ses forces.

Faut que ça se touche... Mais serre donc, petit misérable !

Badinguet fait un dernier effort, le lacet se casse, il tombe à la renverse. Elle continue sans se retourner.

Mais tu ne serres pas... mais qu’est-ce qu’il fait donc ?... mais serre donc !...

Elle se retourne et voit Badinguet par terre.

Qu’est-ce que vous faites donc là ?... mon lacet ne me serre pas du tout.

BADINGUET, montrant le morceau de lacet.

C’est qu’il y a trop longtemps qu’il vous sert, votre lacet !

LA MÈRE CAMUS.

Il est cassé ?... vite, une rosette !

ADÈLE, en dehors.

Adieu, m’man... je m’en vas par la petite porte de l’allée.

BADINGUET.

Comment ! elle part ?

LA MÈRE CAMUS, criant.

Dédèle, attends-moi donc !

ADÈLE, en dehors.

Venez-vous, Léon ?

BADINGUET.

Voilà, voilà !...

Il sort en courant, à gauche.

LA MÈRE CAMUS.

Eh bien ! il me laisse en plan !... Il me casse mon lacet, et il me fiche là !...

Elle essaie de se lacer.

 

 

Scène VII

 

LA COMTESSE, LA MÈRE CAMUS

 

LA COMTESSE, entrant par le fond et regardant de tous côtés.

Ce doit être ici la loge de la concierge.

LA MÈRE CAMUS, sans se retourner.

Ah ! v’là quelqu’un... C’est-il vous, Eugénie ?... vous allez m’achever, ma fille... Tenez, v’là le bout du lacet... Prenez donc, Eugénie !

LA COMTESSE.

Madame, je voudrais...

LA MÈRE CAMUS, se retournant et voyant la Comtesse.

Ah ! seigneur Dieu !...

Elle pousse un cri et se sauve à gauche.

LA COMTESSE, riant.

Qu’est-ce que cela veut dire ?

LA MÈRE CAMUS, en dehors.

Pardon, excuse, Madame... je vous prenais pour la bonne du premier... Ne vous impatientez pas, je suis à vous dans un rien de temps.

LA COMTESSE.

J’attendrai, Madame.

LA MÈRE CAMUS, de même.

C’est ça, gardez la loge.

LA COMTESSE, souriant.

À merveille ! me voilà forcée de faire l’intérim de la portière...

Avec inquiétude.

Pourvu que personne n’entre Ici !... Si mon fils, si Gaston m’apercevait !... il se douterait bien que je viens dans cette maison pour prendre des informations sur cette jeune élève du Conservatoire, qu’il aime, dit-on, et qu’il songe même à épouser.

LA MÈRE CAMUS, en dehors.

Madame !... si vous voulez lire, il y a un Mathieu Lænsberg... dans la boîte à sel.

LA COMTESSE, haut.

Merci, Madame.

Continuant, à part.

En faisant adroitement bavarder la portière, je saurai quelle est cette jeune fille... j’aurai des renseignements sur sa famille, sa conduite... et si, comme je le crains, rien ne justifie le choix et les projets de mon fils, je saurai bien empêcher... Ah ! voici cette bonne femme.

La mère Camus rentre, en grande toilette : elle porte un énorme chapeau, une robe à fleurs, une écharpe de couleur claire, des souliers verts, des gants de coton, etc.

Ah ! Dieu ! quelle toilette !...

LA MÈRE CAMUS, à part.

Gravure du journal des Modes.

Haut.

Me v’là toute à vous, Madame.

LA COMTESSE, mystérieusement.

Personne ne peut nous entendre ?... Je désirerais avoir quelques renseignements...

LA MÈRE CAMUS, avec pruderie.

Madame fait erreur... je ne me permettrais pas le plus petit ragot sur les locataires de la maison.

LA COMTESSE, à part, en souriant.

Je comprends.

Elle pose avec bruit une pièce de 5 francs sur la table.

LA MÈRE CAMUS, vivement.

Mais quand on voit à qui qu’on a affaire...

LA COMTESSE, à part.

Nous y voilà.

Haut.

N’y a-t-il pas dans cette maison... une jeune fille ?...

LA MÈRE CAMUS.

Y en a deux, des jeunesses... d’abord, ma fille à moi.

LA COMTESSE, la regardant.

Ah !

LA MÈRE CAMUS.

Et puis, Mlle Louise... quatrième, porte à gauche, pied de biche... C’est y celle-là ?

LA COMTESSE.

Eh mon Dieu ! je ne sais que vous dire... j’ignore absolument le nom... Ah ! attendez... c’est une élève du Conservatoire.

LA MÈRE CAMUS.

