L’Homme vert (Charles-Gaspard DELESTRE-POIRSON - MÉLESVILLE)

Comédie en un acte, mêlée de couplets

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Vaudeville, le 20 décembre 1817

 

Personnages

 

JOHN GOOD, inconnu

FATT-SON, aldermann

MARGUERITE, fermière

FANNY-SELMOUR

MARIE, fille de Marguerite

SIR EDWIN, baronnet

WILLIAMS, postillon

 

La scène se passe dans un petit bourg d’Écosse, sur le bord de la mer.

 

Le Théâtre représente une chambre de la ferme, portes latérales et porte de fond, une cheminée avec un grand feu, une table, des escabelles, etc.

 

 

Scène première

 

FATT-SON, MARGUERITE, FANNY, EDWIN, MARIE, SERVANTES DE FERME

 

Au lever du rideau, les personnages figurent une veillée villageoise. Une lampe allumée est sur la table : les femmes travaillent, Fatt-Son tient un livre, Edwin cause avec Fanny.

FATT-SON.

Allons, allons, enfants, sat prata biberunt, c’est-à-dire assez causé.

MARGUERITE.

Mais enfin, monsieur l’Aldermann, puisqu’on l’a vu.

FATT-SON.

On l’a vu !... Tenez, ma chère dame, je sais à quoi m’en tenir au sujet dé votre homme vert : c’est un vieux conte avec lequel on nous berce depuis cent ans... Ah çà ! voyons, parlons raison, si c’est possible. Qu’est-ce que c’est qu’un homme vert ? l’avez-vous vu, l’homme vert ?

MARGUERITE.

Non.

MARIE.

Ni moi.

FANNY.

Ni moi.

FATT-SON.

Ah ! eh bien ! ni moi non plus.

MARGUERITE.

Mais il n’y a pas un coin de l’Écosse qu’il ne visite.

FATT-SON.

Laissez donc... Je conçois que dans les cantons où la police est mal faite... Par exemple, il y a vingt ans, quand j’arrivai dans ce pays, il n’était question que de sorciers, de fantômes, d’esprits...

Air : Quand l’Amour naquit à Cythère.

Je dus, en sachant bien m’y prendre,
Faire cesser des récits fabuleux ;
Vous conviendrez qu’il suffit de m’entendre,
Pour ne plus croire au merveilleux.
Des paysans j’ai réveillé l’audace,
De mes discours ils ont fait leur profit,
Et depuis que je suis en place
On n’entend plus parler d’esprit.

MARGUERITE.

Vous croyez ? Eh bien ! si je vous disais que mon pauvre mari l’avait vu comme je vous vois.

FATT-SON.

En vérité ?

MARIE.

Ah mon dieu ! oui, mon père le rencontra la veille de son mariage, et il a toujours dit qu’ça lui porterait malheur.

EDWIN, souriant.

Peste ! ceci devient sérieux.

FATT-SON.

Comment ! sir Edwin, vous aussi !... Un baronnet ajouter foi !...

À Marguerite.

Et votre mari vous a fait le portrait de ce mystérieux personnage. Voyons, je suis curieux de connaître son signalement.

MARIE.

Ah ! oui, maman, son portrait.

MARGUERITE.

D’abord, il est vert des pieds jusqu’à la tête.

FATT-SON.

Vêtu de vert... Ah ! ah ! c’est sans doute pour ça qu’on l’appelle l’homme vert.

MARGUERITE.

Air : Lise épouse l’ beau Gernance.

Je n’ai pas vu sa tournure,
Cependant chacun assure
Qu’il est laid à faire peur,
Que son sourire est trompeur,
Ou rampant, ou plein d’audace,
Tantôt grand, tantôt petit,
Il change souvent de face.

EDWIN.

Il doit avoir du crédit.

MARGUERITE.

Enfin, il ne se plaît que dans le désordre, ne paraît que pour annoncer des désastres, et rire de tout le mal qu’il fait.

FATT-SON, riant.

Ah ! ah ! le drôle de corps ! ce que c’est que des têtes faibles !... Et vous, Fanny, craignez-vous aussi les sortilèges ?

FANNY.

Pas du tout, monsieur Fatt-Son : d’ailleurs, sans fortune, sans parents, élevée par pitié dans la ferme de madame Marguerite, je n’ai rien à perdre : et si l’homme vert me faisait l’honneur de s’occuper de moi, je ne pourrais que gagner au changement.

FATT-SON.

Vous n’attendrez pas longtemps, chère petite ; votre douceur, votre résignation, méritaient une récompense : aussi, pas plus tard que demain, vous allez être madame l’Aldermann.

MARIE.

Monsieur l’Aldermann, y aura-t-il un cadeau de noce ?

FATT-SON.

Oui, petite espiègle.

EDWIN.

Parbleu ! je suis désespéré d’avoir arrêté mon départ pour cette nuit, j’aurais dansé à votre noce.

Air : Vaudeville de l’Un pour l’Autre.

Oui, j’aurais dansé de grand cœur :
Vivent les noces de village !
Les mères ont moins de rigueur,
La fille devient moins sauvage ;
Nos prudes pour se réjouir
Veulent de l’art, de la décence ;
On danse sans goût, sans désir.
J’en conviens, j’ai plus de plaisir
À faire sauter (bis) l’innocence.

Bas à Fanny.

Soyez tranquille ; je reste, et si vous m’écoutez...

FANNY, avec humeur.

Laissez-moi, Monsieur.

EDWIN, à part.

D’honneur, cette petite fille est incompréhensible.

MARGUERITE, se levant.

Allons, mes enfants, voici l’heure de se retirer.

Elles se lèvent toutes.

FATT-SON.

C’est juste : j’ai beaucoup d’occupations. Des papiers qui m’arrivent, le signalement d’un mauvais sujet qu’il faut poursuivre.

EDWIN, à part.

Diable ! s’il était question de moi.

FATT-SON,

Sans adieu, mon aimable future... Décidément, sir Edwin, vous partez cette nuit ?

EDWIN.

Oui, monsieur l’Aldermann. Les chevaux sont commandés, Marie ?

MARIE.

Pour minuit, monsieur le Baronnet.

MARGUERITE, à Marie.

Allons, Marie, Fanny, voyons, ne faut-il pas tout remettre en place.

Toutes les femmes rangent la chambre, elles entrent et sortent.

EDWIN.

Attendez donc que je vous aide.

À part en sortant.

Tâchons de profiter de ces derniers instants... il serait plaisant de lui souffler la petite, la veille du mariage.

Il les suit.

 

 

Scène II

 

MARGUERITE, FATT-SON

 

FATT-SON, regardant partir Edwin.

Je ne suis pas fâché que ce gaillard-là parte cette nuit... il paraissait fort empressé auprès de Fanny.

MARGUERITE.

Bon, quelle idée !... un fou, un étourdi qui est amoureux de toutes les femmes... moi-même si j’avais voulu l’écouter...

FATT-SON.

Bah ! vous ne le connaissez pas, et avec son air de rester huit jours à la ferme pour rétablir sa santé.

Air du Petit Courrier.

Il devait partir sans retour,
Et, depuis un mois, il diffère ;
Ce baronnet, la chose est claire,
N’est plus malade que d’amour.
De plaire, en cette conjoncture,
Il compte trouver le moyen ;
Que Fanny cède, et je vous jure,
On verra qu’il se porte bien.

