L’Impromptu de Livry (DANCOURT)

Comédie-ballet en un acte.

Musique du Sieur Gilliers.

Représentée pour la première fois au Château de Livry, le 12 août 1705.

           

Personnages

 

MONSIEUR GUÉRIN

MONSIEUR POISSON père

MONSIEUR SALLÉ

MONSIEUR LAVOY

MONSIEUR PONTEUIL

MONSIEUR DU BOCAGE

MONSIEUR FOMPRÉ

MONSIEUR POISSON fils

MADEMOISELLE DANCOURT

MADEMOISELLE DESBROSSES

MADEMOISELLE GODEFROY

MADEMOISELLE FOMPRÉ

MADEMOISELLE SALLÉ

MADEMOISELLE MIMY DANCOURT

 

La Scène est à Livry-le-Château.

 

 

Le théâtre dressé dans le grand Vestibule de la Colonnade qui est au-dessous du Salon, représentait un des plus beaux endroits du jardin, fermé par des palissades assez hautes pour cacher les Acteurs, ouvert par plusieurs endroits par des Portiques, du cintre desquels pendaient des festons de fleurs au-dessus de plusieurs Orangers, entre lesquels sont des Guéridons et des Torchères, avec des Girandoles garnies de quantité de lumières.

Après l’ouverture, Mademoiselle Sallé, sous le nom de Flore, invite par les paroles suivantes les faunes et les pâtres à venir contribuer à la Fête.

FLORE.

Heureux habitants de ces bois,
Pâtres, Sylvains, Bergers et Dryades,
Dans ces aimables promenades,
Au son des flûtes, des hautbois,
Venez joindre vos voix.

Marche des Pâtres et des Sylvains

FLORE continue.

Jamais jour en ces lieux n’a paru si charmant,
Des Divinités la plus belle
Leur donne un nouvel agrément
Qu’ils ne pourraient avoir sans elle.

MONSIEUR SALLÉ sous l’habit d’un Pâtre.

Sa douceur, sa beauté, son éclat sans pareil
Font assez voir qu’elle est la fille du Soleil,
Et de sa plus douce lumière
Aujourd’hui ce Dieu nous éclaire.

FLORE.

De cet Astre brillant, la brûlante chaleur,
Avait dans vos jardins séché les dons de Flore,
Les feuilles de vos bois à sa trop vive ardeur
À peine résistaient encore,
Et les pleurs même de l’Aurore
Ne pouvaient de vos prés conserver la fraîcheur.

LE PÂTRE.

La Déesse par sa présence
Leur rend à tous leurs ornements,
Ici dans ces heureux moments
De ses premiers regards tout ressent la puissance.

Entrée.

LE PÂTRE continue.

Le fils du Dieu qui régit cet empire,
Assemble ici les plaisirs et les jeux
D’un doux sourire
Il les attire.
Dans tous les cœurs.
Sa présence inspire
Mille douceurs.
Tout l’Univers l’aime et l’admire,
Il est l’objet de tous les vœux ;
Et le Seigneur de ces beaux lieux
N’aspire
Qu’à mériter un regard de ses yeux.
Hé ! pour rendre un mortel heureux,
Ce regard seul ne doit-il pas suffire ?

Entrée.

FLORE.

Que je me plais dans ces bocages ?
Les oiseaux dans ce beau séjour
Invitent par leurs doux ramages,
Aux tendres plaisirs de l’Amour.
Chaque matin sous ces feuillages
Ils viennent tous faire leur cour,
Et rendre leurs premiers hommages
À la fille du Dieu du Jour.

Harangue du capitaine du Château.

LE CAPITAINE.

Oh parbleu, oui, voilà de plaisants hommages que ceux de cette petite volatile-là. Ce sont ceux des mortels qui font plaisir aux Divinités, et je suis sûr que Madame la Déesse aimera cent fois mieux la Harangue que je suis chargé de lui faire, que les ramages de tous les oiseaux du pays. Madame... le compliment est de moi, au moins. Madame... Je les fais bien mieux que je ne les apprends. Ma... car j’ai plus d’esprit que de mémoire... Enfin, Madame... Vous allez croire que l’on m’a fait celui-ci, parce que je ne me souviens pas trop de ce que j’ai à vous dire : mais... Ah, m’y voilà. On m’a fait Capitaine de ce Château, Madame, pour tout le temps que vous y demeurerez, et je suis bien fâché que vous y demeuriez si peu, puisque ma Charge finira quand vous partirez, et c’est une bonne condition que celle du Maître de la maison. Tout le monde n’est pas à portée comme lui de recevoir dans son Château des Divinités comme la vôtre ; et la faveur que vous lui faites est si rare et si précieuse... qu’elle lui fera... bien des envieux... Mais pourvu que vous soyez assez contente de ce premier voyage-ci pour y en faire quelque autre... Enfin, Madame, si cela n’arrive pas, ce ne sera ni sa faute ni la mienne, ni celle des Habitants des environs, qui veulent à l’envi tâcher de contribuer à vos plaisirs. Il n’y a pas jusqu’aux Perdreaux de la plaine, et aux jeunes Faisans de la forêt, qui vont se disputer l’avantage d’être servis sur votre table, et ce noble empressement en fera bien tuer qu’on ne vous servira point, et que le Seigneur du Château ne saura pas : mais comme le nouveau Capitaine en mangera sa part, c’est ce qui fait qu’il ne vous en dit mot devant lui. Je ne suis pas un babillard, Madame, aussi je finis de peur de vous ennuyer ; et voilà Monsieur le Bailli de Livry qui vous a préparé quelque petit Divertissement de sa façon, dont vous serez peut-être autant ennuyée que de ma Harangue. Ce sont ses affaires : pour moi je me retire, et je vais me disposer à reparaître devant vous sous une figure plus connue de votre Divinité, et plus convenable à mon caractère. Madame Flore, encore quelque petit air, s’il vous plaît, pour me donner le temps de m’habiller.