En voilà-t-il une bizarrerie !... elles le sont toutes deux !

LA COMTESSE.

Cela devient embarrassant... car je voulais vous interroger sur la conduite, les mœurs...

LA MÈRE CAMUS.

Mazette ! l’interrogatoire est insidieux... et je ne sais...

LA COMTESSE, posant encore 5 fr. sur la table.

Dites-moi...

LA MÈRE CAMUS, vivement.

Allez toujours, je vous écoute avec intérêt...

À part.

Cristi ! comme elle vous pousse des noyaux !...

LA COMTESSE.

Eh bien ?

LA MÈRE CAMUS.

Pour ce qui est des mœurs, je garantis ma petite... Quant au quatrième... on n’en dit que du bien dans le quartier.

LA COMTESSE, l’observant.

Cependant, Madame, depuis quelque temps, il vient dans cette maison... un jeune homme...

LA MÈRE CAMUS.

Ah ! Madame, méfiez-vous, vous allez tomber à la renverse !... Il en vient deux, des jeunes hommes !

LA COMTESSE.

Oui, mais... une tournure distinguée, des manières élégantes...

LA MÈRE CAMUS.

Toujours deux !

LA COMTESSE.

Et quand un jeune homme, dont on ne connaît pas la famille, s’introduit ainsi près d’une jeune personne... on peut, on doit supposer.

LA MÈRE CAMUS, avec pruderie.

Oh ! pour ce qui est des suppositions, Madame, je ne me permettrais pas...

La Comtesse pose une troisième pièce sur la table. À part.

Encore !... quelle femme bien élevée !...

Haut.

Eh bien ! Madame, puisqu’il faut parler le cœur sur la main...

LA COMTESSE, vivement.

Silence !... écoutez !... on vient !...

À part.

Si mon fils me surprenait !...

Haut et vivement.

Madame, nous reprendrons cet entretien.

LA MÈRE CAMUS.

Ça sera toujours avec un nouveau plaisir.

LA COMTESSE, troublée.

Je voudrais sortir sans être vue...

Lui donnant de l’argent.

Tenez... vite, conduisez-moi...

LA MÈRE CAMUS, montrant la gauche.

Entrez là... dans ma chambre... y a une sortie sur l’allée, et vous gagnerez la rue.

LA COMTESSE, sortant à gauche.

Au revoir... à bientôt !

Elle disparaît.

LA MÈRE CAMUS, continuant à lui parler.

Le plus tôt que vous pourrez !... je serai en chantée de cultiver votre connaissance... Poussez le loquet... vous v’là dans l’allée... bien des choses chez vous !...

Revenant en scène et s’empressant de ramasser les écus.

Noble dame !... vingt cinq livres !... je lui en aurais dit deux fois plus pour trente-deux sous... Maintenant, courons assister au triomphe de ma prima donna...

Elle court vers le fond.

 

 

Scène VIII

 

LA MÈRE CAMUS, ADÈLE, LOUISE, puis BADINGUET

 

Adèle est en grande toilette : robe blanche, capote rose, écharpe de soie noire, etc.

LA MÈRE CAMUS, les rencontrant à la porte.

Eh ben ! c’est donc fini, la musique ?... Qui qu’a le prix ?... qui qu’a le prix ?

LOUISE, encore tout émue.

Nous n’en savons rien.

ADÈLE, s’éventant avec son mouchoir.

Ah ! que j’ai chaud !... j’en peux plus...

LA MÈRE CAMUS.

Mais pourquoi donc que vous revenez ?

LOUISE.

Nous n’avons pas eu le courage d’attendre... Après avoir chanté mon morceau, j’éprouvais une anxiété !... J’ai vu que Mademoiselle était près de se trouver mal, et nous sommes revenues ensemble.

LA MÈRE CAMUS.

Mais comment que nous saurons l’opinion du juré ?

LOUISE.

M. Gaston est resté, pour connaître le résultat.

ADÈLE.

Et Badinguet aussi... Ah ! ma mère, comme il s’est noblement conduit !... Il m’applaudissait si fort, qu’on l’a flanqué deux fois à la porte.

LA MÈRE CAMUS.

Bon Badinguet !... Mais toi, mon petit chat ?...

ADÈLE.

Ah ! je suis dans un état !... j’ai eu si peur !... Si tu m’avais vue à mon point d’orgue !... ma poitrine se soulevait... ça allait, ça allait... et puis, toutes ces lorgnettes braquées sur ma personne... tous ces jeunes gens qui me dévoraient des yeux... Ah ! j’éprouvais, j’éprouve encore...

S’évanouissant.

M’ man !...

LOUISE, accourant.