Enfin il s’en va cette nuit, bon voyage.

MARGUERITE.

Tenez, M. Fatt-son, je vous le dis tout net, c’ que vous me faites faire là c’ n’est pas c’ que j’avais promis au père de Fanny, lorsqu’il est parti pour les îles avec son neveu l’officier de marine.

FATT-SON.

Chut donc, dame Marguerite, n’allez-vous pas mettre toute la maison dans la confidence. De quoi s’agit-il ? voyons ; d’une jeune fille et d’une grande fortune... eh bien ! je les prends sous ma protection, et la seule manière de les sauver toutes deux, c’est que j’épouse la jeune fille et la grande fortune.

MARGUERITE.

Pourquoi ne pas déclarer d’abord à Fanny qu’elle est fille naturelle de feu...

FATT-SON.

Chut donc, ah ! ben oui, la tête lui tournera ; l’amour propre, l’orgueil lui souffleront mille sottises, les galants arriveront, elle se laissera séduire par quelque freluquet et puis moi spes et fortuna valete, c’est-à-dire, adieu panier, vendanges sont faites. Une fois le mari de Fanny, j’ai en main tous les papiers, je récompense votre zèle, votre discrétion en vous assurant la propriété de cette ferme ; c’est quelque chose, je crois.

MARGUERITE.

Dame, vous en savez plus que moi là-dessus.

FATT-SON.

C’est certain, qu’est-ce que je cherche là-dedans, moi ? le bonheur de tout le monde, utile dulci, c’est-à-dire : qu’il est doux d’être utile !

MARGUERITE.

Ainsi les deux mille livres sterling que vous deviez lui remettre le jour de son mariage.

FATT-SON.

Chut donc... on pourrait nous entendre. Allons, je pars, à demain, je serai ici de bonne heure.

MARGUERITE.

Eh ! bon dieu ! comment allez-vous faire, la neige tombe à gros flocons.

FATT-SON.

Je n’ai que la cour à traverser, bonsoir, dame Marguerite.

MARGUERITE.

Bonsoir, monsieur l’aldermann. Attendez donc, que je vous éclaire.

FATT-SON.

C’est inutile, ne vous dérangez pas... Fiat lux : il fait clair de lune.

Il sort.

 

 

Scène III

 

MARGUERITE, seule

 

Ce que c’est que les gens d’esprit pourtant... ils ont une manière d’envisager les choses !... moi qui me faisais des reproches ! il est vrai que j’ai oublié de lui parler de certain collier...

On frappe à la porte, et après une ritournelle, on entend le couplet suivant.

Tous les personnages précédents sont en scène, hors l’Aldermann.

JOHN GOOD, en dehors.

Air nouveau de Blongini.

Premier couplet.

Du voyageur
Écoutez la prière :
Bon Écossais, sous son toit protecteur
Donne toujours asile à la misère,
Et son bienfait se grave au fond du cœur
Du voyageur.

MARGUERITE.

Encore quelque mendiant ! on ne voit que cela toutes les nuits.

JOHN GOOD, en dehors.

Second couplet.

En voyageur,
Je parcours cette vie ;
Des noirs autans je brave la rigueur,
Suis mon chemin sans regret, sans envie,
Et du hasard j’attends tout mon bonheur,
Eu voyageur.

MARGUERITE.

Fanny, voyez donc ce que c’est.

JOHN GOOD, en dehors.

La ferme de Noven-hall.

FANNY, à la fenêtre.

C’est ici.

MARGUERITE.

Eh bien ?

FANNY.

C’est un pauvre homme qui réclame l’hospitalité.

MARGUERITE.

Fais-le entrer.

FANNY, ouvrant la porte.

Par ici, Monsieur.

 

 

Scène IV

 

MARGUERITE, MARIE, FANNY, EDWIN, JOHN GOOD, un gros bâton à la main et couvert d’un long manteau qui cache son costume

 

MARIE.

Ah ! mon dieu ! son manteau est tout couvert de neige.

MARGUERITE.

Fanny, donnez une chaise près du feu.

JOHN GOOD, à part.

Fanny... c’est bien elle.

Haut.

Grand merci, ma belle demoiselle.

MARGUERITE.

Vous n’voulez sans doute que vous réchauffer, vous reposer un moment.

JOHN GOOD.

Pardon, ma bonne dame, je marche depuis ce matin, par un temps affreux ; j’espère que vous ne me refuserez pas une chambre pour cette nuit.

MARGUERITE.

Une chambre !... Eh bien ! voilà comme ils sont tous d’une exigence... Qu’en dites-vous, sir Edwin ?

JOHN GOOD, à part.

Sir Edwin !... Ah ! ah ! je suis en pays de connaissance.

EDWIN.

Renvoyez-le : le drôle m’a tout l’air d’un mauvais sujet.

JOHN GOOD, se chauffant.

Ah ! mon cher monsieur, un peu plus de charité pour vos semblables.

EDWIN, étonné.

Hein ?

JOHN GOOD.

En un mot, je suis étranger, et vous, écossais.

Air de la Sentinelle.

La sainte loi de l’hospitalité
Dans ce pays, ainsi qu’au mien, préside ;
Et ce beau droit dans nos cœurs respecté,
Des malheureux partout devient l’égide
Chez nous vos frères, vos amis,
Sont accueillis par nos lois tutélaires ;
De pareils droits me sont acquis,
Et vous devez, dans ce pays,
Payer la dette de vos frères.

FANNY.

Vous avez donc fait une longue route ?

JOHN GOOD.

Oui, ma belle demoiselle. Mais je ne m’en plains pas : Je n’a entrepris ce voyage, que pour secourir quelqu’un qui m’est bien cher.

EDWIN.

Si vous l’écoutez, il vous contera dix histoires plus étonnantes les unes que les autres.

FANNY.

Finissez donc, monsieur Edwin, ce pauvre homme m’intéresse.

MARGUERITE.

Mesdemoiselles, il est tard. Pour vous, puisqu’il n’y a pas moyen de faire autrement, passez dans cette salle : vous y trouverez tout ce qui est nécessaire pour un voyageur de votre espèce ; une botte de paille, une escabelle. Fanny y joindra un morceau de pain et un pot de bière.

FANNY.

Oui, maman.

MARGUERITE.

Mais, que demain à la pointe du jour, je ne vous retrouve pas chez moi... Marie, conduisez-le.

MARIE.

Venez, Monsieur.

JOHN GOOD.

Bonsoir, bonne dame, la grâce avec laquelle vous donnez l’hospitalité, en double le prix, et je vous promets de ne pas m’éloigner, sans vous laisser des marques de ma reconnaissance.

Il entre dans la chambre, Marie l’éclaire ; Fanny sort du cabinet, et rentre dans sa chambre, qui est vers le fond.

 

 

Scène V

 

MARGUERITE, EDWIN, LES SERVANTES, qui rangent çà et là

 

MARGUERITE.

Il a encore l’air de se moquer de moi !... Ah çà ! monsieur Edwin, vous allez partir ?

EDWIN, qui a vu Fanny rentrer chez elle.

Il le faut bien.

À part.

Allons, c’est décidé, je ne trouverai pas un moment pour lui parler en secret.