FLORE.

Dans ces beaux lieux
Chacun est heureux.
Ces douces retraites
Pour l’Amour sont faites.
Bergers amoureux,
Au son des Musettes,
Aux tendres fillettes
Expliquent leurs feux.
S’ils changent de vœux,
Toujours satisfaites,
Sans être coquettes
Elles sont sujettes
À faire comme eux.

Entrée.

FLORE continue.

Aimable Livry
Lieu des Dieux chéri,
Sois toujours sûr d’être
Aimé de ton maître ;
Dans tes bois l’Amour
Se plaira sans cesse,
Quand cette Déesse
Y tiendra sa Cour.
Que puisse à son tour
Le Soleil son père
Quelque jour s’y plaire
Assez pour y faire
Un pareil séjour.

Entrée.

Petite Comédie.

Le sujet est d’un Fermier de Livry, qui, par l’adresse de sa femme, se trouve engagé de donner sa nièce à un jeune homme de Paris, quoiqu’il l’eût promise au Collecteur. Le moyen dont la femme se sert, est qu’elle feint d’être amoureuse de l’Amant aimé de la nièce. Elle fait même éclater cette feinte passion aux yeux de son mari, qui, pour éviter les suites et les inconvénients, manque de parole au Collecteur, fait épouser en hâte sa nièce à son Amant, qu’il croit être aimé de sa femme. Le divertissement qui suit sert de prélude à la noce.

Marche des Personnes de la Noce.

MAROTTE.

Une noce de Village
Est simple et sans embarras,
Les richesses ne font pas
Le bonheur du mariage.
Une fille jeune et sage,
Peu de bien, beaucoup d’appas
C’est de quoi dans le ménage
On doit faire le plus de cas.

LUCAS.

Margot d’abord était comme
Vous venez de le dire là ;
Et dès que je fus son homme,
Aussitôt elle changea.
Si j’eus pris par aventure
Fille riche et sans beauté,
De queuque mauvais côté
Qu’alle eût pu prendre tournure,
J’aurais toujours profité,
Et ma fortune était sûre,
Car le bien me fut resté.

Entrée.

MAROTTE.

Profitons bien de nos beaux jours,
Aimons quand nous sommes aimables.
Les premiers moments des amours
Sont toujours les plus agréables.
Le temps coule et passe toujours,
Et les plaisirs sont peu durables.
Les premiers moments des amours
Sont toujours les plus agréables.

Entrée.

LUCAS.

Pour avoir un mari,
Ne craignez point d’attendre,
Fillettes de Livry,
En trouvent à revendre.
De leurs beautés sans peine
Nombre d’Amants sont épris.
Si la Cour n’en amène,
Il leur en vient de Paris.

LUBINE.

Le hasard règle tout,
C’est Lucas qui propose,
C’est Margot qui résout,
Et l’Étoile dispose
Mais dans de tendres flammes
Aussi bien que les Amours,
L’Étoile pour les femmes
Se déclarera toujours.

LUCAS.

Nos femmes choisiront
Des maris pour nos filles,
Et les meilleurs seront
Pris pour les plus gentilles :
Mais qu’elles prennent garde
Que nos femmes par hasard,
Ou du moins par mégarde,
N’en prennent aussi leur part.

Danse en rond.

LUCAS.

C’est bien fait dans son jeune âge
De songer à son plaisir,
Sitôt qu’on est en ménage
On n’en a pas le loisir.
C’est bien fait dans son jeune âge
De songer à son plaisir.

On devient triste, on enrage,
Eût-on femme à son désir.
C’est bien fait dans son jeune âge
De songer à son plaisir.

Le plus heureux mariage
Est sujet au repentir,
C’est bien fait dans son jeune âge
De songer à son plaisir.

Qui s’en passe est le plus sage,
Proverbe ne peut mentir.
C’est bien fait dans son jeune âge
De songer à son plaisir.

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