Ah ! mon Dieu !...

LA MÈRE CAMUS, la soutenant.

Dédèle !...

Elle lui frappe dans la main.

BADINGUET, entrant.

Ciel !... qu’est-ce qu’il y a ?... Adèle évanouie !

ADÈLE, vivement et se relevant.

Ah ! Léon !

TOUTES TROIS, l’interrogeant.

Eh bien ?

LA MÈRE CAMUS.

Qui qu’est couronnée ?

BADINGUET.

C’est...

TOUTES.

C’est ?...

BADINGUET, à part.

De l’audace !

Haut.

C’est... Mlle Camus !

ADÈLE.

Moi !...

LA MÈRE CAMUS.

Ma fille !

LOUISE.

Ô ciel !

LA MÈRE CAMUS, à sa fille.

Ah ! sur mon sein ! sur mon sein !

Adèle se précipite dans ses bras.

BADINGUET, à part.

Enfoncée, la mère Camus !

LOUISE.

Ah ! quelle humiliation !... quelle injustice !... voilà pourquoi Gaston n’est pas revenu... Ah ! que je suis malheureuse !...

Elle sort, au fond, en pleurant.

LA MÈRE CAMUS, très gaiement.

Badinguet, je n’ai qu’une parole... Ma fille a le prix, volez chez le notaire.

BADINGUET.

J’y vole... et je reviens vous chercher en citadine.

ADÈLE.

C’est ça... nous mettrons m’man sur le strapontin.

LA MÈRE CAMUS.

Je ne pourrai jamais y tenir... c’est égal... Ah ! quelle journée de plaisir !

Air : J’ons les yeux écarquillés. (pages et poissardes.)

Et l’ jour des noc’s, quel festin !
Deux salades de romaine,
D’ la gib’l
otte de lapin,
Et des œufs durs par douzaine !
J’en mang’rai tant, tant, tant, tant,
Qu’ j’en s’rai malade un’ semaine ;
J’en mang’rai tant, tant, tant, tant,
Qu’ j’en aurai le cœur content
.

BADINGUET, à Adèle.

Même air.

Pour deux époux, deux amants,
Plus tard, quelle douce espérance !
À cinq, six, sept, huit enfants
Je veux donner la naissance !

ADÈLE, baissant les yeux.

Ne m’en dit’s pas tant, tant, tant,
Pour n’ pas m’effrayer d’avance ;
Ne m’en dit’s pas tant, tant, tant,
Pour que ça soit plus... tentant.

ADÈLE.

Et moi, je cours ôter mes gants, mon écharpe et ma capote... Adieu, Léon.

BADINGUET.

Adieu, Adèle...

ADÈLE, près de la porte à gauche.

Qu’il est gentil !... Je vas ôter mon busc.

Elle sort à gauche.

BADINGUET, à la porte du fond.

Mon effronterie a réussi !

Il sort.

 

 

Scène IX

 

LA MÈRE CAMUS, puis LA COMTESSE

 

LA MÈRE CAMUS, avec joie.

Mon Adèle a le prix !... et j’ai vingt-cinq livres !...

Elle se met à danser en chantant.

LA COMTESSE, entrant au fond et s’arrêtant.

Elle est seule !...

LA MÈRE CAMUS.

Serrons le magot...

Elle tire de sa poche un bas et y serre son argent.

LA COMTESSE, à part, pendant ce mouvement.

Mon fils vient enfin de me confier son secret... Il sortait du Conservatoire ; il venait d’assister au triomphe de celle qu’il aime ; et, dans sa joie, il m’a tout dit, tout raconté... Pour le décider à rentrer à l’hôtel, il a fallu lui promettre de voir cette jeune fille... aujourd’hui... à l’instant même... il veut que je la connaisse, que je la juge...

LA MÈRE CAMUS, se retournant et la regardant.

Ah ! Madame...

LA COMTESSE.

Rien qu’un mot... veuillez seulement m’indiquer le logement de...

Elle cherche, puis.

Ah ! tenez... de la jeune personne qui vient de rem porter le premier prix de chant au Conservatoire.

LA MÈRE CAMUS, avec exclamation.

Celle qui a ?... Mais c’est ma fille !

LA COMTESSE, reculant.

Votre...

À part.

La fille de cette portière !...

Haut.

C’est impossible.

LA MÈRE CAMUS.

Comment ! impossible ?...

LA COMTESSE.

C’est votre fille qui a été...

LA MÈRE CAMUS.

Couronnée... oui, Madame.

LA COMTESSE, à part.

Comment ! mon fils...

LA MÈRE CAMUS.

Pourquoi donc pas ?... est-ce que nous ne valons pas bien ça ?