 

 

Scène VI

 

MARGUERITE, EDWIN, MARIE, accourant, son bougeoir à la main

 

MARIE, à demi-voix.

Maman, maman, nous sommes perdues... Cet étranger.

MARGUERITE, effrayée.

C’est un voleur ?

MARIE.

Ah ! si ce n’était que cela.

TOUTES LES FEMMES.

Ah mon Dieu !

MARIE.

Je n’ai plus la force de me soutenir.

MARGUERITE.

Voyons, qu’est-ce que c’est donc ?

MARIE.

L’homme vert.

TOUTES.

L’homme vert !

MARGUERITE.

Pas possible.

MARIE.

Je l’ai reconnu, vous dis-je. Il était comme ça, devant moi ; il a ôté son manteau, pour le faire sécher : vert des pieds jusqu’à la tête. Il m’a pris tout d’ suite un frisson, un tremblement !...

EDWIN, riant.

Et tu t’es sauvée bravement ?

MARIE.

Tiens, je me suis fait prier... Pendant qu’il avait l’ dos tourné, zeste...

Air : Adieu, je vous fuis.

Allez, croyez-moi, j’ons du cœur,
Mais je crains la sorcellerie ;
Et lorsque j’ons vu sa couleur,
Bravement je me suis enfuie.
Mon effroi n’s’rait pas si grand
Si c’ n’était qu’un homme ordinaire :
On veut savoir, en s’ défendant,
À qui l’on peut avoir affaire.

MARGUERITE.

Qu’allons-nous devenir ?

MARIE.

Chut donc, s’il vous entendait.

MARGUERITE.

Ah ! mes pauvres enfants, je ne dormirai pas de la nuit.

MARIE.

Je le crois bien, avec un pareil hôte !

EDWIN.

N’est-ce que cela ? Attendez, je vais bien le faire déguerpir.

Il va à la porte du cabinet, on entend fermer les verrous en dedans.

MARGUERITE.

Allons, il ferme les verrous, il n’y a plus moyen. Ah ! mon Dieu ! avoir le diable chez soi !... Monsieur Edwin, je vous en prie, rendez-moi un service, mais un service essentiel. Ne partez pas cette nuit.

EDWIN.

Très volontiers ; comment donc, je ne demande pas mieux.

À part.

Ah ! parbleu, si je pouvais profiter...

Haut.

C’est décidé, dame Marguerite, je reste dans cette chambre ; je serai votre garde avancée, ainsi n’ayez pas peur.

Air : Vaudeville du Secret de Madame.

Que le calme rentre en vos âmes ;
En paix vous pouvez sommeiller :
C’est por le service des dames,
Que j’aime surtout à veiller.

Je ris du démon, de ses trames,
Je redoute peu son abord ;
Mais je sens bien qu’avec des femmes,
Le diable est toujours le plus fort.

ENSEMBLE.

Que le calme rentre en { vos âmes ;
                                      { nos
En paix { vous pouvez sommeiller ;
             { nous pouvons
C’est pour le service des dames
Que j’aime } surtout à veiller.
Qu’il aime  }

MARIE, à part.

Tâchons de voir si Williams est déjà dans la petite cour ?

Elle feint de suivre sa mère et s’échappe par la droite. Toutes les femmes sortent à gauche, elles laissent une lampe sur la table. Il fait nuit.

 

 

Scène VII

 

EDWIN, seul

 

C’est charmant ! on me retient malgré moi... D’honneur, cette petite Fanny me fera devenir fou... Je comptais pour tant bien ne pas partir seul cette nuit, impossible !... Il faut y renoncer : cette petite est d’une réserve, d’une vertu, pas la moindre éducation... Renvoyons d’abord mon postillon.

Il va au fond.

Williams, Williams... le coquin se sera endormi sur son cheval, Williams.

 

 

Scène VIII

 

EDWIN, WILLIAMS

 

Williams entre par une porte de côté qui ouvre sur une cour.

WILLIAMS.

Vous m’appelez, sir Edwin, est-ce pour seller les chevaux ?

EDWIN.

Je ne pars plus.

WILLIAMS.

Ah !... Il y a un changement de manœuvre.

EDWIN.

Tu peux t’en retourner à la poste. Demain... Un moment... Oh ! l’excellente idée... L’arrivée de ce prétendu sorcier... Le pouvoir qu’il a sur l’esprit de ces bonnes gens... Écoute, Williams, es-tu prêt à me seconder ?

WILLIAMS.

C’est selon ; c’est que tout n’est pas bénéfice avec vous... et depuis votre séjour ici, je me suis repenti plus d’une fois de vous avoir servi.

EDWIN.

Comment maraud !

WILLIAMS.

Écoutez donc ?

Air : Fidèle ami de notre enfance.

On me cherchait toujours chicane,
Lorsque l’amour vous couronnait ;
Je recevais cent coups de canne,
Pour un baiser qu’on vous donnait.
J’agissais pour vous près des dames,
Mais de nos exploits réunis,
Vous étiez payé par les femmes,
Moi, je l’étais par les maris.

EDWIN.

Vingt guinées à gagner.

WILLIAMS.

C’est différent, je suis prêt.

EDWIN.

Les chevaux tout bridés sous le petit hangar.

WILLIAMS.

C’est déjà fait.

EDWIN.

Toi, à deux pas d’ici...

WILLIAM5,

Dans la petite cour,

EDWIN.

Soit. Je te dirai le reste quand il en sera temps. À ton poste, et ne t’impatiente pas.

WILLIAMS.

Ah ! mon dieu ! not’ bourgeois, ne vous pressez pas. Pardi, comme çà se rencontre ! Marie m’a fait signe qu’elle pourrait causer avec moi par sa fenêtre... Eh ! vite un picotin à mes chevaux, et puis en avant la conversation sentimentale, pendant qu’la maman dort. Bonne chance, mon Gentleman.

 

 

Scène IX

 

EDWIN, seul

 

Bien, sa chambre est là !

Il regarde.

Encore de la lumière... Elle se désole sans doute, elle pense à son imbécile de futur... Voyons d’abord monsieur l’Homme vert, et mettons le fripon dans mes intérêts.

Il frappe à la porte de John Good.

 

 

Scène X

 

EDWIN, JOHN GOOD, vêtu en vert

 

JOHN GOOD.

Qui va là ?

EDWIN.

Un mot, et parlons bas.

JOHN GOOD, à part.

Sir Edwin.

EDWIN.

Approche ici et écoute-moi : je ne suis pas dupe de ta prétendue diablerie... Tu sens bien que l’Homme vert ne peut pas m’effrayer !... Tu es un maraud qui abuse de la crédulité de ces bons montagnards... Tu fais ton métier, et je te passe toutes tes fourberies, parce qu’elles peuvent m’être utiles.

JOHN GOOD, à part.

Je le vois venir.

EDWIN.

Ton métier est de tromper les hommes, le mien...

JOHN GOOD.

Est de tromper les femmes.

EDWIN.

Je suis amoureux pour la vie.

JOHN GOOD.

Oui, pour une quinzaine de jours.

EDWIN.

D’une petite paysanne.

JOHN GOOD.

La jeune Fanny.

EDWIN.

C’est cela.

JOHN G00D,

On la marie demain.

EDWIN.

À un sot.

JOHN GO0D.

Et vous voulez prendre sa place.