LA COMTESSE.

Je ne dis pas que...

À part.

C’était sa fille !

LA MÈRE CAMUS.

Je suis une honnête femme, qui n’a besoin de personne...

Fièrement.

J’ai 25 fr. dans ma poche, Madame !... Ma fille est une jeunesse sage et bien élevée... élevée par moi...

LA COMTESSE, à part.

Ah ! juste ciel !

LA MÈRE CAMUS.

Qui vous a des manières, un ton !... un dialogue !...

ADÈLE, en dehors et criant.

M’man !... oùsque t’as fourré les prunes à l’eau-de-vie ?...

LA COMTESSE.

Qu’entends-je !

LA MÈRE CAMUS.

C’est elle... c’est ma fille.

LA COMTESSE, au comble de la surprise.

Mon fils !... cette femme !... sa fille !... Mais il faut qu’elle soit d’une beauté bien extraordinaire pour...

 

 

Scène X

 

LA COMTESSE, LA MÈRE CAMUS, ADÈLE

 

ADÈLE, entrant.

Voyons, m’man, oùsque t’as donc mis...

LA COMTESSE, la regardant.

Ah ! quelle horreur !... mais elle est affreuse !

LA MÈRE CAMUS.

La voilà, Madame... je ne crains pas de la montrer... Dites-lui donc les propos que l’on tient de dessus nous...

ADÈLE.

On tient des propos de dessus m’man ?

LA COMTESSE, passant entre elles.

Non, Mademoiselle... non, Madame...

À part.

Il ne me reste qu’un moyen...

Haut.

Je ne suis venue ici que pour vous sauver d’un grand danger qui vous menace !...

LA MÈRE CAMUS et ADÈLE.

Quoi donc ? quoi donc ?

LA COMTESSE.

Il y va de l’honneur de votre fille !

ADÈLE.

Mon honneur !... Credié !...

LA COMTESSE.

Ne vient-il pas ici un jeune homme qui lui fait la cour ?

LA MÈRE CAMUS.

Oui.

ADÈLE, à part.

Tiens ! il s’agit de Badinguet !

LA MÈRE CAMUS.

Qui vient pour l’épouser, s’il vous plaît.

LA COMTESSE, à part.

J’arrive à temps.

Haut.

Ce jeune homme, vous ne le connaissez que depuis peu de temps, n’est-ce pas ?

LA MÈRE CAMUS.

Comme qui dirait trois semaines.

LA COMTESSE, à part.

C’est cela.

Haut.

C’est probablement par hasard, dans un lieu public, que vous l’avez rencontré ?

LA MÈRE CAMUS.

Juste... aux Folies-Dramatiques...

ADÈLE.

Un soir qu’il tombait de l’eau...

LA MÈRE CAMUS.

Un parapluie rouge... C’est-y ça qui vous amène ?

LA COMTESSE.

Vous a-t-il quelquefois parlé de sa famille ?

LA MÈRE CAMUS.

Jamais de la vie.

LA COMTESSE.

De son état ?

ADÈLE.

Encore moins.

LA MÈRE CAMUS.

Eh ! tenez, v’là que ça me revient... Chaque fois que je l’ai questionné là-dessus...

ADÈLE.

Ça avait l’air de le gêner.

LA COMTESSE, à part.

Je comprends !

Haut.

Eh bien ! apprenez que vous avez été trompées... Ce jeune homme, qui s’est présenté sous les plus simples apparences, qui vous a parlé de mariage... il est riche, il est noble, il est comte...

LA MÈRE CAMUS, avec joie.

Qu’est-ce que vous me dites là ?

ADÈLE.

Un comte !...

LA MÈRE CAMUS.

Un pair de France !... Eh bien ! je m’en doutais...

TOUTES DEUX.

Quel bonheur !

LA MÈRE CAMUS.

Ça nous va !

LA COMTESSE, continuant.

Je suis sa mère.

TOUTES DEUX.

Sa mère !

ADÈLE, à part.

La mère à Badinguet !

LA MÈRE CAMUS, avec joie.

Ma fille sera votre bru !

Elle va pour embrasser la comtesse, qui la repousse.

LA COMTESSE.

Insensées !... Mais mon fils n’a jamais eu l’intention d’épouser votre fille... Il veut la séduire, la déshonorer.

LA MÈRE CAMUS.

C’est-il Dieu possible ?

ADÈLE.

Me déshonorer !

LA COMTESSE.

Il vous promet le mariage, parce qu’il sait bien que sa famille n’y consentira pas... Ainsi, tenez-vous sur vos gardes, et si jamais il se représente ici...

LA MÈRE CAMUS, criant.

Où est mon balai de bouilleau ?

ADÈLE, éplorée.

Ma mère !...

LA COMTESSE, à part, en regardant Adèle.

Ah ! je suis indignée contre Gaston... Je ne veux pas le revoir, et une lettre bien sèche...

Haut, à la mère Camus.

J’ai fait mon devoir, Madame, faites le vôtre !

Elle sort par le fond.

 

 

Scène XI

 

ADÈLE, LA MÈRE CAMUS, puis BADINGUET

 

La mère Camus et sa fille vont tomber suffoquées sur deux chaises.

ADÈLE.

Quel déchet !

LA MÈRE CAMUS.

Quelle dégringolade !

ADÈLE.

Ah ! le petit gueux !

LA MÈRE CAMUS.

Ah ! la grande canaille !

BADINGUET, entrant par le fond, très gaiement.

Me voici le contrat est rédigé, et j’accours...

Les deux femmes se lèvent tout-à-coup, s’avancent et le toisent du regard.

LA MÈRE CAMUS, d’un ton concentré.

Vous voilà donc, M. le comte ?...

BADINGUET, regardant autour de lui.

Plaît-il ?

ADÈLE.

Oh ! mauvais, mauvais... Nous savons tout.

BADINGUET.

Quoi, tout ?

LA MÈRE CAMUS.

Nous connaissons votre position sociale.

BADINGUET.

Grand Dieu !

ADÈLE.

Voyez comme il se trouble !

BADINGUET.

Vous savez que je...

ADÈLE.

Que vous êtes riche, noble...

LA MÈRE CAMUS.

Que vous siégez à la chambre haute...

BADINGUET.

Quelle chambre haute ?

ADÈLE.

Mme la Comtesse, votre mère, sort d’ici.

BABINGUET, riant.

La Comtesse ma mère ?...

ADÈLE, avec mépris.

Comédien !

LA MÈRE CAMUS.

Grand roué !... À moi, Comte, deux mots !... vous vouliez suborner ma fille !...

ADÈLE.

Abuser d’une averse pour séduire une faible créature !...

LA MÈRE CAMUS, criant.

Reprenez votre parapluie... et sortez de ma loge !

BADINGUET.

Mère Camus...

LA MÈRE CAMUS.

Ou je vous flanque une roulée !

Elle lève sur lui le balai.

ADÈLE, se jetant entre eux.

Ah ! ma mère ! ne le frappe pas !

LA MÈRE CAMUS, laissant tomber le balai.

Malheureuse enfant !... tu l’aimes encore !

ADÈLE.

Non, non... Faut l’oublier...

Elle sanglote.

LA MÈRE CAMUS.

Voyez dans quel état vous la mettez !... Voilà votre ouvrage, M. le Comte !

BADINGUET.

Mais, mère Camus...

LA MÈRE CAMUS, à Adèle.

Ta mère te reste, mon enfant... Penche tes pleurs sur mon sein, penche, penche...

ADÈLE, avec désespoir.

Ah ! mais, c’est affreux, cela, savez-vous !

BADINGUET, s’élançant.

Adèle !...

LA MÈRE CAMUS.

Arrière, M. le Comte... arrière !

Ensemble.

Air : Ah ! je suis en colère. (Premières armes de Richelieu.)

LA MÈRE CAMUS.

La colère m’enflamme !
Égaré par sa flamme,
Il voulait prendre femme
Sans le tabellion !
Pour cette horrible trame,
La mère, qui te blâme,
Te lance, monstre infâme,
Sa malédiction !

ADÈLE.

Je faiblis, je me pâme !
Ce trompeur, qui réclame,
Méditait en son âme
Une séduction ;

Et quand mon cœur le blâme,
Je ne puis, pauvre femme,
Adjuger à l’infâme
Ma malédiction !

BADINGUET.

Quel affreux amalgame !
Ce serait trop infâme :
Prendre Adèle pour femme
Sans le tabellion !
Je proteste et réclame :
C’est une horrible trame !
Reprenez donc, Madame,
Vot’ malédiction.

La mère Camus repousse Badinguet, qui tombe à genoux en retenant le balai que la mère Camus a lâché. Adèle et sa mère sont sorties par la gauche.

 

 

Scène XII

 

BADINGUET, puis GASTON

 

BADINGUET, tenant sous un bras le parapluie, et sous l’autre le balai.

Est-ce que je dors ?... Est-ce que je rêve ?... M. le Comte !... la chambre haute !... Mme la Comtesse votre mère !... Ça n’est pas clair... Mais ce qui l’est, c’est qu’on me fiche à la porte... c’est qu’on me sépare d’Adèle... c’est qu’on me rend mon parapluie !