EDWIN.

Fi donc !... Une paysanne ! on ne l’épouse pas.

JOHN GOOD.

Mais on l’enlève.

EDWIN.

Précisément.

JOHN GOOD.

Vous comptez sur mes services ?

EDWIN.

Qui seront bien payés.

JOHN GOOD.

Vous voulez que je profite de l’influence que me donne ma grande réputation, pour décider la jeune personne à vous suivre ?

EDWIN.

Tu entends les choses à ravir.

JOHN GOOD.

La récompense ?

EDWIN.

Cent guinées.

JOHN GOOD.

C’est beaucoup... Le gage ?

EDWIN.

Ma parole.

JOHN GOOD.

C’est bien peu.

EDWIN.

Comment coquin !

JOHN GOOD.

Si vous me donniez un petit engagement sur votre château de Taylor.

EDWIN, très surpris.

De Taylor !

JOHN GOOD.

Mais non, vos créanciers se le disputent, et depuis votre retour des îles, vous n’y avez pas paru.

EDWIN.

Mon retour des îles... Le fripon est plus instruit que je ne croyais.

JOHN GOOD.

Ah ! çà, Sir Taylor, j’ai eu la complaisance d’entendre votre projet, vous aurez la bonté d’écouter le mien et de vous y soumettre.

EDWIN.

Quel ton singulier !

JOHN GOOD.

La jeune Fanny m’occupe aussi.

EDWIN.

Ah ! ah ! mon drôle !

JOHN GOOD.

Son mariage avec l’Aldermann ne se fera pas, j’ai d’autres vues sur elle.

EDWIN.

D’autres vues !

À part.

J’entends, le coquin veut que je double la somme.

Haut.

Sois tranquille, nous nous entendrons.

JOHN GOOD.

Mais il faudrait se dépêcher.

EDWIN.

Ma chaise de poste est dans le village... Toi, tu te charges de décider la petite.

JOHN GOOD.

C’est l’affaire d’un instant ; mais je n’ai plus qu’une crainte

EDWIN, riant.

Celle de la justice... Il est certain que tu fais un métier qui te mène droit à la potence : mais je te protège... ainsi...

JOHN GOOD.

J’entends, j’irai un peu plus vite.

EDWIN.

Mais ce coquin est d’une insolence...

JOHN GOOD.

Comment, vous oubliez donc aussi que tous les constables du royaume portent sur eux votre signalement ; que vous êtes poursuivi...

EDWIN, confondu.

Par un créancier unique... C’est vrai ; comment sait-il...

JOHN GOOD, l’imitant.

Vous faites un métier qui peut vous mener loin... Mais je pourrai vous protéger.

EDWIN.

Quel diable d’homme es-tu donc ?

JOHN GOOD.

L’Homme vert, et rien de plus.

EDWIN.

Je m’y perds, en honneur, et ne puis concevoir...

Avec étourderie.

Mais, que m’importe après tout, je ne veux songer qu’à ma charmante Fanny, sa chambre est là.

JOHN GOOD.

Je le sais.

EDWIN,

Mon postillon...

JOHN GOOD.

Dans la petite cour.

EDWIN, riant.

Il sait tout... Je cours au bout du village, chez un vieux juif, qui me prêtera l’argent nécessaire. Convenons d’un signal : trois coups dans la main, quand la chaise de poste sera en bas.

JOHN GOOD.

Trois coups dans la main.

EDWIN.

Tu es un homme charmant. Mais garde-toi de me tromper, ou, morbleu ! tes sortilèges ne te garantiraient pas contre ma colère.

Air : Tu vas changer de costume.

Je pars de suite et reviens à l’instant
Voir l’effet de ton stratagème ;
Mais songe bien, mon cher, en me servant,
Que tu te serviras toi-même.

Si de mon plan, par ton heureux effort,
J’obtiens ici la réussite,
J’aurai Fanny, toi les cent pièces d’or...

JOHN GOOD.

Chacun aura ce qu’il mérite.

Ensemble.

EDWIN.

Je pars de suite, etc.

JONH GOOD.

Partez de suite et rentrez à l’instant
Voir l’effet de mon stratagème ;
Je sais fort bien, monsieur, qu’en vous servant,
Je saurai me servir moi-même.

Edwin sort.

 

 

Scène XI

 

JOHN GOOD, seul

 

Oh ! il s’agit tout simplement d’un enlèvement, et la pauvre Fanny... Eh ! mais la porte s’ouvre, c’est elle même... Serait-elle d’intelligence avec ce jeune fou ? Observons ses démarches.

Il se retire de côté.

 

 

Scène XII

 

JOHN GOOD, FANNY, un petit paquet à la main

 

FANNY, sans voir John Good.

Comme le cœur me bat ! Je n’ai que ce moyen d’échapper aux persécutions ; le ministre de Noven-hall m’a promis de me recevoir... Ah mon Dieu ! si quelqu’un me voyait !

Elle va pour sortir, et se trouvé près de John Good.

Ô ciel !

JOHN GOOD.

Chut ! rassurez-vous.

FANNY.

Ne m’approchez pas, je vous prie.

JOHN GOOD, avec douceur.

Ne craignez rien... Vous vouliez fuir l’Aldermann...

FANNY.

Hélas ! oui... J’ai tort sans doute : je suis sans fortune, sans famille ; mais je ne puis cependant supporter l’idée d’appartenir à ce vilain homme.

JOHN GOOD.

Le Baronnet vous effrayait aussi ?

FANNY.

Sans doute, et j’avais résolu...

JOHN GOOD.

De profiter de la nuit, pour vous retirer chez le pasteur qui vous a offert un asile.

FANNY.

Comment ! vous avez deviné !... Eh bien ! si vous n’êtes pas aussi méchant qu’on le dit, laissez-moi exécuter mon projet.

JOHN GOOD.

Rien ne presse.

FANNY, vivement.

Est-ce que vous espérez attendrir monsieur l’Aldermann ?

JOHN GOOD.

Non, c’est impossible.

FANNY.

Vous voulez peut-être faire entendre raison à madame Marguerite ?

JOHN GOOD.

Non, çà ne se peut pas.

FANNY.

Oh ! alors, permettez que je parte.

JOHN GOOD.

Fanny, vous ne sortirez pas ; je vous le défends.

Doucement.

Je vous en prie, je vous parle au nom d’un père chéri.

FANNY.

De mon père !

JOHN GOOD.

Il ne m’a fallu qu’un instant pour apprécier votre douceur, votre âme bonne et sensible. Dès ce moment je vous prends sous ma protection ; oui, Fanny, je veux votre bonheur, et je vais songer à l’assurer. Mais, j’attends ici quelqu’un.

Air : Goûtons sans bruit. (Diable à quatre.)

Rentrez sans bruit, tandis que tout sommeille,
Moi je reste ici sans témoins ;
Sur vos destins l’amitié veille :
Comptez sur mon zèle et mes soins.

FANNY.

Mais songez bien que l’on m’ordonne
De l’épouser demain matin.

JOHN GOOD.

Ma chère Fanny, dès demain,
N’obéira plus à personne.

FANNY, reprenant son paquet qu’elle avait posé sur une chaise.

Rentrons sans bruit, tandis que tout sommeille,
Je vous laisse ici sans témoins ;
Puisque pour moi l’amitié veille,
Je veux tout devoir à ses soins.