GASTON, entrant très agité.

C’est inconcevable !... Ma mère n’a pas voulu me recevoir, et ce billet qu’elle m’a fait remettre...

Lisant.

« Je suis indignée de votre choix... J’ai vu cette fille... Rien ne vous justifie, ni ses manières, ni son langage, ni sa beauté ».

S’interrompant et froissant le papier.

Louise !... si douce, si gracieuse, si jolie !...

Marchant avec agitation.

Et ma mère refuse son consentement à notre mariage !

BADINGUET, courant à lui.

Hein ! qu’est-ce que vous dites ?... Mais, moi aussi, la mère Camus vient de rompre nos nœuds.

GASTON, marchant toujours sans l’écouter.

Mais qu’on y prenne garde !... puisqu’on me pousse à bout...

BADINGUET, le suivant.

Oui, qu’on y prenne garde !...

GASTON, de même.

S’il faut un éclat, j’en ferai un.

BADINGUET, de même.

J’en ferai deux !

GASTON, de même.

Je braverai l’autorité de ma mère...

BADINGUET, de même.

Je ferai la queue à la mère Camus...

GASTON.

Et dussé-je enlever Louise...

BADINGUET, frappé de cette idée.

Ah bah !...

GASTON.

Elle est mineure...

BADINGUET.

Adèle n’a que dix-huit ans...

GASTON.

Un pareil éclat engagera mon honneur...

BADINGUET.

Bravo !

GASTON.

Et ma mère sera bien forcée de capituler.

BADINGUET.

Et la mère Camus sera enfoncée !...

GASTON, sortant.

Oui, dès ce soir...

BADINGUET.

Tout de suite !

Il court à la cheminée, prend un papier et se met à écrire.

GASTON, s’arrêtant et se calmant tout-à-coup.

Mais qu’allais-je faire ?... Quoi ! sans revoir ma mère !... Non, il n’est pas possible que ce soit de Louise qu’elle parle ainsi... Il y a eu quelque erreur, quelque méprise... Courons à l’hôtel, décidons-la à la revoir... Oui, oui, c’est cela... tout n’est pas encore perdu.

Il sort rapidement par le fond.

BADINGUET, seul, relisant son billet.

« Adèle !... je viens d’avoir une idée... Il est huit heures du soir... Consens à te laisser compromettre par un enlèvement presque nocturne, et ta mère sera forcée de nous unir... Quant à la mienne, ça ne fait pas question... la loi est positive... Un signe, un mot, et je cours chercher un fiacre. LÉON BADINGUET. »

S’approchant de la porte à gauche.

Maintenant, il s’agit de...

On entend tousser la mère Camus. Reculant.

Dieu ! la mère chose !...

Il se blottit derrière le poêle. La nuit arrive par degrés.

 

 

Scène XIII

 

BADINGUET, LA MÈRE CAMUS

 

LA MÈRE CAMUS, au public.

Elle va mieux, je vous remercie... elle est plus calme... Je lui ai fait prendre trois prunes à l’eau-de-vie... et je l’ai laissée près de la fenêtre, où elle respire l’air pur... de l’allée.

BADINGUET, se relevant et tenant le billet.

Près de la fenêtre !... Le dieu des amours m’est propice.

Il sort sur la pointe des pieds.

LA MÈRE CAMUS.

Ah ! malheureuse mère !... Que la beauté des jeunes filles est un don fatal !... Demandez donc au ciel des enfants beaux comme le jour... Ah ! cette scène m’a moulue... les jambes me rentrent dans le corps... et ça me gêne.

Elle s’assied dans le grand fauteuil.

Pendant la ritournelle de l’air suivant, on voit Gaston traverser au fond, avec la Comtesse, et monter l’escalier.

Air : Dormez, dormez, chères amours.

Je n’ peux bouger d’ mon vieux fauteuil...
Moi, qu’est vif comme un écureuil...
Je sens comme un plomb sur mon œil...
Je m’ doutais bien que c’te aventure
Me procur’r
ait un’ courbature...
Je n’ vois plus rien... j’ n’entends
plus d’ bruit...
V’là que j ‘ m’en vas... Adieu, bonn’ nuit...

L’orchestre achève l’air en sourdine. La mère Camus s’endort complètement. La nuit est venue.

 

 

Scène XIV

 

LA MÈRE CAMUS, endormie, ADÈLE, puis BADINGUET

 

ADÈLE, rentrant par la porte à gauche, et s’approchant du fauteuil.

Elle dort !...

Montrant le billet de Badinguet.

Compromise dans une citadine, et demain comtesse !... La Loi est positive !

Parlant avec senti ment à sa mère endormie.

Oui, ta fille sera comtesse... et elle aura un hôtel, où elle te donnera un logement... au rez-de-chaussée... tu n’auras que ça à faire...

Elle fait le geste de tirer le cordon.

Il ne faut pour ça qu’une course en fiacre.

BADINGUET, paraissant au fond, enveloppé d’un grand manteau, à demi-voix.

Adèle !...

Adèle fait un mouvement et laisse tomber la lettre.

le fiacre est là... le cocher est corrompu... Viens !... viens !...

Il entraîne Adèle, qui, tout-à-coup, s’échappe de ses bras.

ADÈLE, vivement.

Monsieur !... je n’ai pas encore embrassé ma mère !...

S’approchant de sa mère endormie.

Air de l’Ermite de Saint-Avelle.

Adieu... je vais franchir not’ porte !
Mais ne va pas t’ mettre en courroux :
La citadine qui m’emporte
Doit m’ ram’ner avec un époux.

Elle la baise sur le front. La mère Camus se donne une tape comme pour écraser une mouche.

Au moment d’ fuir cette demeure,
Que ce baiser me semble doux !...

BADINGUET, la tirant par sa robe.

Adèle !... le fiacre est à l’heure :
Tu vas me fair’ payer cent sous !

Il entraîne Adèle, qui envoie des baisers à sa mère. À ce moment on entend fermer la porte de la rue.

BADINGUET.

Dieu !... Quelqu’un a fermé la porte !

ADÈLE, hésitant, puis, d’une grosse voix.

Cordon, s’il vous plaît !...

Badinguet sort en entraînant Adèle.

 

 

Scène XV

 

LA MÈRE CAMUS, puis LES DOMESTIQUES

 

LA MÈRE CAMUS, réveillée en sursaut, et tirant le cordon.

Hau !... Tiens ! est-ce que j’ai dormi ?...

Se frottant les yeux.

Ah ! qu’il fait noir !...

Elle prend un briquet, et allume la chandelle, tout en appelant.

Adèle ! Adèle !... Il faut que j’allume la lampe de l’escayer... Le moindre petit papier ferait bien mon affaire...

Apercevant la lettre par terre.

Ah ! voilà ce qu’il me faut... Qu’est-ce que ça peut être ?...

Elle l’ouvre, le lit, puis jette un cri.

Ah ! au secours !... à la garde !... au feu !...

Elle chancelle, s’évanouit et tombe dans le fauteuil. Tous les domestiques accourent avec des flambeaux.

TOUS.

Air d’Indiana et Charlemagne.

D’où vient ce bruit ?
Cette alarme,
Ce vacarme ?
Dans ce réduit,
Qui fait donc du bruit,
La nuit ?

UN DOMESTIQUE.

Dieu ! la mère Camus qui se trouve mal !

LA CUISINIÈRE.

Vite, de l’eau, du vinaigre !...

LE DOMESTIQUE, lui passant une bouteille.

Voilà !

LA CUISINIÈRE, frottant le nez et les tempes de la mère Camus.

Respirez ferme, ça vous fera du bien.

Tous, voyant le nez de la mère Camus tout noir, reculent épouvantés.

LA MÈRE CAMUS.

Malheureuse ! c’est du vernis !...

Elle s’essuie le visage.

Mais, ma fille !... enlevée !... Partez, courez, volez !... ma fortune est à vous !...

TOUS.

Air précédent.

Sans plus de bruit,
Courons vite
À leur poursuite !
Car il est nuit,
Et le ravisseur s’enfuit !

Les domestiques sortent en courant.

 

 

Scène XVI

 

LA MÈRE CAMUS, puis LA COMTESSE

 

LA MÈRE CAMUS, criant.

Arrêtez-les !... arrêtez-les !... Ma fille est en levée !... ma fille est en vinaigrette !...

LA COMTESSE, entrant.

Ah ! mon Dieu ! quel bruit !... quels cris !... Qu’y a-t-il ?

LA MÈRE CAMUS.

Vous voilà donc, Comtesse ?... Vous osez vous montrer à la lionne, à laquelle on a arraché ses petits !...

LA COMTESSE.

Que signifie ?...

LA MÈRE CAMUS.

Monsieur votre fils est un polisson, Comtesse !...

LA COMTESSE.

Madame !...

LA MÈRE CAMUS.

Il enlève mon Adèle, à l’heure qu’il est, Comtesse !

LA COMTESSE.

Qu’est-ce que vous dites donc ?

LA MÈRE CAMUS.

Mais il faudra qu’il l’épouse, ou qu’il aille aux galères, Comtesse !... La loi est positive !

LA COMTESSE.