JOHN GOOD.

Rentrez sans bruits, etc.

 

 

Scène XIII

 

JOHN GOOD, FANNY, MARGUERITE, une lampe à la main

 

MARGUERITE.

Voyons donc si monsieur Edwin.

Elle les voit.

Miséricorde ! ce maudit homme, et Fanny avec lui.

JOHN GOOD.

Vous venez à propos, madame Marguerite.

MARGUERITE.

Fanny... Fanny... Passez de ce côté.

Elle aperçoit son paquet.

Que vois-je ! vous vouliez fuir de la maison !...

JOHN GOOD.

Sans moi elle serait déjà loin.

FANNY.

Il est vrai, ce mariage.

JOHN GOOD.

Mais je lui ai promis que l’Aldermann ne serait pas son époux... C’est une affaire convenue, et elle reste.

MARGUERITE.

Elle n’épousera pas l’Aldermann. En vérité, je ne sais où j’en suis

Air : Ces postillons.

Ah ! c’est trop loin pousser l’impertinence,
Et mon effroi fait place à la fureur ;
Je le sens bien, dans cette circonstance,
Le diable ne me fait pas peur.

JOHN GOOD.

Oui, vous avez raison, ma chère,
Car s’il vous voyait en courroux,
Franchement je crois au contraire,
Qu’il aurait peur de vous.

MARGUERITE.

Ah ! c’est trop fort !

Elle appelle.

Marie, Charlotte, Christine, Marie.

 

 

Scène XIV

 

JOHN GOOD, FANNY, MARGUERITE, MARIE, LES SERVANTES DE FERME, qui arrivent en désordre

 

MARIE.

Qu’est-ce donc ma mère ?

Toutes les femmes aperçoivent John Good ; elles jettent un cri, se cachent la figure et se précipitent auprès de Marguerite.

MARGUERITE.

Ma fille, cours chercher l’Aldermann, envoie-nous du secours... Le diable s’est emparé de la ferme, il voulait enlever Fanny, il nous enlèvera toutes si on n’y met ordre.

JOHN GOOD.

Oh ! non, dame Marguerite, je ne pense pas à vous en lever,

Avec malice.

en attendant que l’Aldermann vienne vous défendre, Marie peut faire monter le postillon Williams.

MARGUERITE.

Comment, Williams est ici !... Au milieu de la nuit, qu’est-ce que cela signifie ?

MARIE, embarrassée.

Maman, je cours chercher monsieur l’Aldermann.

Elle sort.

 

 

Scène XV

 

JOHN GOOD, FANNY, MARGUERITE

 

MARGUERITE.

Ah ! mes pauvres enfants, si nous réchappons de celle-là.

JOHN GOOD, avec une grande tranquillité.

Allons, allons, dame Marguerite, je vois que la chose est sérieuse... L’Aldermann va venir, vous espérez pour le moins me faire pendre, il est temps que je songe à moi ? je vais me coucher, bonsoir.

Il entre dans sa chambre.

 

 

Scène XVI

 

FANNY, MARGUERITE

 

MARGUERITE.

Décidément, il finira par me chasser de ma maison.

À Fanny.

Et vous, mademoiselle, n’avez-vous pas de honte de votre conduite.

 

 

Scène XVII

 

FANNY, MARGUERITE, WILLIAMS, s’avançant au fond du théâtre

 

WILLIAMS.

Marie n’y est plus, il faut sortir.

Voyant qu’on l’aperçoit, il s’écrie.

Ohé, mon gentleman, ohé !

MARGUERITE, à part.

Allons, il savait encore celle là.

À Williams.

Ah çà, dis-moi, coquin, d’où viens-tu ?

WILLIAMS.

Moi ; je ne viens pas, j’attends. Ah ça ! dites donc mais vot’ maison est sens dessus dessous, à ce qu’il paraît.

MARGUERITE.

Comment t’y trouves-tu ?... toi.

WILLIAMS.

J’attends mon voyageur.

MARGUERITE.

Pourquoi n’attendais-tu pas à la porte, au lieu d’être là sous la croisée ?

WILLIAMS.

C’est que c’est plus gai.

MARGUERITE.

Allons, tout est bouleversé. Faut-il que nous l’ayons reçu ici ?

WILLIAMS.

Et qui ?

MARGUERITE.

Parbleu ! l’Homme vert.

WILLIAMS.

L’Homme vert.

Riant.

Comment, vous croyez a ce vieux conte.

MARGUERITE.

Si j’y crois, il est ici.

WILLIAMS.

Ici !

MARGUERITE.

Dans cette chambre.

WILLIAMS.

Et c’est çà qui vous embarrasse, attendez... j’ m’en vais parler au particulier, moi, j’suis un luron qui ne craint pas l’ grimoire, quand on a fait cinq ans la guerre.

Air : Je loge au quatrième étage.

Oui, malgré toute son audace,
Faudra qu’il aill’ droit son chemin,
Puisque c’démon vous embarrasse,
Je vais vous le mener grand train.
La chose n’est pas mal aisée,
Et pour tirer l’affaire au clair,
D’un temps d’ galop, par la croisée,
Je renverrai l’ diable en enfer.

 

 

Scène XVIII

 

FANNY, MARGUERITE, WILLIAMS, L’ALDERMANN, MARIE

 

MARIE.

V’là monsieur l’Aldermann.

L’ALDERMANN, entrant.

Eh ! bien, eh ! bien, j’en apprends de belles... Mais c’est une horreur, dame Marguerite, vous souffrez qu’un intrigant, un imposteur, bouleverse tout le village.

MARGUERITE.

Nous n’espérons qu’en vous, monsieur l’Aldermann, imaginez-vous que le coquin se flatte de nous enlever Fanny ; qu’il ose se vanter de rompre vot’ mariage.

L’ALDERMANN.

Rompre mon mariage ! alors nous allons nous amuser... Mes enfants, je suis enchanté que vous soyez tous rassemblés. Il y a dix ans que je n’ai trouvé l’occasion de faire pendre un fripon, vous comprenez, çà ne sera pas long.

WILLIAMS.

Pardi, monsieur l’Aldermann... j’étais déjà en train... Laissez-moi faire, je vais vous l’amener pieds et poings liés.

L’ALDERMANN.

À la bonne heure. Cedant arma togœ. Ce qui veut dire : il ne faut pas qu’un magistrat se compromette.

À Williams.

conduisez ici le délinquant.

WILLIAMS, frappant à la porte.

Oh : je n’ le ménagerai pas, allons debout, monsieur l’homme de bien.

FANNY, à part.

Pauvre homme, que va-t-il devenir ?

 

 

Scène XIX

 

FANNY, MARGUERITE, WILLIAMS, L’ALDERMANN, MARIE, JOHN GOOD

 

JOHN GOOD, paraissant.

Quel bruit !

WILLIAMS, d’abord avec assurance.

Avance coquin, avance, ton compte sera bientôt fait.

Il l’envisage et s’écrie.

Ah ! mon dieu !

L’ALDERMANN.

Qu’as-tu donc ?

MARGUERITE.

Qui t’arrête.

WILLIAMS, tout honteux à John Good.

Oh ! pardon, excuse, monsieur, si j’avais su...

L’ALDERMANN.

Eh ! bien, voyons, arrête-le donc.

WILLIAMS, à l’Aldermann.

Ah ! bien oui, laissez donc, je m’en garderai bien, je vais arrêter un homme qui m’a donné hier deux guinées pour boire.

L’ALDERMANN.

Comment cela ?

WILLIAMS.

Eh ! oui, j’ l’ai conduit, pas plus tard qu’hier, du port voisin, dans une voiture à six chevaux.

TOUS.

Une voiture à six chevaux.

WILLIAMS.

Vous voyez bien que ça ne peut pas être un fripon.

L’ALDERMANN.

Une voiture à six chevaux... n’ vas donc pas si vite... Ah ? ça, voyons après tout, que diable tes six chevaux et tes deux guinées font-ils à la chose... Il serait joli qu’un magistrat fût ébloui par des considérations auri sacra fames ! C’est-à-dire, tout ce qui reluit n’est pas or... Il n’offre rien pour arrêter la procédure. Ergo... Je marche en avant Approchez, mon gentilhomme.

WILLIAMS.

Mais, monsieur l’Aldermann...

L’ALDERMANN.

Silentium. Qu’on se taise.

JOHN GOOD.

Permettez, monsieur l’Alderman, je prévois que notre conférence sera un peu longue, j’ai quelques dispositions à prendre... Un mot, Williams.

WILLIAMS.

Je suis à vos ordres.

L’ALDERMANN, avec importance.

Williams, par toute l’autorité que j’ai sur vous... je vous défends d’obéir au susdit quidam.

JOHN GOOD.

Williams, par toute l’autorité que vous me connaissez, je vous ordonne d’exécuter à l’instant ce que je vais vous prescrire.

Il lui glisse une bourse dans la main, et lui parle bas à l’oreille.

L’ALDERMANN.

Oh ! celui-là est fort, par exemple... Sous mes yeux... Coram populo. J’espère bien empêcher...

MARGUERITE.

Vous n’avez pas d’idée de son impudence.

WILLIAMS, répondant à John Good.

Soyez tranquille... Je vais prendre un de mes chevaux et j’y cours...

Il va pour sortir.

L’ALDERMANN.

Williams, vous m’avez entendu.

Air : En guerre ces aventures.

Quoi ! tu te fais le complice
D’un criminel dévoilé !
Songe bien que la justice
Par ma bouche t’a parlé.

WILLIAMS, serrant la bourse.

Moi, ce n’est pas mon affaire
La justice, j’en conviens,
Parle plus haut d’ordinaire,
Mais ne parle pas si bien.

Il sort.

 

 

Scène XX

 

FANNY, MARGUERITE, L’ALDERMANN, MARIE, JOHN GOOD

 

MARIE.

Çà ne commence pas mal.

L’ALDERMANN.

C’est égal, il ne m’échappera pas... répondez, Monsieur, répondez.

JOHN GOOD.

De quoi m’accuse-t-on ?

MARGUERITE.

Il demande de quoi on l’accuse.

FANNY.

Mais dame, il faut bien qu’on lui dise le crime qu’il a commis.

L’ALDERMANN.

Silentium, vous dis-je, personne ne doit parler quand je suis là.

JOHN GOOD.

Mais enfin, Monsieur...

L’ALDERMANN.

Ah ! ce n’est rien de se faire appeler l’homme vert, de désoler depuis deux ou trois cents ans le canton et lieux circonvoisins... d’être sans feu ni lieu, d’abuser les esprits faibles, de jeter la confusion dans les familles, séduire les jeunes personnes, se moquer des gens crédules et me rire au nez.

JOHN GOOD.

Ah ! çà voyons qu’importe que mon habit soit rouge, bleu, je n’y tiens pas.

L’ALDERMANN.

Paix !... je ne vous interroge pas.

MARGUERITE.

Ajoutez que je l’ai surpris dans cette salle avec Fanny.

L’ALDERMANN.

Avec ma future.

MARGUERITE.

Au milieu de la nuit.

L’ALDERMANN.

Ô scandale !... patience nous allons entendre les témoins, parce que la justice, avec la meilleure volonté du monde, ne peut pas condamner sans savoir un peu de quoi il est question. Approchez, dame Margueritte.

MARGUERITE, passant entre l’Aldermann et John Good.

D’abord je vous dirai que je crois Fanny complice de ce vilain homme.

FANNY.

Moi, madame Marguerite... vous pourriez penser...

MARGUERITE.

V’là c’ que c’est que d’ s’attacher à des ingrats, après toutes les peines que je me suis données pour élever cette malheureuse orpheline.

JOHN GOOD, passant entre l’Aldermann et Marguerite.

Comment vous regrettez vos peines, dame Marguerite ; c’est singulier, on m’avait assuré que, chaque année, vous faisiez une visite à Edimbourg qui vous valait cinquante guinées.

MARGUERITE.

Comment ?

JOHN GOOD.

On m’avait même parlé d’un certain collier que vous avez dû recevoir et qui avait une destination.

MARIE.

Qu’est-ce que c’est donc, maman ?

MARGUERITE.

Rien, rien...

À part.

Je suis perdue si l’Aldermann apprend...

L’ALDERMANN.

Enfin, dame Marguerite, vous les avez surpris.

MARGUERITE, avec crainte et regardant John Good.

Oui... c’est-à-dire... ils causaient tranquillement... et je lui dois cette justice... que... d’ailleurs... j’étais troublée... l’effroi... j’aurai sans doute mal vu... du reste voilà tout ce que je sais.

L’ALDERMANN, surpris.

Ah ça, êtes-vous folle ?... Quel diable de galimatias... et vous, Marie, vous étiez présente.

MARIE.

Oui, monsieur l’Aldermann... et j’n’aurais jamais cru Fanny capable de s’oublier à ce point.

JOHN GOOD, ironiquement et à voix basse.

C’est vrai, c’est affreux !... il vaut bien mieux causer avec son amant par la croisée de la petite cour.

MARIE, très surprise.

Comment ?

Haut.

Monsieur l’Aldermann... d’abord ; moi, je n’ai fait que passer dans cette salle, je n’ai rien vu... ainsi ne me faites pas dire ce que je n’ sais pas.

L’ALDERMANN.

À l’autre, maintenant.

MARIE, bas à ses compagnes.

N’ vous avisez pas d’ parler, au moins, cet homme-là sait tout, et si vous avez un amoureux en cachette.

L’ALDERMANN.

Oh ! je saurai la vérité...

Aux femmes.

À vous, Mesdemoiselles ; parce que testis unus... c’est-à-dire, qui n’entend qu’une cloche...

LES FEMMES, ensemble.

Oh ! nous n’avons rien vu, monsieur l’Alderman... rien absolument.

L’ALDERMANN.

Comment toutes... se moque-t-on de moi, s’il vous plaît... mais je ne suis pas timide, je ne me laisse pas effrayer, et pour commencer, je vais le faire conduire en prison.

JOHN GOOD.

En prison !

L’ALDERMANN.

Oui, Monsieur, comme imposteur, vagabond, sorcier, et cætera, et cætera.

JOHN GOOD.

C’est une plaisanterie ?

L’ALDERMANN.

Je ne suis pas plaisant, et vous irez sur-le-champ... à moins qu’une caution, suivant la loi, ne dépose entre mes mains la somme nécessaire...