Mais, encore un coup...

LA CUISINIÈRE, entrant par le fond.

Les voilà ! les voilà !... Ils ont versé contre un camion.

 

 

Scène XVII

 

LA COMTESSE, ADÈLE, LA MÈRE CAMUS, BADINGUET, LES DOMESTIQUES

 

LA MÈRE CAMUS.

Ma fille !

ADÈLE, courant se jeter dans ses bras.

Ma mère !

LA MÈRE CAMUS, la repoussant doucement.

Ma fille... puis-je encore t’appeler ainsi sans rougir ?

ADÈLE, se jetant dans ses bras.

Oh ! oui ! ton enfant est toujours digne de toi !

LA MÈRE CAMUS, à la Comtesse, qui s’éloigne.

Un instant, Comtesse !... vous ne sortirez pas de ma loge, avant d’avoir consenti au mariage.

BADINGUET, à part.

Qu’est-ce qu’elle chante ?

LA COMTESSE.

Eh ! Madame, je n’y comprends rien... Apprenez que j’ai déjà consenti.

ADÈLE.

Ô bonheur !

LA MÈRE CAMUS, poussant Adèle et Badinguet aux pieds de la Comtesse.

Comtesse, bénissez vos enfants.

LA COMTESSE, reculant.

Qu’est-ce que c’est que cela ?

LA MÈRE CAMUS, montrant Adèle et Badinguet.

Ma fille... et le vôtre.

LA COMTESSE, reculant.

Mon fils !... mais je ne connais pas cet homme-là !...

LA MÈRE CAMUS et ADÈLE.

Grand Dieu !

 

 

Scène XVIII

 

LA COMTESSE, LOUISE, GASTON, ADÈLE, BADINGUET, LA MÈRE CAMUS

 

LA COMTESSE, montrant Gaston qui entre.

Le voilà, mon fils.

ADÈLE.

Monsieur Gaston !

LA COMTESSE, montrant Louise.

Et ma fille, maintenant.

TOUS.

Mademoiselle Louise !...

LA COMTESSE.

Eh ! certainement.

À la mère Camus.

Quand je vous demandais la jeune personne qui avait remporté le premier prix de chant !...

ADÈLE.

Mais c’est moi qui l’a.

LA MÈRE CAMUS.

Mais c’est ma fille.

GASTON.

Allons donc !... Eh ! tenez, demandez à Monsieur, qui assistait au concours.

Il montre Badinguet.

ADÈLE.

C’est lui qui nous a dit...

GASTON.

Lui ?

BADINGUET, résolument.

Eh bien ! oui, lui... parce qu’il fallait qu’Adèle eût le prix pour m’avoir... et je le lui ai donné.

ADÈLE.

Je n’ai donc rien du tout, moi ?

BADINGUET.

C’est tout ce que vous avez obtenu.

LA MÈRE CAMUS, à Badinguet, avec indignation.

Plat que tu es ! tu n’es pas comte, et tu as eu l’audace de nous en faire un !... Mais qui es tu donc, petit faux ?...

BADINGUET.

Je puis me divulguer, maintenant... Polycarpe Badinguet.

ADÈLE.

Pas Léon ?

BADINGUET.

Filleul et employé de mon parrain, M. Clysobol, fabricant de clys...

ADÈLE.

Ah ! l’horreur !... M’man, je n’épouserai jamais un homme qui fabrique de... ces affaires là !

BADINGUET, complétant son idée.

En caoutchouc !

LA MÈRE CAMUS, bas.

Mais il t’a enlevée... tu es compromise.

ADÈLE.

J’ai le temps d’attendre... quand on a dix huit ans...

LA MÈRE CAMUS, bas.

Malheureuse ! je t’ai trompée... tu en as vingt-neuf !

ADÈLE, à part.

Bigre ! je suis mûre !

Haut.

Badinguet, ma main est à vous.

CHŒUR.

Air final de la Fille de Jacqueline.

Plus rien qui nous menace :
Tout le monde en ces lieux
Va reprendre sa place,
Et chacun est heureux.

LA MÈRE CAMUS, au public.

Air : Dans un amoureux délire. (Joconde.)

Messieurs, protégez ma fille.

ADÈLE.

Ah ! pour m’man, soyez bien doux.

BADINGUET.

Je vous r’command’ ma famille...

LA MÈRE CAMUS.

Moi, mon gendr’...

ADÈLE.

Moi, mon époux.

ENSEMBLE.

Quand deux femm’s, faibles mortelles,
Vous implorent en tremblant,
N’oubliez pas qu’ pour les belles
Le français fut toujours galant.
Le fran, le français fut toujours galant...

Reprise du chœur.

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