JOHN GOOD.

Ne dépose, c’est juste ; vous aimez beaucoup les dépôts, monsieur l’Aldermann.

L’ALDERMANN.

Qu’est-ce que c’est ?

JOHN GOOD.

C’est que c’est une chose fort délicate, et en pareil cas il faut avoir la mémoire très fidèle ; car si, par exemple, on allait déposer entre vos mains deux mille livres sterling.

L’ALDERMANN.

Hein ! comment, deux mille livres sterling ?

JOHN GOOD.

Ah ! je dis deux mille livres... la première somme venue, enfin.

L’ALDERMANN, troublé.

Comment... comment... Monsieur...

Aux autres personnages.

Éloignez-vous un peu, je crois qu’il veut me faire des aveux.

Bas à John Good.

Voyons, Monsieur, qu’entendez-vous par ces paroles ambigües ?

JOHN GOOD.

Moi, monsieur l’Aldermann... rien du tout.

L’ALDERMANN.

Si fait, si fait.

JOHN GOOD.

Ah ! c’est une vieille histoire que vous connaissez, et que je veux me donner le plaisir de raconter à tout le monde avant d’aller coucher en prison.

L’ALDERMANN.

En prison... Soyez tranquille.

À part.

Ah ! mon dieu ! mon dieu ! où me suis-je fourré !

MARGUERITE, se rapprochant.

Eh ! bien, monsieur l’Aldermann, vous allez donc le faire conduire.

L’ALDERMANN.

Non pas... non pas... diable... il vient de me dire des choses qui changent furieusement la thèse. Allons, doucement.

Air : Vaudeville de l’Écu de six francs.

Pour ma prudence, on me renomme ;
Trop d’empressement n’est pas bon ;
J’ai vu souvent un honnête homme
Que l’on prenait pour un fripon (bis.)

JOHN GOOD, avec intention.

Oui, mon cher Aldermann, en somme,
Je crois que vous avez raison ;
 Car un jour je vis un fripon
Qu’on prenait pour un honnête homme.

L’ALDERMANN, à part.

Il m’a regardé !...

JOHN GOOD.

Monsieur l’Aldermann n’a plus de questions à me faire ?

L’ALDERMANN, avec crainte.

Dieu m’en garde, vos réponses sont d’une force... d’une précision.

MARIE.

Tiens, il n’a rien dit pourtant !

L’ALDERMANN.

Je me plais à reconnaître votre innocence, votre pouvoir...

FANNY.

Allons, on lui fait des compliments à présent, et il n’y a pas cinq minutes qu’on parlait de le pendre.

L’ALDERMANN.

Voilà le sublime de la justice.

On entend frapper trois coups dans la main.

Hein ?

MARGUERITE.

Qu’est-ce que cela ?

JOHN GOOD.

Vous êtes étonnés... Mais vous qui savez si bien tout ce qui se passe, monsieur l’Aldermann, vous avez sans doute pris vos mesures ?

L’ALDERMANN.

Comment, monsieur... Est-ce qu’il y aurait du danger... J’avoue que je ne sais comment expliquer ce bruit à pareille heure.

JOHN GOOD.

Du danger ? oh ! non il s’agit tout simplement d’enlever votre future.

FANNY.

Moi !

L’ALDERMANN.

Ah ! par exemple c’est un peu fort.

JOHN GOOD.

Vous ne pourrez pas l’empêcher.

L’ALDERMANN.

Ah ! vous croyez.

JOHN GOOD.

Je vous dis qu’avant une heure elle ne sera plus en votre pouvoir.

L’ALDERMANN.

Pour le coup nous allons voir, je suis là... et quand tous les diables s’en mêleraient...

On répète le signal.

MARGUERITE.

Encore.

JOHN GOOD, à part.

Williams doit être bientôt de retour...

Il ouvre la porte qui donne sur la cour.

L’ALDERMANN.

Ah ! mon dieu ! que faites-vous donc ?

JOHN GOOD.

Chut.

Il frappe trois coups dans la main.

Cachez vous... et quand notre homme paraîtra...

L’ALDERMANN.

Oh ! je n’y vais pas par quatre chemins, soyez tranquille je m’empare du séducteur, et je vous le coffre sur-le-champ.

JOHN GOOD.

C’est çà, faites votre devoir, je vais faire le mien.

Il souffle la lumière, et s’échappe par la porte du fond. Il fait nuit.

 

 

Scène XXI

 

FANNY, MARGUERITE, L’ALDERMANN, MARIE

 

L’ALDERMANN.

Allons, il a disparu... Ah çà ! n’ayez pas peur, vous autres, au moins, et ne me quittez pas.

MARIE.

Mais quel singulier personnage !

MARGUERITE.

Air du Renégat.

Je n’entends rien à ses discours.

FANNY.

C’est un homme extraordinaire.

L’ALDERMANN.

Mais, par prudence, il faut toujours
Nous retirer avec mystère.

 

 

Scène XXII

 

FANNY, MARGUERITE, L’ALDERMANN, MARIE, EDWIN, arrivant par la porte de la cour

 

Suite de l’air.

EDWIN.

Du rendez-vous j’ai compris le signal.

L’ALDERMANN.

Ce rendez-vous pour toi sera fatal.

Ensemble.

EDWIN.

Fort bien ! grâce à mon zèle extrême,
Fanny va se rendre à mes vœux :
Je vais posséder ce que j’aime !
Ah ! c’est un homme merveilleux.

L’ALDERMANN et LES FEMMES.

Oui, par cet heureux stratagème
Je tiens } enfin notre amoureux ;
Il tient   }
Vraiment son adresse est extrême !
Ah ! c’est un homme merveilleux !
Vraiment cet homme est merveilleux !

EDWIN, appelant.

Êtes-vous là, Fanny ?

L’ALDERMANN, le saisissant.

Ah ! cette fois je le tiens ; je savais bien que je finirais par arrêter quelqu’un ?

TOUTES LES FEMMES, apportant de la lumière.

Monsieur Edwin !

L’ALDERMANN.

Edwin !

MARGUERITE.

Comment ? vous qui deviez nous défendre.

EDWIN, à part.

Au diable l’aventure.

L’ALDERMANN.

Ah ! c’est donc ça... monsieur Edwin, je m’étais toujours douté qu’il avait des projets... mais ce n’est pas moi qu’on trompe.

EDWIN.

Allons, le coquin m’a trahi.

L’ALDERMANN.

Je crois que c’est le moment de recommencer un petit interrogatoire.

EDWIN.

Allez au diable avec votre interrogatoire.

L’ALDERMANN.

Monsieur, prenez garde que je suis en fonctions... que vous êtes mon prisonnier... qu’il y a séduction, tentative de rapt... et qu’avec mon talent ordinaire, je puis faire de cela un petit procès criminel qui en vaudra bien un autre.

EDWIN.

Eh morbleu ! vous m’excédez... il s’agit bien de moi dans ce moment-ci... vous vous laissez abuser par un misérable aventurier.

L’ALDERMANN.

L’Homme vert... un moment, s’il vous plaît, monsieur, je ne le connais pas... mais c’est égal, c’est un homme fort recommandable... fort instruit, et s’il était présent, vous baisseriez le ton.

EDWIN.

Moi, si je le rencontre jamais, je lui coupe les oreilles.

 

 

Scène XXIII

 

FANNY, MARGUERITE, L’ALDERMANN, MARIE, EDWIN, JOHN GOOD, WILLIAMS, PLUSIEURS GARDES MARINES

 

WILLIAMS, qui l’a entendu.

Doucement, doucement, ne coupez les oreilles de personne ; je vous ramène vot’ sorcier et toute sa compagnie.

L’ALDERMANN.

Ah ! bon, voici du renfort.

EDWIN.

Me direz-vous, monsieur le faquin, de quel droit on ose m’arrêter ?

JOHN GOOD.

De quel droit ? oh ! vous voulez savoir... c’est juste... monsieur l’Aldermann, voyez un peu dans votre poche : il pourrait y avoir certain papier...

L’ALDERMANN.

Sans doute !... un ordre que j’ai reçu.

Il tire un papier.

JOHN GOOD.

Lisez.

L’ALDERMANN.

À la requête etc.

JOHN GOOD.

Passez, allez au signalement.

L’ALDERMANN, regardant alternativement le papier et Edwin.

Hum ! hum ! que vois-je ? mais c’est là mon homme, et moi qui l’avais sous la main.

EDWIN.

Je suis pris.

L’ALDERMANN.

Ah ! vous ne payez pas vos dettes, et vous voulez enlever nos jeunes filles... en prison, moi, je ne connais que ça, en prison.

EDWIN.

Des dettes, moi ?

L’ALDERMANN.

Eh !  parbleu ! je sais lire... À la requête de la famille de lord Selmour, justement à notre ancien seigneur... ça me regarde ; en prison sur le champ.

EDWIN.

En prison... un gentilhomme, un baronnet !

JOHN GOOD.

Il n’y aurait qu’une circonstance qui pourrait vous sauver.

L’ALDERMANN.

Ah ! à la bonne heure... s’il y a une circonstance.

JOHN GOOD.

Si, par exemple, la personne chargée de vous arrêter avait mérité elle-même de l’être.

L’ALDERMANN.

Comment ? comment ?

JOHN GOOD.

C’est une supposition.

L’ALDERMANN

Ah ! çà, entendons-nous, que diable, vous embrouillez les choses, il n’est pas question de moi.

JOHN GOOD.

Peut-être, il est temps de rendre justice à tout le monde ; écoutez-moi : Il existe dans ce village une jeune fille qui ignore sa naissance et son nom ; son père, confiant dans la délicatesse d’un magistrat, dans la reconnaissance d’une femme qu’il avait comblés de ses bienfaits, leur a laissé des droits dont ils ont abusé. Éloigné de sa fille, ce bon père a jeté sur elle, à son dernier jour, un regard de tendresse ; il avait en Amérique un ami fidèle, un neveu qui lui devait tout. Il lui assura une partie de sa brillante fortune à la seule condition de passer les mers et de venir défendre les droits de sa fille. Cette aimable personne est l’héritière reconnue de Lord Selmour, ses arrêts dans l’étendue de Noven-hall deviennent sacrés. C’est à elle de décider du sort de ceux qui l’ont si cruellement trompée, Prononcez, miss Selmour.

TOUS.

Miss Selmour !

FANNY.

Miss Selmour !... Monsieur, pourquoi vous jouer ainsi de moi.

JOHN GOOD.

Non, Fanny, je ne vous abuse point, et si vous craignez de leur faire connaître leur sentence, je me charge de ce soin.

FANNY.

Comment, il se pourrait... Mais s’il est vrai que mon nouveau sort ne soit point un rêve, je ne veux pas être seule heureuse.

JOHN GOOD.

Lord Selmour vous avait bien imposé une petite condition, celle d’épouser la personne qui vous remettrait vos biens... Mais en conscience, je ne puis espérer...

FANNY.

Au moins, monsieur, dites-moi à qui je dois tant de bonheur, qui êtes-vous, enfin ?

JOHN GOOD.

Un diable, un original, dont l’habit est bien effrayant ; mais je ne l’avais pris que pour m’assurer du véritable état des choses, et vous faire rentrer dans tous vos biens. Vous voilà heureuse, je le quitte : ne voyez plus en moi que l’ami du lord Selmour, votre cousin, qui n’attend rien que de vous seule.

Il jette son manteau vert, et parait en officier.

MARIE.

Est-ce qu’il ne m’arrivera pas un homme vert, à moi ?

EDWIN.

J’avais bien choisi mon confident !

FANNY.

Je sens qu’il ne me sera pas plus difficile d’obéir à mon père, que d’accepter ses bienfaits.

L’ALDERMANN.

C’est ça, finis coronat opus ; c’est à dire, tôt ou tard la vertu est récompensée.

WILLIAMS, à Marguerite.

Eh bien ! dame Marguerite, vous qui vouliez renvoyer l’Homme vert.

Vaudeville.

Air de Jadis et Aujourd’hui.

WILLIAMS.

N’ croyons pas trop à l’apparence,
Un vieux proverbe nous l’a dit :
Ce fut toujours une imprudence
De juger l’homme sur l’habit.
Il faut, puisque tout nous invite,
À craindre une fâcheuse erreur,
Accueillir l’homme de mérite,
Sans s’occuper de sa couleur.

MARIE.

On dit comme çà que nos grand’s dames
De mill’ couleurs peign’nt leurs attraits ;
Pour les rajeunir, d’ bonnes âmes
Trouv’nt tous les jours d’ nouveaux secrets.
Ici, par la simple nature,
Brill’nt les filettes et les fleurs,
Et nos Ladys, bell’s en peinture,
N’ peuv’nt pas attraper nos couleurs.

EDWIN.

Voyez ces courtisans perfides
Prêts à trahir leur protecteur,
Cherchant avec des yeux avides
D’où vient le vent de la faveur.
Par l’orgueil leurs âmes enivrées,
Pour entasser, fortune honneurs,
Ils prennent toutes les livrées,
Et portent toutes les couleurs.

MARGUERITE.

Mon époux fut dans son ménage
Jaloux, bizarre et soupçonneux ;
Son humeur injuste et sauvage
Voyait partout des amoureux.
J’avais beau dir’, j’avais beau faire,
Il allait d’ frayeurs en frayeurs ;
Enfin pendant sa vie entière,
Il en’ a vu d’ tout’s les couleurs.

FATT-SON.

Le teint frais, la face fleurie,
Et par Bacchus le front rougi ;
Grâce à cette couleur chérie,
J’espérais séduire Fanny.
Mais l’homme vert, pour mon martyre,
Vient de me ravir ses faveurs.
Fiat volontas... c’est-à-dire,
Ne disputons pas des couleurs.

JOHN GOOD.

Jadis les roses rouge et blanche
Chez nous armèrent deux partis ;
Mais un guerrier a l’âme franche,
Et ne songe qu’à son pays.
Le seul désir de la victoire
Le guide bien mieux qu’une fleur,
Il suit l’étendard de la gloire
Il ne connaît que sa couleur.

FANNY, au public.

Des vents redoutant l’influence,
Ce soir, avant de se risquer,
Sous les couleurs de l’espérance,
L’auteur a voulu s’embarquer.
Il croit à la vertu puissante
De cet emblème protecteur ;
N’allez pas tromper son attente,
Et faire mentir sa couleur.

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